1. Introduction
1. La violence n’est pas étrangère
au monde du sport en Europe. En effet, la violence verbale est courante sur
les terrains de sport et autour; elle est souvent si grave qu’elle
constitue un discours de haine et une incitation à la violence.
2. La violence verbale, sous forme d’insultes et de slogans scandés,
comprend les insultes racistes et xénophobes ainsi que les expressions
misogynes et homophobes. Les manifestations de la haine peuvent
en outre être allusives, écrites ou visuelles, utilisant des symboles
et des objets (par exemple le fait d’enflammer une poupée portant
le maillot de l’équipe adverse ou d’autres objets sur lesquels figure
le drapeau des adversaires).
3. Ce phénomène peut être l’expression collective de supporters
et dégénère souvent en formes graves de violence, mais il peut aussi
se produire sur le terrain et impliquer les joueurs, les entraîneurs
ou les arbitres en tant qu’auteurs des violences ou en tant que
cibles.
4. Une attention accrue a été portée au discours de haine et
aux actes haineux dans le sport ces dernières années et des mesures
ont été prises dans un certain nombre d’États membres du Conseil
de l’Europe pour lutter contre des phénomènes qui s’y rapportent
plus ou moins directement et sont certainement préjudiciables au
sport, comme le hooliganisme.
5. Le Conseil de l’Europe s’est engagé à sensibiliser à cette
question et à trouver des contre-mesures. Récemment, dans sa
Résolution 2200 (2018) sur la bonne gouvernance du football

, l’Assemblée parlementaire
a pris position sur les questions relatives au football, de loin
le sport le plus populaire, évoquant notamment les violences et
les propos racistes, le harcèlement sexuel et la discrimination
de genre.
6. Le secteur jeunesse du Conseil de l’Europe travaille sur le
discours de haine depuis des années, en particulier par le biais
du Mouvement contre le discours de haine, campagne de jeunesse en
ligne pour les droits de l’homme visant à développer la participation
et l’esprit civique des jeunes. En novembre 2017, le Mouvement contre
le discours de haine et l’Accord partiel élargi sur le sport (APES)
ont organisé conjointement, à Sarajevo, un atelier sur la lutte
contre le discours de haine dans le sport qui a réuni des jeunes et
des dirigeants sportifs, des chercheurs et des décideurs pour analyser
le discours de haine dans le sport et proposer des mesures appropriées.
7. Le sport est et devrait toujours être un instrument de promotion
et de transmission de valeurs telles que le respect mutuel et la
tolérance, en plus d’être une activité de promotion de la santé
et une forme de loisir accessible à tous. Il ne devrait pas y avoir
de place pour les idées racistes, xénophobes, sexistes, homophobes ou
transphobes ni pour la manipulation des sentiments des supporters
à des fins politiques.
8. Les formes existantes de préjugés dont, entre autres, la xénophobie
et la misogynie, semblent trouver un terrain particulièrement fertile
dans les milieux sportifs. Elles portent atteinte à l’esprit de
compétition qui est un élément naturel du sport, en le salissant
et le dénaturant. La manipulation des supporters joue aussi un rôle: les
populistes et autres idéologues recherchent dans les supporters
une masse critique qui peut les aider à obtenir des résultats politiques
et électoraux.
9. Le présent rapport repose sur une recherche documentaire,
plusieurs auditions et un questionnaire envoyé aux comités nationaux
olympiques des États membres du Conseil de l'Europe. Les réponses
reçues (seulement cinq) révèlent une méconnaissance des phénomènes
de haine dans le sport.
10. L’objectif du rapport est de sensibiliser à ces questions
et à la nécessité de les traiter. C’est une occasion de contribuer
à l’avènement d’un monde sportif plus sûr, plus ouvert et plus inclusif,
qui contribue aussi à promouvoir une coexistence pacifique en Europe
et les valeurs fondamentales de la démocratie et des droits de l’homme.
2. Le
monde du sport aujourd’hui: problèmes et potentiel
11. Lors de l'audition tenue à
Paris le 5 juin 2018, l'experte Aleksandra Knežević a donné à la
commission sur l'égalité et la non-discrimination un aperçu de la
situation du sport, de l'intolérance et de la discrimination en
Europe, présentant à la fois les bienfaits du sport et les défis
auxquels il est actuellement confronté.
12. Le sport est vital pour l’épanouissement harmonieux des jeunes
et contribue à tout âge au bien-être physique, émotionnel et social.
La recherche montre que le sport aide les enfants à développer leur
estime de soi et limite le risque de stress, d’anxiété et de dépression.
Par ailleurs, l’activité physique inculque des compétences sociales
aux jeunes, améliore l’interaction, procure un sentiment d’acceptation
et d’appartenance et facilite la communication interpersonnelle.
13. Le sport est également positif d’un point de vue social, en
ce sens qu’il transmet des valeurs positives comme le fair-play,
l’esprit d’équipe et le respect des règles, et qu’il est un moyen
constructif d’occuper son temps libre, réduisant le risque d’abus
d’alcool et de drogues.
14. Tous ces effets bénéfiques ne vont pas de soi et ne se produisent
que si le sport est pratiqué correctement. Le présent rapport n’a
pas pour objet d’examiner la meilleure façon d’aborder la question
du sport ou de l’éducation physique à l’école. Toutefois, il convient
de souligner que la discrimination fondée sur quelque motif que
ce soit, le harcèlement et la haine compromettent les effets positifs
du sport. Malheureusement, comme nous l’avons déjà indiqué, les
discours de haine et l’intolérance contaminent de plus en plus le
monde du sport. Nous devons nous efforcer de mieux comprendre ces
phénomènes afin de les contrer efficacement.
15. On retrouve les mêmes inégalités et motifs de discrimination
dans le milieu du sport que dans la société en général. L’inégalité
entre les femmes et les hommes y est même encore plus flagrante:
la participation, la visibilité médiatique, le leadership et la
rémunération des femmes ne sont tout simplement pas comparables
à ceux des hommes. Le discours de haine, en particulier fondé sur
les préjugés ethniques, le genre, l’orientation sexuelle et l’identité
de genre, est monnaie courante. Mme Knežević
indique ainsi que traiter un joueur d’«homo» est l’une des insultes
les plus courantes pour sous-entendre qu’il n’est pas performant.
16. Les mobiles de la discrimination et du discours de haine varient
selon la région géographique. Dans les Balkans, par exemple, les
préjugés xénophobes arrivent en tête, tandis que le racisme est
plus courant dans les sociétés d'Europe occidentale. La violence
physique s'invite à la fois sur le terrain de sport (entre joueurs) et
autour du terrain (impliquant les supporters) et peut être considérée,
au moins en partie, comme une conséquence du discours de haine.
17. Agir dans le domaine du sport en vue de lutter contre ces
phénomènes implique de relever certains défis: s'il est possible
de faire du sport à l'école, dans le cadre de l'éducation physique,
c'est aussi, de plus en plus, une activité extrascolaire pratiquée
dans le cadre privé, dont les coûts sont à la charge de la famille
et qui devient un luxe. L'aspect commercial du sport prend le dessus,
avec de gros contrats pour les meilleurs athlètes et un intérêt
marqué pour la publicité et la vente des droits de diffusion. Le
manque de fonds pour soutenir les activités des sportifs «ordinaires»
est également problématique. Cette «commercialisation» du sport
amoindrit sa fonction éducative et son impact social positif. Les
athlètes populaires ont toutefois une forte influence, et leur rôle
dans l’envoi de messages positifs mériterait d’être renforcé.
3. Le
racisme, l’intolérance et le discours de haine dans le sport aujourd’hui
18. Je m’appuie sur les travaux
de Mme Knežević pour dire que toutes
les principales formes de haine et de discours haineux existent
actuellement dans le sport. Les actes haineux sont généralement
le fait de supporters et visent soit d’autres supporters, soit des
joueurs, et sont fondés sur tous les motifs de discrimination. Quelques
exemples.
– Discours de haine fondé sur
l’origine ethnique
19. Le 19 février 2017, en Serbie,
des supporters du Football Club Rad ont lancé des cris de singe
vers un joueur du Partizan, Everton Luiz, à cause de sa peau foncée.
La Fédération serbe de football a sanctionné le FC Rad (deux matchs
à huis clos). En avril 2014, en Espagne, des supporters du Villareal
ont lancé une banane au joueur du FC Barcelone Dani Alves. Le Villareal
Club a été condamné à une amende, tandis que le lanceur de bananes
a été interdit de stade à vie.
20. Le réseau Fare (Football Against Racism in Europe), une organisation
internationale qui compte des membres dans plus de 45 pays, rend
compte régulièrement sur son site web (
www.farenet.org) de centaines d’incidents racistes, homophobes, sexistes
et xénophobes survenus sur les terrains de sport en Europe et ailleurs.
Le 19 juin 2017, Fare a ainsi rapporté 89 incidents motivés par
le racisme et l’extrémisme de droite survenus lors de matchs de
football en Russie pendant la saison 2016-2017, selon les données
recueillies par le Centre SOVA de Moscou. Le dernier rapport annuel
de SOVA indique également que les autorités russes ont interdit
de stade 191 supporters au moins. Par ailleurs, la Fédération de
Russie de football (RFS) a exclu Alexander Shprygin, chef influent
des supporters russes et militant d’extrême droite connu, qui avait
déjà été expulsé de France à deux reprises pour actes de violences
lors du match Russie-Angleterre du Championnat d’Europe.
21. Après la Coupe du Monde 2018 de football remportée par l’équipe
de France en Russie, de nombreux commentaires racistes ont été relevés
et rapportés dans un grand nombre de pays. La plupart ont été relevés dans
les réseaux sociaux, à la suite d’articles parus dans la presse
écrite (par exemple La Repubblica en
Italie) et d’émissions télévisées (dont le Daily Show
de Trevor Noah aux États-Unis), ainsi que dans les commentaires
de responsables politiques qui diffusaient des propos haineux concernant
l’origine ethnique des footballeurs français. Le Centre de surveillance
des comportements racistes et xénophobes de Varsovie a enregistré
de nombreux messages racistes dans les médias sociaux polonais.
Selon les déclarations du directeur du centre, M. Konrad Dilkowski,
à l’agence de l’AFP, des commentaires et des messages racistes ont
été relevés à chaque nouvelle mise en ligne, non seulement après
la finale France-Croatie à Moscou, mais aussi après la défaite de
la Pologne face au Sénégal en phase de groupe de la Coupe du Monde,
le 19 juin.
22. Selon les données recueillies par Fare, une vingtaine d’incidents
racistes et xénophobes graves se sont produits en novembre 2018
dans plusieurs pays européens, notamment:
«3 novembre 2018 – championnat d’Angleterre: Middlesbrough
– Stoke City
Un groupe de supporters de Middlesbrough a chanté une
chanson sectaire et lancé des insultes racistes en direction d’un
joueur de Stoke, James McClean, à la fin du match.
3 novembre 2018 – Coupe Bill Hill: Pelsall United FC –
Real Aston FC
Le match de coupe hors ligue a dû être interrompu après
que les joueurs du Pelsall United ont proféré des insultes raciales
à l’encontre de plusieurs joueurs du Real Aston et l’agression physique
du milieu de terrain Shaq Ajmal.
8 novembre 2018 – UEFA Europa League: Apollon Limassol
– Eintracht Frankfurt
Un groupe de supporters d’Apollon Limassol a fait des
saluts nazis et lancé des insultes racistes contre les joueurs noirs
de l’Eintracht Frankfurt pendant le match.»
– Nationalisme/xénophobie
23. En novembre 2013, en Croatie,
à l'issue du match de qualification pour la Coupe du Monde 2014,
le joueur croate Josip Šimunić a crié des slogans nationalistes
insultants pour les pays voisins. Šimunić a été interdit de terrain
pour 10 matchs internationaux et à une amende de 30 000 CHF par
la Fédération internationale de football association (FIFA). En
2016, Šimunić a saisi la Cour constitutionnelle, qui a rejeté sa plainte,
et a ensuite déposé une requête à la Cour européenne des droits
de l'homme; en janvier 2019, la Cour a déclaré sa requête irrecevable.
Il est important de mentionner que cette décision déclare notamment: «Le requérant,
en sa qualité de star du football et de modèle pour de nombreux
fans de ce sport, aurait dû être conscient des conséquences négatives
possibles de ses slogans provocateurs sur le comportement des spectateurs,
et aurait donc dû s’abstenir de tels agissements.»
– Violence homophobe ou sexiste
24. Kaster Semenija, une athlète
sud-africaine, a été insultée et humiliée à plusieurs reprises,
y compris par les médias, et même agressée physiquement, pour sa
nature et son apparence supposées être masculines. Le 21 novembre
2016, en Espagne, lors du derby Atlético Madrid-Real Madrid, le
footballeur Koke a traité son adversaire Cristiano Ronaldo de «tapette
friquée». Le footballeur a reçu un carton jaune. Plus tard, invité
à s’excuser publiquement, il s’est refusé à tout commentaire. De
nombreux athlètes dans diverses disciplines ont dénoncé l’omniprésence
de l’homophobie dans le sport. Contrairement à d’autres motifs de
discrimination, l’homophobie est aussi répandue parmi les athlètes
que parmi les spectateurs. Certains joueurs ont attendu la fin de
leur carrière pour faire leur coming-out, expliquant que cela leur
aurait été impossible de le faire plus tôt, surtout dans les sports
d’équipe. Cette situation exige des mesures spécifiques.
25. Voici un extrait du rapport mensuel Fare de novembre 2018:
«23 novembre 2018 – Veronica Inside:
Johan Derksen
Durant le magazine télévisé Veronica Inside, le commentateur
de football Johan Derksen a tenu des propos homophobes à propos
d’une pétition de la Royal Dutch Football Association pour des stades
de foot plus respectueux des gays.
