1. Introduction
1. Les récents attentats terroristes,
en particulier ceux perpétrés à Barcelone, Berlin, Bruxelles, Istanbul, Londres,
Moscou, Nice et Paris, ont donné lieu à d’intenses débats sur la
question de l’infiltration de terroristes parmi les réfugiés et
les migrants récemment arrivés. Plusieurs médias ont indiqué que
des passeurs avaient affirmé avoir été approchés par des représentants
de Daech. Le fait que des terroristes profitent des arrivées massives
de réfugiés et de migrants pour entrer plus facilement en Europe
occidentale dans une intention criminelle fait naître plusieurs
risques, notamment celui de la radicalisation de réfugiés au contact
de ces éléments extrémistes, du renforcement de la stigmatisation
de tous les migrants et de la peur et de la défiance croissantes,
quoique disproportionnées, dans les pays de destination.
2. L’écrasante majorité des réfugiés arrivant en Europe fuient
la violence et l’extrémisme dans leur pays d’origine et viennent
en Europe dans l’espoir d’y vivre en paix et en sécurité. Malheureusement,
certains se radicalisent en chemin, y compris dans les camps de
réfugiés. D’autres sont susceptibles de se radicaliser dès lors
qu’ils ne parviennent pas à s’intégrer dans la société européenne
et subissent à leur arrivée différentes formes de discrimination
et de violence, comme l’indique M. Andrea Rigoni dans son rapport
récent sur la violence envers les migrants
. Internet et les médias sociaux
sont devenus des outils efficaces du processus de radicalisation.
3. L’Assemblée parlementaire a adopté plusieurs résolutions appelant
à agir contre la radicalisation et l’extrémisme violent en Europe:
la Résolution
2011
(2014) «Faire barrage aux manifestations de néonazisme et d’extrémisme
de droite», la Résolution
2031
(2015) «Attaques terroristes à Paris: ensemble, pour une réponse
démocratique», la Résolution
2091
(2016) sur les combattants étrangers en Syrie et en Irak, la Résolution
2103
(2016) «Prévenir la radicalisation d’enfants et de jeunes en
s’attaquant à ses causes profondes», ou encore la Résolution
2147
(2017) sur la nécessité de réformer les politiques migratoires européennes.
Dans ces résolutions, l’Assemblée souligne que le manque de possibilités
de formation et de perspectives d’emploi, ainsi que les restrictions
à la liberté de circulation sont les principaux facteurs qui rendent
les migrants plus vulnérables à la radicalisation.
4. Le Conseil de l’Europe a fait de la lutte contre l’extrémisme
violent et la radicalisation conduisant au terrorisme une de ses
priorités absolues et a adopté un plan d’action à cet égard
. Le présent rapport
et ses recommandations pourraient contribuer au développement de
nouvelles activités du Conseil de l’Europe en vue de mettre en œuvre
ce plan d’action.
5. Dans ce rapport, je m’efforce de répondre aux questions portant
sur les raisons pour lesquelles les migrants et les réfugiés qui
arrivent en Europe sont susceptibles de se radicaliser, sur le processus
de radicalisation et sur les moyens de prévenir ce dangereux phénomène.
Cependant, les faits montrent que les personnes vulnérables à la
radicalisation ne sont pas uniquement les migrants nouvellement
arrivés, mais aussi les citoyens européens issus de l’immigration
qui ont le sentiment d’être victimes de ségrégation et sont confrontés
à la perte de leur identité et de leur culture d’origine.
6. Dans ce contexte, il est nécessaire d’analyser l’ensemble
des facteurs qui influent sur le processus de radicalisation, notamment
les déterminants individuels, l’environnement social, les échecs
politiques, la violence et la discrimination, la marginalisation
culturelle, l’influence du pays d’origine, etc.
7. Le présent rapport porte principalement sur les actions de
lutte contre la radicalisation mises en œuvre par différents pays
européens, organisations internationales et communautés religieuses.
Je m’emploie à analyser les stratégies de prévention qui fonctionnent
avec les groupes vulnérables au niveau local et visent à promouvoir
des contre-discours à la propagande d’idées radicales. Une attention
particulière est portée à l’utilisation des médias sociaux par les
organisations extrémistes et aux moyens de contrer cette diffusion.
8. Dans mes recommandations, je m’efforcerai de formuler les
principes essentiels sur lesquels les pays européens pourraient
s’appuyer pour définir une approche commune visant à empêcher la
radicalisation des réfugiés et des migrants, fondée sur les meilleures
pratiques mises en œuvre par certains pays européens. Ces recommandations
porteront sur les systèmes d’accueil des migrants, l'inclusion sociale
et les mesures de lutte contre la discrimination.
2. Facteurs influant sur la radicalisation
des migrants et des membres de diasporas
9. Plusieurs facteurs rendent
les migrants vulnérables à l’influence d’organisations extrémistes,
comme l'environnement social, les problèmes d'identité, la discrimination,
la situation économique, la marginalisation culturelle, l'influence
du pays d'origine, etc. Il est très important d'analyser ces facteurs
afin de protéger les migrants contre le risque d’adhérer à des organisations
extrémistes.
