1. Introduction
«De toutes les tyrannies, celle
qui vise au bien de ses victimes est sans doute la plus oppressive
(…)
[C]eux qui nous tourmentent pour
notre propre bien n'auront jamais de cesse de le faire puisqu'ils
ont la bénédiction de leur conscience.»
C.S. Lewis, Dieu au banc des accusés;
essais de théologie et d’éthique
1.1. Procédure
1. En juin 2017, Mme Stella
Kyriakides (Chypre, PPE/DC), ancienne présidente de la commission
des questions sociales, de la santé et du développement durable,
et 21 autres membres de l'Assemblée parlementaire ont déposé une
proposition de résolution intitulée «Protéger les droits des personnes
ayant un handicap psychosocial en cas de recours à des mesures involontaires
en psychiatrie». Cette proposition faisait suite aux travaux antérieurs
de notre commission sur le même sujet, qui avaient abouti à l’adoption
de la
Recommandation
2091 (2016) «Arguments contre un instrument juridique du Conseil
de l'Europe sur les mesures involontaires en psychiatrie»
. Dans cette recommandation, l’Assemblée
s’opposait à l'élaboration d'un protocole additionnel à la Convention
sur les droits de l'homme et la biomédecine (STE no 164),
relatif à la protection des droits de l’homme et de la dignité des
personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard du placement et
du traitement involontaires.
2. Le contexte historique de la proposition, y compris le processus
qui a abouti à la
Recommandation
2091 (2016) et les suites qui y ont été données (la décision du Comité
des Ministres de poursuivre les travaux sur le protocole additionnel
malgré les recommandations de l’Assemblée), est détaillé dans ma
note introductive révisée, qui a été déclassifiée le 11 octobre
2018
. La note fournit également une description
exhaustive des travaux réalisés depuis que j’ai repris le mandat
de rapporteure, dont l’audition conjointe avec la commission sur
l'égalité et la non-discrimination (saisie pour avis pour ce rapport)
qui s’est tenue le 9 octobre 2018. Cette audition a fourni à différentes
parties prenantes l’occasion de présenter leur position sur le projet
de protocole additionnel
.
Après l’audition, les deux commissions ont adopté leurs observations
sur le projet de protocole additionnel, comme le demandait le Comité
de bioéthique du Conseil de l’Europe (DH-BIO) et, conformément à
la position exprimée par l’Assemblée en 2016, ont demandé de faire
cesser les travaux sur cet instrument juridique et de mettre l’accent
sur les alternatives aux mesures involontaires (pour les commentaires
de la commission des questions sociales, de la santé et du développement
durable voir l’annexe)
.
1.2. Objectif
et portée du rapport
3. La proposition de résolution
à l’origine de ce rapport a été déposée afin de pouvoir continuer
de participer au processus d’élaboration du protocole additionnel,
l’objectif étant de limiter les conséquences négatives que ce texte
pourrait avoir sur les droits des personnes ayant un handicap psychosocial
et de contribuer à veiller
à la participation adéquate des organisations de défense des droits
des personnes handicapées au processus d’élaboration. Après que
la commission a adopté ses commentaires sur le projet de protocole
additionnel et a pris une position claire sur ces questions en octobre
2018, j’ai proposé de réorienter l’accent du rapport sur un aspect
qui est au cœur de la controverse suscitée par cet instrument juridique:
à savoir le fait que l’on continue de se focaliser et de s’appuyer
sur les mesures coercitives
et l’absence d’approche fondée
sur les droits humains dans la santé mentale en général. Lors de
sa réunion du 19 mars 2019, la commission a accepté cette proposition
ainsi que le changement de titre qui en découle.
4. De fait, dans une Résolution sur «La santé mentale et les
droits de l'homme» adoptée le 28 septembre 2017, le Conseil des
droits de l'homme des Nations Unies s’est déclaré profondément préoccupé,
entre autres, par la discrimination, la stigmatisation, les préjugés,
la violence, la maltraitance, l’exclusion sociale et la ségrégation,
les mesures illégales ou arbitraires de placement en institution,
la médicalisation excessive et les pratiques thérapeutiques non
respectueuses de leur autonomie, de leur volonté et de leurs préférences,
dont peuvent faire l’objet, à grande échelle, les personnes ayant
des problèmes de santé mentale ou un handicap psychosocial. Affirmant
l’importance d’adopter une approche fondée sur les droits humains
dans le domaine de la santé mentale, le Conseil des droits de l'homme
a engagé les États à abandonner toutes les pratiques qui ne respectent
pas les droits, la volonté et les préférences de toutes les personnes,
dans des conditions d’égalité, et qui conduisent à des déséquilibres
de pouvoir, à la stigmatisation et à la discrimination dans le contexte
de la santé mentale. Il a aussi prié le Haut-Commissaire aux droits
de l’homme de proposer des stratégies pour promouvoir les droits
de l’homme dans le domaine de la santé mentale et pour éliminer
la discrimination, la stigmatisation, la violence, la coercition
et la maltraitance dans ce contexte
.
