1. Introduction:
une banque européenne à vocation sociale
1. La Banque de développement
du Conseil de l’Europe («la CEB» ou «la banque») est une institution discrète
mais agile, un instrument d’action pour ses États membres. De par
son statut, elle est liée au Conseil de l’Europe à titre d’accord
partiel et tout État membre peut y adhérer; 41 pays sont aujourd’hui
membres (et en même temps parties prenantes) de la CEB, dont deux
ont des relations d’une nature différente avec le Conseil de l’Europe
.
L’Assemblée parlementaire suit de plus près les travaux de la banque
depuis le début des années 1990, lorsque la CEB a transformé son
fonctionnement et intégré de nombreux nouveaux membres d’Europe
centrale et orientale.
2. Créée initialement, en 1956, sous forme de fonds
par
huit pays, la CEB s’est concentrée pendant de nombreuses années
sur l’aide au rétablissement des réfugiés et des personnes déplacées,
ainsi que sur l’aide d’urgence en cas de catastrophes naturelles.
Plus tard, les immenses besoins de développement des nouveaux États
membres ont pris le dessus, puis les séquelles des effets sociaux
de la crise financière de 2009 ont incité à une action plus étendue
afin de soutenir les populations les plus vulnérables et défavorisées. De
plus, l’afflux massif de migrants et de réfugiés de ces dernières
années a poussé certains systèmes sociaux nationaux à leurs limites,
rendant sa pertinence à la mission historique de la CEB dans le
contexte du soutien aux populations vulnérables.
3. Dans ces circonstances et compte tenu de la résurgence d’un
sentiment de rivalité en matière d’emploi et de ressources sociales,
l’appel du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe
à bâtir des sociétés
plus inclusives à travers l’Europe est au cœur même des préoccupations
des États membres. La CEB est à même d’aider les États membres – aux
côtés d’autres contributeurs – à défendre des valeurs communes et
la dignité humaine pour tous grâce à des projets de grande qualité
qui vont dans le sens du progrès social au niveau local.
4. Ce rapport de la Commission des questions sociales, de la
santé et du développement durable passe en revue les travaux de
la banque au cours des cinq dernières années, examine les suites
données aux recommandations antérieures de l’Assemblée et fait des
propositions visant à renforcer encore l’utilité, la visibilité
et la force de la CEB pour les États membres. Mon travail en tant
que rapporteure de la commission s’est basé sur des entretiens avec
des responsables de la banque et du Conseil de l’Europe, des membres choisis
du Conseil de direction (qui sont également les représentants permanents
des États membres auprès du Conseil de l’Europe), ainsi que sur
des recherches documentaires et les délibérations de la commission (notamment
le 19 mars 2019, lorsqu’elle a eu un échange de vues avec le président
du Conseil de direction de la CEB, M. Dominique Lamiot). J’ai également
effectué une visite d’information au siège de la banque, à Paris,
le 20 mars 2019.
2. