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Rapport | Doc. 14669 | 04 décembre 2018

La liberté des médias en tant que condition pour des élections démocratiques

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteure : Mme Gülsün BİLGEHAN, Turquie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14210, Renvoi 4268 du 23 janvier 2017. 2019 - Première partie de session

Résumé

La liberté des médias est une condition indispensable pour des élections démocratiques. Les médias doivent pouvoir informer le public en toute indépendance, sans pressions politiques ou économiques, car le choix des électeurs n’est pas réellement libre s’il n’est pas un choix bien informé. En particulier, les États membres doivent garantir l‘indépendance éditoriale des médias de service public et mettre fin à toute tentative de les influencer ou de les transformer en médias gouvernementaux.

Étant donné leur rôle particulier, les médias du secteur de la radiodiffusion ont des responsabilités spécifiques lors des élections et les législations nationales devraient prévoir l’obligation pour ces médias de couvrir les campagnes électorales de manière équitable et impartiale. Un environnement médiatique libre, indépendant et pluraliste est une condition essentielle pour contrecarrer la désinformation et la propagande.

Vu l’expansion des médias en ligne et le rôle croissant des médias sociaux, il faut mieux protéger le processus électoral de la manipulation de l’information à travers ces médias et établir clairement leur responsabilité juridique en cas de publication de contenus illégaux préjudiciables aux candidats. Les intermédiaires d’internet devraient coopérer avec les organisations spécialisées dans la vérification des contenus, pour que toute information soit confirmée par une source tierce qui fait autorité.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 25 septembre
2018.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle que les élections libres constituent un pilier de toute société démocratique. Le choix des électeurs n’est pas réellement libre s’il n’est pas un choix bien informé; dès lors, le droit à la liberté d’information et la liberté des médias constituent une condition nécessaire du droit à des élections libres, conformément à l’article 3 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 9). Les médias doivent être libres d’informer le public, sans pressions politiques, économiques ou d’autre nature, et dans le respect de l’éthique professionnelle.
2. Les médias professionnels sont soumis à diverses obligations visant à assurer une couverture équilibrée et impartiale des élections et une participation équitable au processus électoral de tous les candidats et partis politiques.
3. À côté des médias professionnels, de nouveaux acteurs médiatiques sont entrés en scène: les médias sociaux. Leur impact sur le public est de plus en plus important, y compris pendant les campagnes électorales: ils permettent aux partis politiques et aux candidats de faire passer leurs messages «directement» à l’électorat, et à leurs sympathisants de disséminer ces messages.
4. Dans bon nombre de pays, les médias sociaux ne sont pas soumis à la régulation des médias en général et aux règles spécifiques concernant la période électorale. Par ailleurs, la particularité de la communication sur internet rend difficile l’application aux médias sociaux des principes que les médias professionnels doivent respecter. La plupart des tentatives de régulation n’ont pas abouti à des résultats convaincants de conformité; d'autres tentatives ont manqué de souplesse et ont tenu de la censure. Par ailleurs, les sites qui font l’objet de décisions de fermeture peuvent répondre par la création de «sites miroirs» en dehors des frontières nationales, ce qui réduit l’efficacité des sanctions adoptées par les autorités nationales. L’autorégulation des médias sociaux s’avère, elle aussi, défaillante car ces médias ne tiennent souvent pas compte des conventions largement acceptées par les médias professionnels.
5. Compte tenu des lacunes juridiques existantes, les formes de communication malveillante en ligne mettent en danger le déroulement correct et équitable du processus électoral et, in fine, la démocratie elle-même. Aujourd’hui, il y a suffisamment d’éléments qui prouvent que les régimes autocratiques et des acteurs ou groupes d’intérêt anonymes utilisent les médias sociaux pour manipuler l’opinion publique avec des fausses nouvelles, des campagnes coordonnées de désinformation et des trolls ou bots pour attaquer des candidats du camp adverse, mais aussi des défenseurs des droits de l'homme, des groupes de la société civile et des journalistes. Par ailleurs, même si des recherches récentes semblent montrer que les utilisateurs de médias sociaux sont exposés à des sources d'informations plus diverses que ceux qui n'utilisent pas de sources en ligne, les «bulles de filtrage» et les «chambres d'écho» peuvent entraver les avantages potentiels d'une telle exposition positive, cloisonner les flux d’information et saper les facultés d’esprit critique des utilisateurs d’internet, en renforçant ainsi les préjugés.
6. Pour répondre efficacement à ces problèmes, les États membres doivent veiller à garantir le droit à l’information via des médias indépendants; ils doivent également mettre en œuvre des stratégies efficaces afin de protéger le processus électoral et la démocratie de la menace que la manipulation de l’information et la propagande à travers les médias sociaux représentent.
7. L’Assemblée rappelle dans ce contexte les obligations qui découlent de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), ainsi que les normes et orientations pratiques contenues dans de nombreux textes du Conseil de l’Europe, y compris les recommandations suivantes du Comité des Ministres: Recommandation CM/Rec(2007)15 sur des mesures concernant la couverture des campagnes électorales par les médias, la Recommandation CM/Rec(2007)3 sur la mission des médias de service public dans la société de l’information, la Recommandation Rec(2004)16 sur le droit de réponse dans le nouvel environnement des médias, la Recommandation CM/Rec(2007)2 sur le pluralisme des médias et la diversité du contenu des médias, et plus récemment la Recommandation CM/Rec(2018)1 sur le pluralisme des médias et la transparence de leur propriété, de même que la Recommandation Rec(2000)23 sur l’indépendance et les fonctions des autorités de régulation du secteur de la radiodiffusion, la Recommandation n° R(97)20 sur le «discours de haine», ainsi que la Recommandation de politique générale n° 15 sur la lutte contre le discours de haine, publiée par la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI), le Code de bonne conduite en matière électorale de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), et les Lignes directrices relatives à l’analyse des médias au cours de missions d’observation d’élections, publiées conjointement par la Commission de Venise et le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH).
8. Dès lors, l’Assemblée recommande aux États membres de revoir si nécessaire leur cadres de régulation en matière de couverture médiatique des campagnes électorales, en vue de les mettre en conformité avec les normes du Conseil de l’Europe, en veillant en particulier:
8.1. à promouvoir un environnement médiatique libre, indépendant et pluraliste, comme condition essentielle pour contrecarrer la désinformation et la propagande;
8.2. à éviter la concentration des médias, en faisant attention aussi au problème de la propriété croisée;
8.3. à établir, si cela n’a pas été fait, l'obligation des médias publics et privés du secteur de la radiodiffusion de couvrir les campagnes électorales de manière équitable et impartiale, en assurant aux partis d’opposition une couverture médiatique équilibrée dans les programmes d’actualité et d’information, et assortir cette obligation de sanctions adéquates, en prévoyant les mécanismes de contrôle et de redressement nécessaires à en assurer l’application effective;
8.4. à limiter au strict minimum le recours aux mesures restrictives de la liberté d’expression qui doivent non seulement être prévues par la loi et avoir un but légitime, mais aussi être nécessaires dans une société démocratique; cela implique qu’elles ne doivent pas être arbitraires ni avoir une motivation politique;
8.5. à garantir à tout parti ou candidat victime d’une fausse information diffusée par les médias, y compris sur internet, le droit à une rectification rapide et le droit de demander réparation devant un tribunal;
8.6. à adopter des règles strictes en matière de couverture des activités gouvernementales par les médias, pour éviter que la couverture médiatique des cérémonies auxquelles le gouvernement assiste, ou qu’il organise, se traduise par un traitement préférentiel et par des avantages indus accordés aux partis au pouvoir et à leurs candidats en période électorale;
8.7. à garantir, là où les partis politiques et les candidats ont le droit d'acheter de l'espace publicitaire à des fins électorales, l’égalité de traitement en ce qui concerne les conditions et les tarifs; dans ce contexte, exiger que la publicité politique payante soit aisément reconnaissable en tant que telle;
8.8. à assurer une totale transparence vis-à-vis du public lorsque des médias sont la propriété de partis ou d’hommes politiques;
8.9. à garantir l’indépendance éditoriale des médias de service public, en mettant fin à toute tentative de les influencer ou de les transformer en médias gouvernementaux: l'utilisation des médias de service publics pour promouvoir un parti politique ou un candidat précis doit être qualifiée comme un détournement illégal de fonds publics;
8.10. à renforcer les capacités opérationnelles des autorités de régulation des médias qui doivent être indépendantes vis-à-vis des forces politiques et économiques; à cet égard:
8.10.1. veiller à ce que la composition de ces instances soit politiquement neutre et basée sur l’expertise et la compétence en matière de médias;
8.10.2. chercher à renforcer leur rôle afin qu'ils puissent contribuer plus efficacement à relever les défis posés par l'utilisation des médias sociaux en tant que vecteur de communication politique et à lutter contre le désordre informationnel.
9. Concernant plus spécifiquement les risques que représentent pour le bon déroulement du processus électoral la désinformation et la propagande via l’internet et les média sociaux, l’Assemblée recommande aux États membres:
9.1. de s’abstenir de diffuser ou d’encourager la diffusion sur internet des déclarations, communications ou nouvelles dont ils savent ou devraient raisonnablement savoir qu’elles représentent de la désinformation ou de la propagande;
9.2. de développer des cadres de régulation spécifiques concernant les contenus internet en période électorale, et d’y inclure des dispositions concernant la transparence en matière de contenus sponsorisés publiés sur les médias sociaux, afin que le public puisse connaître la source qui finance une publicité électorale ou toute autre information ou opinion;
9.3. d’établir une responsabilité juridique claire pour les sociétés de médias sociaux qui publient des contenus illégaux préjudiciables aux candidats ou violent les règles essentielles de la communication médiatique en période électorale;
9.4. de veiller à ce que les sanctions prévues en relation avec des contenus illicites ne soient pas détournées pour forcer l’autocensure des opinions et des positions critiques des opposants, et limiter l’application de mesures extrêmes telles que le blocage de sites web entiers, d’adresses IP, de ports et de protocoles internet aux cas les plus graves, en respectant pleinement les conditions strictes fixées par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme;
9.5. de prévoir des formations spécifiques pour les organes d’administration électorale et les instances de régulation des médias, afin que leurs membres puissent mieux comprendre le nouvel environnement médiatique, en vue de renforcer la mise en œuvre de la réglementation sur la communication politique via les médias sociaux;
9.6. d’encourager toutes les parties prenantes – y compris les intermédiaires d’internet, les médias, la société civile et le monde universitaire – à développer des initiatives participatives visant à mieux faire comprendre au grand public le danger de la désinformation et de la propagande véhiculées sur internet, et à rechercher ensemble des solutions adéquates à ces phénomènes.
10. L’Assemblée invite les professionnels et les organismes du secteur des médias:
10.1. à développer des cadres d'autorégulation et à y incorporer des normes professionnelles et éthiques concernant leur couverture des campagnes électorales, incluant notamment le respect de la dignité humaine et du principe de non-discrimination;
10.2. à assurer une analyse approfondie et une couverture complète de la campagne électorale, des candidats et de leurs plateformes, pour permettre aux électeurs de faire un choix en meilleure connaissance de cause le jour du scrutin;
10.3. à faire une séparation claire entre activités des pouvoirs en place et activités menées par des représentants de partis politiques se présentant à une élection, en veillant à ne pas accorder de traitement de faveur aux pouvoirs en place;
10.4. à adopter des règles internes strictes et des sanctions à l’égard des journalistes et directeurs de rédaction pour les empêcher d’accepter de l’argent et d’autres avantages en retour d’une couverture médiatique positive sur un candidat;
10.5. à éviter de diffuser des messages basés sur des informations non vérifiées ou des rumeurs, et censés provoquer le scandale ou visant des fins de propagande; au cas où de tels messages seraient jugés importants ou urgents, leur diffusion devrait s’accompagner d’un avertissement précisant l’absence de vérification;
10.6. à dénoncer toute tentative de manipulation de l’information pendant la campagne électorale, dans les médias professionnels ou sur les plateformes des médias sociaux, et, dans ce contexte, à instaurer une coopération forte et étroite au sein de la profession pour combattre la désinformation et la propagande.
11. L’Assemblée invite les intermédiaires d’internet:
11.1. à développer des initiatives proposant à l’utilisateur des services de vérification factuelle des informations et offrant aux usagers les outils pour signaler des informations trompeuses, et à revoir leurs modèles publicitaires pour s’assurer qu’ils ne nuisent pas à la diversité des opinions et des idées;
11.2. à coopérer avec la société civile et avec des organisations spécialisées dans la vérification des contenus pour s’assurer que toute information soit confirmée par une source tierce qui fait autorité;
11.3. à soutenir la recherche et le développement de solutions technologiques adéquates que l’utilisateur pourra appliquer à son gré pour détecter la désinformation et la propagande.
12. L’Assemblée invite la Fédération européenne des journalistes (FEJ) à promouvoir auprès de ses membres une prise de conscience des questions abordées dans la présente résolution et à faciliter l’échange d’expériences et de bonnes pratiques concernant la couverture des campagnes électorales. À ce propos, l’Assemblée invite la FEJ à promouvoir parmi ses membres une collaboration efficace concernant la vérification des faits et la démystification, surtout en période électorale.
13. L’Assemblée invite l’Union européenne de radio-télévision (UER) à continuer de promouvoir ses lignes directrices et principes éditoriaux et à encourager les médias européens de service public à les appliquer pleinement, en gardant à l’esprit leur rôle particulier lors des campagnes électorales, en tant que source indépendante d’informations impartiales, exactes et pertinentes et d’opinions politiques diverses. Dans ce contexte, l’UER devrait soutenir une coopération active entre ses membres pour contrecarrer le phénomène de la désinformation et de la propagande en général et lors des campagnes électorales en particulier.