2.1. Crises
identitaires et recrutement
10. Comme je l’indiquais précédemment,
ce ne sont pas seulement les réfugiés et les migrants arrivés depuis
peu, mais aussi les citoyens européens issus de l’immigration et
des diasporas qui se sentent discriminés et marginalisés par la
société d'accueil, et peuvent ainsi devenir très vulnérables à la
propagande extrémiste. Les faits montrent que la plupart des auteurs
des attentats terroristes perpétrés récemment en Europe étaient
des citoyens européens issus de l’immigration
. Il convient également
de noter qu’il s’agit généralement d’individus jeunes qui ont perdu
leur sentiment d’identité et n’ont plus aucun but dans la vie. C'est
particulièrement visible chez les migrants de deuxième et troisième
génération d'origine musulmane, qui n'ont adopté ni le mode de vie
laïque occidental, ni l'identité musulmane de leurs parents. Ils
cherchent à redécouvrir leurs racines religieuses et peuvent être
influencés par les djihadistes salafistes qui, par leur idéologie
extrémiste, leur donnent l'impression de trouver une nouvelle identité.
11. Différentes études menées en Europe montrent que la majorité
des personnes radicalisées ne sont pas des fanatiques religieux,
contrairement à une idée répandue. Beaucoup n’ont jamais lu le Coran
et ne fréquentent pas les mosquées.
12. Selon un rapport d’Europol
, la plupart des attentats
semblent avoir été orchestrés et perpétrés par des individus inspirés
par Daech plutôt que par ceux qui travaillent directement pour cette
organisation. Par exemple, l’auteur de l'attentat de Nice en 2016,
Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, qui avait un «intérêt réel et récent»
pour les mouvements islamiques radicaux même si aucune preuve attestant
qu'il avait prêté allégeance à un groupe extrémiste n'a été trouvée.
13. Daech a essayé d’utiliser les canaux de migration mais ces
tentatives restent très limitées: deux des auteurs des attentats
du 13 novembre 2015 à Paris étaient des migrants arrivés récemment.
14. Les tentatives de corruption de réfugiés syriens par les salafistes
locaux, comme c’est le cas en Allemagne où ces extrémistes sont
particulièrement actifs au sein de la population, ne semblent pas
pour l’heure avoir abouti. En France, seuls quelques enfants de
réfugiés tchétchènes se seraient radicalisés
.
15. Les médias sociaux et internet sont susceptibles d’accélérer
le processus de radicalisation des individus. Les études révèlent
que les recruteurs ont souvent recours aux médias sociaux pour entrer
en contact avec de nouvelles victimes. Ils sont en mesure de communiquer
personnellement avec leurs cibles et de se montrer persuasifs par
le biais des médias sociaux; il est ainsi très commode pour eux
d’utiliser ces outils à des fins de recrutement.
2.2. Marginalisation
et vulnérabilité
16. Beaucoup de migrants rejoignent
l’Europe avec en tête de fausses impressions données par les passeurs
qui dressent un tableau idyllique et peu réaliste des villes européennes
sur les médias sociaux, en guise de «publicité» pour les candidats
à la migration. Une fois arrivés en Europe, ces images erronées peuvent
être à l'origine en eux de frustrations et de déceptions, voire
déclencher le processus de radicalisation.
17. Selon un rapport établi par Qulliam (une organisation de lutte
contre l’extrémisme)
, les recruteurs profitent de l'occasion
pour prêcher et faire du prosélytisme auprès des réfugiés dans les
camps et dans les mosquées. Leur propagande s’appuie sur l'appel
à mener un djihad contre les non-croyants. Comme l’indique le rapport,
leur principal objectif est de recruter des réfugiés à des fins
d’activités terroristes, en suscitant la haine des valeurs occidentales
et en les dressant contre la population européenne. Les groupes
extrémistes cherchent à exploiter la vulnérabilité des réfugiés,
particulièrement des jeunes, en leur proposant de la nourriture
et de l'argent. Ils tentent également d'attiser l'hostilité de la
société occidentale vis-à-vis des réfugiés en associant ces derniers
aux extrémistes. Les camps de réfugiés les plus exposés aux tentatives d’embrigadement
par Daech sont ceux situés à proximité immédiate des opérations
militaires (au même titre que les camps palestiniens en Jordanie
ou au Liban sont un terrain fertile pour le recrutement, et que
les camps de réfugiés syriens en Turquie sont souvent fréquentés
par l’«EI» pour recruter de jeunes combattants). Ce n’est pas le
cas des camps de la plupart des autres pays.
18. Dans les faits, la majorité des attentats terroristes sont
perpétrés par des membres de la diaspora, et non par des réfugiés.
Par conséquent, il est primordial que les responsables politiques
n'associent pas la population des réfugiés à la menace extrémiste.
19. D’après différentes études, les jeunes migrants sont plus
vulnérables à la radicalisation que les autres groupes d’âge. Le
profil type est le suivant: les jeunes (âgés en particulier de 16
à 24 ans) ayant des antécédents d'échec scolaire et un casier judiciaire,
sans expérience professionnelle, et étant souvent des migrants de
deuxième génération. Cette vulnérabilité peut être le fait de l’état
psychologique
de l’individu ainsi que
de facteurs externes – comme l’influence familiale, la discrimination
ou un sentiment de marginalisation. Les jeunes migrants non accompagnés
sont davantage exposés au risque de radicalisation dès lors qu’ils
sont séparés de leurs parents. En tout état de cause, les responsables
politiques devraient en priorité chercher à comprendre et à analyser
ce phénomène car la plupart des auteurs d'attentats terroristes
correspondent à ce type de profil.
