1. Introduction
1. Dans leurs efforts pour contrôler
les frontières et gérer les flux migratoires, les États membres
du Conseil de l'Europe concentrent des efforts considérables sur
la protection de leurs frontières. Dans ce contexte, les refus d’entrée
et les expulsions sans évaluation individuelle des besoins de protection
sont devenus un phénomène attesté aux frontières de l’Europe ainsi
que sur le territoire des États membres situés plus à l’intérieur
des terres. Étant donné que ces pratiques sont répandues et que,
dans certains pays, elles revêtent même un caractère systématique,
ces «renvois» peuvent être considérés comme faisant partie de politiques nationales
plutôt que d’actions accessoires. Le plus grand risque lié aux renvois
est la violation du droit d'asile et du risque de refoulement, ce
qui signifie qu'une personne est renvoyée dans un lieu où elle risque
d'être persécutée au sens de la Convention des Nations Unies de
1951 relative au statut des réfugiés, ou soumise à un traitement
inhumain ou dégradant au sens de la Convention européenne des droits
de l'homme (STE no 5, «la Convention»).
C'est pourquoi la Cour européenne des droits de l'homme («la Cour»)
exige une évaluation individuelle des besoins de protection et de
la sécurité du retour afin de prévenir toute violation de l'article
3 de la Convention. Les renvois ont lieu en particulier aux frontières
de l'Union européenne, ce qui est au moins en partie une conséquence
des lacunes du règlement actuel de Dublin et de l'échec des tentatives visant
à introduire un partage équitable des responsabilités en Europe.
2. La pratique et les politiques persistantes et croissantes
des renvois portent clairement atteinte au droit fondamental d’asile
et au principe de non-refoulement, qui sont au cœur du droit international
relatif aux réfugiés. Face à la gravité des violations des droits
de l’homme et à la tendance au déni de ces situations, il me paraît
important que l’Assemblée parlementaire examine plus attentivement
ces pratiques, en vue de proposer aux États membres des éléments
d’orientation qui leur permettent de protéger leurs frontières,
tout en offrant une protection satisfaisante aux réfugiés. Il importe
également de rappeler que les mesures et politiques de renvoi sont
particulièrement présentes dans les États situés aux frontières
extérieures de l’Union européenne, ce qui résulte au moins en partie
des défaillances du système de Dublin et de l’échec des tentatives
visant à instaurer un partage équitable des responsabilités en Europe.
En plus de ces pratiques, on peut également observer un recours
croissant aux renvois aux frontières intérieures de l’Union européenne.
3. Des rapports et des preuves attestent aussi de traitements
inhumains et dégradants infligés par des États membres et leurs
agents dans le cadre de ces renvois, qui comprennent l'intimidation,
la prise ou de destruction des biens de migrants, et même le recours
à la violence et le refus d’alimenter les migrants et de leur fournir
des services de base. En niant l’existence de renvois, ces formes
de traitements inhumains et dégradants, parfois systématiques, sont
également niées et, par conséquent, ne sont pas examinées de manière
adéquate.
4. À la suite de mes recherches dans toute l'Europe, je suis
à présent préoccupée par les pratiques persistantes et croissantes
et par les politiques de renvoi, qui constituent une violation flagrante
des droits des demandeurs d'asile et des demandeurs d'asile et des
réfugiés, y compris la protection contre le refoulement, qui est
au cœur du droit international relatif aux réfugiés et aux droits
de l'homme. Je rappelle que les États membres sont obligés de fournir
une protection adéquate aux demandeurs d'asile, aux réfugiés et
aux migrants arrivant à leurs frontières, de s'abstenir de toute
mesure de renvoi, de permettre un suivi indépendant et de mener
une enquête approfondie sur les allégations de renvoi.
5. Les renvois signalés concernent des actions à l'égard des
migrants qui ont clairement traversé la frontière et se retrouvent
à l'intérieur des terres, ainsi que des migrants présents près de
la frontière ou à la frontière lors de la tentative de la franchir.
Une grande partie d'entre eux ont tenté ou envisagé de présenter une
demande d'asile. La conséquence négative la plus importante des
renvois est la situation de vulnérabilité des victimes. Le refus
d’accès à une procédure d’asile appropriée implique qu’ils courent
le risque d’être renvoyés ou bloqués dans un pays où ils n’ont pas
accès à une procédure d’asile adéquate, ce qui les expose à un risque
de renvoi vers un autre pays (le «refoulement en chaîne»). Les renvois
peuvent toutefois aussi mener à des cas de persécution directe ou
de traitement inhumain ou dégradant dans le pays où ils sont renvoyés
ou auquel ils ne peuvent échapper. Les obligations fondamentales
du droit d'asile et du droit international visent à empêcher cela.
La conséquence du refus des États membres de traiter les signalements de
renvois permet à ces pratiques de perdurer, prive les victimes du
droit à un recours effectif et de tenir les autorités pour responsables
des violations des droits de l’homme.
6. Au lieu de prendre des mesures pour renoncer à tout type de
mesure de renvoi en donnant une réponse active et adéquate à chaque
signalement ou évidence fournie, un nombre croissant de pays tendent
à refuser un examen indépendant des allégations graves, à simplement
les nier ou même accuser, stigmatiser et même criminaliser les organisations
non gouvernementales (ONG), les défenseurs des droits de l'homme
et les acteurs de la société civile qui s’efforcent d’aider les
migrants à accéder aux procédures d’asile et à une protection. En
dénonçant et en essayant d’enquêter sur les renvois et les violations
connexes des droits de l’homme, les ONG sont souvent critiquées
et accusées d’«ingérence», bien qu’elles soient des actrices clés pour
faciliter l’accès des migrants à leurs droits et à la justice, en
contradiction directe avec des textes adoptés comme la Recommandation
CM/Rec(2007)14 du Comité des Ministres sur le statut juridique des
organisations non gouvernementales en Europe.
7. Les organisations de la société civile qui œuvrent à la promotion
des droits des groupes vulnérables et des minorités sont davantage
exposées à des menaces. Si, dans certains États membres du Conseil
de l’Europe, leur sécurité personnelle n’est pas immédiatement menacée,
l’environnement dans lequel elles opèrent peut encore s’avérer hostile.
Les défenseurs des droits des réfugiés, des demandeurs d’asile et
des migrants, des femmes, des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles,
transgenres et intersexes (LGBTI), des Roms et d’autres minorités
nationales sont dans une position particulièrement vulnérable étant
donné l’«impopularité» de ces questions dans de nombreux pays. On
a constaté à quel point les représentations faussées et la rhétorique
hostile ont amené certaines fractions de la population à manifester
ouvertement leur haine envers ces groupes ou les acteurs de la société
civile qui promeuvent et protègent leurs droits.
8. J’ai été nommée rapporteure en janvier 2019. Dans le cadre
de l’élaboration du rapport, une audition a été organisée à Paris,
le 26 mars 2019, avec le Représentant spécial du Secrétaire Général
sur les migrations et les réfugiés du Conseil de l’Europe, M. Tomáš
Boček, et un échange de vues a eu lieu avec Mme Jelena Sesar,
chargée de recherche sur les Balkans, Bureau régional pour l’Europe
d’Amnesty International, et M. Kris Pollet, responsable de la recherche
juridique et politique, Conseil européen sur les réfugiés et les
exilés (CERE). Leur contribution a été très utile, et je remercie
tout particulièrement Mme Sesar qui a
été en mesure d’intervenir au pied levé durant l’audition pour présenter
le rapport pertinent et opportun d’Amnesty International sur les
renvois depuis la Croatie, publié quelques jours auparavant
.
9. Après cette réunion, je me suis rendue en Croatie (à Zagreb
et Cetingrad) et à la frontière de la Bosnie-Herzégovine (de Velika
Kladuša à Bihać) pour prendre directement connaissance de la situation
des mesures de renvoi signalées dans la région. Je tiens à remercier
les autorités croates pour leur coopération et l’organisation des
réunions et des visites, ainsi que tous les acteurs avec lesquels
j’ai pu m’entretenir. J’adresse aussi des remerciements tout particuliers
au le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR)
et aux partenaires de l’Organisation internationale pour les migrations
(OIM) sur le terrain, ainsi qu’à Médecins du Monde Belgique et aux
ONG que j’ai pu rencontrer, notamment NoNameKitchen, Are You Syrious
(à Zagreb) et le Conseil danois pour les réfugiés, Vasa Prava à
Velika Kladuša. Ma rencontre avec le maire de Bihać a été particulièrement
instructive. Une description plus détaillée de la visite est proposée
ci-dessous.
10. Aucun rapport de l’Assemblée n’a jusque-là traité exclusivement
du problème des renvois, mais ils ont été évoqués dans le cadre
de divers autres travaux, par exemple dans la
Résolution 2174 (2017) «Répercussions sur les droits de l’homme de la réponse
européenne aux migrations de transit en Méditerranée», dans la
Résolution 2073 et la
Recommandation
2078 (2015) «Pays de transit: relever les nouveaux défis de la migration
et de l’asile», ainsi que la
Résolution
2228 et la
Recommandation
2136 (2018) «Conséquences pour les droits de l’homme de la “dimension
extérieure” de la politique d’asile et de migration de l’Union européenne:
loin des yeux, loin des droits?». J’ai été rapporteure de tous ces
textes.
2. Définition des «renvois»
11. L’article 4 du Protocole no 4
à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 46)
interdit spécifiquement l’expulsion collective des ressortissants
étrangers. Comme les cas d’expulsion s’accompagnent généralement
d’un recours à la force, l’article 3 de la Convention, qui interdit
la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants,
est également applicable. L’expulsion collective a été définie par
la Cour européenne des droits de l’homme comme «toute mesure contraignant
des étrangers, en tant que groupe, à quitter un pays, sauf dans
les cas où une telle mesure est prise à l’issue et sur la base d’un
examen raisonnable et objectif de la situation particulière de chacun
des étrangers qui forment le groupe» (voir, par exemple, Čonka c. Belgique, Requête no 51564/99).
