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Rapport | Doc. 14842 | 18 mars 2019

Halte aux propos et actes haineux dans le sport

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteur : M. Goran BEUS RICHEMBERGH, Croatie, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14427, Renvoi 4350 du 22 janvier 2018. 2019 - Deuxième partie de session

Résumé

La haine et l’intolérance sont répandues aujourd’hui en Europe et cela est reflété dans le monde du sport, sous forme d’insultes, d’incitation à la violence et de vrais crimes de haine, fondés sur tous les motifs de discrimination dont l’antisémitisme, l’islamophobie, l’homophobie et la transphobie, le racisme, l’afrophobie, le sexisme et la xénophobie.

Le sport a un fort potentiel pour changer les mentalités et doit être avant tout un instrument de promotion de valeurs comme le fair-play, le respect mutuel et la tolérance, contribuant ainsi au vivre ensemble harmonieux dans la diversité.

Le Conseil de l’Europe a pris des mesures contre le discours de haine dans le sport, entre autres grâce à la Campagne du Mouvement contre le discours de haine, et il a établi une coopération avec l’UEFA et la FIFA pour promouvoir les droits humains, l’intégrité, la bonne gouvernance et la non-discrimination dans le football.

Les États membres du Conseil de l’Europe doivent renforcer la coopération avec les organisations sportives, y compris dans le signalement et l’enregistrement des incidents ainsi que dans les activités d’information et de sensibilisation ciblant les athlètes et le grand public. En outre, l’éducation étant cruciale dans la prévention de la haine et de l’intolérance, une attention spéciale devrait être portée au rôle de l’école dans la transmission des valeurs de la tolérance et de la dignité humaine.

A. Projet de résolution 
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			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 7 mars 2019.

(open)
1. La haine et l’intolérance sont répandues aujourd’hui en Europe et le monde du sport, qui reflète la société dans son ensemble, n’est pas épargné par cette réalité. Bien au contraire, diverses formes de haine et d’intolérance, comme l’antisémitisme, l’islamophobie, l’homophobie, la transphobie, le racisme, l’afrophobie, le sexisme et la xénophobie, trouvent souvent un terreau fertile dans les milieux sportifs ce qui conduit à des violences verbales et physiques. Cela interfère avec l'esprit de compétition qui est un élément naturel du sport, en le salissant et le dénaturant.
2. Les agressions verbales sont courantes dans le monde du sport sous forme d’insultes et de slogans scandés qui peuvent constituer un discours de haine et une incitation à la violence. Les abus peuvent aussi revêtir des formes écrites, visuelles ou allusives, avec le recours à des objets symboliques, une iconographie extrémiste ou la dégradation des symboles des équipes adverses. Ces phénomènes surviennent le plus souvent en groupe, parmi les supporters, mais on le constate aussi sur les terrains où les joueurs, les entraîneurs ou les arbitres peuvent en être les auteurs ou les victimes.
3. L’Assemblée parlementaire condamne la haine et l’intolérance sous toutes leurs formes et considère qu’il ne faut pas sous-estimer l’impact du discours de haine. Ces dernières années, bien que l’on assiste certes à une prise de conscience de ce problème et de la nécessité de le traiter, beaucoup reste à faire pour le combattre efficacement dans l’environnement du sport. Il faut en outre prévenir et pallier le danger des tentatives de manipulation des supporters sportifs par des groupes populistes et d’autres idéologies pour promouvoir leurs intérêts électoraux et politiques.
4. Le Conseil de l'Europe s’est attaqué au discours de haine dans le domaine du sport par le biais de diverses activités et notamment la campagne du Mouvement contre le discours de haine du secteur de la jeunesse, en coopération avec l’Accord partiel élargi sur le sport (APES).
5. L’Assemblée se félicite des Protocoles d’accord signés en 2018 entre le Conseil de l’Europe et l’Union des associations européennes de football (UEFA) et la Fédération internationale de football association (FIFA) qui offrent une base solide de coopération dans la promotion des droits humains, de l’intégrité, de la bonne gouvernance et de la non-discrimination dans le football, qui reste de loin le sport le plus populaire en Europe; et le fait que le premier Protocole mentionne explicitement le discours de haine parmi les manifestations de discrimination que les États Parties sont tenus de prévenir et combattre.
6. L’Assemblée est consciente du fort potentiel qu’a le sport pour changer les mentalités. Elle est persuadée que le sport doit être avant tout un instrument de promotion et de transmission de valeurs comme le fair-play, le respect mutuel et la tolérance, en plus d'être une activité bénéfique pour le développement personnel et la santé et une forme de loisir accessible à tous. Il ne devrait y avoir dans le sport aucune place pour les préjugés et la violence, ni pour la manipulation des sentiments des supporters.
7. L’Assemblée rappelle sa Résolution 2131 (2016) «Le sport pour tous: un pont vers l'égalité, l'intégration et l'inclusion sociale», en particulier concernant la nécessité de mettre en place des mécanismes pour surveiller de manière régulière et systématique la discrimination dans le domaine du sport.
8. L’Assemblée considère que l’éducation est primordiale dans la prévention de la haine et de l’intolérance, notamment dans le monde du sport, et qu’il faut accorder une attention particulière au rôle des écoles dans la transmission des valeurs de tolérance et de respect de la dignité humaine.
9. L’Assemblée soutient la Convention du Conseil de l’Europe sur une approche intégrée de la sécurité, de la sûreté et des services lors des matches de football et autres manifestations sportives (STCE no 218) et invite tous les États membres qui ne l’ont pas fait à la signer et à la ratifier.
10. À la lumière de ce qui précède, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l'Europe:
10.1. à promouvoir la recherche et la collecte de données sur le discours de haine et les crimes motivés par la haine dans les milieux sportifs. Il convient que les données soient comparables et ventilées par lieu géographique, sport, victimes et auteurs, avec une distinction entre les sportifs amateurs et professionnels ou les spectateurs, et les motifs de discrimination;
10.2. à intégrer dans leurs plans ou stratégies nationaux contre le discours de haine et les crimes motivés par la haine des mesures spécifiques de lutte contre ces problèmes dans les milieux sportifs;
10.3. à renforcer la coopération avec les organisations sportives en matière de haine et d’intolérance, y compris sur le signalement et l’enregistrement des incidents, les activités d’information et de sensibilisation ciblant les athlètes, les agents et les cadres des organisations sportives ainsi que le grand public;
10.4. à veiller à ce que des mécanismes de signalement soient disponibles pour les victimes de propos haineux ou de discrimination dans le monde du sport, à la fois pour protéger les victimes et pour assurer un suivi régulier du phénomène;
10.5. à lutter contre l’impunité en assurant l’application systématique des sanctions administratives et pénales existantes contre le discours de haine dans l’environnement sportif et en exploitant les technologies disponibles sur les terrains de sports pour identifier les auteurs;
10.6. à mener des campagnes de sensibilisation du grand public sur les dangers du discours de haine, les mécanismes de signalement disponibles et l’importance de lutter contre l’impunité en signalant les incidents;
10.7. à intégrer l'éthique sportive dans les programmes scolaires dans le cadre de l’éducation à la citoyenneté. À offrir aux professeurs d'éducation physique et aux entraîneurs sportifs une formation pour repérer la discrimination et la violence ciblant les athlètes, que ce soit au niveau amateur ou professionnel, et y réagir;
10.8. à encourager les médias à diffuser une information pluraliste et impartiale sur les athlètes et leur performance, en particulier ceux qui sont les plus exposés à la haine, et à faire des comptes rendus exacts et non tendancieux sur les incidents de discours de haine et les crimes motivés par la haine.
11. L’Assemblée appelle les fédérations sportives et les autres organisations sportives:
11.1. à intégrer l'égalité et la non-discrimination dans leurs activités et à promouvoir les valeurs démocratiques; à prévenir et combattre les discours de haine et, dans ce but, à renforcer la coopération avec les clubs de supporters, les organisations de la société civile, les médias et les établissements d’enseignement;
11.2. à nommer des athlètes remarquables «ambassadeurs de l'égalité et de la non-discrimination»;
11.3. à exiger que tous les joueurs s’engagent formellement à s’abstenir de propos haineux et de toute manifestation de haine et d’intolérance;
11.4. à dispenser à tous les joueurs et personnels une formation sur la manière d’identifier, de prévenir et de combattre le discours de haine et l’intolérance;
11.5. à promouvoir des programmes éducatifs pour les supporters et les clubs de fans sportifs afin de prévenir le discours de haine dans les stades pendant les matches.
12. L’Assemblée affirme que le sport ne devrait pas se résumer à une compétition, mais doit également offrir un environnement dans lequel des personnes de toutes origines et de tous les milieux peuvent trouver un terrain d’entente et se côtoyer harmonieusement dans la diversité.

B. Exposé des motifs, par M. Goran Beus Richembergh, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. La violence n’est pas étrangère au monde du sport en Europe. En effet, la violence verbale est courante sur les terrains de sport et autour; elle est souvent si grave qu’elle constitue un discours de haine et une incitation à la violence.
2. La violence verbale, sous forme d’insultes et de slogans scandés, comprend les insultes racistes et xénophobes ainsi que les expressions misogynes et homophobes. Les manifestations de la haine peuvent en outre être allusives, écrites ou visuelles, utilisant des symboles et des objets (par exemple le fait d’enflammer une poupée portant le maillot de l’équipe adverse ou d’autres objets sur lesquels figure le drapeau des adversaires).
3. Ce phénomène peut être l’expression collective de supporters et dégénère souvent en formes graves de violence, mais il peut aussi se produire sur le terrain et impliquer les joueurs, les entraîneurs ou les arbitres en tant qu’auteurs des violences ou en tant que cibles.
4. Une attention accrue a été portée au discours de haine et aux actes haineux dans le sport ces dernières années et des mesures ont été prises dans un certain nombre d’États membres du Conseil de l’Europe pour lutter contre des phénomènes qui s’y rapportent plus ou moins directement et sont certainement préjudiciables au sport, comme le hooliganisme.
5. Le Conseil de l’Europe s’est engagé à sensibiliser à cette question et à trouver des contre-mesures. Récemment, dans sa Résolution 2200 (2018) sur la bonne gouvernance du football 
			(2) 
			Voir également Doc. 14452 (rapporteure: Mme Anne Brasseur:
Luxembourg, ADLE)., l’Assemblée parlementaire a pris position sur les questions relatives au football, de loin le sport le plus populaire, évoquant notamment les violences et les propos racistes, le harcèlement sexuel et la discrimination de genre.
6. Le secteur jeunesse du Conseil de l’Europe travaille sur le discours de haine depuis des années, en particulier par le biais du Mouvement contre le discours de haine, campagne de jeunesse en ligne pour les droits de l’homme visant à développer la participation et l’esprit civique des jeunes. En novembre 2017, le Mouvement contre le discours de haine et l’Accord partiel élargi sur le sport (APES) ont organisé conjointement, à Sarajevo, un atelier sur la lutte contre le discours de haine dans le sport qui a réuni des jeunes et des dirigeants sportifs, des chercheurs et des décideurs pour analyser le discours de haine dans le sport et proposer des mesures appropriées.
7. Le sport est et devrait toujours être un instrument de promotion et de transmission de valeurs telles que le respect mutuel et la tolérance, en plus d’être une activité de promotion de la santé et une forme de loisir accessible à tous. Il ne devrait pas y avoir de place pour les idées racistes, xénophobes, sexistes, homophobes ou transphobes ni pour la manipulation des sentiments des supporters à des fins politiques.
8. Les formes existantes de préjugés dont, entre autres, la xénophobie et la misogynie, semblent trouver un terrain particulièrement fertile dans les milieux sportifs. Elles portent atteinte à l’esprit de compétition qui est un élément naturel du sport, en le salissant et le dénaturant. La manipulation des supporters joue aussi un rôle: les populistes et autres idéologues recherchent dans les supporters une masse critique qui peut les aider à obtenir des résultats politiques et électoraux.
9. Le présent rapport repose sur une recherche documentaire, plusieurs auditions et un questionnaire envoyé aux comités nationaux olympiques des États membres du Conseil de l'Europe. Les réponses reçues (seulement cinq) révèlent une méconnaissance des phénomènes de haine dans le sport.
10. L’objectif du rapport est de sensibiliser à ces questions et à la nécessité de les traiter. C’est une occasion de contribuer à l’avènement d’un monde sportif plus sûr, plus ouvert et plus inclusif, qui contribue aussi à promouvoir une coexistence pacifique en Europe et les valeurs fondamentales de la démocratie et des droits de l’homme.

2. Le monde du sport aujourd’hui: problèmes et potentiel

11. Lors de l'audition tenue à Paris le 5 juin 2018, l'experte Aleksandra Knežević a donné à la commission sur l'égalité et la non-discrimination un aperçu de la situation du sport, de l'intolérance et de la discrimination en Europe, présentant à la fois les bienfaits du sport et les défis auxquels il est actuellement confronté.
12. Le sport est vital pour l’épanouissement harmonieux des jeunes et contribue à tout âge au bien-être physique, émotionnel et social. La recherche montre que le sport aide les enfants à développer leur estime de soi et limite le risque de stress, d’anxiété et de dépression. Par ailleurs, l’activité physique inculque des compétences sociales aux jeunes, améliore l’interaction, procure un sentiment d’acceptation et d’appartenance et facilite la communication interpersonnelle.
13. Le sport est également positif d’un point de vue social, en ce sens qu’il transmet des valeurs positives comme le fair-play, l’esprit d’équipe et le respect des règles, et qu’il est un moyen constructif d’occuper son temps libre, réduisant le risque d’abus d’alcool et de drogues.
14. Tous ces effets bénéfiques ne vont pas de soi et ne se produisent que si le sport est pratiqué correctement. Le présent rapport n’a pas pour objet d’examiner la meilleure façon d’aborder la question du sport ou de l’éducation physique à l’école. Toutefois, il convient de souligner que la discrimination fondée sur quelque motif que ce soit, le harcèlement et la haine compromettent les effets positifs du sport. Malheureusement, comme nous l’avons déjà indiqué, les discours de haine et l’intolérance contaminent de plus en plus le monde du sport. Nous devons nous efforcer de mieux comprendre ces phénomènes afin de les contrer efficacement.
15. On retrouve les mêmes inégalités et motifs de discrimination dans le milieu du sport que dans la société en général. L’inégalité entre les femmes et les hommes y est même encore plus flagrante: la participation, la visibilité médiatique, le leadership et la rémunération des femmes ne sont tout simplement pas comparables à ceux des hommes. Le discours de haine, en particulier fondé sur les préjugés ethniques, le genre, l’orientation sexuelle et l’identité de genre, est monnaie courante. Mme Knežević indique ainsi que traiter un joueur d’«homo» est l’une des insultes les plus courantes pour sous-entendre qu’il n’est pas performant.
16. Les mobiles de la discrimination et du discours de haine varient selon la région géographique. Dans les Balkans, par exemple, les préjugés xénophobes arrivent en tête, tandis que le racisme est plus courant dans les sociétés d'Europe occidentale. La violence physique s'invite à la fois sur le terrain de sport (entre joueurs) et autour du terrain (impliquant les supporters) et peut être considérée, au moins en partie, comme une conséquence du discours de haine.
17. Agir dans le domaine du sport en vue de lutter contre ces phénomènes implique de relever certains défis: s'il est possible de faire du sport à l'école, dans le cadre de l'éducation physique, c'est aussi, de plus en plus, une activité extrascolaire pratiquée dans le cadre privé, dont les coûts sont à la charge de la famille et qui devient un luxe. L'aspect commercial du sport prend le dessus, avec de gros contrats pour les meilleurs athlètes et un intérêt marqué pour la publicité et la vente des droits de diffusion. Le manque de fonds pour soutenir les activités des sportifs «ordinaires» est également problématique. Cette «commercialisation» du sport amoindrit sa fonction éducative et son impact social positif. Les athlètes populaires ont toutefois une forte influence, et leur rôle dans l’envoi de messages positifs mériterait d’être renforcé.

