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Avis de commission | Doc. 14804 | 21 janvier 2019

Compatibilité de la charia avec la Convention européenne des droits de l’homme: des États Parties à la Convention peuvent-ils être signataires de la «Déclaration du Caire»?

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Constantinos EFSTATHIOU, Chypre, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13965, Renvoi 4188 du 4 mars 2016. Commission chargée du rapport: Commission des questions juridiques et des droits de l’homme. Voir Doc. 14787. Avis approuvé par la commission le 21 janvier 2019. 2019 - Première partie de session

A. Conclusions de la commission

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1. La commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias se félicite du rapport de M. Antonio Gutiérrez (Espagne, SOC) pour la commission des questions juridiques et des droits de l’homme et de son projet de résolution. La commission partage l’analyse juridique parfaitement raisonnée de M. Gutiérrez et considère que le rapport de ce dernier revient avec raison sur les racines et les valeurs fondamentales de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»), qui ont inspiré ses États signataires.
2. La commission se félicite également que le rapport et le projet de résolution aillent au-delà de la question juridique. Comme le projet de résolution le souligne à juste titre au paragraphe 11, il faut non seulement «admettre au préalable que la Convention est un instrument international contraignant pour l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe» mais aussi «renforcer le pluralisme, la tolérance et un esprit d’ouverture par des mesures prises en amont par les gouvernements, la société civile et les communautés religieuses, dans le respect des valeurs communes véhiculées par la Convention».
3. Dès lors, la commission approuve entièrement le projet de résolution proposé mais suggère néanmoins d’ajouter un nouveau sous-paragraphe au paragraphe 11, comme indiqué ci-après.

B. Amendement proposé

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Amendement A (au projet de résolution)

Après le paragraphe 11.1, insérer le paragraphe suivant:

«concevoir et mettre en œuvre des programmes éducatifs et professionnels visant à enraciner les droits de l’homme et les libertés fondamentales consacrés par la Convention, et en particulier les principes d’égalité de genre et de non-discrimination fondés sur les croyances religieuses, dans la tradition culturelle et juridique de leur pays;».

C. Exposé des motifs, par M. Constantinos Efstathiou, rapporteur pour avis

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1. La question juridique de la compatibilité de la charia avec la Convention européenne des droits de l’homme

1. Comme le dit Platon dans sa République, il est absurde de parler de droit (et de l’état de droit aurais-je envie d’ajouter) ou de justice sans les situer dans le contexte de la Société, qui ne devrait pas être considérée comme un concept abstrait, mais plutôt comme une réalité tangible et mesurable.
2. La protection des droits humains et la prééminence de l’état de droit sont les piliers de notre société européenne qui accepte tous les Européens et repose sur la démocratie et la liberté. Notre objectif est d’être une «société démocratique» où tous les individus jouissent pleinement des droits humains et des libertés fondamentales inhérents à leur qualité d’êtres humains, et qui partagent les mêmes valeurs et principes communs, sans discrimination fondée sur la race, la couleur, la langue, le sexe, la religion, les convictions, l’opinion politique, le statut social, l’orientation sexuelle ou d’autres considérations.
3. Le respect universel des droits humains, de la démocratie et de l’état de droit n’est possible que si ces valeurs sont universellement reconnues et si tous nos États disposent d’institutions et d’instruments pour les défendre et assurer leur mise en œuvre effective.
4. Le préambule de la Convention européenne des droits de l’homme indique que les pays européens «posséd[e]nt un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit» et qu’ils prennent «les premières mesures propres à assurer la garantie collective de certains des droits énoncés dans la Déclaration universelle» qui sont mentionnés, décrits et protégés dans la Convention.
5. Dans ce contexte, la question de savoir si la charia est compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme et si les États Parties peuvent être signataires de la «Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam» est un test crucial pour la résilience de notre société démocratique européenne et de ses institutions, alors que la Déclaration du Caire remet en cause les fondements de ce que nous entendons par «société démocratique» telle qu’elle est proclamée dans le Préambule du Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1), selon lequel la liberté individuelle, la liberté politique et la prééminence du droit sont les principes «sur lesquels se fonde toute démocratie véritable».
6. Comme l’a écrit le précédent rapporteur pour avis, M. Johan Nissinen, en conclusion de la note qu’il a soumise à la commission en avril 2018 
			(1) 
			Document AS/Cult
(2018) 15. Le présent exposé des motifs, et notamment sa section
2, repose en grande partie sur les travaux de M. Nissinen., il ne fait aucun doute que certains articles de la Déclaration du Caire ne reconnaissent pas un grand nombre de droits humains consacrés par la Convention. La question se pose par conséquent de savoir si nous pouvons accepter, au sein de notre société démocratique européenne, une «société informelle» parallèle, qui serait fondée sur des valeurs et des principes contraires aux valeurs et aux principes essentiels dont la légitimité trouve son origine dans la Convention.
7. L’excellent rapport détaillé de M. Gutiérrez parvient à la même conclusion quant à l’incompatibilité de la charia avec la Convention, qu’il accompagne d’exemples très pertinents du Royaume-Uni, de la Thrace occidentale en Grèce et de la Fédération de Russie. Je me félicite que le rapporteur souligne la pertinence de deux cas, le territoire français de Mayotte et la Turquie 
			(2) 
			Sections 5.3 et 5.5
de l’exposé des motifs, qui prouvent que la religion peut coexister avec l’état de droit et le respect des droits humains. Aucune religion ou «tradition» ne peut être choquée par la mise en œuvre de l’état de droit ou par le respect des droits humains. L’Histoire elle-même a invalidé une telle interprétation.

2. Au-delà de la question juridique, la dimension culturelle du problème

8. La question de savoir si des États Parties à la Convention européenne des droits de l’homme peuvent être signataires de la Déclaration du Caire ne couvre pas tous les enjeux. En effet, d’un point de vue strictement juridique, il ne fait aucun doute que la Convention et les engagements qui en découlent ne sauraient être restreints par les dispositions de la Déclaration du Caire, étant donné que cette dernière ne génère aucune obligation légale pour ses signataires. Cependant, ni la reconnaissance de ce fait, ni la conclusion selon laquelle la législation civile des États membres prime sur la charia ne résolvent tous les problèmes.
9. L’approbation de la Déclaration du Caire a une valeur politique claire pour tous les pays signataires. Or, dans la mesure où la vision des droits fondamentaux qui inspire ce texte ne correspond pas à la vision qui sous-tend la Convention, la bonne mise en œuvre de cette dernière pourrait être (et il est fort probable qu’elle le soit) entravée de diverses manières.
10. La Convention européenne des droits de l’homme (et, en général, les différents systèmes destinés à protéger les droits humains au niveau régional ou universel) joue un «rôle subsidiaire» dans la protection des droits humains par les ordres juridiques nationaux. Si l’adoption de la Déclaration du Caire reflète (comme on peut logiquement le supposer) les traditions juridiques dominantes d’un pays, il y a un fort risque que non seulement les responsables politiques nationaux (gouvernements et assemblées nationales) et l’administration publique (y compris la police), mais aussi le pouvoir judiciaire, aient une perception déformée de ce que la Convention exige d’eux, avec pour conséquence logique une résistance (volontaire ou inconsciente) à sa mise en œuvre.
11. En outre, le poids de la culture juridique dominante influencera également la formation des avocats (y compris dans le cadre des études universitaires), sans parler de la pression sociale que pourraient subir les «victimes» de violations des droits garantis par la Convention, si leur préjudice est justifié par la charia: l’effet dissuasif me paraît évident.
12. En d’autres termes, la protection des droits humains est une question non seulement juridique, mais aussi culturelle. Je serais même tenté de dire que c’est avant tout une question culturelle. La Convention est le fruit de siècles de réflexion sur le sens de la dignité humaine, de l’égalité et de la liberté. Nous devons agir pour consolider cette culture commune des droits humains en Europe et au-delà. Les règles et les principes communs énoncés par la Convention ne doivent pas être perçus comme s’ils étaient imposés de l’extérieur: ils doivent être choisis par la famille des États démocratiques européens en tant que fondations de nos sociétés européennes; ils doivent être profondément compris, pleinement acceptés et enracinés dans nos vies quotidiennes; les responsables politiques et les décideurs, et bien entendu, tous les membres des communautés nationales, ne doivent pas douter qu’ils sont inhérents à toute société démocratique, parce que nous considérons qu’ils sont inhérents à l’humanité.

3. Conclusions

13. Il est question ici du socle sur lequel le Conseil de l’Europe est construit: ces piliers ne sont pas négociables et nous devons défendre nos valeurs communes ensemble, sans hésitations. Il ne peut y avoir aucune dérogation à la mise en œuvre des droits humains ni aucune remise en cause de la prééminence de l’état de droit. Dans le cas contraire, il n'y a pas d'avenir pour l'Europe.
14. Comme on peut le lire dans l’article 1er de la Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen (1789): «L’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics (…).» Notre société doit reposer sur et fonctionner avec des institutions créées uniquement par la loi; sans organisation ferme de la justice, il n'y a «ni arts, ni lettres, ni société et, ce qui est pire que tout, il règne une peur permanente 
			(3) 
			Thomas
Hobbes (1588-1679), Livre I, «Of Man,
being the First Part of Leviathan», The Harvard Classics,
1909-1914, Chapitre XII.». C’est la fin de la civilisation telle que nous la connaissons.
15. Les États qui sont membres du Conseil de l’Europe et Parties à la Convention ne doivent pas entretenir l’équivoque. Il est nécessaire de leur demander non seulement de se tenir à distance de la Déclaration du Caire telle qu’elle se présente actuellement, mais aussi d’agir pour éviter que l’islam en tant que religion puisse engendrer un islamisme insidieux.
16. A cet égard, j'apprécie que le projet de résolution présenté par la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, dans son paragraphe 11, invite les États membres du Conseil de l'Europe et ceux dont les parlements ont le statut de partenaire pour la démocratie auprès de l'Assemblée non seulement à «admettre au préalable que la Convention est un instrument international contraignant pour l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe» mais aussi à «renforcer le pluralisme, la tolérance et un esprit d’ouverture par des mesures prises en amont par les gouvernements, la société civile et les communautés religieuses, dans le respect des valeurs communes véhiculées par la Convention».
17. Pour conclure, je soutiens pleinement l’excellent projet de résolution. Je propose simplement d'ajouter un nouvel alinéa au paragraphe 11.