12. L’obligation faite aux États de ne pas expulser ni refouler
une personne vers un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée
constitue un principe de protection énoncé à l’article 33 de la
Convention des Nations Unies sur les réfugiés (Convention de Genève),
l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et
l’article 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture
(CAT) et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Cet article interdit aux États d’expulser ou de refouler de quelque
manière que ce soit un réfugié vers un territoire où il risquerait
d’être persécuté. Cette interdiction de refoulement s’applique à l’ensemble
des réfugiés, y compris à ceux qui n’ont pas été officiellement
reconnus comme tels, ainsi qu’aux demandeurs d’asile dont le statut
n’a pas encore été déterminé.
13. Bien que la portée juridique des mesures et des politiques
de «renvoi» puisse être moins claire que celle du refoulement ou
de l’expulsion collective, j’ai décidé d’employer ce terme dans
le présent rapport, et ce pour deux raisons principales. Premièrement,
il traduit la nature violente et physique des pratiques en cause
que je souhaite dénoncer et auxquelles les recommandations visent
à remédier. Deuxièmement, la notion de «renvoi» peut être appliquée
de façon générale aux cas de non respect des obligations liées aux
droits de l’homme, en ce qui concerne le refus d’entrée dans un
pays opposé à des personnes demandant une protection, le refoulement
de celles déjà présentes sur un territoire, les expulsions collectives,
les obligations de subir des dépistages, et d’autres actions hostiles
visant à refuser l’entrée dans les pays européens aux frontières
maritimes et terrestres.
14. De plus, en examinant les faits au cours de mes recherches,
il est apparu clairement que pour certains pays, le renvoi des migrants
est devenu une «politique» systématique et ne constitue pas une
répétition d’incidents isolés. Le titre du rapport a par conséquent
été modifié afin de refléter ce fait inquiétant.
15. Les mesures de renvoi sont étroitement liées à un autre phénomène
que l’on pourrait qualifier de «maintien sur place». Il s’agit d’un
pacte passé entre des pays aux termes duquel les migrants seront «retenus»
d’un côté, moyennant généralement des compensations financières
ou autres incitations de nature économique accordées au pays qui
les retient. Ces pactes sont mis en œuvre au moyen de patrouilles conjointes,
d’accords visant à empêcher les migrants de s’approcher de la frontière
et, dans certains cas, du financement de camps ou de centres d’accueil.
Comme je l’ai constaté dans mon rapport sur «Conséquences pour les
droits de l'homme de la “dimension extérieure” de la politique d’asile
et de migration de l’Union européenne: loin des yeux, loin des droits?»,
ce phénomène pose un grave problème de responsabilité, s’agissant
des atteintes aux droits de l’homme des migrants qui sont privés
de liberté de circulation ou d’accès aux procédures d’asile et peuvent
être victimes des pires formes de traitements inhumains. Le présent
rapport ne traite pas de cette question mais j’y ferai parfois référence
dans les exemples donnés.
3. Le
travail des organisations internationales pour détecter, sanctionner
et prévenir les renvois
3.1. Conseil
de l’Europe
3.1.1. Cour
européenne des droits de l’homme
16. Se fondant sur l’article 3
de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour a réaffirmé l’importance
des garanties procédurales individualisées qui interdisent les expulsions
collectives. Dans l’affaire
Conka c.
Belgique, la Cour a conclu à la violation de l’article
4 du Protocole no 4, car la procédure
d’expulsion n’avait pas accordé suffisamment de garanties démontrant
que la situation personnelle de chaque intéressé avait été véritablement
et individuellement prise en compte
.
Dans l’affaire
Sharifi et autres c. Italie
et Grèce , elle
a conclu à la violation de l’article 4 du Protocole no 4
en raison de l’absence d’accès à des garanties procédurales individualisées
dans le port d’Ancône où les requérants avaient été retenus.
17. La Cour a estimé que l’application du système de Dublin (le
mécanisme qui permet de définir l’État de l’Union européenne qui
est en charge du traitement de la demande d’asile déposée par le
ressortissant d’un État tiers) «doit se faire d’une manière compatible
avec la Convention européenne des droits de l’homme: aucune forme
d’éloignement collectif et indiscriminé ne saurait être justifiée
par référence à ce système et il appartient à l’État qui procède
au retour de s’assurer de la façon dont le pays de destination applique
la législation en matière d’asile des garanties suffisantes qu’il
offre permettant d’éviter que la personne concernée ne soit expulsée
vers son pays d’origine sans une évaluation des risques qu’elle
court»
.
18. Dans l’arrêt de référence
Hirsi
Jamaa, la Cour a condamné l’Italie pour ses opérations
de renvoi dans les eaux internationales menées en coopération avec
la Libye. Le refoulement automatique (opérations de renvoi) sans
aucun examen individuel ni possibilité de recours constitue une
violation des articles 3 et 13 de la Convention et de l’article
4 de son Protocole no 4
. La Cour a estimé que
«là où elle reconnaissait qu’un État avait exercé, à titre exceptionnel,
sa juridiction en dehors de son territoire national, elle pouvait
admettre que l’exercice de la juridiction extraterritoriale avait
pris la forme d’une expulsion collective». Cette affaire est particulièrement
pertinente pour les incidents causés par des expulsions en mer (en
l’espèce des renvois d’Italie vers la Libye). Là encore, le fait
de n’avoir pas tenu compte de la situation individuelle des victimes
a conduit la Cour à conclure à une violation du Protocole no 4.
19. La Cour a clairement indiqué que, lorsqu’un État membre exerce
un contrôle effectif sur les migrants, ceux-ci relèvent de sa juridiction
et l’État est à ce titre lié par les obligations nées de la Convention
même si ce contrôle est exercé en dehors de son territoire. Depuis
lors, les États membres ont tendance à se soustraire à leurs responsabilités
en recourant à certaines acrobaties pour l’interprétation de leur
compétence et de leur territoire.
20. Dans l’arrêt Sufi et Elmi c. Royaume-Uni,
la Cour a interdit aux États d’extrader ou d’expulser des personnes
vers un pays pour lequel il existe des raisons substantielles de
penser qu’elles courent véritablement le risque d’être torturées.
La Cour a estimé que la situation de violence généralisée en Somalie était
suffisamment intense pour interdire le retour forcé de personnes
vers ce pays. Pour parvenir à cette décision, elle a apprécié si
les combats étaient localisés ou généralisés, si les parties utilisaient
des moyens et des méthodes de guerre qui augmentaient les risques
pour les civils et si les parties au conflit avaient généralement
recours à ces tactiques. Il s’agit d’un arrêt pertinent pour les
migrants qui font l’objet d’un refoulement vers la Syrie.
21. Dans l’affaire
N.D. et N.T. c.
Espagne (Requêtes nos 8675/15
et 8697/15, 3 octobre 2017), une demande de renvoi en Grande Chambre
a été acceptée le 29 janvier 2018. Dans cet arrêt, qui porte sur
le refoulement automatique des migrants subsahariens par le gouvernement
espagnol vers le Maroc, la Cour a rappelé sa compétence établie
dans l’arrêt
Hirsi et a clairement
indiqué que les États membres ne pouvaient se soustraire à leurs
responsabilités en interprétant leur compétence dans un certain
sens. Les États membres ne sont donc pas autorisés à déplacer leurs
frontières vers l’intérieur pour empêcher les demandeurs d’asile
de déposer une demande d’asile
.
22. En ce qui concerne le refus d’accès au territoire et aux procédures
de demande d’asile, au moment de l’établissement du rapport, la
Cour avait indiqué pour la huitième fois à la Hongrie des mesures
provisoires d’urgence (mesures d’urgence imposées à un État membre
lorsque la Cour considère que les requérants seraient exposés à
un risque réel de dommages graves et irréversibles), ordonnant d’assurer
un approvisionnement alimentaire suffisant à une famille de demandeurs
d’asile afghans présente dans la zone de transit frontalière de
Röszke. Les autorités hongroises ont encore très récemment obligé
de force deux familles demandeuses d’asile à quitter le pays, mesure
qui a été condamnée par le HCR comme choquante et en violation flagrante
du droit international et de celui de l’Union européenne
.
3.1.2. Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
23. La Commissaire a réagi à plusieurs
reprises sur les questions de renvoi, notamment lors du refus des autorités
croates d’aider la médiatrice à mener une enquête sur les affaires
de renvoi. En octobre 2018, la Commissaire a déclaré qu’elle était
«préoccupée» par les informations communiquées par «les organisations spécialisées
dans l’aide aux réfugiés et aux migrants, qui fournissent des données
cohérentes et étayées sur un grand nombre d’expulsions collectives
de migrants en situation irrégulière, parmi lesquels peuvent se trouver
des demandeurs d’asile, de la Croatie vers la Serbie et la Bosnie-Herzégovine»
.
24. De même, dans son rapport sur sa visite menée en Grèce
rendu public le 6 novembre 2018,
la Commissaire a fait savoir que plusieurs interlocuteurs avaient
attiré son attention sur des allégations concordantes d’expulsions
sommaires («renvois») vers la Turquie, souvent accompagnées d’un
recours à la violence, empêchant les migrants d’accéder à la procédure
d’asile. La Commissaire a relevé avec inquiétude que plusieurs rapports
récents d’organisations de la société civile, étayés de nombreux
témoignages, faisaient état de telles opérations de renvoi. Elle
a également noté qu’en juin 2017, des allégations documentées analogues
avaient amené son prédécesseur à exprimer ses préoccupations
et l’Ombudsman grec à lancer une
enquête d’office sur cette pratique présumée.
25. À la suite de multiples réunions et échanges avec des défenseurs
des droits de l’homme dans toute l’Europe, la Commissaire aux droits
de l’homme a aussi fait part de ses inquiétudes face à la remise
en question croissante du travail mené par ces organes et d’autres
acteurs de la société civile, notamment en ce qui concerne la protection
des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants. Elle a formulé
plusieurs recommandations quant à l’importance du travail accompli
par les ONG et la société civile dans le domaine des migrations
et à la nécessité pour elles de pouvoir œuvrer dans un environnement
propice à leur action.
3.1.3. Représentant
spécial du Secrétaire Général sur les migrations et les réfugiés
26. Après sa visite dans la région,
le Représentant spécial du Conseil de l’Europe sur les migrations
et les réfugiés a rendu public un rapport dans lequel il recense
les problèmes d’accès au territoire et aux procédures d’asile en
Serbie et en Hongrie, et indique que les pratiques signalées soulèvent
des préoccupations sur le terrain de l’article 4 du Protocole no 4
à la Convention
. Lors d’un échange de vues tenu avec
la commission le 26 mars à Paris, le Représentant spécial a présenté
son rapport à venir, dont les éléments complètent les conclusions
de ma propre mission dans la région et offrent des points de comparaison
avec celles-ci.
