1. Introduction
1. La désinformation par les médias
n’a rien d’une nouveauté. La nouveauté aujourd’hui, c’est que de vieilles
formes de désinformation et de propagande, décisions éditoriales
y comprises, se combinent à présent à des facteurs d’influence humains
et à des faiseurs d’opinion, au partage viral en ligne et à la création
de contenus automatisés de désinformation
. La question de la
désinformation, de la propagande et d’autres phénomènes connexes
se pose en défi aux Européens. Selon l’Eurobaromètre de mars 2018,
près de 40 % des Européens se trouvent confrontés à de fausses nouvelles
tous les jours ou presque. Plus de 80 % des personnes interrogées
considèrent les fausses nouvelles comme un problème dans leur pays
et pour la démocratie en général, estimant que c’est aux journalistes,
aux autorités nationales, de même qu’à la presse et aux responsables
de la radio-télévision, qu’il incombe de mettre fin à la diffusion
des fausses nouvelles
.
2. Il semble que plusieurs grandes tendances imbriquées entre
elles contribuent à ce défi. En tant que sociétés mais aussi qu’individus,
nous avons assisté à un bouleversement dans notre relation au savoir: désormais,
les notions courantes d’objectivité et de «vérité» n’ont plus priorité
dans les débats publics. À cela s’ajoute un changement culturel
marqué par une défiance vis-à-vis des élites et des institutions,
soient-elles politiques, journalistiques ou scientifiques. Plus
généralement, apparaissent en permanence des cas de profond mécontentement
à l’égard des acteurs, des systèmes et des structures politiques
en place. L’environnement économique des paysages médiatiques et
de communication est le siège d’une concurrence féroce. La technologie
a favorisé une fragmentation du public des médias et a créé des
habitudes d’information basées sur des algorithmes, une micro-segmentation
et le partage de contenus viraux parmi des utilisateurs de même
sensibilité et des groupes fermés
.
Ensemble, tous ces développements se sont traduits par le «désordre
informationnel», notamment par une désinformation latente, mais
aussi par une tendance croissante à la «capture de l’information
et des médias» (où la liberté de la presse se voit insidieusement restreinte
par des acteurs politiques et commerciaux)
.
3. La Déclaration conjointe sur la liberté d’expression et les
«fausses nouvelles», la désinformation et la propagande de mars
2017, adoptée par des Rapporteurs spéciaux de plusieurs instances intergouvernementales
, le rapport sur
“Information
Disorder: Toward an interdisciplinary framework for research and
policy making” («Chaos informationnel: vers un cadre interdisciplinaire
pour la recherche et l’élaboration de politiques») commandité par
le Conseil de l’Europe et le
rapport
du Groupe d’experts de haut niveau de la Commission européenne (HLEG) sur les fausses informations et la désinformation en
ligne reconnaissent tous la nécessité d’écosystèmes médiatiques
robustes et variés et, à cet égard et reconnaissent le rôle des
médias de service public. Dans la Déclaration conjointe, il est
noté que des médias de service public indépendants et dotés de ressources
suffisantes, qui fonctionnent dans le cadre d’un mandat public clair
pour un journalisme de qualité, sont essentiels pour la liberté
d’expression. Selon le rapport commandité par le Conseil de l’Europe,
le soutien des organismes médiatiques de service public et de la
presse locale, de même que le soutien d’initiatives de journalisme
de qualité aux niveaux local, régional et national, doit être une priorité
. Quant au rapport de la Commission
européenne, il part du principe que les objectifs généraux de l’Union
européenne consistent à accroître la résilience à long terme des
citoyens, des communautés, des organisations de presse, des États
membres et de l’Union européenne en général; ainsi qu’à toujours
relever les multiples défis de la désinformation par des mesures
d’actualité et adéquates. À ces fins, il convient, entre autres,
de soutenir les médias de services publics manifestement indépendants
qui peuvent contribuer à produire des informations de qualité, à
contrer la désinformation et à accroître la maîtrise des médias
et de l’information (chapitre 3).
4. Le principal objectif de ce rapport est de mettre en lumière
quelques activités essentielles et quelques «bonnes pratiques» inédites
rencontrées dans des organismes de médias de service public: comment
s’y prennent-ils pour offrir des contenus de qualité et pour contrer
les différentes formes de désinformation en informant et en éduquant
le public? Dans un premier temps, le rapport tente de définir la
désinformation et les contextes institutionnels du service public
(chapitre 2). Ensuite, il fait ressortir une variété d’exemples
sur les manières dont les médias de service public peuvent agir
comme antidote à la désinformation (chapitre 3).
5. Mon analyse de ces questions se fonde essentiellement sur
le rapport d’expert élaboré par Mme Minna Aslama
Horowitz
,
que je remercie chaleureusement pour son excellent travail. Je m’appuie
également sur divers instruments normatifs du Conseil de l’Europe
, et j’ai pris
en compte la contribution d’autres experts
et de plusieurs membres de la
commission, ainsi que ma visite d’information à la BBC, à Londres,
le 25 octobre 2018.
2. Désordre informationnel et médias
de service public
2.1. Définitions: de «fausses nouvelles»
au désordre informationnel
6. Il y a consensus
sur le fait que le terme «fausses
nouvelles» ne doit pas être utilisé. En effet, les défis à relever
dans le paysage médiatique actuel sont nombreux; or, l’expression
«fausses nouvelles» ne reflète pas comme il convient cette complexité.
En outre, le mot «nouvelles» doit avoir une connotation factuelle. Enfin,
le terme «fausses nouvelles» s’est vu beaucoup trop politisé pour
être utile dans un travail analytique et d’intérêt stratégique.
7. Le présent rapport utilise la terminologie du rapport ci-dessus
mentionné du Conseil de l’Europe sur le désordre informationnel.