3. Le racisme, l’intolérance et le discours de haine dans le sport aujourd’hui

18. Je m’appuie sur les travaux de Mme Knežević pour dire que toutes les principales formes de haine et de discours haineux existent actuellement dans le sport. Les actes haineux sont généralement le fait de supporters et visent soit d’autres supporters, soit des joueurs, et sont fondés sur tous les motifs de discrimination. Quelques exemples.

– Discours de haine fondé sur l’origine ethnique

19. Le 19 février 2017, en Serbie, des supporters du Football Club Rad ont lancé des cris de singe vers un joueur du Partizan, Everton Luiz, à cause de sa peau foncée. La Fédération serbe de football a sanctionné le FC Rad (deux matchs à huis clos). En avril 2014, en Espagne, des supporters du Villareal ont lancé une banane au joueur du FC Barcelone Dani Alves. Le Villareal Club a été condamné à une amende, tandis que le lanceur de bananes a été interdit de stade à vie.
20. Le réseau Fare (Football Against Racism in Europe), une organisation internationale qui compte des membres dans plus de 45 pays, rend compte régulièrement sur son site web (www.farenet.org) de centaines d’incidents racistes, homophobes, sexistes et xénophobes survenus sur les terrains de sport en Europe et ailleurs. Le 19 juin 2017, Fare a ainsi rapporté 89 incidents motivés par le racisme et l’extrémisme de droite survenus lors de matchs de football en Russie pendant la saison 2016-2017, selon les données recueillies par le Centre SOVA de Moscou. Le dernier rapport annuel de SOVA indique également que les autorités russes ont interdit de stade 191 supporters au moins. Par ailleurs, la Fédération de Russie de football (RFS) a exclu Alexander Shprygin, chef influent des supporters russes et militant d’extrême droite connu, qui avait déjà été expulsé de France à deux reprises pour actes de violences lors du match Russie-Angleterre du Championnat d’Europe.
21. Après la Coupe du Monde 2018 de football remportée par l’équipe de France en Russie, de nombreux commentaires racistes ont été relevés et rapportés dans un grand nombre de pays. La plupart ont été relevés dans les réseaux sociaux, à la suite d’articles parus dans la presse écrite (par exemple La Repubblica en Italie) et d’émissions télévisées (dont le Daily Show de Trevor Noah aux États-Unis), ainsi que dans les commentaires de responsables politiques qui diffusaient des propos haineux concernant l’origine ethnique des footballeurs français. Le Centre de surveillance des comportements racistes et xénophobes de Varsovie a enregistré de nombreux messages racistes dans les médias sociaux polonais. Selon les déclarations du directeur du centre, M. Konrad Dilkowski, à l’agence de l’AFP, des commentaires et des messages racistes ont été relevés à chaque nouvelle mise en ligne, non seulement après la finale France-Croatie à Moscou, mais aussi après la défaite de la Pologne face au Sénégal en phase de groupe de la Coupe du Monde, le 19 juin.
22. Selon les données recueillies par Fare, une vingtaine d’incidents racistes et xénophobes graves se sont produits en novembre 2018 dans plusieurs pays européens, notamment:
«3 novembre 2018 – championnat d’Angleterre: Middlesbrough – Stoke City
Un groupe de supporters de Middlesbrough a chanté une chanson sectaire et lancé des insultes racistes en direction d’un joueur de Stoke, James McClean, à la fin du match.
3 novembre 2018 – Coupe Bill Hill: Pelsall United FC – Real Aston FC
Le match de coupe hors ligue a dû être interrompu après que les joueurs du Pelsall United ont proféré des insultes raciales à l’encontre de plusieurs joueurs du Real Aston et l’agression physique du milieu de terrain Shaq Ajmal.
8 novembre 2018 – UEFA Europa League: Apollon Limassol – Eintracht Frankfurt
Un groupe de supporters d’Apollon Limassol a fait des saluts nazis et lancé des insultes racistes contre les joueurs noirs de l’Eintracht Frankfurt pendant le match.»

– Nationalisme/xénophobie

23. En novembre 2013, en Croatie, à l'issue du match de qualification pour la Coupe du Monde 2014, le joueur croate Josip Šimunić a crié des slogans nationalistes insultants pour les pays voisins. Šimunić a été interdit de terrain pour 10 matchs internationaux et à une amende de 30 000 CHF par la Fédération internationale de football association (FIFA). En 2016, Šimunić a saisi la Cour constitutionnelle, qui a rejeté sa plainte, et a ensuite déposé une requête à la Cour européenne des droits de l'homme; en janvier 2019, la Cour a déclaré sa requête irrecevable. Il est important de mentionner que cette décision déclare notamment: «Le requérant, en sa qualité de star du football et de modèle pour de nombreux fans de ce sport, aurait dû être conscient des conséquences négatives possibles de ses slogans provocateurs sur le comportement des spectateurs, et aurait donc dû s’abstenir de tels agissements.»

– Violence homophobe ou sexiste

24. Kaster Semenija, une athlète sud-africaine, a été insultée et humiliée à plusieurs reprises, y compris par les médias, et même agressée physiquement, pour sa nature et son apparence supposées être masculines. Le 21 novembre 2016, en Espagne, lors du derby Atlético Madrid-Real Madrid, le footballeur Koke a traité son adversaire Cristiano Ronaldo de «tapette friquée». Le footballeur a reçu un carton jaune. Plus tard, invité à s’excuser publiquement, il s’est refusé à tout commentaire. De nombreux athlètes dans diverses disciplines ont dénoncé l’omniprésence de l’homophobie dans le sport. Contrairement à d’autres motifs de discrimination, l’homophobie est aussi répandue parmi les athlètes que parmi les spectateurs. Certains joueurs ont attendu la fin de leur carrière pour faire leur coming-out, expliquant que cela leur aurait été impossible de le faire plus tôt, surtout dans les sports d’équipe. Cette situation exige des mesures spécifiques.
25. Voici un extrait du rapport mensuel Fare de novembre 2018:
«23 novembre 2018 – Veronica Inside: Johan Derksen
Durant le magazine télévisé Veronica Inside, le commentateur de football Johan Derksen a tenu des propos homophobes à propos d’une pétition de la Royal Dutch Football Association pour des stades de foot plus respectueux des gays.
23 novembre 2018 – FC Bâle
Le FC Bâle a été accusé de sexisme – les joueuses de l’équipe féminine n’ont pas été invitées au dîner de gala du 125e anniversaire du club, mais à vendre des billets de tombola aux invités pour développer la section féminine.
24 novembre 2018 – The English FA Cup: Poole Town – Dorking Wanderers
Un groupe de supporters du Poole Town a lancé des insultes homophobes contre des joueurs du Dorking Wanderers pendant le match.»

