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Rapport | Doc. 14620 | 21 septembre 2018

Vie privée et familiale: parvenir à l'égalité quelle que soit l'orientation sexuelle

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteur : M. Jonas GUNNARSSON, Suède, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc 13956, Renvoi 4234 du 14 octobre 2016. 2018 - Quatrième partie de session

Résumé

Le droit au respect de la vie privée et familiale est un droit fondamental garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Bien que ce droit revête la même importance pour tous, les progrès vers la réalisation de l’égalité, quelle que soit l’orientation sexuelle, sont disparates. Cela pose des problèmes réels et graves dans la vie quotidienne des citoyens. La discrimination reste malheureusement une réalité pour de nombreuses familles arc-en-ciel.

Depuis que l’Assemblée parlementaire a examiné ces questions pour la dernière fois en 2010, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a considérablement évolué et des progrès importants ont été réalisés dans les États membres sur la voie d’une plus grande égalité des familles arc-en-ciel. Ces développements montrent néanmoins que les États membres doivent encore consentir plus d’efforts pour parvenir à l’égalité dans le domaine de la vie privée et familiale, indépendamment de l’orientation sexuelle.

Afin de s'acquitter de la responsabilité qui leur incombe de protéger et promouvoir les droits fondamentaux de toutes les personnes relevant de leur juridiction et d'éliminer la discrimination fondée sur tous les motifs, y compris l'orientation sexuelle, les États devraient s’abstenir de perpétuer des traitements discriminatoires et promouvoir des activités visant à éliminer les préjugés existant au sein de la société et qui favorisent la persistance de telles discriminations.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adoptée à l’unanimité par la commission le 19 septembre
2018.

(open)
1. Le droit au respect de la vie privée et familiale est un droit fondamental garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5). Bien que ce droit revête la même importance pour tous, les progrès vers la réalisation de l’égalité, quelle que soit l’orientation sexuelle, ont souvent été plus lents dans ce domaine que dans d'autres.
2. Les couples de même sexe tout comme d’autres familles arc-en-ciel existent dans toute l’Europe, que cela soit ou non prévu par la législation. Ces familles ont les mêmes besoins que n’importe quelle autre famille, et, pourtant, de nombreuses familles sont privées de leurs droits au seul motif de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre des partenaires ou des parents. Il est essentiel et urgent que nos systèmes juridiques reconnaissent cette réalité et que les États s’emploient à surmonter la discrimination dont sont victimes des adultes et des enfants des familles arc-en-ciel.
3. Depuis que l’Assemblée parlementaire a examiné ces questions pour la dernière fois dans sa Recommandation 1474 (2000) sur la situation des lesbiennes et des gays dans les États membres du Conseil de l'Europe et dans sa Résolution 1728 (2010) sur la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre et depuis que le Comité des Ministres a adopté sa Recommandation CM/Rec(2010)5 sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a considérablement évolué et des progrès importants ont été réalisés dans les États membres sur la voie d’une plus grande égalité des familles arc-en-ciel. Ces développements éclairent sous un jour nouveau l’ampleur des efforts que les États membres doivent consentir pour parvenir à l’égalité dans le domaine de la vie privée et familiale, indépendamment de l’orientation sexuelle.
4. À la lumière de ce qui précède, et ayant également à l’esprit les recommandations pertinentes formulées dans sa Résolution 2048 (2015) sur la discrimination à l’encontre des personnes transgenres en Europe et sa Résolution 2191 (2017) «Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations à l’égard des personnes intersexes», ainsi que celles faites dans ce domaine par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et de nombreux organes conventionnels des Nations Unies, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe:
4.1. à veiller à l’application sans discrimination aucune fondée sur l’orientation sexuelle ni l’identité de genre de leurs dispositions constitutionnelles, législatives et réglementaires et de leurs politiques régissant les droits des partenaires, des parents et des enfants, en éliminant toute différence de traitement injustifiée fondée sur ces motifs;
4.2. à s’abstenir d’adopter des modifications de leurs Constitution et législation qui empêcheraient la reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe ou d’autres formes de familles arc-en-ciel, et de laisser au législateur ou à la juridiction suprême de trancher ces questions;
4.3. à aligner leurs dispositions constitutionnelles, législatives et réglementaires, et leurs politiques relatives aux partenaires de même sexe, sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans ce domaine, et par conséquent:
4.3.1. à assurer qu’un cadre juridique spécifique prévoie la reconnaissance et la protection des unions de partenaires de même sexe;
4.3.2. à accorder aux couples de même sexe des droits égaux à ceux des couples hétérosexuels en matière de transmission de bail;
4.3.3. à faire en sorte que les concubins de même sexe, quel que soit le statut juridique de leur partenariat, soient considérés comme des personnes à charge aux fins de l'assurance maladie;
4.3.4. dans le traitement des demandes de permis de séjour introduites au titre du regroupement familial, à faire en sorte, dans le cas où le mariage de personnes de même sexe n’est pas prévu, qu’il existe une autre manière permettant au partenaire de même sexe non ressortissant du pays d’obtenir un titre de séjour;
4.4. à veiller à la satisfaction sans discrimination aucune fondée sur l’orientation sexuelle des autres besoins fondamentaux indispensables au bon fonctionnement d’une relation de couple stable et engagée, et par conséquent:
4.4.1. en ce qui concerne les migrations, à étendre le droit de séjour aux partenaires de même sexe, sur un pied d'égalité avec ceux de sexe différent, et à accorder une reconnaissance égale aux partenariats homosexuels dans le contexte des demandes de naturalisation;
4.4.2. en ce qui concerne les situations nécessitant des soins médicaux, à reconnaître les partenaires de même sexe en tant que proches parents à des fins médicales et à leur accorder le droit au congé pour s’occuper d'un partenaire malade ou du parent malade d'un partenaire, sans discrimination fondée sur l'orientation sexuelle;
4.4.3. en ce qui concerne les biens, à prendre en compte les biens acquis par un couple de même sexe au cours de leur relation en tant que biens communs, sans discrimination fondée sur l'orientation sexuelle;
4.4.4. en matière de droit pénal, à veiller à l'applicabilité de la protection légale contre la violence domestique et à garantir le droit de refuser de témoigner contre son partenaire dans des procédures pénales, sans discrimination fondée sur l'orientation sexuelle;
4.4.5. en ce qui concerne les séparations, à assurer aux couples de même sexe l'applicabilité des règles relatives aux pensions alimentaires, sans discrimination fondée sur l'orientation sexuelle;
4.4.6. en matière de décès et d'héritage, à étendre aux couples de même sexe l’accès à la pension de réversion, le droit à indemnisation en cas d’homicide d’un partenaire résultant d’un acte délictueux ainsi que le droit héréditaire en cas de décès ab intestat d’un partenaire, et à accorder l’exemption des droits de succession aux couples de même sexe, sans discrimination fondée sur l'orientation sexuelle;
4.5. à protéger les droits des parents et des enfants des familles arc-en-ciel, sans discrimination aucune fondée sur l'orientation sexuelle ni sur l’identité de genre, et par conséquent:
4.5.1. conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, à veiller à accorder tous les droits en matière d’autorité parentale, d’adoption monoparentale, d'adoption simple ou par le second parent, sans discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ni sur l’identité de genre;
4.5.2. à prévoir la possibilité d’adoption conjointe par des couples de même sexe, sans discrimination fondée sur l'orientation sexuelle;
4.5.3. à étendre la reconnaissance automatique de la coparentalité au partenaire de la personne ayant accouché d’un enfant dans tous les cas où cette reconnaissance serait accordée au conjoint masculin d’une mère;
4.5.4. lorsque les femmes célibataires ont accès à la procréation médicalement assistée, à veiller à ce que cet accès soit accordé sans discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ou l’identité de genre;
4.5.5. lorsque les couples hétérosexuels non mariés ont accès à la procréation médicalement assistée, à veiller à ce que cet accès soit accordé aux couples de même sexe;
4.6. outre les recommandations déjà adoptées par l’Assemblée dans ses Résolution 2048 (2015) et Résolution 2191 (2017) concernant les effets de la reconnaissance juridique du genre des personnes transgenres et intersexes sur leur accès à la possibilité de conclure un partenariat civil ou un mariage ou de rester dans une telle relation et des droits des conjoints et des enfants, à veiller à ce que l’identité de genre des parents transgenres soit correctement enregistrée sur l’acte de naissance de leurs enfants et à ce que les personnes qui utilisent des marqueurs de genre légaux autres que «masculin» ou «féminin» puissent faire reconnaître leurs partenariats et leurs relations avec leurs enfants sans discrimination;
4.7. à s’employer activement, en consultation avec la société civile, à promouvoir l’acceptation et le respect des familles arc-en-ciel au sein de nos sociétés.
5. L’Assemblée précise que l’intolérance qui peut exister dans la société envers l’orientation sexuelle ou l’identité de genre de certaines personnes ne saurait justifier la perpétuation de traitements discriminatoires, car cela sert, de manière inacceptable, à légitimer des violations des droits de l'homme. Les États doivent, bien au contraire, œuvrer avec détermination pour combattre les préjugés qui permettent la persistance de telles discriminations, afin de s'acquitter de la responsabilité qui leur incombe de protéger et promouvoir les droits fondamentaux de toutes les personnes relevant de leur juridiction et d'éliminer la discrimination fondée sur tous les motifs, y compris l'orientation sexuelle et l’identité de genre.