L’expression «désordre informationnel» renvoie à la série complexe
des facteurs contribuant à construire des contenus faux et à leur
impact. Ce désordre est créé
à partir de faits décontextualisés, de sauts de logique et de contre-vérités
répétitives. Son impact provient du fait qu’il touche de nombreux
sites différents et, apparemment, à partir de nombreuses sources
différentes, y compris des organes d’information traditionnels.
Cela donne au grand public l’illusion d’une fluidité qui rend l’incroyable crédible.
Selon le rapport susmentionné, le désordre informationnel recouvre
trois grandes catégories: la désinformation, fausse et créée délibérément
pour nuire à une personne, à un groupe social, à une organisation
ou à un pays (dis-information);
la fausse information créée sans l'intention de causer un préjudice (mis-information); et l’information
basée sur la réalité, utilisée pour infliger un préjudice à une
personne, à une organisation ou à un pays (mal-information).
L’un des effets premiers du désordre informationnel est l’érosion de
la confiance dans les médias. Le grand public est souvent perdu
entre des informations exactes et la désinformation et cela peut
sérieusement porter atteinte à la notion de vérité et saper la confiance
dans la société démocratique tout entière.
2.2. Définitions et pratiques des radiodiffuseurs/médias
de service public: principes normatifs et multiples variations
8. Dans le contexte européen,
la radiodiffusion de service public (RSP) et sa version multiplateforme numérique,
les médias de service public (MSP), sont des institutions centrales
dans nombre de sociétés. Les caractéristiques normatives attribuées
à la RSP et aux MSP par les principales parties prenantes paraissent plutôt
uniformes: l’Union européenne de radio-télévision (UER), la Public
Media Alliance (PMA) (l’organisation mondiale de défense des médias
publics), de même que le Conseil de l’Europe et l’Organisation des
Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO),
font référence aux principales caractéristiques suivantes:
- par radiodiffusion de service
public et par médias de service public, l’on entend la radiodiffusion
et les services connexes déployés, financés et contrôlés par le
public et pour le public. Ils sont souvent établis par la loi et
sont impartiaux et indépendants et fonctionnent dans l’intérêt de
la société en général;
- ils ne sont ni commerciaux ni propriété de l’État, mais
sont libres de toute ingérence politique et de toute pression de
la part de forces commerciales;
- leur production est conçue pour informer, éduquer et divertir
tous les publics;
- ils sont universels en termes de contenu et d’accès;
- ils sont garants d’une exactitude et de normes journalistiques
élevées, et aussi d’une excellence de la radiodiffusion;
- ils rehaussent la citoyenneté sociale, politique et culturelle,
ils promeuvent la diversité ainsi que la cohésion sociale et, enfin,
ils servent une démocratie éclairée (le Conseil de l’Europe a noté
que ces principes s’appliquent quels que soient les changements
à introduire pour répondre aux exigences du XXIe siècle);
- en outre, l’UER mentionne l’innovation parmi ses valeurs
MSP fondamentales, notamment la créativité en termes de formats
et de technologies, ainsi que l’interaction avec le public .
9. En réalité, les organismes RSP/MSP en Europe sont assez variés
en termes d’arrangements institutionnels, de portée et de budgets
. Les RSP/MSP sont des
projets nationaux. Voici ce que révèle une étude récente menée dans
neuf pays: en Suisse, en Allemagne et au Royaume-Uni, les MSP dominent
le marché de l’audiovisuel. En revanche, l’Ukraine, la Roumanie,
le Portugal et l’Italie connaissent une forte concurrence où, à
elles deux, la télévision publique et la radio publique représentent
moins de 20 % de leurs marchés respectifs
.
10. En Europe, les configurations institutionnelles sont très
variables, depuis une BBC multi-chaînes, multiplateforme, multi-projets
mondialement présente – souvent considérée comme le modèle de référence pour
la radiodiffusion de service public – jusqu’à des organismes indépendants
multiples, définis par l’histoire politico-religieuse – qui composent
le système de radiodiffusion publique aux Pays-Bas – et jusqu’à
des radiodiffuseurs publics assez récemment établis dans la région
des Balkans, et qui revêtent encore parfois des caractéristiques
de leurs prédécesseurs, les médias d’État
. Ainsi, en Bulgarie,
Croatie, Roumanie et la République slovaque, les structures de régulation
et de gouvernance n’ont pas radicalement libéré les opérateurs de
service public du contrôle gouvernemental et politique
. Étant donné leur préférence
croissante pour un financement généré par le contribuable, les gouvernements
jouissent d’une plus grande influence budgétaire, ce qui, dans certains
cas, peut se traduire et s’est traduit par un plus grand contrôle
étatique des contenus ou par des possibilités moindres de s’opposer
à des menaces telles que désinformation et propagande
. Au vu de certains
faits, il semble que les MSP de droit puissent aussi servir à propager
des contenus frôlant la désinformation
.
11. Autre défi: la relation entre la radiodiffusion de service
public et les médias de service public multiplateformes. Le Conseil
de l’Europe a adopté sur les MSP une vision large, tant pour leur
programmation que pour leurs plateformes. Il a conclu que les RSP
doivent être en mesure de diversifier leurs services via, par exemple,
des services à la demande et basés sur l’internet, et il a appelé
les MSP à répondre aux attentes du public qui, étant donné les progrès
du numérique, veut désormais bénéficier d’un meilleur choix et d’un meilleur
contrôle. Cette vision large sur les MSP, l’Union européenne l’a
pareillement adoptée
. Reste
que, dès les débuts de la numérisation, plusieurs pays européens
ont réagi de différentes manières
:
un examen global des radiodiffuseurs (ceux administrés par l’État
et ceux de service public) fait apparaître une variété d’orientations
de par le monde
. Encore aujourd’hui,
en raison des pressions commerciales au sein des marchés des médias,
même dans des pays où les MSP sont bien établis (Danemark, Finlande
et Suède, par exemple), les MSP subissent les critiques de concurrents
commerciaux les accusant de créer une distorsion du marché, tout
particulièrement sur le marché des nouvelles numériques
. En résumé, les directives institutionnelles
européennes sont larges et les réalisations européennes des MSP
sont variées, en termes de portée et de ressources mais aussi de
pressions politiques/commerciales et d’étendue des contenus et services
numériques. En particulier, les problèmes causés par des intérêts
politiques semblent se multiplier.
3. Comment les médias de service public
s’y prennent pour contrer la désinformation: exemples
12. Les défis que pose le désordre
informationnel ont été commentés et traités par des organes de presse et,
en particulier, par des radiodiffuseurs publics. Depuis les conséquences
du vote sur le Brexit au Royaume-Uni, les élections présidentielles
de 2016 aux États-Unis et les allégations d’ingérences et de mauvais
usage des données, les rédactions n’ont eu cesse de rendre compte
de ces phénomènes, mais aussi des affaires européennes et des réponses
gouvernementales. Pour lutter contre la désinformation, les organismes médiatiques
de service public ne se sont pas contentés de rapporter l’actualité.
Selon l’étude 2017 réalisée auprès de 21 membres de l’UER, tous
les participants ont estimé que s’attaquer aux «fausses nouvelles»
était hautement ou moyennement prioritaire; plus de la moitié d’entre
eux planifiaient des activités, et la moitié participait à une initiative
mondiale ou locale de vérification des faits ou envisageait d’y
participer. Plus de la moitié des organismes considéraient que l’UER
pourrait lancer une initiative de ce type
. Ci-après
figurent des exemples de projets de vérification des faits et d’autres
activités visant à lutter contre la désinformation, depuis les contenus
de qualité jusqu’à la sensibilisation des jeunes publics via une
multiplicité de moyens et plateformes.
3.1. Fournir des pratiques de communication
innovantes et de qualité
3.1.1. Programmation engageante et de qualité
13. L’Union européenne de radio-télévision
a relevé le défi du numérique avec le projet Vision 2020, créé en
2014
. Ce projet s’attache aux changements
apportés par la technologie numérique dans divers secteurs de l’audiovisuel.
À partir de cette représentation et de nouvelles recherches sur
les enjeux de la numérisation et du journalisme
, l’UER a défini le
«journalisme de qualité» comme l’une de ses priorités stratégiques.
Via son Département Médias, l’UER a lancé une initiative visant
à positionner les MSP en tant que source de nouvelles la plus sûre,
mais aussi pour proposer ces informations sous diverses formes à
tous les publics
.
14. Proposer des nouvelles de qualité est une stratégie commune
à de nombreux organismes MSP, mais nécessite une compréhension approfondie
et concrète de la «qualité». Une récente conférence multipartite
sur les médias de service public en Slovénie organisée par le radiodiffuseur
national a fait ressortir le réel intérêt des MSP dans les petits
pays. Les MSP ont été décrits comme étant l’une des rares institutions
médiatiques stables à devoir lutter contre la manipulation et à
fournir aux citoyens des informations crédibles. En Finlande, la
nouvelle (2018) académie de journalisme de la radiodiffusion de
service public (Yle) privilégie un journalisme de qualité et sa
capacité potentielle à contrer le désordre informationnel de l’Yle.
À l’heure actuelle, parmi ses principales activités et avec l’aide
des différentes unités de l’Yle, l’académie applique un processus
stratégique majeur consistant à définir des principes qualité: les
caractéristiques du journalisme de l’Yle ainsi que des critères
de qualité spécifiques à différentes unités.
15. De même, l’intégrité éditoriale est-elle essentielle dans
le cadre d’une radiodiffusion publique tournée vers les jeunes:
à la radio-télévision croate, le débat politique «Nedeljom u 2»
est extrêmement populaire car il sait se préserver de toute pression
politique. D’autres formes de contenu peuvent favoriser qualité
et engagement. En Serbie, la radio-télévision a lancé dès 2009 sa
chaîne numérique expérimentale «RTS Digital» (aujourd’hui devenue
«RTS 3») consacrée à la culture et aux arts. Bien que peu populaire,
la chaîne était importante pour le développement interne de RTS:
elle offrait l’antenne à ces sujets absents. En octobre 2017, durant
la semaine du public, l’émission suisse «Hallo SRF!» a lancé une
expérience intéressante de participation du public: 50 citoyens
ordinaires étaient invités à prendre part à la production des programmes
.
16. Conformément aux lignes directrices rédactionnelles de la
BBC, BBC News s’engage à atteindre les normes les plus élevées d’exactitude
et d’impartialité et à être rigoureuse dans l’établissement de la
vérité des faits. Pleinement engagée pour lutter contre la désinformation,
la BBC étend actuellement ses projets à l’échelle mondiale, notamment
sur des marchés bruyants et chaotiques comme l’Inde et l’Afrique.
L’ambition de la compagnie est de faire régner la confiance dans
les nouvelles et les actualités diffusées par un radiodiffuseur
de service public dans des pays où les médias ne sont pas fiables.
17. Au cœur de toutes les nouvelles de qualité, il y a une tension
constante entre, d’une part, la façon de penser rapide et instinctive
des journalistes, qui aboutit à la diffusion des sujets rapidement
sur les ondes et, d’autre part, une réflexion lente, délibérative
et analytique, qui garantit que les informations sont vérifiées, contextualisées
et impartiales. C’est pourquoi les journalistes de la BBC parlent
aujourd’hui de l’importance de la «lenteur des nouvelles», des nouvelles
qui ont plus de profondeur – qui comportent des données, des enquêtes,
des analyses et une expertise –, ce qui fournit un contexte et un
sens aux nouvelles. Ils respectent des normes éditoriales élevées
en vérifiant constamment leurs sources et se rendent compte qu’à
une époque où toute erreur est considérée comme la preuve d’une
intention d’induire en erreur, les journalistes professionnels doivent
redoubler d’efforts pour fournir au public des informations précises
et fiables.
18. Quant aux «nouvelles rapides», aux instantanés et aux contenus
générés par l’utilisateur plus généralement, diffusés via les médias
sociaux, il ne fait aucun doute que cette façon de diffuser des informations
a révolutionné la manière dont le grand public fait l’expérience
des grands événements médiatiques. Les compagnies comme la BBC ont
largement recours à ces matériels dans la mesure où les informations
peuvent être vérifiées. Mais les journalistes sont conscients que
ces instantanés ne font que capturer une partie de la réalité, alors
qu’ils ont pour ambition de couvrir toute la réalité, en révélant
les causes tout comme les effets et en aidant le public à découvrir
non seulement les faits, mais
aussi les raisons et l’importance de tout cela.
3.1.2. Balisage en ligne, applis et autres
solutions technologiques
19. Le balisage pour la présence
en ligne et mobile est un autre élément essentiel de l’innovation.
Pourtant évidente, cette solution ne va pas sans poser certains
problèmes. Selon une récente étude (2018) auprès de Yle (Finlande),
France Télévisions et Radio France (France), ARD et ZDF (Allemagne),
RAI (Italie), Polskie Radio (Pologne) et BBC (Royaume-Uni), les
organismes MSP connaissent quelques tensions entre leurs priorités
stratégiques, leur mission et leurs impératifs organisationnels et
ceux des sociétés plateformes commerciales. Mais ils considèrent
aussi les médias sociaux comme un moyen important d’accroître leur portée,
surtout auprès des jeunes et autres publics difficiles à toucher
.
20. En général, inclure les services de médias mobiles et sociaux
aux nouvelles favorise l’engagement. Ainsi, en Allemagne, «Tagesschau»,
le principal programme d’actualités diffusé sur la chaîne ARD, possède sa
propre application
, celle-ci permettant
de résumer les nouvelles en 100 secondes
. Le programme utilise Instagram
pour une communication vidéo de haute qualité sur des reportages
d’actualités
. Toujours sur la chaîne
ARD, “#kurzerklärt” (#explication brève) est une série vidéo diffusée
sur le site web du journal télévisé (Tagesschau) pour donner des
explications brèves et claires sur des sujets d’actualité complexes
. Un autre exemple est
l’application HRTi en Croatie pour toute la production de la chaîne
HRT. Au Kosovo, la chaîne RTK a développé une page web populaire
(rtklive.com), d’une conception moderne, et de nombreux Albanais vivant
en dehors du Kosovo en font leur première source d’information.
21. D’autres solutions technologiques sont utilisées pour renforcer
la participation et la qualité. NXG, le projet de prochaine génération
mené par la radio suédoise (SR), est une télécommande intelligente
qui transporte l’audio sur des réseaux standard au seul moyen d’un
smartphone ou d’une tablette
. Avec ce puissant protocole
de contrôle à distance et avec une connexion réseau suffisante,
NXG permet de diffuser une émission de radio de n’importe où. La
solution de production à distance NXG a remporté le prix
EBU Technology & Innovation 2017.
3.2. Encourager une réflexion critique
sur le désordre informationnel
22. Dans le contexte de la désinformation
et de la propagande, de nombreux MSP ne se contentent pas seulement
de vérifier la réalité des faits et de dénoncer les histoires fausses,
mais ils montrent également comment des faits peuvent être manipulés
et comment les statistiques peuvent être utilisées à mauvais escient pour
créer des perspectives erronées et trompeuses. Il existe une multitude
d’exemples d’organismes MSP qui éduquent les utilisateurs sur les
dimensions et la portée du désordre informationnel. Par exemple,
la RTVE espagnole a diffusé le documentaire «Guerra a la Mentira»
illustrant l’utilisation
de la technologie pour lutter contre la propagande de guerre et
pour mettre fin à l’impunité des criminels de guerre. Le «RTVE Lab»
propose une version interactive du documentaire
. Dans l’organisme
finlandais de radiodiffusion
Yle,
un jeune reporter a créé une série à financement collectif sur des
activités de «trolling» en ligne russes menées en Finlande
. En Allemagne, «Deutsche
Welle» consacre une page web spéciale et fort détaillée à la question
des «fausses nouvelles»
.
23. Des initiatives spécifiques de vérification des faits permettent
à la fois de contrôler les informations et de favoriser une prise
de conscience. Le service «Reality Check» est le principal service
de vérification des faits de la BBC, qui fonctionne aussi bien à
la télévision, à la radio, sur le site internet et via les médias
sociaux. Ce service vise à contrer les fausses nouvelles et conteste
les déclarations faites par des personnalités et institutions publiques
qui peuvent être fausses ou trompeuses, et il présente à leur place
des faits vérifiables, fournissant également le contexte réel, ce
qui change souvent tout le sens d’une histoire. Une équipe de journalistes
se consacre spécifiquement à expliquer les faits au-delà des nouvelles
et à réfuter les gros titres trompeurs. La BBC a également l’intention
de mettre en place, en s'appuyant sur le personnel de tous les secteurs,
un réseau d’experts, c’est-à-dire une cellule de renseignement au
sein de son «World Service», ainsi que d’investir davantage dans
le journalisme de données.
24. La société de radio et de télévision danoise diffuse chaque
semaine des vidéos de vérification des faits sur la politique
. Quant aux unités allemandes de
radiodiffusion de service public, elles hébergent de nombreuses
initiatives. Ainsi, la chaîne BR possède une équipe appelée «BR
Verifikation». «#ZDFcheck17» est une initiative de vérification
des faits destinée à contrer les fausses nouvelles qui circulent
sur les médias sociaux
. «Faktenfinder», site de vérification
des faits hébergé par ARD, fournit des contenus spécialisés sur diverses
formes de désinformation, expliquant comment y faire face et proposant
des tutoriels sur la manière de les reconnaître: le projet vise
à lutter contre la défiance grandissante à l’égard des médias
.
3.3. Développer une communication en ligne
ciblée avec les jeunes
3.3.1. Comprendre le journalisme
25. Culture médiatique et éducation
aux médias pour les jeunes sont un souci constant de nombreux radiodiffuseurs
de service public. Certains, tels RTBF en Belgique, appliquent une
politique spéciale en matière de culture médiatique; objectif de
leur stratégie officielle, en vigueur depuis 2014: aider le public
à accéder à n’importe quel type de plateforme, à l’utiliser et à
pouvoir analyser et trier toutes sortes d’informations quelle qu’en
soit la provenance – presse, radio, télévision, films, internet
et médias sociaux. La stratégie a donné naissance aux projets «RTBF
Inside» et «RTBF Lab». «RTBF Inside» propose au public des parcours thématiques
qui mettent en lumière les étapes de la fabrication des contenus
radio, TV et web, ainsi que les métiers de l’audiovisuel
. Quant aux ateliers interactifs
«RTBF Lab», ils proposent des activités expérimentales autour de
la production de nouvelles (radio, TV et web)
.
26. Pour aider à comprendre le désordre informationnel actuel,
certains organismes MSP ont développé différentes boîtes à outils.
Ainsi, «France TV Éducation» offre une série de vidéos sur le phénomène
tandis qu’en Suisse, «SRF My School»
a publié un module éducatif consacré au «fausses nouvelles»
. D’autres organismes
privilégient la nature même du journalisme de qualité, la recherche
des faits et la confiance, abordant l’éducation aux médias et à
l’information selon une approche globale.
27. En Finlande, le projet «Uutisluokka» (catégorie Nouvelles)
de l’
Yle permet à des étudiants
de fabriquer leur propre journal d’actualités aux côtés de journalistes
professionnels. Les tuteurs, tous journalistes de la
Yle, aident les étudiants à trouver
des idées de récits d’actualités et à produire leur propre journal
d’actualités et enseignent les principes du bon journalisme. Le
projet organise également dans les écoles des ateliers vidéo sur
les nouvelles
.
28. Des journalistes de la BBC ont dispensé auprès de mille écoles
un service de tutorat sous différentes formes – en face à face,
en ligne ou dans le cadre d’événements collectifs. Toutes les écoles
bénéficient d’un accès gratuit à des supports en ligne – activités
de classe, tutoriels vidéo et «BBC iReporter»
. Ce jeu interactif permet aux joueurs
de se mettre dans la peau d’un journaliste de la BBC au cœur d’une
rédaction. BBC iReporter fait vivre au joueur une expérience en
immersion dans une rédaction, où il doit faire face aux pressions
et à la rapidité nécessaires pour couvrir une actualité de dernière
minute, tout en maintenant une précision, un impact et une vitesse
impeccables et en naviguant à travers les différents pièges tendus
par des éléments potentiels de désinformation. Le jeu permet aux
élèves d’explorer et de discuter de l’importance de la vérification
des sources, des sources auxquelles on peut faire confiance ou non,
d’identifier les fausses histoires en développant leur sens critique
et leurs compétences en matière d’éducation aux médias, et en comprenant
les avantages et les pièges de l’utilisation des médias sociaux
pour rassembler des informations.
3.3.2. Questions d’actualité qui intéressent
le public cible via une présence multiplateforme
29. Il semble qu’une présence en
ligne, notamment sur les médias sociaux mobiles, soit la solution
idéale pour toucher les publics jeunes – réel enjeu pour de nombreux
organismes MSP
.
Par exemple, «Yle Kioski», plateforme de contenus pour les jeunes
du radiodiffuseur public finlandais, offre des contenus sur son
site web, mais aussi sur différents médias sociaux (Instagram, Snapchat
et Twitter) et en streaming via «Areena», la plateforme de l’Yle.
30. En Allemagne, des radiodiffuseurs publics proposent aux jeunes
un éventail de contenus particulièrement vaste. Côté actualité politique
et à l’occasion des élections allemandes, «Deutschlandfunk Nova»
a créé en 2017 une série d’interviews non conventionnelles, «Ich
würde nie», à l’intention des jeunes électeurs, abordant des sujets
politiques intéressant de près ce groupe d’âge
. La station de radio «DASDING»,
dirigée par le radiodiffuseur SWR, privilégie les nouvelles locales
et les jeunes publics, dans le but d’accroître la participation
par des commentaires ou des votes via Whatsapp sur tels ou tels
aspects du programme
. De plus, la station de radio numérique
«Deutschlandfunk Nova», destinée aux jeunes publics, a enrichi ses
offres éditoriales d’un nouveau programme de fin de soirée: «Ab
21» (21+). Ce programme fait davantage de place à la création pour
des sujets qui intéressent les jeunes, mais avec des contenus créés
et présentés selon les normes de qualité de Deutschlandradio
. En 2016, les chaînes allemandes
ARD et ZDF ont lancé «Funk», plateforme de contenus de vidéo numérique.
Le projet publie des vidéos critiques de divertissement et d’information
sur plus de 60 chaînes. Elles sont visibles sur YouTube, Facebook,
Instagram et Snapchat, mais aussi sur la plateforme funk.net. L’un
des principaux objectifs de Funk est non seulement de fournir des
contenus, mais aussi de stimuler la participation du public: les
spectateurs sont invités à faire part de leurs idées et commentaires
sur les contenus, mais aussi à soulever critiques et questions
.
3.3.3. Attirer un public jeune grâce à la
fiction
31. La radiotélévision de Vojvodine,
province du nord de la Serbie, a produit une émission satirique, «Državni
posao» (emploi de fonctionnaire), très populaire en particulier
sur les médias sociaux, sa chaîne YouTube comptant plus d’abonnés
que n’importe quel radiodiffuseur public de la région. En Finlande
en 2016, la série dramatique «#sekasin» (#messedup)
– produit d’une collaboration entre les chaînes de Yle avec des organisations de la
société civile travaillant dans le secteur de la santé mentale –
a remporté un réel succès, grâce surtout à son service connexe:
un dialogue (chat) en direct
avec des professionnels de la santé mentale, suivi par un public
nombreux.
32. En Norvège, la série web «Skam» (
Shame,
2015-2017) diffusée par le radiodiffuseur de service public NRK
est peut-être actuellement le programme pour jeunes le plus connu
et apprécié. La série suit un groupe d’amis qui fréquente le lycée
Hartvig Nissen à Oslo, la capitale. Chaque saison correspond à un
trimestre scolaire d’environ 12 semaines et s’attache tour à tour
à différents personnages du groupe, en particulier à l’occasion
de leurs disputes et conflits liés à toutes sortes de motifs – pression
des pairs, abus sexuels, maladie mentale, homosexualité et religion.
Chaque personnage (fictif) possède un compte de médias sociaux qui facilite
la conversation et le dialogue entre les épisodes. Un public international
d’adeptes, composé entre autres de comptes YouTube et Twitter dirigés
par des fans, suit fidèlement ces aventures
. La série, qu’on croirait
faite pour les médias sociaux («built for social»), a été achetée
pour un remake en anglais à diffuser sur la plateforme Facebook
Watch
.
3.3.4. Portée mondiale: le cas de la BBC
33. Compte tenu de ses ressources
humaines et budgétaires ainsi que de son excellente réputation et
de ses normes professionnelles très élevées, la BBC a aujourd’hui
pour ambition de devenir le leader mondial dans la lutte contre
la désinformation et la propagande. La BBC met plus particulièrement
l’accent sur la sensibilisation au niveau mondial concernant le
phénomène du désordre informationnel et la nécessité de coopérer
étroitement entre divers médias d’information dans le domaine de
la vérification des faits et de l’éducation aux médias.
34. Au fur et à mesure de l’émergence du désordre informationnel,
la BBC a étendu à davantage de régions du monde son service de vérification
des faits «Reality Check» pour inclure les nouvelles mondiales et
les questions d’audience. Cela est particulièrement utile dans la
perspective des prochaines grandes élections en Inde et au Nigéria
en 2019. La surveillance et l’analyse des déclarations de personnalités
et partis politiques constituent une fonction de chien de garde
indispensable lors des campagnes électorales. Au-delà des élections,
la vérification de nouvelles et la distribution d’informations fiables
de qualité sont cruciales, notamment dans le contexte indien, où
de fausses rumeurs se répandant à travers des groupes fermés cryptés comme
WhatsApp conduisent à la peur des enlèvements d’enfants, des meurtres
de rue, etc. Les professionnels de la BBC partagent leur expertise
des enquêtes avec des partenaires en Inde et en Afrique, y compris
en proposant une formation aux journalistes locaux en matière de
techniques de vérification.
35. BBC Monitoring est un autre service qui fait un suivi des
médias dans le monde entier et s’occupe entre autres choses d’enquêter
sur la désinformation et la propagande au niveau mondial; cela inclut
le signalement de diverses tendances et des fausses nouvelles. Basé
à Londres, il dispose de bureaux à l’étranger. BBC Monitoring sélectionne
et traduit des informations de la radio, de la télévision, de la
presse, des agences de presse et d’internet provenant d’environ
150 pays dans plus de 100 langues.
36. De même, la BBC étend ses programmes d’éducation aux médias
bien au-delà du Royaume-Uni, notamment dans six régions différentes
de l’Inde. Elle se fonde sur le travail qui a déjà été réalisé par
l’émission School Report «Real News» au Royaume-Uni, en développant
des matériels qui peuvent être déployés au niveau mondial – à travers
des ateliers et des ressources en ligne pouvant être utilisées comme
matériels dans les salles de classe – pour aider les jeunes à comprendre
ce qu’est la désinformation et comment la distinguer des informations
fiables.
3.4. Collaborations
37. Pour plusieurs radiodiffuseurs
de service public, la stratégie consiste à collaborer avec d’autres fournisseurs
de nouvelles ainsi qu’avec des vérificateurs de faits indépendants.
En Autriche, la chaîne ORF collabore avec des partenaires par l’entremise
de l’Agence de presse autrichienne (APA), dont elle-même et la majorité
des journaux quotidiens sont actionnaires
. D’autres radiodiffuseurs
de service public, tels BR en Allemagne et RAI en Italie, utilisent
l’extension de navigateur «FactFox», outil qui gère les commentaires
des utilisateurs et y répond. BR se sert de l’outil pour identifier
les fausses informations
. De son côté, pour
ses programmes d’informations, la RAI recourt souvent à des organismes
de vérification des faits afin de présenter les enquêtes et les
données relatives à certains «faits»
.
38. En Norvège,
Faktisk.no,
organisation indépendante de vérification des faits, appartient
aux sociétés de médias VG, Dagbladet et TV 2 et au radiodiffuseur
public NRK
. Suivant ce modèle, la télévision
suédoise (SVT) et la radio suédoise (SR), ainsi que les deux plus
grands quotidiens,
Dagens Nyheter et
Svenska Dagbladet, ont lancé un
projet de collaboration sur des méthodes de vérification des faits
et de diffusion des nouvelles durant le mouvement électoral. Le
projet devrait durer jusqu’en décembre 2018. Ensemble, les parties
prenantes ont déjà organisé un programme de formation à l’intention
des journalistes. Les participants collaborent à la méthode de vérification
des faits basée sur les directives du réseau IFCN (International
Fact Checking Network).