– Discours de haine fondé sur des considérations politiques

26. Sur les terrains de sport, les tensions politiques entre communautés se traduisent souvent par des propos haineux et des actes de violence. Les exemples abondent, surtout dans les pays qui ont connu un effondrement, comme l’ex-Union soviétique et l’ex-Yougoslavie, et montrent comment la violence verbale peut facilement dégénérer en d’autres formes de violence. Le match qui a opposé le Dinamo Zagreb à l’Étoile Rouge à Belgrade le 13 mai 1990, parfois qualifié de «match qui a déclenché une guerre», est un exemple extrême. Les violences nationalistes des supporters des deux clubs ont dégénéré en émeutes sur le terrain comme en dehors. Alors que la Yougoslavie était déjà à deux doigts de la guerre, certains considèrent que ce match en a été le déclencheur. L’importance du football et du sport en général, en tant que miroir et catalyseur des tensions de la société dans son ensemble, ne devrait pas être sous-estimée. C’est pourquoi il est crucial de lutter contre le discours de haine et les autres manifestations de haine dans le sport. Comme le dit Dave Roth, écrivain de football, «le match du 13 mai 1990 a prouvé que, pour le meilleur ou pour le pire, le football peut être plus qu’un jeu».

4. Du discours de haine aux infractions motivées par la haine

27. Comme cela a déjà été indiqué, la violence verbale peut ouvrir la voie à la violence physique et le discours de haine peut mener à des crimes de haine. Je citerai un autre exemple des Balkans: le 11 juin 2016, dans la capitale serbe, une personne a été tuée dans des émeutes impliquant une centaine de supporters de deux clubs rivaux de Belgrade, le FK Crvena Zvezda et le KK Partizan. L’auteur n’a jamais été identifié. On trouve aussi des exemples dans d’autres pays et dans d’autres sports. Par exemple, en 1993 en Allemagne, la joueuse de tennis Monika Seles a été victime d’une agression au couteau dans laquelle certains ont vu un crime de haine xénophobe.
28. Le lien entre le discours de haine et d’autres formes de violence est également souligné dans le rapport publié chaque année depuis 2014 par Assocalciatori, une association italienne de footballeurs, sur la base des cas de violence verbale, d’intimidation et d’agressions physiques sur des athlètes. Le rapport souligne que la violence verbale ouvre la voie à d’autres formes de violence, le lien étant l’intimidation et les menaces.
29. Le rapport est un bon exemple de collecte et d’analyse de données, car il comprend des chiffres sur les incidents ventilés par zone géographique, par statut des victimes (professionnel ou amateur) et par type d’auteur. Il est intéressant de noter que dans 50 % des cas, les auteurs sont des supporters de l’équipe locale et dans environ 35 % des cas, des supporters de l’équipe adverse. Les données montrent aussi que certaines régions italiennes sont beaucoup plus touchées que d’autres. Les différentes causes de violence et d’intimidation méritent également d’être relevées: le racisme concerne plus d’un tiers des cas, le reste étant partagé entre d’autres motivations principalement liées à la compétition, comme la perte d’un match ou le risque de relégation. Collecter des données fiables, ventilées et comparables aide à comprendre le phénomène et son évolution, et est crucial pour y remédier.

5. Action du Conseil de l’Europe contre la haine dans le sport

30. Le discours de haine menace la dignité humaine et les libertés fondamentales, d’où la grande attention que lui prêtent divers organes et services du Conseil de l’Europe. Dans le cadre de leur mandat respectif, et souvent par des activités communes, tous s’efforcent de lutter contre ce fléau, y compris dans le domaine du sport en particulier. Dans ce rapport, je présenterai les acteurs et leurs principales activités. La liste ne saurait être exhaustive dans la mesure où elle concerne les acteurs plus directement concernés par le sujet.

– L’Accord partiel élargi sur le sport

31. L’Accord partiel élargi sur le sport (APES) est une plateforme de coopération intergouvernementale dans le domaine du sport qui repose sur les valeurs du Conseil de l’Europe, notamment l’interdiction de la discrimination, et sur les droits énoncés dans la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5). L’APES, établi en 2017, a d’emblée fait de la promotion de la diversité l’une de ses principales priorités. Ses projets et manifestations ont traité des questions relatives à la participation au sport, y compris la discrimination fondée sur le genre, la race, l’origine ethnique, le handicap ou l’orientation sexuelle. L’APES organise régulièrement les conférences du Conseil de l’Europe des ministres responsables du sport. Six de ces conférences de haut niveau se sont tenues à ce jour. Elles ont donné lieu à des discussions et à l’adoption de résolutions sur des questions allant de la corruption dans la gouvernance du sport au trucage de matchs et à l’égalité de genre dans le sport. Compte tenu du développement du discours de haine, je pense qu’il faudrait s’intéresser spécifiquement à cette question dans le cadre des travaux plus généraux sur l’égalité et la non-discrimination dans le sport à l’occasion des conférences ministérielles. La dernière conférence s’est tenue le 16 octobre 2018 en Géorgie.

– Les conventions du Conseil de l’Europe

32. Le Conseil de l’Europe a adopté plusieurs traités internationaux sur le sport. La Convention européenne sur la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives et notamment de matchs de football (STE no 120), ouverte à la signature en 1985 et entrée en vigueur le 1er novembre 1985, a été le premier texte juridique international adopté en réaction au drame du Heysel en Belgique. Ses Parties s’engagent à coopérer entre elles (tout en encourageant une coopération similaire entre les pouvoirs publics et les organisations sportives indépendantes) pour prévenir et contrôler la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives.
33. Inspirée de l’expérience de décennies de mise en œuvre de la Convention de 1985, une nouvelle Convention du Conseil de l’Europe sur une approche intégrée de la sécurité, de la sûreté et des services lors des matchs de football et autres manifestations sportives (STCE no 218) a été négociée. Elle a été ouverte à la signature en juin 2016 et est entrée en vigueur le 1er novembre 2017. L’idée du texte est d’aller au-delà d’une approche axée sur la violence pour privilégier une approche intégrée fondée sur les trois éléments repris dans le titre, à savoir la sécurité, la sûreté et les services. L’autre grande nouveauté est la pluralité d’acteurs: aucun acteur unique, comme la police, ne devrait s’atteler seul à la sûreté et à la sécurité des manifestations sportives; une série d’organismes ou d’acteurs doit intervenir. L’article 5 sur la sécurité, la sûreté et les services dans les stades dispose que les Parties «[veillent à ce que les dispositifs] comprennent des politiques et des procédures claires concernant les questions susceptibles d’avoir une incidence sur la gestion de la foule et les risques connexes d’atteinte à la sécurité et à la sûreté» et renvoie en particulier aux «comportements violents et autres comportements interdits; et [aux] comportements racistes et autres comportements discriminatoires». Ce libellé est suffisamment général pour couvrir le discours de haine et les actes de haine. Il est important que l’interprétation et l’application de ce texte au niveau national tienne compte de la nécessité d’examiner ces questions. Même si cette disposition s’applique spécifiquement aux stades, je tiens à souligner que le discours de haine dans le sport ne se manifeste pas seulement sur les terrains de sport mais aussi dans d’autres espaces physiques, dans les médias (traditionnels et sociaux) et au-delà.

– Le Mouvement contre le discours de haine

34. Le Mouvement contre le discours de haine est une campagne lancée en 2013 par le secteur Jeunesse du Conseil de l'Europe pour lutter contre ce fléau, notamment en ligne. Menée par le Conseil de l'Europe jusqu'en 2017, cette campagne se poursuit dans la majorité des États membres grâce aux comités nationaux dont le travail s'appuie sur une coopération entre la société civile, en particulier les organisations de jeunesse, et les pouvoirs publics.
35. Les divers services du Conseil de l’Europe coopèrent souvent et mènent des activités conjointes pour lutter contre le discours de haine. Pour preuve, l’atelier intitulé «Lutter contre le discours de haine dans le sport» tenu les 21 et 22 novembre 2017 à Sarajevo à l’initiative de l’Accord partiel élargi sur le sport et du secteur Jeunesse du Conseil de l’Europe avec le ministère des Affaires civiles de la Bosnie-Herzégovine. Du fait de la participation d’experts et d’organisations sportives de la région surtout, mais pas exclusivement, le séminaire a été utile dans la mesure où il a permis de décrire la situation (différentes manifestations de la haine, personnes touchées, mesures prises pour lutter contre ce phénomène) mais aussi de formuler des recommandations (adressées respectivement à l’APES/Conseil de l’Europe, à l’Union européenne, aux autorités responsables de l’éducation sportive et enfin aux autorités nationales, régionales et locales).