B. Exposé des motifs, par Mme Gülsün Bilgehan, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. La liberté d’expression et la liberté des médias sont essentielles à tout processus démocratique. Le rôle des médias est essentiel à l’intégrité du processus électoral, dans un monde où la plupart des électeurs obtiennent des informations capitales sur la vie politique par le biais des médias 
			(2) 
			<a href='https://www.ndi.org/sites/default/files/1420_elect_media_02_1-31_0.pdf'>www.ndi.org/sites/default/files/1420_elect_media_02_1-31_0.pdf.</a>. Ils offrent une plateforme de débat aux partis politiques et aux candidats, relatent les événements de la campagne, informent les électeurs sur la manière d’exercer leurs droits et sur les résultats des élections; mais ils peuvent (et devraient) aussi contribuer à surveiller le processus électoral, y compris le déroulement du scrutin 
			(3) 
			<a href='http://www.osce.org/odihr/92057?download=true'>www.osce.org/odihr/92057?download=true.</a>.
2. Ainsi, la liberté des médias, protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), est une condition nécessaire pour garantir le droit fondamental à des élections libres, affirmé par l’article 3 du Protocole additionnel à la Convention (STE no 9). Il n’y a d‘élections libres et équitables qu’à condition que l’électorat soit bien informé par des médias indépendants, dans un contexte pluraliste.
3. Néanmoins, dans de nombreux pays, les gouvernements en exercice bénéficient d’une couverture médiatique disproportionnée et excessivement positive, notamment en raison du contrôle qu’ils exercent sur les médias publics et privés, ou de leurs relations étroites avec les médias. En outre, durant les périodes électorales, la liberté des médias et la sécurité des journalistes sont encore plus exposées que d’habitude à de graves menaces, y compris des intimidations, des attaques physiques et l’application de lois restrictives de la liberté d’expression, ainsi que le dénigrement des médias d’opposition.
4. Les événements des dernières années ont également montré que nous vivons dans un monde où la désinformation et la propagande sont de plus en plus fréquentes et omniprésentes. Cette situation sape la confiance du public dans le journalisme en tant que «chien de garde de la démocratie» et risque de tromper le public en brouillant les frontières entre la désinformation et les produits de médias contenant des faits indépendamment vérifiables 
			(4) 
			<a href='http://www.osce.org/fom/302796'>www.osce.org/fom/302796.</a>.
5. Par ailleurs, le paysage médiatique dans les États membres du Conseil de l’Europe s’est profondément transformé ces dernières années, notamment en raison de l’expansion des médias en ligne et du rôle croissant des médias sociaux. Ce virage technologique et social modifie l’influence que les médias exercent sur l’ensemble du processus de prise de décision démocratique, notamment en période électorale, et pose des défis spécifiques auxquels la réglementation actuelle ne répond pas entièrement. Plus particulièrement, la pratique consistant à imposer des restrictions à la presse écrite et audiovisuelle semble aujourd’hui obsolète, compte tenu de l'évolution importante des services de médias en ligne au cours de la dernière décennie et de la convergence croissante des services en ligne, des médias imprimés et des médias audiovisuels traditionnels.
6. Dans le présent rapport, je me propose d’analyser la façon dont il est possible de faire face efficacement à ces défis et, plus en généralement, de consolider le rôle des médias en tant que piliers d’un processus électoral réellement démocratique. Mon analyse se fonde essentiellement sur le rapport d’expert de M. Rasťo Kužel 
			(5) 
			MEMO 98, Bratislava., que je remercie pour son travail 
			(6) 
			À la lumière de l’audition
tenue par la commission de la culture, de la science, de l'éducation
et des médias le 22 mars 2018, j’ai intégré dans le texte des éléments
relatifs au rôle des médias lors des élections fournis par Mme Giovanna
Maiola, Chercheure principale sur les médias et coordonnatrice de
la formation à l’Observation des élections et soutien à la démocratie
(Bruxelles), et M. Marco Pancini, Directeur des politiques publiques
de Google, ainsi que par plusieurs membres de la commission qui
ont participé au débat.. Je m’appuie aussi sur les nombreux travaux du Conseil de l’Europe et ses instruments normatifs, entre autres la Recommandation CM/Rec(2007)15 du Comité des Ministres sur des mesures concernant la couverture des campagnes électorales par les médias et des orientations pratiques telles que le Code de bonne conduite en matière électorale de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) ou les Lignes directrices relatives à l’analyse des médias au cours de missions d’observation, publiées conjointement par la Commission de Venise et le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH).