B. Exposé des motifs, par M. Jonas Gunnarsson, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le droit au respect de la vie privée et familiale est un droit fondamental, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»). Bien que ce droit revête la même importance pour tous, les progrès vers la réalisation de l’égalité, quelle que soit l’orientation sexuelle, ont souvent été plus lents dans ce domaine que dans d'autres.
2. Dans sa Recommandation 1474 (2000) sur la situation des lesbiennes et des gays dans les États membres du Conseil de l'Europe, l’Assemblée parlementaire a invité les États membres à « adopter une législation prévoyant le partenariat enregistré ». Elle a relevé à nouveau, dans sa Résolution 1728 (2010) sur la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, la nécessité de remédier au déni des droits des « familles LGBT » de fait dans de nombreux États membres. L’Assemblée a par la suite abordé un certain nombre de questions essentielles touchant à la vie privée et familiale des personnes transgenres dans sa Résolution 2048 (2015) sur la discrimination à l’encontre des personnes transgenres en Europe (consacrée à la discrimination fondée sur l’identité de genre), et à celle des personnes intersexes dans sa Résolution 2191 (2017) «Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations à l’égard des personnes intersexes» (consacrée à la discrimination fondée sur les caractéristiques sexuelles). Elle ne s’est cependant pas penchée depuis 2010 sur la discrimination dans le domaine de la vie privée et familiale, fondée sur l’orientation sexuelle. Par ailleurs, des problématiques nouvelles sont apparues depuis l’adoption des résolutions susmentionnées.
3. Le Comité des Ministres a pour sa part adopté en 2010 la Recommandation CM/Rec(2010)5 sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Les normes énoncées dans cette recommandation concernant le respect de la vie privée et familiale se basent pour la plupart sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») telle qu’elle existait à ce moment-là et recommandent pour l’essentiel aux États membres de garantir l’application sans aucune discrimination de toute législation en vigueur.
4. Depuis l’adoption de ces textes, la Cour a été appelée à statuer sur un certain nombre d’affaires portant sur différents aspects du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) et de leurs enfants et sa jurisprudence a connu une évolution importante. Dans le même temps, de nombreux États membres du Conseil de l’Europe ont adopté une législation étendant le mariage aux couples de même sexe ou leur accordant d’autres formes de reconnaissance juridique, par exemple sous la forme de partenariats ou d’unions civils. D’autres États ont élargi l’étendue des droits reconnus par la législation nationale aux couples de même sexe. Les possibilités d’adoption ou de co-adoption par des personnes de même sexe vivant en couple ont également été élargies. Ces progrès importants sur la voie d’une plus grande égalité des familles arc-en-ciel ont cependant parfois donné lieu à de vives protestations de certaines parties de la société et certains États membres ont modifié leur Constitution ou leurs lois afin d’interdire le mariage de personnes de même sexe.
5. Parallèlement, d'autres pays dans le monde, ainsi que d'autres instances régionales de protection des droits de l'homme (notamment la Cour interaméricaine des droits de l'homme) et les Nations Unies, reconnaissent de plus en plus la nécessité de garantir l’égalité effective des familles arc-en-ciel et apportent des modifications à leur législation ou adoptent de nouvelles normes à cette fin.
6. Ce rapport part du constat que les couples de même sexe tout comme d’autres familles arc-en-ciel existent dans toute l’Europe – que cela soit ou non prévu par la législation – et que la privation de droits a des répercussions quotidiennes sur la vie de ces familles. J’estime essentiel et urgent que nos systèmes juridiques reconnaissent cette réalité et que nous nous employions à surmonter la discrimination dont sont victimes des adultes et des enfants des familles arc-en-ciel. Je tiens à mettre en avant les normes qui s'appliquent déjà clairement aux États membres du Conseil de l'Europe, et qui devraient être mises en œuvre par tous, et à explorer de nouvelles voies pour parvenir à la pleine égalité dans le domaine de la vie privée et familiale, indépendamment de l'orientation sexuelle.
7. Il convient de noter d’emblée que, si ce rapport est principalement centré sur les familles arc-en-ciel composées de partenaires de même sexe, ayant des enfants ou non, ou de célibataires lesbiennes ou gays qui élèvent ou souhaitent élever des enfants, il existe de nombreuses autres formes de familles arc-en-ciel. Rien dans le présent rapport ne doit être interprété comme limitant la notion de familles arc-en-ciel aux formes décrites ci-dessus. Par ailleurs, j’ai employé dans ce rapport le terme «partenaires de même sexe» et d’autres formulations similaires puisque ce sont des termes connus de la plupart des lecteurs. Il faut toutefois reconnaître que l’expression «partenaires de même genre» serait plus exacte. Ce terme n’est pas encore très répandu, mais son emploi est à juste titre en train de devenir plus courant.

2. Pourquoi la reconnaissance juridique des familles arc-en-ciel est-elle importante?

8. Les familles arc-en-ciel ont les mêmes besoins que toutes les autres familles. Or, les différences de traitement entre ces familles et les familles arc-en-ciel demeurent nombreuses. Par exemple, les partenariats ou les mariages entre personnes de même sexe reconnus dans un pays ne le sont pas toujours au-delà des frontières; des États entravent la reconnaissance de partenariats de personnes de même sexe dans d’autres pays où cela est prévu, en refusant de fournir les documents requis; les enfants élevés au sein de familles homoparentales ne jouissent pas toujours de liens juridiques égaux avec leurs deux parents; dans de nombreux cas, ni l’adoption ni la co-adoption par des partenaires d’un couple de même sexe ne sont prévues; la liberté de circulation est de fait refusée à des familles dont un des parents est une personne transgenre dont le genre n’est pas légalement reconnu.
9. En l’absence de reconnaissance des partenariats entre personnes de même sexe, les couples sont privés de droits que les partenaires de sexe différent tiennent pour acquis. En cas de décès d’un des partenaires, le conjoint de même sexe peut ne pas avoir droit à une pension de réversion ou de conserver la jouissance du logement partagé par le couple, alors qu’un conjoint de sexe opposé aurait dans une telle situation été habilité à rester dans les lieux. Les partenaires peuvent être privés de droit de visite lorsque l’un des deux reçoit des soins d’urgence – se trouvant ainsi privés du soutien et de l’aide dont ils ont particulièrement besoin dans des périodes difficiles et qui n’auraient pas été refusés à des partenaires de sexe différent. Il se peut aussi que les partenaires homosexuels ne bénéficient pas de l’accès à des allocations familiales ou à des règles plus favorables en matière d’imposition. Quant aux enfants élevés par des parents de même sexe, si l’un des partenaires meurt ou que le couple se sépare, ils peuvent se voir privés de la garde de la personne qu’ils ont toujours considérée comme leur parent. En outre, si le couple lui-même n’est pas reconnu, il n’existe généralement aucun cadre juridique pour réglementer les droits et les obligations mutuelles des deux partenaires en cas de séparation 
			(2) 
			Voir, en particulier,
Commissaire aux droits de l’homme, « Accès à la reconnaissance juridique
pour les couples de même sexe: c’est une question d’égalité », Carnet
des droits de l’homme, 21 février 2017 ; Waaldijk K. (ed.) (2017),
«More and more together: Legal family formats for same-sex and different-sex
couples in European countries: Comparative analysis of data in the
LawAndFamilies database», Families and Societies Working Paper Series
75; voir également les constatations adoptées par le Comité des
droits de l’homme des Nations Unies dans C.
c. Australie, 28 mars 2017, CCPR/C/119/D/2216/2012, concluant
à une violation du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques face à l’impossibilité faite à une ressortissante
australienne mariée à l’étranger de divorcer en Australie..
10. Ces différences posent non seulement des problèmes réels et graves dans la vie quotidienne des citoyens, mais elles sont injustifiées et constituent une discrimination manifeste. En tant que responsables politiques, il nous incombe de mettre un terme à de telles violations des droits de l’homme. Dans le même temps, nous devons lutter activement contre les préjugés qui permettent à ces formes de discrimination de perdurer.

3. Les couples de même sexe

11. Afin de dresser le bilan de la situation actuelle des États membres et de l'état à ce jour de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme dans ce domaine, je commencerai par examiner la manière dont sont régies les relations entre couples de même sexe. Dans le chapitre suivant, je me pencherai sur les droits des couples de même sexe et des célibataires gays ou lesbiennes qui élèvent ou souhaitent élever des enfants.

