1. Introduction
1. La violence à l'égard des femmes
est une violation des droits humains, une forme de discrimination fondée
sur le genre, une cause de l'inégalité de genre et, en même temps,
un facteur renforçant l'inégalité de genre. Il s'agit d'une infraction
pénale qui devrait être reconnue comme telle dans la législation
nationale, comme l'exige la Convention du Conseil de l'Europe sur
la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes
et la violence domestique (STCE no 210,
«Convention d'Istanbul»)
.
2. La violence à l'égard des femmes est un phénomène très répandu
qui est sous-déclaré, sous-estimé et dont l'ampleur n'est pas entièrement
connue. Afin de combler ce manque de connaissances, en 2014, l'Agence des
droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA) a publié une enquête
sur la violence à l'égard des femmes dans les 28 États membres de
l'Union européenne, sur la base d'entretiens avec 42 000 femmes interrogées
sur leurs expériences de violence physique, sexuelle et psychologique,
y compris les incidents de violence domestique
.
3. Selon cette étude, dans l'Union européenne, une femme sur
trois a connu des violences fondées sur le genre depuis l'âge de
15 ans. Une femme sur 10 a subi une forme de violence sexuelle depuis
l'âge de 15 ans et une sur 20 a été violée. Un peu plus d'une femme
sur cinq a subi des violences physiques et/ou sexuelles de la part
d'un partenaire actuel ou précédent, et un peu plus d'une femme
sur dix indique avoir subi une forme de violence sexuelle par un
adulte avant l'âge de 15 ans. Et pourtant, seulement 14 % des femmes
ont signalé à la police l’incident de violence domestique qu’elles
ont jugé comme étant le plus grave, et 13 % ont signalé à la police
l’incident de violence fondée sur le genre n’ayant pas été perpétré
par un partenaire, et qu’elles ont jugé comme étant le plus grave.
4. Les données d'EUROSTAT sur le nombre d'incidents d'homicides
intentionnels, de viols et d'agressions sexuelles signalés montrent
que, dans de nombreux États membres de l'Union européenne, plus
de la moitié des victimes de féminicides sont tuées par un partenaire
intime, un parent ou un membre de la famille
. Selon une étude scientifique de
2006, il y a environ 3 500 décès liés à la violence domestique dans
l'Union européenne par an
. En mars 2018, un Observatoire européen
des féminicides a été lancé à Malte
. Il s'agit du premier observatoire
de ce type au niveau européen et, espérons-le, il contribuera à
améliorer la collecte de données parce que, dans la plupart des
cas, les statistiques nationales ne relèvent pas si le motif d’un meurtre
est fondé sur le genre.
5. L'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe
(OSCE) a réalisé une enquête et interrogé plus de 15 000 femmes
au printemps et à l'été 2018 en Albanie, en Bosnie-Herzégovine,
au Kosovo*
, en République
de Moldova, au Monténégro, en Macédoine du Nord, en Serbie et en
Ukraine. L'étude a conclu que 70 % des femmes interrogées avaient
été victimes d'une forme quelconque de harcèlement sexuel, de brimades,
de violence perpétrée par un partenaire ou n’ayant pas été perpétrée
par un partenaire depuis l'âge de 15 ans. 45 % des femmes interrogées
ont été victimes de harcèlement sexuel, notamment de harcèlement sur
Internet. 23 % des femmes interrogées ont subi des violences physiques
et/ou sexuelles de la part d'un partenaire proche. 18 % des femmes
interrogées ont subi des violences physiques et/ou sexuelles qui
n’ont pas été perpétrées par un partenaire
.
6. Comme l'indique l’Institut européen pour l’égalité entre les
hommes et les femmes (EIGE), la violence fondée sur le genre dont
les victimes ont souffert a des conséquences importantes sur leur
santé pour près de 70 % d’entre elles
.
L'Organisation mondiale de la santé énumère parmi les principales
conséquences: les tentatives de suicide ou le suicide, la dépression,
le stress post-traumatique et d'autres troubles anxieux, les blessures,
les grossesses non désirées, les avortements provoqués, les problèmes
gynécologiques, les maladies sexuellement transmissibles, les problèmes
de sommeil et troubles de l'alimentation
.
7. De plus, les dits «mouvements de pères» gagnent du terrain.
À cet égard, il convient de préciser clairement que l’«aliénation
parentale»
promue par ces mouvements ne
peut pas aller à l’encontre et compromettre les droits et la sécurité
de la victime ou des enfants.
8. La violence à l'égard des femmes a également un coût pour
l'ensemble de la société, en termes de coûts de santé, de jours
de travail perdus et d'autres dépenses très conséquentes. L’ONU
femmes cite des recherches indiquant que, dans le monde entier,
le coût total de la violence contre les femmes pourrait s’élever à
environ 2 % du produit intérieur brut (PIB) mondial, soit à 1 500
milliards de dollars américains, ce qui équivaut à près la taille
de l'économie du Canada
.
9. Ces quelques faits et chiffres démontrent de façon irréfutable
que la violence à l'égard des femmes doit être combattue de toute
urgence. La Convention d'Istanbul est l'outil le plus avancé et
le plus complet pour le faire.
2. Convention d’Istanbul: réalisations
10. Depuis sa création, en 1949,
le Conseil de l’Europe a toujours été à l’avant-garde de la protection
des droits humains en Europe. L’Organisation a établi des mécanismes
inégalés et défini des normes qui ont fait de notre continent un
symbole de liberté et de démocratie.
11. S’il me fallait déterminer la contribution majeure apportée
à l’émancipation et à la promotion des droits des femmes par le
Conseil de l’Europe au cours de ses 70 années d’activité, je n’hésiterais
pas un instant à affirmer qu’il s’agit de la Convention sur la prévention
et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence
domestique.
