«Une bonne fois pour toutes:
les droits humains sont des droits des femmes, et les droits des
femmes sont des droits humains.»
(Hillary Clinton, Beijing,1995)
1. Jalons posés par le Conseil de l’Europe
dans le domaine de l’égalité de genre
1. Sans égalité de genre, on ne
peut considérer que la démocratie est atteinte, ni que les droits
de l’homme sont garantis. Je suis convaincue qu’il ne peut y avoir
de démocratie que s’il existe des politiques, des mesures et des
pratiques visant non seulement à réduire les inégalités entre les
hommes et les femmes dans tous les domaines de la vie, mais aussi
à relier la démocratie à la dimension du genre. Les politiques et
les pratiques destinées à renforcer la participation des femmes,
leur représentation et leur présence à des postes de direction dans
le milieu politique sont également indispensables à cette fin. C’est
pourquoi la question de l’égalité de genre est au cœur de la mission
du Conseil de l’Europe, et la promotion des droits des femmes est –
et doit rester – un domaine d’action prioritaire pour l’Organisation.
2. La Charte sociale européenne (STE no 35)
de 1961 garantit l’exercice de droits en matière de logement, de
santé, d’éducation, d’emploi, de protection juridique et sociale
et de libre circulation des personnes; elle complète les droits
fondamentaux énoncés dans la Convention européenne des droits de
l'homme (STE no 5, «la Convention») par
des droits sociaux qui doivent également être mis en œuvre sans
discrimination fondée sur le sexe ou d’autres motifs. Lorsque la
Charte a été révisée en 1996, les normes relatives à l’égalité entre les
femmes et les hommes ont été considérablement renforcées, avec des
dispositions concernant l’éducation, la vie professionnelle et familiale,
l'égalité de chances en matière d'emploi et l’égalité salariale.
3. Depuis sa fondation, il y a soixante-dix ans, le Conseil de
l’Europe promeut une plus grande égalité entre les femmes et les
hommes. La Convention européenne des droits de l'homme est au cœur
de l’engagement de l’Organisation à protéger les droits de l'homme
en Europe. Son article 14 dispose que la jouissance des droits et
libertés reconnus dans la Convention doit être assurée sans distinction
aucune, fondée notamment sur le sexe.
4. Le principe de non-discrimination inscrit dans la Convention
a été réitéré et son champ d’application a été nettement élargi
en 2000 par le Protocole additionnel no 12
à la Convention (STE no 177), qui s’applique à
tous les droits prévus par la loi. Là encore, le sexe fait partie
des motifs de discrimination interdits.
5. L’acquis du Conseil de l’Europe comprend deux conventions
novatrices qui se rapportent aux droits des femmes, à savoir la
Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite
des êtres humains (STCE no 197) et la
Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte
contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
(STCE no 210,
«Convention d’Istanbul»). Bien que les questions abordées par ces
instruments ne concernent pas exclusivement les femmes, elles présentent
une dimension de genre qui est assurément pertinente (dans le cas
de la Convention d’Istanbul, elle est fondamentale). Ces conventions
jouent un rôle considérable dans les États membres du Conseil de
l’Europe grâce à l’harmonisation des législations nationales pertinentes
et aux travaux des organes de suivi (le Groupe d'experts sur la
lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) et le Groupe d’experts
sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique (GREVIO), respectivement). Leur portée dépasse les frontières
de l’Europe, à la fois parce qu’il est possible pour n’importe quel
État d’en devenir partie (il s’agit de «conventions ouvertes») et
parce que leurs normes peuvent inspirer les politiques et la législation
même dans des pays tiers.
6. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
a également contribué à définir les droits des femmes dans les États
membres. Les arrêts pertinents portent en particulier sur l’article
14 de la Convention européenne des droits de l’homme (au motif d’une
discrimination fondée sur le sexe), mais aussi sur d’autres dispositions
de ce texte, dont l’article 8 (droit au respect de la vie privée
et familiale), l’article 10 (liberté d’expression) et l’article
6 (droit à un procès équitable).
7. Conformément aux textes fondateurs du Conseil de l'Europe,
les deux organes statutaires (le Comité des Ministres et l’Assemblée
parlementaire) et tous les autres organes et services de l’Organisation investissent
sans relâche leurs efforts dans le domaine de l’égalité de genre
dans le cadre de leurs mandats respectifs.
8. Cet engagement occupe une place de plus en plus importante
dans l’action du Conseil de l'Europe et s'accompagne d’une sensibilisation
croissante, dans les sociétés européennes et auprès de leurs dirigeants, à
la nécessité d’intégrer une dimension de genre dans la protection
des droits fondamentaux. Cette approche imprègne désormais les travaux
du Conseil de l'Europe dans les trois principaux piliers de sa mission,
à savoir promouvoir les droits de l’homme, la démocratie et l’État
de droit. Aucun de ces objectifs ne pourra être considéré comme
atteint tant que subsisteront des inégalités fondées sur le genre.
9. Les instruments utilisés pour réaliser des progrès dans ce
domaine sont les campagnes d’information et de sensibilisation,
les textes non contraignants (notamment les recommandations du Comité
des Ministres et de l’Assemblée parlementaire) et les instruments
internationaux contraignants. Engagés dans les années 1980, ces
efforts se sont sensiblement renforcés ces dernières décennies.
10. En 1985, la Recommandation R (85) 2 du Comité des Ministres
relative à la protection juridique contre la discrimination fondée
sur le sexe a exhorté pour la première fois les États membres à
adopter ou à renforcer les mesures utiles à la promotion de l’égalité
de genre, notamment au moyen de la législation en matière d’emploi,
de sécurité sociale et de retraite, de fiscalité, de droit civil,
d’acquisition et de perte de la nationalité et de droits politiques.
En outre, son annexe indiquait qu’il faudrait envisager «l’adoption
de mesures spéciales temporaires destinées à accélérer la réalisation
de l’égalité de fait entre les hommes et les femmes», ce qui a ouvert
la voie à des mesures dites de «discrimination positive» dans des
domaines comme la représentation politique. Le document de 1985
n’était pas la première recommandation du Comité des Ministres concernant les
femmes (il s’agissait de la Recommandation no R
(79) 10 concernant les femmes migrantes), mais il était le premier
texte global, couvrant un large éventail de formes de discrimination
fondée sur le genre dans tous les États membres du Conseil de l'Europe.
11. Par la suite, les recommandations du Comité des Ministres
ont abordé quasiment tous les aspects spécifiques de l’égalité de
genre: élimination du sexisme dans le langage (Recommandation no R
(90) 4); conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale
(Recommandation no R (96) 51); violence
à l’égard des femmes (Recommandation CM/Rec(2002)5); participation
équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision politique
et publique (Recommandation CM/Rec(2003)3); rôle des femmes et des
hommes dans la prévention et la résolution des conflits et la consolidation
de la paix (Recommandation CM/Rec(2010)10).
12. Dans cette liste non exhaustive, je tiens à mettre particulièrement
en avant la Recommandation no R (98)
14 relative à l'approche intégrée de l'égalité entre les femmes
et les hommes, qui s’appuyait sur un rapport sur ce sujet établi
par le Comité directeur pour l'égalité entre les femmes et les hommes
(CDEG)
. Ce rapport définissait le
cadre conceptuel pour une approche intégrée de l'égalité ainsi qu'une
méthodologie pour sa mise en œuvre, accompagnée d'exemples de bonnes
pratiques. Les normes énoncées, comme la représentation minimale
de 40 % de chaque sexe dans les organes de décision, ont ensuite
été adoptées par de nombreux pays et d’autres organisations internationales.