3.1. La reconnaissance juridique des partenariats entre personnes de même sexe

3.1.1. La reconnaissance juridique dans les États membres

12. Il y a 30 ans, les pays européens n’étaient que quelques-uns à reconnaître des droits aux couples de même sexe vivant sous le même toit; par exemple, en matière de législation sur les migrations, les locations immobilières et les droits de succession 
			(3) 
			Waaldijk
K (ed.) (2017), op. cit.,
p. 43.. En 1989, le Danemark est devenu le premier pays au monde à accorder une reconnaissance juridique aux couples homosexuels sous forme de partenariats enregistrés. En 2001, les Pays-Bas ont été les premiers à autoriser le mariage des couples de même sexe. Depuis lors, la reconnaissance juridique des partenariats entre personnes de même sexe en Europe a constamment progressé. En 2010, six États membres du Conseil de l’Europe avaient accordé aux couples homosexuels l’égalité d’accès au mariage, et 13 avaient légiféré pour autoriser ces couples à enregistrer leurs partenariats. En 2015, ces chiffres étaient passés respectivement à 11 et à 18 
			(4) 
			Voir Schalk et Kopf c. Autriche, Requête
no 30141/04, arrêt du 24 juin 2010, paragraphes 27
et 28; Oliari et autres c. Italie,
Requête no 18766/11, arrêt du 21 juillet
2015, paragraphes 53 et 54..
13. À compter d’août 2018, 15 des États membres du Conseil de l’Europe reconnaissent le mariage entre personnes de même sexe 
			(5) 
			Allemagne, Belgique,
Danemark, Espagne, Finlande, France, Irlande, Islande, Luxembourg,
Malte, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni (à l’exception de
l’Irlande du Nord), Suède. et 22 prévoient des formes de partenariats enregistrés 
			(6) 
			Allemagne, Andorre,
Autriche, Belgique, Croatie, Chypre, Espagne, Estonie, Finlande,
France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Liechtenstein, Luxembourg,
Malte, Pays-Bas, Royaume-Uni (sauf en Irlande du Nord), Slovénie,
Suisse, République tchèque. . Dix de ces 22 États autorisent aussi le mariage de couples de même sexe; les 12 autres proposent des partenariats enregistrés mais ne reconnaissent pas le mariage entre personnes de même sexe. Sur ces 12 États, ils sont 10 à prévoir des partenariats enregistrés (unions civiles) pour les couples de même sexe ouvrant à des droits similaires à ceux accordés aux couples mariés 
			(7) 
			Andorre,
Autriche, Croatie, Chypre, Grèce, Hongrie, Italie, Liechtenstein,
Slovénie, Suisse.. Les deux autres États prévoient la reconnaissance juridique des partenariats entre personnes de même sexe, mais avec des droits limités par rapport à ceux des couples mariés 
			(8) 
			Estonie et République
tchèque.. Au total, sur les 47 États membres du Conseil de l’Europe, ils sont actuellement 27 à accorder une forme de reconnaissance juridique aux partenariats homosexuels, dont 25 à prévoir soit la pleine égalité devant le mariage soit des droits similaires à ceux des couples mariés.
14. Qui plus est, la tendance à une généralisation de la reconnaissance juridique des couples homosexuels se poursuit; d’autres pays modifient leur législation pour accorder une reconnaissance juridique là où elle n’existait pas auparavant, ou pour accroître le niveau de reconnaissance. En décembre 2017, la Cour constitutionnelle autrichienne a abrogé les dispositions juridiques qui interdisaient le mariage des couples de même sexe. La décision entrera en vigueur à compter du 31 décembre 2018 (sauf action du législateur pour abroger ou modifier les dispositions contestées plus tôt), ce qui portera à 16 le nombre des États membres du Conseil de l’Europe reconnaissant le mariage des couples homosexuels 
			(9) 
			Décision G 258/2017 ua ;
pour un résumé de l’arrêt et de ses conséquences, voir le communiqué
de presse de la Cour constitutionnelle, <a href='https://www.vfgh.gv.at/medien/Ehe_fuer_gleichgeschlechtliche_Paare.en.php'>https://www.vfgh.gv.at/medien/Ehe_fuer_gleichgeschlechtliche_Paare.en.php</a> (en anglais)..
15. Il est important de noter que l’impulsion en faveur de ces changements est essentiellement venue du niveau interne, en réponse à une demande de la société au sein des États membres. Dans certains États, ce sont les gouvernements qui ont introduit une législation pour assurer l’égalité devant le mariage ou pour autoriser les partenariats enregistrés des couples de même sexe ; dans d’autres, c’est une proposition de loi introduite par un seul député qui est à l’origine de cette législation. Parfois, ce sont des décisions judiciaires relatives à des cas individuels et concluant à une discrimination qui ont poussé les États à agir. En Irlande, l’égalité devant le mariage a été obtenue à l’issue d’un référendum, dont nous a parlé en détail la ministre irlandaise de l’Enfance et de la Jeunesse, Katherine Zappone, à l’occasion de la Conférence sur la vie privée et familiale des personnes LGBTI, organisée à Copenhague le 2 mars 2018, sous les auspices de la présidence danoise du Comité des Ministres 
			(10) 
			Conférence sur la vie
privée et familiale des personnes LGBTI, coorganisée par la présidence
danoise du Comité des Ministres, le Parlement danois et la commission
sur l’égalité et la non-discrimination, <a href='https://pace.coe.int/documents/19879/4643273/AS-EGA-2018-PV-02ADD-FR.pdf/71946371-96e3-46fc-b0d1-6706440f1896'>AS/Ega
(2018) PV 02 add</a>. .
16. Dans le même temps, force est de reconnaître que ces changements ne se sont pas faits du jour au lendemain ni sans débat, en particulier s’agissant de l’égalité devant le mariage. En France en 2013, de grands rassemblements ont vu le jour pour contester l’introduction du mariage pour tous. Des manifestations de même nature ont eu lieu en Italie en 2016, en opposition à l’introduction de l’union civile pour les couples de même sexe. En Hongrie, les partenariats enregistrés sont depuis 2009 ouverts aux couples homosexuels, mais la nouvelle Constitution entrée en vigueur en 2012 a limité le mariage aux couples hétérosexuels. En Croatie, les partenariats enregistrés pour les couples de même sexe ont été introduits en 2014, mais seulement après la tenue d’un référendum, en 2013, qui a eu pour effet de modifier la Constitution aux fins de définir le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme 
			(11) 
			Le Courrier des Balkans, « La Croatie
vote à 65 % contre le mariage gay », 1er décembre 2013;
« LGBT: la Croatie dit oui aux unions civiles homosexuelles », 16 juillet 2014.. En Slovénie, où les partenariats entre personnes de même sexe jouissent d’une reconnaissance juridique depuis 2005, l’Assemblée nationale a voté en mars 2015 un projet de loi portant modification de la loi sur le mariage et les relations familiales afin que le mariage soit formulé en termes neutres au regard du genre. Toutefois, l’amendement a été rejeté par référendum en décembre 2015 (avec seulement 36 % de participation). Une forme plus inclusive d’union civile a cependant été approuvée par le parlement et a pris effet en février 2017 
			(12) 
			Le
Courrier des Balkans, « Slovénie: les Slovènes ont dit
“non” au mariage pour tous », 19 décembre 2015 ; « Slovénie: les
premiers couples de même sexe se sont dit “oui” », 5 mars 2017.. Dans ces deux cas, le référendum visant à restreindre le mariage à une union entre un homme et une femme a été organisé à la demande de la société civile. En République slovaque, cependant, le même genre d’initiative a échoué en février 2015 en raison d’une faible participation électorale (21,4 %).
17. Dans d’autres pays, il n’existe aucune forme de reconnaissance juridique des partenariats entre personnes de même sexe, et des amendements constitutionnels ont été proposés ou apportés dans certains d’entre eux dans le but de restreindre la définition du mariage aux (seules) unions entre un homme et une femme. En Arménie, des amendements de ce type ont été introduits dans le cadre d’un vaste train de réformes constitutionnelles approuvé par référendum en décembre 2015 
			(13) 
			RFE/RL, « Armenian
Constitution to Ban Same-Sex Marriage », 4 décembre 2015.. En Roumanie – parallèlement à la bataille juridique très médiatisée d’un couple gay roumano-américain marié en Belgique et souhaitant s’installer ensemble en Roumanie (voir la partie 3.2.1 ci-dessous) – une initiative populaire de référendum visant à modifier la Constitution et à définir le mariage en tant qu’union entre un homme et une femme a recueilli 3 millions de signatures en 2016, et la tenue d’un référendum le 7 octobre 2018 a été annoncée. Selon des informations récentes, une issue affirmative du référendum pourrait avoir pour effet de redéfinir la famille elle-même comme étant fondée sur le mariage entre un homme et une femme, définition qui serait clairement en conflit avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme 
			(14) 
			Le
Courrier des Balkans, «Roumanie: trois millions de signatures
contre le mariage homosexuel», 25 mai 2016; «Roumanie: un référendum
pour interdire le mariage homosexuel», 12 septembre 2017; digi24.ro,
“Referendum privind redefinirea familiei în Constituţie, pe 7 octombrie”, 1er septembre
2018. . En Géorgie, la définition constitutionnelle du mariage a récemment été modifiée de manière à désigner «l’union d’une femme et d’un homme dans le but de fonder une famille»; cette modification s’inscrit dans le cadre d’une série d’amendements constitutionnels apportés par le parlement qui entreront en vigueur après la prochaine élection présidentielle de 2018 
			(15) 
			Legislative
Herald of Georgia, textes des constitutions actuelle
et future, <a href='https://matsne.gov.ge/en/document/view/30346'>https://matsne.gov.ge/en/document/view/30346</a>. .
18. En Fédération de Russie où s’applique une législation interdisant ladite «propagande homosexuelle», un couple gay marié au Danemark et dont le mariage, légalement contracté à l’étranger, a été enregistré à Moscou en janvier 2018, a été confronté à une vague de réactions violentes, notamment à des propos haineux tenus par des responsables politiques, des intimidations policières et des menaces de mort, lorsque les médias ont diffusé son histoire. Craignant pour sa sécurité, le couple a été contraint de quitter le pays. De surcroît, le fonctionnaire qui avait enregistré le mariage a été limogé 
			(16) 
			Marc Bennetts, «Gay
married couple flee Russia after receiving death threats», The Guardian, 29 janvier 2018..
19. Force est de reconnaître les positions contrastées entre les États membres du Conseil de l'Europe qui prévalent actuellement en ce qui concerne le niveau le plus élevé de reconnaissance juridique des couples, à savoir l'égalité devant le mariage. Cependant, on observe également une tendance nette à la reconnaissance croissante des partenariats entre personnes de même sexe – tant en ce qui concerne le statut juridique des partenariats proprement dits que l’accès à d’autres droits que ces partenariats impliquent. Ces changements sociétaux sont d’ailleurs intervenus très rapidement. En 2001, date à laquelle les Pays-Bas ont introduit le mariage homosexuel, personne n’aurait pu imaginer que tant d’autres pays emboîtent aussi vite le pas ou fassent rapidement des progrès aussi importants dans cette voie.

3.1.2. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur le droit au respect de la vie privée et familiale et le besoin de reconnaissance juridique et de protection des relations des couples de même sexe 
			(17) 
			Je tiens à remercier
le Professeur Robert Wintemute de King’s College London pour sa
présentation faite à notre commission lors de la Conférence sur
la vie privée et familiale des personnes LGBTI, tenue le 2 mars 2018
à Copenhague.