12. La Convention d’Istanbul, qui traite de la prévention, de
la poursuite des auteurs, de la protection des victimes et des politiques
intégrées, est l’instrument juridique international le plus complet
et le plus avancé dans le domaine de la violence à l’égard des femmes.
Elle est souvent appelée le « gold standard » (la référence absolue),
mais la Convention d’Istanbul est bien plus. Il s’agit d’un manifeste
proposant une vision de la société dans laquelle les femmes ne sont
pas subordonnées aux hommes et où l’égalité de genre est totale.
13. La principale réalisation de la Convention d’Istanbul est
d’avoir brisé le silence entourant la violence envers les femmes
et la violence domestique. La Convention dit haut et fort que la
violence à l’égard des femmes et des filles n’est pas une fatalité
qu’il leur faut accepter en tant que femmes. Il s’agit d’un crime
et d’une violation des droits humains qui doivent être réprimés
et punis, et contre lesquels les victimes doivent être aidées et
protégées. D’où la nécessité d’avoir des lois et des politiques
appropriées.
14. La Convention d'Istanbul a porté la violence fondée sur le
genre dans le débat public. La prise de conscience de ce phénomène
dans l'opinion publique a augmenté, également grâce aux activités
de visibilité et de sensibilisation promues ou soutenues par le
Conseil de l'Europe ainsi que d'autres organisations internationales.
15. Il est également essentiel de souligner que la Convention
d'Istanbul est une réussite. Au 1er mars
2019, elle a été ratifiée par 34 États membres du Conseil de l'Europe. Afin
de s'y aligner, les États parties ont dû modifier leurs politiques
et leur législation, élevant ainsi leurs normes et contribuant à
protéger des milliers de femmes contre la violence fondée sur le
genre.
16. Le 6 mai 2019, j'ai participé à un événement organisé par
l’ONU Femmes à Vienne en marge du thème « Traduire les promesses
régionales en actions pour mettre fin à la violence à l’égard des
femmes et des filles », au cours duquel nous avons discuté des succès
et des obstacles dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes
en Europe. La Convention d’Istanbul est reconnue comme une référence
absolue dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes au-delà
des frontières de l’Europe. Elle pourrait avoir vocation à devenir
un instrument universel.
17. Lors de la Commission de la condition de la femme en mars
2019, Mme Marlène Schiappa, Secrétaire d'État
française chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, a
appelé à l'universalisation de la Convention d'Istanbul, et a souligné
sa valeur ajoutée et son impact. Je me félicite que la France poursuive
cet objectif dans le cadre de sa présidence du G7 par la promotion
d’une politique étrangère féministe qui fait de la lutte contre
la violence à l'égard des femmes une de ses priorités.
3. La Convention d’Istanbul: état des
lieux
3.1. Signatures
et ratifications
18. Les 34 États membres du Conseil
de l'Europe qui ont ratifié la Convention d'Istanbul sont les suivants: Albanie,
Allemagne, Andorre, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Croatie,
Chypre, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Grèce,
Irlande, Islande, Italie, Luxembourg, Macédoine du Nord, Malte, Monaco,
Monténégro, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Portugal, Roumanie, Saint-Marin,
Serbie, Slovénie, Suède, Suisse et Turquie.
19. Onze autres États membres l’ont signée, mais ne l’ont pas
ratifiée (Arménie, Bulgarie, Hongrie, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie,
République de Moldova, Royaume-Uni, République slovaque, République
tchèque et Ukraine). L'Azerbaïdjan et la Fédération de Russie sont
les seuls États membres ne l’ayant ni signée ni ratifiée.
20. Il faut espérer que le nombre d'États Parties augmente prochainement.
Le Royaume-Uni est également sur la ligne d'arrivée, à la suite
de l’introduction de modifications de sa législation nationale qui
permettent à ceux qui commettent certaines infractions à l'étranger
d'être poursuivis au Royaume-Uni
.
21. L'Union européenne a participé en tant qu'observateur à l'élaboration
de la Convention, qui est un instrument ouvert à l'adhésion de l'Union
européenne ainsi qu'aux États membres qui ne font pas partie du Conseil
de l'Europe, ces derniers dans des conditions définies dans la Convention
elle-même
. Le Conseil de l’Union européenne a, en
2017, approuvé la signature de la Convention d’Istanbul sous la
présidence maltaise, et s’est engagé à y adhérer. Les avantages
potentiels de l’adhésion de l’Union européenne parallèlement à celle
de ses États membres seraient notamment une meilleure collecte des
données, un cadre juridique plus cohérent et l’amélioration du soutien
et de la protection des victimes. L’adhésion officielle de l’Union européenne
à la Convention requiert l’adoption d’une décision du Conseil de
l’Union après approbation du Parlement européen. J'espère qu’en
2019, les présidences roumaine et finlandaise de l'Union européenne joueront
un rôle positif pour faire progresser la ratification et la mise
en œuvre de la Convention.
22. Le mécanisme de suivi prévu par la Convention d’Istanbul se
compose de deux organes: le Groupe d’experts sur la lutte contre
la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO),
un organe d’experts indépendants chargé d’élaborer les rapports
d’évaluation, et le Comité des Parties, qui s’appuie sur les rapports
du GREVIO pour adresser des recommandations aux pays concernés.
Il existe deux types de suivi: une procédure d’évaluation pays par
pays et une procédure spéciale d’enquête qui peut être engagée par
le GREVIO lorsque des informations fiables indiquent qu’il est urgent
d’agir pour prévenir des actes de violence graves, répandus ou récurrents
visés par la Convention. Jusqu’à présent, cette dernière procédure n’a
pas été mise en œuvre. S’agissant de la procédure d’évaluation pays
par pays, les premiers rapports d’évaluation (de référence) sur
l’Albanie
, l’Autriche
, le Danemark
, Monaco
, le Monténégro
, le Portugal
, la Suède
et la Turquie
ont été déjà publiés.