2. Des statuts différenciés en fonction des types de médias

2.1. Les lignes de division: radiodiffuseurs et médias imprimés; médias de service public et médias privés; médias traditionnels et nouveaux

7. La réglementation de la couverture médiatique des élections doit viser à concilier, d’une part, le respect de l’indépendance éditoriale des médias et, d’autre part, la nécessité de garantir l’équité de la couverture médiatique pendant la période électorale. Ainsi, certaines restrictions à la liberté d’expression peuvent s’imposer, alors qu’elles ne seraient habituellement pas admissibles, afin de garantir la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif 
			(7) 
			<a href='https://rm.coe.int/la-couverture-mediatique-des-elections-le-cadre-legal-en-europe/1680789459'>https://rm.coe.int/la-couverture-mediatique-des-elections-le-cadre-legal-en-europe/1680789459.</a>. Ces restrictions ne sont toutefois pas les mêmes pour tous les médias.
8. Ainsi, les médias imprimés (privés) peuvent être plus «partisans» par rapport aux radiodiffuseurs, qui sont soumis à un grand nombre de règles en ce qui concerne leurs activités pendant les élections, y compris à l'obligation de couvrir les élections de manière «équitable, équilibrée et impartiale». L’accès équitable concerne en particulier le temps d’antenne qui est attribué aux candidats.
9. Les médias de service public, qui sont financés par l’argent des contribuables, ont la responsabilité légale et morale de servir les intérêts du public et non ceux du gouvernement, des partis politiques ou des groupes d'intérêts privés. Leur utilisation pour promouvoir un parti politique ou un candidat déterminés est un détournement injustifié de fonds publics. Le citoyen est en droit d'insister sur l'équité, l'équilibre et l'impartialité des médias de service public et de veiller à ce que l'attitude du gouvernement à leur égard garantisse l’accès à l'information qui lui est dû.
10. Il est important que les médias de service public donnent aux électeurs des informations sur le rôle des élections dans une démocratie, l’exercice du droit de vote, les principaux enjeux électoraux, ainsi que sur les programmes et arguments politiques des différents partis et candidats qui participent à l'élection. Dans ce cadre, les émissions qui permettent de poser des questions aux leaders de partis et aux candidats de premier plan, et d’organiser des débats entre ces derniers, sont particulièrement importantes.
11. Des règles strictes d'impartialité et d'équilibre devraient être appliquées lorsque les médias de service public font des reportages sur le parti au pouvoir et sur les décisions et actions du gouvernement en période électorale. Il faut veiller à ce que ces médias assurent à tous les partis et candidats un accès équitable à l’antenne pour qu'ils communiquent leurs messages directement au public, gratuitement ou à des tarifs subventionnés. Un accès équitable est un accès non discriminatoire qui est accordé selon des critères objectifs de mesure des niveaux de soutien. Il comprend des facteurs tels que la durée des interventions et les frais éventuels 
			(8) 
			<a href='http://www.osce.org/fom/37188?download=true'>www.osce.org/fom/37188?download=true. </a>.
12. Dans plusieurs États membres, les principes qui s’appliquent aux services de radiodiffusion des médias de service public devraient s’appliquer également à leurs services audiovisuels non linéaires. Dans la plupart des cas, les deux types de services se compléteront et les utilisateurs pourront s'attendre à ce qu’ils soient tous deux soumis aux mêmes obligations en matière d'impartialité, d'équité et d'équilibre.
13. Bien que le statut des médias privés soit différent de celui des médias publics, ils sont également censés fournir une couverture objective et équilibrée de l’actualité, en particulier pendant la période électorale.
14. Le terme «nouveaux médias» recouvre des médias utilisés à différentes fins, notamment internet, les téléphones mobiles, les médias sociaux tels que les blogues et les micro-blogues, les sites de partage de vidéos et d’autres. Contrairement aux médias traditionnels, les nouveaux médias sont généralement interactifs; ils utilisent la technologie numérique, en ligne et mobile, et leurs contenus sont souvent créés et gérés par les utilisateurs. En outre, ils fonctionnent en temps réel et sont généralement transfrontières, donc plus difficiles à réguler.
15. La ligne de partage entre les médias professionnels et les médias sociaux est souvent floue. Par exemple, dans de nombreux États membres, les sites d’actualités en ligne les plus populaires sont gérés par des sociétés de médias imprimés historiques, comme www.spiegel.de, qui est le site d’information en ligne le plus populaire en Allemagne, ou le site www.lemonde.fr, qui jouit d’une audience importante en France.
16. Par ailleurs, la plupart des journalistes utilisent internet comme principale source d'information pour les reportages, et de nombreux médias traditionnels créent des éditions en ligne ou se transforment en services entièrement multimédias. De plus, les médias professionnels utilisent aussi les apports du «journalisme citoyen» et s'appuient sur des images et des vidéos à caractère personnel provenant de téléphones mobiles pour couvrir certains sujets lorsqu’ils ne peuvent pas compter sur leurs propres journalistes 
			(9) 
			<a href='https://aceproject.org/ace-en/topics/me/meb/mab02e  Kužel, Rasťo.  Rapports et conduite des médias pendant le processus électoral  , (pp.4) Mission de l'OSCE au Kosovo, 2017.'>https://aceproject.org/ace-en/topics/me/meb/mab02e.</a>. En effet, l'essor des nouveaux médias ouvre de nouvelles perspectives et favorise la participation citoyenne, le partage d'informations et de connaissances, l'inclusion et l'autonomisation. Cependant, les médias en ligne peuvent aussi poser de gros problèmes pouvant nuire à l'intégrité du processus électoral en raison, principalement, de l'émergence de la désinformation et des fausses nouvelles 
			(10) 
			Rasťo Kužel, Media
reporting and conduct during the electoral process, OSCE mission
in Kosovo, 2017. .

2.2. En particulier: les services de médias audiovisuels

2.2.1. Journaux télévisés et magazines d'actualités

17. Les journaux télévisés sont tenus de présenter des informations diversifiées, pertinentes, actualisées, exactes, équilibrées et factuelles et, en principe, de s'abstenir d'exprimer des opinions. Il est important qu'un mécanisme juste et équitable soit établi pour déterminer le pourcentage de couverture médiatique qui doit être attribué aux candidats en lice. Les candidats doivent recevoir une couverture médiatique proportionnée à leur importance électorale et à l'étendue du soutien qu’ils reçoivent des électeurs. Ainsi, il n'est pas nécessaire de surexposer les petits partis, au détriment des plus grands. Néanmoins, même les petits partis devraient bénéficier d'une couverture suffisante pendant la campagne électorale, par exemple au moment du lancement de leurs programmes.
18. La loi prévoit en général des dispositions sur l'égalité de traitement des candidats, mais il est très important que chaque média puisse déterminer les formats et modèles électoraux qui lui serviront de base pour répartir le temps d'antenne entre les candidats 
			(11) 
			Ibid.. Par exemple, le nombre de reportages consacrés aux partis en lice est strictement contrôlé au Royaume-Uni, où la BBC prend des mesures pour assurer la parité entre ces partis 
			(12) 
			<a href='http://downloads.bbc.co.uk/guidelines/editorialguidelines/pdfs/2016ElectionGuidelines.pdf'>http://downloads.bbc.co.uk/guidelines/editorialguidelines/pdfs/2016ElectionGuidelines.pdf.</a>. Dans certains États membres, les médias audiovisuels sont critiqués parce qu’ils n’assurent pas une analyse approfondie et une couverture complète de la campagne électorale, des candidats et de leurs plateformes; cela peut biaiser le choix que feront les électeurs le jour du scrutin.
19. Si les débats télévisés constituent le meilleur cadre pour des échanges de vues, l’absence d’un des candidats ou des partis réduit toujours leur intérêt aux yeux de l'électorat. La possibilité d’entendre différents points de vue au cours d’un débat public permet aux électeurs de mieux comprendre les choix qui s'offrent à eux le jour du scrutin. Ces programmes, qui complètent les actualités, favorisent le commentaire ou le débat et donnent aux différents candidats la possibilité de présenter leurs opinions directement aux téléspectateurs et aux auditeurs. Toutefois, les décisions sur la manière dont cette équité devrait être assurée (par exemple, les décisions concernant le format, le nombre de participants, la durée de l'émission, etc.) devraient être laissées à l’initiative de l'organisme de radiodiffusion lui-même.
20. Les talk-shows ont des formats qui attirent les téléspectateurs car ils favorisent l’expression d’idées diverses et permettent aux électeurs d’en savoir davantage sur les candidats. Ces émissions doivent cependant également être encadrées par certaines règles car elles peuvent tromper et désinformer de nombreux spectateurs si elles ne sont pas contrôlées. En période électorale, il est essentiel que les talk-shows soient conçus de façon à ce que les candidats soient traités de manière équitable.

2.2.2. Temps d'antenne gratuit sur les médias audiovisuels publics

21. Souvent, les médias audiovisuels publics ont pour pratique d'offrir un temps d'antenne gratuit aux candidats ou partis politiques pour qu’ils puissent communiquer leurs messages à l'électorat. Il s’agit d’une forme directe de communication entre les hommes et femmes politiques et les électeurs dans laquelle les médias ne jouent aucun rôle intermédiaire. Le fait de donner du temps d'antenne gratuit a l’avantage non négligeable de permettre aux petits partis ou aux candidats mineurs, qui ne bénéficient pas d'une couverture importante dans les médias, de diffuser leurs messages électoraux 
			(13) 
			<a href='http://www.osce.org/odihr/92057?download=true'>www.osce.org/odihr/92057?download=true.</a>.
22. Le temps alloué doit être suffisant pour que les candidats puissent communiquer efficacement et défendre leurs plateformes auprès du public. L’allocation peut avoir lieu sur une base égale ou proportionnelle selon le contexte dans lequel les élections se déroulent. Il est possible d’appliquer une égalité stricte lorsque le nombre de candidats en lice est limité. Pour les élections présidentielles, les référendums et les premières élections démocratiques, les critères d'égalité stricte coïncident mieux avec la nécessité de fournir à tous les candidats des conditions de concurrence équitables 
			(14) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-PI(2016)006-f'>www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-PI(2016)006-f. </a>. Dans certains États membres, cette disposition est utilisée pour démontrer que les candidats ont un accès équitable aux médias d'État ou de service public alors qu'en fait, il existe une disproportion énorme dans la couverture dont bénéficient les candidats dans les journaux télévisés et les magazines d’actualité.

2.2.3. Publicité politique payante

23. Outre l'attribution de temps et d'espace gratuits, la publicité politique payante constitue une autre possibilité offerte à tous les partis politiques ou candidats de diffuser leurs messages dans les médias. S’il est incontestable que les électeurs ont besoin d'autant d'informations que possible sur les candidats pour faire un choix raisonné, la publicité payante, quant à elle, peut donner un avantage injuste aux partis ou aux candidats qui peuvent se permettre d'acheter davantage de temps d'antenne. Par conséquent, tous les pays n'acceptent pas cette pratique.
24. Compte tenu de l'impact croissant des médias sociaux durant les élections, il paraît judicieux, s’agissant de la publicité politique payante, d'appliquer à ces médias les mêmes règles qui s’appliquent déjà aux médias traditionnels. Il faudrait cependant s’interroger sur la capacité à faire appliquer ces règles sur internet et la nature de l’organisme qui serait responsable de superviser leur mise en œuvre et de la rendre obligatoire.
25. À la fin du mois d'octobre 2017, les sénateurs américains ont annoncé qu’un nouveau projet de loi était en cours d’élaboration visant à réglementer les publicités politiques en ligne. Le nouveau projet de loi, appelé Honest Ads Act, obligerait des sociétés comme Facebook et Google à conserver des copies des publicités politiques et à les rendre publiques. Les sociétés seraient également tenues, conformément à la loi, de publier des informations sur les destinataires de ces publicités, ainsi que des informations sur l'acheteur et les tarifs appliqués aux annonces. Les nouvelles règles permettraient d’aligner les règles de déclaration sur les dispositions qui encadrent les publicités politiques dans des médias tels que la presse écrite et la télévision, et s'appliqueraient à n'importe quelle plateforme comptant plus de 50 millions de téléspectateurs par mois. Les sociétés concernées seraient tenues de conserver et de publier des données sur toute personne dépensant plus de $US 500 par an pour des publicités à des fins politiques 
			(15) 
			<a href='https://www.theverge.com/2017/10/19/16502946/facebook-twitter-russia-honest-ads-act'>www.theverge.com/2017/10/19/16502946/facebook-twitter-russia-honest-ads-act.</a>.

2.3. L’impact sur l’électorat de divers types des médias

26. Si les médias de radiodiffusion restent la principale source d’information en période électorale, l’influence des médias sociaux ne cesse de croître, surtout parmi les plus jeunes. Toutefois, selon une étude réalisée par Reuters en 2016, les informations télévisées demeurent toujours la source d’information la plus importante pour les catégories plus âgées de la population, même si l’usage général affiche une tendance à la baisse, notamment au niveau des plus jeunes. En particulier, 28 % des 18-24 ans indiquent que les médias sociaux représentent leur source d’information principale, soit pour la première fois plus que la télévision (24 %). En ce qui concerne l’Allemagne, l’étude suggère que la télévision, et en particulier les très populaires bulletins d’information du soir des radiodiffuseurs publics ARD et ZDF, demeurent la source d’information la plus importante; en France, l’information télévisée est également la première source d’information 
			(16) 
			<a href='http://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/sites/default/files/research/files/Digital%2520News%2520Report%25202016.pdf'>http://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/sites/default/files/research/files/Digital%2520News%2520Report%25202016.pdf.</a>.
27. Même si la lecture de la presse écrite reste plus courante que l’usage des réseaux sociaux, l’écart se resserre. D’une manière générale, si l’on assimile l’influence et la confiance, la radio est le média dans lequel les européens ont la plus grande confiance, suivie par la télévision. La confiance dans la presse écrite gagne du terrain, celle pour l’internet est minoritaire, et la méfiance à son égard augmente. Cependant, étant donné l’influence accrue des médias sociaux, les appels se multiplient en faveur d’une forme de réglementation des médias en ligne, en particulier en période électorale. Les médias sociaux sont des sociétés privées avec un degré «d’intérêt public» parce qu’elles jouent un rôle dans l’écosystème d’information et dans les préférences des utilisateurs en matière de médias. Elles jouent le rôle de coéditeurs non seulement en tant que plateformes, mais recourent aussi à des algorithmes et produisent des contenus.