27. En ce qui concerne l’Espagne, en septembre 2018, le Représentant
spécial a publié un rapport sur sa visite d’étude effectuée dans
le pays en mars 2018
, dans lequel il se montrait critique
à l’égard des conditions de vie médiocres qui règnent dans les enclaves
espagnoles de Ceuta et Melilla. En ce qui concerne l’empêchement
d’accès au territoire, il a également rappelé «les questions que
soulèvent (…) au regard du droit de demander l’asile et du respect
du principe de non‑refoulement», «les pratiques impliquant l’échange d’informations
entre la police des frontières et les autorités compétentes d’un
pays voisin lorsque des personnes sont soupçonnées de chercher à
franchir illégalement une frontière, et sur les mesures prises ultérieurement
par les autorités du pays voisin pour intercepter des migrants et
des réfugiés avant le passage de la frontière»
.
3.2. Nations
Unies
28. Tandis que l’article 3 de la
Convention implique l’interdiction absolue du refoulement, l’article
33 de la Convention des Nations Unies sur les réfugiés interdit
d’expulser «de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières
des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison
de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance
à un certain groupe social ou de ses opinions politiques». L’article
33.2 laisse une certaine marge d’exception s’agissant de personnes
qui représentent un risque sérieux pour la sécurité publique.
29. Selon le HCR, les demandes d’asile devraient «être examinées
dans le cadre de procédures spécialement établies, par un personnel
qualifié qui possède les connaissances et l’expérience nécessaires
et qui comprend les difficultés et les besoins particuliers de l’auteur
de la demande». L’application concrète de cette recommandation est
expliquée en détail dans le «Guide pour la protection internationale
des réfugiés et le renforcement des systèmes d’asile nationaux»
.
30. En vertu de l’article 3 de la Convention des Nations Unies
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants: «Aucun État partie n’expulsera, ne refoulera, ni
n’extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs
sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.»
31. L’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques interdit l’emploi de la torture ou de peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants. Selon le Comité des droits de l’homme
des Nations Unies, «[l]es États parties ne doivent pas exposer les
personnes au risque de torture ou de peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants à l’occasion de leur renvoi dans un autre
pays sous forme d’extradition, d’expulsion ou de refoulement».
32. Le HCR, en partenariat souvent avec l’OIM, assure une présence
sur le terrain dans tous les pays où des revois ont été confirmés
ou allégués. L’aide apportée par l’organisation, tant en ce qui
concerne les informations fournies sur des cas particuliers que
les éléments d’orientation dont j’ai bénéficié au cours de ma mission
d’information, a été essentielle à l’élaboration du présent rapport.
Bien que le HCR ne participe pas à la gestion des frontières, il
est confronté quotidiennement et de manière intensive aux conséquences
de la rétention d’un grand nombre de migrants dans les zones de
transit et les centres d’accueil, et est par conséquent bien placé
pour attester des incidents qui s’y produisent.
3.3. Union
européenne
33. L’article 18 de la Charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne garantit le droit d’asile
aux migrants, tandis que son article 19 interdit les expulsions
collectives. Cet article précise que «[n]ul ne peut être éloigné,
expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il
soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines
ou traitements inhumains ou dégradants». Ces articles peuvent aussi
s’appliquer de manière extraterritoriale, par exemple si des agences
de l’Union européenne sont à l’œuvre en dehors du territoire de
l’Union européenne.
34. La Directive «qualification» traduit dans le droit de l’Union
européenne l’interdiction du refoulement, telle que la définissent
la Convention des Nations Unies sur les réfugiés, ainsi que l’article
3 de la convention dans le droit subsidiaire de l’Union européenne,
en interdisant aux États membres d’expulser un individu vers un pays
où il risque réellement d’être persécuté. L’article 78 du Traite
sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) précise que l’Union
européenne élabore une politique commune en matière d’asile, de protection
subsidiaire et de protection temporaire visant à «assurer le respect
du principe de non-refoulement. Cette politique doit être conforme
[à la Convention de Genève de 1951 et à son protocole], ainsi qu’aux
autres traités pertinents».
35. L’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes
(Frontex) a pour mission d’aider «les États membres de l’Union européenne
et les pays associés à l’espace Schengen à gérer leurs frontières
extérieures. Elle contribue également à harmoniser les contrôles
aux frontières au sein de l’Union européenne. Elle facilite la coopération
entre les autorités de surveillance des frontières dans les différents
pays de l’Union européenne, en leur fournissant une expertise et
un soutien technique». Frontex a un mandat de coopération avec des
pays tiers, qui sera développé davantage dans son nouveau mandat
. L’agence a récemment été accusée
de complicité dans les expulsions de migrants depuis la côte italienne
vers la Libye
, ainsi que d’avoir directement participé
à de violentes opérations de renvoi à la frontière terrestre le
long de l’Evros entre la Turquie et la Grèce, au cours desquelles
les personnes ont été frappées et dépouillées de leurs biens
.
36. Dans un rapport de 2013, l’ONG Pro Asyl a accusé Frontex de
complicité de «renvois maritimes» entre la Grèce et la Turquie,
car la plupart des opérations de renvoi ont eu lieu dans sa zone
opérationnelle
. Plus précisément,
le rapport accuse Frontex de procéder à des opérations illégales
conçues pour déceler, dissuader et intercepter les migrants qui
souhaitent déposer une demande d’asile en Grèce
.
Les questions posées concernant le rôle de Frontex dans les renvois
de la Hongrie vers la Serbie montrent que le problème de complicité
se pose toujours
.
37. En décembre 2018, des agents de Frontex ont été déployés à
la frontière entre la Croatie et la Bosnie
. Des séquences vidéo récemment publiées
montrent un avion de Frontex observant une camionnette utilisée pour
le trafic de migrants vers la Croatie. Les trafiquants ont ensuite
été arrêtés et les migrants expulsés vers la Turquie, ce qui soulève
un certain nombre de questions sur la complicité de Frontex avec
les opérations de renvoi menées par la Croatie. Au cours de ma visite
en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, la police croate m’a précisé
l’étendue de la coopération avec Frontex ainsi qu’avec l’Union européenne.
La participation de Frontex à la gestion des frontières contribue
à la réduction des cas de violences policières sur un plan général
, et les activités
de formation de la police financées par l’Union européenne constituent
un facteur important du contrôle aux frontières. Il semble toutefois
que l’agence devrait faire davantage pour assurer la sécurité et
le traitement humanitaire des personnes qui tentent de franchir
les frontières dans cette région (voir ci-dessous la partie consacrée
à la Croatie).
4. Les
cas de mesures de renvoi
4.1. Renvois
depuis des États membres de l’Union européenne vers des pays extra
européens
4.1.1. Frontière
entre le Maroc et l’Espagne à Ceuta et Melilla
38. En 2015, l’Espagne a modifié
sa loi relative aux ressortissants étrangers, qui prévoit désormais
que «les ressortissants étrangers dont la tentative de franchissement
illégal des éléments controversés de la frontière de Ceuta et de
Melilla a été constatée peuvent être refoulés pour éviter leur entrée
en situation irrégulière en Espagne»
. Bien qu’il s’accompagne de dispositions
visant à garantir le respect des obligations internationales en
matière de droits de l’homme, l’amendement a dans la pratique permis
au Gouvernement espagnol de justifier des expulsions collectives.
39. La même année, le Comité des droits de l’homme des Nations
Unies a fait part de ses préoccupations au sujet de la pratique
du refoulement sommaire aux frontières de Ceuta et Melilla. Le Comité
s’inquiétait également de la modification de la loi relative aux
ressortissants étrangers, en constatant que les expulsions étaient
effectuées sans garantie suffisante du respect du principe de non-refoulement
et que les demandeurs d’asile qui n’étaient pas Syriens, ainsi que
ceux originaires d’autres pays arabes étaient privés du droit d’accès aux
bureaux des services d’asile sur place. Le Comité s’est déclaré
alarmé par les informations faisant état de mauvais traitements,
tant de la part des autorités espagnoles que marocaines, lors des
expulsions des enclaves.
40. En juillet 2018, l’Espagne a renvoyé 116 migrants africains
subsahariens qui étaient parvenus à franchir la clôture installée
le long de la frontière à Ceuta et Melilla
, et 6 000 migrants au total sont
entrés dans les enclaves espagnoles. Les migrants qui entrent en
situation irrégulière à Ceuta et Melilla sont hébergés dans les
Centres de séjour provisoire des immigrés (Centro de Estancia Temporal
de Inmigrantes, CETI), placés sous l’autorité du ministère de l’Emploi
et de la Sécurité sociale. Ces centres sont ouverts mais les demandeurs d’asile
ne peuvent être transférés sur le continent, ce qui signifie qu’ils
sont nombreux à demeurer dans ces enclaves de 8,5 ou 12 km² pendant
toute la durée de la procédure d’asile. Selon Human Rights Watch,
«[l]es migrants sont hébergés dans des conditions médiocres dans
les centres d’accueil et leurs demandes d’asile se heurtent à un
certain nombre d’obstacles. Les refoulements sommaires des enclaves
se sont poursuivis [en 2018]»
. Human Rights Watch fait également
état de la surpopulation et de l’incapacité des autorités à prévenir
les violences commises par d’autres migrants sur les demandeurs
d’asile LGBTQ
.
41. L’attitude de l’Espagne à l’égard des migrants qui entrent
en situation irrégulière sur son territoire a conduit certaines
personnes à agir de manière drastique: plus de 700 migrants ont
tenté de prendre violemment d’assaut la clôture frontalière de Ceuta
en juillet 2018
. Malgré la critique généralisée
dont sa politique fait l’objet, le ministère espagnol de l’Intérieur
a récemment déclaré qu’il n’était pas prévu dans l’immédiat de mettre
un terme aux refoulements sommaires
.