2.3. Radicalisation
en prison
20. La radicalisation intervient
souvent en prison et dans les centres de rétention. Le coordinateur
de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, M. Gilles
de Kerchove, déclarait en janvier 2015 qu'il était de notoriété
publique que la prison était le principal incubateur de la radicalisation,
ajoutant que les programmes de réhabilitation et de déradicalisation
pourraient être des moyens bien plus efficaces de lutter contre l’extrémisme
que l’emprisonnement
.
21. Il y a un manque d'informations et de données sur les personnes
radicalisées en prison, ainsi que sur l'efficacité des mesures prises
pour déradicaliser les détenus extrémistes. Néanmoins, il est manifeste
qu'il convient, pour prévenir la radicalisation en prison, de former
le personnel pénitentiaire à en reconnaître les signes.
22. Un autre aspect important de la prévention de la radicalisation
en prison est le soutien spirituel qui peut être apporté aux détenus
par des aumôniers et des imams. Malheureusement, de nombreux pays
restreignent fortement l'accès de représentants religieux aux établissements
pénitentiaires. La liberté religieuse est un droit de l'homme fondamental
et devrait être garantie à chaque individu, sans restriction. En
outre, les discours des aumôniers et des imams pourraient offrir
une perspective différente de la propagande extrémiste.
23. Dans certains États membres de l'Union européenne, les prisons
proposent un système de mentorat aux détenus souhaitant se déradicaliser.
Certains mentors sont d'anciens extrémistes qui partagent leur expérience
et leurs conseils pour changer de vie
.
2.4. Exclusion
économique et sociale
24. L’instabilité économique et
sociale est une autre cause potentielle de la radicalisation. Beaucoup
de migrants vivent dans des zones ou communautés isolées marquées
par la pauvreté, l’exclusion sociale et l’insatisfaction. Une étude
portant sur la situation des migrants en Allemagne au regard de
l’emploi
a montré que 13 % seulement
des migrants récemment arrivés ont trouvé du travail, malgré les
efforts déployés en ce sens par près de 90 % d’entre eux. D’après
les données d’un rapport du Fonds monétaire international (FMI)
, les migrants, sur un
plan général, rencontrent plus de difficultés à entrer sur le marché
du travail des pays d’accueil que la population hôte. Le chômage
et le manque d’autonomie financière peuvent éventuellement conduire
certains individus à recourir à des moyens illégaux de gagner de
l’argent, mais les récents attentats terroristes ont montré qu'il
n’existe aucun élément tangible de nature à prouver l’existence
d'un lien de causalité entre les facteurs socioéconomiques et la
radicalisation.
2.5. Insuffisance
des centres d’accueil pour migrants
25. Les pays européens n’ont pas
été préparés à recevoir un nombre aussi important de migrants et
de réfugiés. L’accueil de ces derniers a par conséquent souvent
été organisé de manière assez chaotique, avec peu voire pas de ressources.
26. Les arrivées massives de réfugiés et de migrants n'ont fait
que renforcer les craintes des Européens quant à leur avenir, en
termes de sécurité, de chômage et d'identité. Ces craintes, qui
ont permis aux partis extrémistes de gagner de plus en plus de voix,
engendrent une certaine réticence de la part des gouvernements européens
à utiliser des ressources pour répondre aux besoins économiques
et de sécurité des migrants.
27. Dans le même temps, les communautés musulmanes des pays européens
n’ont guère engagé d'action spécifique ni mis au point de stratégies
en vue de faciliter l’accueil des migrants. Les associations musulmanes locales
sont actives mais les représentants religieux ne sont pas intervenus
au niveau national.
2.6. Discrimination
à l’égard de certaines populations
28. Bien qu’en théorie la loi protège
l’ensemble des citoyens européens contre toute forme de discrimination,
les faits révèlent une autre réalité pour les migrants à long terme.
Les inégalités en matière d’accès à l’éducation, de recherche d’emploi,
d’obtention d’un logement, ou encore les contrôles au faciès pratiqués
dans certaines zones urbaines sont autant de défis auxquels les
migrants sont régulièrement confrontés. Toutes ces difficultés ont
donné lieu aux événements qui ont éclaté en 2005 en France, lorsque des
jeunes de banlieues défavorisées ont incendié des véhicules et détruit
des magasins pour exprimer leur frustration de ne pas être inclus
dans une société dont ils s’estiment mis à l’écart. Leur appel n’a
cependant pas été entendu, d’où les conséquences bien plus graves
dont nous sommes témoins aujourd’hui.
29. Les actes discriminatoires de la part de la police et les
messages antimusulmans diffusés dans les médias sont perçus par
les communautés musulmanes comme étant injustes et porteurs d'idées
préconçues et sont très souvent utilisés par les djihadistes pour
dépeindre les sociétés européennes comme des oppresseurs au comportement
discriminatoire à l’égard des musulmans. Il est donc essentiel de
trouver un équilibre entre des politiques adéquates et des réponses
communautaires.
3. Stratégies
européennes de prévention
30. Les pays européens ont pris
un certain nombre de mesures aux plans local, régional et national
pour prévenir la radicalisation des migrants. Ces mesures sont axées
sur l'identification précoce des personnes qui sont des sujets potentiels
de radicalisation, ainsi que sur le renforcement et l'autonomisation
des communautés vulnérables à ce phénomène. Les actions spécifiques
de promotion de l’inclusion sociale des migrants et des membres
des diasporas et les contre-discours sont particulièrement importants
en termes de prévention de la radicalisation. Il convient également
de souligner le rôle essentiel de l’éducation pour transmettre les
connaissances interculturelles et religieuses nécessaires à tout
un chacun.
31. Plusieurs pays européens ont adopté des plans d’action ou
des stratégies de lutte contre le terrorisme en vue de prévenir
la radicalisation et l’extrémisme violent (dont l’Allemagne, la
Belgique, Chypre, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France,
l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède)
. Certains, notamment
la Finlande
et la France
, ont créé des mécanismes
permanents spécifiques, chargés de développer une expertise interdisciplinaire
en matière de prévention de l’extrémisme violent et de la radicalisation.
3.1. Inclusion
sociale
32. L’inclusion sociale des migrants
est déterminante et constitue la meilleure défense contre la radicalisation,
à condition de prendre en compte les aspects culturels et religieux.
Un migrant doit connaître son identité et l’histoire de son pays
d’origine ainsi que celle du pays d’accueil. Le fondement des différentes religions
devrait faire partie du savoir collectif et leurs messages communs
de paix, d’amour et de compassion devraient être largement relayés
par les médias.
33. Comme en témoigne l’expérience de nombreux pays, ce n’est
qu’à partir du moment où les migrants sont associés à la vie de
la société sur un pied d’égalité et ne sont pas confinés dans des
ghettos ou montrés du doigt comme un groupe à risque particulier,
qu’ils ont un sentiment d’appartenance à la société et de sécurité.
34. Le sport, en particulier le football, peut se révéler très
utile à l'inclusion des jeunes migrants et à la prévention de la
radicalisation. Le projet «Intégration par le sport» du Conseil
de l'Europe, subventionné par l'Allemagne (ministère fédéral de
l'Intérieur et Office fédéral pour la migration et les réfugiés),
soutient plusieurs clubs et fédérations sportifs en les encourageant
à créer des projets qui favorisent la participation des migrants et
des réfugiés
.
35. La sécurité sociale est primordiale au regard de l'intégration
des migrants dans la société, et peut être considérée comme un excellent
investissement pour le développement économique du pays concerné.
Les pays européens devraient réfléchir à la mise en place d'un mécanisme
européen favorisant la protection sociale des migrants qui travaillent
et de leur famille.
3.2. Rôle
des communautés religieuses
36. Les communautés religieuses
ont un rôle essentiel à jouer pour traiter le problème de la radicalisation des
populations vulnérables. En France par exemple, comparativement
à la Belgique, les instances religieuses musulmanes entretiennent
des liens étroits avec les pays étrangers. Beaucoup d’imams en France
sont formés en dehors du territoire.
37. Dans certains pays européens, les gouvernements ont décidé
de coopérer avec des organisations choisies qui, en fait, ne représentent
pas les communautés religieuses ou les diasporas. L’établissement
de communautés résilientes et le renforcement des liens sociaux
peuvent grandement contribuer à réduire le risque de radicalisation,
en particulier des jeunes, et aider à neutraliser l’attrait de la
propagande terroriste.
38. Les représentants religieux peuvent jouer un rôle important
en aidant les personnes incarcérées à trouver leur vraie voie au
travers de l’expression religieuse et à résister aux théories fondamentalistes. Cependant,
tous les pays ne donnent pas aux représentants religieux l’accès
aux établissements pénitentiaires et l’Europe manque cruellement
d’imans susceptibles d’exercer ce rôle déterminant.
39. Certains pays européens ont engagé des projets spécifiques
encourageant la participation de représentants religieux aux actions
de prévention de la radicalisation. En France, la préfecture du
Bas-Rhin, en coopération avec la faculté de théologie protestante
de l’université de Strasbourg, a conçu une formation à l’intention
des représentants des associations religieuses musulmanes afin de
leur apprendre à prévenir la radicalisation des jeunes
.
40. Il convient d’envisager une réorganisation plus efficace au
plan national et européen. Différentes instances religieuses pourraient
se réunir dans ce cadre et convenir d’actions conjointes pour promouvoir
une coexistence pacifique.
3.3. Exemples
positifs
3.3.1. Norvège
41. La Norvège a été l’un des premiers
pays européens à introduire, en 2010, un plan d’action visant à prévenir
la radicalisation et l’extrémisme violent. Depuis lors, le plan
a été étoffé et a bénéficié d’un large soutien. Il porte principalement
sur les mesures de prévention. À cet effet, le modèle SaLTo dédié
à la coordination des actions de prévention de la criminalité menées
au plan local dans les municipalités a été élaboré. Cinq mesures
du plan sont axées sur la prévention de la radicalisation et du
recrutement sur internet. Outre cet instrument, le Gouvernement
norvégien a adopté une stratégie contre le discours de haine 2016-2020
et un plan d'action contre l'antisémitisme couvrant la même période.