– L’ECRI

36. En 2008, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a adopté sa Recommandation de politique générale no 12 sur la lutte contre le racisme et la discrimination raciale dans le domaine du sport. Le préambule de cette recommandation met en évidence une série de principes que devraient partager tous ceux qui sont actifs dans le domaine du sport et qu’en ma qualité de rapporteur, j’entends appuyer. Le texte est ainsi libellé: «Les valeurs fondamentales du sport que sont le fair-play, la rivalité amicale, le respect mutuel et la tolérance doivent être au centre de toute activité sportive» et «[l]a protection contre le racisme et la discrimination raciale est un droit de l’homme, qui doit être garanti aussi dans le domaine du sport». Il ajoute, et c’est important, que «[l]e grand public doit participer à la lutte contre le racisme et l’intolérance dans le sport, dans un esprit de solidarité et d’amitié internationales», ce que je considère comme une indication utile pour les législateurs, les décideurs et les représentants de la société civile. De fait, le grand public devrait non seulement être le destinataire des activités d’information et de sensibilisation mais il devrait aussi s’investir et promouvoir activement la tolérance et l’inclusion dans le sport. Il est aussi dit dans le préambule que «[l]e sport a non seulement un rôle d’éducation et de socialisation mais [qu’] il peut aussi aider à explorer et à célébrer la diversité». Outre que je regrette l’existence de la discrimination raciale dans le sport et condamne toutes les manifestations de racisme, de xénophobie, d’antisémitisme et d’intolérance, je juge important que la recommandation de politique générale rejette «toute argumentation tendant à banaliser les actes racistes commis lors de rencontres sportives». En effet, le racisme est trop souvent banalisé aujourd’hui. Nous ne devrions pas être pris au dépourvu ni nous laisser distraire par une fallacieuse tendance à minimiser les propos injurieux visant les minorités. La limite avec le discours de haine est vite franchie et nous devrions faire preuve de vigilance et essayer de poser une limite à ce qui est acceptable, y compris dans le domaine du sport.
37. La Recommandation de politique générale no 12 énonce un grand nombre de mesures pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale dans le domaine du sport; elles comprennent des dispositions juridiques adéquates pour lutter contre la discrimination raciale et incriminer les actes racistes et former les forces de police à l’identification, à la prévention et au traitement des comportements racistes sur les terrains de sport et alentour.

– Le Protocole d'accord entre le Conseil de l'Europe et l’UEFA

38. En mai 2018, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, Thorbjørn Jagland, et le président de l’Union des associations européennes de football (UEFA), Aleksander Čeferin, ont signé un protocole d’accord pour renforcer la coopération et mettre en œuvre des stratégies communes dans quatre grands domaines:
  • les droits de l’homme, l’intégrité et la gouvernance dans le sport;
  • la sûreté et la sécurité lors des matchs de football;
  • la coopération dans un intérêt mutuel en vue des grandes compétitions de football;
  • la coopération institutionnelle.
39. Les outils envisagés par ce texte sont le dialogue régulier entre les deux organisations, des initiatives conjointes, des échanges de bonnes pratiques et des projets ciblés. Le préambule du protocole dispose que «[l]e Conseil de l’Europe et l’UEFA ont en partage plusieurs valeurs et principes tels que le respect des droits de l’homme et de la dignité humaine, la démocratie, la non-discrimination, la diversité culturelle, la tolérance, la durabilité, la solidarité, l’éthique dans le sport et l’attachement à la bonne gouvernance». Pour ce qui est de la dignité, de la diversité culturelle et de la tolérance, le texte indique que «[d]es efforts particuliers seront faits dans les buts suivants: (…) prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir et combattre toute manifestation de violence raciale, de racisme ou toute autre forme de discrimination institutionnelle ou sociale, y compris les discours de haine».
40. Le protocole ne crée pas de droit ou d’obligation en vertu du droit international ou national et «[c]haque Partie gérera son propre budget» (paragraphe 3.2). Toutefois, «[c]haque Partie s’efforcera de promouvoir et de mettre pleinement en œuvre les objectifs et stratégies de coopération détaillés établis conformément au présent Protocole et au Plan de coopération» (paragraphe 3.4). Un plan de coopération et une feuille de route seront adoptés tous les deux ans et les deux organisations passeront conjointement en revue leur coopération.
41. Les activités concrètes qui seront planifiées et menées conjointement détermineront l’étendue réelle et le champ d’action de la coopération entre le Conseil de l’Europe et l’UEFA. Le libellé du protocole d’accord est encourageant et montre que les deux parties sont convaincues que le sport peut jouer un rôle important dans la lutte contre le racisme et le discours de haine et qu’elles entendent exploiter ce potentiel. On peut s’attendre à ce que cette coopération soit fructueuse et ait des effets positifs. L’Assemblée devrait être prête à l’appuyer, que ce soit en participant à des activités conjointes ou en donnant à ces dernières une visibilité dans le cadre de son mandat.

Le Protocole d’accord entre le Conseil de l’Europe et la FIFA

42. Le 5 octobre 2018, à Strasbourg, le Conseil de l’Europe et la FIFA ont également signé un protocole d’accord qui mentionne, entre autres, à la section «Bases de la coopération», que «[l]e football est fait pour tous, indépendamment du sexe, de la race, de l’âge, du handicap, de la religion, de la nationalité, de l’orientation sexuelle et du milieu social. La diversité doit être défendue dans et par le sport et toute forme de discrimination, institutionnelle ou sociale, doit être proscrite». Il précise également à la section «Domaines et objectifs de la coopération» que «[d]es efforts particuliers seront faits [pour] combattre la violence contre les femmes et promouvoir l’égalité entre les sexes, notamment en développant une approche prenant en compte la dimension de genre dans toutes les politiques et mesures appliquées et en luttant contre les stéréotypes de genre et les obstacles socioculturels» et «en prévenant et en combattant la discrimination sous toutes ses formes dans le football». Compte tenu de la popularité immense du football en Europe, l’impact potentiel des activités menées en coopération avec le Conseil de l’Europe est considérable. Cette initiative mérite un soutien politique et un suivi sans réserve.