4.1.2. Renvois
depuis la Pologne vers le Bélarus
42. La Cour européenne des droits
de l’homme a pris des mesures provisoires à l’encontre de la Pologne dans
plusieurs affaires concernant des renvois vers le Bélarus en 2017
. La même année, 34 plaintes ont
été enregistrées par le Tribunal administratif de Voïvodine, et
la Cour administrative suprême a récemment jugé que les notes officielles
distribuées et signées seulement par les garde-frontières justifiant
les décisions de refus d’entrée, faisant état d’activité économique
comme seul motif d’entrer sur le territoire, n’étaient pas crédibles.
Les requérants dans les affaires devant la Cour européenne des droits
de l’homme ont allégué avoir été renvoyés plusieurs fois au Bélarus
(dans un cas, 28 fois!), même après l’adoption des mesures provisoires de
l’article 39 les autorisant à demander l’asile en Pologne. Malgré
cela, tous les requérants se trouvaient toujours au Bélarus au moment
de la communication et aucune de ces affaires n’avait été jugée
à la date de l’établissement du présent rapport.
4.1.3. Renvois
et “retenus” entre l’Italie et la Libye
43. Dans le cadre d'un accord de
2008 entre l'Italie et la Libye visant à empêcher la migration irrégulière
de Libye vers l'Italie, l'Italie a mené plusieurs opérations navales
au cours desquelles elle a intercepté des migrants en situation
irrégulière et les a renvoyés en Libye. Celles-ci ont été condamnées
par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire
Hirsi Jamaa. L’accord a été suspendu
en 2011, mais en février 2017 un nouveau protocole d'accord prévoyait
un soutien de la part de l'Italie aux garde-côtes libyens pour l'interception
de bateaux de migrants essayant de passer de la Libye vers l'Italie.
Dans ce contexte, une requête a été déposée devant la Cour européenne
des droits de l’homme, faisant valoir que l'Italie était responsable
d'un incident de sauvetage mortel en novembre 2017, dans lequel
les garde-côtes libyens auraient interféré dans les tentatives du
navire d’une ONG de porter secours à 130 migrants d'un dériveur
en train de sombrer. Au moins 20 migrants sont morts et des survivants
ont subi de graves violations des droits de l'homme en Libye. La
requête a été déposée par le Global Legal Action Network (GLAN)
et par l'Association d’études juridiques sur l’immigration (ASGI)
et elle est en cours d'examen
.
44. Dans la
Résolution
2228 (2018) de l'Assemblée sur l'impact de la «dimension extérieure»
de la politique d'asile et de migration de l'Union européenne sur
les droits de l'homme: loin des yeux, loin des droits?, le paragraphe
11.3 demande au Gouvernement italien «d'enquêter de manière approfondie
sur les allégations d'experts et d'ONG internationales, telles qu'Amnesty
International, concernant le renvoi ver la Libye de migrants interceptés
en mer dans la zone italienne de recherche et de sauvetage, ainsi
que la collusion entre les gardes-côtes libyens et les passeurs
en Méditerranée». La situation s'est plutôt aggravée depuis la publication
de ce rapport, les tensions politiques en Libye s’étant accrues
et les ONG n’étant plus autorisées à mener des opérations de recherche
et de sauvetage en mer Méditerranée.
4.2. Renvois
depuis l’Union européenne vers des États membres du Conseil de l’Europe (frontières
Schengen et extérieures à l’espace Schengen)
4.2.1. Renvois
entre la Grèce et la Turquie
45. En avril 2017, quelque 3 600
demandeurs d’asile ont tenté de franchir l’Evros qui sépare la Turquie
de la Grèce
. Fin juillet 2017, 9 480 personnes
avaient tenté de traverser ce fleuve et au 31 décembre 2018, le HCR
avait recensé 18 014 enregistrements au total à la frontière terrestre
. Des opérations de renvoi vers la Turquie
ont été fréquemment signalées depuis le milieu de l’année 2017 sur
la frontière de l’Evros
. Human Rights
Watch a accusé les autorités grecques de procéder à cette frontière
au refoulement sommaire des migrants, qui auraient été frappés,
dépouillés de leurs biens et soumis à des mauvais traitements par
«des forces en uniformes et masquées, dépourvues d’insignes identifiables»
. Ces informations ont été corroborées
par d’autres médias
.
46. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
a demandé à plusieurs reprises à la Turquie de veiller au respect
des droits de l’homme, en particulier dans le cadre de la mise en
œuvre de l’accord UE-Turquie conclu en 2016
.
47. En février 2018, le Conseil grec pour les réfugiés a indiqué
que «des familles nombreuses, des femmes enceintes, des victimes
de torture et également des mineurs» étaient refoulés à la frontière
de l’Evros. Selon cette instance, «leurs témoignages présentent
un élément commun: leur détention arbitraire dans les commissariats
de police, dans des conditions d’hygiène extrêmement déplorables,
le recours à la violence et leur transfert ultérieur, entassés dans
des fourgons, jusqu’au bord du fleuve qu’ils franchissent dans des embarcations
surchargées où ils risquent leur vie en violation des droits de
l’homme fondamentaux»
. En décembre 2018, en collaboration
avec les ONG grecques ARSIS et Human Rights 360, le Conseil grec
pour les réfugiés a publié un rapport de suivi faisant état d’allégations
persistantes de telles pratiques
.
48. En avril 2018, à l’issue d’une visite en Grèce, le Comité
européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe a fait les
déclarations suivantes concernant les postes de police et de garde-frontières
dans la région de l’Evros: «Plusieurs étrangers avec lesquels il
s’est entretenu en privé dans trois lieux de rétention ont fait
des allégations crédibles concernant des opérations de refoulement
lors desquelles des étrangers arrivés à la frontière grecque en
traversant l’Évros auraient été renvoyés par bateau en Turquie,
sur l’autre rive du fleuve, après avoir été arrêtés par la police
et les gardes-frontières grecs. Certains ont affirmé avoir été brutalisés,
par exemple, avoir été frappés à la tête avec une matraque, par
des policiers et des gardes-frontières ou par des membres de commandos (para)militaires
au cours de ces opérations de “renvoi”. (…) le CPT estime que, du
moins jusqu’à début mars 2018, ces personnes n’étaient effectivement
pas protégées contre le risque de refoulement. Le Comité recommande
aux autorités grecques d’agir pour prévenir toute forme de “renvois”
et effectivement protéger les ressortissants étrangers contre le
risque de refoulement
.»
4.2.2. Renvois
depuis la Hongrie
49. Les modifications apportées
à la législation, qui sont entrées en vigueur le 5 juillet 2016,
autorisent la police hongroise à refouler automatiquement les demandeurs
d’asile interpellés jusqu’à 8 km de la frontière avec la Serbie
ou de la frontière avec la Croatie, en les privant de la possibilité
de déposer une demande d’asile
. En conséquence, du 5 juillet au 31 décembre 2016,
l’accès au territoire hongrois a été refusé à 19 057 migrants à
la frontière entre la Hongrie et la Serbie (c’est-à-dire qu’ils
ont été empêchés d’entrer sur le territoire ou ont été reconduits
à la frontière). L’entrée irrégulière sur le territoire hongrois
par un franchissement de la clôture installée à la frontière est
passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement
et/ou d’une ordonnance d’expulsion. Le dépôt d’une demande d’asile
n’a aucun effet suspensif sur la procédure pénale, ce qui est contraire
à l’article 31 de la Convention de Genève de 1951
.
50. D’autres réformes de la législation adoptées en mars 2017
et en 2018 ont autorisé successivement les autorités à reconduire
à l’extérieur de la clôture qui délimite la frontière avec la Serbie
les migrants en situation irrégulière trouvés sur l’ensemble du
territoire hongrois et à incriminer les personnes et organisations considérées
comme ayant facilité le franchissement illégal de cette clôture
. En 2017, 9 136 migrants ont été refoulés
du territoire hongrois jusqu’à l’extérieur de la clôture installée
le long de la frontière avec la Serbie. Le seul moyen juridique
offert aux migrants qui traversent les Balkans d’entrer sur le territoire
hongrois consiste à déposer une demande d’asile dans l’une des «zones
de transit» établies le long de la frontière entre la Serbie et
la Croatie. Mais le nombre de migrants autorisés à entrer sur le
territoire hongrois est en pratique extrêmement faible. La Hongrie
applique la politique de refus d’entrée aux zones de transit, où
en janvier 2018, seul un demandeur d’asile par jour et par zone
de transit, cinq jours par semaine (soit au total 10 personnes par
semaine) était autorisé à entrer sur le territoire hongrois par
chacune des deux zones de transit.
51. Médecins sans Frontières fait état de centaines de lésions
infligées par les gardes-frontières hongrois, notamment sous forme
de morsures de chiens, d’irritations provoquées par les pulvérisateurs
de gaz poivre et de contusions causées par des voies de fait
; l’ONG indique par ailleurs que
76 % des mineurs traités par ses médecins désignent les autorités
étatiques comme les principaux auteurs des violences qu’ils ont
subies
. Human
Rights Watch fait remarquer que «[l]es demandeurs d’asile sont retenus
indéfiniment dans des camps frontaliers dans des conditions déplorables,
sans possibilité de contester leur rétention. Ils sont victimes
de violences lors des opérations destinées à les refouler à la frontière
et leur accès effectif à l’asile est restreint»
; «[e]n août, les autorités avaient
limité l’entrée quotidienne des demandeurs d’asile à un ou deux
demandeurs par jour, ce qui laissait des milliers de personnes bloquées
en Serbie dans de piètres conditions»
. À l’occasion d’une visite en Hongrie,
le CPT a déclaré que les lésions constatées sur le corps des personnes avec
lesquelles il s’était entretenu confirmaient les coups portés aux
migrants signalés lors des opérations de renvoi
.
52. La Hongrie a récemment adopté une mesure dissuasive connexe,
à savoir la privation de nourriture de ressortissants de pays tiers
détenus dans les zones de transit mise en évidence à la mi-août 2018.
Après plusieurs mesures provisoires ordonnées par la Cour européenne
des droits de l’homme à la suite de plaintes formulées par le Comité
Helsinki hongrois, le Bureau hongrois de l’immigration et de l’asile
s’est engagé à distribuer des vivres à tous les demandeurs d’asile
présents dans les zones de transit. Mais le 8 février 2019, les
parents d’une famille irakienne de cinq personnes retenues dans
une de ces zones ont été privés de nourriture pendant cinq jours
par le Bureau de l’immigration et de l’asile, jusqu’à ce que la
Cour prenne une autre mesure provisoire ordonnant de mettre fin
à cette pratique. À ce jour, entre février 2019 et le 23 avril 2019,
le Comité Helsinki hongrois a dû demander l’adoption de mesures
provisoires au cas par cas dans huit affaires concernant 13 personnes
affamées dans les zones de transit, portant à 13 depuis août 2018 le
nombre d’épisodes de privation de nourriture et à 21 le nombre de
personnes concernées
.