23 novembre 2018 – FC Bâle
Le FC Bâle a été accusé de sexisme – les joueuses de l’équipe
féminine n’ont pas été invitées au dîner de gala du 125e anniversaire
du club, mais à vendre des billets de tombola aux invités pour développer la
section féminine.
24 novembre 2018 – The English FA Cup: Poole Town – Dorking
Wanderers
Un groupe de supporters du Poole Town a lancé des insultes
homophobes contre des joueurs du Dorking Wanderers pendant le match.»
– Discours de haine fondé sur
des considérations politiques
26. Sur les terrains de sport,
les tensions politiques entre communautés se traduisent souvent
par des propos haineux et des actes de violence. Les exemples abondent,
surtout dans les pays qui ont connu un effondrement, comme l’ex-Union
soviétique et l’ex-Yougoslavie, et montrent comment la violence
verbale peut facilement dégénérer en d’autres formes de violence.
Le match qui a opposé le Dinamo Zagreb à l’Étoile Rouge à Belgrade
le 13 mai 1990, parfois qualifié de «match qui a déclenché une guerre»,
est un exemple extrême. Les violences nationalistes des supporters
des deux clubs ont dégénéré en émeutes sur le terrain comme en dehors.
Alors que la Yougoslavie était déjà à deux doigts de la guerre,
certains considèrent que ce match en a été le déclencheur. L’importance
du football et du sport en général, en tant que miroir et catalyseur des
tensions de la société dans son ensemble, ne devrait pas être sous-estimée.
C’est pourquoi il est crucial de lutter contre le discours de haine
et les autres manifestations de haine dans le sport. Comme le dit
Dave Roth, écrivain de football, «le match du 13 mai 1990 a prouvé
que, pour le meilleur ou pour le pire, le football peut être plus
qu’un jeu».
4. Du
discours de haine aux infractions motivées par la haine
27. Comme cela a déjà été indiqué,
la violence verbale peut ouvrir la voie à la violence physique et
le discours de haine peut mener à des crimes de haine. Je citerai
un autre exemple des Balkans: le 11 juin 2016, dans la capitale
serbe, une personne a été tuée dans des émeutes impliquant une centaine
de supporters de deux clubs rivaux de Belgrade, le FK Crvena Zvezda
et le KK Partizan. L’auteur n’a jamais été identifié. On trouve
aussi des exemples dans d’autres pays et dans d’autres sports. Par
exemple, en 1993 en Allemagne, la joueuse de tennis Monika Seles
a été victime d’une agression au couteau dans laquelle certains
ont vu un crime de haine xénophobe.
28. Le lien entre le discours de haine et d’autres formes de violence
est également souligné dans le rapport publié chaque année depuis
2014 par Assocalciatori, une association italienne de footballeurs,
sur la base des cas de violence verbale, d’intimidation et d’agressions
physiques sur des athlètes. Le rapport souligne que la violence
verbale ouvre la voie à d’autres formes de violence, le lien étant
l’intimidation et les menaces.
29. Le rapport est un bon exemple de collecte et d’analyse de
données, car il comprend des chiffres sur les incidents ventilés
par zone géographique, par statut des victimes (professionnel ou
amateur) et par type d’auteur. Il est intéressant de noter que dans
50 % des cas, les auteurs sont des supporters de l’équipe locale et
dans environ 35 % des cas, des supporters de l’équipe adverse. Les
données montrent aussi que certaines régions italiennes sont beaucoup
plus touchées que d’autres. Les différentes causes de violence et d’intimidation
méritent également d’être relevées: le racisme concerne plus d’un
tiers des cas, le reste étant partagé entre d’autres motivations
principalement liées à la compétition, comme la perte d’un match
ou le risque de relégation. Collecter des données fiables, ventilées
et comparables aide à comprendre le phénomène et son évolution,
et est crucial pour y remédier.
5. Action
du Conseil de l’Europe contre la haine dans le sport
30. Le discours de haine menace
la dignité humaine et les libertés fondamentales, d’où la grande
attention que lui prêtent divers organes et services du Conseil
de l’Europe. Dans le cadre de leur mandat respectif, et souvent
par des activités communes, tous s’efforcent de lutter contre ce
fléau, y compris dans le domaine du sport en particulier. Dans ce
rapport, je présenterai les acteurs et leurs principales activités.
La liste ne saurait être exhaustive dans la mesure où elle concerne
les acteurs plus directement concernés par le sujet.
– L’Accord partiel élargi sur
le sport
31. L’Accord partiel élargi sur
le sport (APES) est une plateforme de coopération intergouvernementale dans
le domaine du sport qui repose sur les valeurs du Conseil de l’Europe,
notamment l’interdiction de la discrimination, et sur les droits
énoncés dans la Convention européenne des droits de l’homme (STE
no 5). L’APES, établi en 2017, a d’emblée
fait de la promotion de la diversité l’une de ses principales priorités.
Ses projets et manifestations ont traité des questions relatives
à la participation au sport, y compris la discrimination fondée
sur le genre, la race, l’origine ethnique, le handicap ou l’orientation
sexuelle. L’APES organise régulièrement les conférences du Conseil
de l’Europe des ministres responsables du sport. Six de ces conférences
de haut niveau se sont tenues à ce jour. Elles ont donné lieu à
des discussions et à l’adoption de résolutions sur des questions
allant de la corruption dans la gouvernance du sport au trucage
de matchs et à l’égalité de genre dans le sport. Compte tenu du
développement du discours de haine, je pense qu’il faudrait s’intéresser
spécifiquement à cette question dans le cadre des travaux plus généraux
sur l’égalité et la non-discrimination dans le sport à l’occasion
des conférences ministérielles. La dernière conférence s’est tenue
le 16 octobre 2018 en Géorgie.
– Les conventions du Conseil
de l’Europe
32. Le Conseil de l’Europe a adopté
plusieurs traités internationaux sur le sport. La Convention européenne sur
la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations
sportives et notamment de matchs de football (STE no 120),
ouverte à la signature en 1985 et entrée en vigueur le 1er novembre
1985, a été le premier texte juridique international adopté en réaction
au drame du Heysel en Belgique. Ses Parties s’engagent à coopérer
entre elles (tout en encourageant une coopération similaire entre
les pouvoirs publics et les organisations sportives indépendantes)
pour prévenir et contrôler la violence et les débordements de spectateurs
lors de manifestations sportives.