20. Il est établi depuis plus de 40 ans que la vie sexuelle des personnes représente une part importante de leur vie privée au sens de la Convention européenne des droits de l’homme 
			(18) 
			X.
c. République fédérale d’Allemagne, Requête no 5935/72,
décision du 30 septembre 1975.. En 1981, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que l’existence d’une législation pénalisant les actes homosexuels entre adultes consentants constituait, en soi, une atteinte au droit à la vie privée 
			(19) 
			Dudgeon
c. Royaume-Uni, Requête no 7525/76,
arrêt du 22 octobre 1981.. Ce type de législation n’est plus en vigueur dans aucun État membre du Conseil de l’Europe.
21. En 2010, dans son arrêt rendu dans l’affaire Schalk et Kopf c. Autriche, la Cour a noté que les couples homosexuels sont, tout comme les couples hétérosexuels, capables de s’engager dans des relations stables, et a jugé à l’unanimité que la relation qu’entretient un couple homosexuel cohabitant de fait de manière stable, relève de la notion de «vie familiale» au même titre que celle d’un couple hétérosexuel se trouvant dans la même situation 
			(20) 
			Schalk et Kopf c. Autriche, Requête
no 30141/04, arrêt du 24 juin 2010.. Le fait que les couples de même sexe jouissent du droit au respect de la vie familiale fait aujourd’hui l’objet d’une jurisprudence bien établie 
			(21) 
			Voir interalia Gas et Dubois c. France, X. et autres c. Autriche,
Vallianatos et autres c. Grèce, Hämäläinen c. Finlande, Oliari et
autres c. Italie, Pajic c. Croatie, Orlandi et autres c. Italie (citations
ci-dessous).. En 2013, la Cour a par ailleurs conclu que rien ne justifie d’interdire aux couples homosexuels la possibilité de conclure une union civile, créée comme une alternative au mariage pour les couples hétérosexuels; une telle interdiction étant par conséquent contraire à la Convention 
			(22) 
			Vallianatos
et autres c. Grèce, Requêtes nos 29381/09/09
et 32684/09, arrêt du 7 novembre 2013..
22. La Cour a précisé que les couples de même sexe ont besoin d’une reconnaissance juridique et d’une protection de leur relation. En 2015, elle a par ailleurs conclu que les États ont l’obligation positive de veiller à ce que les partenaires de même sexe disposent d’un cadre juridique spécifique assurant la reconnaissance et la protection de leur union, conclusion qu’elle a réaffirmée en 2017 
			(23) 
			Oliari
et autres c. Italie, Requêtes nos 18766/11
et 36030/11, arrêt du 21 juillet 2015; Oliari
et autres c. Italie, Requêtes no 26431/12
et autres, arrêt du 14 décembre 2017.. Elle a souligné que l’absence d’un tel cadre entraîne les couples dans un vide juridique, méconnaissant leur réalité sociale 
			(24) 
			Oliari
et autres c. Italie (2017)..
23. Dans les affaires susmentionnées, la Cour a estimé qu’aucune considération impérieuse d’intérêt général ne s’est révélée primer sur le besoin des couples homosexuels de voir leurs partenariats juridiquement reconnus ou justifier une situation dans laquelle les relations des requérants étaient dépourvues de toute reconnaissance et protection. Il est selon moi impossible aujourd’hui d’imaginer des circonstances permettant de faire valoir un tel intérêt dominant – même dans les pays marqués par une forte opposition au mariage pour tous. En effet, bien qu’elle n’ait pas à ce jour conclu à l’obligation pour les États, au titre de la Convention, de prendre des mesures spécifiques visant à reconnaître les mariages homosexuels 
			(25) 
			Voir en tant qu’exemple
le plus récent Orlandi et autres c. Italie (2017)., la Cour a estimé à plusieurs reprises que la protection de la famille traditionnelle (principal motif généralement invoqué pour priver des couples homosexuels de certains droits) ne constitue pas une raison pouvant justifier une différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle en matière d'accès aux droits des couples de même sexe 
			(26) 
			Karner
c. Autriche, Requête no 40016/98,
arrêt du 24 juillet 2003 et Kozak c.
Pologne, Requête no 13102/02,
arrêt du 2 mars 2010 (dans le cadre de la transmission d’un bail); X. et autres c. Autriche, Requête
no 19010/07, arrêt du 19 février 2013
(adoption coparentale); Taddeucci et
McCall c. Italie, Requête no 51362/09,
arrêt du 30 juin 2016 (un permis de séjour à des fins de regroupement
familial). Voir également ci-dessous.. Elle a par ailleurs souligné qu’il appartient à l’État, lorsqu’il choisit des moyens conçus pour protéger la famille, de tenir compte de l’évolution de la société ainsi que des changements qui se font jour dans la manière de percevoir les questions de société, d’état civil et celles d’ordre relationnel, notamment de l’idée selon laquelle il y a plus d’une voie ou d’un choix possibles en ce qui concerne la façon de mener une vie privée et familiale 
			(27) 
			Bayev
et autres c. Russie, Requête no 67667/09,
arrêt du 20 juin 2017..
24. Il convient également de noter qu’au niveau des Nations Unies, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a ces dernières années appelé plusieurs pays européens, dont la Bulgarie, la Fédération de Russie, la République slovaque, et «l’ex-République yougoslave de Macédoine», à reconnaître juridiquement les couples homosexuels et/ou à étendre à ces derniers les avantages réservés aux couples mariés 
			(28) 
			Voir respectivement
E/C.12/BGR/CO/R.4-5, paragraphe 17, 11 décembre 2012; E/C.12/RUS/CO/6,
paragraphe 23, 16 octobre 2017; E/C.12/SVK/CO/2, paragraphe 10,
8 juin 2012; E/C.12/MKD/CO/2-4, paragraphe 26, 15 juillet 2016.. Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a lui aussi invité récemment les États européens à mener à bien l’adoption des réglementations ou de la législation en suspens reconnaissant les partenariats entre personnes de même sexe (Estonie, Serbie) et souligné l’importance de l’égalité de traitement des partenariats homosexuels et autres (Liechtenstein, Luxembourg) 
			(29) 
			Voir respectivement
CEDAW/C/EST/CO/5-6, paragraphe 39, 18 novembre 2016; CEDAW/C/SRB/CO/2-3, paragraphe
39, 30 juillet 2013; CEDAW/C/LIE/CO/5, paragraphe 42, 23 juillet 2018;
CEDAW/C/LUX/CO/6-7, paragraphe 52, 14 mars 2018..

3.2. L’accès des couples de même sexe aux droits

25. Quel que soit le cadre spécifique dans lequel s’inscrit la reconnaissance juridique des couples de même sexe, l’enjeu le plus immédiat pour eux concerne l’accès aux droits fondamentaux. La privation de certains droits que les couples hétérosexuels tiennent pour acquis – comme celui de pouvoir rendre visite à son partenaire hospitalisé dans un service d’urgence, de conserver la jouissance du domicile au décès de son partenaire, ou de pouvoir résider dans le même pays que son partenaire – a des répercussions directes sur la vie des couples de personnes de même sexe. Sur le plan pratique, cette question peut s’avérer plus importante que la dénomination (mariage, partenariat enregistré, union civile, etc.) employée dans la loi pour désigner une relation.

3.2.1. La jurisprudence européenne et internationale relative à l’accès des couples de même sexe aux droits

26. Les couples de même sexe se voient souvent refuser l’accès à des droits spécifiques au seul motif de leur orientation sexuelle. La jurisprudence de la Cour a cependant clairement établi que, là où l’orientation sexuelle est en jeu, seules des raisons particulièrement convaincantes et solides peuvent justifier une différence de traitement, notamment en matière de vie privée et familiale. L’État dispose donc d’une marge d’appréciation étroite dans ce domaine et les mesures prises doivent non seulement poursuivre un but légitime mais aussi se révéler nécessaires à l’atteinte de cet objectif 
			(30) 
			Ce principe a été répété
à plusieurs reprises: voir par exemple Karner
c. Autriche (2003), Kozak
c. Pologne (2010), et les
nombreuses sources qui y sont citées..
27. La Cour a ainsi précisé que les couples de même sexe non mariés doivent avoir les mêmes droits et devoirs que les couples hétérosexuels non mariés dans le cadre d’une transmission de bail et que l’exclusion générale des couples homosexuels du champ d’application de la législation relative au transfert de bail ne peut être considérée nécessaire à la protection de la famille perçue dans son sens traditionnel 
			(31) 
			Karner
c. Autriche (2003); Kozak
c. Pologne (2010)..
28. En matière d’assurance maladie, la Cour a jugé qu’une clause juridique ne désignant comme personne à charge qu’un parent proche de l’assuré ou qu’un partenaire de sexe opposé – à l’exclusion du concubin du même sexe que la personne assurée – était discriminatoire et contraire à la Convention 
			(32) 
			P.B.
et J.S c. Autriche, Requête no 18984/02,
arrêt du 22 juillet 2010..
29. S’agissant du droit des partenaires de même sexe à une pension de réversion, la Cour a estimé qu’aucune des affaires dont elle a jusqu’à présent été saisie ne constituait une violation de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette position ne correspond toutefois pas à celle adoptée par la Cour de Justice de l’Union européenne dans un certain nombre d’arrêts 
			(33) 
			Voir
les affaires C-117/01, C-267/06 et C-147/08.. Par ailleurs, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a clairement établi qu’en accordant une prestation de réversion aux couples hétérosexuels non mariés mais pas aux couples homosexuels non mariés, les États Parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont commis une violation de l’interdiction de la discrimination inscrite à l’article 26 du Pacte 
			(34) 
			Young
c. Australie, 6 août 2003, CCPR/C/78/D/941/2000; X. c. Colombie, 30 mars 2007, CCPR/C/89/D/1361/2005. . La Cour interaméricaine des droits de l’homme a également conclu qu’une telle exclusion constitue une atteinte aux droits de l’homme 
			(35) 
			Duque
c. Colombie (Exceptions préliminaires, fond, réparations
et dépens), arrêt du 26 février 2016, Série C no 310. .
30. Dans le contexte actuel de mondialisation croissante, de plus en plus de personnes, quelle que soit leur orientation sexuelle, trouvent un partenaire de vie d’une nationalité différente de la leur et/ou partent, avec leur partenaire, travailler à l’étranger. La Cour a estimé que réserver la possibilité de demander un permis de séjour pour regroupement familial aux couples hétérosexuels constitue une violation de la Convention 
			(36) 
			Pajic
c. Croatie, Requête no 68453/13,
arrêt du 23 février 2016., au même titre qu’empêcher, dans le cadre d’une demande de permis de séjour, un partenaire de même sexe de répondre à la définition de «conjoint(e)» selon la législation nationale 
			(37) 
			Taddeucci et McCall c. Italie, Requête
no 51362/09, arrêt du 30 juin 2016.. La Cour de justice de l’Union européenne a aussi récemment statué qu’au sens des dispositions de l’Union européenne en matière de liberté de circulation, la notion de «conjoint» doit être comprise comme englobant les conjoints de même sexe. Il en va ainsi que les mariages entre personnes de même sexe puissent ou non être conclus dans le pays où les conjoints déménagent 
			(38) 
			Coman et autres c. Inspectoratul General pentru
Imigrări et Ministerul Afacerilor Interne, affaire no C-673/16. .
31. Plus généralement, dans le cadre de son examen des droits des couples de même sexe, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que les besoins fondamentaux indispensables au bon fonctionnement d’une relation de couple stable et engagée incluent entre autres les droits et les obligations des partenaires vis-à-vis l’un de l’autre, notamment en termes de soutien moral et matériel, de pensions alimentaires et de succession 
			(39) 
			Oliari et autres c. Italie (2015),
paragraphe 169.. Cette conclusion devrait guider tous les États membres du Conseil de l’Europe dans leur réglementation des droits des couples homosexuels.