53. Comme mentionné ci-dessus, des familles afghanes ont récemment
été renvoyées en Serbie. Selon le Comité Helsinki hongrois, 11 ressortissants
afghans résidant dans la zone de transit de la Hongrie étaient confrontés
au choix de retourner à Kaboul ou de franchir la frontière avec
la Serbie. Le HCR a qualifié cette action de «violation flagrante
du droit international et du droit de l'Union européenne», appelant
Frontex à s'abstenir de toute coopération dans le cadre de ces opérations
de retour conjointes
.
54. La prolifération des «chasseurs frontaliers» non officiels,
qui ont ensuite été intégrés à la police hongroise des frontières,
constitue également un problème en Hongrie. Selon MSF, ces groupes
favorisent l’expression «d’un discours xénophobe et de la violence
à l’encontre des réfugiés, des demandeurs d’asile et des autres
migrants présents dans le pays»
. D’autres milices violentes ont également
été signalées aux frontières de la Bulgarie et de la Slovénie.
4.2.3. Renvois
depuis la Croatie (pays candidat à l’adhésion à Schengen) vers la
Bosnie-Herzégovine
55. En 2017, Human Rights Watch
a signalé que la police croate expulsait violemment les migrants
vers la frontière serbe, sans leur donner la possibilité de déposer
une demande d’asile. Les migrants ont affirmé qu’ils étaient agressés
et dépouillés de leurs biens
. L’ONG a indiqué de même que les
autorités croates expulsaient violemment les migrants vers la Bosnie-Herzégovine
et a publié des entretiens qu’elle
a eus avec plusieurs migrants, qui affirment que «la police croate
les a expulsés en Bosnie-Herzégovine sans respecter les formes régulières,
après les avoir détenus au fin fond du territoire croate. Seize
d’entre eux, dont des femmes et des enfants, ont déclaré que la
police les avait frappés à coups de matraque, à coups de pied et
à coups de poing, leur avait dérobé leur argent et avait volé ou
détruit leurs téléphones portables».
56. Le Centre pour les droits de l’homme de Belgrade et l’ONG
International Aid Network ont publié un rapport intitulé «Documenting
Abuse and Collective Expulsions of Refugees and Migrants» (Documenter
les mauvais traitements et les expulsions collectives de réfugiés
et de migrants) qui présente des données sur les renvois de migrants
et de réfugiés et les violences à leur encontre perpétrées par la
police des frontières croate. Ces données ont été recueillies selon
les exigences du Protocole d’Istanbul, y compris les expertises médico-légales
rendues dans des cas individuels
.
57. Ces affirmations ont été corroborées par plusieurs autres
organisations internationales et associations de la société civile.
Selon la base de données Asylum Information Database (AIDA) «les
ressortissants afghans, mais également irakiens, pakistanais, syriens
et d’autres pays encore n’ont pas eu accès à la procédure d’asile,
alors que certains d’entre eux avaient contacté explicitement et
à plusieurs reprises la police croate en faisant part de leur souhait
de demander à bénéficier d’une protection internationale»
. Les méthodes employées par la police
croate ont été décrites en détail dans un rapport commun de l’ONG
No Name Kitchen et d’autres associations de la société civile, qui
indique que les migrants sont privés du droit de déposer une demande
d’asile.
58. En décembre 2018, No Name Kitchen a fait état, documents à
l’appui, de trois cas de personnes interpellées en Slovénie et refoulées
en Croatie puis en Bosnie
; le HCR a lui aussi signalé des cas de renvoi de
la Slovénie
.
De janvier à août 2018, 140 personnes ont indiqué avoir été refoulées
de Roumanie. En Bulgarie, des migrants et des demandeurs d’asile
ont été expulsés vers la Turquie sans respect des voies légales.
Là encore, les migrants indiquent avoir été frappés, agressés à
l’aide de chiens et dépouillés de leur argent, de leur téléphone
portable, de leurs aliments, de leurs boissons et d’autres objets.
Le franchissement des frontières bulgares a augmenté en 2018 et,
entre les mois d’août et d’octobre 2018, 2 416 personnes au total
ont été retenues par les autorités bulgares. En novembre, la Bulgarie
et la Grèce ont collectivement refoulé 11 000 migrants, un grand
nombre d’entre eux ayant été volés, battus et dépouillés de leurs
aliments et de leurs biens avant d’être expulsés vers la Turquie.
4.2.4. Un
examen plus approfondi: les conclusions de ma mission effectuée
en Croatie et en Bosnie-Herzégovine du 26 au 29 mars 2019
59. La Croatie possède la plus
longue frontière terrestre extérieure avec l’Union européenne qui
s’étend sur 1 300 km au total dont 1 100 séparent le pays de la
Bosnie-Herzégovine. Les autorités rencontrées au cours de notre
visite ont souligné les raisons pour lesquelles les contrôles stricts
aux frontières sont devenus une priorité tant pour le pays que pour
l’Union européenne, à savoir la fermeture des corridors humanitaires traversant
les Balkans et les frontières hermétiques érigées par la Hongrie
et la Slovénie voisines, ainsi que la responsabilité qui incombe
à la Croatie en tant que candidat à l’adhésion à l’espace Schengen.
D’après les autorités, la Croatie est quasiment prête à intégrer
l’espace Schengen, la frontière serbe étant désormais sécurisée
et la majorité des problèmes concernant la frontière bosniaque,
malgré la fermeture de ces deux frontières. Les interlocuteurs rencontrés
ont également attiré mon attention sur le fait que les conséquences du
déplacement de quelque 750 000 personnes pendant la guerre en ex-Yougoslavie
se faisaient encore sentir.
60. La Croatie a soutenu le Pacte mondial des Nations Unies pour
des migrations sûres, ordonnées et régulières adopté en 2018, l’approche
multilatérale qu’il représente, ainsi que l’insistance mise sur
la nécessité d’écouter et d’entendre les pays de transit et de destination.
La Croatie elle-même a accueilli 150 Syriens relocalisés depuis
la Turquie en 2018, et une centaine d’autres à ce jour en 2019,
sous la direction du ministère de l’Intérieur.
61. Selon le gouvernement croate, très peu des demandeurs d’asile
potentiels arrivant à la frontière souhaitent rester en Croatie.
La grande majorité d’entre eux tentent d’entrer clandestinement
pour éviter le relevé de leurs empreintes digitales. En 2017, 70 %
des personnes enregistrées en tant que demandeurs d’asile ont quitté
la Croatie avant la fin de la procédure d’asile. Au cours de mes
visites dans les camps de Velika Kladuša et Bihać en Bosnie-Herzégovine,
j’ai appris qu’une grande diversité de nationalités est présente dans
les camps, parmi eux des ressortissants d’Afrique du Nord, de la
Syrie, de l’Afghanistan, de la Somalie, de l’Erythrée et de l’Iraq.
Cette diversité montre encore plus clairement qu’une partie d’entre
ces personnes pourrait bénéficier d’une protection, malgré le fait
qu’un examen individuel des besoins en protection est toujours requis.
62. Les autorités avec lesquelles je me suis entretenue lors de
ma visite ont toutes convenu de l’importance de réformer le Règlement
de Dublin, concernant le principe du premier pays d’entrée dans
l’Union européenne pour les demandes d’asile. Si le système avait
été mis en œuvre strictement, 600 000 demandes d’asile auraient
été déposées en Croatie (pendant la période où le Règlement de Dublin
n’a pas été appliqué en Grèce et en Italie) alors que dans les faits,
seules 150 l’ont été durant ce laps de temps. Dans ses arrêts AS (C-490/16) et Jafari (C-646/16), la Cour européenne
des droits de l’homme a interprété les critères d'entrée irréguliers du
Règlement de Dublin à la lumière de la pratique des autorités slovènes
lors du franchissement important des frontières 2016 pour faciliter
les transferts vers l'Autriche et d'autres pays. La Cour a estimé
que ce franchissement était toujours irrégulier et qu'il n'y avait
donc aucune raison de ne pas appliquer l'article 13 du Règlement
du Dublin. Bien qu'en 2018 d'autres États membres aient demandé
un transfert de Dublin vers la Croatie dans 1 263 cas, le nombre
de transferts effectifs vers la Croatie au cours de cette année
a été de 126.
63. Le gouvernement croate s’est dit fortement irrité par certains
aspects des négociations sur le Règlement de Dublin, notamment la
possibilité de mener des procédures d’asile et à la frontière dans
les centres de contrôle des États côtiers. La Croatie ne rencontre
pas de problèmes dans les régions côtières et rejette l’idée d’ouvrir
un passage maritime pour les migrants.
64. L’Union européenne alloue à la Croatie une aide financière
pour répondre aux besoins fonctionnels techniques du pays, dont
7 millions d’euros pour la surveillance des frontières et 6,8 millions
supplémentaires pour les actions de formation; ce soutien est toutefois
jugé insuffisant compte tenu des enjeux. Un accord opérationnel
conclu avec Frontex a permis de mettre en place une surveillance
aérienne à la frontière, et 20 agents ont été affectés au traitement
des procédures d’asile. La Croatie a amélioré sa gestion des frontières au
point qu’elle est désormais en mesure d’apporter son expertise à
la Serbie et à la Macédoine du Nord.
65. Un autre point essentiel a trait à la conclusion d’accords
de réadmission avec les pays d’origine, mais les pourparlers avec
l’Afghanistan, le Pakistan et l’Iran n’ont pour l’heure pas donné
de résultats faute d’incitation pour ces pays. Un accord de réadmission
avec la Bosnie-Herzégovine est en cours d’élaboration, bien que
les autorités bosniaques soient réticentes à reprendre les migrants
en l’absence d’éléments de preuve très précis de leur présence antérieure.
Un accord passé avec la Serbie est actuellement suspendu. Les politiques
de libéralisation du régime des visas menées dans d’autres pays
sont source de problème pour ceux situés plus au centre de l’Europe.