42. L’extrémisme, s’il ne conduit pas à la violence, n’est pas
interdit en Norvège. Ces dernières années, les organisations extrémistes
ont gagné en popularité, en raison probablement du discours hostile
aux migrants tenu par certains responsables politiques de droite.
Cependant, le pays n’est pas confronté à une radicalisation à grande
échelle dans la société car il a mis en place un mécanisme d’intégration
des migrants très performant. Le système éducatif norvégien pourrait
servir de modèle à d’autres pays en matière de prévention de la radicalisation
et de promotion de la tolérance: la démocratie et les droits de
l’homme sont intégrés dans l’environnement d’apprentissage. Dans
le nouveau tronc commun, l’un des trois thèmes transversaux à aborder
dans toutes les matières pertinentes s’intitule «Démocratie et citoyenneté».
Le ministère de l’Éducation a également entrepris l'élaboration
de ressources d'enseignement et d'apprentissage
numériques pour prévenir la radicalisation et l'extrémisme
violent, le racisme, le discours de haine et l'antisémitisme, destinés
aux établissements d’enseignement secondaire (premier et deuxième
cycle) et professionnel (dembra.no). En 2016, le Centre de recherche
sur l’extrémisme (C-REX), un centre interdisciplinaire de recherche
sur l’extrême droite, les crimes haineux et la violence politique,
a été créé.
43. Par ailleurs, un projet a été lancé sous la direction du Centre
européen Wergeland, avec pour objectif de prévenir le discours de
haine, la discrimination et les comportements contraires à la démocratie
sur internet. Il a été étroitement lié à la campagne nationale «Mettre
fin au discours de haine sur internet», elle-même rattachée à la
campagne du Conseil de l’Europe contre le discours de haine. Dans
le cadre du projet, l’ensemble d’instructions élaboré par le Conseil
de l’Europe à l’intention des écoles a été traduit et adapté, et sert
de base à une formation destinée aux enseignants et aux autres membres
du personnel du système éducatif. Le manuel, conçu par le Service
de la jeunesse de l’Organisation dans le cadre de la campagne du Mouvement
contre le discours de haine, comprend 21 activités adaptées à une
salle de classe. Ces activités ont pour but de développer les connaissances,
les compétences et les attitudes nécessaires pour permettre aux
jeunes de devenir des acteurs de la citoyenneté démocratique en
ligne.
44. J’ai également jugé très constructive l’introduction en Norvège
d’une matière scolaire spécifique intitulée «Connaissance du christianisme,
des religions, des philosophies de vie et de l'éthique» qui inculque
les notions de base sur les différentes religions et philosophies
de vie.
3.3.2. Italie
45. Un parlementaire italien, M. Stefano
Dambruoso, a présenté un projet de loi sur des mesures visant à prévenir
la radicalisation et l’extrémisme djihadiste. Il s’agit d’une initiative
législative tournée vers l’avenir, susceptible de servir d’exemple
à d’autres pays européens. Cette loi prévoit la création d’un Centre
national sur la radicalisation, qui s’adresse aux individus radicalisés,
et de plusieurs centres régionaux de coordination qui seraient chargés
de la mise en œuvre de mesures au plan local
.
46. Le projet insiste tout particulièrement sur l'importance de
mettre en place une formation spécialisée pour les membres de la
police et des forces armées, le personnel de l'administration pénitentiaire
et le médiateur, les enseignants et les directeurs d’établissements
scolaires et d'universités ainsi que pour les travailleurs sociaux
et du secteur de la santé. La stratégie de prévention proposée prévoit
des mesures dans les domaines de l’éducation, du travail social,
de l’emploi, de la prise en charge sanitaire et sociale, des programmes
de désengagement et de réinsertion, des formations du personnel,
ainsi que des actions de lutte contre les discours extrémistes sur
les médias sociaux et de promotion du dialogue interreligieux.
47. À mon grand regret, le Sénat italien n’avait pas encore adopté
ce projet de loi à la fin de l’année 2017 et son adoption est toujours
en attente en raison des récentes élections législatives tenues
dans le pays.
48. Parallèlement à cette initiative législative, l’Italie a progressé
dans le développement d’une culture de l’hospitalité, de la coexistence
et de la paix. Le ministère de l’Éducation a adopté une approche
de la prévention de la radicalisation grâce à une intégration positive
dans les établissements scolaires et à l’inclusion sociale des migrants.
Dans 570 écoles d’Italie, plus de la moitié des élèves sont étrangers.
L’approche positive mise en œuvre dans le système éducatif prévoit
l’égalité de traitement de tous les élèves, sans aucune ségrégation. Une
institution de médiateurs a été créée afin d’aider les étudiants
étrangers de culture et de langue différentes à s'adapter à la société
italienne.