39. Peut-être la collaboration multipartite la plus connue est
First Draft, projet basé à l’université de Harvard. Parmi plus de
40 membres, le projet compte des médias commerciaux et publics du
monde entier (par exemple, ADF, BBC, France Télévisions, ZDF, Deutsche
Welle et Eurovision), des organisations de journalisme à but non
lucratif (
Global Voices et
ProPublica, par exemple) et des
plateformes de médias sociaux (Facebook, Twitter, etc.)
. Outre ses efforts
de vérification collaborative des faits – tout particulièrement
à l’occasion des élections françaises, avec un projet nommé
CrossCheck – et ses contributions
à des analyses des phénomènes complexes liés au désordre informationnel
(y compris le rapport au Conseil de l’Europe susmentionné), la plus
récente intervention du projet s’est traduite par un cours en ligne
gratuit pour journalistes et grand public sur l’identification de
la désinformation
.
40. Les efforts de l’UER en faveur d’une programmation de qualité,
de l’innovation et de la culture médiatique
se traduisent, nature
de l’organisation oblige, par des collaborations. Outre ses activités centrales
(par exemple,
Eurovision News Exchange ), ces collaborations concernent
de multiples aspects et domaines – innovation commerciale, notamment
en matière de mégadonnées (
big data)
, formation et boîtes à outils pour
les journalistes, ateliers et autres événements, recherche et, enfin,
défense de politiques spécifiques en faveur de médias de qualité
à même de contrer la désinformation
. Parmi de récents projets, à citer
des initiatives innovantes de vérification collaborative des faits
et de gouvernance collaborative. En 2017, l’UER a créé un système
coopératif de vérification des contenus générés par les utilisateurs,
système qui fonctionne en réseau avec de multiples rédactions membres,
mais aussi avec d’autres partenaires de nouvelles de qualité, ce
qui permet de décentraliser le processus de vérification des faits
. Une nouvelle initiative collaborative
visant à lutter contre la désinformation en ligne, la Journalism
Trust Initiative (JTI), a été lancée en avril 2018 par l’UER, ainsi
que par les Reporters sans frontières (RSF), l’Agence France Presse (AFP)
et le Global Editors Network (GEN). La JTI a pour but de promouvoir
le journalisme par l’adhésion à un ensemble de normes de confiance
et de transparence qui restent à élaborer et à mettre en œuvre.
Ces normes seront établies dans le cadre de l’accord dit «Workshop
Agreement», processus concerté sous l’égide du Centre européen de
normalisation, ouvert à compter d’avril 2018 aux acteurs concernés
du secteur: sociétés de médias, associations et syndicats professionnels,
instances d’autorégulation comme les conseils de presse et les organismes
de régulation, ainsi que plateformes numériques, annonceurs et représentants
des intérêts des consommateurs
. Fin avril 2018, l’UER a publié
son propre «Document d’orientation «Fausses nouvelles» et désordre
informationnel», prônant une approche globale et multipartite du
phénomène
.
41. Enfin, des collaborations d’un type différent peuvent aussi
être utiles: les plateformes de médias sociaux souhaiteront peut-être
investir dans des projets d’éducation aux médias développés par
certains MSP. Un exemple concret d’une telle collaboration est celui
du projet de recherche de la BBC concernant le problème de la désinformation
en Inde. Compte tenu de la gravité de cette question dans ce pays,
en particulier pendant la période précédant les élections en 2019,
Google et Twitter ont soutenu financièrement le projet de recherche de
la BBC visant à comprendre la psychologie des personnes qui font
circuler la désinformation, synchronisant ensuite cela avec l’analyse
des réseaux et fournissant une compréhension globale de la chaîne
complète de la désinformation: messages, acteurs et technologies.
Cet exemple montre que les géants de la technologie veulent aussi
trouver des solutions efficaces au désordre informationnel et peuvent
coopérer de manière utile avec les MSP, et éventuellement d’autres
acteurs.
4. Conclusion
42. Bien que les documents d’orientation
multipartites cités dans ce rapport reconnaissent le rôle clé des médias
de service public, ils ne donnent pas de recommandations spécifiques
pour les MSP. Les principales actions du Groupe d’experts de haut
niveau mis en place par l’Union européenne consisteront à améliorer
la
transparence des nouvelles
en ligne, à promouvoir la maîtrise des médias et de l’information
afin de contrer la désinformation, à développer des outils au service
des utilisateurs et des journalistes, à s’attaquer à la désinformation
et à favoriser un engagement positif avec des technologies de l’information
en rapide évolution, à protéger la diversité et la pérennité de
l’écosystème des médias d’information européens et, enfin, à promouvoir
une recherche permanente sur l’impact de la désinformation en Europe
afin d’évaluer les mesures prises
. Cette liste
pourrait être poursuivie en faisant appel à un journalisme de qualité.
La diffusion d'informations fiables devrait inclure le développement
d'une réflexion lente, délibérative et analytique garantissant que
les articles sont vérifiés, contextualisés et impartiaux.
43. Nombre d’organismes MSP favorisent les actions de sensibilisation
et la culture médiatique. Certains n’hésitent pas à adopter des
outils permettant de vérifier les faits et de créer les collaborations
nécessaires. Reste que si les organismes MSP contribuent à la diversité
du paysage médiatique européen, beaucoup ont rencontré des difficultés
de financement dans leurs pays respectifs, et/ou servent plutôt
à la communication politique qu’à la communication publique. C’est
là que le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, de même que
la société civile, doivent apporter un solide soutien. Certes, la
recherche et le développement internes forment une activité prépondérante
des MSP, mais c’est aussi un domaine où le Conseil de l’Europe peut entreprendre
des projets multipartites et participatifs pour aider à mieux comprendre
les différents aspects liés au désordre informationnel et à la communication
démocratique, mais aussi pour innover en termes de contenus, de
formes et de technologie, et ce afin d’aider les MSP dans leur rôle
crucial: protéger les systèmes de communication et de médias en
Europe.