33. Inspirée de l’expérience de décennies de mise en œuvre de
la Convention de 1985, une nouvelle Convention du Conseil de l’Europe
sur une approche intégrée de la sécurité, de la sûreté et des services
lors des matchs de football et autres manifestations sportives (STCE
no 218) a été négociée. Elle a été ouverte
à la signature en juin 2016 et est entrée en vigueur le 1er novembre
2017. L’idée du texte est d’aller au-delà d’une approche axée sur
la violence pour privilégier une approche intégrée fondée sur les
trois éléments repris dans le titre, à savoir la sécurité, la sûreté
et les services. L’autre grande nouveauté est la pluralité d’acteurs: aucun
acteur unique, comme la police, ne devrait s’atteler seul à la sûreté
et à la sécurité des manifestations sportives; une série d’organismes
ou d’acteurs doit intervenir. L’article 5 sur la sécurité, la sûreté
et les services dans les stades dispose que les Parties «[veillent
à ce que les dispositifs] comprennent des politiques et des procédures
claires concernant les questions susceptibles d’avoir une incidence
sur la gestion de la foule et les risques connexes d’atteinte à
la sécurité et à la sûreté» et renvoie en particulier aux «comportements
violents et autres comportements interdits; et [aux] comportements
racistes et autres comportements discriminatoires». Ce libellé est
suffisamment général pour couvrir le discours de haine et les actes
de haine. Il est important que l’interprétation et l’application
de ce texte au niveau national tienne compte de la nécessité d’examiner
ces questions. Même si cette disposition s’applique spécifiquement
aux stades, je tiens à souligner que le discours de haine dans le
sport ne se manifeste pas seulement sur les terrains de sport mais
aussi dans d’autres espaces physiques, dans les médias (traditionnels
et sociaux) et au-delà.
– Le Mouvement contre le discours
de haine
34. Le Mouvement contre le discours
de haine est une campagne lancée en 2013 par le secteur Jeunesse du
Conseil de l'Europe pour lutter contre ce fléau, notamment en ligne.
Menée par le Conseil de l'Europe jusqu'en 2017, cette campagne se
poursuit dans la majorité des États membres grâce aux comités nationaux dont
le travail s'appuie sur une coopération entre la société civile,
en particulier les organisations de jeunesse, et les pouvoirs publics.
35. Les divers services du Conseil de l’Europe coopèrent souvent
et mènent des activités conjointes pour lutter contre le discours
de haine. Pour preuve, l’atelier intitulé «Lutter contre le discours
de haine dans le sport» tenu les 21 et 22 novembre 2017 à Sarajevo
à l’initiative de l’Accord partiel élargi sur le sport et du secteur
Jeunesse du Conseil de l’Europe avec le ministère des Affaires civiles
de la Bosnie-Herzégovine. Du fait de la participation d’experts
et d’organisations sportives de la région surtout, mais pas exclusivement,
le séminaire a été utile dans la mesure où il a permis de décrire
la situation (différentes manifestations de la haine, personnes
touchées, mesures prises pour lutter contre ce phénomène) mais aussi
de formuler des recommandations (adressées respectivement à l’APES/Conseil
de l’Europe, à l’Union européenne, aux autorités responsables de
l’éducation sportive et enfin aux autorités nationales, régionales
et locales).
– L’ECRI
36. En 2008, la Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a adopté sa Recommandation
de politique générale no 12 sur la lutte
contre le racisme et la discrimination raciale dans le domaine du
sport. Le préambule de cette recommandation met en évidence une
série de principes que devraient partager tous ceux qui sont actifs
dans le domaine du sport et qu’en ma qualité de rapporteur, j’entends
appuyer. Le texte est ainsi libellé: «Les valeurs fondamentales
du sport que sont le fair-play, la rivalité amicale, le respect
mutuel et la tolérance doivent être au centre de toute activité
sportive» et «[l]a protection contre le racisme et la discrimination
raciale est un droit de l’homme, qui doit être garanti aussi dans
le domaine du sport». Il ajoute, et c’est important, que «[l]e grand
public doit participer à la lutte contre le racisme et l’intolérance
dans le sport, dans un esprit de solidarité et d’amitié internationales»,
ce que je considère comme une indication utile pour les législateurs,
les décideurs et les représentants de la société civile. De fait,
le grand public devrait non seulement être le destinataire des activités
d’information et de sensibilisation mais il devrait aussi s’investir
et promouvoir activement la tolérance et l’inclusion dans le sport.
Il est aussi dit dans le préambule que «[l]e sport a non seulement
un rôle d’éducation et de socialisation mais [qu’] il peut aussi
aider à explorer et à célébrer la diversité». Outre que je regrette
l’existence de la discrimination raciale dans le sport et condamne
toutes les manifestations de racisme, de xénophobie, d’antisémitisme
et d’intolérance, je juge important que la recommandation de politique
générale rejette «toute argumentation tendant à banaliser les actes
racistes commis lors de rencontres sportives». En effet, le racisme
est trop souvent banalisé aujourd’hui. Nous ne devrions pas être
pris au dépourvu ni nous laisser distraire par une fallacieuse tendance
à minimiser les propos injurieux visant les minorités. La limite
avec le discours de haine est vite franchie et nous devrions faire
preuve de vigilance et essayer de poser une limite à ce qui est
acceptable, y compris dans le domaine du sport.
37. La Recommandation de politique générale no 12
énonce un grand nombre de mesures pour lutter contre le racisme
et la discrimination raciale dans le domaine du sport; elles comprennent
des dispositions juridiques adéquates pour lutter contre la discrimination
raciale et incriminer les actes racistes et former les forces de police
à l’identification, à la prévention et au traitement des comportements
racistes sur les terrains de sport et alentour.
– Le Protocole d'accord entre
le Conseil de l'Europe et l’UEFA
38. En mai 2018, le Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe, Thorbjørn Jagland, et le président
de l’Union des associations européennes de football (UEFA), Aleksander
Čeferin, ont signé un protocole d’accord pour renforcer la coopération
et mettre en œuvre des stratégies communes dans quatre grands domaines:
- les droits de l’homme, l’intégrité
et la gouvernance dans le sport;
- la sûreté et la sécurité lors des matchs de football;
- la coopération dans un intérêt mutuel en vue des grandes
compétitions de football;
- la coopération institutionnelle.
39. Les outils envisagés par ce texte sont le dialogue régulier
entre les deux organisations, des initiatives conjointes, des échanges
de bonnes pratiques et des projets ciblés. Le préambule du protocole
dispose que «[l]e Conseil de l’Europe et l’UEFA ont en partage plusieurs
valeurs et principes tels que le respect des droits de l’homme et
de la dignité humaine, la démocratie, la non-discrimination, la
diversité culturelle, la tolérance, la durabilité, la solidarité,
l’éthique dans le sport et l’attachement à la bonne gouvernance».
Pour ce qui est de la dignité, de la diversité culturelle et de
la tolérance, le texte indique que «[d]es efforts particuliers seront
faits dans les buts suivants: (…) prendre toutes les mesures nécessaires
pour prévenir et combattre toute manifestation de violence raciale,
de racisme ou toute autre forme de discrimination institutionnelle
ou sociale, y compris les discours de haine».
40. Le protocole ne crée pas de droit ou d’obligation en vertu
du droit international ou national et «[c]haque Partie gérera son
propre budget» (paragraphe 3.2). Toutefois, «[c]haque Partie s’efforcera
de promouvoir et de mettre pleinement en œuvre les objectifs et
stratégies de coopération détaillés établis conformément au présent
Protocole et au Plan de coopération» (paragraphe 3.4). Un plan de
coopération et une feuille de route seront adoptés tous les deux
ans et les deux organisations passeront conjointement en revue leur
coopération.