2. La contrainte en santé mentale en Europe:
état des lieux
5. En Europe, aucun système de
santé mentale ne s’est encore reconverti à des pratiques pleinement consensuelles.
Tous les États membres du Conseil de l'Europe prévoient le placement
et le traitement involontaires, essentiellement en vertu de lois
spécifiques relatives à la santé mentale
. Selon un récent rapport
qui décrit la pratique actuelle dans les systèmes de santé mentale
de 36 pays d’Europe
(y
compris 35 États membres du Conseil de l'Europe) et Israël, outre
le critère du diagnostic d’une «maladie mentale» ou d’un «trouble
mental», le critère du risque important de dommages graves pour
soi-même ou pour autrui sert couramment à justifier le placement
involontaire. Dans la plupart des pays, le placement involontaire
autorise implicitement les traitements involontaires. Les 36 pays
ont indiqué que leur législation comporte des exigences de procédure
et des garanties pour les personnes soumises à un placement et un
traitement involontaires, qui consistent essentiellement en un réexamen
des décisions ou une autorisation par un organe indépendant ou par
un tribunal
.
6. Lors de l’audition conjointe tenue en octobre 2018, la Commissaire
aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Mme Dunja
Mijatović, a souligné qu’il existe des disparités frappantes entre
les États membres du Conseil de l'Europe dans les pratiques et le
recours aux mesures involontaires: les quelques études comparatives
disponibles sur la question indiquent que le pourcentage d’admissions
involontaires varie considérablement d’un pays à l’autre, parfois
d’un facteur 35, et même d’une région à l’autre dans le même pays.
Ainsi par exemple, en France, certaines régions géographiques ont
des taux d’admission involontaire 80 % plus élevés que d’autres.
De même, les statistiques allemandes indiquent que le recours au
placement dans des hôpitaux et à la contention mécanique (attacher
les personnes à un lit), à la contention physique (immobilisation
par le personnel) et à l’isolement (enfermement dans une petite
pièce) varie fortement d’un hôpital à l’autre (de 2 % à 10 % des
patients), et d’un
Land à
l’autre
.
7. Malgré ces différences, l’application de mesures involontaires
dans le domaine de la santé mentale est globalement en hausse, y
compris dans les pays qui se sont dotés de lois dites restrictives
pour limiter le recours à de telles mesures. Lors de la consultation
des Nations Unies sur les droits de l’homme et la santé mentale,
en mai 2018
,
la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des personnes
handicapées, Mme Catalina Devandas Aguilar
(ci-après «la Rapporteuse spéciale des Nations Unies») a reconnu
que les mesures coercitives et l’exclusion étaient devenues la norme
dans la majorité des systèmes de santé mentale, en particulier dans
les pays développés
. Lors de la même
consultation, le Professeur Sashidharan de l’université de Glasgow
a expliqué que depuis les années 1970 et 1980 et la désinstitutionalisation
en psychiatrie, on note dans la plupart des pays d’Europe occidentale
une tendance à préconiser les mesures coercitives
. En Angleterre, le pourcentage de placement
involontaire en hôpital psychiatrique a augmenté de plus d’un tiers
au cours des six dernières années. Plus de la moitié des admissions
en établissement psychiatrique sont désormais involontaires en Angleterre,
soit la part la plus élevée depuis la Loi de 1983 sur la santé mentale
.
8. De même, la France a un des taux de placement involontaire
les plus élevés d’Europe
,
et a enregistré une augmentation de 15 % du recours à la contrainte
en milieu psychiatrique depuis la réforme de la législation de 2011,
dont l’objectif était de renforcer les droits des patients hospitalisés
d’office
. Dans mon pays,
les Pays-Bas, la tendance est comparable malgré les intentions du
gouvernement de faire diminuer le nombre de mesures involontaires
. Sur les 36 pays
couverts par le rapport susmentionné, les seuls à signaler une diminution
dans le recours aux mesures coercitives sont la Finlande et l’Allemagne,
suite à des changements législatifs et à l’adoption de programmes
ciblés de réduction du recours à la contrainte en psychiatrie.
9. Ce sont autant de signaux graves qui nous appellent à conclure
que les systèmes de santé mentale tels que nous les connaissons
sont un échec, et que les lois destinées à restreindre le recours
aux mesures involontaires n’aboutissent pas nécessairement à une
diminution de la contrainte dans la pratique. En fait, lors de l’audition
d’octobre, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies a souligné
que les mesures involontaires ont toujours été autorisées à la condition
d'être exceptionnelles et entourées de garanties; pourtant c’est justement
dans les États qui se sont dotés d’une telle législation que le
taux de recours aux mesures involontaires est le plus élevé
.
10. Cette tendance inquiétante s’explique principalement par une
culture de l’enfermement
qui
se focalise et s’appuie sur la contrainte et ne garantit pas un
accès approprié à des services de proximité et ambulatoire, ce qui
génère inévitablement des situations de crise qui, à leur tour,
amènent à augmenter la contrainte. C’est un cercle vicieux qu’il
faut briser. Comme le soulignait à juste titre la Commissaire aux
droits de l’homme pendant l’audition du mois d’octobre, «il est
sans doute temps de ne plus envisager les mesures involontaires comme
un aspect essentiel du système de santé mentale mais plutôt comme
un symptôme de ses échecs»
.