23. La procédure d’évaluation de l’Andorre
, de la Belgique
, de l’Espagne
, de la Finlande
, de la France
, de l’Italie
, des Pays-Bas
et de la Serbie
est
en cours. Selon le calendrier
, 18 mois devraient être normalement
nécessaires au GREVIO pour terminer l’évaluation d’un pays. L’ensemble
de cette procédure axée sur le dialogue vise à réunir autant d’informations
que possible et à soutenir les États parties dans leurs efforts
pour se conformer aux exigences de la Convention.
24. Le GREVIO s'est déjà forgé une excellente réputation fondée
sur son expertise. Il est devenu un solide organe de suivi du Conseil
de l'Europe et représente une valeur ajoutée pour l'ensemble de
l'Organisation. En travaillant de concert avec les États, il est
parvenu à formuler des recommandations fermes dans un esprit de dialogue.
4. Mise en œuvre de la Convention d’Istanbul:
conclusions générales
25. Dans sa récente allocution
devant la Commission sur l’égalité et la non-discrimination et le
Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre sans violence
, Mme Feride Acar,
alors Présidente du GREVIO, a fait le bilan des retombées positives
de la Convention d’Istanbul sur la vie de nombreuses femmes en Europe,
en citant notamment:
- l’instauration
de nouvelles infractions pénales telles que le mariage forcé, le
harcèlement et les mutilations génitales féminines ;
- la modification de dispositions juridiques relatives au
viol ;
- la multiplication des services d’accompagnement, y compris
des lignes d’assistance téléphoniques et des abris.
26. Mme Acar a également exposé les
difficultés rencontrées par le GREVIO dans son travail de suivi:
- absence de statistiques et de
données fiables ventilées par sexe ;
- lacunes de la législation nationale ;
- nombre insuffisant d’abris et irrégularités dans le fonctionnement
des lignes téléphoniques et des services d’aide aux enfants témoins
de violences ;
- absence ou caractère limité des financements permettant
de lutter contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique ;
- insuffisance du soutien aux victimes et de leur protection
lors des procédures judiciaires ;
- absence de mécanismes permettant d’assurer une coordination
efficace entre les acteurs concernés.
27. Point très intéressant, Mme Acar
a relevé que le caractère neutre, du point de vue du genre, de certaines lois
et politiques est un facteur faisant obstacle à la protection des
femmes contre la violence. Cette observation fait écho aux préoccupations
exprimées par certains membres de l’Assemblée au cours de l’audition
sur le thème « Peut-on parler d’un recul du droit des femmes ? »,
conjointement organisée à Strasbourg le 11 octobre 2018 par la commission
sur l’égalité et la non-discrimination et le Réseau parlementaire
pour le droit des femmes de vivre sans violence
.
Cela nous rappelle à quel point l’intégration d’une dimension de
genre dans l’ensemble des lois et politiques est indispensable pour
prévenir la discrimination et parvenir à l’égalité.
5. Mise en œuvre de la Convention d'Istanbul:
principales conclusions tirées du processus de suivi
28. Depuis son ouverture à la signature,
la Convention d'Istanbul a eu un impact tangible et positif sur
la protection des femmes contre la violence, les États ayant modifié
leur législation nationale afin de l'adapter aux normes élevées
de la Convention. Ce constat ressort clairement de l'adoption de
dispositions spécifiques visant à pénaliser les formes de violence
énumérées dans la Convention. Malgré cette tendance globalement positive,
des difficultés subsistent même si certains exemples de bonnes pratiques
ont pu être mis en évidence. C’est le cas dans trois exemples de
dispositions pénales sur le viol, les crimes dits « d'honneur »
et les mutilations génitales féminines (MGF).
29. En ce qui concerne la pénalisation du viol, ainsi que celle
des actes à caractère sexuel non consentis avec un tiers, certains
États éprouvent des difficultés à s'aligner sur la norme de la Convention
d'Istanbul concernant la notion de consentement librement exprimé.
Il existe cependant quelques exemples positifs, en particulier en
ce qui concerne la notion de consentement librement exprimé. Le
Monténégro, par exemple, a adopté récemment un amendement qui a
introduit des changements importants: les dispositions relatives
au viol et à la violence sexuelle sont fondées sur le principe selon
lequel le consentement doit être donné volontairement comme résultat
de la volonté libre de la femme
.
30. Au Danemark, le Code pénal ne contient aucune infraction de
viol ou d’agression sexuelle qui serait fondée exclusivement sur
l’absence de consentement
. « L’approche suivie par la législation
danoise en matière de violence sexuelle consiste à énumérer les
éléments constitutifs de l’infraction et/ou les caractéristiques
de la victime qui excluent tout consentement»
.
En conséquence, l'acte est punissable. Tout en reconnaissant les
efforts qui la sous-tendent, cette approche pose problème dans la
mesure où elle ne tient pas compte des cas dans lesquels les circonstances
ne correspondent à aucune des dispositions en vigueur. Fait surprenant,
au Danemark, « l’infraction commise à l’encontre d’un ancien ou
actuel conjoint ou partenaire » ne fait pas partie de la liste des
circonstances aggravantes.
31. La Turquie a accompli des progrès notables dans la pénalisation
de la violence sexuelle. Le recours à la force n'est pas un élément
constitutif de l'infraction de violence sexuelle. L'article 102
de la section 6 du Code pénal turc reconnaît explicitement le viol
conjugal. Toutefois, il ne peut faire l’objet de poursuites que
si la victime porte plainte
.
32. Les dispositions de l’Albanie sur le viol sont fondées sur
l’usage de la force. La possibilité d’un libre consentement de la
victime, en l’absence d’usage de la force, est sans effet uniquement
dans des cas particuliers (tels que l’exploitation d’une personne
présentant un handicap physique ou mental, en cas d’intimidation
au moyen d’une arme, ou en cas d’abus d’une position d’autorité
ou de confiance)
. Là encore, selon l'article 6 du
Code pénal albanais, le viol conjugal est une infraction pénale,
mais seulement entre conjoints ou entre concubins
.
En revanche, le droit monégasque pose le «principe de l’indifférence
de l’incrimination par rapport à des liens présents ou passés entre
conjoints ou partenaires»
.
33. En ce qui concerne les crimes dits « d'honneur », par exemple,
un motif fondé sur la culture, les coutumes, la religion, la tradition
ou l'honneur peut être considéré comme une circonstance aggravante
par les tribunaux danois
. En outre, le Danemark a commencé
à mettre en œuvre un plan d'action sur la prévention des conflits
et autres comportements liés à l'honneur pour la période 2017-2022.
34. En Autriche, des justifications comme « l’honneur » ou le
« droit coutumier» n’assurent pas l’impunité, mais elles ne sont
pas considérées comme des circonstances aggravantes par la loi
. La Turquie a accompli des progrès
importants par la réforme du Code pénal en 2005, qui a éliminé la
possibilité de réduire les peines dans les affaires de meurtres
perpétrés au nom de la « coutume »
.
35. En ce qui concerne la pénalisation des mutilations génitales
féminines (MGF), certains États, en l’absence de dispositions spécifiques,
pénalisent les MGF en vertu d'autres dispositions similaires, tandis
que d'autres incluent l'infraction distincte de MGF dans leur Code
pénal. Il convient de noter qu'en vertu du Code pénal danois, le
fait d'aider l'auteur d'une mutilation génitale féminine en l'incitant,
en le conseillant ou en l'incitant à commettre une telle pratique
est pénalisé comme le fait d’apporter son aide ou son concours à
la commission d'une mutilation génitale féminine
.
36. Le Monténégro a adopté de nouvelles infractions comme les
mutilations génitales féminines dans son Code pénal (article 151a)
. À la différence du Danemark,
cet article ne couvre pas le fait d’inciter ou de contraindre une
fille à subir cette pratique ou de lui fournir les moyens à cette
fin.
37. En outre, avec l’adoption de la loi no 1.382,
le Code pénal de Monaco sanctionne spécifiquement les actions portant
atteinte à l’intégrité des organes génitaux d’une personne de sexe
féminin
.
38. Enfin, en Autriche, Albanie et Turquie, il n’éxiste pas de
pénalisation des mutilations génitales féminines en tant que telles,
mais elles sont passibles de poursuites en vertu d’autres dispositions.
En Autriche, les mutilations génitales féminines répondent à la
définition de préjudice corporel, en Albanie à celle de blessure intentionnelle
causant une mutilation ou toute autre atteinte permanente à la santé,
et en Turquie à celle d’une blessure infligée intentionnellement
et d’une forme aggravée de cette infraction entraînant l’affaiblissement permanent
ou la perte de l’un des sens ou organes de la victime, ou la perte
de sa fonction reproductrice
. Néanmoins,
l'absence d'une disposition spécifique pénalisant les MGF peut affaiblir
le droit pénal dans ce domaine et rendre les poursuites plus difficiles
. Ces constats montrent que même si
des progrès remarquables ont été accomplis, il reste encore beaucoup
à faire pour améliorer la mise en œuvre de la Convention d'Istanbul
.
6. Attaques contre la Convention d’Istanbul
39. Ces dernières années, une très
vive opposition à la Convention d’Istanbul s’est manifestée, notamment dans
certains États membres du Conseil de l’Europe comme la Bulgarie,
la Croatie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la
Roumanie, la République slovaque et la République tchèque.
40. Certains responsables et partis politiques, institutions religieuses
et organisations non-gouvernementales ont mené ce que je pourrais
définir – également en raison de l’animosité du ton employé – comme
une guerre idéologique contre la Convention d’Istanbul, faisant
valoir qu’elle va à l’encontre des valeurs traditionnelles ou familiales,
qu’elle tente d’instaurer un troisième genre ou encore de légaliser
le mariage entre personnes de même sexe. Il existe des rapports
crédibles selon lesquels des prêtres et d’autres représentants de
l'église jouent un rôle actif dans cette campagne, prêchant parfois
littéralement contre la Convention d'Istanbul. Leur impact est particulièrement
important dans les zones où l'accès à des sources d'information
diversifiées est limité et où les ONG non-confessionnelles sont
absentes.
41. Par ailleurs, dans un certain nombre d'États membres, alors
que la propagande contre la Convention d’Istanbul est en plein essor,
les ONG sont confrontées à des obstacles croissants dans leur travail.
Elles déclarent être de moins en moins consultées et informées par
les autorités sur les développements juridiques et politiques dans
des domaines ayant un impact sur l'égalité de genre et les droits
des femmes et avoir des difficultés à obtenir des financements.
42. Les accusations contre la Convention d’Istanbul sont injustes
et fallacieuses, mais il ne faut pas se faire d’illusions. Ce discours
biaisé n’est pas le résultat d’une interprétation erronée, mais
une tentative délibérée de saboter son objet même, à savoir l’égalité
entre les femmes et les hommes et la fin d’une mentalité patriarcale
qui relègue les femmes au rang de subalternes dans tous les aspects
de la vie.
43. Malheureusement, les déclarations sur les intentions cachées
de la Convention d’Istanbul ont accaparé le débat public et laissé
peu ou pas d’espace à la discussion sur les causes profondes de
la violence à l’égard des femmes et les moyens de l’éradiquer. Pourtant,
le caractère systémique de ce phénomène, qui a été observé et consigné
par des dizaines d’instituts de recherche fiables, ne laisse aucun
doute
.