41. Les activités concrètes qui seront planifiées et menées conjointement
détermineront l’étendue réelle et le champ d’action de la coopération
entre le Conseil de l’Europe et l’UEFA. Le libellé du protocole
d’accord est encourageant et montre que les deux parties sont convaincues
que le sport peut jouer un rôle important dans la lutte contre le
racisme et le discours de haine et qu’elles entendent exploiter
ce potentiel. On peut s’attendre à ce que cette coopération soit
fructueuse et ait des effets positifs. L’Assemblée devrait être
prête à l’appuyer, que ce soit en participant à des activités conjointes
ou en donnant à ces dernières une visibilité dans le cadre de son
mandat.
Le Protocole d’accord entre le
Conseil de l’Europe et la FIFA
42. Le 5 octobre 2018, à Strasbourg,
le Conseil de l’Europe et la FIFA ont également signé un protocole d’accord
qui mentionne, entre autres, à la section «Bases de la coopération»,
que «[l]e football est fait pour tous, indépendamment du sexe, de
la race, de l’âge, du handicap, de la religion, de la nationalité,
de l’orientation sexuelle et du milieu social. La diversité doit
être défendue dans et par le sport et toute forme de discrimination,
institutionnelle ou sociale, doit être proscrite». Il précise également
à la section «Domaines et objectifs de la coopération» que «[d]es
efforts particuliers seront faits [pour] combattre la violence contre
les femmes et promouvoir l’égalité entre les sexes, notamment en
développant une approche prenant en compte la dimension de genre
dans toutes les politiques et mesures appliquées et en luttant contre
les stéréotypes de genre et les obstacles socioculturels» et «en
prévenant et en combattant la discrimination sous toutes ses formes
dans le football». Compte tenu de la popularité immense du football
en Europe, l’impact potentiel des activités menées en coopération
avec le Conseil de l’Europe est considérable. Cette initiative mérite
un soutien politique et un suivi sans réserve.
– Les textes adoptés par l’Assemblée
parlementaire
43. L’Assemblée parlementaire a
adopté plusieurs textes relatifs au sport. La
Résolution 2199 (2018) «Vers un cadre pour une gouvernance sportive moderne»
présente un intérêt au regard de ce rapport. Dans son exposé des
motifs, le rapporteur, Mogens Jensen, cite la violence et le discours
de haine parmi les activités criminelles qui ont terni l’image du
sport ces dernières années, avec le dopage, la manipulation des
résultats, la corruption, les paris illégaux, les malversations
financières et l’évasion fiscale. Dans ce texte, l’Assemblée se
félicite des initiatives prises par les instances dirigeantes du
sport aux niveaux national et international pour établir des codes
et des normes de bonne gouvernance; elle demande instamment que
soit établi et mis en œuvre un ensemble solide de critères de bonne
gouvernance harmonisés et «considère qu’il est nécessaire d’élaborer,
en se fondant sur le même ensemble de critères de bonne gouvernance
harmonisés, une convention du Conseil de l’Europe relative à la
bonne gouvernance dans le sport. Cette nouvelle convention viendrait
compléter la base conventionnelle existante couvrant le dopage,
le trucage de matchs et la violence des spectateurs». Les conventions
du Conseil de l’Europe, souvent négociées à l’initiative de l’Assemblée parlementaire,
ont contribué à façonner le droit international et national en Europe
dans un grand nombre de domaines, dont le sport. L’idée d’une nouvelle
convention complétant le cadre juridique existant sur le sport devrait
être fermement appuyée. Un tel texte devrait comprendre des dispositions
visant à prévenir le discours de haine et les actes de haine et
à poursuivre leurs auteurs ainsi qu’à protéger les victimes.
44. La
Résolution 2131
(2016) «Le sport pour tous: un pont vers l’égalité, l’intégration
et l’inclusion sociale» prend comme point de départ l’observation
selon laquelle «le sport joue un rôle important pour la cohésion sociale
en offrant des possibilités de rencontres et d’échanges d’idées
entre personnes de sexe, de capacités, de nationalité ou de cultures
différents, renforçant ainsi la culture du “vivre ensemble”»; toutefois,
«le sport pour tous n’est pas encore une réalité». L’Assemblée recommande
donc aux États membres de réorienter les priorités de leurs politiques
sportives afin de mettre en valeur l’apport du sport dans les politiques
concernant «la santé, la cohésion sociale, l’éducation, la jeunesse,
la non-discrimination, ainsi que l’accueil et l’intégration des
migrants». Parmi les mesures recommandées dans ce texte figure la
mise en place de «mécanismes pour surveiller de manière régulière
et systématique la discrimination dans le domaine du sport, y compris
la discrimination fondée sur le handicap d’une personne, son identité
raciale, culturelle ou ethnique, son âge, sa religion, son orientation
sexuelle, son identité de genre, son expression sexuelle ou ses
caractéristiques sexuelles, afin d’améliorer l’analyse des risques
dans ce domaine, d’étudier des stratégies de prévention ciblées,
de faciliter le dépôt de plaintes individuelles et de s’assurer
que celles-ci sont correctement examinées».
6. Consultation
des comités olympiques nationaux
45. Lors de la réunion organisée
à Paris le 19 septembre 2018, j’ai présenté un questionnaire destiné
aux organisations sportives, qui a été transmis, peu de temps après,
aux comités olympiques nationaux des États membres du Conseil de
l’Europe.
46. Ce questionnaire avait pour objet de recueillir des informations
sur la nature du discours de haine et des infractions motivées par
la haine dans le monde du sport, y compris sur les personnes et
les groupes visés par ce discours et ces infractions, ainsi que
sur les mesures adoptées pour lutter contre ces phénomènes.
47. Le nombre de réponses reçues est faible (cinq comités nationaux
ont fourni des informations: l’Allemagne, Chypre, la Finlande, la
Grèce, et la Hongrie), mais leur contenu est intéressant. Le peu
de réactions suscitées peut d’ailleurs être considéré comme une
information intéressante en soi. On pourrait l’interpréter comme
le signe d’une méconnaissance ou d’un manque d’intérêt des organisations
sportives pour les questions en jeu. Cela étant, si l’on tient compte
de la «surcharge d’enquêtes» (les personnes et les organisations
sont constamment invitées par des interlocuteurs publics ou privés
à présenter leurs activités, à fournir des informations ou à partager
leurs avis sur divers sujets, ce qui demande du temps et des ressources),
le faible nombre de réponses ne doit pas être surinterprété.
48. Le présent rapport décrit en outre quelques exemples de bonnes
pratiques dans le domaine de la prévention de la haine et de la
promotion de l’inclusion dans le sport.
6.1. Principales
conclusions
49. Les principales informations
que le questionnaire envoyé aux comités olympiques nationaux visait
à recueillir étaient la prévalence ainsi que la nature du discours
de haine et des infractions motivées par la haine dans les États
membres du Conseil de l’Europe, l’existence de dispositions et de
sanctions spécifiques pertinentes dans la réglementation du sport
et leur application, et les mesures prises pour remédier à ces phénomènes.