3. De
la stigmatisation à la contrainte: la perception négative des problèmes
de santé mentale et son impact sur le recours aux mesures coercitives
«Il est difficile d’avoir une bonne
image de soi dans un monde qui vous voit comme une menace.»
A. Solomon, patient en psychiatrie
et professeur de psychologie clinique, Mental Illness Is Not a Horror
Show, New York Times, 26 octobre 2016
11. Il existe un lien étroit entre
la stigmatisation des problèmes de santé mentale et le recours à
la contrainte dans le domaine de la santé mentale. En effet, les
personnes ayant un handicap psychosocial ont été marginalisées,
rejetées et diabolisées tout au long de l’histoire. L’on associe
souvent le handicap psychosocial à la criminalité, la déviance et
la détention
.
Cette stigmatisation entretient l’idée répandue que les personnes ayant
un handicap psychosocial sont enclins à la violence et dangereuses
pour elles-mêmes et pour autrui
. Le
stéréotype de la dangerosité a des conséquences négatives sur la
manière dont les prestataires de services et le grand public réagissent
aux situations impliquant des personnes ayant un handicap psychosocial
ou des problèmes de santé mentale, en particulier dans des situations
de crise, ce qui les met à l’écart de la société et génère des comportements
discriminatoires et un recours aux pratiques coercitives. Comme
cela vient d’être souligné dans le chapitre précédent, la notion
de risque de danger pour soi-même ou pour autrui continue de jouer
un grand rôle dans la justification des placements et des traitements
involontaires.
12. Les médias ont tendance à verser dans le sensationnalisme
lorsqu’ils rapportent des meurtres impliquant des personnes ayant
des problèmes de santé mentale (en particulier des crimes violents
extrêmes telles que les fusillades), ce qui aggrave la stigmatisation
et incite la société à imposer davantage de restrictions aux personnes
à qui un problème de santé mentale a été diagnostiqué
. La Rapporteuse
spéciale des Nations Unies fait observer que le stéréotype de la
dangerosité s’est considérablement renforcé au cours des dernières
décennies, alimenté par la couverture négative par les médias qui
mettent en avant les antécédents psychiatriques de l’auteur d’actes
de violence ou, à défaut, spéculent sur un possible trouble qui n’aurait
pas été diagnostiqué
. De même, dans
un rapport publié récemment, la contrôleuse générale des lieux de
privation de liberté en France, Mme Adeline
Hazan, observe que dans le domaine de la santé mentale, «la potentielle
dangerosité du patient, le plus souvent fantasmée, a pris une place
grandissante» dans la pratique
.
13. Cela dit, le lien entre problèmes de santé mentale et violence
n’est pas confirmé par les travaux de recherche qui existent sur
le sujet
. La violence
contre/le risque de dommages pour autrui sont typiquement associés
au diagnostic de la schizophrénie. Toutefois, peu d’éléments permettent
de justifier cette affirmation. Dans le cadre d’une étude qui est
sans doute la plus importante menée à ce jour sur la corrélation
entre la schizophrénie et la violence, un échantillon de 8 003 personnes
diagnostiquées schizophrènes aux États-Unis a été comparé à un échantillon
de la population générale du point de vue des condamnations pénales
pour crimes violents. Dans la vaste majorité des cas, les crimes
violents commis par des personnes diagnostiquées étaient imputables
à l’abus de drogues. Quand d’autres facteurs étaient pris en compte,
la probabilité pour que les personnes diagnostiquées schizophrènes
non toxicomanes commettent un crime violent était à peine 1,2 fois
supérieure à celle du groupe témoin
. D’autres données confirment que
c’est principalement l’accumulation de divers facteurs de risque,
dont des facteurs ayant trait au passé de la personne (antécédents de
violence, détention en tant que mineur, abus physiques), des facteurs
cliniques (abus de substances)
, individuels
(sexe, âge, etc.) et contextuels (divorce récent, chômage, traitement
inéquitable des personnes ayant un problème de santé mentale) qui
rattache les problèmes de santé mentale à la violence
.
14. Par ailleurs, la littérature sur la contrainte en psychiatrie
et la violence n’a pas encore démontré l’efficacité de l’arsenal
des mesures de placement involontaire et de traitement imposé pour
réduire les risques de violence
. S’agissant du risque
de dommages pour soi-même, la littérature médicale ne fournit pas
de preuves solides d’une diminution du risque de suicide à l’issue
d’un traitement involontaire. Par ailleurs, il a été largement démontré
que le suicide est très difficile, voire impossible, à prédire
.
4. L’impact
de la contrainte sur les usagers et les prestataires de services
de santé mentale
15. L’on manque de preuves empiriques
solides de l’efficacité des mesures coercitives dans la prévention des
dommages pour le patient lui-même ou pour autrui; par contre, les
preuves de leurs effets néfastes sont irréfutables. En effet, les
conclusions d’études sociologiques menées sur le terrain avec des
personnes ayant des problèmes de santé mentale démontrent que le
placement ou le traitement involontaires sont vécus comme des expériences
largement négatives
.