44. L’écho considérable qu’ont rencontré dans le grand public
les propos polémiques sur les objectifs cachés de la Convention
d’Istanbul est très dangereux. Il peut en effet fournir un prétexte
pour ajourner de nouvelles signatures et ratifications de la Convention
et conforter ceux qui souhaiteraient se retirer définitivement de
la Convention. En même temps, en présentant le genre comme un concept
dangereux et les couples entre personnes du même sexe comme une
menace pour les familles « traditionnelles », il peut entraver les
progrès vers l'égalité de genre à tous les niveaux.
45. Pour réagir à ces attaques, le Conseil de l’Europe a rédigé
une brochure intitulée « La Convention du Conseil de l’Europe sur
la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes
et la violence domestique (Convention d’Istanbul): Questions et
réponses »
. Elle énonce clairement les objectifs
de la Convention d’Istanbul: mettre un terme à la violence à l’égard
des femmes et la violence domestique et protéger les droits humains
des femmes. Elle donne également des informations sur la valeur
ajoutée de la Convention, et souligne clairement que la « la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique ne peuvent plus être
considérées comme relevant de la vie privée, mais que les États
ont l’obligation de se doter de politiques globales et intégrées
pour prévenir cette violence, protéger ses victimes et punir ses
auteurs ». En ratifiant la convention, les gouvernements s’engagent
à faire de la lutte contre la violence à l’égard des femmes une
obligation juridiquement contraignante.
46. La brochure apporte également des réponses aux questions relatives
au caractère fondé sur le genre de la violence à l’égard des femmes
ainsi qu’à la définition du genre contenue dans la Convention, qui
n’est pas destinée à remplacer le mot « sexe » dans sa définition
biologique, mais à souligner « à quel point les inégalités, les
stéréotypes et, en conséquence, la violence ne se fondent pas sur
des différences biologiques, mais plutôt sur une construction sociale,
c’est-à-dire sur les mentalités et sur la perception des rôles que
les femmes et les hommes jouent et devraient jouer dans la société ».
47. En ce qui concerne les attaques ayant trait à la promotion
d'une certaine vision de la famille dans la Convention d'Istanbul,
je tiens à souligner que la Convention d'Istanbul ne comporte pas
de définition de la famille et ne promeut pas un type de famille
particulier. La brochure nous rappelle que la « La Convention d’Istanbul
ne définit pas de nouvelles normes en matière d’identité de genre
ou d’orientation sexuelle, pas plus qu’en matière de reconnaissance
légale des couples de même sexe ». Il importe de bien connaître
la Convention pour la présenter, la promouvoir et la défendre. Les
récentes attaques contre la Convention sont sans fondement et peuvent
être contrées par des faits. La Convention d'Istanbul est un instrument
juridique solide qui peut contribuer à protéger les victimes contre
de nouvelles violences et à rendre justice. Nous devons, selon moi,
insister sur ces faits chaque fois que nous sommes confrontés à
des attaques contre la Convention.
7. Le contexte plus large du recul des
droits des femmes
48. La campagne de désinformation
menée contre la Convention d’Istanbul ne se fait pas dans le vide. Depuis
qu’il a été utilisé pour la première fois par l’auteure américaine
Susan Faludi
,
le terme «recul », se référant aux droits des femmes, est de plus
en plus pertinent et il est employé de plus en plus fréquemment.
49. Une étude a été réalisée par des experts et publiée en juin
2018 pour le compte de la Commission « Droits de la femme et égalité
des genres » (FEMM) du Parlement européen. Elle décrit dans quels
domaines et par quelles méthodes se constate le recul de l’égalité
de genre et des droits des femmes en Autriche, en Hongrie, en Italie,
en Pologne, en Roumanie et en République slovaque
. Ils comprennent le cadre institutionnel
et politique de l'égalité de genre ; les domaines politiques tels
que l'éducation, la santé et les droits sexuels et génésiques, et
la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes ;
ainsi que l'environnement de travail et l'espace d'exploitation
des ONG de défense des droits des femmes. L'étude conclut que, dans
certains pays, le recul s'est essentiellement manifesté au niveau
de la rhétorique et du discours, tandis que dans d'autres pays,
il s’est traduit par des mesures concrètes. En général, il est lié,
dans une large mesure, à une intensification de la campagne contre
ce que l’on appelle l'idéologie du genre.
50. Les experts et les ONG ne sont pas les seuls à avoir identifié
un recul. En mai 2018, dans son rapport au Conseil des droits de
l’homme, le Groupe de travail des Nations Unies sur la question
de la discrimination à l’égard des femmes dans la législation et
la pratique conclut qu’un recul sans précédent a lieu dans toutes les
régions en raison d’une alliance d’idéologies politiques conservatrices
et de fondamentalismes religieux. Cette régression se fait souvent
au nom de la culture, de la religion et des traditions, et menace
les progrès accomplis grâce à une lutte pour parvenir à l’égalité
entre les femmes et les hommes
.
51. Je souhaiterais citer un passage de ce rapport qui mentionne
la Convention d’Istanbul: « Ces dernières années, le Groupe de travail
a observé comment le concept même de genre a été remis en question,
mal compris et mal appliqué, pour compromettre davantage encore
la lutte pour l’élimination de la discrimination envers les femmes
et pour l’égalité entre les sexes. À cet égard, l’hostilité témoignée
envers une prétendue idéologie du genre, particulièrement véhémente
en Amérique latine et en Europe de l’Est, illustre les difficultés croissantes
rencontrées dans la quête de l’égalité. Les lobbies conservateurs
militant contre l’idéologie du genre, présentée comme une menace
pour les «valeurs traditionnelles», considèrent à tort que les efforts consentis
pour faire avancer l’égalité entre les sexes imposent des idées
et des croyances qui cherchent à détruire des institutions telles
que la famille, le mariage et la liberté religieuse. Ce mouvement
s’est montré particulièrement actif dans son opposition aux politiques
voire aux débats, fondés sur des bases scientifiques, à propos de
l’éducation sexuelle à l’école, des droits sexuels et reproductifs
des femmes, de l’égalité en matière de mariage et des violences
fondées sur le genre. Le terme de «genre» a ainsi été contesté par
le mouvement contre la ratification de la Convention du Conseil
de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard
des femmes et la violence domestique (la Convention d’Istanbul),
aux motifs qu’elle impose une idéologie du genre. Ces groupes conservateurs
prétendent que le droit international se borne à interdire la discrimination
fondée sur le sexe, et nient que le terme «genre» soit employé dans
les normes et principes juridiques internationaux depuis les années 1970.