3.2.2. Les autres droits fréquemment reconnus dans la législation nationale

32. Bien entendu, seules les affaires n’ayant pas été résolues à la satisfaction des requérants au niveau national sont portées devant la Cour de Strasbourg. Les États ont toutefois la possibilité d'étendre l'accès des couples homosexuels à un éventail bien plus large de droits fondamentaux que ceux dont il a été question ci-avant – et beaucoup d'entre eux le font. Outre les droits examinés précédemment, un grand nombre d'autres droits et responsabilités qui s'appliquent généralement aux couples hétérosexuels sont largement reconnus aux couples de même sexe dans un certain nombre d’États européens. Ainsi, une étude récente couvrant la situation en 2015-2016 de 23 juridictions dans 21 États européens a mis en lumière l’existence d’un niveau de consensus élevé entre ces juridictions dans l'octroi d'une série de droits (et l'imposition de certaines obligations) aux couples homosexuels dans différents domaines comme les revenus, les migrations, les «situations problématiques», les séparations et les décès 
			(40) 
			Les
juridictions couvertes dans l’étude pour la base de données LawsAndFamilies
(<a href='http://www.lawsandfamilies.eu/'>www.LawsAndFamilies.eu</a>) sont les suivantes: Allemagne, Autriche, Belgique,
Bulgarie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Italie,
Malte, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Royaume-Uni
(l’Angleterre et le pays de Galles, l’Irlande du Nord et l’Écosse),
Slovénie, Suède, République tchèque. Pour une brève synthèse des
résultats de l’étude, voir Waaldijk K. (2018), Extending rights,
responsibilities and status to same-sex families: trends across
Europe, ministère des Affaires étrangères du Danemark. Pour plus
de détails, voir Waaldijk K. (Ed.) (2017), op.
cit. J’ai considéré qu’un consensus de 80 % constituait
un niveau de consensus élevé entre les différentes juridictions.
Un tel niveau élevé de consensus a également été atteint en ce qui
concerne deux points examinés dans la partie 3.2.1 ci-dessus: la
transmission de bail et le droit de séjour du conjoint non ressortissant
d’un ressortissant..
33. Le niveau de consensus le plus élevé portait sur la prise en compte du revenu du partenaire dans le calcul des droits à des prestations sociales – en d’autres termes, la réduction de ces prestations pour les couples de même sexe, comme c'est le cas pour les couples de sexe différent. Quatre-vingt-treize pourcent des juridictions appliquaient ces règles aux couples homosexuels. En revanche, le niveau de consensus s’élevait à 80 % s’agissant du droit à un taux d'imposition plus faible pour les couples de même sexe que pour deux personnes célibataires. (Concernant ce dernier point, il convient cependant de noter que dans certains pays, comme le mien, les couples hétérosexuels ne bénéficient pas non plus d’un taux d’imposition des revenus inférieur à celui des personnes seules.)
34. Entre ces deux niveaux (élevés) de consensus, une série d'autres droits non encore traités dans la jurisprudence de la Cour sont aujourd'hui très largement accordés aux partenaires de même sexe légalement reconnus, et le nombre d'États qui étendent la reconnaissance de ces droits aux couples homosexuels a considérablement augmenté au cours des dix dernières années. Ces droits englobent:
  • en ce qui concerne les migrations: le droit de séjour pour le partenaire non européen de même sexe d'un non européen résidant dans le pays; la reconnaissance du partenariat dans le cadre d'une demande de naturalisation;
  • en ce qui concerne les «situations problématiques»: la reconnaissance du partenaire de même sexe en tant que proche parent à des fins médicales; le droit au congé pour prendre soin d’un partenaire malade; le droit au congé pour s’occuper du parent malade d’un partenaire; l’applicabilité de la protection légale contre la violence domestique; le droit de refuser de témoigner contre son partenaire dans des procédures pénales;
  • en ce qui concerne les séparations: l'applicabilité aux couples de même sexe des règles relatives aux pensions alimentaires; la prise en compte des biens acquis par le couple au cours de sa relation en tant que biens communs;
  • en ce qui concerne les décès: le droit à indemnisation en cas d’homicide d’un partenaire de même sexe résultant d’un acte délictueux; le droit héréditaire en cas de décès ab intestat d’un partenaire; l’exemption des droits de succession; la prise en compte des biens acquis par le couple au cours de sa relation en tant que biens communs.

Il existe également un niveau de consensus élevé (88 %) en ce qui concerne l'octroi d'une pension de réversion au partenaire survivant d'un couple homosexuel.

35. À mes yeux, les droits susmentionnés relèvent des «besoins fondamentaux indispensables au bon fonctionnement d’une relation de couple stable et engagée», pour reprendre les termes de la Cour. Ainsi, outre les droits d’ores et déjà reconnus par la Cour, ceux évoqués ci-dessus devraient également être étendus aux couples de même sexe dans l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe. Il ne s’agit pas d’octroyer des privilèges ou des avantages particuliers aux personnes LGBTI, mais simplement d’accorder une reconnaissance égale aux couples homosexuels stables et engagés qui ont les mêmes besoins que n’importe quel autre couple.

4. Les familles arc-en-ciel avec enfants

36. Divers instruments internationaux des droits de l’homme entérinent le droit de fonder une famille et de décider librement du nombre et de l’espacement de ses enfants 
			(41) 
			Déclaration universelle
des droits de l’homme (article 16), Convention européenne des droits
de l’homme (article 12), Convention sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination à l’égard des femmes (article 16).. Ces droits fondamentaux sont cruciaux pour tous, quels que soient leur orientation sexuelle, leur identité de genre ou leurs caractéristiques sexuelles. Je considère toutefois que l’examen des questions relatives à la procréation médicalement assistée et à la gestation pour autrui ne relève pas du présent rapport, sauf lorsque les lois qui existent déjà dans des États membres sont appliquées de manière discriminatoire. À titre d’exemple, là où des femmes célibataires ont accès à la procréation médicalement assistée, cette possibilité devrait être offerte à toute personne pouvant accoucher, indifféremment de leur orientation sexuelle; dans les rares États membres du Conseil de l'Europe autorisant la gestation pour autrui, l'égalité d'accès devrait être accordée à tous, sans discrimination 
			(42) 
			Selon le même raisonnement
que celui tenu par la Cour européenne des droits de l’homme dans
l’affaire E.B. c. France (Requête
no 43546/02, arrêt du 22 janvier 2008),
estimant alors que lorsqu’un État autorise une femme célibataire
à adopter un enfant, l’orientation sexuelle ne doit pas donner lieu
à discrimination..
37. Il est un point crucial qu’il nous faut toutefois reconnaître: à l’heure actuelle, beaucoup d’enfants grandissent dans des familles arc-en-ciel. Ils ont besoin que leurs relations avec leurs parents soient reconnues et protégées par la loi. La reconnaissance ou non de l’autorité parentale a non seulement une incidence directe sur des questions pratiques de la vie courante – en déterminant par exemple qui peut aller chercher l’enfant à l’école, qui peut donner son accord pour un traitement médical –, mais définit aussi le niveau de protection accordé à la relation entre l’enfant et ses parents de même sexe lorsque surviennent des événements qui changent le cours de la vie, tels que la séparation des parents ou le décès de l’un d’entre eux. Les droits en matière d'adoption sont également déterminants à cet égard.

