1. Introduction
1. Le dimanche 25 novembre 2018,
deux vedettes blindées ukrainiennes (le Berdiansk et
le Nikopol), ainsi qu’un remorqueur
(le Yany Kapu) partent d’Odessa
sur la mer Noire pour gagner le port de Marioupol sur la mer d’Azov.
Au moment où ils s’apprêtent à entrer dans le détroit de Kertch,
ils sont arraisonnés et saisis par les gardes-côtes russes. Vingt-quatre
militaires ukrainiens sont faits prisonniers, dont trois seraient
blessés selon les Russes tandis que les médias ukrainiens font état
de six blessés.
2. Les tensions dans la mer d’Azov couvent depuis l’annexion
illégale de la péninsule de Crimée par la Russie en mars 2014 et
l’incident de novembre fait craindre une nouvelle escalade militaire
entre la Russie et l’Ukraine avant les élections ukrainiennes de
2019.
3. Les explications de l’Ukraine et de la Fédération de Russie
sur ce qui s’est passé exactement le 25 novembre 2018 et après divergent
considérablement. Pour commencer, elles ne sont pas d’accord sur l’endroit
exact où l’incident a eu lieu et sur le statut juridique spécifique
de cet endroit. Chaque partie rend l’autre responsable du regain
de tensions dans la région. Kiev déclare que l’incident a eu lieu
dans les eaux internationales et dénonce «un acte d’agression» de
la part de la Russie. Moscou affirme que les navires ukrainiens
sont entrés illégalement dans ses eaux.
4. Le 21 janvier 2019, l’Assemblée parlementaire a décidé de
tenir un débat d’urgence sur «L’escalade des tensions autour de
la mer d’Azov et du détroit de Kertch et les menaces pour la sécurité
européenne» et la Commission des questions politiques et de la démocratie
m’a nommé rapporteur.
2. Le contexte
5. Le détroit de Kertch relie
la mer Noire à la mer d’Azov et sépare la péninsule de Taman de
la péninsule de Crimée. La navigation dans le détroit de Kertch
n’est possible qu’en empruntant le canal Kertch-Yenikale dragué
en 1874-1877 et élargi en 1965-1970. D’une longueur de 24 kilomètres
et d’une largeur de 120 mètres, ce canal peut accueillir des navires
d’une longueur maximale de 215 mètres et d’un tirant d’eau n’excédant
pas 8 mètres.
6. Le statut juridique du détroit de Kertch et de la mer d’Azov
est défini dans le «Traité entre la Fédération de Russie et l’Ukraine
sur la coopération pour l’utilisation de la mer d’Azov et du détroit
de Kertch», signé en décembre 2003 et ratifié par les deux pays
en avril 2004 (voir l’annexe).
7. Ce traité visait à régler plusieurs questions essentielles,
notamment à garantir le passage des navires de commerce et des navires
de guerre russes et ukrainiens dans le détroit de Kertch, à confirmer
le statut de mer intérieure de la mer d’Azov et à préciser que le
passage de tout navire de guerre battant le pavillon d’un pays tiers
serait soumis à l’autorisation préalable de la Russie et de l’Ukraine.
8. L’article 1er du traité dispose
que «La mer d’Azov et le détroit de Kertch constituent historiquement
des eaux intérieures de la Fédération de Russie et de l’Ukraine».
9. Selon l’article 2.1 du traité, les navires marchands et les
navires militaires des deux pays naviguent librement dans la mer
d’Azov et le détroit de Kertch.
10. Cependant, des navires militaires et autres navires de pays
tiers «peuvent pénétrer dans la mer d’Azov et traverser le détroit
de Kertch afin d’effectuer une visite ou une escale d’affaires dans
un port à l’invitation d’une Partie ou avec sa permission, et avec
l’approbation de l’autre Partie» (article 2.3).
11. L’article 4 du traité prévoit que les différends entre les
Parties associées à l’interprétation et l’application de ses dispositions
seront résolus par voie de consultations et de négociations ainsi
que par tout autre moyen de règlement pacifique choisi par les Parties.
12. Les règles (russes) actuelles de navigation sur le canal sont
identiques à celles introduites par la législation ukrainienne en
2002: tous les navires sont tenus d’informer le capitaine du port
de Kertch 48 heures et 24 heures avant le passage et de donner une
confirmation finale 4 heures avant l’approche. Ils ne peuvent s’y
engager qu’une fois l’autorisation accordée et doivent obligatoirement
recourir à l’assistance d’un pilote.
13. À plusieurs reprises par le passé, par exemple le 25 septembre
2018, des navires ukrainiens ont suivi la réglementation en vigueur
en matière de navigation dans le canal de Kertch et sollicité toutes
les autorisations de passage exigées par la législation russe. Depuis
juillet 2018, il semble cependant que la fouille systématique de
navires ukrainiens et autres par les Russes ait considérablement
gêné les exportations ukrainiennes depuis ses ports de Berdiansk
et de Marioupol.
14. En mai 2018, la Russie a achevé la construction d’un pont
(qu’elle a appelé «Pont de Crimée») au-dessus du détroit de Kertch,
assurant l’accès à la péninsule depuis son territoire mais réduisant
l’espace pour la navigation. Ce pont, considéré comme illégal par
la communauté internationale et constitutif d’une violation de la
souveraineté ukrainienne, limite la taille des navires qui peuvent
accéder aux ports de la mer d’Azov à un tirant d’air de moins de
33 mètres et une longueur inférieure à 160 mètres, rendant impossible
l’accès à la mer d’Azov aux navires de classe Panamax, qui représentaient
plus de 20 % du trafic avant la construction.
15. Il convient également de noter qu’un autre incident s’était
produit quelques mois auparavant dans la mer d’Azov. Le 25 mars
2018, les gardes-côtes ukrainiens ont arrêté – prétendument dans
les eaux territoriales ukrainiennes – le navire de pêche Nord immatriculé en Crimée et battant
pavillon russe. Le navire a été amené au port ukrainien de Berdiansk
et son équipage de 10 pêcheurs arrêté pour violation de la réglementation relative
aux frontières et aux passeports. Selon la Russie, le navire pêchait
en dehors des eaux ukrainiennes. Les pêcheurs ont ensuite été relâchés
et tous, à l’exception du capitaine, ont pu rentrer en Crimée le
30 octobre 2018, en échange de sept militaires ukrainiens arrêtés
par la Russie pour «pêche illégale». Le 25 octobre, les autorités
ukrainiennes ont déclaré que le Nord serait
mis aux enchères.
3. Les
faits
16. Tôt le matin du 25 novembre
2018, deux navires militaires – le Berdiansk et
le Nikopol – accompagnées du
remorqueur Yani Kapu, partis
d’Odessa, sur la mer Noire, en direction de Marioupol, sur les rives
de la mer d’Azov, se sont approchés du détroit de Kertch. À 11h04
heure de Moscou, la marine ukrainienne a signalé que le croiseur
des gardes-côtes russes Don avait
percuté le Yany Kapu, endommageant
le moteur principal du remorqueur ukrainien et transperçant son
bordé.
17. Après la collision avec le Yany
Kapu, les navires de guerre ukrainiens ont tenté de poursuivre
leur route vers le détroit de Kertch mais en ont été empêchés par
les navires de guerre russes qui les ont bloqués jusqu’à 18h30 (heure
de Moscou).
18. À 18h30, les navires ukrainiens sont parvenus à forcer le
blocus et à prendre la fuite. Ils ont été poursuivis par les gardes-côtes
russes, qui leur ont donné l’ordre de stopper. Devant le refus des
Ukrainiens, les bâtiments russes ont fait des tirs de sommation
à 20h45.
19. À 20h55, le navire des gardes-côtes russes Izumrud a ouvert le feu sur le Berdiansk. Ce dernier a alors stoppé
les machines, informé que des marins avaient été blessés, et a réclamé
de l’aide. L’Izumrud a pris
à son bord les sept membres de l’équipage du Berdiansk et leur a
administré les premiers soins.
20. Le Yany Kapu a été stoppé
et arraisonné à 21h15 par le navire des gardes-côtes russes Don.
21. Le Nikopol a été stoppé
à 21h27 par un hélicoptère Ka-52 de l’armée russe et arraisonné
à 23h21 par le Don.
22. Vingt-quatre militaires ukrainiens ont été faits prisonniers,
dont trois blessés qui ont été évacués vers un hôpital. Les navires
ukrainiens arraisonnés ont été remis aux autorités russes et se
trouvent actuellement dans le port de Kertch.