L’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes,
qui met l’accent sur l’éducation, a également fait l’objet de la
Recommandation CM/Rec(2007)13. Les recommandations du Comité des
Ministres représentent une série de normes et d’analyses qui ont
apporté une contribution inestimable à la promotion de l’égalité
de genre en Europe et ailleurs dans le monde. L’approche intégrée
de l’égalité entre les femmes et les hommes est cruciale à cet égard
et doit encore être consolidée. La recommandation de 1998 du Comité
des Ministres a posé la première pierre d’un processus continu qui
exige toujours notre mobilisation et notre soutien politique.
13. Parallèlement, un processus de prise de conscience et d'engagement
en faveur de la promotion de l'égalité de genre a eu lieu au sein
de l'Assemblée parlementaire. L’Assemblée a travaillé sur la discrimination fondée
sur le sexe sous toutes ses formes et proposé diverses mesures pour
la combattre, notamment une action positive pour parvenir à une
représentation politique équilibrée, des mesures visant à concilier
vie professionnelle et vie de famille et des politiques destinées
à développer la participation des femmes à l’économie, sans parler
de l’initiative qui a abouti à la rédaction de la Convention du
Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention
d’Istanbul»). L’Assemblée a également intégré une dimension de genre
dans ses propres règles relatives à sa composition et à son fonctionnement,
afin d’améliorer la parité femmes/hommes. Elle a confirmé son engagement
à promouvoir l’égalité de genre en créant une commission sur l'égalité
des chances pour les femmes et les hommes (devenue en 2011 la commission
sur l’égalité et la non-discrimination, dotée d’un mandat élargi),
ainsi que des structures sui generis comme le Réseau parlementaire
pour le droit des femmes de vivre sans violence, qui s’est engagé
à mener une action de sensibilisation sur la question de la violence fondée
sur le genre. Ce Réseau a été pour beaucoup dans l’entrée en vigueur
de la Convention d'Istanbul, car ses membres ont joué un grand rôle
en encourageant sa ratification par leurs parlements nationaux respectifs.
14. De plus, depuis 2012, des statistiques sur la répartition
des fonctions à l’Assemblée selon le genre sont établies chaque
année et incluses dans le rapport d’activité du Bureau de l’Assemblée
et de la Commission permanente présenté au cours de la partie de
session de janvier. Elles donnent un aperçu des progrès réalisés sur
la voie de l’égalité de genre dans le fonctionnement de l’Assemblée.
15. En 2017, la présidente de la commission sur l’égalité et la
non-discrimination, Mme Elena Centemero (Italie,
PPE/DC), et le Secrétaire Général de l'Assemblée ont préparé un
mémorandum pour dresser le bilan des mesures visant à améliorer
l'égalité de genre et la prise en compte de la dimension de genre
dans les travaux de l'Assemblée
.
Ce mémorandum décrivait les mesures mises en œuvre par l’Assemblée
dans ce domaine et évaluait leur impact.
16. Par la suite, la commission sur l’égalité et la non-discrimination
a approuvé les propositions contenues dans une note que j’ai préparée
sur la manière de renforcer l'intégration de la perspective de genre
dans le travail de l'Assemblée. Ces propositions ne requièrent pas
de modification du Règlement; elles sont relativement faciles à
mettre en œuvre et n’ont pas d'incidence budgétaire. En outre, au
début de l’année 2019, la commission a décidé de rétablir sa sous-commission
sur l’égalité de genre.
17. En 2014, le Conseil de l’Europe a adopté sa première Stratégie
pour l’égalité entre les femmes et les hommes, qui couvrait la période
allant jusqu’à 2017
et
dont le but était de défendre la dignité humaine et de lutter contre
les inégalités entre les femmes et les hommes en encourageant la
pleine participation des femmes à la société et l’accès à des systèmes
de justice équitables pour toutes et tous. En 2018, une deuxième Stratégie
pour l’égalité entre les femmes et les hommes a été adoptée pour
la période 2018-2023. Ses six objectifs stratégiques ambitieux englobent
les principaux aspects de l’égalité de genre: prévenir et combattre les
stéréotypes de genre et le sexisme; prévenir et combattre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique; garantir aux femmes
l’égalité d’accès à la justice; assurer une participation équilibrée
des femmes et des hommes à la prise de décision politique et publique;
protéger les droits des femmes et des filles migrantes, réfugiées
et demandeuses d’asile, et enfin, intégrer les questions d’égalité
entre les femmes et les hommes dans toutes les politiques et mesures.
18. D’autres activités du Conseil de l'Europe liées à l’égalité
entre les femmes et les hommes ont un objet spécifique ou visent
un groupe particulier. Ainsi, les lignes directrices sur l’égalité
entre les femmes et les hommes adoptées par le Service de la jeunesse
s’appliquent spécifiquement aux activités internationales de jeunesse.
Ce service a examiné attentivement la dimension de genre du discours
de haine en ligne (sujet traité dans le cadre du Mouvement contre
le discours de haine, une campagne de promotions des droits de l’homme axée
sur le discours de haine et l’intolérance qui s’adresse essentiellement
aux jeunes internautes) et a identifié le sexisme comme l’une des
principales motivations de la cyberdiscrimination et du cyberharcèlement.
2. Recul actuel des droits des femmes:
la nécessité d’un nouvel élan
19. À l’approche du 70e anniversaire
du Conseil de l'Europe, nous pouvons à juste titre célébrer la contribution
de l’Organisation à la protection et à la promotion des droits humains,
notamment ceux des femmes et la non-discrimination à raison du sexe.
Cependant, les progrès accomplis dans ce domaine ne sont jamais
définitivement acquis. Bien au contraire, ils sont facilement menacés
par les évolutions sociales et politiques. C’est actuellement le
cas en Europe et dans le reste du monde, où une situation préoccupante
est en train d’apparaître. Le Rapport du Groupe de travail chargé
de la question de la discrimination à l’égard des femmes dans la
législation et dans la pratique
,
publié en 2018, évoque des «impasses, retours en arrière et revirements»
qui viennent s’ajouter à une discrimination persistante, ce qui
donne à penser qu’«il importe aujourd’hui de protéger les acquis
du passé et de promouvoir d’urgence l’égalité réelle des femmes».
20. Toujours en 2018, un rapport établi à la demande de la Commission
FEMM du Parlement européen a été publié sous le titre éloquent «Recul
de l’égalité entre les femmes et les hommes et des droits des femmes et
des filles»
.
Il porte sur six États membres de l’Union européenne (Autriche,
Hongrie, Italie, Pologne, Roumanie et République slovaque) et analyse
l’évolution de la situation au cours des dernières années, concluant
que ce «recul a abaissé le niveau de protection des femmes et des
filles ainsi que l’accès à leurs droits».
21. Face à ce recul, l’Assemblée parlementaire devrait donner
un nouvel élan à la promotion de l’égalité de genre, accomplissant
ainsi l’une de ses principales missions, qui consiste à fixer de
nouveaux objectifs ambitieux pour l’Organisation et ses États membres.