4.1. La situation dans les États membres

38. À l’instar des partenariats entre personnes de même sexe, la reconnaissance des droits d’adoption progresse dans les États membres du Conseil de l’Europe. L’adoption conjointe par des couples homosexuels – c’est-à-dire l’adoption par les deux membres d’un couple n’ayant aucun de lien de parenté biologique avec l’enfant – était autorisée dans huit États membres du Conseil de l’Europe en 2010; en 2015, ce nombre était passé à 12. L’adoption coparentale ou la co-adoption par des couples de même sexe – lorsqu’un membre du couple adopte l’enfant de l’autre sans que le premier parent perde ses droits juridiques – était autorisée dans 11 États membres du Conseil de l’Europe en 2010; ce nombre était passé à 15 en 2015. En 2015 toujours, sept États prévoyaient aussi la reconnaissance automatique de la coparentalité, l’enfant né d’un couple de même sexe pouvant être reconnu dès la naissance comme l’enfant des deux partenaires 
			(43) 
			Voir
ILGA-Europe, Rainbow Map (Index), mai 2015 et mai 2010..
39. Aujourd’hui, l’adoption conjointe par des couples de même sexe est prévue par la loi dans 17 États membres 
			(44) 
			Allemagne, Andorre,
Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Irlande,
Islande, Luxembourg, Malte, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni
et Suède.; la possibilité d’adoption par le second parent ou de co-adoption dans les familles homoparentales est prévue dans 18 États membres, dont 16 proposent également l’adoption conjointe 
			(45) 
			Allemagne, Andorre,
Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Islande,
Luxembourg, Malte, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Slovénie,
Suède et Suisse., et 10 (tous autorisant au minimum une forme d’adoption) prévoient la reconnaissance automatique du coparent 
			(46) 
			Autriche,
Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, Malte, Norvège, Pays-Bas,
Portugal et Royaume-Uni. Des travaux sont également en cours en
Irlande pour introduire la reconnaissance du coparent. . Au total, 19 États membres du Conseil de l’Europe accordent aujourd’hui la reconnaissance juridique de la relation enfant-parents non biologiques au sein d’une famille arc-en-ciel – contre 11 en 2010 et 16 en 2015.
40. Ainsi assiste-t-on dans notre aire géographique à une tendance croissante à la reconnaissance légale des droits et responsabilités parentales des couples de même sexe (23 % des États membres étaient concernés en 2010, contre 38 % actuellement). Reste que, pour les parents et les enfants des familles arc-en-ciel homoparentales, le droit à une vie familiale n’est toujours pas reconnu dans plus de 60 % des États membres, ce qui laisse ces enfants et leurs parents exposés à tous les risques évoqués plus haut.

4.2. La jurisprudence européenne et internationale

4.2.1. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme

41. Comme pour les partenariats entre personnes de même sexe, la Cour a été appelée à diverses reprises à examiner les aspects qui, en termes de droits de l’homme, caractérisent les relations entre parents LGBTI et leurs enfants. Les situations abordées sont variées et reflètent les réalités de nos sociétés.
42. S’agissant de l’autorité parentale, en 1999, la Cour a estimé que l’orientation sexuelle ne pouvait être invoquée comme facteur négatif pour décider à quel parent confier la garde d’un enfant après le divorce d’un couple hétérosexuel 
			(47) 
			Salgueiro
da Silva Mouta c. Portugal, Requête no 33290/96,
arrêt du 21 décembre 1999.. La relation entre un parent homosexuel et son enfant issu d'une relation antérieure est donc protégée par la Convention.
43. En 2008, la Cour a conclu que le fait de refuser, au motif de l'orientation sexuelle, l’adoption d’un enfant sans lien génétique par un parent LGBTI célibataire – dans un pays autorisant l'adoption monoparentale – constituait une discrimination et donc une violation de la Convention européenne des droits de l'homme 
			(48) 
			E.B. c. France, Requête no 43546/02,
arrêt du 22 janvier 2008..
44. En ce qui concerne l'adoption simple ou par le second parent – par laquelle le parent biologique d'un enfant conserve l'autorité parentale qui est également juridiquement reconnue au partenaire – la Cour a estimé en 2012 que le fait de limiter l'adoption par le second parent aux conjoints mariés, même lorsque les couples de même sexe n’ont pas la possibilité de conclure un mariage, ne contrevenait pas à la Convention 
			(49) 
			Gas
et Dubois c. France, Requête no 25951/07,
arrêt du 15 mars 2012.. Cependant, en 2013, elle a conclu que le refus d'adoption par le second parent opposé aux couples homosexuels non mariés, alors que cette option est offerte aux couples hétérosexuels non mariés, constituait une distinction injustifiée (c’est-à-dire une discrimination) fondée sur l'orientation sexuelle. Aucune raison convaincante et solide n’avait été avancée pour montrer que l’exclusion de l’adoption par le second parent dans un couple homosexuel non marié, tout en accordant cette possibilité à un couple hétérosexuel non marié, était nécessaire à la protection de la famille au sens traditionnel ou à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant 
			(50) 
			X. et autres c. Autriche, Requête
no 19010/07, arrêt du 19 février 2013..
45. La Cour n’a pas estimé à ce jour que les États avaient obligation de reconnaître automatiquement comme second parent d’un enfant la partenaire de la mère biologique («reconnaissance de la coparentalité»), même si les deux femmes vivaient en partenariat enregistré et si l’époux d’une femme serait juridiquement présumé père biologique légitime d’un enfant né d’une union hétérosexuelle, que ce soit ou non réellement le cas 
			(51) 
			Boeckel
et Gessner-Boeckel c. Allemagne, Requête no 8017/11,
décision du 7 mai 2013.. Je tiens à souligner que – tout comme pour la reconnaissance d’un mariage homosexuel ou de n’importe quel autre droit – rien n’empêche un État d'aller au-delà de la jurisprudence de la Cour et d’adopter une position plus favorable tant pour la partenaire de la mère de l’enfant que pour l’enfant lui-même, en assurant que les deux parents qui élèveront l’enfant soient reconnus dès sa naissance comme ses parents. Cela sert manifestement l’intérêt de l’enfant et est déjà une réalité, par exemple, en Belgique.

4.2.2. Autre jurisprudence internationale

46. La Cour interaméricaine des droits de l'homme a également estimé en 2012 que l'orientation sexuelle n'était pas un motif justifiant de priver des personnes LGBTI de la garde de leurs enfants. Dans ses conclusions, elle a notamment souligné que les considérations fondées sur des stéréotypes liés à l'orientation sexuelle ne sont pas admissibles et qu’une détermination de la garde fondée sur des suppositions dénuées de fondement et stéréotypées quant à la capacité du parent et son aptitude à assurer et favoriser le bien-être et le développement de l’enfant n’est pas appropriée à l’objectif qui est de garantir la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant; que les États ne pouvaient invoquer l'intolérance de la société à l'égard de l'orientation sexuelle de certaines personnes pour justifier la perpétuation de traitements discriminatoires; et que la loi et l'État devaient contribuer à promouvoir le progrès social, faute de quoi ils risquent fortement de légitimer et consolider diverses formes de discrimination qui constituent des violations des droits de l'homme 
			(52) 
			Atala Riffo et filles c. Chilie (fond,
réparation et dépens), arrêt du 24 février 2012, Série C no 239..