Les comités devaient également indiquer s’ils intervenaient eux-mêmes
directement dans l’une ou l’autre de ces activités.
50. Les réponses font état d’une grande diversité dans la prise
de conscience de ces phénomènes et dans la détermination à y remédier.
Dans un cas, presque toutes les réponses sont négatives ou absentes:
aucune information n’est donnée quant au nombre d’incidents et quant
à son éventuelle augmentation, et les motifs de discrimination ne
sont pas indiqués. De même, aucune information n’est donnée sur
les sanctions ou les politiques applicables. Cela étant, le comité
concerné estime que les acteurs susceptibles de contribuer à prévenir
le discours de haine sont les médias, et que les outils à utiliser
sont ceux des médias. Un autre comité indique clairement que le
discours de haine et les infractions motivées par la haine ne concernent
pas le sport en général, mais seulement le football. Les incidents
se produiraient «occasionnellement», seraient de moins en moins
fréquents et fondés systématiquement (dans 100 % des cas) sur l’origine
ethnique ou nationale ou encore la religion. La fédération nationale
de football gère ces incidents et impose éventuellement des sanctions
aux auteurs. Le comité olympique n’intervient pas dans l’élaboration
des politiques de lutte contre les phénomènes liés à la haine.
51. Bien qu’il n’y ait pas de consensus, on observe certaines
similitudes dans les indications concernant les acteurs susceptibles
d’influer positivement sur la prévention de la haine dans le sport.
Ainsi, quatre comités sur les cinq ayant répondu au questionnaire
considèrent que les médias et les sportifs professionnels peuvent être
des alliés efficaces. La direction des clubs sportifs est mentionnée
trois fois. Les acteurs mentionnés une ou deux fois sont les chefs
des groupes de supporters, les arbitres et les entraîneurs, ainsi
que les sportifs amateurs. Un comité cite aussi les parents des
athlètes, lesquels ont été renseignés à la rubrique «autres», car
ne figurant pas dans les choix de réponses possibles.
52. Le Comité national olympique finlandais n’a pas d’informations
à communiquer sur le nombre total d’incidents, les motifs de discrimination
ou la tendance à la hausse ou à la baisse, car il n’est pas chargé
de centraliser la gestion des données. Chaque fédération sportive
tient un registre de ses procédures disciplinaires. En tant que
tels, le discours de haine et les infractions motivées par la haine
sont couverts par des dispositions du droit pénal et non par le
règlement des fédérations sportives. Cependant, la discrimination et
les propos discriminatoires sont mentionnés dans les règles ou les
lignes directrices mises en place par les fédérations en matière
disciplinaire. Les sanctions sont appliquées en conséquence: les
cas de discrimination et d’utilisation de propos discriminatoires
sont sanctionnés par les fédérations concernées. Les cas plus graves,
qui s’analysent en discours de haine, voire en infractions motivées
par la haine, sont traités par la police et la justice.
53. Le comité finlandais explique que ses principaux objectifs
sont de sensibiliser l’opinion à l’égalité et à la non-discrimination
ainsi que d’instaurer un climat d’acceptation plus positif, ce qui,
selon lui, est beaucoup plus efficace que réprimer les comportements
indésirables. Pour le comité, il est plus utile de rapprocher personnes différentes
et de s’efforcer de faire changer d’avis ceux qui ont tendance à
pratiquer la discrimination. Les sanctions ne contribuent pas nécessairement
à l’éducation des auteurs. Souvent, elles les rendent plus hostiles
et il devient plus difficile de les atteindre. Plusieurs grandes
organisations sportives du pays mettent en œuvre des stratégies
de renforcement de l’égalité. Conformément à ces principes, le comité
a participé à divers événements, notamment la Marche des fiertés
d’Helsinki et la manifestation «Contre le racisme!», qui allie musique,
jeux et activités pour les enfants et qui a inauguré la Semaine
contre le racisme en mars 2017.
54. En Allemagne, le questionnaire a été traité par la Deutsche
Sportjugend (DSJ), l’organisation sportive allemande pour la jeunesse,
et l’information est donc plus spécifiquement axée sur les jeunes.
La DSJ ne collecte ni ne traite les données, lesquelles sont traitées
au niveau régional et ne sont pas transmises au niveau central pour
des raisons juridiques de protection des données. L’organisation
n’a donc pas fourni d’informations sur la prévalence des incidents
et des infractions motivées par la haine – ce qui ne veut pas dire qu’elle
ne prend pas ces questions au sérieux. La DSJ indique explicitement
dans son «Code de la jeunesse» qu’elle défend les droits de l’homme,
la tolérance religieuse et idéologique, ainsi que l’égalité de genre,
et qu’elle «promeut la rencontre sans préjugés des jeunes dans le
sport, indépendamment de leur origine, nationalité, appartenance
ethnique, idéologie, genre, orientation sexuelle, appartenance à
un groupe ou handicap». L’organisation réalise des activités d’information
et de formation, y compris la formation de formateurs qui ensuite
inculqueront les valeurs démocratiques et la non-discrimination
aux jeunes qui participent aux activités sportives. La DSJ est membre
du Réseau sport et politique pour l’équité, le respect et la dignité
humaine, qui regroupe des organisations sportives et des institutions
publiques qui luttent ensemble contre l’extrémisme de droite et
toute forme de discrimination.
55. S’agissant des acteurs susceptibles d’avoir le plus d’impact,
l’éventail est très large selon nos interlocuteurs allemands qui
citent, entre autres, les clubs de sport et les organisations sportives
ainsi que les autorités publiques et répressives et les médias.
56. Le Comité national olympique grec est aussi très attentif
aux phénomènes de haine et a fourni à ce titre des informations
détaillées. Le comité considère que les incidents se produisent
«très fréquemment» et qu’ils sont en augmentation. Les dispositions
traitant expressément de ce problème ne figurent pas dans les règlements
des fédérations sportives, mais dans les lois de 1999 et 2015 relatives
au sport. En particulier, ces lois disposent que «[d]ans les cas
graves d’incidents, de comportements racistes et de violences liées
au sport en général, que ce soit sur le terrain ou en dehors de
celui-ci, le ministre des Sports peut, par une décision motivée
fondée sur des propositions de la Commission permanente pour le
traitement de la violence, imposer des amendes comprises entre dix
mille (10 000) et un million (1 000 000) d’euros aux clubs sportifs
concernés, au département des sportifs rémunérés et à la société
anonyme sportive, ainsi qu’aux fédérations sportives concernées
et/ou aux associations professionnelles, mais aussi à des personnes
physiques. Dans les cas particulièrement graves, le statut de sportif
ou d’organisme sportif peut être retiré». De plus, un projet de
loi en cours d’élaboration contient des dispositions qui décrivent
en détail les comportements pénalement répréhensibles (jet d’objets
sur le terrain de jeu, détention ou utilisation d’objets susceptibles
de causer des blessures corporelles, intrusion sur le terrain en
vue de perturber le jeu, affichage de slogans ou d’images à contenu
insultant ou raciste, utilisation de pointeurs laser pour viser
des sportifs, des arbitres, des entraîneurs ou des spectateurs).