Le Groupe de travail rappelle que dans sa Recommandation générale
n° 28, le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination
à l’égard des femmes a interprété l’interdiction de la discrimination
sexuelle, telle qu’elle figure dans la Convention sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, comme
incluant la discrimination fondée sur le genre. Les conservateurs
se servent des attaques contre l’idéologie du genre pour s’opposer
à l’applicabilité universelle des normes relatives aux droits humains
fondée sur le principe de non-discrimination, et pour remettre en
question les progrès réalisés dans la reconnaissance des droits
humains de la femme et la mise en œuvre de l’égalité entre les femmes
et les hommes
. »
52. Devant la Commission de la condition de la femme (CSW) en
mars 2019 à New York, le Secrétaire général des Nations Unies, António
Guterres, a appelé à « contrer le recul » en matière d’égalité de
genre. Son appel a été soutenu par Mme Liliane
Maury Pasquier, Présidente de l'Assemblé parlementaire
. Dans ses conclusions, la Commission
condamne fermement toutes les formes de violences faites à toutes
les femmes et à toutes les filles, qui prennent racine dans des
inégalités d’ordre historique et structurel et le déséquilibre des
rapports de force entre les femmes et les hommes. Elle réaffirme
que la violence contre les femmes et les filles sous toutes ses
formes et dans toutes ses manifestations, dans les sphères publique
et privée, notamment la violence sexuelle et fondée sur le genre,
la violence familiale et les pratiques traditionnelles néfastes,
comme les mariages d’enfants et les mariages précoces ou forcés
ainsi que les mutilations génitales féminines, est très répandue,
bien qu’on en fasse peu de cas et qu’elle soit rarement dénoncée,
en particulier au niveau de la communauté. Elle insiste une nouvelle
fois sur le fait que la violence à l’égard des femmes et des filles
constitue un obstacle majeur à la réalisation de l’égalité entre
les genres et à l’autonomisation des femmes et des filles et qu’elle
porte atteinte à leurs libertés et droits fondamentaux, en même
temps qu’elle en entrave ou en anéantit la jouissance
.
53. Le 27 mars 2019, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe
a adopté la
Recommandation
CM/Rec(2019)1 sur la prévention et la lutte contre le sexisme, dans laquelle il recommande aux États membres de « prendre
des mesures pour prévenir et lutter contre le sexisme et ses manifestations
dans la sphère privée et publique, et d’encourager les parties concernées
à mettre en œuvre des législations, des politiques et des programmes
pertinents s’appuyant sur la définition et les lignes directrices
annexées à la présente Recommandation ».
54. Outre la Convention d'Istanbul et son mécanisme de suivi,
il existe d'autres instruments régionaux visant à prévenir et combattre
la violence contre les femmes et la violence domestique. Le GREVIO
est très attaché à la coopération et aux synergies avec d'autres
mécanismes régionaux et internationaux sur les droits des femmes
et à l'objectif central de cette coopération: assurer la mise en
œuvre de normes régionales et internationales aux niveaux national
et international et renforcer l'impact positif. La Plateforme des mécanismes
internationaux et régionaux indépendants de défense des droits des
femmes est une initiative lancée et dirigée par la Rapporteuse spéciale
des Nations Unies sur la violence contre les femmes. Les mécanismes
représentés dans la Plateforme sont les suivants: la Rapporteuse
spéciale des Nations Unies sur la violence à l’égard des femmes,
ses causes et ses conséquences ; le Groupe de travail des Nations
Unies sur la question de la discrimination à l'égard des femmes
dans la législation et la pratique ; le Comité des Nations Unies
pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) ;
la Rapporteure spéciale sur les droits des femmes de la Commission
interaméricaine des droits de l'homme ; la Rapporteure spéciale sur
les droits des femmes en Afrique ; le Comité d'experts du Mécanisme
de suivi de la Convention de Belém do Pará (MESECVI) et le Groupe
d'experts du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la violence
à l'égard des femmes et la violence domestique (GREVIO).
55. Le Conseil de l'Europe a accueilli une réunion de la plateforme
(23 mai 2019) et une conférence thématique « Les droits des femmes
à la croisée des chemins: renforcer la coopération internationale
pour une pleine application des cadres juridiques » (24 mai 2019)
afin d'examiner le renforcement de la coopération entre les Nations
Unies et les mécanismes régionaux dans la lutte contre la violence
à l'égard des femmes. Une telle coopération entre les mécanismes
internationaux et régionaux est cruciale pour lutter contre la violence
à l'égard des femmes et contrer le recul des droits des femmes.
8. Les parlementaires et la Convention
d’Istanbul
8.1. Le
Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre sans violence
56. L’Assemblée parlementaire a
fermement soutenu l’élaboration de la Convention d’Istanbul, activement participé
à sa rédaction, fait valoir son avis sur cet instrument
et usé de tout son poids politique
pour promouvoir sa signature et sa ratification, non seulement par
un soutien sans faille dans ses résolutions, mais aussi par la création
du Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre sans violence
, coordonné par la Rapporteure générale
sur la violence à l’égard des femmes.