Ces expériences sont associées à des traumatismes, suscitent de
la peur, des souffrances, de l’humiliation, de la honte, de la stigmatisation
et de l’auto-stigmatisation. Le traitement involontaire – souvent
associé au placement involontaire – tels que la médication forcée
et le traitement forcé par électrochocs, ou les mesures de contrainte
sont perçus comme des expériences particulièrement traumatisantes
dont les effets peuvent être classées en quatre catégories: un impact
psychologique négatif, de nouveaux traumatismes, le sentiment d’être
victimes de pratiques contraires à l’éthique, et une personnalité
brisée
.
16. Dans ce contexte, il convient de noter que les antipsychotiques
ont des effets indésirables potentiellement graves et risquent de
provoquer des dommages irréversibles pour la santé, comme des problèmes
de coordination motrice (par exemple la dyskinésie tardive, un trouble
qui se caractérise par des mouvements involontaires touchant le
plus souvent la bouche, les lèvres et la langue, et quelquefois
le tronc ou d’autres parties du corps comme les bras et les jambes),
des changements hormonaux et des modifications du tissu cérébral.
De même, il existe des données qui permettent de penser que la «thérapie
par électrochocs» a des effets dommageables irréversibles comme
les pertes de mémoire. Outre leurs effets traumatiques, ces «traitements»
administrés contre la volonté des personnes ayant des problèmes
de santé mentale posent donc d’importantes questions médicales et
éthiques.
17. Par ailleurs, les patients qui sont contraints d’accepter
une hospitalisation et/ou l’administration de médicaments auront
moins tendance à observer le traitement à leur sortie et donc à
se faire soigner par la suite. Comme le déclarait la représentante
du Réseau européen des (ex-)usagers et survivants de la psychiatrie
(ENUSP) au cours de l’audition d’octobre, les mesures coercitives
sont dissuasives parce qu’elles détruisent la confiance des patients
qui les subissent dans l’aptitude de la psychiatrie à leur venir
en aide, et les incitent à éviter tout contact avec le système de
santé ce qui, par voie de conséquence, augmente le risque de nouvelles
crises ou de crises supplémentaires.
18. Les mesures involontaires ont également un impact négatif
sur les prestataires de services, c’est-à-dire les professionnels
de la santé mentale qui s’occupent des patients ayant des problèmes
de santé mentale. À la dernière réunion du DH-BIO, en novembre 2018,
le représentant de l’Association européenne des prestataires de
service pour personnes en situation de handicap (EASPD) a fait observer
que les prestataires de service utilisent quotidiennement la contrainte
tout en sachant qu’il s’agit d’une violation des droits fondamentaux.
Tous souhaitent mettre un terme à la contrainte mais ne disposent
pas d’alternatives, ou ne les connaissent pas. Les prestataires
de service ne parviennent pas à atteindre leur objectif d’assistance
aux personnes handicapées. Seuls, ils n’ont pas les moyens d’instaurer
des mesures alternatives; ils ont besoin d’un cadre adapté, conforme
à la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH)
et non coercitif
.
5. Comment
prévenir, limiter et éliminer la contrainte dans le domaine de la
santé mentale?
5.1. Des
pratiques réussies et prometteuses
19. Mental Health Europe a récemment
publié un rapport sur des programmes et pratiques réussis et prometteurs
qui contribuent à prévenir, à limiter et à éliminer la contrainte
dans le domaine de la santé mentale. Ce rapport présente plusieurs
exemples positifs relevés en Europe et ailleurs, y compris des stratégies
en milieu hospitalier, des services de proximité (y compris des
services administrés par des pairs) et d’autres initiatives comme
les services de crise et de répit et la planification anticipée.
De même, des recherches menées dans la littérature à la demande
du Bureau de l’ONU à Genève pour documenter le rapport de la Rapporteuse
spéciale des Nations Unies ont révélé que les politiques de prévention
ou de réduction des pratiques coercitives s’avèrent très efficaces
et méritent une plus grande attention de la part des États
. Quelques exemples tirés de ces publications
et d’autres ouvrages sont cités ci-après.
20. Unités de soins intensifs (High
& Intensive Care Units) (Pays-Bas): ces unités «HIC»
sont des services d’admission d’urgence chargés de rétablir et de
maintenir le contact et de prévenir les crises. Ils ont été créés en
2013 par un groupe multidisciplinaire d’experts, dont des usagers
et des représentants de familles. Ces unités ont besoin d’équipes
pluridisciplinaires (psychiatres, infirmiers, psychologues, usagers)
spécialement formés à la gestion des crises, de l’agression et des
comportements suicidaires. Du point de vue architectural, un cadre
propice est mis en place avec des chambres individuelles, des séjours
spacieux et bien éclairés et un accès à des espaces extérieurs.
La méthode comprend une évaluation minutieuse du risque d’escalade
et l’élaboration d’un plan de crise personnalisé, en consultation
avec l’intéressé et avec ses proches. Le plan décrit comment éviter
l’escalade. Ces unités ont permis d’obtenir des résultats prometteurs
du point de vue du recours aux mesures d’isolement dans les services
pour patients commis d’office. La diminution du recours aux mesures
d’isolement ne donne pas lieu à une hausse de la médication forcée.