3.1. La
loi martiale
23. Le 26 novembre 2018, le Conseil
de sécurité et de défense ukrainien a proposé l’instauration de
la loi martiale pour 60 jours. Le Président de la République ukrainienne,
Petro Porochenko, a préféré suggérer au Parlement, la Verkhovna Rada, de prononcer la
loi martiale pour 30 jours.
24. Le Parlement ukrainien a approuvé la décision d’instaurer
la loi martiale pendant 30 jours, à compter du 26 novembre 2018,
dans 10 régions ukrainiennes.
25. La loi martiale imposée comportait des restrictions aux droits
et libertés constitutionnelles des civils, l’introduction d’une
«obligation de travailler», la construction de postes de contrôle
militaires, le contrôle des papiers d’identité, l’interdiction des
manifestations pacifiques et l’interdiction ou la limitation des
médias et des réseaux sociaux.
26. La loi martiale a été levée le 26 décembre 2018, ce dont il
y a lieu de se féliciter.
3.2. Le
procès des militaires ukrainiens
27. Dans un premier temps, les
24 militaires ukrainiens ont été détenus en Crimée. Les trois blessés
ont été soignés à l’hôpital Pirogov no 1
de Kertch avant d’être transférés dans l’unité médicale de la prison Matrosskaya
Tichina, à Moscou.
28. Une enquête pénale pour violation de la frontière d’État russe
a été ouverte. Les militaires sont accusés d’avoir franchi illégalement
la frontière russe, ce qui est passible d’une peine d’emprisonnement
maximum de six ans.
29. Les 27 et 28 novembre 2018, un tribunal russe de Simferopol,
Crimée, a placé les 24 militaires ukrainiens en état d’arrestation
pour 60 jours. Tous les militaires détenus ont été ensuite transférés
à Moscou, où ils sont emprisonnés. La Russie a fait part de son
intention de les inculper.
30. Le 15 janvier, le tribunal de district de Lefortovo, à Moscou,
a prolongé leur détention de trois mois, c’est-à-dire jusqu’au 24
avril 2019. Lors des audiences au tribunal, tous les militaires
ukrainiens ont refusé de déposer, invoquant la Convention de Genève
et affirmant être des prisonniers de guerre. Leurs avocats ont demandé
à ce qu’ils soient jugés par un tribunal militaire. Le tribunal
a rejeté ces requêtes, jugées infondées.
4. L’incident
du point de vue des Ukrainiens et des Russes
4.1. Les
assertions de l’Ukraine
31. Selon la marine ukrainienne,
le 25 novembre 2018 à 5 h 58 heure de Moscou, le navire
Berdiansk a signalé au poste côtier
des gardes-frontières russes son intention de traverser le canal
de Kertch conformément au Traité entre la Fédération de Russie et
l’Ukraine sur la coopération pour l’utilisation de la mer d’Azov
et du détroit de Kertch. Le rapport ukrainien indique que «l’information
a été transmise, mais [qu’]aucune réponse n’a été reçue»
.
32. L'Ukraine exige que les règles internationales et le droit
de libre passage dans le détroit de Kertch soient respectés par
la partie russe.
33. Du point de vue de l’Ukraine, les actes commis par les Russes
constituent une agression militaire visant à renforcer leur contrôle
maritime dans la région.
34. Dans un entretien accordé à
BILD,
le président Porochenko a qualifié les actes de la Russie d’«entreprise
folle commise en dehors de toute provocation» et demandé à l'Organisation
du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) d’envoyer des navires de guerre
en mer d’Azov «pour aider l’Ukraine et assurer la sécurité»
.
35. Le chef de la marine ukrainienne a signalé que les militaires
ukrainiens avaient été contraints de signer de fausses dépositions
.
36. Le Service de sécurité ukrainien a ouvert une enquête sur
ce qu’il considère comme un acte d’agression de l’armée russe à
l’aune de l’article 437 du Code pénal de l’Ukraine relatif à «la
planification, la préparation, le lancement et la conduite d’une
guerre d’agression».
37. Selon Volodymr Yeltchenko, le représentant de l’Ukraine aux
Nations Unies, son pays a agi dans le strict respect du droit international
et du traité bilatéral relatif au détroit de Kertch. Il a déclaré
que les navires ukrainiens ont adressé des demandes de passage aux
autorités maritimes de la Fédération de Russie, demandes qui sont
cependant restées sans réponse jusqu’à ce que l’un des navires ukrainiens
soit éperonné. De plus, les navires ukrainiens venus offrir leur
assistance ont été eux aussi poursuivis par les bâtiments russes,
lesquels avaient reçu des ordres les enjoignant clairement à tirer
pour tuer
.
38. Le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Pavlo Klimkine,
a demandé au Comité international de la Croix-Rouge d’organiser
une visite des prisonniers ukrainiens. Pour lui, il ne s’agit pas
d’une question politique car il pourrait y avoir un différend quant
au statut juridique, mais l’objet de cette démarche est simplement
de protéger et d’aider les prisonniers ukrainiens
.
39. Le Président Porochenko a déclaré que l’Ukraine n’entend pas
prolonger son traité d’amitié, de coopération et de partenariat
avec la Russie au-delà du 1er avril 2019.
Le 6 décembre 2018, le Parlement ukrainien a soutenu la décision
du président Porochenko de résilier ce traité.
4.2. Les
assertions de la Russie
40. Selon le Service fédéral de
sécurité russe (FSB), la flottille de navires ukrainiens a été repérée
et identifiée le 24 novembre dans l’après-midi. Alors qu’elle approchait
de la frontière maritime russe à 21h30 (heure de Moscou), elle a
été informée des procédures de franchissement de la frontière d’état
et des règles de navigation dans le canal de Kertch-Yenikale, notamment
l’obligation d’informer le capitaine du port de Kertch 48 heures
et 24 heures avant le passage prévu et donner une confirmation finale
quatre heures avant l’approche. Les capitaines ukrainiens ont répondu
ne pas avoir l’intention de traverser la frontière ni d’emprunter
le détroit. À 22h23 (heure de Moscou), la patrouille des gardes-côtes
russes a informé les navires ukrainiens de la fermeture de la zone,
située dans les eaux territoriales russes, à l’approche du détroit
de Kertch
.
41. Selon la Russie, les navires ukrainiens auraient franchi la
frontière russe, «manœuvré dangereusement» et refusé de se plier
aux injonctions des navires des gardes-côtes.
42. La Russie accuse l’Ukraine d’être illégalement entrée dans
ses eaux territoriales, fermées temporairement, et d’avoir par conséquent
violé les articles 19 et 21 de la Convention des Nations Unies sur le
droit de la mer, qui définissent le droit de l’État côtier de garantir
la sécurité de son espace maritime.
43. Selon le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, «des navires
de guerre étrangers ont pénétré dans les eaux territoriales de la
Russie en s’abstenant de répondre à la moindre injonction de nos
gardes-côtes. Par conséquent, tous nos actes sont parfaitement conformes
au droit»
.
44. Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères,
a déclaré le 26 novembre 2018 que l’incident dans la mer d’Azov
constituait «incontestablement une provocation ukrainienne»
.
45. Selon Dmitri Polianski, le représentant officiel de la Fédération
de Russie aux Nations Unies, «il s’agissait d’une provocation ourdie
avec des pays occidentaux de manière à générer un climat de haine [antirusse]
avant les élections en Ukraine, alors que le président actuel est
en recul dans les sondages. Le régime de Kiev ne veut pas de la
paix ou du dialogue, pas plus qu’il n’adhère aux valeurs européennes
dont il se réclame ; il désire uniquement rester au pouvoir et justifier
ses échecs»
.
46. En réponse aux critiques de ses collègues, M. Polianski a
souligné en outre que les accords de Minsk ne mentionnent pas la
Crimée. Selon lui, «le soutien apporté à la provocation de l’Ukraine
a déjà eu pour effet de susciter un regain de violence dans la partie
orientale du pays»
.
47. Le 27 novembre 2018, au cours d’une conversation téléphonique
avec la chancelière Angela Merkel, le président Poutine a déclaré
que l’Ukraine avait «délibérément ignoré les règles de passage pacifique
dans les eaux territoriales de la Fédération de Russie»
.
48. La Russie insiste sur le fait que la responsabilité de l’incident
dans le détroit de Kertch incombe à ceux qui ont donné des ordres
illégaux à l’équipage ukrainien.
49. À l’appui de ses assertions selon lesquelles l’incident de
Kertch constitue une provocation préméditée, la Russie a rendu publics
plusieurs documents saisis à bord des navires de guerre ukrainiens
arraisonnés, dont un ordre remis au commandant de la flottille lui
enjoignant «de tenter de traverser clandestinement le détroit de
Kertch» et un recueil manuscrit des règles applicables pour emprunter
le détroit de Kertch.