49. En Italie, les migrants contribuent activement au travail
bénévole, en apportant une assistance aux personnes âgées. Le pays
a mis en œuvre une autre très bonne initiative, à savoir la commémoration
des victimes de la migration ayant péri en mer Méditerranée. Le
3 octobre, date à laquelle près de 400 migrants ont trouvé la mort
à Lampedusa, est désormais déclaré journée officielle de la mémoire
en Italie. Il s’agit là d’un très bon exemple de promotion d'un
esprit de solidarité.
3.4. Contre-discours
50. Lors de mes entretiens avec
des fonctionnaires de police œuvrant à la lutte contre la radicalisation
et l’extrémisme violent, j’ai appris que les jeunes radicalisés
n’avaient pas une bonne connaissance de l’islam. Les recruteurs
leur présentent une interprétation déformée de cette religion et
sans être confrontés à d’autres points de vue, les jeunes ont tendance
à les croire. Par conséquent, les contre-discours des chefs des communautés
musulmanes, des scientifiques et des médias, qui abordent l’entente
entre les religions et apportent une véritable connaissance de l’islam,
devraient être un élément clé de la prévention de la radicalisation.
51. Les médias ont également un rôle important à jouer. Très souvent,
ils favorisent les liens entre islam et terrorisme, en présentant
les musulmans comme une menace pour l’Europe. De tels discours destructeurs devraient
être évités et fermement condamnés, voire dans certains cas punis.
52. Je suis convaincue de l’importance de l’engagement des jeunes
dirigeants et responsables politiques musulmans dans les affaires
publiques pour remettre en cause l’interprétation radicale de l’islam
et donner une meilleure image de la communauté musulmane.
53. Les communautés musulmanes devraient se montrer particulièrement
proactives pour contrer le discours de l’islam radical. Les imams,
les parents et les associations pourraient promouvoir les déclarations de
figures marquantes incarnant un islam modéré ou de personnes ayant
quitté des groupes extrémistes.
54. Comme en attestent les analyses de nombreux experts, la radicalisation
s’opère désormais essentiellement via internet et les réseaux sociaux.
Dans certains pays, comme l’Italie, une unité spéciale de la police
postale a été créée et chargée de traiter toutes les infractions
commises en ligne, y compris d’identifier les recruteurs et ceux
qui diffusent la propagande djihadiste. Le Royaume-Uni et la France
ont convenu de lancer une campagne bilatérale pour lutter contre
la radicalisation en ligne en imposant des amendes aux sociétés
informatiques qui ne suppriment pas les contenus extrémistes
.
55. Ces mesures sont cependant insuffisantes et une approche plus
globale s’impose afin de toucher l’ensemble des internautes. Les
utilisateurs ordinaires d’internet devraient être associés au processus
de lutte contre la radicalisation. Les gouvernements européens pourraient
encourager les initiatives de terrain, susceptibles de contribuer
à promouvoir l'autorégulation d'internet et à combattre la radicalisation
en ligne.
3.5. Rôle
de l’éducation
56. L’enseignement tant primaire
que supérieur a un rôle essentiel à jouer pour prévenir la radicalisation, rectifier
les idées fausses et promouvoir la compréhension mutuelle. Les enseignants
sont souvent les premiers à déceler les signes de radicalisation
et leur réaction peut être décisive pour façonner l'opinion et le comportement
des élèves. De ce fait, la prévention de la radicalisation devrait
faire partie intégrante de la formation professionnelle de tous
les enseignants
, qui devraient
être formés à accepter les différences et à prendre conscience des
différences culturelles et religieuses. L'islam et le processus
de migration en partance de divers pays ne figurent pas dans de
nombreux programmes scolaires en Europe. Une réforme générale des programmes
est nécessaire pour construire une société plus tolérante.
57. La connaissance des différentes religions, de leur histoire
et de leur place dans la vie contemporaine devrait être abordée
dans différentes matières, dont l’histoire, la littérature, les
sciences sociales et les arts. Les programmes et manuels scolaires
d’aujourd’hui devraient refléter la diversité de la société, aborder
les questions controversées et présenter les migrations comme une
facette «normale» de l’histoire européenne moderne. Les jeunes générations
d'Europe devraient recevoir des informations détaillées et objectives
sur l'islam et sur les sociétés dont sont issus les migrants.
58. Il conviendrait d’enseigner quotidiennement aux enfants la
démocratie et les droits de l’homme. Ils devraient apprendre à devenir
des citoyens responsables et être encouragés à participer activement
à la vie sociale. Le système éducatif moderne devrait donner à chaque
élève l’occasion d’être entendu et d’exprimer ses points de vue
et ses intérêts.
3.6. Rôle
des communautés des diasporas
59. Les résultats du travail de
lutte contre la radicalisation mené par la police laissent entrevoir
que les communautés des diasporas sont essentielles à l’efficacité
des actions mises en œuvre pour combattre le terrorisme. Les communautés
locales sont des sources précieuses d'informations et de renseignements
sur les actes terroristes potentiels et les personnes à risque.
Les communautés des diasporas pourraient être très utiles pour repérer
les jeunes susceptibles de rejoindre les organisations extrémistes
et les en empêcher.