Les sanctions consistent notamment en une incarcération de six mois
minimum et une amende. Jusqu’à présent, des sanctions ont été imposées
par le ministre des Sports, par le biais de décisions motivées fondées
sur des propositions de la Commission permanente pour le traitement
de la violence.
57. Le Comité olympique grec considère que la prévention et la
sensibilisation dès le plus jeune âge sont les outils les plus efficaces.
En conséquence, il mène, en collaboration avec l’Académie nationale
de Grèce, des programmes éducatifs dans les écoles afin de sensibiliser
les enfants à la question de la violence dans le sport.
6.2. Bonnes
pratiques: éducation et actions de sensibilisation en Europe
58. Les États membres du Conseil
de l’Europe, plus que jamais conscients qu’il faut combattre le
discours de haine et les infractions motivées par la haine dans
le sport, mènent diverses activités pour lutter contre ces phénomènes.
J’aimerais en mentionner quelques-unes, à commencer par les exemples
fournis par les comités olympiques nationaux (grec et finlandais
en particulier) qui ont répondu au questionnaire.
59. En Grèce, le comité coopère avec l’Académie olympique hellénique
pour mener deux projets pilotes sur le thème du discours de haine
dans le sport. Ces projets, qui s’adressent aux enfants de 6e année,
s’inscrivent dans le cadre du programme d’éducation aux valeurs
olympiques. Le premier porte sur la gestion des émotions que ressentent
les sportifs après une défaite de leur équipe. Les membres des équipes
perdantes sont invités à regarder leur défaite calmement et sans
rejeter la responsabilité de leur échec sur leurs coéquipiers, en particulier
si ces derniers sont étrangers, migrants, socialement défavorisés
ou s’ils appartiennent à une minorité religieuse. Les enfants participent
à des entretiens virtuels avec des journalistes; dans ce jeu de
rôle, ils s’expriment en employant des mots positifs et font leur
autocritique sans faire de remarques négatives ou offensantes à
leurs coéquipiers. Environ 350 élèves de trois écoles ont pris part
à cette activité pilote. Le second projet, intitulé «Le relais de
la non-violence», comporte des activités destinées à lutter contre
le discours de haine, notamment la création d’une chaîne humaine
d’un bout à l’autre d’un stade pour transmettre des messages oraux
sur des valeurs olympiques telles que l’amitié, l’égalité, le respect,
la fraternité, la solidarité, la coexistence et la démocratie. Cette
activité s’est tenue à Athènes et une centaine d’élèves de deux
écoles y ont pris part.
60. L’Académie olympique hellénique en coopération avec le Comité
olympique hellénique prévoit de mettre aussi en œuvre un projet
sur la non-violence dans le sport, dans un premier temps dans des
clubs sportifs puis dans des écoles. L’idée sous-jacente est que
la violence en tant que phénomène social est fortement influencée
par l’environnement socio-économique, mais qu’elle est essentiellement
un comportement acquis. Les jeunes peuvent donc reconsidérer leurs
comportements et apprendre à devenir non-violents, responsables
et respectueux de tous les membres de la société. Malheureusement,
comme le souligne l’Académie, la violence à l’école et au cours
des événements sportifs est en hausse, de même que ses effets négatifs
sur les jeunes. Le futur programme portera sur le développement
personnel des enfants et des adolescents, et sur l’intelligence
émotionnelle, l’autonomisation et le développement des compétences. L’objectif
est que les jeunes fassent l’expérience d’un changement personnel
grâce au «pouvoir de suggestion capable de nous faire changer nos
habitudes». À la fin de la première période de trois ans, un modèle opérationnel
aura été mis au point et le programme pourra être reproduit dans
de nouveaux contextes.
61. En Finlande, le comité olympique travaille actuellement sur
une politique générale dont l’objet est d’améliorer l’inclusion
des personnes transgenres et intersexes dans le sport. De plus,
l’université de Jyväskylä a démarré, en 2018, un projet de recherche
sur trois ans appelé PREACT, dont l’objet est d’étudier le phénomène
du harcèlement ainsi que d’autres formes de discrimination dans
le sport, en mettant l’accent sur la discrimination fondée sur l’identité
de genre et l’orientation sexuelle. L’objectif scientifique de ce
projet piloté par la psychologue du sport Dr Marja Kokkonen est
triple: examiner les différents types de discrimination (y compris
le harcèlement) dans le sport et à l’école; enquêter sur les attitudes
à l’égard de la diversité de genre et de la diversité sexuelle dans
les cultures sportives en Finlande, au Royaume-Uni et à Singapour,
et examiner les pratiques et les expériences pertinentes dans l’éducation
physique scolaire et dans l’entraînement pratiqué au sein des clubs
sportifs.
62. Football vs Homophobia (le
football contre l’homophobie) est une campagne internationale initialement lancée
au Royaume-Uni pour lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle, l’identité de genre et leurs expressions à tous les niveaux
dans le football. S’appuyant sur des activités de visibilité, d’information et
de sensibilisation dans les stades de football et leurs environs,
cette campagne offre un excellent exemple de «mise à profit du potentiel
du football dans la société pour induire un changement positif»,
pour reprendre les mots de ses promoteurs.
63. En novembre 2018, le club de football des Rangers de Glasgow
a officiellement reconnu Ibrox Pride, un groupe de supporters créé
par des membres de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre
et intersexe (LGBTI). Ce groupe offre aux supporters LGBTI un point
de contact social et, parallèlement, il sert d’organe consultatif
pour les Rangers sur les questions LGBTI dans le football. La création
de ce groupe est un exemple supplémentaire des efforts déployés
par ce club de football pour créer, avec succès, un environnement
inclusif parmi ses supporters. En 2018, des représentants des Rangers
ont participé à la Marche des fiertés de Glasgow.
64. Les Rangers avaient auparavant adopté une «Charte de la diversité
et de l’inclusion» qui, assurément, constitue une «bonne pratique»
dans le domaine de la lutte contre la discrimination dans le sport.
La préface de cette charte dispose que «tous les fans doivent se
sentir bien accueillis et en sécurité dans le monde du football,
quels que soient leur âge, leur handicap, leur genre, leur origine
ethnique, leur confession, leur orientation sexuelle ou tout autre
aspect de l’égalité» et encourage le Club de football des Rangers
«à promouvoir l’égalité, à valoriser la diversité et à combattre
le traitement inéquitable dans toute l’organisation et parmi les
supporters ainsi que le personnel». Cette charte ne se contente
pas d’édicter des principes, elle comporte également, à la section
«Obligations légales», un ensemble d’exigences formelles, dont une
est particulièrement pertinente pour le présent rapport: «L’organisation
adopte une approche “tolérance zéro” vis-à-vis du harcèlement, de
la victimisation et des brimades.» La charte contient également
des dispositions relatives à son application, qui exigent qu’une
copie du texte soit publiée sur le site web du club et que le conseil
d’administration du club soit responsable du bon respect de la charte.