5. Les
réactions internationales
50. Le 25 octobre 2018, un mois
avant les incidents de novembre, le Parlement européen avait été
l’une des premières organisations à adopter une résolution réclamant
des sanctions plus sévères de l’Union européenne contre la Russie
si la situation dans la mer d’Azov devait continuer à se dégrader.
Ce texte indiquait également que le pont de Kertch avait été construit
illégalement et le Parlement européen s’était donc félicité de la décision
du Conseil d’imposer des mesures restrictives à l’encontre des entreprises
impliquées dans sa construction. Il suggérait également la création
d’un poste d’envoyé spécial pour la Crimée et la région du Donbass
afin d’y suivre l’évolution des événements. En outre, il mettait
en garde contre des implications plus larges en matière de sécurité
affectant directement l’Union européenne, exigeait de la Fédération
de Russie «qu’elle mette immédiatement fin aux inspections intensives
et discriminatoires des navires» et appelait à envisager, le cas
échéant, des contre-mesures appropriées
.
51. Le 25 novembre 2018, la porte-parole de l’OTAN, Oana Lungescu,
a déclaré que son organisation «suit de près l’évolution de la situation
dans la mer d’Azov et le détroit de Kertch». L’OTAN appelait à la
retenue et à la désescalade tout en réaffirmant soutenir la souveraineté
et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, y compris les droits de
cette dernière de naviguer dans ses eaux territoriales. Elle invitait
la Russie à «garantir l’accès sans entrave aux ports ukrainiens
de la mer d’Azov»
.
52. Le 26 novembre 2018, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe,
Thorbjørn Jagland, a également commenté la situation dans la mer
d’Azov et le détroit de Kertch en faisant remarquer que le libre
passage dans le détroit est garanti par le traité entre la Fédération
de Russie et l’Ukraine, signé en 2003 et entré en vigueur en 2004
.
53. Le 26 novembre 2018, la présidente de l’Assemblée, Liliane
Maury Pasquier, a commenté en ces termes le regain de tension autour
de la mer d’Azov et du détroit de Kertch: «Je suis très préoccupée
par les événements de dimanche, au cours desquels la force a été
utilisée et des personnes ont été blessées lors de la saisie de
navires ukrainiens dans la mer d’Azov. Il convient de souligner
que les règles fondamentales du droit international doivent être
respectées. Ces règles incluent le droit à la liberté de naviguer
dans ses propres eaux territoriales»
.
54. Le 26 novembre 2018, le Conseil de sécurité des Nations Unies
a refusé, par sept voix contre (États-Unis, France, Koweït, Pays-Bas,
Pologne, Royaume-Uni, Suède), quatre voix pour (Bolivie, Chine, Kazakhstan,
Fédération de Russie) et quatre abstentions (Côte d’Ivoire, Éthiopie,
Guinée équatoriale, Pérou), d’approuver un point de l’ordre du jour
proposé par la Russie et intitulé «Violation des frontières de la Fédération
de Russie».
55. Le 26 novembre 2018, le président du Conseil européen, Donald
Tusk, a condamné l’utilisation de la force par la Russie dans la
mer d’Azov. Il a instamment demandé aux autorités russes de relâcher
les militaires et les navires ukrainiens et de s’abstenir de toute
nouvelle provocation
.
56. Le 26 novembre 2018, un groupe de députés européens de premier
plan travaillant sur les relations entre l’Union européenne et l’Ukraine
a également publié une déclaration complémentaire exhortant «toutes les
parties à désamorcer immédiatement la situation» et soulignant à
nouveau que «la construction du pont de Kertch sans le consentement
de l’Ukraine constitue déjà une violation de sa souveraineté et
de son intégrité territoriale et a conduit à la militarisation de
la mer d’Azov ainsi qu’à l’escalade du conflit». Ils ont également exigé
que «la Russie adopte un comportement responsable et désamorce immédiatement
la situation, qui pourrait constituer une menace pour la sécurité
et la stabilité de l’Europe»
.
57. Le 30 novembre 2018, la délégation de l’Union européenne auprès
du Conseil de l’Europe a prié la Russie «de libérer immédiatement
l’équipage ukrainien et d’apporter toute l’assistance médicale requise
aux militaires ukrainiens»
.