3. Défis posés par le nouvel environnement médiatique

3.1. Couverture subjective et partisane et émergence de la désinformation et de la propagande

28. Les médias, en particulier les médias de service public, ont souvent des préjugés favorables à l’égard des candidats sortants et cette partialité va généralement à l’encontre des critères fixés par l’OSCE et d'autres normes internationales en matière d’élections. Les médias de service public ou d'État risquent d'être exploités par des gouvernements qui font ouvertement la promotion de leurs programmes politiques. De plus, des études montrent qu’internet, notamment les réseaux sociaux, ont été utilisés de façon intensive – tant par des États que par des acteurs non étatiques – pour des manipulations et des opérations de propagande.
29. Dans la Résolution 2143 (2017) «Médias en ligne et journalisme: défis et responsabilité», l'Assemblée parlementaire s’est montrée préoccupée par l'influence des médias en ligne sur les élections, notamment en ce qui concerne les nombreuses campagnes médiatiques en ligne lancées, souvent dans le contexte politique, dans le but de nuire aux processus politiques démocratiques 
			(17) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-en.asp?fileid=23455&lang=en'>http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=23455&lang=FR.</a>.
30. Selon un rapport de Freedom House, les tactiques de manipulation et de désinformation jouent un rôle important dans les élections, compromettant la capacité des citoyens à choisir leurs dirigeants sur la base de nouvelles factuelles et de débats authentiques. Ces dernières années, cette pratique s’est beaucoup répandue et est devenue très perfectionnée sur le plan technique. Elle utilise notamment des bots, des producteurs de propagande et des faux médias qui exploitent les réseaux sociaux et les algorithmes de recherche pour obtenir une visibilité optimale et intégrer leurs messages de façon transparente dans des contenus de confiance. Il s’agit non seulement du problème de l’exploitation de données privées à des fins politiques, mais aussi du recours à des vidéos et des nouvelles trafiquées et à la diffamation contre des candidats. Dans de telles conditions, n’importe quelle campagne électorale est compromise. Les effets de ces techniques de diffusion rapide sur la démocratie et l'activisme civique sont potentiellement dévastateurs 
			(18) 
			<a href='https://freedomhouse.org/report/freedom-net/freedom-net-2017'>https://freedomhouse.org/report/freedom-net/freedom-net-2017.</a>. Cela est préoccupant. Ces actions sapent la confiance, polluent l'espace de l'information et tentent de détruire le discours public et les institutions démocratiques.
31. Selon une étude menée par l'université d'Oxford, les campagnes politiques, les gouvernements et les citoyens ordinaires du monde entier emploient des personnes et des bots pour tenter de façonner artificiellement la vie publique. L’étude montre que la propagande automatisée est un phénomène lié aux récents efforts de désinformation et de manipulation numériques et la définit comme l'utilisation d'algorithmes, de programmes automatisés et de traitement humain visant à distribuer intentionnellement des informations trompeuses sur les réseaux sociaux. Une personne, ou un petit groupe de personnes, peut utiliser une armée de bots politiques sur Twitter pour donner l'illusion d'un consensus à grande échelle 
			(19) 
			<a href='http://comprop.oii.ox.ac.uk/wp-content/uploads/sites/89/2017/06/Casestudies-ExecutiveSummary.pdf'>http://comprop.oii.ox.ac.uk/wp-content/uploads/sites/89/2017/06/Casestudies-ExecutiveSummary.pdf.</a>.
32. Aujourd’hui, il y a suffisamment d’éléments de preuve pour suggérer que les régimes autocratiques utilisent des bots politiques pour faire taire les opposants et imposer les messages officiels de l'État. Des bots politiques ont également été utilisés pendant les élections pour influencer le vote ou diffamer les opposants. La même étude d'Oxford prévient également que des acteurs politiques anonymes exploitent des éléments clés de la propagande automatisée, tels que des faux reportages, des campagnes coordonnées de désinformation et des trolls, pour attaquer des défenseurs des droits de l'homme, des groupes de la société civile et des journalistes. La propagande automatisée est l'un des nouveaux outils les plus puissants contre la démocratie.

3.2. Propos inflammatoires et hostiles

33. Certaines formes de désinformation et de propagande peuvent non seulement nuire à la réputation et à la vie privée des individus, mais aussi inciter à la violence, à la discrimination ou à l'hostilité contre des groupes identifiables de la société 
			(20) 
			<a href='http://www.osce.org/fom/302796'>www.osce.org/fom/302796.</a>. Selon les normes internationales et les recommandations sur le discours de haine, les médias doivent refuser toute expression ouverte d'intolérance et déterminer de façon réfléchie si la publication de telles manifestations ne favorise pas la diffamation et la dérision pour des motifs tels que le genre, la race, la couleur, la langue, la religion, l’appartenance à une minorité nationale ou ethnique ou à un groupe ethnique, la différence sociale ou l’opinion politique ou autre.
34. La nécessité de combattre de telles formes d'expression est encore plus urgente dans des situations de tension, en temps de guerre ou d’autres formes de conflit armé. Une responsabilité particulière incombe aux gouvernements des États membres du Conseil de l’Europe, aux autorités et institutions publiques aux niveaux national, régional et local, ainsi qu'aux fonctionnaires, qui doivent s'abstenir d'effectuer des déclarations, en particulier dans les médias, pouvant raisonnablement être prises pour un discours de haine ou comme un discours pouvant faire l'effet d'accréditer, de propager ou de promouvoir la haine raciale, la xénophobie, l'antisémitisme ou d'autres formes de discrimination ou de haine fondées sur l'intolérance. Ces expressions doivent être prohibées et condamnées publiquement en toute occasion.
35. Cependant, une distinction claire doit être faite entre un média qui transmet des commentaires racistes reflétant sa position éditoriale et un média qui relaie de tels commentaires, formulés par d'autres, dans le cadre d’un reportage. Les normes internationales prévoient que les médias ne devraient pas être tenus légalement responsables de la retransmission fidèle de déclarations d'autrui, même si ces déclarations sont considérées comme illégales.
36. Dans ce contexte, il est important de déterminer si ces commentaires ont été rapportés de façon provocatrice et si des points de vue qui les contrebalancent ont également été exprimés, et de prendre en considération d'autres éléments de contexte pour comprendre si ces points de vue ont été présentés sous un jour positif ou négatif. Les médias devraient en principe être exonérés de toute responsabilité pour la diffusion de déclarations illégales faites directement par des partis ou des candidats – que ce soit dans le cadre d’émissions en direct ou de spots publicitaires – sauf si les déclarations ont été jugées illégales par un tribunal, si elles constituent une incitation directe à la violence et si le média a eu la possibilité d'empêcher leur diffusion 
			(21) 
			Dans
l’affaire Jersild, la Cour
européenne des droits de l'homme s'est prononcée en faveur d'un
journaliste danois qui avait interrogé des membres d'un groupe d'extrême
droite exprimant des opinions racistes, car son programme avait pour
objectif de recueillir et d'exposer les opinions du groupe et pas
de les encourager. .
37. Un autre aspect à prendre en considération est l'identité de la personne qui est critiquée. La Cour européenne des droits de l'homme a précisé que la portée de la diffamation est beaucoup plus étroite lorsque la personne concernée, dont la réputation peut être affectée, est un représentant public ou, plus généralement, un homme ou femme politique. Elle part du principe que l’instauration d’un débat politique et d’un régime de responsabilité, qui sont nécessaires dans une démocratie, impose de ne pas restreindre l’expression déterminée des opinions.

3.3. Manque de reportages d’investigation et de couverture analytique et recul de la pensée critique dans le public

38. Un certain nombre de rapports finaux d'observation de l'OSCE/BIDDH soulignent le manque général d’analyse et d’investigation dans les reportages des médias sur les élections. En réponse à la propagande et à la désinformation, nous avons besoin d’un journalisme de qualité et il serait donc souhaitable de soutenir des initiatives, des formations et d'autres activités visant à améliorer la qualité globale des reportages diffusés en période électorale.
39. D’aucuns craignent que les médias sociaux ne minent la qualité des informations et que les informations dénaturées qui sont communiquées aux citoyens n’affaiblissent la démocratie à l'ère numérique. D’autant qu’il n’y a pas de débat significatif dans ce domaine, car les internautes sont installés dans des «bulles de filtrage» qui regroupent des personnes qui partagent les mêmes idées et sont enfermées dans des chambres d'écho qui renforcent leurs propres préjugés. Le manque de réflexion analytique dans les médias traditionnels et le rôle négatif joué par les médias sociaux contribue à la diminution de la pensée critique dans le public. Il est donc capital de s’interroger sur la façon d’éliminer ces tendances négatives et de renforcer les institutions démocratiques existantes.