– Contrôle des frontières et
police
66. J’ai été en mesure de m’entretenir
directement de la question du contrôle aux frontières avec la police frontalière
croate au poste de Cetingrad, dont le chef et le responsable régional
m’ont expliqué que 80 % à 90 % des équipements et infrastructures
étaient financés par l’Union européenne. Les dispositifs de vision nocturne
à détection thermique permettent d’assurer une surveillance dans
l’obscurité et l’aéronef de Frontex basé à Zadar contrôle la frontière
et communique les informations pertinentes. Au total, 6 500 agents
ont été déployés le long de la frontière; du côté bosniaque, ils
ne sont que deux à quatre entre les différents secteurs. Quelque
620 passeurs ont été arrêtés en 2018, et la police a dénoncé un
très grand nombre de ce qu’elle a qualifié de «faux réfugiés».
67. Le travail de la police est compliqué par la nécessité pour
les habitants locaux de franchir en toute légalité la frontière,
où ils font l’objet d’un contrôle des passeports biométriques à
certains points de passage qui sont régulièrement la cible de tentatives
de franchissement par de vastes groupes d’immigrés en situation irrégulière.
Un incident de ce type a entraîné la fermeture de la frontière de
Maljević pendant une semaine en 2018 et le transfert des migrants
par autocar à Velika Kladuša (Bosnie) sans traverser la frontière
croate.
68. Un système de patrouille mixte avec la police bosniaque a
été mis en place le long de la «frontière verte» qui s’étend sur
25 km autour de Cetingrad. Les forces de police croates ont bénéficié
d’une formation sur l’accueil des personnes qui demandent une protection
internationale. Dans de tels cas, un agent des services de migration
se rend sur place pour remplir les formulaires d’enregistrement
et les personnes concernées sont ensuite conduites au centre d’accueil
de Pörin. La police a pour mission officielle de prévenir l’immigration irrégulière
et la traite transfrontalière. S’ils sont enregistrés au commissariat
de police, les migrants sont obligés de se soumettre à un relevé
d’empreintes digitales, ce que, selon la police bosniaque, la plupart
d’entre eux souhaitent éviter (encore une fois dans le contexte
de la règle du «premier pays d’entrée» du système de Dublin). Il
convient de noter que ces opérations de patrouille conjointes peuvent
avoir un effet dissuasif sur les demandeurs d’asile qui s’approchent
des points de passage frontaliers officiels et demandent une protection. Selon
la Défenseure des Droits, ces patrouilles conjointes ont pour objectif
et pour effet de décourager les migrants de s’approcher de la frontière
croato-bosniaque. Dans cette optique, il est essentiel que les informations
claires sur le droit de demander l'asile soient communiquées de
manière proactive.
69. Lors de mon entretien avec la Secrétaire d’État chargée des
affaires européennes et internationales, celle-ci m’a précisé que
les accusations de violence policière faisaient désormais l’objet
d’enquêtes au niveau ministériel et non plus en interne dans les
rangs de la police, ce qui garantit une évaluation objective des
faits susceptible de conduire à des sanctions (bien que selon d’autres
sources, aucune sanction n’ait pour l’heure été prononcée). Mais
elle a continué à nier les allégations de violence exercée par la
police des frontières et les renvois. Selon la Secrétaire d’État,
les demandeurs d’asile tentent d’éviter tout contact avec les autorités croates
afin de poursuivre leur trajet vers le nord et les pays d'Europe
occidentale.
– Rencontres avec le Bureau de
la Défenseure des Droits
70. J'ai été frappé par les importantes
divergences entre les déclarations des autorités et des acteurs
non étatiques tels que la Défenseure des Droits et les ONG. Les
autorités ont exprimé leur méfiance à l’égard des ONG, perçues comme
une remise en cause inutile de la gestion des frontières du pays,
accusant la police croate de mauvais traitements lorsque les cas
étaient extrêmement rares et encourageant dans certains cas le passage
des frontières par des migrants en situation irrégulière. D'autre
part, les conclusions du médiateur et des ONG étaient si cohérentes
et justifiées que je devais, en tant que rapporteur, les prendre
au sérieux et les enquêter.
71. Dans ce contexte, la Défenseure adjointe m'a parlé du nombre
élevé de plaintes (plus de 200) qu'elle avait déposées auprès du
ministère de l'Intérieur concernant de prétendus refoulements et
expulsions collectives de Croatie vers la République de Bosnie-Herzégovine,
mais également de Croatie vers la Serbie. Un pour cent d'entre eux
seulement a été déclaré recevable, ce qui a inquiété la Défenseure
adjointe quant au degré d'indépendance avec lequel ces plaintes
sont traitées. Bien que le ministère nous ait informés d'une nouvelle
procédure plus centralisée appliquée aux plaintes, la Défenseure
adjointe ne savait pas encore comment l'impartialité serait préservée
dans la procédure future.
72. Nombre des plaintes portaient sur les expériences de migrants
sans papiers sur le territoire croate confrontés aux autorités.
Selon leurs témoignages, ils ont été appréhendés et conduits au
poste de police. Ils affirment ne pas avoir été informés de la possibilité
de demander l'asile, mais avoir été ramenés à la frontière ou sur
le territoire de la Bosnie. Les procédures officielles de retour
en Bosnie et en Serbie n'étant pas toujours faciles, la période
de détention pouvait être longue. Ceux qui ont réussi à déposer
une demande d'asile ont dû attendre longtemps, souvent en détention.
Le nombre de personnes ayant réussi à déposer une demande d'asile
avait diminué de 40 % en 2018 par rapport à 2017. La durée de la
détention dans les postes de police était également un sujet de
préoccupation, de même que le manque de soins de santé adéquats
dans plusieurs centres de détention. Selon les témoignages et l’expérience
de la Défenseure des Droits adjointe, les circonstances de la détention
sont préoccupantes, car il n’y a pas de soins de santé disponibles quotidiennement,
car ils se limitent aux soins d’urgence, et les services de soutien
psychologique et d’interprétation manquent.
73. Les cas de refoulement présumé incluaient, par exemple, les
décisions prises à l’égard d’un vaste groupe de personnes refusées
en à peine une heure et demie, accompagnées systématiquement de
la même note pour chacune des personnes concernées à savoir «migrant
économique: ne souhaite pas rester». Habituellement dans ces cas,
les décisions ordonnaient le retour avec un départ volontaire dans
un délai de 7 jours. L’absence apparente de franchissement légal
de la frontière semble indiquer que des renvois ont eu lieu. La
demande de l’Union européenne de faire montre de «célérité» aux
frontières, même accompagnée de la nécessité d’assurer une procédure
régulière, encourage les pays de l’espace Schengen à traiter les
dossiers et à procéder à des renvois sans offrir aux intéressés
les garanties suffisantes d’un accès à l’information et à une assistance.
Par ailleurs, les règles d’application de l’Accord de Schengen permettent
aux autorités frontalières de «décourager» les personnes potentiellement
en situation irrégulière d’entrer, ce qui laisse une certaine marge
d’interprétation favorable au refoulement.
74. D’autres problèmes qui ont été évoqués par les organes indépendants,
les organisations internationales et les ONG avaient trait au non-enregistrement
de certaines personnes, à l’arrestation de migrants en tout point du
territoire et leur transfert vers les zones frontalières où les
décisions sont prises sans leur laisser le temps de former un recours,
en l’absence de services d’interprétation et d’informations quant
à leurs droits à une protection.
75. Mon entrevue avec la Défenseure adjointe croate a permis notamment
de confirmer les conclusions de la Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe concernant les obstacles (administratifs
et autres) croissants rencontrés par les défenseurs des droits de
l’homme et les ONG spécialisées dans l’aide aux migrants dans de
nombreuses régions d’Europe. À titre d’exemple, les Mécanismes nationaux
de prévention en place depuis juin 2018 exigent de produire une
demande écrite préalable du Bureau du Défenseur pour consulter des
dossiers de police spécifiques plutôt que de tenir les informations
de bases de données à disposition sans restriction. Les avocats
et les ONG voient leur accès aux personnes ayant besoin d’une assistance
réduit et leur présence est peu appréciée, voire entravée, par les
autorités. Ces restrictions illustrent qu’il est devenu plus difficile
de s’occuper de migrants qui ont besoin d’aide ou de surveiller
les pratiques aux frontières, et que l’espace démocratique s’amenuise
progressivement.
– Centre de réception des demandeurs
d’asile
76. À Zagreb, j'ai visité le Centre
d'accueil pour demandeurs d'asile avec le directeur du centre et Mme Juliette
Delescluse, coordinatrice de terrain pour la Croatie et coordinatrice
générale pour les Balkans avec Médecins du Monde Belgique, qui fournissait
des soins médicaux sur place. Le centre accueille des adultes ainsi
que des adolescents de plus de 16 ans (sur l'avis des tuteurs),
soit des demandeurs d'asile, qui restaient en moyenne jusqu'à un
an, soit des personnes en retour ou d'autres procédures dont les
séjours ne durent souvent que quelques jours. Les enfants vivant
dans les familles du centre fréquentaient les écoles locales. Des
efforts ont été déployés pour réduire les délais d’attente à six
mois. Les demandeurs d'asile sont autorisés à travailler à compter
de neuf mois après leur demande.
77. Médecins du Monde est présent depuis 2016 et fournit les soins
de santé, les premiers secours et, envoyant les patients vers des
médecins spécialistes locaux si nécessaire. Un médecin généraliste
était présent tous les jours ainsi que deux psychologues, un interprète
pour l’arabe et un pour le farsi. Un examen médical général et une
consultation psychologique étaient effectués à l'arrivée.
78. Médecins du Monde a également effectué une visite hebdomadaire
au centre de détention de Putina, entre autres, mais les autorités
étaient réticentes à fournir ou permettre des soins de santé plus
réguliers aux migrants considérés comme «seulement en transit».
L'absence de soins quotidiens impliquait un recours fréquent aux
services d'urgence, ce qui est onéreux. Cependant, la situation
s'améliorait et l'objectif était de contribuer à la mise en place
d'un système de santé publique opérationnel. 20 % des patients avaient
moins de 18 ans, 30 % étaient des femmes et 50 % des patients adressés
à des spécialistes étaient des femmes. En ce qui concerne les allégations
de violences policières, certaines personnes portaient des traces
de ces violences et ont été dirigées vers le médiateur pour qu'il
porte plainte. Les médecins locaux hésitaient à signaler les blessures
résultant des violences policières et les autorités n'avaient toujours
pas réagi aux plaintes déposées.