60. Le meilleur moyen de prévenir la radicalisation est d'explorer
le potentiel des communautés des diasporas à travailler auprès de
ceux qui défendent des idées radicales et à s'opposer à ces points
de vue. La société et les autorités ne peuvent faire qu'une partie
du travail – les associations des diasporas peuvent contribuer à
dissiper les malentendus et la méfiance au niveau local et à encourager
les relations personnelles et le dialogue entre personnes d'origines
différentes.
3.7. Rôle
des femmes
61. Les femmes et les organisations
féminines jouent un rôle déterminant dans la prévention de la radicalisation.
En tant que mères, les femmes peuvent être les premières à détecter
des signes de radicalisation et leur voix, en tant que contre-discours
au processus de radicalisation, pourrait être décisive. Leur rôle
ne devrait toutefois pas se limiter à l’environnement familial et
elles devraient être encouragées à participer à l’élaboration des
politiques, aux activités éducatives et aux actions menées au niveau
local en matière de prévention de la radicalisation.
62. Les femmes sont également vulnérables à la radicalisation
et exposées au risque de recrutement, car de nombreuses organisations
extrémistes ciblent les femmes et les filles en exploitant leurs
griefs et leur manque d'inclusion. Il est donc très important de
mettre au point des programmes spéciaux axés sur les besoins des
femmes et des filles
.
63. Comme le montrent certaines études, les femmes qui ont participé
à des activités extrémistes violentes et endossé ensuite le rôle
de mentor auprès de jeunes en difficulté ont obtenu de bons résultats
dans le processus de déradicalisation. Leur inclusion dans les programmes
de déradicalisation pourrait être très bénéfique pour la société.
64. Les organisations féminines sont activement associées à l’élaboration
de discours de lutte contre l’extrémisme violent et œuvrent aux
côtés des jeunes vulnérables. Certaines organisations non gouvernementales
(ONG), comme «Cultures Interactive» en Allemagne font un travail
de prévention et de déradicalisation en première ligne auprès de
jeunes à risque qui ont basculé, ou se sont montrés susceptibles de
basculer dans l'extrémisme violent de droite ou le fondamentalisme
religieux, et d’adopter des comportements racistes et autres inspirés
par la haine.
3.8. Réponse
des organisations européennes
65. En 2006, le Conseil européen
a adopté une stratégie de l’Union européenne visant à lutter contre
la radicalisation et le recrutement de terroristes. Au vu de la
nature évolutive de la menace et de la meilleure compréhension du
problème, la stratégie a été révisée en 2014 et complétée par un
ensemble de dispositions, mises à jour pour la dernière fois en
2017. Dans ce contexte, une Directive
a
été adoptée le 7 mars 2017 par le Conseil européen en vue d’aider
à prévenir les attaques terroristes en érigeant en infractions pénales certains
actes comme le fait de recevoir un entraînement ou de voyager à
l’étranger à des fins de terrorisme, ainsi que la facilitation de
tels voyages
.
66. La Commission européenne a créé le Réseau européen de sensibilisation
à la radicalisation (RSR)
qui réunit plus de 4 000
professionnels originaires de toute l'Europe travaillant auprès
des personnes radicalisées ou qui risquent de se radicaliser. Ce
réseau a pour mission de renforcer les échanges entre les praticiens,
les responsables politiques et les chercheurs, ainsi que de faciliter
la mise en œuvre des bonnes pratiques.
67. En 2015, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a
adopté un Plan d’action sur la lutte contre l’extrémisme violent
et la radicalisation conduisant au terrorisme (2015-2017) qui affiche
deux principaux objectifs: renforcer le cadre juridique contre le
terrorisme et l’extrémisme violent et prévenir et combattre la radicalisation
violente par des mesures concrètes dans le secteur public, en particulier
dans les établissements scolaires et les prisons, et sur internet
. Dans le cadre de
ce Plan d'action, un cadre des compétences nécessaires à une culture
de la démocratie a été élaboré et mis à disposition des États membres
pour préparer une réponse générale à la radicalisation, par l'éducation.
Le Comité des Ministres a également adopté des Lignes directrices
sur la protection et la promotion des droits de l'homme dans les
sociétés culturellement diverses. Ce document pourrait aussi être
très utile aux États membres dans l'élaboration de leurs stratégies de
prévention de la radicalisation à l'échelle nationale.
68. Un ensemble d'outils pédagogiques préparé à l’intention des
collectivités territoriales en 36 langues rassemble notamment des
lignes directrices sur la prévention de la radicalisation au niveau
local et 12 principes du dialogue interreligieux. Le Congrès des
pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe a organisé un
Sommet des maires des communes membres de «l'Alliance des villes
européennes contre l'extrémisme violent». Les lignes directrices
à l’intention des services pénitentiaires et de probation concernant la
radicalisation et l’extrémisme violent sont un autre document important
adopté par le Comité des Ministres. Elles fournissent un cadre juridique
et structurel pour organiser le système carcéral de manière à prévenir
et à combattre la radicalisation.
69. Concernant les contre-discours, la Commission européenne contre
le racisme et l'intolérance (ECRI) du Conseil de l’Europe a adopté
la Recommandation de politique générale no 15
sur la lutte contre le discours de haine. Le Conseil de l'Europe
a également mis en œuvre la «Campagne contre le discours de haine»
et l'Assemblée parlementaire a fondé l'Alliance parlementaire contre
la haine, pour sensibiliser les parlementaires et la société civile
et les encourager à coopérer pour combattre le discours de haine,
le racisme et l'intolérance
.