Il est nécessaire, et même urgent, de redoubler d’efforts dans ce
domaine: si les droits des femmes sont aujourd’hui menacés, comme
on l’observe dans un certain nombre d’États membres, il n’est pas
suffisant de conserver une attitude défensive. En effet, il convient
à la fois de lutter contre les atteintes à l’égalité entre les femmes
et les hommes et d’œuvrer pour de nouvelles avancées.
22. La solidarité, qui est souvent évoquée dans le débat sur les
inégalités sociales, est, selon moi, tout aussi pertinente pour
lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes. Je
tiens à souligner ici le lien entre la crise de la démocratie européenne
et le manque de solidarité. Comme l’a fait remarquer un observateur,
en cette période troublée, nous avons plus que jamais besoin de
solidarité et d’un nouveau mode de coopération. La désolidarisation
des sociétés contribue en effet à la désolidarisation dans les politiques
démocratiques. Au-delà d’un simple mécanisme de redistribution,
la solidarité est un concept social, culturel et politique. En effet, elle
renvoie aux relations sociales que les individus et les groupes
sociaux ont développées par leurs interactions. Elle intègre également
une composante culturelle dans la mesure où elle constitue une norme fondamentale
et un principe directeur dans les sociétés contemporaines. Enfin,
elle comporte une dimension politique, parce que faire preuve de
solidarité, c’est remettre en question les relations de pouvoir
et se demander comment aider les groupes vulnérables et les minorités
(ou les protéger contre des modes de domination)
. Les hommes devraient combattre activement
les inégalités entre les sexes; en fait, ils sont de plus en plus
nombreux à se joindre aux femmes dans cette entreprise. C’est là
un exemple de solidarité.
23. Mon objectif, en tant que rapporteure, est de formuler et
de soumettre à l’Assemblée une série de recommandations ambitieuses
qui se présentent sous la forme d’objectifs concrets et quantitatifs.
Cela devrait faciliter l’évaluation objective des progrès réalisés
et aider à mieux comprendre dans quelle mesure le résultat escompté
a été obtenu.
24. Aujourd’hui, l’action en matière d’égalité de genre devrait
largement s’appuyer sur les Objectifs de développement durable,
introduits par les Nations Unies en 2016 en vue de «transformer
le monde» dans les 15 prochaines années
. Ces 17 objectifs constituent le
Programme de développement durable à l’horizon 2030, qui se veut
«un plan d’action pour l’humanité, la planète et la prospérité»
et qui «vise aussi à renforcer la paix partout dans le monde dans
le cadre d’une liberté plus grande». L’Objectif no 5
(«Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes
et les filles») dresse un plan extrêmement ambitieux, qui tient dûment
compte de la situation des femmes. Le Programme fixe neuf cibles
relatives à l’Objectif no 5, qui consistent
notamment à mettre fin, dans le monde entier, à toutes les formes
de discrimination à l’égard des femmes et des filles; à éliminer
toutes les formes de violence faite aux femmes et aux filles et
à éliminer toutes les pratiques préjudiciables, telles que le mariage
des enfants, le mariage précoce ou forcé et la mutilation génitale
féminine. Il prévoit en outre de garantir la participation effective
des femmes à tous les niveaux de décision dans la vie politique,
économique et publique ainsi que d’assurer l’accès universel aux
soins de santé sexuelle et reproductive et de faire en sorte que
chacun puisse exercer ses droits en matière de procréation.
25. Le Programme de développement durable a une portée mondiale
et les objectifs qu’il définit s’appliquent différemment à différentes
régions géographiques. L’Europe est l’une des régions les plus avancées
en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, mais il y a
encore beaucoup à faire. En outre, l’expérience européenne n’est
pas nécessairement toujours la seule référence. Dans certains domaines,
comme la représentation politique des femmes, des normes élevées
et des initiatives intéressantes ont été adoptées dans des contextes
non européens, ce qui pourrait être une source d’inspiration. La
prise de conscience et le soutien croissants des dirigeants et de
l’opinion publique en Europe permettent de s’appuyer sur les acquis antérieurs.
27. La Finlande a été le premier pays d’Europe à généraliser le
droit de vote et à conférer à tous les citoyens adultes le droit
de se présenter aux élections, indépendamment de leur niveau de
richesse, de leur statut ou de leur appartenance ethnique. Ainsi,
le 15 mars 1907, son parlement national est devenu le premier parlement d’Europe
à compter des femmes parmi ses membres: sur 200 députés, 19 étaient
des femmes.
28. Le combat pour la participation des femmes à la vie politique
a toujours été difficile, et, aujourd’hui encore, il est loin d’être
gagné. Pour illustrer l'ampleur de la tâche, citons les propos tenus
par le neurologue Paul Möbius dans «De la débilité mentale physiologique
chez la femme», essai ayant rencontré un grand succès dans les années
précédant la première guerre mondiale: «Une activité cérébrale excessive
non seulement perturbe la femme, mais la rend malade.» (traduction
libre)
29. L’année 2019 marque le 230e anniversaire
de la Révolution française, qui a donné naissance non seulement
à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen mais aussi
à une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
.
Or, nous nous efforçons toujours, à l’heure actuelle, de trouver
des réponses concrètes à un certain nombre de questions concernant
la participation des femmes à la vie politique, et en particulier
à celle de savoir comment garantir aux femmes l’exercice de leurs
droits politiques et leur participation aux affaires gouvernementales
sur un pied d’égalité avec les hommes. En réalité, il s’agit essentiellement
de déterminer s’il est possible de mettre un terme à près de 6 000
ans d’injustice, et, si oui, comment.
30. La notion de dignité est fondamentale dans notre conception
de la politique. La participation au processus politique, le fait
d’avoir son mot à dire, d’être écouté et d’avoir une influence en
sont des éléments essentiels. Lorsque des personnes se retrouvent
sans le droit de vote, qu’elles sont marginalisées et, partant, deviennent
«invisibles» dans la société, comme les femmes l’ont été pendant
longtemps, elles sont privées de dignité humaine.
2.1. Mesures
positives et quotas
31. La représentation politique
constitue l’une des priorités essentielles de la feuille de route
de l’égalité de genre, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement,
elle renforce le pouvoir des femmes et leur donne la possibilité
de prendre part au processus décisionnel, y compris à l’échelon
législatif et exécutif. Deuxièmement, elle peut également conduire
(idéalement, si ce n’est nécessairement) à l’adoption d’une législation
et d’une politique de promotion de l’égalité de genre. Troisièmement,
elle est une priorité, car les inégalités dans ce domaine sont particulièrement
frappantes: en novembre 2018, d’après les chiffres publiés par ONU
Femmes, les femmes représentent seulement 27,7 % des parlementaires
en Europe et seuls trois États membres du Conseil de l’Europe, à
savoir l’Islande, la Finlande et la Suède, figurent sur la liste
des pays qui présentent la plus forte proportion de femmes parlementaires.
.
32. Il existe un autre argument en faveur de cette représentation
politique, qui est avancé sous la forme d’un «business case des
femmes dans la vie publique» dans le rapport «Women, Government
and Policy Making in OECD Countries», publié en 2014. Les experts
de l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE) y expliquent que la représentation institutionnelle équilibrée
des femmes et des hommes est avantageuse pour l’économie: «La représentation
des deux sexes dans les institutions publiques (parlements, instances
exécutives et judiciaires) est indispensable, puisque ces institutions
prennent les décisions et élaborent les lois qui régissent les droits,
les comportements et les choix de vie des citoyens, ont une sur
influence sur la répartition des biens et des services dans la société
et déterminent l’accès aux ressources publiques et privées.»