– Organisations non-gouvernementales
79. Lors de mon séjour à Zagreb,
j'ai pu rencontrer les ONG du Centre d'études sur la paix et Are
You Syrious, qui ont fourni une assistance juridique et d'autres
services aux migrants
. Les avocats financés par le HCR
se sont rendus dans les camps deux heures par semaine. Entre avril
et octobre 2017, des ONG avaient escorté 300 personnes jusqu'à la
frontière croate. Elles avaient demandé leur soutien et annoncé
leur arrivée à la police, mais cela avait été arrêté car cela donnait
de faux espoirs aux demandeurs d'asile d'être protégés. La volonté
des migrants de continuer leur voyage au-delà de la Croatie était
plus pressante que le Règlement de Dublin, les escorter vers les
postes frontières officielles revenait par conséquent à les forcer
à s’enregistrer là où ils ne souhaitaient pas déposer une demande.
Les autorités croates ne semblaient pas disposées à les contacter
ou à les recevoir. En outre, les autorités n’ont pas apprécié toute
action considérée comme une «ingérence» par les ONG. De plus, ces
organisations ont reçu de nombreux témoignages sur des renvois,
une part importante accompagnée de violence. Ils se sont souvenus
du cas notoire d'une fillette de six ans décédée des suites d’une
telle action, alors qu'elle était obligée, avec sa famille, de marcher
sur des voies de chemin de fer, où elle a été renversée par un train.
Lorsque ses parents ont essayé de retourner en Croatie, ils ont
été repoussés.
80. Tous les acteurs non étatiques que nous avons interrogés m'ont
informée de nombreux autres cas dans lesquels des migrants détectés
n'avaient pas été envoyés à un poste de police, mais avaient été immédiatement
amenés à la frontière ou loin sur le territoire bosniaque, ce qui
implique qu'aucun accès à une procédure d'asile n’a été proposée
et que les procédures de retour officielles ont été contournées.
Dans certains cas, cela s'est produit même avec des migrants trouvés
dans le nord de la Croatie, parfois après une procédure de réadmission
formelle appliquée par les autorités slovènes. Un élément structurel,
en particulier dans ces procédures informelles, semblait être la
manière brutale dont les renvois ont été effectués. Des biens, en
particulier des téléphones portables, ont été détruits, des personnes
intimidées et beaucoup de personnes ont rapporté avoir été victimes
de violences.
81. Les répondants ont également expliqué à quel point ces pratiques
étaient systématiques et bien documentées. Ils ont évoqué plusieurs
documentaires dans lesquels il est montré que les autorités croates maltraitent
des groupes de migrants, parmi lesquels des femmes et des mineurs,
tout en les dirigeant vers le territoire de la Bosnie. Cela a également
été confirmé par le maire de la ville bosniaque de Bihać, M. Šuhret Fazlić,
qui a affirmé avoir été confronté à des unités spéciales des autorités
croates dans les forêts du territoire bosniaque, alors qu'elles
forçaient les migrants à marcher. À d'autres occasions, le maire
a rencontré des groupes de migrants dépossédés de leurs chaussures
ou même de tous leurs vêtements, selon eux par les autorités croates.
– Situation en Bosnie-Herzégovine
82. J'ai pu visiter deux camps
situés dans le canton de Bosnie d'Una Sana, à Velika Kladuša et
le camp de Bira à Bihać, accompagnée de M. Seid Husagic, coordonnateur
de terrain principal auprès du HCR. J'ai rencontré le coordonnateur
de l'OIM dans le canton d'Una-Sana, des représentants du réseau
d'aide juridique Vaša Prava et du Conseil danois des réfugiés. J'ai
également visité le centre d'accueil familial Sedra (hôtel transformé)
géré par l'OIM et le HCR.
83. Les conditions dans le camp de Velika Kladuša étaient mauvaises,
mais on m'a informée que jusqu'en novembre 2018, il n'y avait eu
qu'un camp improvisé de tentes, alors qu'un entrepôt désaffecté
et des conteneurs fournissaient à présent un abri sec. Cependant,
malgré les efforts de l'OIM et du HCR, l’endroit était surpeuplé,
absence de possibilité de toute forme d'activité, problèmes de santé
mentale et physique visibles. Les conditions dans le camp de Bira
à Bihać étaient terrifiantes. Encore une fois, l'hébergement se faisait
dans des entrepôts, mais il y avait des fuites d'eau à l'intérieur,
une promiscuité de l’hébergement et un manque d'installations sanitaires.
Il y avait 1 600 migrants dans le camp (avec des pics récents de
près de 3 000). Selon le HCR, les soins de santé à l'extérieur des
camps étaient un problème encore plus grave qu'à l'intérieur de
ceux-ci. Les migrants venaient principalement d’Afrique du Nord,
suivis principalement par l’Afghanistan, la Syrie, l’Érythrée et
la Somalie.
84. Lors de ma visite au camp de Velika Kladuša, j'ai rencontré
une famille composée de grands-parents, de parents et de jeunes
enfants, que les autorités croates venaient de renvoyer après avoir
été repérés sur le territoire croate. Ils ont expliqué qu'ils avaient
essayé de demander l'asile mais qu'ils n'avaient pas eu la chance de
le faire. Ils semblaient épuisés, car ils auraient dû parcourir
une longue distance après avoir été largués par la police croate.
Plusieurs personnes interrogées sur le territoire de Bosnie, d'où
des migrants tentent de franchir la frontière croate à plusieurs
reprises, ont souligné que la plupart des migrants cherchaient à demander
l'asile en Croatie. Ils ont explicitement contesté la déclaration
des autorités croates selon laquelle les migrants préféreraient
être renvoyés en Bosnie afin de tenter une nouvelle tentative d’entrer
en Croatie de manière irrégulière, plutôt que de demander l'asile
en Croatie.
85. À Bihać, j'ai rencontré le maire, M. Šuhret Fazlić. Il a déclaré
que la police croate renvoyait des migrants de l'autre côté de la
frontière, en contradiction avec les procédures et les accords d'extradition.
Il y avait une zone de 8 km sur le territoire bosniaque où la police
croate était autorisée à «décourager» les personnes d'essayer d'entrer
en Croatie, mais cette distance était dépassée. Les tentatives de
fermeture de la frontière orientale de l’Union européenne ont rendu
la situation insoutenable en Bosnie-Herzégovine, des milliers de migrants
«disparaissaient» dans la région des deux côtés de la frontière,
mais surtout dans la partie bosniaque où les patrouilles de police
étaient peu nombreuses. Comme indiqué précédemment, le maire avait
souvent été témoin du fait que les autorités croates portant des
armes (il présumait qu'elles appartenaient à une unité spéciale
de la police des frontières) opéraient loin dans le territoire bosniaque
en renvoyant des migrants. Il a critiqué le caractère inhumain de
ces actes, mais également leur caractère illégal, car ils privaient
les demandeurs d'asile de leur droit à l'asile et violaient la souveraineté
de la République de Bosnie-Herzégovine.
86. Le représentant du HCR a expliqué qu'il était presque impossible
pour les migrants d'avoir accès à l'asile en Bosnie-Herzégovine.
Dans tout le pays, seuls quelques fonctionnaires (DSR) étaient chargés
de l'examen des demandes d'asile. Selon le HCR, 25 000 personnes
ont exprimé leur intention de demander l'asile. Comme beaucoup de
migrants sont bloqués dans le pays, il est important de les enregistrer
et de leur offrir protection et soutien pour se construire un avenir.
Le représentant du HCR a mentionné plusieurs obstacles de procédure:
une expression d'intention de demander l'asile expire au bout de
deux semaines, mais il est très difficile de déposer une demande
d'asile à temps en raison du manque de capacité. Le seul bureau
habilité à recevoir les demandes se trouve à Sarajevo, mais les
migrants qui se rendent à Sarajevo depuis le nord de la Bosnie ne
sont pas autorisés à retourner dans les camps situés au nord, en
raison du nombre limité de migrants dans chaque «zone» de la Bosnie-Herzégovine.
Des milliers de migrants résident en dehors des camps et n’ont aucun
accès aux soins de santé, aux informations, à l’assistance juridique
ou à la sécurité.
4.2.5. Renvois
depuis la Bulgarie (non partie à l’espace-Schengen) vers la Turquie
87. Les opérations de renvoi et
autres actions violentes semblent encore très fréquentes le long
de la frontière entre la Bulgarie et la Turquie. Selon les agences
et organisations turques, la Bulgarie et la Grèce refoulent collectivement
au moins 10 000 personnes par mois vers la Turquie. Le faible nombre
de nouveaux arrivants en Bulgarie au premier semestre 2018 suivi
d’une forte augmentation au deuxième semestre témoigne d’une coopération
transfrontalière non officielle entre les gouvernements bulgare
et turc en vue d’empêcher l’accès par cette frontière extérieure
de l’Union européenne, au moins pendant la durée de la présidence
bulgare du Conseil de l’Union européenne. Selon l’organisation Asylum
in Europe, outre les refoulements, cette coopération rend d’autant
plus difficile l’accès au territoire et à la protection internationale pour
les personnes qui en ont besoin
.
4.3. Renvois
entre États membres du Conseil de l’Europe non membres de l’Union
européenne
4.3.1. Renvois
depuis la Serbie vers la Macédoine du Nord
88. Comme l’a mentionné le Représentant
spécial du Secrétaire Général sur les migrations et les réfugiés du
Conseil de l’Europe en 2017
, l’accès au territoire
et à la procédure d’asile reste également problématique en Serbie;
il fait aussi état de renvois opérés dans les zones frontalières
avec la Bulgarie et la Macédoine du Nord, ainsi qu’à l’aéroport
international de Belgrade. Malgré l’abolition, en avril 2018, de
la pratique consistant à mettre en place des forces militaires et
de police conjointes aux frontières, les opérations de renvoi se
sont poursuivies
. Les modifications
récemment apportées à la législation comprennent également des dispositions
qui permettent de refuser l’entrée sans effet suspensif du recours.