3.4. Problèmes liés à la régulation des nouveaux médias

40. Les pratiques de régulation appliquées aux médias traditionnels peuvent-elles servir aux nouveaux médias? Telle est la principale question liée à la régulation des nouveaux médias. À l’évidence, bon nombre des principes applicables en matière de régulation des médias traditionnels ne le sont pas dans le cas des nouveaux médias. Ainsi, le principe de régulation de l’audiovisuel selon lequel le spectre des fréquences est une ressource limitée et, donc, qui doit être partagée, ne s’applique pas sur internet. En outre, avec la convergence des médias traditionnels et des nouveaux médias, les gouvernements se trouvent confrontés à un défi: où et comment délimiter la régulation? Faut-il réguler les blogs exprimant des opinions bien arrêtées de la même manière que des campagnes par des tiers? Est-il possible d’imposer des périodes d’interdiction au-delà des frontières nationales, voire en-deçà 
			(22) 
			<a href='https://aceproject.org/ace-fr/topics/me/meb/mab02e?set_language=fr'>https://aceproject.org/ace-fr/topics/me/meb/mab02e?set_language=fr.</a>?
41. N’oublions pas que les restrictions juridiques répressives imposées aux journalistes restent la plus grave menace qui pèse sur la diversité et sur la qualité de l’information. Les médias traditionnels peuvent être régulés d’une manière qui ne constitue pas une censure et qui renforce, plutôt qu’elle ne restreint, la liberté d’expression. Mais s’agissant des nouveaux médias, une telle régulation s’est révélée extrêmement difficile. Certes, il est possible de réguler les nouveaux médias, mais sur internet, les contenus, par exemple, sont tellement divers et répandus que les tentatives de régulation ont manqué de souplesse et tenu de la censure – interception d’e-mails, fermeture de sites web et pression (ou actions en justice) contre des fournisseurs d’accès internet. D’autres problèmes de régulation tiennent au caractère international d’internet. Quant aux tentatives des autorités nationales pour fermer des sites web, elles se sont soldées par la création de sites miroirs (répliques) en dehors des frontières nationales. L’autorégulation par les utilisateurs des nouveaux médias est aussi plus difficile, sans compter que les nouveaux médias ont souvent ignoré les conventions largement acceptées par les médias traditionnels (par exemple, en ne rendant pas compte des sondages des votants avant l’issue des scrutins) 
			(23) 
			Ibid..
42. Reste qu’on ne peut faire l’impasse sur l’impact grandissant d’internet et des médias sociaux en période électorale. Par exemple, lors des élections législatives de 2015 au Royaume-Uni, jusqu’à 1,6 millions de livres sterling ont été dépensées en publicité politique via Facebook et Google, soit deux fois plus qu’en campagne télévisée, et cinq fois plus que pour la campagne de presse 
			(24) 
			<a href='http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2016/583859/EPRS_BRI%282016%29583859_EN.pdf'>www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2016/583859/EPRS_BRI%282016%29583859_EN.pdf.</a>.
43. Depuis quelques années, la Cour européenne des droits de l’homme développe une jurisprudence sur les médias en ligne. Mais c’est en 2017 que, pour la première fois, la Cour a établi la responsabilité des médias d’information en ligne lorsqu’ils rendent compte de graves allégations portées contre un candidat politique. La Cour a établi d’importants principes (article 10) applicables aux médias en ligne durant des élections, en particulier lorsque des organes de presse en ligne suivent des pratiques journalistiques «de bonne foi». En outre, elle a prononcé d’importants arrêts concernant la responsabilité des médias d’information en ligne pour les contenus générés par les utilisateurs.
44. À noter que, en réaction à la critique de leur rôle dans les élections américaines, les plates-formes médiatiques en ligne ont commencé à prendre des mesures pour remédier aux tendances négatives divulguées après les élections. Par exemple, Facebook permet à présent aux utilisateurs de «marquer une actualité comme étant fausse» – les actualités signalées comme «fausses» par les utilisateurs peuvent ensuite être examinées par une personne chargée de la vérification des faits.
45. De plus, en matière de publicité politique, plusieurs médias sociaux ont mis en place des politiques d’autorégulation sur la couverture des élections. Par exemple, dans la politique publicitaire de LinkedIn, une règle dispose que toute publicité à caractère politique doit clairement identifier la personne [ou l’entité] qui a payé pour ce message. Les publicités qui ne sont pas financées par un candidat ou une campagne doivent indiquer si le contenu est approuvé par un candidat et, si ce n’est pas le cas, elles doivent comporter les coordonnées de la personne ou de l’entité qui a payé pour le message. Les publicités à caractère politique doivent respecter les lois applicables, notamment les règles d’identification des soutiens financiers et de communication en période électorale. De même, la politique publicitaire de Twitter impose des restrictions aux «campagnes politiques» et applique des règles spécifiques aux pays. De plus, Twitter signale par un badge violet les publicités liées à une campagne politique payées par des candidats ou des partis. Quant à Google, son centre AdWords applique également des règles au «contenu politique» et à sa promotion, les publicités devant respecter les lois en vigueur, notamment celles concernant les «périodes de silence» en période électorale 
			(25) 
			<a href='https://rm.coe.int/la-couverture-mediatique-des-elections-le-cadre-legal-en-europe/1680789459'>https://rm.coe.int/la-couverture-mediatique-des-elections-le-cadre-legal-en-europe/1680789459.</a>.

4. Bonnes pratiques en usage et solutions possibles aux défis posés par le nouvel environnement médiatique

4.1. Vers de nouveaux modèles de financement d’un journalisme de qualité

46. Un journalisme de qualité étant essentiel pour faire face à l’émergence de la désinformation et de la propagande, il est important de soutenir davantage les modèles déjà opérationnels qui fonctionnent bien, notamment, mais pas uniquement, les médias de service public. Ensuite, il ne faut pas oublier que l’information reste potentiellement un actif précieux; or, il semble qu’à l’heure actuelle, le secteur des médias ne soit pas capable d’en monétiser toute la valeur. Ainsi, le journal néerlandais De Correspondent a au moins cinq sources de revenus (abonnements, revente de technologies, gestion des porte-parole, événements, édition de livres). Un moyen de mieux monétiser l’information consiste à employer un vaste éventail de formats et de canaux (livres, expertise-conseil, jeux vidéo).
47. Le journalisme traditionnel connaît un certain nombre de difficultés, l’une des plus grandes étant due à la concurrence des plates-formes des médias sociaux, lesquelles ont absorbé une grande partie des revenus publicitaires qui, auparavant, maintenaient les médias traditionnels à flot. Selon un article publié dans le quotidien britannique The Guardian, en agissant comme des entreprises de technologie tout en endossant, en fait, le rôle d’éditeurs, Google, Facebook et autres ont conçu par hasard un système qui «valorise» les contenus particulièrement séduisants et bon marché aux dépens de contenus plus onéreux mais moins «diffusables». Quiconque veut toucher un million de personnes au moyen d’une vidéo minable sur les théories du complot, est tout à son affaire. En revanche, si votre intention est de toucher une ville de 200 000 habitants au moyen d’une salle de presse bien équipée, l’affaire est vouée à l’échec 
			(26) 
			<a href='https://www.theguardian.com/media/2017/may/06/decent-trusted-journalism-is-worth-fighting-for-we-have-to-find-a-way'>www.theguardian.com/media/2017/may/06/decent-trusted-journalism-is-worth-fighting-for-we-have-to-find-a-way.</a>.
48. Au lendemain des élections de 2016 aux États-Unis, le rôle des médias sociaux durant la période électorale a été au cœur des débats. Bien que jusqu’alors, le débat ait montré que ces plates-formes de médias sociaux (Facebook, Google et Twitter) ont avant tout le souci de protéger leurs intérêts commerciaux, il semble qu’elles aient au moins reconnu, dans une certaine mesure, qu’elles font partie du problème, et qu’elles aient commencé à prendre des mesures pour y remédier. Un certain nombre d’analystes estiment que les plates-formes de médias sociaux doivent faire partie de la solution.