– Les textes adoptés par l’Assemblée parlementaire

43. L’Assemblée parlementaire a adopté plusieurs textes relatifs au sport. La Résolution 2199 (2018) «Vers un cadre pour une gouvernance sportive moderne» présente un intérêt au regard de ce rapport. Dans son exposé des motifs, le rapporteur, Mogens Jensen, cite la violence et le discours de haine parmi les activités criminelles qui ont terni l’image du sport ces dernières années, avec le dopage, la manipulation des résultats, la corruption, les paris illégaux, les malversations financières et l’évasion fiscale. Dans ce texte, l’Assemblée se félicite des initiatives prises par les instances dirigeantes du sport aux niveaux national et international pour établir des codes et des normes de bonne gouvernance; elle demande instamment que soit établi et mis en œuvre un ensemble solide de critères de bonne gouvernance harmonisés et «considère qu’il est nécessaire d’élaborer, en se fondant sur le même ensemble de critères de bonne gouvernance harmonisés, une convention du Conseil de l’Europe relative à la bonne gouvernance dans le sport. Cette nouvelle convention viendrait compléter la base conventionnelle existante couvrant le dopage, le trucage de matchs et la violence des spectateurs». Les conventions du Conseil de l’Europe, souvent négociées à l’initiative de l’Assemblée parlementaire, ont contribué à façonner le droit international et national en Europe dans un grand nombre de domaines, dont le sport. L’idée d’une nouvelle convention complétant le cadre juridique existant sur le sport devrait être fermement appuyée. Un tel texte devrait comprendre des dispositions visant à prévenir le discours de haine et les actes de haine et à poursuivre leurs auteurs ainsi qu’à protéger les victimes.
44. La Résolution 2131 (2016) «Le sport pour tous: un pont vers l’égalité, l’intégration et l’inclusion sociale» prend comme point de départ l’observation selon laquelle «le sport joue un rôle important pour la cohésion sociale en offrant des possibilités de rencontres et d’échanges d’idées entre personnes de sexe, de capacités, de nationalité ou de cultures différents, renforçant ainsi la culture du “vivre ensemble”»; toutefois, «le sport pour tous n’est pas encore une réalité». L’Assemblée recommande donc aux États membres de réorienter les priorités de leurs politiques sportives afin de mettre en valeur l’apport du sport dans les politiques concernant «la santé, la cohésion sociale, l’éducation, la jeunesse, la non-discrimination, ainsi que l’accueil et l’intégration des migrants». Parmi les mesures recommandées dans ce texte figure la mise en place de «mécanismes pour surveiller de manière régulière et systématique la discrimination dans le domaine du sport, y compris la discrimination fondée sur le handicap d’une personne, son identité raciale, culturelle ou ethnique, son âge, sa religion, son orientation sexuelle, son identité de genre, son expression sexuelle ou ses caractéristiques sexuelles, afin d’améliorer l’analyse des risques dans ce domaine, d’étudier des stratégies de prévention ciblées, de faciliter le dépôt de plaintes individuelles et de s’assurer que celles-ci sont correctement examinées».

6. Consultation des comités olympiques nationaux

45. Lors de la réunion organisée à Paris le 19 septembre 2018, j’ai présenté un questionnaire destiné aux organisations sportives, qui a été transmis, peu de temps après, aux comités olympiques nationaux des États membres du Conseil de l’Europe.
46. Ce questionnaire avait pour objet de recueillir des informations sur la nature du discours de haine et des infractions motivées par la haine dans le monde du sport, y compris sur les personnes et les groupes visés par ce discours et ces infractions, ainsi que sur les mesures adoptées pour lutter contre ces phénomènes.
47. Le nombre de réponses reçues est faible (cinq comités nationaux ont fourni des informations: l’Allemagne, Chypre, la Finlande, la Grèce, et la Hongrie), mais leur contenu est intéressant. Le peu de réactions suscitées peut d’ailleurs être considéré comme une information intéressante en soi. On pourrait l’interpréter comme le signe d’une méconnaissance ou d’un manque d’intérêt des organisations sportives pour les questions en jeu. Cela étant, si l’on tient compte de la «surcharge d’enquêtes» (les personnes et les organisations sont constamment invitées par des interlocuteurs publics ou privés à présenter leurs activités, à fournir des informations ou à partager leurs avis sur divers sujets, ce qui demande du temps et des ressources), le faible nombre de réponses ne doit pas être surinterprété.
48. Le présent rapport décrit en outre quelques exemples de bonnes pratiques dans le domaine de la prévention de la haine et de la promotion de l’inclusion dans le sport.

6.1. Principales conclusions

49. Les principales informations que le questionnaire envoyé aux comités olympiques nationaux visait à recueillir étaient la prévalence ainsi que la nature du discours de haine et des infractions motivées par la haine dans les États membres du Conseil de l’Europe, l’existence de dispositions et de sanctions spécifiques pertinentes dans la réglementation du sport et leur application, et les mesures prises pour remédier à ces phénomènes. Les comités devaient également indiquer s’ils intervenaient eux-mêmes directement dans l’une ou l’autre de ces activités.
50. Les réponses font état d’une grande diversité dans la prise de conscience de ces phénomènes et dans la détermination à y remédier. Dans un cas, presque toutes les réponses sont négatives ou absentes: aucune information n’est donnée quant au nombre d’incidents et quant à son éventuelle augmentation, et les motifs de discrimination ne sont pas indiqués. De même, aucune information n’est donnée sur les sanctions ou les politiques applicables. Cela étant, le comité concerné estime que les acteurs susceptibles de contribuer à prévenir le discours de haine sont les médias, et que les outils à utiliser sont ceux des médias. Un autre comité indique clairement que le discours de haine et les infractions motivées par la haine ne concernent pas le sport en général, mais seulement le football. Les incidents se produiraient «occasionnellement», seraient de moins en moins fréquents et fondés systématiquement (dans 100 % des cas) sur l’origine ethnique ou nationale ou encore la religion. La fédération nationale de football gère ces incidents et impose éventuellement des sanctions aux auteurs. Le comité olympique n’intervient pas dans l’élaboration des politiques de lutte contre les phénomènes liés à la haine.
51. Bien qu’il n’y ait pas de consensus, on observe certaines similitudes dans les indications concernant les acteurs susceptibles d’influer positivement sur la prévention de la haine dans le sport. Ainsi, quatre comités sur les cinq ayant répondu au questionnaire considèrent que les médias et les sportifs professionnels peuvent être des alliés efficaces. La direction des clubs sportifs est mentionnée trois fois. Les acteurs mentionnés une ou deux fois sont les chefs des groupes de supporters, les arbitres et les entraîneurs, ainsi que les sportifs amateurs. Un comité cite aussi les parents des athlètes, lesquels ont été renseignés à la rubrique «autres», car ne figurant pas dans les choix de réponses possibles.
52. Le Comité national olympique finlandais n’a pas d’informations à communiquer sur le nombre total d’incidents, les motifs de discrimination ou la tendance à la hausse ou à la baisse, car il n’est pas chargé de centraliser la gestion des données. Chaque fédération sportive tient un registre de ses procédures disciplinaires. En tant que tels, le discours de haine et les infractions motivées par la haine sont couverts par des dispositions du droit pénal et non par le règlement des fédérations sportives. Cependant, la discrimination et les propos discriminatoires sont mentionnés dans les règles ou les lignes directrices mises en place par les fédérations en matière disciplinaire. Les sanctions sont appliquées en conséquence: les cas de discrimination et d’utilisation de propos discriminatoires sont sanctionnés par les fédérations concernées. Les cas plus graves, qui s’analysent en discours de haine, voire en infractions motivées par la haine, sont traités par la police et la justice.
53. Le comité finlandais explique que ses principaux objectifs sont de sensibiliser l’opinion à l’égalité et à la non-discrimination ainsi que d’instaurer un climat d’acceptation plus positif, ce qui, selon lui, est beaucoup plus efficace que réprimer les comportements indésirables. Pour le comité, il est plus utile de rapprocher personnes différentes et de s’efforcer de faire changer d’avis ceux qui ont tendance à pratiquer la discrimination. Les sanctions ne contribuent pas nécessairement à l’éducation des auteurs. Souvent, elles les rendent plus hostiles et il devient plus difficile de les atteindre. Plusieurs grandes organisations sportives du pays mettent en œuvre des stratégies de renforcement de l’égalité. Conformément à ces principes, le comité a participé à divers événements, notamment la Marche des fiertés d’Helsinki et la manifestation «Contre le racisme!», qui allie musique, jeux et activités pour les enfants et qui a inauguré la Semaine contre le racisme en mars 2017.
54. En Allemagne, le questionnaire a été traité par la Deutsche Sportjugend (DSJ), l’organisation sportive allemande pour la jeunesse, et l’information est donc plus spécifiquement axée sur les jeunes. La DSJ ne collecte ni ne traite les données, lesquelles sont traitées au niveau régional et ne sont pas transmises au niveau central pour des raisons juridiques de protection des données. L’organisation n’a donc pas fourni d’informations sur la prévalence des incidents et des infractions motivées par la haine – ce qui ne veut pas dire qu’elle ne prend pas ces questions au sérieux. La DSJ indique explicitement dans son «Code de la jeunesse» qu’elle défend les droits de l’homme, la tolérance religieuse et idéologique, ainsi que l’égalité de genre, et qu’elle «promeut la rencontre sans préjugés des jeunes dans le sport, indépendamment de leur origine, nationalité, appartenance ethnique, idéologie, genre, orientation sexuelle, appartenance à un groupe ou handicap». L’organisation réalise des activités d’information et de formation, y compris la formation de formateurs qui ensuite inculqueront les valeurs démocratiques et la non-discrimination aux jeunes qui participent aux activités sportives. La DSJ est membre du Réseau sport et politique pour l’équité, le respect et la dignité humaine, qui regroupe des organisations sportives et des institutions publiques qui luttent ensemble contre l’extrémisme de droite et toute forme de discrimination.
55. S’agissant des acteurs susceptibles d’avoir le plus d’impact, l’éventail est très large selon nos interlocuteurs allemands qui citent, entre autres, les clubs de sport et les organisations sportives ainsi que les autorités publiques et répressives et les médias.
56. Le Comité national olympique grec est aussi très attentif aux phénomènes de haine et a fourni à ce titre des informations détaillées. Le comité considère que les incidents se produisent «très fréquemment» et qu’ils sont en augmentation. Les dispositions traitant expressément de ce problème ne figurent pas dans les règlements des fédérations sportives, mais dans les lois de 1999 et 2015 relatives au sport. En particulier, ces lois disposent que «[d]ans les cas graves d’incidents, de comportements racistes et de violences liées au sport en général, que ce soit sur le terrain ou en dehors de celui-ci, le ministre des Sports peut, par une décision motivée fondée sur des propositions de la Commission permanente pour le traitement de la violence, imposer des amendes comprises entre dix mille (10 000) et un million (1 000 000) d’euros aux clubs sportifs concernés, au département des sportifs rémunérés et à la société anonyme sportive, ainsi qu’aux fédérations sportives concernées et/ou aux associations professionnelles, mais aussi à des personnes physiques. Dans les cas particulièrement graves, le statut de sportif ou d’organisme sportif peut être retiré». De plus, un projet de loi en cours d’élaboration contient des dispositions qui décrivent en détail les comportements pénalement répréhensibles (jet d’objets sur le terrain de jeu, détention ou utilisation d’objets susceptibles de causer des blessures corporelles, intrusion sur le terrain en vue de perturber le jeu, affichage de slogans ou d’images à contenu insultant ou raciste, utilisation de pointeurs laser pour viser des sportifs, des arbitres, des entraîneurs ou des spectateurs). Les sanctions consistent notamment en une incarcération de six mois minimum et une amende. Jusqu’à présent, des sanctions ont été imposées par le ministre des Sports, par le biais de décisions motivées fondées sur des propositions de la Commission permanente pour le traitement de la violence.
57. Le Comité olympique grec considère que la prévention et la sensibilisation dès le plus jeune âge sont les outils les plus efficaces. En conséquence, il mène, en collaboration avec l’Académie nationale de Grèce, des programmes éducatifs dans les écoles afin de sensibiliser les enfants à la question de la violence dans le sport.

6.2. Bonnes pratiques: éducation et actions de sensibilisation en Europe

58. Les États membres du Conseil de l’Europe, plus que jamais conscients qu’il faut combattre le discours de haine et les infractions motivées par la haine dans le sport, mènent diverses activités pour lutter contre ces phénomènes. J’aimerais en mentionner quelques-unes, à commencer par les exemples fournis par les comités olympiques nationaux (grec et finlandais en particulier) qui ont répondu au questionnaire.
59. En Grèce, le comité coopère avec l’Académie olympique hellénique pour mener deux projets pilotes sur le thème du discours de haine dans le sport. Ces projets, qui s’adressent aux enfants de 6e année, s’inscrivent dans le cadre du programme d’éducation aux valeurs olympiques. Le premier porte sur la gestion des émotions que ressentent les sportifs après une défaite de leur équipe. Les membres des équipes perdantes sont invités à regarder leur défaite calmement et sans rejeter la responsabilité de leur échec sur leurs coéquipiers, en particulier si ces derniers sont étrangers, migrants, socialement défavorisés ou s’ils appartiennent à une minorité religieuse. Les enfants participent à des entretiens virtuels avec des journalistes; dans ce jeu de rôle, ils s’expriment en employant des mots positifs et font leur autocritique sans faire de remarques négatives ou offensantes à leurs coéquipiers. Environ 350 élèves de trois écoles ont pris part à cette activité pilote. Le second projet, intitulé «Le relais de la non-violence», comporte des activités destinées à lutter contre le discours de haine, notamment la création d’une chaîne humaine d’un bout à l’autre d’un stade pour transmettre des messages oraux sur des valeurs olympiques telles que l’amitié, l’égalité, le respect, la fraternité, la solidarité, la coexistence et la démocratie. Cette activité s’est tenue à Athènes et une centaine d’élèves de deux écoles y ont pris part.
60. L’Académie olympique hellénique en coopération avec le Comité olympique hellénique prévoit de mettre aussi en œuvre un projet sur la non-violence dans le sport, dans un premier temps dans des clubs sportifs puis dans des écoles. L’idée sous-jacente est que la violence en tant que phénomène social est fortement influencée par l’environnement socio-économique, mais qu’elle est essentiellement un comportement acquis. Les jeunes peuvent donc reconsidérer leurs comportements et apprendre à devenir non-violents, responsables et respectueux de tous les membres de la société. Malheureusement, comme le souligne l’Académie, la violence à l’école et au cours des événements sportifs est en hausse, de même que ses effets négatifs sur les jeunes. Le futur programme portera sur le développement personnel des enfants et des adolescents, et sur l’intelligence émotionnelle, l’autonomisation et le développement des compétences. L’objectif est que les jeunes fassent l’expérience d’un changement personnel grâce au «pouvoir de suggestion capable de nous faire changer nos habitudes». À la fin de la première période de trois ans, un modèle opérationnel aura été mis au point et le programme pourra être reproduit dans de nouveaux contextes.
61. En Finlande, le comité olympique travaille actuellement sur une politique générale dont l’objet est d’améliorer l’inclusion des personnes transgenres et intersexes dans le sport. De plus, l’université de Jyväskylä a démarré, en 2018, un projet de recherche sur trois ans appelé PREACT, dont l’objet est d’étudier le phénomène du harcèlement ainsi que d’autres formes de discrimination dans le sport, en mettant l’accent sur la discrimination fondée sur l’identité de genre et l’orientation sexuelle. L’objectif scientifique de ce projet piloté par la psychologue du sport Dr Marja Kokkonen est triple: examiner les différents types de discrimination (y compris le harcèlement) dans le sport et à l’école; enquêter sur les attitudes à l’égard de la diversité de genre et de la diversité sexuelle dans les cultures sportives en Finlande, au Royaume-Uni et à Singapour, et examiner les pratiques et les expériences pertinentes dans l’éducation physique scolaire et dans l’entraînement pratiqué au sein des clubs sportifs.
62. Football vs Homophobia (le football contre l’homophobie) est une campagne internationale initialement lancée au Royaume-Uni pour lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et leurs expressions à tous les niveaux dans le football. S’appuyant sur des activités de visibilité, d’information et de sensibilisation dans les stades de football et leurs environs, cette campagne offre un excellent exemple de «mise à profit du potentiel du football dans la société pour induire un changement positif», pour reprendre les mots de ses promoteurs.
63. En novembre 2018, le club de football des Rangers de Glasgow a officiellement reconnu Ibrox Pride, un groupe de supporters créé par des membres de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre et intersexe (LGBTI). Ce groupe offre aux supporters LGBTI un point de contact social et, parallèlement, il sert d’organe consultatif pour les Rangers sur les questions LGBTI dans le football. La création de ce groupe est un exemple supplémentaire des efforts déployés par ce club de football pour créer, avec succès, un environnement inclusif parmi ses supporters. En 2018, des représentants des Rangers ont participé à la Marche des fiertés de Glasgow.
64. Les Rangers avaient auparavant adopté une «Charte de la diversité et de l’inclusion» qui, assurément, constitue une «bonne pratique» dans le domaine de la lutte contre la discrimination dans le sport. La préface de cette charte dispose que «tous les fans doivent se sentir bien accueillis et en sécurité dans le monde du football, quels que soient leur âge, leur handicap, leur genre, leur origine ethnique, leur confession, leur orientation sexuelle ou tout autre aspect de l’égalité» et encourage le Club de football des Rangers «à promouvoir l’égalité, à valoriser la diversité et à combattre le traitement inéquitable dans toute l’organisation et parmi les supporters ainsi que le personnel». Cette charte ne se contente pas d’édicter des principes, elle comporte également, à la section «Obligations légales», un ensemble d’exigences formelles, dont une est particulièrement pertinente pour le présent rapport: «L’organisation adopte une approche “tolérance zéro” vis-à-vis du harcèlement, de la victimisation et des brimades.» La charte contient également des dispositions relatives à son application, qui exigent qu’une copie du texte soit publiée sur le site web du club et que le conseil d’administration du club soit responsable du bon respect de la charte. Elle dispose également que le club doit proposer des formations à ses joueurs, ses fans, son personnel et les membres de son conseil d’administration de façon à les sensibiliser aux responsabilités collectives et individuelles dans le domaine de la non-discrimination.
65. M. Carlo Balestri de l’UISP (Unione Italiana Sport per Tutti – Union italienne Le sport pour tous), qui a contribué à l’audition organisée à Paris le 19 septembre 2018, a présenté la «Coupe du monde antiraciste», 22e édition d’un tournoi annuel multisports auquel participent des sportifs d’Europe et du reste du monde. La dernière édition de cette manifestation a rassemblé plus de 5 000 personnes sur un terrain de camping pendant quatre jours, durant lesquels des matchs de sport, des concerts et des débats ont été organisés. La compétition n’est pas l’objectif principal de ce tournoi, et les règles sportives sont modifiées pour réduire le niveau d’antagonisme: les équipes échangent des joueurs ou sont constituées sur place, il n’y a pas d’arbitres, et des cadeaux sont échangés avant le match. Le sport est essentiellement un moyen utilisé pour que les gens se rencontrent et apprennent à se connaître. La Coupe du monde antiraciste a inspiré un grand nombre de manifestations en Europe et au-delà et peut être considérée à juste titre comme une «bonne pratique».
66. Ces exemples montrent que l’on peut prévenir la haine, qu’il est possible de la combattre de plusieurs façons, et que différents acteurs peuvent contribuer au succès des activités. La contribution des institutions académiques est souvent essentielle, car les activités éducatives nécessitent des travaux de recherche et l’utilisation de techniques pédagogiques.