Par ailleurs, un autre Plan d’action du Conseil de l’Europe sur
la construction de sociétés inclusives (2016-2019) prévoit un certain
nombre de mesures visant à favoriser la compréhension mutuelle et le
respect. Les activités proposées sont axées sur l’éducation, la
lutte contre l’intolérance et la discrimination et le soutien en
faveur de politiques d’intégration effectives. Toutefois, malgré
leur grande importance, ces deux plans d’action manquent cruellement
de financements de la part des États membres et leur efficience
est par conséquent compromise.
70. La campagne «NoHateNoFear» (PasDeHainePasDePeur), lancée par
un ancien président de l'Assemblée parlementaire, pour lutter contre
le terrorisme, est un bon exemple de réponse commune à l'échelle
européenne aux tentatives de diviser la population et de répandre
la peur et la haine. La suppression des discours radicaux, la lutte
contre la ségrégation et la discrimination à l'égard des migrants,
la coopération étroite avec les communautés de migrants et le développement
des possibilités d'éducation et d'emploi devraient faire partie
des mesures de prévention de la radicalisation.
4. Conclusions
71. La principale conclusion à
laquelle je suis parvenue dans le cadre de l’élaboration du présent
rapport est qu’il convient de ne pas se servir de la lutte contre
la radicalisation en tant que prétexte à l’anti-islamisme. La radicalisation
touche de nombreux pays et diverses religions, et ne devrait pas
être associée uniquement à l'islam. Il est très important de mettre
fin aux discours antimusulmans qui donnent davantage de poids aux messages
anti-occidentaux adressés par Daech aux migrants et aux jeunes en
Europe. Toutes les actions de prévention de la radicalisation devraient
garantir l'équilibre entre la sécurité des citoyens et le respect
des droits fondamentaux des personnes en danger d’être radicalisées
ou qui le sont déjà. Les politiques de prévention de la radicalisation
et de l’extrémisme violent devraient davantage s’intéresser aux
moyens de garantir que les migrants se sentent en sécurité dans
les pays d’accueil et socialement intégrés dans la société, sans
être forcés d’abandonner leur propre identité culturelle.
72. Les politiques publiques de prévention de la radicalisation
doivent être pensées sur le moyen et long terme et, autant que possible,
être partagées au-delà des clivages politiques. Les autorités concernées devraient
être chargées de la collecte des données et des recherches sur le
processus de radicalisation.
73. La lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent
nécessite la collaboration étroite et coordonnée d’une multitude
d’acteurs (gouvernements, municipalités, forces de l'ordre, individus
et société civile), à tous les niveaux de gouvernance (locale, régionale
et nationale) et avec la société civile. Toutes les mesures devraient
viser à protéger les droits de l'homme et leurs valeurs, et à rejeter
la violence comme moyen d'expression personnelle.
74. Les pays européens devraient élaborer des stratégies pour
réhabiliter les combattants de retour de Syrie, y compris des programmes
spéciaux de réinsertion à dispenser dans les prisons.
75. Les actions de prévention de la radicalisation et de l’extrémisme
violent doivent veiller à traiter les causes profondes (souvent
sociales) et non pas les seules idéologies qui rendent une certaine
partie de la société vulnérable à la radicalisation.
76. Les politiques publiques doivent favoriser chez les jeunes
le développement d’identités saines et fortes, exemptes de tout
complexe d’infériorité, afin d’éviter que l’isolement, le manque
de sentiment d’appartenance, la marginalisation et le repli sur
soi l’emportent et deviennent un terrain fertile pour la radicalisation.
Comme l'indiquent les meilleures pratiques européennes, des services
de protection de l'enfance très efficaces et des programmes bien
conçus destinés à la jeunesse sont essentiels pour prévenir l'enrôlement
des jeunes enfants dans le processus de radicalisation.
77. La mixité sociale et ethnique doit être encouragée dans les
politiques d’urbanisme, ainsi que dans celles liées aux logements
sociaux et à l’accès à l’éducation.
78. Il reste encore beaucoup à faire en Europe pour donner à l’ensemble
des communautés religieuses la possibilité de pratiquer leurs religions.
Il est essentiel que toutes les religions aient leur lieu de culte.
Un autre problème important est l'accès des représentants religieux
aux prisons, afin que les détenus puissent exercer leur foi de façon
régulière, sans avoir à chercher des alternatives susceptibles de
conduire à la radicalisation. Il conviendrait de promouvoir le dialogue
interconfessionnel dans tous les pays européens en tant qu’outil
de lutte contre l'extrémisme violent et la radicalisation.
79. Le rôle des pouvoirs locaux et des municipalités dans la prévention
de la radicalisation et de l’extrémisme violent est déterminant.
Il faudrait faire appel à plus de personnes issues de l’immigration
dans les services de police locale et des municipalités. La coopération
et la coordination des efforts entre les municipalités, la police
et la société civile sont extrêmement importantes. Il conviendrait
d’encourager la formation des enseignants à la manière d’aborder
les questions de radicalisation, les discours de haine et les manifestations
d’extrémisme violent.