4.2. Vérification des faits et démystification

49. De nouveaux projets sont apparus après les élections de 2016 aux États-Unis. Leur principal objectif: apporter au public les données nécessaires pour qu’il forme ses propres conclusions sur les informations reçues.
50. Prenons l’exemple de CrossCheck, projet collaboratif de vérification en ligne lancé en février 2017, qui a réuni 37 partenaires de presse en France et au Royaume-Uni pour aider à signaler les déclarations fausses, trompeuses et déroutantes qui circulaient sur internet au cours des dix semaines précédant l’élection présidentielle française de 2017. S’il est sans doute important de recourir aux technologies les plus récentes pour rechercher comment automatiser la vérification et l’identification des trolls en ligne, les journalistes professionnels et les analystes de médias semblent particulièrement bien placés pour assurer une vérification vraiment efficace. Les organes de presse doivent envisager d’inclure une couverture critique de la désinformation et de la propagande dans le cadre de leurs services d’information, en particulier pendant les élections et à l’occasion de débats sur des questions d’intérêt public 
			(27) 
			<a href='https://crosscheck.firstdraftnews.com/france-fr/'>https://crosscheck.firstdraftnews.com/france-fr/.</a>.
51. Un autre exemple pertinent est celui du First Draft, un projet du Centre Shorenstein sur les médias, la politique et les politiques publiques de «John F. Kennedy School of Government» de l'université de Harvard. Le projet utilise des méthodes basées sur la recherche pour lutter contre la désinformation en ligne et fournit en outre des conseils pratiques et éthiques sur la façon de trouver, de vérifier et de publier du contenu provenant des médias sociaux. First Draft est né en juin 2015 de la collaboration entre neuf organisations fondatrices pour sensibiliser, mener des recherches et relever les défis liés à la confiance et à la vérité dans les médias à l'ère numérique. En tant que l'une des organisations fondatrices, Google News Lab a fourni une assistance pour développer et maintenir le projet, a soutenu la création de nouveaux contenus et a coordonné la communauté de pratique. En septembre 2016, First Draft a commencé à se coordonner avec une communauté de rédactions, de sociétés technologiques, d'organisations de défense des droits de l'homme et d'universités du monde entier afin d'informer et d'élargir son travail et de promouvoir la collaboration 
			(28) 
			<a href='https://firstdraftnews.org/about/'>https://firstdraftnews.org/about/.</a>.
52. D’après le Centre d'analyse des politiques européennes (Center for European Policy Analysis), les opérations de vérification et de démystification fonctionnent lorsqu’elles ciblent des publics particulièrement réceptifs à des arguments factuels. Pour être véritablement efficace, cette recherche doit viser les médias et les décideurs et être adaptée à leurs programmes. Qu’il s’agisse de réagir rapidement à la désinformation véhiculée par les grands médias ou de contribuer à des débats politiques, les sites de démystification luttant contre la désinformation diffusée par le Kremlin méritent d’être renforcés et affinés pour obtenir de vrais résultats 
			(29) 
			<a href='https://euvsdisinfo.eu/25-ways-of-combatting-propaganda-without-doing-counter-propaganda/'>https://euvsdisinfo.eu/25-ways-of-combatting-propaganda-without-doing-counter-propaganda/.</a>.

4.3. Renforcement de la mission des médias de service public

53. La mission des médias de service public est d’informer, d’éduquer et de divertir. Au cœur de cette mission réside la notion de société informée. Les médias publics doivent mettre un point d’honneur à cultiver et maintenir la démocratie ainsi qu’à fournir aux citoyens les informations dont ils ont besoin pour prendre des décisions informées leur permettant de se positionner par rapport à leur communauté, à leur pays et au monde. À cette fin, les radiodiffuseurs publics doivent assurer une couverture globale et critique des institutions publiques.
54. Dans un monde où la désinformation et la propagande se multiplient et se généralisent, où les gens ne savent pas à qui faire confiance, c’est aux radiodiffuseurs publics qu’il incombe d’affirmer les plus hautes valeurs journalistiques et d’offrir au public des reportages dignes d’intérêt et de crédibilité, en privilégiant la vérification des faits, le reportage approfondi et le journalisme d’investigation.
55. Le radiodiffuseur public sera toujours plus pauvre que ses concurrents privés aux mains d’oligarques, et il n’aura pas les moyens de séduire l’auditoire par des émissions de divertissement de grande envergure. Néanmoins, dans un paysage médiatique fragmenté, un radiodiffuseur public fort et indépendant pourrait devenir le média le plus apprécié pour sa fiabilité, sa capacité de rester ouvert aux diverses composantes de la société, de poser les bonnes questions, et pour son effort d’y apporter des réponses par le biais d’investigations non biaisées et d’un journalisme citoyen. C’est ce que tente Hromadske TV, portail ukrainien d’actualités télévisées en ligne. Créée en novembre 2013, la chaîne Hromadske TV est une tentative ambitieuse de construire, à partir de rien, un radiodiffuseur public exempt de tout intérêt politique et commercial, ou de propagande gouvernementale, et financé uniquement par des donateurs et des subventions publiques. Avec seulement 20 journalistes employés à plein temps, la chaîne s’est efforcée de produire un journalisme impartial, devenant tout spécialement réputée pour ses reportages en direct sur des manifestations occupant la place de Maïdan.

4.4. Renforcement de l’indépendance des instances de régulation des médias

56. L'organisme chargé de superviser la couverture médiatique des élections doit avoir de l'expérience, des ressources suffisantes, des connaissances, du savoir-faire et un mandat pour superviser le respect des règles. Il doit réagir rapidement en cas de plaintes des candidats, ou à chaque fois qu'il constate une violation, enquêter de façon approfondie sur les violations alléguées et imposer les recours effectifs qui s’imposent lorsque des violations ont eu lieu 
			(30) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2002)023rev2-cor-e'>www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2002)023rev2-cor-e</a>.. Il est important que les sanctions imposées par le régulateur soient proportionnées à la gravité de l'infraction commise par le média incriminé.
57. Dans les États membres, les autorités devraient veiller (tant sur le plan législatif que pratique) à l’indépendance politique et opérationnelle des instances de régulation des médias, conformément aux normes établies par le Conseil de l’Europe 
			(31) 
			<a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=09000016804e0322'>https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=09000016804e0322.</a>. Si ces instances entendent être respectées pour leur indépendance et leur crédibilité, elles doivent faire montre de diversité dans leur composition et compter, entre autres membres, des experts dotés d’une formation et de l’expérience en matière de médias et sélectionnés parmi, entre autres, des organisations de la société civile traitant de la liberté d’expression.
58. Compte tenu des changements dans l’environnement médiatique, la prochaine étape pourrait consister à créer des départements de surveillance des médias, ou à renforcer ceux déjà en place, tant en termes d’allocation de fonds que de formation en analyse quantitative et qualitative des médias.

4.5. Réglementation des contenus en ligne; législation visant à lutter contre le discours de haine et les appels à la violence en ligne

59. Certaines mesures prises par des intermédiaires d’internet pour limiter l’accès à ou la diffusion de contenus numériques, y compris par le biais de processus automatisés tels que des algorithmes ou des systèmes numériques de retrait de contenus fondés sur la reconnaissance numérique, qui ne sont pas transparentes par nature, ne respectent pas les normes de procédure minimales et/ou restreignent de manière excessive l’accès à des contenus ou leur diffusion, peuvent susciter des préoccupations légitimes. La décision d’un État d’ordonner le blocage de sites entiers, d’adresses IP, de ports et de protocoles internet est une mesure extrême qui ne peut être justifiée que dans le cadre strict fixé par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les systèmes de filtrage de contenus imposés par un gouvernement qui ne sont pas contrôlés par l’utilisateur final ne sont pas justifiables en tant que restriction à la liberté d’expression 
			(32) 
			<a href='http://www.osce.org/fom/302796'>www.osce.org/fom/302796</a>.. Ces questions étant traitées dans d’autres rapports en cours, je me limite ici à le rappeler.

4.6. Transparence accrue concernant les propriétaires des médias et prévention des concentrations de médias

60. Pour contrer la désinformation, la manipulation et la propagande, il faut plus d’indépendance; or celle-ci est étroitement liée à la transparence et au pluralisme. Il importe d’accroître encore la transparence de la propriété des médias dans plusieurs États membres, de manière à savoir qui sont les véritables propriétaires. Le fait que des responsables et des partis politiques demeurent propriétaires de médias continue de poser problème dans certains États membres. Si l’introduction de restrictions rigoureuses serait problématique au regard de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, il est essentiel que le public ait conscience de l’influence que les propriétaires de médias peuvent exercer.
61. La transparence aide à réduire les abus d’influence aussi lorsqu’elle est appliquée à la publicité politique. Lorsque les médias acceptent de faire de la publicité politique payante, il convient que toute annonce politique payante, quelle que soit la catégorie de médias, soit directement reconnaissable en tant que telle et que le public puisse connaître le parti ayant sollicité l’achat de l’annonce. Il existe des cas où, pendant des campagnes électorales, des médias ont accepté, contre de l’argent, d’accorder une plus grande attention à certains responsables politiques dans leurs bulletins d’information consacrés à la campagne. Il s’agit de pratiques de corruption qui devraient être sanctionnées par les instances de régulation et les autorités judiciaires compétentes. Par ailleurs, la transparence de la publicité politique doit être assurée aussi hors ligne.
62. Dans un certain nombre d’États membres du Conseil de l’Europe, la monopolisation persistante du marché des médias par de puissants groupes proches du pouvoir politique a privé le public d’une réelle diversité des sources d’information et, par là même, a affaibli les garanties de pluralisme. Cette concentration excessive de la propriété des médias devrait être évitée grâce à des mesures adéquates. Il convient d’utiliser des instruments appropriés pour améliorer la concurrence, inciter les anciens acteurs à assouplir les monopoles de l’information et permettre à de nouveaux acteurs d’entrer sur la scène des médias.