33. Les mesures adoptées en Europe et au-delà en vue d’accroître
la représentation politique des femmes ont souvent été quantitatives
et mesurables. Je songe aux mesures de discrimination positive,
en particulier aux quotas par sexe des listes de candidats aux élections,
qui prennent la forme d’une proportion ou d’un pourcentage. L’Assemblée
a traité de ce sujet à plusieurs reprises, en défendant l’idée que
l’action positive, et plus précisément les quotas par sexe, sont
utiles et devraient être appliqués, fût-ce temporairement, afin
de faire progresser rapidement la représentation politique. La
Résolution 1825 (2011), intitulée «Davantage de femmes dans les instances de
décision économiques et sociales» précise que «[l]’Assemblée est
d’avis que les quotas constituent une exception transitoire mais
nécessaire pour permettre une discrimination positive, en vue de
favoriser un changement de mentalité et de réaliser l’égalité de
droit et de fait entre les femmes et les hommes».
34. Le dernier texte adopté par l’Assemblée dans ce domaine est
la
Résolution 2111 (2016) sur l’évaluation de l’impact des mesures destinées à
améliorer la représentation politique des femmes. Dans ce texte, l’Assemblée
recommande la prise de mesures positives, en particulier de quotas
électoraux, et donne un certain nombre d’indications sur la manière
dont ils devraient être conçus. Ces quotas devraient poursuivre
un objectif ambitieux: d’après l’analyse de la rapporteure, ils
se révèlent efficaces uniquement lorsqu’ils imposent l’attribution
d’une part substantielle des sièges au sexe sous-représenté. Il
importe de prévoir des sanctions en cas de non-respect de ces quotas.
L’existence de simples sanctions financières a rarement produit
l’effet escompté. Au nombre des sanctions efficaces figure, en particulier,
le rejet des listes par les commissions électorales, qui place les
partis dans l’impossibilité de prendre part aux élections si leurs
listes ne respectent pas les quotas.
35. La mise en œuvre des quotas devrait être surveillée par des
organes indépendants, comme les juridictions à compétence électorale
ou les commissions électorales, qui devraient également être chargées de
l’application des sanctions. Bien que les mesures positives visent
à obtenir des résultats substantiels en peu de temps, il convient
de prendre des mesures d’accompagnement pour veiller à ce que les
avancées obtenues ne soient pas rapidement perdues lorsque les quotas
ou les autres mesures positives prennent fin. Ces mesures d’accompagnement
consistent à concilier l’activité politique et la vie privée, à
sensibiliser et à former les femmes aux responsabilités politiques,
ainsi qu’à permettre l’accès aux médias. Elles visent à garantir
qu’une meilleure égalité de genre devienne un élément structurel
de la représentation politique, et non un simple effet à court terme
des mesures positives.
36. Les mesures positives se sont révélées efficaces et il vaut
encore la peine de les recommander, surtout lorsque la représentation
des femmes est particulièrement faible. S’ils sont conçus et mis
en œuvre correctement, les quotas par sexe (surtout s’ils sont obligatoires
et prévus par la loi, contrairement aux quotas mis en place volontairement
par les partis politiques) permettent de modifier radicalement et
rapidement la situation. Celle-ci peut alors donner naissance à
un cercle vertueux de changement culturel chez les électeurs, à
une augmentation du nombre de femmes responsables politiques expérimentées
et à l’adoption d’une nouvelle législation en matière d’égalité
de genre. Certains esprits critiques estiment que les mesures positives sont
contraires à la méritocratie. Or, on constate que les quotas ont
un effet positif sur les compétences des responsables politiques,
pour les femmes mais également pour les hommes. Une étude du modèle
suédois publiée en 2017 montre que les quotas ont eu un impact positif
sur le niveau de compétence des candidats, puisque la place réservée
aux femmes sur les listes de candidats aux élections a généralement
été faite en écartant de ces listes les «hommes médiocres»
.
2.2. L’objectif
ultime: la parité hommes-femmes dans la représentation politique
37. Si les quotas bien conçus et
bien appliqués peuvent accroître le niveau de représentation politique
des femmes, et parfois entraîner des changements en profondeur,
ils ne peuvent plus être considérés comme un remède suffisant. Les
paysages culturel et politique ont évolué, ce qui a permis et en
même temps rendu indispensable le passage à une perspective plus
ambitieuse dans ce domaine. D’une part, la sensibilisation à la
nécessité d’améliorer l’égalité de genre s’est considérablement
accrue. Elle a fait l’objet de nombreuses conventions internationales,
ainsi que de nombreuses lois et politiques nationales; dans certains
pays, comme au Canada et en Islande, qui ont suivi l’exemple de
la Suède, elle représente également un élément important des relations
diplomatiques et de la coopération internationale. D’autre part,
le recul des droits des femmes, que nous avons déjà évoqué, impose
de redoubler d’efforts pour promouvoir l’égalité de genre et lutter
contre les formes de discrimination qui subsistent. Les attaques
dont les politiques d’égalité de genre font l’objet, même si elles
sont souvent bien orchestrées, ne l’emporteront pas. Mais il faut
y réagir par une action forte et coordonnée.
38. Je suis convaincue qu’il faudrait passer des quotas réservés
au sexe sous-représenté, qui visent à garantir la présence d’au
moins 30 % ou 40 % de femmes parmi les élus, à une véritable parité.
Le principe de parité n’est pas nouveau en soi: il existe depuis
un certain temps. Bien que l’idée de parité soit souvent utilisée de
manière interchangeable avec celle d’«égalité de genre», elle possède
un sens plus précis lorsqu’il s’agit de représentation politique.
Elle signifie que les organes élus et les autres organes décisionnels
– y compris, point important, les gouvernements – ont l’obligation
de se composer dans la mesure du possible d’un nombre égal de femmes
et d’hommes.
39. L’égalité de représentation des femmes et des hommes a été
appliquée dans un certain nombre de gouvernements en Europe et hors
d’Europe, notamment dans le gouvernement Zapatero en Espagne en 2004,
dans les gouvernements français sous les présidences Hollande et
Macron, dans le gouvernement Renzi en Italie en 2014 et, pour ne
citer qu’un exemple hors d’Europe, dans le gouvernement Trudeau
au Canada. Interrogé sur les raisons de l’extrême diversité de son
gouvernement, sur le plan à la fois du genre et de l’origine ethnique
de ses membres, Trudeau avait répondu: «Parce que nous sommes en
2015.» Si le principe de parité était appliqué de manière cohérente,
ces exemples ne seraient plus des exceptions intéressantes, mais
plutôt la norme. L’égalité de représentation politique suppose,
pour les femmes, le droit d’exprimer leurs besoins, leurs centres
d’intérêt et leur vision de la société, ainsi que le droit de prendre
part aux décisions qui affectent leur vie, quel que soit le contexte
culturel dans lequel elles vivent. Je souhaiterais souligner que
pour soutenir le processus de renforcement et d’amélioration de
la représentation des femmes, il est nécessaire d’établir des partenariats
avec des organisations de défense des droits des femmes et d’autres
groupes œuvrant à l’égalité entre les femmes et les hommes.