4.3. Le bien-être des enfants de familles arc-en-ciel

47. Parmi les arguments soulevés pour s’opposer à la reconnaissance légale des partenariats de même sexe, l’un des plus fréquemment avancés est que cela autoriserait ces couples à élever des enfants, et nuirait ainsi au bien-être de ces derniers. Il s’agit d’arguments fallacieux pour au moins deux raisons fondamentales. D’abord, les couples homosexuels élèvent déjà des enfants, et deuxièmement, les études menées montrent invariablement que les enfants élevés dans des familles arc-en-ciel présentent un niveau de bien-être identique à celui des autres enfants.
48. Lors de la conférence organisée à Copenhague le 2 mars 2018, un adolescent a livré un témoignage personnel fort et inspirant de son expérience positive de grandir au sein d’une famille arc-en-ciel en Espagne. Le professeur Robert Wintemute de King’s College London a évoqué le souvenir de son intervention lors d’une conférence tenue en 2012 par le Réseau européen des associations de familles LGBTIQ* (NELFA), à laquelle ont assisté plus de 300 enfants heureux et aimés, élevés par des parents LGBT; il aurait souhaité pouvoir convier tous ces enfants à Strasbourg, afin que les juges puissent constater de leurs propres yeux leur bien-être.
49. Lors de l’audition tenue à Paris le 5 juin 2018 par notre commission, nous avons pu examiner la situation des enfants de familles arc-en-ciel sous un angle scientifique, grâce à Mme Kia Aarnio qui nous a présenté un récent projet de recherche sur le bien-être et les expériences des enfants de familles arc-en-ciel, financé par le ministère finlandais de l’Éducation et de la Culture 
			(53) 
			Aarnio K. et al. (2017), Sateenkaariperheiden
lasten ja nuorten hyvinvointi ja kokemukset (Le bien-être et les expériences
des enfants des familles arc-en-ciel), Väestöliitto, Helsinki.. Cette enquête, à laquelle ont participé 129 enfants de 7 à 18 ans élevés au sein de familles arc-en-ciel et leurs parents, montre que ce n’est pas le sexe ou l’orientation sexuelle des parents qui affecte le bien-être des enfants, mais le fonctionnement de la famille. Les enfants de familles arc-en-ciel ont le même nombre d’amis, vivent les mêmes expériences scolaires positives, ont le même mode de vie familiale et présentent les mêmes signes d’anxiété et de dépression que leurs pairs. Les parents LGBT sont apparus très engagés dans l’exercice de la parentalité et soutiennent et encouragent beaucoup leurs enfants. Les enfants de familles arc-en-ciel sont sensibles aux mêmes vulnérabilités que les autres, par exemple au divorce de leurs parents.
50. Les aspects négatifs de la vie au sein de familles arc-en-ciel sont liés à l’attitude des autres personnes, notamment aux questions embarrassantes posées par leurs camarades et aux remarques offensantes faites par d’autres membres de la famille ou d’autres adultes. Les enfants de 10 à 12 ans des familles arc-en-ciel étaient davantage victimes de brimades que leurs pairs mais présentaient le même niveau de bien-être psychologique en raison, peut-être, d’une plus forte motivation parentale et de la création d’amitiés solides. Un enfant sur sept avait un grand-parent ayant rompu toute relation avec sa famille en raison de l’orientation sexuelle ou du sexe des parents. Toutefois, dans bien des cas, d’autres membres ou amis proches de la famille de l’enfant se substituaient au membre absent et l’enfant ne mentionnait aucun effet négatif. Interrogés sur ce qu’ils aimeraient changer dans le monde pour rendre leur vie encore meilleure au sein d’une famille arc-en-ciel, les enfants ont exprimé le souhait que les autres personnes aient mieux connaissance des minorités sexuelles et des familles arc-en-ciel et acceptent la diversité.
51. Les conclusions de cette enquête sont similaires à celles de bien d’autres études internationales menées ces dernières décennies 
			(54) 
			Voir par exemple Knight
K. W. et al. (2017), «The kids are OK: it is discrimination, not
same-sex parents, that harms children», Medical
Journal of Australia (MJA), 207 (9), 6 novembre 2017;
Hočevar A. (2014), «Children in rainbow families», Ljetopis socijalnog
rada 2014, 21 (1), p. 85-104 ; et les sources qui y sont citées. . Selon une récente analyse comparative, sur 79 études portant sur le bien-être des enfants de parents gays et lesbiens, 75 concluaient que ces enfants ne s’en tiraient pas moins bien que les autres enfants. Ces études reposaient sur des méthodes normalisées de recherche sociologique et psychologique. Certaines portaient sur des échantillons réduits, ce qui limitait les possibilités de généralisation de leurs conclusions, sans pour autant infirmer ces dernières. Par ailleurs, selon une étude de 2010 portant sur l’avancement scolaire de 3 500 enfants de couples de même sexe, il n’y a aucune différence marquante entre ces familles et les familles avec parents de sexe opposé. Une autre de ces études reposait sur les données longitudinales et représentatives sur le plan national tirées d’un échantillon de plus de 20 000 enfants, dont 158 issus de familles avec parents de même sexe. Seules quatre études sont parvenues à la conclusion que les enfants de parents gays ou lesbiens étaient plus défavorisés. Cependant, elles se basaient sur un échantillon d’enfants qui avaient subi une rupture familiale. Or, il est reconnu que ces enfants sont plus vulnérables, et de nombreux chercheurs considèrent que ces études manquent de fiabilité. En bref, cette comparaison, qui réunit plus de 30 ans de travaux de recherche contrôlés par des pairs, révèle que la grande majorité des chercheurs s’accordent à dire qu’avoir des parents gays, lesbiens ou bisexuels ne porte pas préjudice aux enfants 
			(55) 
			Université Cornell
Portail de recherche sur les politiques publiques What We Know,
«What does the scholarly research say about the well-being of children
with gay or lesbian parents?», mis à jour en décembre 2017: <a href='https://whatweknow.inequality.cornell.edu/wp-content/uploads/2018/04/PDF-Parenting-wellbeing-1.pdf'>https://whatweknow.inequality.cornell.edu/wp-content/uploads/2018/04/PDF-Parenting-wellbeing-1.pdf</a>. Voir aussi Gross M. (2015), «L’homoparentalité et la
transparentalité au prisme des sciences sociales: révolution ou
pluralisation des formes de parenté?», Enfance,
familles, générations 23 (2015), p. 84. .
52. En d’autres termes, les travaux de recherche montrent invariablement que ce n’est pas l’homoparentalité qui nuit aux enfants de ces familles, mais les sociétés qui ne tolèrent pas la diversité. Nos décisions politiques publiques concernant les familles arc-en-ciel doivent reposer non pas sur une idée erronée de la famille « traditionnelle » en tant que seul modèle immuable propre à fournir une éducation saine – notion qui peut également nuire aux enfants des familles monoparentales et des familles recomposées (reconstituées) – mais sur la nécessité de veiller à l’acceptation des familles («traditionnelles» et «non traditionnelles»), qui existent dans leur diversité dans toutes nos sociétés, et de promouvoir un environnement exempt de discrimination pour tous les parents et enfants. En effet, comme indiqué clairement par la Cour interaméricaine des droits de l'homme, et exprimé de manière implicite dans le raisonnement de la Cour européenne des droits de l'homme il y a près de 20 ans, l'orientation sexuelle d'un parent n'a aucune incidence sur sa capacité d'élever et de subvenir aux besoins d'un enfant 
			(56) 
			Dans leurs arrêts respectifs
dans les affaires Atala Riffo et filles
c. Chili (2012) et Salgueiro
da Silva Mouta c. Portugal (1999)..

5. Les personnes transgenres et intersexes et la reconnaissance juridique des liens familiaux indépendamment de l'orientation sexuelle

53. Les personnes transgenres et intersexes peuvent être lesbiennes, gays, bisexuelles ou hétérosexuelles ou avoir une autre orientation sexuelle. Il est essentiel de veiller à ce que leur droit au respect de la vie privée et familiale soit aussi garanti, indépendamment de leur orientation sexuelle. Tous les droits examinés ci-avant s'appliquent également aux personnes transgenres et intersexes, quelle que soit leur orientation sexuelle. Toutefois, d'autres questions peuvent se poser lorsque les droits de l'homme évoqués précédemment recoupent des questions liées à la reconnaissance de l'identité de genre ou en cas de discrimination fondée sur des caractéristiques sexuelles.
54. En 2014, la Cour a estimé que le fait d’imposer à une personne transgenre de convertir son mariage en un partenariat enregistré (homosexuel) pour obtenir la pleine reconnaissance de son nouveau genre, dans un pays où le mariage homosexuel n'est pas prévu mais où le partenariat enregistré accorde des droits similaires au mariage, ne contrevient pas à la Convention. Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a toutefois conclu depuis lors que l’obligation faite à une personne transgenre de divorcer de son conjoint/sa conjointe pour procéder à la modification du sexe spécifié sur son acte de naissance est discriminatoire et contraire au Pacte international relatif aux droits civils et politiques 
			(57) 
			Voir, respectivement, X., Y. et Z. c. Royaume-Uni, Requête
no 21830/93, arrêt du 22 avril 1997, Hämäläinen c. Finlande, Requête
no 37359/09, arrêt du 16 juillet 2014,
et G. c. Australie, 17 mars 2017,
CCPR/C/119/D/2172/2012..
55. L'Assemblée a déjà demandé aux États de supprimer toute disposition limitant le droit des personnes transgenres à demeurer mariées à la suite d’un changement de genre reconnu, de veiller à ce que ni les conjoints/conjointes ni les enfants ne perdent certains de leurs droits dans de tels cas, et d'abolir la stérilisation – qui porte atteinte aux droits à la santé sexuelle et procréative des personnes transsexuelles – en tant qu’obligation juridique préalable à la conversion sexuelle et à la reconnaissance de l’identité de genre 
			(58) 
			Résolution 2048 (2015) sur la discrimination à l'encontre des personnes transgenres
en Europe.. Tous ces points soulèvent des questions particulières concernant le droit au respect de la vie privée et familiale en vertu de la Convention européenne des droits de l'homme. De graves problèmes peuvent également se poser pour les parents transgenres et leurs enfants lorsque les premiers sont enregistrés sur les documents de leurs enfants sous le genre qui leur a été assigné à la naissance. À titre d’exemple, la Cour a reconnu en 1997 les liens familiaux existant entre un homme trans et son enfant conçu par insémination artificielle, mais a refusé de le reconnaître comme le père de l’enfant. Je souhaite souligner qu’il incombe aux États de résoudre ces problèmes en veillant à ce que l'identité sexuelle des parents transgenres soit correctement inscrite sur l’acte de naissance de leurs enfants.
56. Dans les cas où les procédures de reconnaissance du genre sont absentes ou excessivement complexes pour les mineurs, les familles arc-en-ciel ayant un enfant transgenre choisissent souvent de renoncer à voyager à l’étranger afin d’éviter d’être exposées à des discriminations ou à des traitements dégradants. Il s’agit là d’une entrave à la libre circulation de ces familles.
57. L'Assemblée a souligné que les personnes intersexes ont également besoin de procédures de reconnaissance juridique du genre simples, rapides et accessibles et a appelé les États à veiller à ce que ces personnes ne soient pas privées de la possibilité de conclure un partenariat civil ou un mariage ou de rester dans une telle relation après la reconnaissance juridique de leur genre 
			(59) 
			Résolution 2191 (2017) «Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations
à l’égard des personnes intersexes»..
58. Les États qui prennent ou ont pris l'initiative – comme le recommande l'Assemblée 
			(60) 
			Voir
la Résolution 2048 (2015) et la Résolution
2191 (2017). – de reconnaître des marqueurs de genre autres que «masculin» ou «féminin» doivent également veiller à ce que les personnes (transgenres ou intersexes ou ni l’un ni l’autre) qui ne se reconnaissent pas dans ces deux catégories et ne répondent donc pas aux définitions «traditionnelles» et hétéronormatives du mariage puissent voir leurs relations stables et engagées, et leurs relations avec leurs enfants, légalement reconnues de la même manière que les autres couples dans le présent rapport.