Elle dispose également que le club doit proposer des formations
à ses joueurs, ses fans, son personnel et les membres de son conseil d’administration
de façon à les sensibiliser aux responsabilités collectives et individuelles
dans le domaine de la non-discrimination.
65. M. Carlo Balestri de l’UISP (Unione Italiana Sport per Tutti
– Union italienne Le sport pour tous), qui a contribué à l’audition
organisée à Paris le 19 septembre 2018, a présenté la «Coupe du
monde antiraciste», 22e édition d’un tournoi annuel multisports
auquel participent des sportifs d’Europe et du reste du monde. La dernière
édition de cette manifestation a rassemblé plus de 5 000 personnes
sur un terrain de camping pendant quatre jours, durant lesquels
des matchs de sport, des concerts et des débats ont été organisés.
La compétition n’est pas l’objectif principal de ce tournoi, et
les règles sportives sont modifiées pour réduire le niveau d’antagonisme:
les équipes échangent des joueurs ou sont constituées sur place,
il n’y a pas d’arbitres, et des cadeaux sont échangés avant le match.
Le sport est essentiellement un moyen utilisé pour que les gens se
rencontrent et apprennent à se connaître. La Coupe du monde antiraciste
a inspiré un grand nombre de manifestations en Europe et au-delà
et peut être considérée à juste titre comme une «bonne pratique».
66. Ces exemples montrent que l’on peut prévenir la haine, qu’il
est possible de la combattre de plusieurs façons, et que différents
acteurs peuvent contribuer au succès des activités. La contribution
des institutions académiques est souvent essentielle, car les activités
éducatives nécessitent des travaux de recherche et l’utilisation
de techniques pédagogiques.
7. Conclusions
et recommandations
67. Les contributions des experts
et des organisations sportives, ainsi que les travaux de recherche
menés jusqu’à présent, m’ont amené à la conclusion que si le discours
de haine et les infractions motivées par la haine suscitent une
prise de conscience et une attention accrues dans le monde du sport,
les informations disponibles manquent de précisions et de données
chiffrées. D’autres recherches restent donc nécessaires. Les pouvoirs
publics devraient s’en charger, éventuellement en coopération avec
des organisations de la société civile et les milieux universitaires.
68. De plus, les définitions juridiques du discours de haine et
des infractions motivées par la haine, ainsi que les systèmes de
signalement, varient entre les États membres du Conseil de l’Europe.
S’ils étaient harmonisés, la prévention et la lutte contre ces phénomènes
n’en seraient que plus efficaces.
69. D’autre part, j’ai identifié quelques pratiques utiles qui
pourraient être recommandées à tous les États membres du Conseil
de l’Europe. La contribution de divers acteurs est nécessaire pour
prévenir et combattre le discours de haine et les infractions motivées
par la haine. Le rôle des clubs sportifs et organisations sportives est
crucial, car ils sont en contact direct avec les athlètes et leurs
supporters, sur lesquels ils peuvent avoir une grande influence.
L’impact de la législation et des politiques ne doit pas non plus
être sous-estimé.
– Les conventions du Conseil
de l’Europe
70. L’Assemblée devrait rappeler
certaines propositions contenues dans les textes récemment adoptés
et les intégrer en les complétant avec d’autres éléments. La
Résolution 2199 (2018) «Vers un cadre pour une gouvernance sportive moderne»
soutient ainsi l’idée d’une nouvelle convention du Conseil de l’Europe
sur la bonne gouvernance dans le sport afin de couvrir le dopage,
le trucage des matchs et la violence des spectateurs. Vu l’ampleur
du phénomène de la haine dans le sport, une telle convention devrait
également prévoir des dispositions visant à prévenir et combattre
le discours et les infractions motivées par la haine, et à protéger
les victimes. L’idée de promouvoir la surveillance de la discrimination
dans le domaine du sport, comme l’indique la
Résolution 2131 (2016), devrait également être reprise.
– Rapports et collecte de données
71. Il est important de veiller
à ce que les victimes de propos haineux aient accès à des systèmes
de signalement. Certains propos stigmatisants ou insultes pouvant
ne pas constituer des infractions pénales, il ne serait pas pertinent
de les signaler aux services répressifs. Toutefois, des services
spécialisés gérés soit par les pouvoirs publics, soit par des organisations
de la société civile ou d’autres acteurs peuvent veiller à ce que ces
cas soient pris en compte, en vue de réagir et d’aider les victimes.
Les membres des forces de l’ordre devraient recevoir une formation
sur les infractions motivées par la haine, afin d’acquérir les compétences nécessaires
pour les identifier, réagir et produire des rapports sur ces infractions.
Un système d’enregistrement des infractions motivées par la haine,
complet et inscrit dans la durée, devrait également être mis en
place.
– Sensibilisation, information
et formation
72. La prévention devrait être
un élément important des politiques de lutte contre la haine et
à cet égard, l’éducation, l’information et la sensibilisation sont
cruciales. L’éthique dans le sport, tout comme l’éducation aux droits
de l’homme et à la citoyenneté, devraient faire partie des programmes
scolaires. Par ailleurs, les professeurs d’éducation physique et
les entraîneurs sportifs devraient être formés pour repérer la discrimination
et la violence ciblant les athlètes, que ce soit au niveau amateur
ou professionnel, et réagir. Les médias ont eux aussi un rôle important
à jouer dans la prévention des phénomènes liés à la haine. Ils devraient diffuser
une information pluraliste et impartiale sur les athlètes, en particulier
ceux qui sont les plus exposés à la haine, et sur leurs performances.
Ils devraient également rendre compte objectivement des incidents
de discours de haine et des infractions motivées par la haine.
73. Encourager les élèves à obtenir de bons résultats en sport
ne doit pas faire oublier qu’il est important de promouvoir les
nombreux bienfaits de l’activité physique et du fair-play. Par conséquent,
le succès et de bonnes notes en éducation physique ne doivent pas
dépendre uniquement des performances sportives, mais aussi des efforts
et de l’engagement de chacun, en prenant en compte les circonstances
objectives et subjectives qui peuvent limiter la performance. Les
enfants et les jeunes ne devraient pas se sentir exclus ni être
privés de sport, mais devraient être bien accueillis et intégrés,
en tenant compte de leurs capacités et aptitudes. Ils ne devraient
pas être la cible potentielle de propos haineux ou de discrimination
de la part de leurs camarades ou de leurs pairs à cause de leurs
performances sportives plus faibles.
– Coopération
74. Les autorités publiques devraient
engager le dialogue et coopérer avec les fédérations sportives et
les organisations de supporters et les encourager à intégrer et
à promouvoir les valeurs démocratiques, l’égalité et la non-discrimination,
ainsi qu’à prévenir et combattre les discours de haine. Les fédérations
sportives et les clubs individuels devraient également être encouragés
à nommer des athlètes remarquables «ambassadeurs de l’égalité et
de la non-discrimination».