40. L'universitaire espagnole Alicia Miyares explique que le féminisme
conçoit la parité comme un droit civil, qui garantit la représentation
proportionnelle des genres et le droit des femmes à être élues et
à représenter politiquement la collectivité. La parité, ajoute-t-elle,
n'est pas une concession obtenue par la volonté des partis politiques,
mais plutôt un droit qui ne peut être modifié en fonction des circonstances
politiques, tout comme le droit de vote. Par conséquent, conclut-elle,
elle devrait être considérée comme un droit constitutionnel reconnu
aux femmes. Ces dernières années, plusieurs pays d'Amérique latine,
dont le Mexique, partenaire pour la démocratie de l'Assemblée, ont
inséré dans leur Constitution de nouvelles dispositions sur la parité entre
hommes et femmes, qui imposent aux partis politiques d’appliquer
ce principe lorsqu’ils choisissent les candidats qui figureront
sur leurs listes électorales
. L'inscription
de la parité dans les Constitutions, et pas seulement dans les dispositions
électorales, en ferait un grand principe, à la lumière duquel d'autres dispositions
devraient être interprétées et appliquées. Ce choix peut avoir des
effets considérables et il représente, je crois, l'une des voies
que nous devrions explorer.
41. Les quotas électoraux par sexe ne sont pas en contradiction
avec la parité. Ils représentent en fait l'un des moyens dont nous
disposons pour y parvenir, comme le fait remarquer l'experte brésilienne
Ana Alice Alcântara Costa dans son texte «Quotas as a Path to Parity:
Challenges to Women’s Participation in Politics» («Les quotas, une
voie vers la parité: les défis de la participation des femmes à
la vie politique»).
42. La parité est-elle un objectif réaliste? Selon Caroline Turner,
experte américaine en genre, «les gourous du pouvoir nous disent
que les objectifs qui motivent le plus les gens sont mesurables,
limités dans le temps et réalisables. Ils doivent être hors de portée
à l’heure actuelle, mais réalistes à long terme». Bien que le raisonnement
de cette experte, qui se fonde sur le niveau élevé de discrimination
auquel les femmes sont actuellement confrontées, conclue que la
parité entre hommes et femmes n'est pas un objectif réaliste dans un
avenir prévisible, je considère qu’elle devrait être notre objectif.
La volonté politique représente l’une des principales conditions
préalables à la réalisation de progrès substantiels dans un délai
raisonnable. C'est pourquoi j’estime qu'il est de mon devoir de
faire avancer cette question au niveau politique, en particulier
chez le législateur.
43. Toutefois, une petite mise en garde est peut-être nécessaire:
si les quotas peuvent être exprimés en des termes numériques (étant
donné qu’ils visent généralement à instaurer un seuil minimum),
la «parité» au sens de «moitié-moitié» ne doit pas se concevoir
comme une exigence purement arithmétique. Concrètement, il ne s’agit
pas de diviser par deux le nombre de sièges dans un organe de décision
donné et d’en allouer exactement le même nombre aux hommes et aux
femmes, mais plutôt d'assurer une représentation équilibrée et proportionnée
des électeurs. En outre, une répartition exacte du nombre de sièges
entre les hommes et les femmes serait préjudiciable pour les personnes
ayant une identité non binaire. La parité ne doit pas être conçue
d’une manière susceptible d’exclure ces citoyens.
3. Approche intégrée de l’égalité entre
les femmes et les hommes
44. L’approche intégrée de l’égalité
entre les femmes et les hommes est un outil important pour promouvoir l’égalité
de genre à tous les niveaux
.
Comme je l’ai mentionné lorsque j’ai fait référence à l’acquis du
Conseil de l'Europe, l’Organisation a entériné très tôt ce type
de stratégie et a même contribué à façonner cette notion, élaborant
une définition qui est désormais communément admise: «L’approche
intégrée consiste en la (ré)organisation, l’amélioration, l’évolution
et l’évaluation des processus de prise de décision, aux fins d’incorporer
la perspective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans
tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement
impliqués dans la mise en place des politiques
.» Aujourd’hui,
le Conseil de l’Europe met en œuvre une stratégie d’intégration
de la perspective de genre dans ses activités normatives, de suivi
et de coopération.
45. En d’autres termes, l’approche intégrée de l’égalité entre
les femmes et les hommes désigne l’intégration d’une perspective
d’égalité hommes-femmes à tous les stades et niveaux des politiques, programmes
et projets. Elle suppose également de tenir compte des différences
de situation et de besoins entre les femmes et les hommes, ainsi
que de leur inégalité d’accès aux ressources et aux droits (notamment en
matière d’accès à la justice).
46. L’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes
englobe les politiques sectorielles en faveur de l’égalité de genre
mais ne s’y substitue pas. Les deux démarches sont nécessaires et
contribuent à l’objectif ultime de l’égalité. Cette approche constitue
une stratégie à long terme qui transforme progressivement la société,
tandis que les politiques spécifiques ont un impact direct sur les
secteurs ciblés et peuvent permettre d’obtenir des résultats plus
rapidement. Cependant, pour que l’égalité de genre et la non-discrimination
en général continuent de gagner du terrain, il faut incorporer une
perspective de genre dans toutes les politiques, car ce sont elles
qui ont une incidence sur la vie des hommes et des femmes, sur leur situation
individuelle, sur leurs conditions de vie et sur les besoins qui
leur sont propres.
47. De nombreux exemples issus d’États membres du Conseil de l'Europe
peuvent aider à comprendre la portée et l’importance de la budgétisation
sensible au genre. En Autriche, la dimension de genre a été intégrée dans
les programmes d’aide au développement sous la forme d’une budgétisation
sensible au genre dès 2009. En Finlande, en vertu de la loi sur
l’égalité et du plan d’action gouvernemental pour l’égalité entre
les femmes et les hommes, tous les ministères ont l’obligation de
créer des groupes de travail sur l’égalité pour planifier et mettre
en œuvre l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les
hommes, et les lignes directrices relatives à la rédaction des lois
indiquent que l’impact des projets de loi sur les femmes et sur
les hommes doit faire l’objet d’une évaluation systématique. En
France, tous les ministères adoptent une feuille de route concernant
les activités à mener dans le cadre de leur mandat pour parvenir
à une égalité réelle entre les sexes. En Suède, l’approche intégrée
de l’égalité entre les femmes et les hommes nourrit l’action de
toutes les collectivités – locales, régionales comme nationales
– et les bonnes pratiques sont réunies et diffusées sur une page
internet
.
48. En ce qui concerne spécifiquement les parlements nationaux,
le rapport intitulé «Parlements sensibles au genre. Étude mondiale
des bonnes pratiques», publié par l’Union interparlementaire en
2011, est une précieuse source d’information
. Il vise à inciter les parlements
à répondre aux besoins et aux intérêts des hommes comme des femmes
dans leurs structures, leurs activités, leurs méthodes et leur travail,
et couvre toute une série de sujets, puisque par définition l’approche
intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes traverse tous
ces domaines. Accroître la proportion de femmes dans les principales
fonctions parlementaires est une avancée importante, mais cela ne
se traduit pas automatiquement par l’élaboration de lois sensibles
au genre. Le rôle des hommes et celui des partis politiques sont
d’autres aspects particuliers, tout comme les politiques et procédures,
l’infrastructure parlementaire et les services parlementaires. Le rapport
susmentionné est une mine d’informations sur les bonnes pratiques
et montre plus globalement qu’il faut déployer des efforts considérables
pour ancrer une dimension de genre dans tous les aspects de l’activité parlementaire.
Par ailleurs, il prouve que ces efforts sont nécessaires et portent
leurs fruits.
49. Les détracteurs de l’approche intégrée de l’égalité entre
les femmes et les hommes affirment que cette stratégie n’a pas produit
l’effet transformationnel escompté et qu’elle a même parfois amoindri
l’impact de politiques spécifiques en faveur de l’égalité de genre.
En fait, la difficulté peut, dans certains contextes, tenir à la
mise en œuvre. S’il est facile d’adopter la terminologie de l’approche
intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de l’introduire
dans les documents d’orientation, il se révèle plus difficile d’assurer
un suivi et d’appliquer cette approche avec cohérence. Les habitudes
tenaces tendent à contrarier le processus, creusant le fossé entre
la théorie et la pratique. Dans ces conditions, une volonté politique
plus affirmée devrait soutenir l’approche intégrée de l’égalité
entre les femmes et les hommes à tous les niveaux de l’administration.
Il incombera à l’Assemblée parlementaire de contribuer à apporter
ce soutien.
4. Lutte contre les stéréotypes de genre
et le sexisme
50. Souvent, les femmes ne sont
représentées dans les médias que dans les rôles qui leur sont traditionnellement
assignés par la société. Une telle représentation nuit à l’égalité
de genre dans la mesure où elle ne fait que renforcer les obstacles
à l’accès des femmes à certains postes et professions, en particulier
au sein d’organes de décision.
51. Je souhaiterais vous faire part de l’expérience que mes collègues
de l’Assemblée nationale serbe et moi-même avons vécue dans le cadre
de séances de formation sur les droits de femmes organisées à l’intention
des représentants des sections féminines de divers partis de notre
groupe politique. Nous avons collecté plusieurs quotidiens nationaux
et demandé aux participants d’imaginer qu’ils vivaient sur une autre planète
et que ces journaux constituaient leur seule source d’information
sur les Terriens. Nous les avons ensuite invités à compter le nombre
d’hommes et de femmes figurant sur les photos et à les décrire,
en précisant ce qu’ils faisaient. Les résultats ont été décourageants:
seules 15 % à 20 % des personnes sur les photos étaient des femmes.
Les hommes mis en avant dans ces journaux étaient des dirigeants,
des hommes politiques, des champions sportifs et d’autres responsables
de haut niveau, tandis que les femmes étaient décrites dans leur
rôle de mère ou représentées par de magnifiques mannequins dans
des publicités pour des sous-vêtements, des parfums ou autres. Il
n’était que très rarement question de femmes politiques ou de femmes
d’affaires. Nous en avons conclu que les femmes étaient encore clairement
victimes de stéréotypes sexistes: elles sont sous-représentées,
voire invisibles, dans les médias et dans la publicité.
52. C’est pourquoi il est important d’inclure dans la législation
relative à l’égalité de genre des dispositions visant à lutter contre
les stéréotypes sexistes et de promouvoir une représentation équilibrée
des femmes et des hommes dans les médias.
53. Il y a près de trente ans, le Comité des Ministres a adopté
une recommandation sur l’élimination du sexisme dans le langage
(Recommandation no R (90) 4), dans laquelle
les États membres sont appelés à prendre des mesures pour encourager
l’utilisation d’un langage non sexiste, à mettre la terminologie
employée dans les textes juridiques, l'administration publique et
l'éducation en conformité avec le principe de l'égalité des sexes
et à encourager l'utilisation d'un langage exempt de sexisme dans
les médias.
54. Si, dans ce texte datant de 1990, les principaux aspects du
problème étaient correctement identifiés, il n’y a pas vraiment
été remédié depuis. En début d’année, une nouvelle Recommandation
du Comité des Ministres sur la prévention et la lutte contre le
sexisme a été adoptée (Recommandation CM/Rec(2019)1), dont l’Annexe
contient, pour la première fois, une définition du sexisme, décrit
comme «[T]out acte, geste, représentation visuelle, propos oral
ou écrit, pratique ou comportement fondés sur l‘idée qu’une personne
ou un groupe de personnes est inférieur du fait de leur sexe, commis
dans la sphère publique ou privée, en ligne ou hors ligne (…)».
55. Parmi les nombreuses mesures figurant dans cette recommandation,
je souhaiterais souligner:
- la
mise en place d’une éducation et d’une formation adaptées pour le
personnel éducatif dans tous les domaines et à tous les niveaux
d’éducation;
- l’évaluation des manuels scolaires, des matériels de formation
et des méthodes d’enseignement utilisés pour et par les élèves de
tous âges et pour toutes les formes d’éducation et de formation
en termes de langage, de représentations sexistes et de stéréotypes
de genre, et leur révision afin qu’ils promeuvent activement l’égalité
entre les femmes et les hommes;
- l’engagement d’une réflexion sur une réforme législative
qui condamne le sexisme, définisse le discours de haine sexiste
et l’érige en infraction pénale;
- le fait d’encourager les organismes et les services publics
compétents, tels que les institutions de médiation, les commissions
pour l’égalité, les assemblées législatives et les institutions
nationales des droits de l’homme, à concevoir et à mettre en œuvre
des codes de conduite ou des lignes directrices sur le sexisme;
- la mise en œuvre des campagnes de communication et de
sensibilisation efficaces sur les liens entre le sexisme et la violence
à l’égard des femmes et des filles.
56. Pour résumer, ces recommandations indiquent qu’il est fondamental
de promouvoir l’éducation et la formation à tous les niveaux et
de mener des actions de sensibilisation pour permettre à chacun
d’apprendre à identifier, à reconnaître et à dépasser les stéréotypes
de genre. En outre, il faudrait renforcer la visibilité des femmes
dans les médias doit être renforcée. En fait, il s’agit d’assurer
une représentation plus équilibrée et non stéréotypée des femmes
et des hommes dans les médias afin de surmonter les entraves à l’égalité
entre les sexes.
57. L’Assemblée contribue de façon significative à sensibiliser
à la question du sexisme, notamment dans le monde de la politique.
En 2018, en coopération avec l’Union interparlementaire, elle a
conduit une étude ayant mis en évidence l’étendue du sexisme, du
harcèlement sexuel et de la violence fondée sur le genre dont sont
victimes les femmes au sein des parlements
. À l’initiative des deux Présidentes,
cette étude a été transmise à tous les parlements nationaux des
États membres du Conseil de l’Europe.
58. Sur la base des conclusions de l’étude, et à l’initiative
de sa Présidente, Mme Liliane Maury Pasquier, l’Assemblée
a lancé une initiative axée sur le hashtag #PasDansMonParlement
afin de sensibiliser les parlementaires et le grand public à la
nécessité de lutter contre le sexisme et le harcèlement, y compris
dans le monde politique.
59. En avril 2019 a été adoptée une résolution intitulée «Pour
des parlements sans sexisme ni harcèlement sexuel»
, qui appelle à des mesures visant
à mettre un terme au sexisme et au harcèlement sexuel en politique.
Parmi les mesures qui y sont recommandées figure notamment l’introduction
de procédures et de mécanismes de plainte effectifs prévoyant des
sanctions efficaces. En outre, l’Assemblée est invitée à modifier son
propre code de conduite pour y introduire l’interdiction explicite
du sexisme, du harcèlement sexuel et de la violence sexuelle, ainsi
qu’une référence à la protection de la dignité.