44. Dans l’environnement médiatique actuel, trois grands aspects
concernent non seulement le désordre informationnel mais sont cruciaux
pour saisir les opportunités et les limites des organismes MSP qui
luttent contre la désinformation.
45. Premièrement, il est nécessaire et urgent d’en savoir plus
sur le public et sur la désinformation. En général, les Européens
font davantage confiance à la radiodiffusion qu’aux médias en ligne,
surtout dans les pays où les MSP sont forts
. Cependant, des différences générationnelles
et autres jouent parfois un rôle déterminant en termes de consommation
de l’information et de culture médiatique. Par ailleurs, la tendance générale
à la défiance vis-à-vis de l’autorité et de l’expertise mérite une
analyse bien plus approfondie.
46. Deuxièmement, il est nécessaire de pleinement comprendre et
de reconceptualiser le rôle des radiodiffuseurs publics nationaux
dans l’écosystème médiatique mondial. Beaucoup voient dans les intermédiaires
d’internet le cœur du problème
. Cependant, d’aucuns partent du
principe que les médias sociaux, du fait de leurs possibilités participatives
et de leur importance en tant que diffuseurs d’informations et de
forums d’engagement public, doivent absolument être soumis à des
obligations de service public afin de garantir l’intérêt général
de la société
. Aussi il est impératif que les
décideurs et les organismes médiatiques nationaux comprennent les
enjeux politiques et réglementaires des plateformes mondiales. Toutefois, l’approche
«sans frontières» se rencontre aussi dans des solutions multipartites
– le projet First Draft en est un parfait exemple.
47. Troisièmement, les organismes MSP se trouvent confrontés à
des défis nationaux, que ce soit dans un contexte où les médias
d’État se voient transformés en MSP (dans l’ancienne Europe de l’Est,
par exemple) ou lorsque des médias d’intérêt public (notamment les
MSP, médias associatifs et médias locaux) font face à une dure concurrence
commerciale et/ou ont besoin d’être revitalisés. À quoi s’ajoute
un autre défi, plus large celui-là: l’émergence d’une tendance caractérisée
par des menaces pesant sur l’indépendance des MSP ou de leurs organes
de régulation. En conséquence, il est nécessaire de parfaitement
comprendre les défis que rencontrent aujourd’hui les MSP, selon
une perspective économique-commerciale et politique.
48. Une action essentielle des MSP est de développer diverses
initiatives et programmes pour encourager une pensée critique du
public à propos et autour du désordre informationnel. Les MSP comme
la BBC, France Télévisions, la Corporation danoise de radiodiffusion
ou les chaînes ZDF et ARD, ainsi que d’autres médias, développent
des initiatives spécifiques de vérification des faits à la fois
pour vérifier les informations et pour favoriser la sensibilisation
de leurs audiences.
49. La culture médiatique et l’éducation aux médias pour les jeunes
sont des éléments indispensables de nombreuses stratégies des MSP.
Leur objectif est d’aider le public à accéder à n’importe quel type
de plateforme, à l’utiliser et à pouvoir analyser et trier toutes
sortes d’informations quelle qu’en soit la provenance – presse,
radio, télévision, médias sociaux. Certaines organisations de MSP
ont mis au point des outils spéciaux pour aider le public à mieux
comprendre le désordre informationnel actuel et à s’y frayer un
chemin.
50. Les MSP ont bien compris que, pour atteindre le public des
jeunes, ils doivent être présents en ligne et sur les applications
mobiles comme Instagram, Snapchat, Twitter, YouTube, etc. L’un des
principaux objectifs de cette présence en ligne est non seulement
de fournir des contenus, mais aussi de stimuler la participation interactive
du public: les spectateurs sont invités à faire part de leurs idées
et commentaires sur les contenus, mais aussi à émettre des critiques
et à poser des questions.
51. Dans le contexte actuel du désordre informationnel, la plupart
des MSP ont pris conscience du fait que les collaborations multipartites
avec d’autres fournisseurs de nouvelles, ainsi qu’avec des vérificateurs
de faits indépendants, sont absolument cruciales. Des lignes directrices
émanant d’entités comme les réseaux International Fact-Checking
Network ou First Draft sont extrêmement utiles pour leurs stratégies
en vue de contrer la désinformation et la propagande.
52. Enfin, lorsque nous pensons à l’avenir des MSP dans le contexte
du désordre informationnel, nous devons envisager des questions
importantes comme leur portée, leur durabilité et leur pertinence.
Nous devons prendre en considération qu’une compagnie comme la BBC,
qui est à l’heure actuelle l’organisation de MSP la plus importante
au monde, ne représente qu’un petit acteur par rapport aux nouveaux
géants des médias que sont Apple, Facebook, Amazon, Netflix ou Google.
Cela devrait être pris en compte dans le dialogue actuel et futur
avec les plateformes technologiques concernant la nécessité pour
ces dernières de prendre leurs responsabilités en vue de contrer
la désinformation en ligne. En outre, les plateformes de médias sociaux
peuvent participer de manière utile aux collaborations avec les
MSP et d’autres acteurs en soutenant la recherche dans le domaine
du désordre informationnel ou encore des projets concrets développés
par les MSP pour contrer la désinformation et encourager l’éducation
aux médias, comme le montrent les exemples de projets de recherche
de la BBC en Inde et en Afrique cités plus haut.