Toute contrainte doit être documentée, et les membres du personnel
discutent régulièrement de ces données afin de déterminer comment
diminuer encore le recours à la contrainte dans le but d’éliminer
cette pratique.
21. Unités mobiles de santé mentale (Grèce): ces unités ont permis
de réduire le nombre de placements involontaires dans les hôpitaux.
L’objectif premier est de maintenir les patients dans la communauté.
La collectivité locale et divers services de santé, ainsi que des
acteurs clés (autorités locales, services de police, procureurs)
collaborent activement avec ces unités mobiles. En permettant le
maintien des personnes dans leur communauté et en proposant des
services aussi près que possible du domicile des patients, les unités mobiles
contribuent à la stabilité et à la continuité des soins.
22. L’approche du Dialogue ouvert dans les cas de psychose aiguë
a initialement été élaborée en Finlande; elle consiste à prendre
les décisions en concertation avec les intéressés et des réseaux
plus étendus de leur choix. Le Dialogue ouvert vise à apporter une
aide dans le foyer ou dans la communauté des patients. Les prestataires
de services tâchent d’organiser des rencontres régulières entre
l’intéressé et un réseau proche de son choix réunissant son cercle
d’amis, de soignants, ou de membres de sa famille, auxquels s’ajoutent plusieurs
membres de l’équipe soignante qui sont systématiquement présents.
Aucune grande évaluation de l’impact direct de «Dialogue ouvert»
sur le recours à la contrainte n’a encore été réalisée mais, en
Laponie, ce modèle a totalement remplacé les traitements d’urgence
et médicalisés. Un suivi sur deux ans a révélé qu’il y a eu moins
d’internements, davantage de réunions familiales, moins de médicaments,
moins de rechutes et une amélioration de la situation professionnelle.
23. Le système suédois des médiateurs personnels est parti du
constat que les dispositifs existants de capacité juridique ne permettaient
pas de répondre aux besoins de nombreuses personnes ayant un handicap psychosocial,
qui étaient renvoyées d’une administration à l’autre sans parvenir
à bénéficier de leurs droits. Le projet pilote initial a permis
d’obtenir de tellement bons résultats (il a été apprécié par les
clients, a permis de diminuer le nombre d’hospitalisations involontaires
et de réaliser des économies) qu’il a été converti en une disposition
nationale permanente réunissant environ 300 médiateurs s’occupant
de 6 000 à 7 000 personnes ayant un handicap psychosocial. Ces médiateurs
sont des professionnels qui travaillent à 100 % à la demande des
intéressés et uniquement pour les intéressés. Ce type de soutien
a également permis d’aider les personnes les plus difficiles à atteindre,
qui restaient souvent livrées à elles-mêmes. Il s’agissait notamment de
personnes diagnostiquées schizophrènes, de personnes souffrant de
délires et de psychoses et de sans-abri ou de personnes vivant très
isolées en évitant tout contact avec les autorités
.
24. Les «maisons de répit» administrées par des pairs: l’expression
«maison de répit» désigne typiquement de petits foyers de proximité,
où les intéressés peuvent se rendre pour de courtes périodes quand
ils traversent une crise de santé mentale. Les maisons de répit
administrées par des pairs ont vu le jour aux États-Unis mais on
en trouve aujourd’hui en Suisse, en Allemagne, en Suède, en Hongrie,
au Danemark, aux Pays-Bas et en France. Elles se caractérisent par
du personnel non médical, une assistance entre pairs, la responsabilisation des
résidents et la présence à leurs côtés en temps de crise, des liens
avec la société et la responsabilité mutuelle. On y trouve une très
faible utilisation des antipsychotiques sur la base du choix personnel
de chaque résident, et les services de santé mentale sont généralement
dispensés à l’extérieur de ces maisons de répit. Cette formule vise
à laisser aux intéressés une plus grande marge de manœuvre dans
le choix de leurs soins et diminue le recours du système de santé
à des dispositifs de santé mentale plus chers, plus coercitifs et moins
centrés sur les personnes. Actuellement, les maisons de répit de
plusieurs pays d’Europe assurent leur financement à partir du budget
des foyers pour sans-abri et ne sont pas toujours ouvertes à tout
particulier qui ne se sent pas bien et aurait besoin de s’échapper
de son cadre de vie, ce qui pourrait éviter une hospitalisation involontaire.