5. Violence fondée sur le genre
60. La Recommandation CM/Rec(2019)1
du Comité des Ministres met en avant l’étroite corrélation entre les
stéréotypes de genre, d’une part, et le sexisme, d’autre part, évoquant
«un continuum entre les stéréotypes de genre, le sexisme et la violence
à l’égard des femmes et des filles».
61. La violence est au cœur même du système patriarcal. Pour éradiquer
ce fléau, la solution consiste à changer de paradigme et à déconstruire
ce système. L’autonomisation contribue à ces objectifs en permettant aux
femmes (et aux hommes) de prendre progressivement le contrôle de
leur vie, de définir leurs propres priorités et d’acquérir de nouvelles
compétences.
62. Malheureusement, les femmes sont encore victimes de violences
physiques, sexuelles et psychologiques. La violence fondée sur le
genre et la violence domestique sont des fléaux répandus, dont les conséquences
sont durables et difficiles à surmonter. Elles constituent une violation
des droits humains et un obstacle à la jouissance d’autres droits,
entraînant par là même d’autres violations des droits fondamentaux des
femmes et rendant impossible la réalisation de l’égalité des chances
entre les femmes et les hommes
.
63. Ainsi, la violence domestique et la violence fondée sur le
genre sont inextricablement liées à la discrimination et au refus
de l’égalité des chances. Les victimes de ces fléaux ne parviennent
pas toutes à se reconstruire ou à trouver un emploi, un nouveau
partenaire ou une nouvelle maison. Certaines ne survivent même pas
à de tels actes.
64. Lutter contre la violence à l’égard des femmes, c’est lutter
pour le droit des femmes victimes de ce fléau à une seconde chance.
Je suis d’avis qu’il est fondamental que l’Assemblée parlementaire
reste engagée dans ce combat
.
65. La Convention d’Istanbul est un document fondamental pour
la lutte contre la violence fondée sur le genre. Elle propose un
cadre complet pour prévenir la violence à l’égard des femmes, protéger
les victimes et poursuivre les auteurs en justice. Les États Parties
ont l’obligation de prévenir, de faire cesser et de sanctionner
la violence à l'égard des femmes. Pour ce faire, ils sont tenus
d'adopter et d'appliquer des mesures politiques efficaces et une
législation rigoureuse (qui incrimine des formes spécifiques de
violence, par exemple). Les normes élevées qu’établit cette Convention
lient les Parties et sont une référence pour les mesures adoptées
par d’autres pays également.
66. Étant donné que, parallèlement au présent rapport, un rapport
intitulé «La Convention d’Istanbul sur la violence à l’égard des
femmes: réalisations et défis»
a été préparé, je n’entrerai pas
davantage dans les détails en ce qui concerne la Convention, les
processus de ratification et sa mise en œuvre. Ce que je tiens à souligner,
c’est que la violence fondée sur le genre est intrinsèquement liée
à tous les autres aspects de la discrimination à l’égard des femmes.
Le sexisme et le harcèlement sexuel, qui sont endémiques en politique, par
exemple, sont l’une des causes de la faible participation des femmes
à la vie politique. Pour conclure, je voudrais encore une fois attirer
l’attention sur le fait que l’éradication de la violence à l’égard
des femmes devrait toujours aller de pair avec la promotion de l’égalité
de genre, et ce, dans tous les domaines. Le Conseil de l’Europe
est le mieux placé pour mener une mission aussi complexe, et il
doit le faire avec détermination, en demandant le soutien croissant
des États membres.
6. Promotion d’un langage inclusif
67. La Recommandation CM/Rec(2019)1
du Comité des Ministres sur «La prévention et la lutte contre le sexisme» aborde
également la question du langage et de la communication, définis
comme «des composantes essentielles de l’égalité entre les femmes
et les hommes» qui «ne [doivent] pas consacrer l’hégémonie du modèle
masculin» (annexe, paragraphe II.A). Il est précisé qu’une communication
non stéréotypée est un bon moyen d’éduquer, de sensibiliser et de
prévenir les comportements sexistes, et que «[c]ela implique d’éliminer
les expressions sexistes, d’utiliser des formes féminines et masculines
ou neutres dans les titres et pour s’adresser à un groupe, de diversifier
les représentations des femmes et des hommes, et de respecter la
parité dans les représentations visuelles et autres.»
68. Outre une bonne dose de volonté politique, une telle «réforme
linguistique» implique d’importants travaux, en coopération avec
des experts, les médias et d’autres acteurs de la communication.
Mais elle ne peut avoir qu’un effet positif sur les mentalités et
ne doit pas être négligée. Elle devrait être conçue de façon très
variable selon les États membres étant donné que les langues nationales
diffèrent. Si, dans certains cas, l’adoption d’un langage sensible
au genre n’entraînera qu’une adaptation du vocabulaire, le plus
souvent, il faudra également adapter certaines règles de grammaire
et d’orthographe.
69. Le choix du Gouvernement finlandais d’utiliser (en anglais)
l’expression «
Presidency of
the Committee of Ministers» plutôt que «
Chairmanship of
the Committee of Ministers», employée jusque-là (les deux expressions
se traduisant par «
Présidence du
Comité des Ministres en français) est une bonne initiative, dont d’autres
devraient s’inspirer. Cet exemple montre que le langage institutionnel
peut changer et qu’il est possible de privilégier des termes neutres
au regard du genre sans compliquer la communication. Le successeur
de la Finlande à la tête du Comité des Ministres, le Gouvernement
français, a fait du langage non sexiste l’un des outils de sa politique
étrangère féministe et utilise désormais, entre autres, l’expression
«droits humains» au lieu de la traditionnelle expression «droits
de l’Homme» (bien que le «H» majuscule renvoie plutôt à l’«homme»
au sens d’«humanité»). L’Académie française, gardien de la langue
française, a récemment décidé d’encourager la féminisation des noms
de profession. Au Québec, région francophone, le soutien au langage
non sexiste semble émaner de la société civile et du grand public
.
70. Le Conseil de l’Europe devrait suivre ses propres recommandations
et accorder une attention particulière au langage employé dans ses
documents internes et textes adoptés. Ainsi, il conviendrait d’utiliser un
langage inclusif dans l’ensemble de l’Organisation en s’appuyant
sur les Lignes directrices pour l'emploi d'un langage non sexiste
adoptées en 1994
(qu’il
pourrait être utile de réviser et, éventuellement, de modifier) et
le Glossaire sur l’égalité entre les femmes et les hommes publié
par la Commission pour l’égalité de genre en 2016.
7. Émancipation économique et conciliation
entre vie professionnelle et vie privée
71. L’émancipation économique des
femmes est une question complexe et multidimensionnelle. La commission
sur l’égalité et la non-discrimination s’est penchée sur tous ses
aspects, que ce soit l’accès des femmes au marché du travail et
leur situation au sein du personnel et de la direction des entreprises, l’entreprenariat
féminin et les inégalités d’accès au financement, ou la ségrégation
fondée sur le genre dans les différents secteurs et professions
.
72. Il existe de solides arguments en faveur de la diversité de
genre dans le monde de l’entreprise. Un document de travail de l’Institut
Peterson pour l’économie internationale datant de 2016 présente
les conclusions d’une étude menée dans 91 pays
. Les résultats,
qui montrent que la participation des femmes reste globalement assez
faible, indiquent également que la présence de ces dernières à des
postes de direction peut améliorer les performances d’une entreprise.