4.7. Surveillance et analyse des médias

63. Durant des élections, la surveillance des médias fournit des critères auxquels se référer pour juger de l’équité du processus électoral. Cette surveillance évalue la conduite des médias au cours des différentes étapes du processus électoral, notamment quant au respect des normes internationales et de la réglementation locale applicables à la couverture des élections. Ainsi est-il possible d’établir si les candidats jouissent d’un accès équitable aux médias pour transmettre leurs messages aux électeurs et si les informations ainsi transmises permettent aux citoyens d’opérer un choix dûment éclairé lors du scrutin. Des données statistiques sur des questions, telles que le temps consacré aux candidats, la couverture médiatique des candidats et autres acteurs politiques majeurs, les analyses de l’impartialité, la portée et la qualité des campagnes d’éducation de l’électorat, la pertinence des informations concernant les élections, etc., servent de base à des analyses.
64. Les résultats de la surveillance montrent comment les médias se comportent et permettent de tenir le public et les candidats informés sur ces questions. Si des failles sont identifiées, une action corrective doit être prise pour améliorer la couverture médiatique ou pour protéger les droits et les libertés des médias. Ainsi la surveillance des médias devrait-elle devenir un processus permanent et solide, tant en termes quantitatifs que qualitatifs, capable de fournir un feedback au secteur et d’assurer le respect des normes professionnelles et éthiques des médias.

4.8. Éducation aux médias et au numérique

65. Il est important que les gens comprennent le danger de la désinformation et de la propagande véhiculées sur internet. Aussi les États membres doivent-ils prendre des mesures pour promouvoir une éducation aux médias et au numérique, notamment en intégrant ces sujets dans les programmes scolaires et en menant auprès de la société civile et autres parties prenantes des actions de sensibilisation sur ces questions 
			(33) 
			<a href='http://www.osce.org/fom/302796'>www.osce.org/fom/302796.</a>.
66. Dans son rapport sur la lutte contre les techniques de désinformation employées par la Russie (Defending and Ultimately Defeating Russia’s Disinformation Techniques), le Centre d'analyse des politiques européennes estime que, pour toucher les publics les plus vulnérables, il faut intégrer l’éducation aux médias dans les programmes de grande écoute au lieu de lui consacrer des émissions d’actualités ou jeux vidéo à part 
			(34) 
			<a href='https://euvsdisinfo.eu/25-ways-of-combatting-propaganda-without-doing-counter-propaganda/'>https://euvsdisinfo.eu/25-ways-of-combatting-propaganda-without-doing-counter-propaganda/.</a>.

4.9. Soutien de la société civile

67. La propagande a pour principal objectif de semer le doute, de déformer la vérité, de diviser les États membres, de manigancer une fracture stratégique entre l’Union européenne et ses partenaires de l’Amérique du Nord et de paralyser le processus décisionnel. Son but est aussi d’affaiblir l’histoire européenne fondée sur les valeurs démocratiques, les droits humains et la primauté du droit. Parce que la propagande vise aussi à tuer le militantisme, il incombe à la société civile d’y résister. Il est important que la société civile identifie et attire l’attention sur les fausses nouvelles, la désinformation et la propagande au moyen de mesures permanentes de vérification factuelle et de surveillance des médias afin d’informer précisément les gens sur l’essence de ces actes de propagande.

5. Conclusions

68. Les États doivent promouvoir un environnement de communication libre, indépendant et pluraliste, qui est essentiel pour lutter contre la désinformation et la propagande et assurer l’effectivité du droit à des élections libres.
69. Dans ce contexte, les pouvoirs publics doivent toujours s’abstenir de toute tentative d’influencer ou de censurer les contenus médiatiques, ou d’intervenir de toute autre manière dans les activités des médias et des journalistes, en sapant l’indépendance des médias. Aucune ingérence dans les activités des journalistes et du personnel des médias ne devrait être tolérée, et toute allégation à cet égard devrait immédiatement donner lieu à une enquête sérieuse; cela est encore plus important durant les périodes électorales.
70. Pour promouvoir le pluralisme, les États doivent veiller à interdire une concentration excessive de la propriété des médias et à imposer la transparence des structures de propriété des médias. La présence de médias de service public forts, indépendants, dotés de ressources suffisantes est à la fois une condition du pluralisme et une garantie que la diversité de la société puisse trouver une place dans un environnement médiatique surpeuplé où au risque de la désinformation et de la manipulation s’ajoute celui d’une pensée majoritaire qui voudrait s’imposer comme pensée unique.
71. Les médias de service public devraient être libres de critiquer les activités ou l’inaction des pouvoirs publics. L’État n’est pas le patron des médias de service public; c’est aux citoyens qu’ils appartiennent, non aux pouvoirs en place, et ils ne doivent subir aucune pression ni représailles pour les informations qu’ils diffusent, pour autant qu’ils respectent leur devoir d’impartialité.
72. Tous les médias devraient éviter de diffuser des informations non vérifiées ou des rumeurs, pour provoquer un scandale ou à des fins de propagande. Si, malgré tout, le message est jugé important, sa diffusion devrait s’accompagner d’un avertissement précisant l’absence de vérification. Il faut distinguer clairement les faits des commentaires et opinions.
73. Il faut renforcer la protection contre le discours de haine et contre la propagande d’État. Cependant la répression est insuffisante. Les États devraient encourager toutes les parties prenantes, y compris les médias, les intermédiaires d’internet, la société civile et le monde universitaire, à développer des initiatives participatives et transparentes pour mieux faire comprendre l’impact de la désinformation et de la propagande sur la démocratie, ainsi que pour trouver des solutions adéquates à ces phénomènes.
74. Une instance de régulation solide est essentielle pour veiller à ce que les médias maintiennent des normes journalistiques. Pour être efficaces, les instances de régulation ont besoin de lignes directrices claires indiquant précisément quand sanctionner les médias pour infraction à la législation régissant le «discours de haine», l’«incitation à la violence» ou autre. Les autorités devraient veiller à l’indépendance politique, opérationnelle et financière des instances de régulation des médias, conformément aux recommandations du Conseil de l’Europe. Pour rehausser la confiance du public dans ses actions, il conviendrait de renforcer le mécanisme de contrôle de la qualité des instances de régulation des médias, notamment par une obligation de publier en ligne des rapports annuels détaillés sur l’ensemble de leurs activités, budgets, décisions et résultats de délibérations. En période de campagne électorale, la mise en place d’une surveillance systématique des médias aiderait les instances de régulation à identifier toute couverture inéquitable et partiale des candidats ainsi qu’à prendre rapidement des mesures correctives.
75. Il conviendrait d’envisager de créer des plates-formes consacrées à la connaissance des médias (discussion, formations, études et réflexion), afin de rehausser le niveau de la profession journalistique et d’en expliquer les aspects «malsains», tels que la propagande. La possibilité d’échanger des expériences par le biais de réseaux de médias et d’associations journalistiques d’envergure internationale, contribuerait à atteindre ces buts.
76. Il est recommandé aux États membres de renforcer la réglementation afin d’assurer que la publicité politique soit au moins aussi transparente en ligne que hors ligne. De plus, les entreprises de technologie devraient contribuer à la lutte contre la désinformation et la propagande en réexaminant les algorithmes qui servent à l’édition des actualités, en désactivant les bots et les faux comptes utilisés à des fins antidémocratiques. Quant aux annonceurs, il est important qu’ils ne financent pas les sites web qui font la promotion du discours de haine, qui diabolisent les personnes LGBT et qui incitent à la violence.
77. Enfin, à côté des mesures d'intervention réglementaires, il faudrait tenir compte de la possibilité de promouvoir des mesures d'autorégulation ou de corégulation. Il est peu probable qu’un système de régulation étroitement contrôlé par le gouvernement soit un gage de pluralisme et de diversité dans les médias. En revanche, un système volontaire offrant de solides garanties juridiques ou constitutionnelles d'indépendance des médias peut encourager le pluralisme et le protéger contre toute ingérence gouvernementale ou politique, et contribuer au développement des compétences et des normes professionnelles.