89. Le Comité des droits de l’homme s’est dit préoccupé par le
refus d’accès au territoire opposé de manière «collective et violente»
.
De telles préoccupations ont également été exprimées par le Comité
contre la torture (CAT)
et Amnesty International
, tandis que le HCR avait signalé
ce problème pour la première fois en 2012
. En 2015, le Comité contre la torture
a recommandé à la Serbie de «mettre en place des mécanismes formalisés
de contrôle aux frontières, en coopération avec le Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés et les organisations de la société
civile»
.
90. Depuis 2017, le HCR a mis en place dans les pays des Balkans
occidentaux un système visant à superviser la protection des frontières
(BPM), qui enregistre certains des mouvements en Europe du Sud-Est, dont
les renvois. En 2018, plus de 4 400 cas de renvoi ont été recensés
dans cette région, notamment (mais pas exclusivement) entre la Serbie
et la Macédoine du Nord ou la Bosnie-Herzégovine et la Serbie, ainsi
que depuis des pays voisins, en particulier la Croatie et la Hongrie.
Cent quarante cas d’arrestations ou de détentions arbitraires durant
des opérations de renvoi ont été signalés, et les groupes de personnes
refoulées ont fait état de 848 refus d’accès à la procédure de demande
d’asile. Le système de supervision susmentionné sera employé pour
surveiller les renvois le long des routes albanaises, monténégrines,
bosniaques et croates et les contacts avec les médiateurs respectifs
seront renforcés.
4.3.2. Allégations
de mesures de renvoi entre la Géorgie et l’Arménie
91. Selon les statistiques officielles
sur le franchissement de la frontière en 2018, sur les 11 994 014 personnes
arrivées en Géorgie, 15 908 se sont vu refuser l’entrée dans le
pays (par rapport aux années précédentes, les entrées et les refus
ont progressivement augmenté: en 2017, ils étaient 11 369 817 et
7 861 respectivement). Ces personnes étaient originaires d’Afghanistan,
de Syrie, du Yémen, d’Érythrée, d’Irak et d’Iran. Les refus concernaient
principalement des ressortissants iraniens, puis des ressortissants syriens,
turcs, yéménites, afghans, irakiens, érythréens et somaliens.
92. Au cours de l’année 2018, un certain nombre de rapports non
confirmés, faisant état d’éventuels refoulements indirects, ont
été communiqués au HCR. Très peu ont donné lieu à des enquêtes et
autres mesures. L’intervention immédiate du HCR auprès du chef adjoint
de la police aux frontières a permis d’éviter le refoulement potentiel
d’un citoyen iranien. Un autre cas de refoulement indirect, confirmé
celui-ci, concerne également un demandeur d’asile iranien en Géorgie
qui a été renvoyé en Arménie. Compte tenu de ces affaires, le HCR
a conclu un accord avec le service chargé des questions relatives
aux réfugiés au département des migrations du ministère de l’Intérieur,
où les cas dont il a connaissance seront examinés et des suites
données.
4.4. Renvois
entre États membres de l’Union européenne
4.4.1. Renvois
entre la France et l’Italie (et l’Espagne)
93. Des rapports réguliers font
état de refus d’entrée opposés à la frontière franco-italienne,
sans prise en compte des besoins de protection. La France prévoit
de maintenir des contrôles à ses frontières Schengen après la fin
du mois d’avril 2019. Sur la base d’instructions qui auraient introduit
la pratique du profilage racial, la police des frontières et d’autres
forces de l’ordre déployées dans la région sont montées dans des
trains en provenance d’Italie et ont contrôlé les passagers qui
paraissaient être d’origine africaine. Les autorités françaises
ont refusé l’entrée à des personnes ayant explicitement fait part
de leur intention de demander l’asile, au motif que l’Italie est
responsable du traitement de leur demande mais sans toutefois les
soumettre à la procédure formelle prévue par le Règlement de Dublin.
94. Malgré les condamnations exprimées fermement par les organes
de suivi et les organisations de la société civile, et les décisions
de justice prononcées à l’encontre de préfectures pour défaut d’enregistrement de
demandes d’asile de personnes entrées par l’Italie, la pratique
demeure inchangée. En réponse à un rapport du contrôleur général
des lieux de privation de liberté (CGLPL), le ministère de l’Intérieur
a déclaré en juin 2018 que les refus d’entrée ne contrevenaient
pas à la loi, laissant entendre que les demandes d’asile étaient
déposées devant les autorités françaises sur le sol italien
. Les restrictions d’accès au territoire français
vont de pair avec une criminalisation de l’aide humanitaire, des
condamnations continuant à être prononcées dans certains cas.
95. En 2018, la frontière terrestre franco-espagnole est devenue
l’une des principales portes d’entrée en France. Les médias espagnols
ont fait état de renvois de migrants depuis la France vers l’Espagne
sans la mise en œuvre des garanties appropriées et au cours de procédures
menées en moins de 20 minutes. Des séquences filmées ont montré
des agents de la police des frontières en train de contrôler des
groupes de migrants à Hendaye, avant de les faire monter à bord
d’une camionnette pour les déposer ensuite à la frontière au lieu
de les remettre à leurs homologues espagnols. Les organisations
de la société civile et les collectivités locales ont dénoncé ce
qui semble être une pratique qui illustre les méthodes de la police
des frontières à la frontière franco-italienne
.
5. Recommandations
96. La mise en œuvre de mesures
et politiques de renvoi dans des États membres du Conseil de l’Europe est
attestée dans de nombreuses régions principalement concentrées aux
frontières de l’Union européenne (Schengen), sans pour autant s’y
limiter. Les refoulements collectifs représentent un déni flagrant
des droits de l’homme des personnes empêchées d’entrer en l’Europe,
à commencer par le droit d’accès à une protection, à l’information,
à une procédure régulière et à une assistance juridique.
97. Les migrants qui arrivent aux frontières d’États membres du
Conseil de Europe ne peuvent pas être soumis à un traitement inhumain
et dégradant en raison des politiques nationales appliquées. Par
ailleurs, des mécanismes opérationnels doivent permettre aux pays
européens d’éviter les souffrances humaines atroces qui touchent
tous les migrants, qu’ils soient des réfugiés, des demandeurs d’asile
ou des migrants économiques, contraints à vivre dans des conditions
insalubres et dangereuses aux frontières de l’Europe. Les retours
assistés en conformité avec le droit à la dignité humaine sont réalisables
et les bonnes pratiques devraient servir de base aux investissements
de l’Union européenne, tout en encourageant dans le même temps la
coopération au développement dans les pays d’origine, notamment
sur le continent africain, en vue de remédier aux causes profondes
des flux migratoires massifs.
98. Les projets de textes pour adoption contiennent des recommandations
concrètes qui visent à mettre fin aux politiques et pratiques des
États membres du Conseil de l’Europe en matière de renvoi. Certaines
ont déjà été formulées par des organes du Conseil de l’Europe et
par le HCR en ce qui concerne la législation applicable des Nations
Unies et de l’Union européenne. D’autres résultent des constats
que j’ai tirés de mes échanges avec des ONG comme Amnesty International
et Human Rights Watch et de mon expérience sur le terrain.
99. Ces recommandations mettent notamment l’accent sur la nécessité
d’offrir la possibilité de présenter une demande de protection aux
frontières, de bénéficier d’une aide juridique, d’informations accessibles
et compréhensibles et d’une assistance des ONG dans les lieux où
sont commises les violations des droits de l’homme (en particulier
les zones de transit situées le long des frontières). Les autorités
nationales doivent soutenir les ONG au lieu de qualifier leur action
de criminelle et de les désigner comme des obstacles ou comme des
promoteurs du trafic des migrants. L’accès des ONG et leur capacité
à agir et à assurer un suivi dans les régions frontalières devraient
être gérés, mais pas limités.
100. Le fait que les services médicaux n’aient pas accès ou ne
soient pas présents aux frontières représente un autre problème,
puisque cela signifie bien souvent que des soins médicaux ne sont
pas dispensés, mais également qu’il n’existe aucun moyen officiel
de témoigner des violences physiques qui peuvent être commises par
les gardes-frontières, et donc aucune preuve des causes de ces violences.
Les autorités affirment fréquemment que les blessures sont causées
par les migrants eux-mêmes qui se montrent violents les uns envers
les autres.
101. Une surveillance indépendante des frontières est essentielle
pour mettre fin aux pratiques de renvoi. Des accords tripartites
d‘observation entre les autorités nationales compétentes dans le
contrôle des frontières, le HCR et des ONG spécialisées en droit
d’asile de l’immigration constituent une ressource utile pour la
mise en place d’une surveillance des frontières durable. Cela ne
devrait pas exclure l’observation de frontières par des institutions
nationales de droits de l’homme et par les organisations internationales.
Tout type de surveillance des frontières devrait intégrer la possibilité
de visites à l’improviste à toutes les zones frontalières et les
rapports des exercices de surveillance devraient être publiés
102. Les allégations de violences et de mauvais traitements doivent
être enquêtées et un mécanisme de plainte prévu. Les enquêtes sur
les incidents devraient, dans la mesure du possible, être associées
à des mesures de protection des victimes présumées. Il convient
d’introduire des mesures de prévention contre les procédures informelles
de retour forcé, notamment des procédures opérationnelles standardisées
aux frontières et des règles de conduite claires.
103. Par ailleurs, le manque d’attention du public et des médias
entrave les actions en justice en raison des difficultés rencontrées
pour présenter des éléments de preuve qui puissent servir en cas
de contentieux. Les actions en justice effectivement engagées ont
été rendues possibles par le journalisme d’investigation et les documents
réunis. Les recherches devraient être intensifiées, d’autant plus
que les données satellitaires et numériques permettent d’enregistrer
de plus en plus souvent l’heure et le lieu des violations des droits
de l’homme.
104. Enfin, il est essentiel d’améliorer les mécanismes de relocalisation
pour réduire les pressions qui pèsent sur les pays aux frontières
de l’Europe, éviter le surpeuplement, les rétentions inutiles et
les conditions d’accueil généralement inacceptables des demandeurs
d’asile. Dans le même temps, il convient d’accorder une plus grande
priorité à l’intégration des personnes protégées, en généralisant
les bonnes pratiques des pays ayant fait leurs preuves dans ce processus.