25. L’initiative QualityRights (Organisation mondiale de la santé):
cette initiative mondiale vise à améliorer la qualité des soins
proposés par les services de santé mentale et à promouvoir les droits
humains des personnes présentant un handicap psychosocial, intellectuel
et cognitif. Par le biais de QualityRights, l’OMS aide les pays
à mettre en place des politiques, des stratégies, des lois et des
services conformes aux normes internationales des droits humains,
y compris la CDPH. L’objectif est notamment d’organiser des services
de proximité, orientés sur le rétablissement et qui assurent le
respect et la promotion des droits humains. Dans le cadre de cette
initiative, des personnes ayant fait l’expérience (de problème de
santé mentale) assument le rôle de pairs dans l’orientation, le
soutien et le renforcement des capacités des autres. Les bénévoles
qui assurent ce soutien par les pairs aident les usagers des services
de santé mentale à comprendre leurs propres éléments déclencheurs,
leurs objectifs et leurs responsabilités, à établir un plan de rétablissement
et donnent espoir pour avancer dans la vie. L’initiative implique
également des groupes de soutien familial où des proches des personnes
ayant des problèmes de santé mentale se réunissent pour discuter
et trouver des moyens de surmonter leurs difficultés.
26. Directives anticipées: une directive anticipée est un document
juridique par lequel les patients prennent des décisions qui les
lient ou donnent des instructions à d’autres, notamment en vue d’une
période de crise. Beaucoup de personnes ayant des problèmes de santé
mentale disposent d’assez d’expérience pour savoir ce qui peut les
aider à se rétablir. La planification anticipée par le biais de
directives anticipées permet aux intéressés de bénéficier des traitements
qu’ils choisissent (étant entendu qu’ils ont la possibilité d’exprimer
par ce biais leur refus de certains traitements) et qu’ils ont trouvé
utiles dans le passé. «Les patients, les porte-paroles et les médecins
estiment de plus en plus que de telles directives peuvent aider
à transformer les systèmes de santé mentale en permettant aux patients
de définir leur propre prise en charge, même quand ils perdent le
contact avec la réalité»
. Ces directives
pourraient jouer un rôle très important pour limiter au minimum
le recours aux mesures involontaires parce qu’elles aident à respecter
la volonté et les préférences des personnes en crise. Il a également
été constaté que le simple fait de rédiger une telle directive augmente l’implication
de certains patients dans leur traitement (le patient se sent davantage
maître de la situation).
5.2. Renforcement
des capacités, sensibilisation et prévention
27. Toute stratégie de réduction
et d’élimination de la contrainte dans le domaine de la santé mentale
devrait s’accompagner de mesures visant à changer les attitudes
négatives et les stéréotypes à l’égard des personnes ayant des problèmes
de santé mentale (et en particulier le discours public sur la violence
et les personnes ayant des problèmes de santé mentale) par le biais
d’activités efficaces de formation et de sensibilisation impliquant
toutes les parties prenantes et notamment les fonctionnaires (personnel
des services de police, répressifs et pénitentiaires), les prestataires
de services, les médias, les familles et le grand public. Ainsi,
les Pays-Bas ont consenti un effort considérable pour améliorer
l’acceptation et la prise en charge des personnes ayant un handicap
psychosocial et de leur famille dans la société. Les autorités locales,
les professionnels de santé, des experts et la police collaborent
étroitement et échangent leurs expériences et leurs bonnes pratiques,
notamment sur le site Internet dédié «Verward
en dan?» (Perturbé, et alors?). Ce portail accessible au
public fournit des informations sur les raisons pour lesquelles
des personnes peuvent être perturbées, comment les gérer tout en
les considérant comme des membres de la société, où trouver de l’aide,
etc. Il propose également des liens vers des vidéos postées sur
YouTube illustrant la conduite à tenir dans diverses circonstances
et qui s’appuient sur des expériences vécues. C’est le cas d’une
vidéo expliquant comment le public devrait réagir face à une femme
désorientée qui se promène dans la rue, une poupée sous le bras,
à la recherche de son enfant (Hoe reageert
Leeuwarden op Emma? – Comment réagit Leeuwarden à Emma?). Dans
le Land allemand du Bade-Wurtemberg, les bénévoles qui travaillent
avec les réfugiés et les demandeurs d’asile, par exemple, suivent
une formation aux «premiers soins» de santé mentale pour pouvoir
détecter et soutenir les personnes en situation de détresse psychologique.
28. Le lien au sein de la société entre les personnes avec et
sans expérience des problèmes de santé mentale constitue la clé
d’une réduction de la stigmatisation et de la discrimination. Par
conséquent, les activités de formation et de sensibilisation doivent
faire intervenir des personnes qui ont un vécu des problèmes de
santé mentale. Une telle mobilisation est susceptible de favoriser
à la fois l’entraide et les demandes de service en cas de besoin.
Il faudrait encourager davantage de personnes ayant vécu des problèmes
de santé mentale à s’investir, en qualité de dirigeants, de porte-paroles
et de pairs, dans la lutte contre les obstacles dans l’accès aux
soins de santé mentale, à l’intégration sociale et à la pleine citoyenneté
.
29. Étant donné que les problèmes de santé mentale sont souvent
la conséquence directe de violences, d’abandon affectif et de mauvais
traitements subis dans l’enfance
, la prévention, la détection
précoce et les interventions non-coercitives, surtout pour les enfants
et les adolescents, sont également essentielles. Il est primordial
d’éviter toute stigmatisation dans ces contextes.