6. Les États sont-ils tenus de reconnaître le mariage entre personnes de même sexe?

59. La Cour européenne des droits de l'homme a précisé ne plus estimer que le droit au mariage consacré par l'article 12 de la Convention doit en toutes circonstances être limité au mariage entre deux personnes de sexe opposé 
			(61) 
			Schalk
et Kopf c. Autriche (2010).. Jusqu’à présent, elle a cependant toujours considéré que la Convention ne plaçait pas d’obligation positive sur les États contractants d’accorder aux couples de même sexe l’accès au mariage, que ce soit en vertu de l’article 12 ou de l’article 14 combiné avec l’article 8. Cette conclusion, tirée pour la première fois en 2010, alors que six États seulement du Conseil de l'Europe accordaient aux couples de même sexe le droit de se marier, a été réitérée à plusieurs reprises depuis lors. Toutefois, il est important de noter qu'en formulant ses conclusions sur des questions qui ne bénéficient pas encore d’un consensus manifeste dans toute l’Europe, la Cour examine l'équilibre trouvé au sein des sociétés européennes, et sa position est susceptible d'évoluer à mesure qu'un nombre croissant d'États reconnaissent ce droit.
60. La Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a récemment mis en garde contre la modification d'une Constitution visant à exclure le mariage homosexuel, ajoutant que la solution qui consiste à laisser au législateur ordinaire le soin de décider de cette question est satisfaisante et préférable puisqu’elle laisse plus de latitude aux développements futurs en la matière. Elle a également souligné, au vu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, que si de telles modifications constitutionnelles venaient néanmoins à être apportées, elles ne devraient en aucun cas être interprétées comme interdisant la reconnaissance juridique des partenariats homosexuels 
			(62) 
			Commission
de Venise, Géorgie – Avis sur le projet de Constitution révisée,
adopté par la Commission de Venise lors de sa 111e Session
plénière (Venise, 16-17 juin 2017), CDL-AD(2017)013, paragraphe
63. .
61. De nombreux opposants au mariage entre personnes de même sexe soutiennent que l'institution du mariage est censée permettre la fondation de familles et, en particulier, protéger la procréation. Il s'agit cependant d'un argument fallacieux: les mariages de couples stériles, de couples qui choisissent de ne pas avoir d'enfants et de couples trop âgés pour procréer sont parfaitement légaux et ne sont pas remis en question par ceux qui militent contre le mariage homosexuel. D'autres détracteurs prétendent que les enfants élevés au sein de familles arc-en-ciel sont mis en danger par le simple fait d'avoir des parents LGBTI. Cet argument est également erroné, comme nous l'avons vu plus haut. D'autres encore font valoir que les dispositions du droit international relatives au droit au mariage se réfèrent expressément aux hommes et aux femmes, alors que d'autres dispositions emploient des termes comme «tous les êtres humains», ou «toute personne», et y voient le signe que seuls les mariages entre un homme et une femme sont protégés par le droit international. Or, les travaux préparatoires de la Déclaration universelle des droits de l'homme (qui ont fortement inspiré de nombreux instruments ultérieurs relatifs aux droits de l'homme, comme la Convention européenne des droits de l'homme) montrent que l'inclusion de références spécifiques aux «hommes» et aux «femmes» dans ce qui est devenu l'article 16 de la Déclaration n'avait aucun rapport avec l'orientation sexuelle des conjoint(e)s. Au contraire, cela était censé garantir l'égalité des femmes dans le domaine du mariage – ce qui n'était nullement une réalité à l'époque dans de nombreux pays (et, comme nous le savons, ne l'est malheureusement pas encore partout...) 
			(63) 
			 Waaldijk K. (2018),
«The gender-neutrality of the international right to marry: Same-sex
couples may still be excluded from marriage, but their exclusion
– and their foreign marriages – must be recognised», projet de chapitre
du livre à paraître Ziegler A. (Ed.) International
LGBTI Law, disponible depuis le 23 juillet 2018 à SSRN: <a href='https://ssrn.com/abstract=3218308'>https://ssrn.com/abstract=3218308</a> p. 6-10, et sources citées. .
62. La Cour interaméricaine des droits de l'homme a souligné à maintes reprises que l'absence présumée de consensus au sein de certains pays concernant le respect plein et entier des droits des minorités sexuelles ne peut être considérée comme un argument valable pour nier ou restreindre leurs droits fondamentaux ou pour reproduire et perpétuer la discrimination historique et structurelle dont ces minorités ont été victimes 
			(64) 
			Avis
consultatif OC-24/17 du 24 novembre 2017, à la demande de la République
du Costa Rica: Gender Identity and Equality and Non-Discrimination
of Same-Sex Couples, paragraphe 219, note 413 et les arrêts antérieurs
qui y sont cités. . Elle a en outre précisé que selon la Convention américaine relative aux droits de l'homme, aucun objectif acceptable ne permettait de considérer comme nécessaire ou proportionné le traitement différencié de la formation d’une famille par des couples hétérosexuels et homosexuels. Si les convictions religieuses et philosophiques jouent un rôle important dans la vie et la dignité des personnes qui les professent, les sphères laïque et religieuse doivent coexister pacifiquement dans les sociétés démocratiques, et les États ont pour rôle de reconnaître la sphère dans laquelle habite chacun d'entre eux, et en aucun cas traîner l’un dans la sphère de l’autre. De l'avis de la Cour interaméricaine, la création d'une institution spécifique pour les couples homosexuels, produisant des effets identiques au mariage mais sous une autre dénomination, servirait par ailleurs à stigmatiser et déprécier ces couples, en attirant l'attention sur leur différence par rapport aux stéréotypes hétéronormatifs, et constituerait une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Le choix libre et autonome d'établir une relation permanente et maritale, de fait ou formelle, fait partie de la dignité de chacun et justifie des droits et une protection identiques, quelle que soit l'orientation sexuelle des parties. La Cour interaméricaine a donc appelé les États à promouvoir, de bonne foi, les réformes législatives, administratives et judiciaires nécessaires pour adapter leurs lois, interprétations et pratiques à cette réalité 
			(65) 
			Ibid., paragraphes 220-228. .
63. Je tiens à souligner que l'adoption du mariage pour tous ne diminue en rien les droits des couples hétérosexuels et des familles «traditionnelles». Sans compter qu’il ne faut pas ignorer la forte signification symbolique de la reconnaissance du mariage de couples de même sexe, car il n’apporte pas seulement la garantie d’égalité et d’inclusion; il envoie aussi un message fort d’acceptation par la société et de refus d’une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. C’est pourquoi, bien que mon rapport soit axé sur les moyens de garantir la protection nécessaire des droits concrets et des responsabilités concrètes des partenaires de même sexe et de leurs enfants, et non sur le bien-fondé de telle ou telle forme de reconnaissance juridique, je ne fais pas mystère de ma conviction personnelle: l’égalité devant le mariage doit être le but ultime de tous les États membres du Conseil de l’Europe.

7. Conclusions

64. Le présent rapport ne porte pas sur des débats théoriques abstraits, mais sur des êtres humains bien réels – des partenaires et parents LGBTI et leurs enfants – qui souffrent au quotidien de l'incapacité des sociétés et des lois à satisfaire adéquatement à leurs besoins.
65. Depuis 1989, date à laquelle le Danemark a introduit pour la première fois des partenariats enregistrés, plus de la moitié des États membres du Conseil de l’Europe ont avancé à pas de géant vers la réalisation de l’égalité dans la vie privée et familiale, sans discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Cette tendance positive et manifeste concerne d’une part le nombre d’États ayant accordé la reconnaissance juridique aux couples homosexuels, et d’autre part l’étendue des droits octroyés à ces couples.
66. À l’instar d’autres normes internationales, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a elle aussi évolué, notamment ces dix dernières années. La Cour a reconnu que les couples de même sexe étaient protégés par le droit au respect de la vie familiale inscrit dans la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a établi des normes minimales claires que tous les États devraient mettre en œuvre. Elle a estimé que les couples de même sexe ont besoin d’une reconnaissance juridique et d’une protection de leur relation, et que les États ont l’obligation positive de prévoir un cadre juridique spécifique pour y parvenir. Elle a indiqué des points essentiels à aborder pour couvrir les droits et devoirs mutuels des partenaires, comme le soutien moral et matériel, la pension alimentaire et les droits de succession. Elle a également conclu que tous les États, même ceux qui ne reconnaissent pas l’égalité devant le mariage, devaient établir un cadre juridique pour assurer la reconnaissance des mariages de couples de même sexe contractés à l’étranger. Concernant les enfants, la Cour a par ailleurs établi que certains droits accessibles aux couples hétérosexuels non mariés devaient également être ouverts aux couples homosexuels non mariés, sans discrimination. Elle a également estimé, dans le cadre de l’ingérence dans un mariage, que la marge d’appréciation dont bénéficient les États à la suite de la reconnaissance du genre est limitée et ne doit pas avoir pour effet de priver les conjoints ni les enfants de leurs droits. Ces conclusions de la Cour ne révolutionnent pas l’Europe; au contraire, elles reflètent un réel changement à l’œuvre dans nos sociétés.
67. Il est indispensable, à mon sens, de continuer de travailler au niveau national, pour garantir aux familles arc-en-ciel la protection nécessaire à leur bien-être quotidien. Il existe sans doute de multiples voies pour atteindre l’égalité, mais ce qui est sûr, c’est que le non-respect du droit à la vie privée et familiale des personnes LGBTI peut avoir des conséquences humaines dramatiques pour les personnes concernées. Le fait est qu’à l’heure actuelle et dans toute l’Europe, beaucoup d’enfants grandissent dans des familles arc-en-ciel. Ils ont besoin que leurs relations avec leurs parents soient reconnues et protégées par la loi, car leur bien-être en dépend.
68. Je conviens que ces questions sont souvent controversées dans le débat public – en particulier lorsqu’il est question du mariage pour tous – et que les transformations sociales demandent du temps. Mais ces débats ne doivent pas porter atteinte aux familles arec-en-ciel ni occulter leurs besoins et leurs droits bien réels. Je suis intimement convaincu qu’il est de notre devoir en notre qualité de législateurs et du devoir de nos gouvernements, de veiller à ce que nos sociétés, actuelles et futures, soient dénuées de stigmatisation, de préjugés et de haine et prônent l’inclusion, l’acceptation et le respect pour tous. Nous sommes tous dignes de vivre dans une société qui respecte nos familles – toutes les familles – et qui défend leur bien-être.