58. Le 11 décembre 2018, à la suite d’un échange de vues avec
les membres de sa commission, la présidente de la commission des
questions politiques et de la démocratie a appelé à la libération
immédiate des membres d’équipage des navires de guerre ukrainiens
capturés par la Russie.
59. Le 17 décembre 2018, l’Assemblée générale des Nations Unies
a adopté sa
Résolution A/73/L.47 dans laquelle elle «se déclare préoccupée (…) par les
activités menées, notamment à des fins militaires, par la Fédération
de Russie dans les eaux de la mer Noire adjacentes à la Crimée et
dans la mer d’Azov, qui représentent une menace supplémentaire pour
l’Ukraine et pour la stabilité de la région dans son ensemble» et
«prie instamment la Fédération de Russie en tant que puissance occupante,
de retirer ses forces militaires de Crimée et de mettre immédiatement
fin à son occupation temporaire du territoire ukrainien»
.
60. L’Allemagne et la France ont proposé que des observateurs
de leurs pays surveillent le trafic maritime et garantissent la
liberté de navigation dans le détroit de Kertch.
6. Conclusions
61. Alors que les tensions dans
la mer d’Azov couvent depuis l’annexion illégale de la péninsule
de Crimée par la Russie en mars 2014, l’incident de novembre fait
craindre une nouvelle escalade militaire entre la Russie et l’Ukraine
avant les élections ukrainiennes de 2019.
62. Considérant qu’il n’est pas du rôle de notre Assemblée de
statuer sur la situation juridique spécifique dans laquelle s’inscrit
l’incident du 25 novembre 2018, les deux Parties concernées n’étant
d’accord sur pratiquement rien, l’action que je propose dans le
projet de résolution est avant tout de nature politique et guidée
par la position de principe que notre Assemblée a prise en de nombreuses
occasions en faveur de la souveraineté et de l’intégrité territoriale
de l’Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues.
63. Étant donné la nature d’un débat d’urgence et le fait que
l’Assemblée a adopté depuis 2014 de nombreux rapports détaillés
sur l’annexion illégale de la Crimée, le conflit militaire dans
la région du Donbass et d’autres atteintes à la souveraineté et
à l’intégrité territoriale de l’Ukraine par la Fédération de Russie
et ses alliés supposés, le présent rapport s’abstient délibérément
de traiter en détail de tous ces sujets mais renvoie aux rapports
susmentionnés pour réaffirmer les positions inchangées de l’Assemblée
à cet égard.
64. Mon souci premier est le sort des 24 militaires ukrainiens
détenus, qui devraient être immédiatement relâchés par la Russie,
et devraient, en attendant leur libération, recevoir l’assistance
médicale, juridique et/ou consulaire nécessaire. Les organes internationaux
compétents dans ce domaine, comme le Comité international de la
Croix-Rouge et le CPT, devraient rendre visite aux militaires ukrainiens
emprisonnés et l’Assemblée devrait soutenir toute action diplomatique
entreprise par des États membres du Conseil de l’Europe pour obtenir
leur libération.
65. D’autres recommandations adressées à la Fédération de Russie
concernent la nécessité de garantir la liberté de passage dans la
mer d’Azov et le détroit de Kertch, conformément au traité applicable
et à toute autre procédure mutuellement approuvée, et la nécessité
de s’abstenir de recourir à la violence en cas de divergences d’opinions
au sujet de violations présumées de frontières.
66. Considérant que la Fédération de Russie et l’Ukraine se sont
toutes deux engagées, lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe,
à résoudre leurs conflits de manière pacifique, je propose que nous
les invitions toutes deux à respecter le traité sur l’utilisation
de la mer d’Azov et du détroit de Kertch et les règles reconnues
de navigation dans le canal et à s’abstenir de toute autre mesure
qui pourrait aggraver le conflit et menacer la sécurité dans l’ensemble
de la région. Les efforts déployés par les deux Parties dans le
cadre d’actions diplomatiques et de procédures juridiques devraient
être soutenus.
67. Enfin, et surtout, je propose, au paragraphe 8 du projet de
résolution, que l’Assemblée prenne position sur plusieurs questions
de principe, qu’elle soutienne les initiatives prises par d’autres
acteurs internationaux afin de désamorcer la situation et qu’elle
exhorte les États membres du Conseil de l’Europe à faire tout ce
qui est en leur pouvoir pour éviter toute nouvelle escalade de la
violence, qui pourrait avoir des conséquences dangereuses pour la
sécurité dans l’ensemble de la région.