30. Les établissements d’enseignement supérieur et notamment les
facultés de médecine, de droit et de travail social devraient revoir
leurs programmes pour qu’ils reflètent dûment les dispositions de
la CDPH
. Les intervenants
en soins primaires et les prestataires de soins de santé de proximité
(non spécialistes) ainsi que les prestataires des autres entités
concernées comme les écoles et le système de justice pénale devraient acquérir
et mettre en pratique les compétences nécessaires pour détecter,
traiter et prendre en charge les personnes ayant des problèmes de
santé mentale
.
6. Développements
récents concernant le projet de protocole additionnel
31. À sa dernière réunion, les
20 et 22 novembre 2018, le DH-BIO a pris note des avis sur le projet
de protocole additionnel soumis par le Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT), la Commissaire aux droits de l'homme, les deux commissions
de l’Assemblée parlementaire et la Conférence des organisations
internationales non gouvernementales (OING). À l’exception du représentant
de la Conférence des OING, qui a évoqué les divergences de vues
entre les OING qui ont participé à leur consultation interne, les
autres orateurs ont instamment prié le DH-BIO d’abandonner le projet,
en invoquant les préoccupations suivantes: les conflits entre le
nouvel instrument et les normes internationales existantes, et en
particulier la CDPH; le recours à un langage stigmatisant; et l’absence
d’une véritable participation de la société civile au processus
d’élaboration.
32. À de rares exceptions près, les délégations ont reconnu que
l’objectif des travaux demeurait pertinent et méritait d’être explicité.
Elles ont estimé que le projet devait être soigneusement réexaminé
en veillant tout particulièrement à renforcer l’aspect des mesures
alternatives et préventives. Elles ont aussi appelé à accorder une
attention spéciale à la poursuite du développement de la collaboration
avec toutes les parties prenantes concernées. À la lumière de ces
considérations, le DH-BIO a décidé d’inviter les OING représentées
lors de la session à soumettre des propositions rédactionnelles
concernant les mesures alternatives et préventives. Il a également
décidé d’inviter l'Association européenne de psychiatrie et d’autres
organisations professionnelles à commenter certains aspects spécifiques
du projet de texte.
33. Le 20 novembre 2018, le Réseau européen des Institutions nationales
des droits de l’Homme (REINDH)
a
publié un communiqué appelant les États membres du Conseil de l'Europe
à demander le retrait de la version actuelle du projet de texte
et, s’il était finalement soumis à un vote, à s’opposer à son adoption en
raison des préoccupations qu’il continue de susciter, dont celles
mentionnées par le Comité CDPH, la Commissaire aux droits de l'homme
du Conseil de l'Europe et l’Assemblée parlementaire. Dans un communiqué
de presse publié le 21 novembre 2018, Human Rights Watch s’est associée
à plusieurs autres ONG militant contre le projet de protocole additionnel
pour appeler les États membres du Conseil de l'Europe à s’opposer
à ce texte en soulignant que la Bulgarie, la Macédoine du Nord et
le Portugal l’avaient déjà publiquement fait
,
.
34. À sa réunion du 27 au 30 novembre 2018, le Comité directeur
pour les droits de l’homme (CDDH) a adopté son avis sur le projet
de protocole additionnel. Le CDDH a apprécié le travail d’explication
du DH-BIO quant aux buts de l’exercice et a estimé important de
poursuivre et d’approfondir ce travail. Il a soutenu les efforts
renouvelés du DH-BIO visant à rappeler le caractère exceptionnel
des mesures involontaires en dernier recours et à encourager le
recours à des mesures alternatives et de soutien. Le CDDH a encouragé
le DH-BIO à déterminer, en prenant en considération les commentaires
reçus durant la consultation publique, à quel moment et selon quelles
modalités poursuivre les travaux relatifs au protocole additionnel.
À sa réunion du 27 au 29 novembre 2018,
le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) a décidé
de ne pas émettre d’avis sur le projet de protocole additionnel.
35. Dans un avis daté du 5 décembre 2018, le Défenseur des droits
de la République française a conclu que le projet de protocole additionnel
n’était pas conforme aux principes consacrés par la CDPH, faisant observer
que la solution proposée par le DH-BIO – en dépit de l’objectif
recherché, à savoir prévenir le recours à des mesures abusives et
arbitraires de placement et de traitement involontaires – s’était
avérée inefficace dans la pratique et à l’origine des abus qu’elle
visait à prévenir. Le Défenseur des droits convenait avec l’Assemblée
qu’il était préférable de concentrer le travail sur la promotion
d'alternatives aux mesures involontaires en psychiatrie. Il a aussi
souligné qu’il existe des situations, certes exceptionnelles, où
les personnes ne sont pas capables de donner leur consentement:
ces situations ne doivent pas être négligées.
36. Enfin, dans son 4e rapport trimestriel
d’activité pour 2018, la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil
de l'Europe a évoqué sa participation à l’audition d’octobre et
ses commentaires écrits soumises au DH-BIO pour rappeler son opposition
au projet de protocole additionnel tout en expliquant ses raisons (incompatibilité
de l’approche du projet de texte avec la CDPH; doute sur la valeur
ajoutée de cet instrument; et consultation insuffisante des ONG
de défense des droits des personnes handicapées), ainsi que son
appel lancé au DH-BIO pour qu’il n’adopte pas le projet de protocole
additionnel et sa recommandation de concentrer plutôt ses efforts
sur les alternatives aux mesures involontaires
.