57. Le Réseau est une plateforme parlementaire paneuropéenne unique
en son genre qui, depuis sa création en 2006, a permis aux législateurs
nationaux d'échanger leurs bonnes pratiques et de partager leurs expériences
dans le domaine de la prévention et de la lutte contre la violence
à l’égard des femmes. Les membres du réseau
posent
des questions aux ministres concernés, présentent des projets de
loi et des initiatives législatives et essaient d'accélérer la signature
et la ratification de la Convention. Au cours des dernières années,
les membres du réseau ont servi de catalyseur du soutien politique
à la Convention d'Istanbul dans plusieurs pays et ils s’efforcent
à présent d’assurer la mise en œuvre de ses dispositions et de déconstruire
les fausses idées à son sujet. Par ses réunions, événements et publications,
le Réseau a contribué à sensibiliser les parlementaires au phénomène
de la violence à l'égard des femmes, à son impact sur la société
en général et aux instruments juridiques et politiques permettant
de le combattre. Il a reçu des financements de l'Allemagne, de l'Arménie,
l'Autriche, de la Belgique, de Chypre, du Luxembourg, des Pays-Bas,
de la Pologne, du Portugal et de la Suisse pour poursuivre ses activités
depuis 2017. J'espère qu'il recevra des ressources suffisantes pour
poursuivre ses activités au-delà de 2020.
8.2. Participation
des parlements nationaux aux procédures de suivi
58. La Convention d’Istanbul reconnaît
aussi le rôle particulier joué par les parlementaires et l’Assemblée parlementaire
en leur consacrant une disposition spécifique. Son article 70 est
libellé comme suit:
«Participation
des parlements au suivi
- Les parlements nationaux sont invités à participer
au suivi des mesures prises pour la mise en œuvre de la présente
Convention.
- Les Parties soumettent les
rapports du GREVIO à leurs parlements nationaux.
- L'Assemblée parlementaire du
Conseil de l'Europe est invitée à faire le bilan, de manière régulière,
de la mise en œuvre de la présente Convention.»
59. En plus de promouvoir la ratification de la Convention d'Istanbul,
les parlementaires peuvent demander aux gouvernements d’intensifier
les efforts de mise en œuvre de la Convention d’Istanbul, de sensibiliser davantage
la population à la Convention, de promulguer de nouvelles lois et
de contribuer à son suivi. J’examine ci-après dans quelle mesure
l’implication des parlements nationaux dans la procédure de suivi
a été significative, sur la base de l’expérience des États pour
lesquels les rapports de référence sont déjà disponibles et des
informations communiquées directement par les parlements. Je juge
donc encourageant l'engagement des parlements nationaux en ce qui
concerne le suivi de la mise en œuvre de la Convention.
60. J’ai été informée de l’adoption par le Parlement albanais
d’une résolution « sur la dénonciation de la violence à l’égard
des femmes et le renforcement de l'efficacité de ses mécanismes
légaux de prévention » le 4 décembre 2017. Par cette résolution,
il a exprimé son engagement à suivre la mise en œuvre de la Convention
d'Istanbul par les autorités albanaises. La sous-commission sur
l'égalité de genre et la prévention de la violence à l'égard des
femmes a adopté un plan d'action détaillé pour la mise en œuvre
des obligations que le pays doit respecter après la ratification
de la Convention d'Istanbul et la réception des recommandations du
Comité des Parties. La sous-commission organise des auditions afin
d’évaluer les progrès.
61. Le Parlement danois a indiqué qu'entre 2016 et 2019, 200 questions
sur la violence à l'égard des femmes ont été posées par des parlementaires
aux ministres (oralement ou par écrit). Onze de ces 200 questions
concernaient directement la Convention d'Istanbul.
62. Le Parlement finlandais a indiqué que la délégation finlandaise
auprès de l'Assemblée parlementaire avait été très active et avait
encouragé une ratification rapide de la Convention. Le 31 mars 2016,
la délégation finlandaise a organisé un séminaire sur la mise en
œuvre de la Convention d'Istanbul à Helsinki. En outre, le parlement
a eu l'occasion de formuler des observations sur le questionnaire
envoyé par le GREVIO pour préparer l'évaluation de référence et
de rencontrer le GREVIO. J’ai constaté avec intérêt que le Parlement finlandais
avait eu l’occasion d’exprimer son opinion sur la mise en œuvre
de la Convention d'Istanbul. Il a été demandé en particulier à la
Commission du droit constitutionnel, à la délégation finlandaise
à l'Assemblée et au Groupe des droits de l'homme au parlement de
formuler un avis.
63. Une Commission sur le féminicide et la violence sexiste a
été mise en place au Sénat italien en 2017 pour assurer le suivi
de la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul
.
64. Au Parlement portugais, un groupe de réflexion sur les amendements
législatifs, le harcèlement et la violence domestique en tant que
crimes a été créé. Ce groupe de réflexion travaille actuellement
sur 18 projets de loi faisant suite au premier rapport d'évaluation
du GREVIO et des recommandations du Comité des Parties. Des projets
de résolution sur la couverture médiatique des cas de violence domestique,
la détection de la violence et la formation des professionnels de
la santé sont à l'étude.
65. En Turquie, une sous-commission sur la mise en œuvre effective
et le suivi de la Convention d'Istanbul a été créée le 14 novembre
2018. Elle vise à effectuer des évaluations et formuler des recommandations,
et à discuter des rapports du GREVIO.
66. Malgré l’absence de lien direct avec le suivi de la mise en
œuvre de la Convention d'Istanbul, j'ai également appris avec intérêt
qu'un membre de l'Assemblée nationale de Serbie a participé à la
délégation nationale qui a présenté le quatrième rapport périodique
sur la mise en œuvre de la CEDAW en février 2019.
8.3. Pas
Dans Mon Parlement
67. Comme l’a affirmé Liliane Maury
Pasquier, Présidente de l'Assemblée parlementaire, « On pourrait s'attendre
à ce que les parlements soient un lieu sûr pour les femmes, mais
ce n’est pas le cas. Le sexisme, le harcèlement et la violence à
l'égard des femmes sont répandus dans tous les secteurs de la vie
et les parlements sont malheureusement un microcosme de la société ».
L’an dernier, l’Union interparlementaire et l’Assemblée ont réalisé
une étude sur le sexisme, le harcèlement et la violence à l’égard
des femmes dans les parlements d’Europe
. Des entretiens ont été menés avec
123 femmes dont 81 femmes parlementaires et 42 femmes membres du
personnel parlementaire. Il s’agissait de membres de l’Assemblée
et/ou de l’Union interparlementaire. Plus de 85 % des femmes parlementaires
qui ont participé à l’étude ont indiqué avoir fait face à des violences
psychologiques au cours de leur mandat. Plus de 46 % ont reçu des
menaces de mort ou de viol. Plus de 24 % ont été victimes de violences
sexuelles.
68. Dans le cadre du suivi à donner à cette étude, la Présidente
de l'Assemblée a lancé une campagne de sensibilisation intitulée
« #PasDansMonParlement », qui appelle les parlements à prendre des
mesures afin de prévenir la violence fondée sur le genre. Je soutiens
cette initiative et me félicite de la visibilité donnée par la Présidente
à cette question. Le 9 avril 2019, l’Assemblée a également adopté
la
Résolution 2274
(2019) et la
Recommandation 2152
(2019) «Pour des parlements sans sexisme ni harcèlement sexuel»,
qui énoncent les mesures concrètes à prendre.
9. Conclusions
69. Cinq ans après l'entrée en
vigueur de la Convention d'Istanbul, je pense que l’heure est venue
pour l'Assemblée d'examiner les résultats globaux et les difficultés
rencontrées dans le cadre de sa mise en œuvre et ses ratifications.
L'entrée en vigueur de la Convention d'Istanbul dans 34 États membres
du Conseil de l'Europe est une réalisation majeure, qui a eu un
impact positif en rendant la législation plus protectrice pour les
victimes. Les débats sur la Convention ont également contribué à
sensibiliser davantage la société à l'urgence de prévenir et de
combattre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique
et à contribuer à l’évolution des mentalités pour que ce fléau ne
soit plus considéré comme relevant de la vie privée.
70. Les attaques contre la Convention d’Istanbul semblent néanmoins
retarder certaines ratifications. Selon moi, la Convention d'Istanbul
est attaquée en raison de ce qui constitue sa force majeure: elle
appelle, de manière indirecte, à mettre fin à une mentalité patriarcale
qui relègue les femmes au rang de subalternes dans tous les aspects
de la vie. L’Assemblée devrait prendre en compte le fait que l’opposition
actuelle à la Convention d’Istanbul se manifeste dans un contexte
de recul généralisé des droits des femmes. L’Assemblée devrait poursuivre
ses efforts pour promouvoir l'égalité de genre et l'intégration
de la dimension de genre, car des éléments concluants montrent que
la neutralité par rapport au genre est un problème clé qui entrave
les progrès accomplis dans le domaine des droits des femmes et de
la protection contre la violence fondée sur le genre. L’Assemblée
pourrait intensifier sa coopération avec le GREVIO et la Commission
sur l’égalité de genre du Conseil de l’Europe (GEC).
71. Concernant les acteurs institutionnels, il conviendrait qu’elle
renforce ses partenariats avec l’Union interparlementaire, le Parlement
européen et d’autres assemblées internationales, de même qu’avec
les institutions et organes des Nations Unies concernés. L'Assemblée
devrait renforcer le dialogue et la coopération avec les ONG, les
représentant·e·s de la société civile et le monde universitaire.
Elle devrait également trouver des moyens de faire en sorte que
les ONG qui travaillent pour les droits des femmes soient consultées
et informées par les autorités de toute politique ou mesure juridique
susceptible d'avoir un impact sur les droits des femmes.
72. L’Assemblée devrait aussi donner un nouveau souffle à la mobilisation
des parlementaires en faveur de la Convention d’Istanbul à travers
des activités de coopération interparlementaire. Il faudrait également
faire davantage connaître la Convention aux membres des parlements,
afin de leur donner les moyens de jouer un rôle plus décisif dans
le cadre de la procédure de suivi, et pour les aider à demander
à leurs gouvernements de rendre compte de la mise en œuvre effective
de la Convention et des recommandations émanant du GREVIO et du
Comité des Parties. J'attends avec intérêt la publication par le
Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre sans violence
du manuel révisé sur la Convention d'Istanbul adressé aux parlementaires,
qui comprendra des exemples de bonnes pratiques pour la participation
parlementaire.
73. Les membres des parlements nationaux et surtout ceux qui sont
membres du Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre
sans violence ou de la commission de l'égalité et de la non-discrimination devraient
être plus présent·e·s, actifs et visibles dans les médias pour promouvoir
la Convention d'Istanbul et expliquer au grand public son objectif
réel, ses réalisations et sa valeur ajoutée. À l’instar de l'Alliance parlementaire
contre la haine, je suggère que les membres du Réseau soient tenus
de signer une charte d'engagements par laquelle ils s'engagent à
soutenir et à promouvoir activement la ratification et la mise en œuvre
de la Convention, et à combattre les fausses idées à son sujet.
74. Nous devons rester optimistes et positifs pour continuer à
promouvoir la Convention d'Istanbul, ses réalisations et sa valeur
ajoutée. Nous ne devons pas accepter les attaques contre la Convention,
qui trouvent principalement leur origine dans un désaccord fondamental
sur ce que signifie la Convention: une vision de la société dans
laquelle les femmes et les hommes sont égaux. La Convention d'Istanbul
a été souvent décrite comme le « gold standard » (la référence absolue)
que j’ai l’honneur de promouvoir. J’espère sincèrement que ce rapport
contribuera à démystifier les malentendus et à créer un nouvel élan
politique en faveur de la Convention d'Istanbul, qui est aujourd’hui
l'instrument international juridiquement contraignant le plus complet en
matière de prévention et de lutte contre la violence à l'égard des
femmes.