Cette corrélation peut refléter soit le bénéfice de la non-discrimination,
soit le fait que les femmes renforcent la diversité des compétences
au sein d'une entreprise. Toujours d’après cette étude, une entreprise
comptant 30 % de femmes aux postes de direction peut voir ses bénéfices
augmenter de 15 % par rapport à une entreprise similaire dirigée
uniquement par des hommes. Cela s'explique souvent par l'impact
positif de la diversité sur la qualité des conseils d'administration. Une
telle diversité permet d’avoir un personnel plus jeune et plus qualifié,
induit une concurrence positive et entraîne l’adoption d’approches
plus saines de la résolution de problèmes.
73. Ces considérations sur l’impact positif de la diversité sont
valables pour l’économie en général. De fait, en 2014, l’Institut
européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) a
conclu que d’ici à 2050, l’amélioration de l’égalité de genre entraînerait
une augmentation du PIB par habitant au sein de l’Union européenne,
qui passera de 6,1 % à 9,6 %, soit de 1,95 à 3,15 milliards d’euros
.
74. Les femmes continuent de se heurter à des obstacles à plusieurs
niveaux, ce qui les empêche de contribuer au marché du travail et
à la richesse globale des pays européens autant qu’elles le pourraient:
les attitudes culturelles dominantes, en particulier, entraînent
une répartition déséquilibrée des responsabilités domestiques et
des obligations familiales. Des mesures devraient être progressivement
introduites à cet égard pour permettre aux femmes de concilier leurs
responsabilités familiales et professionnelles sans avoir à choisir entre
les deux.
75. Pour des politiques de qualité, toutes les mesures proposées,
y compris et en particulier dans le domaine de l’économie, devraient
faire l’objet d’une évaluation de l’impact sur le genre. Plus généralement,
les États membres du Conseil de l’Europe devraient recourir à des
mécanismes de budgétisation sensible au genre. De fait, la perspective
de genre devrait constituer un élément essentiel de la budgétisation
(la fixation de seuils bas dans les budgets des États, par exemple,
pour y faire figurer la dimension du genre de façon purement symbolique
n’est pas acceptable) et impliquer automatiquement un audit de genre
visant à évaluer a posteriori l’impact
des politiques sur l’égalité de genre.
76. Par ailleurs, l’éducation des adultes est essentielle dans
les politiques visant à promouvoir une amélioration générale des
compétences professionnelles. Le recours aux programmes de formation
des adultes pourrait être renforcé par un soutien de la part des
médias et la conduite de campagnes d’information. Comme souligné
dans le rapport de l’Assemblée sur «L’autonomisation des femmes
dans l’économie»
, qui a abouti à l’adoption de
la
Résolution 2235 (2018), les parcours d’éducation STIM (sciences, technologie, ingénierie
et mathématiques) devraient être particulièrement encouragés chez
les femmes et les filles. En outre, des mesures appropriées devraient
être prises pour remédier aux faibles taux d’emploi des femmes et des
travailleurs âgés, en particulier ceux qui ont un parcours professionnel
atypique ou qui ont une maîtrise insuffisante des technologies de
l’information et de la communication (TIC). Par conséquent, il est
fondamental de mettre en place les conditions nécessaires pour proposer
des services d’apprentissage tout au long de la vie à tous les niveaux
et ainsi favoriser une amélioration dans le domaine de l’emploi.
8. Santé et droits sexuels et reproductifs
77. Un rapport sur l’accès à la
contraception en Europe étant actuellement préparé par Mme Petra
Bayr pour le compte de la commission sur l’égalité et la non-discrimination,
il n’est pas utile que je présente la situation de façon détaillée
dans le présent rapport. Il me semble toutefois important de souligner
qu’on observe des inégalités dans ce domaine entre les États membres
du Conseil de l’Europe – et même en leur sein, la décentralisation
pouvant entrainer des différences régionales. L’écart entre les
pays les plus avancés et les moins avancés en la matière, déjà très
important, continue de se creuser. Actuellement, certains États membres
restreignent davantage – ou tentent de le faire – l’accès à la contraception,
et, plus généralement, à la santé sexuelle et reproductive.
78. Le droit à l’avortement, en particulier, est menacé par un
projet de loi visant à l’interdire (en Pologne) et par des obstacles
concrets ou d’ordre administratif, ainsi que par des règles trop
larges sur l’objection de conscience (certaines décisions du Comité
européen des Droits sociaux ont mis en avant ces difficultés, notamment
en Italie). D’un autre côté, l’Irlande a légalisé l’avortement par
le biais de sa loi sur la santé de 2018, l’avortement étant désormais
autorisé pendant les douze premières semaines de grossesse, voire
au-delà en cas de risque pour la vie ou la santé de la femme enceinte
et d’anomalies fœtales létales.
79. L’Assemblée a exprimé sa position sur la question dans sa
Résolution 1607 (2008) sur l’accès à un avortement sans risque et légal en Europe,
qui indique notamment que l’avortement «ne doit pas être interdit dans
les délais de gestation raisonnables».
80. Aujourd’hui, soit plus de dix ans plus tard, les principes
établis dans ce texte restent valables, mais les obstacles à leur
mise en œuvre se sont renforcés. Ce durcissement des conditions
est l’un des éléments du recul général des droits des femmes que
j'ai mentionné précédemment et qui exige que l'Assemblée et tous les
défenseurs des droits humains soient vigilants et redoublent d’efforts
pour protéger l'acquis. Les tentatives de restriction de la santé
et des droits sexuels et reproductifs menacent la santé et la vie
de milliers de femmes.
9. Conclusions
81. Le Conseil de l’Europe joue
un rôle majeur dans la promotion de l’égalité et la lutte contre
la discrimination, y compris celle fondée sur le genre, depuis soixante-dix
ans maintenant. En particulier au cours des trente dernières années,
l’Organisation a renforcé son action en faveur de l’égalité de genre
et obtenu des résultats considérables dans des domaines tels que
le marché du travail, la représentation politique et la lutte contre
la violence à l’égard des femmes.
82. Toutefois, les informations et données présentées dans ce
rapport montrent qu’il reste assurément des progrès à faire. En
outre, on observerait un recul des droits des femmes actuellement
dans plusieurs États membres du Conseil de l’Europe. Il est donc
nécessaire non seulement d’accomplir des progrès, mais aussi de
défendre l’acquis.
83. Les inégalités de genre se manifestent sous diverses formes
et dans des environnements différents, tant dans la vie privée que
dans la vie publique. Je tiens à dire encore une fois que toutes
les manifestations de l’inégalité sont liées les unes aux autres
et doivent être combattues simultanément. Les politiques en faveur de
l’égalité de genre se heurtent à la résistance de divers acteurs,
en particulier ceux qui les perçoivent comme une menace à leurs
privilèges traditionnels.
84. C’est pour cette raison, mais aussi pour d’autres, telles
que l’inévitable essoufflement de toutes les initiatives visant
à induire un changement positif, que nous devons nous fixer des
objectifs élevés. Les États devraient au minimum adopter un agenda
très ambitieux, dont la réalisation demandera une forte volonté politique.
L’Assemblée parlementaire, et le Conseil de l’Europe dans son ensemble,
ont le devoir de défendre cet agenda et d’obtenir le soutien politique
nécessaire de la part des États membres.