7. Conclusions et recommandations

67. Les contributions des experts et des organisations sportives, ainsi que les travaux de recherche menés jusqu’à présent, m’ont amené à la conclusion que si le discours de haine et les infractions motivées par la haine suscitent une prise de conscience et une attention accrues dans le monde du sport, les informations disponibles manquent de précisions et de données chiffrées. D’autres recherches restent donc nécessaires. Les pouvoirs publics devraient s’en charger, éventuellement en coopération avec des organisations de la société civile et les milieux universitaires.
68. De plus, les définitions juridiques du discours de haine et des infractions motivées par la haine, ainsi que les systèmes de signalement, varient entre les États membres du Conseil de l’Europe. S’ils étaient harmonisés, la prévention et la lutte contre ces phénomènes n’en seraient que plus efficaces.
69. D’autre part, j’ai identifié quelques pratiques utiles qui pourraient être recommandées à tous les États membres du Conseil de l’Europe. La contribution de divers acteurs est nécessaire pour prévenir et combattre le discours de haine et les infractions motivées par la haine. Le rôle des clubs sportifs et organisations sportives est crucial, car ils sont en contact direct avec les athlètes et leurs supporters, sur lesquels ils peuvent avoir une grande influence. L’impact de la législation et des politiques ne doit pas non plus être sous-estimé.

– Les conventions du Conseil de l’Europe

70. L’Assemblée devrait rappeler certaines propositions contenues dans les textes récemment adoptés et les intégrer en les complétant avec d’autres éléments. La Résolution 2199 (2018) «Vers un cadre pour une gouvernance sportive moderne» soutient ainsi l’idée d’une nouvelle convention du Conseil de l’Europe sur la bonne gouvernance dans le sport afin de couvrir le dopage, le trucage des matchs et la violence des spectateurs. Vu l’ampleur du phénomène de la haine dans le sport, une telle convention devrait également prévoir des dispositions visant à prévenir et combattre le discours et les infractions motivées par la haine, et à protéger les victimes. L’idée de promouvoir la surveillance de la discrimination dans le domaine du sport, comme l’indique la Résolution 2131 (2016), devrait également être reprise.

– Rapports et collecte de données

71. Il est important de veiller à ce que les victimes de propos haineux aient accès à des systèmes de signalement. Certains propos stigmatisants ou insultes pouvant ne pas constituer des infractions pénales, il ne serait pas pertinent de les signaler aux services répressifs. Toutefois, des services spécialisés gérés soit par les pouvoirs publics, soit par des organisations de la société civile ou d’autres acteurs peuvent veiller à ce que ces cas soient pris en compte, en vue de réagir et d’aider les victimes. Les membres des forces de l’ordre devraient recevoir une formation sur les infractions motivées par la haine, afin d’acquérir les compétences nécessaires pour les identifier, réagir et produire des rapports sur ces infractions. Un système d’enregistrement des infractions motivées par la haine, complet et inscrit dans la durée, devrait également être mis en place.

– Sensibilisation, information et formation

72. La prévention devrait être un élément important des politiques de lutte contre la haine et à cet égard, l’éducation, l’information et la sensibilisation sont cruciales. L’éthique dans le sport, tout comme l’éducation aux droits de l’homme et à la citoyenneté, devraient faire partie des programmes scolaires. Par ailleurs, les professeurs d’éducation physique et les entraîneurs sportifs devraient être formés pour repérer la discrimination et la violence ciblant les athlètes, que ce soit au niveau amateur ou professionnel, et réagir. Les médias ont eux aussi un rôle important à jouer dans la prévention des phénomènes liés à la haine. Ils devraient diffuser une information pluraliste et impartiale sur les athlètes, en particulier ceux qui sont les plus exposés à la haine, et sur leurs performances. Ils devraient également rendre compte objectivement des incidents de discours de haine et des infractions motivées par la haine.
73. Encourager les élèves à obtenir de bons résultats en sport ne doit pas faire oublier qu’il est important de promouvoir les nombreux bienfaits de l’activité physique et du fair-play. Par conséquent, le succès et de bonnes notes en éducation physique ne doivent pas dépendre uniquement des performances sportives, mais aussi des efforts et de l’engagement de chacun, en prenant en compte les circonstances objectives et subjectives qui peuvent limiter la performance. Les enfants et les jeunes ne devraient pas se sentir exclus ni être privés de sport, mais devraient être bien accueillis et intégrés, en tenant compte de leurs capacités et aptitudes. Ils ne devraient pas être la cible potentielle de propos haineux ou de discrimination de la part de leurs camarades ou de leurs pairs à cause de leurs performances sportives plus faibles.

– Coopération

74. Les autorités publiques devraient engager le dialogue et coopérer avec les fédérations sportives et les organisations de supporters et les encourager à intégrer et à promouvoir les valeurs démocratiques, l’égalité et la non-discrimination, ainsi qu’à prévenir et combattre les discours de haine. Les fédérations sportives et les clubs individuels devraient également être encouragés à nommer des athlètes remarquables «ambassadeurs de l’égalité et de la non-discrimination».