37. À sa réunion qui se tiendra à Strasbourg du 4 au 7 juin 2019,
le DH-BIO devrait décider de l’organisation des travaux sur le projet
de protocole additionnel à la lumière des observations reçues de
ses délégations et d’organisations professionnelles. Il examinera
également une note de concept concernant un projet d’étude sur les
«bonnes pratiques en matière de soins de santé mentale – comment
promouvoir les mesures volontaires» et pourrait convenir des modalités
de la poursuite du travail en la matière. Le DH-BIO devrait être encouragé
à mener une telle étude avec toutes les parties prenantes, et en
particulier les ONG pertinentes qui représentent les personnes ayant
des problèmes de santé mentale ou un handicap psychosocial.
7. Conclusion
38. Le recours à la contrainte
dans la santé mentale engendre des violations des droits humains
et génère un sentiment d’impuissance à la fois chez les usagers
et chez les prestataires de services qui sont «contraints de recourir
à la force». Les mesures coercitives empêchent d’établir des relations
saines et respectueuses entre les prestataires de services et les
usagers, ce qui, à terme, a des conséquences négatives sur la santé mentale.
Par conséquent, les États ont besoin d’orientations et d’une assistance
pour réformer leurs systèmes de santé mentale et garantir qu’un
maximum de personnes ayant un handicap psychosocial sollicitent volontairement
un traitement sans craindre de perdre leur dignité et leur autonomie
.
39. La solution réside dans les bonnes pratiques et des outils
disponibles à l’intérieur comme à l’extérieur du système de santé,
qui offrent des solutions et un soutien dans les situations de crise
ou d’urgence tout en respectant l’éthique médicale et les droits
humains des personnes concernées, notamment leur droit à un consentement
libre et éclairé
. Ces pratiques
prometteuses devraient être placées au cœur des systèmes de santé
mentale. Les services coercitifs et le placement en institution
devraient être considérés comme des alternatives inacceptables qu’il
convient d’abandonner
.
Cela dit, l’abandon de la contrainte ne doit pas se traduire par
un abandon des patients et ne devrait pas servir de prétexte à une
réduction du budget global de la santé mentale. Il faudrait accorder
davantage de fonds et de moyens à la recherche sur des solutions alternatives.
40. En plus de garantir les droits relatifs à la santé, les États
devraient veiller à ce que les personnes ayant un handicap psychosocial
ou des problèmes de santé mentale puissent efficacement exercer
leurs droits relatifs à la protection sociale, y compris le droit
au logement et à l’emploi. Les proches des personnes ayant des problèmes
de santé mentale doivent bénéficier des aides sociales et financières
adéquates pour leur permettre de faire face au stress et aux difficultés
considérables induites par le soutien à leurs proches.
41. Le présent rapport intervient à un moment charnière étant
donné que de nombreux États ont commencé à prendre des engagements
au titre de la CDPH et à la mettre en œuvre. En tant que première
organisation régionale de défense des droits humains, le Conseil
de l’Europe devrait accompagner et encourager cette transition.
42. La transition de tous les services de santé mentale et des
lois correspondantes vers des pratiques totalement consensuelles
représente un défi majeur pour tous les États membres du Conseil
de l'Europe. Dans ses commentaires écrits sur le projet de protocole
additionnel, la Commissaire a précisé que sa position (l’opposition
au projet de protocole additionnel) «ne doit pas être comprise comme
un appel à l’abolition immédiate de toutes les mesures involontaires
en psychiatrie», car il est impossible de réaliser une telle mutation
du jour au lendemain. De même, tout en s’opposant au projet de protocole
additionnel, le présent rapport reconnaît qu’en droit international
les États ont l’obligation de protéger la vie, et que la pratique
actuelle s’appuie sur des mesures involontaires pour répondre à
des situations de détresse et de crise qui peuvent mettre la vie
en péril (souvent qualifiées de «situations de crise et d’urgence»).
En conséquence, il appelle à concentrer les efforts du Conseil de
l’Europe sur la rédaction de lignes directrices visant à mettre
fin à la contrainte dans le domaine de la santé mentale et non plus
sur la rédaction du protocole additionnel.
43. Seul un tel objectif ambitieux de mettre fin à la contrainte
dans le domaine de la santé mentale permettra aux États de parvenir
aux changements structurels qui aboutiront à l’instauration d’un
système de santé mentale fondé sur les droits humains. À cette fin,
et dans un premier temps, le rapport encourage les États membres
à prendre des engagements ambitieux en vue de réduire de manière
radicale le recours aux pratiques médicales coercitives, y compris
dans les «situations de crises et d’urgence», afin qu’elles puissent progressivement
être abandonnées, en gardant à l’esprit que le chemin sera difficile
et prendra du temps. Il est urgent de commencer à changer la façon
dont la société et les États gèrent les troubles mentaux. «Il faut que
la psychiatrie se transforme et adopte une approche fondée sur les
droits de l'homme»
.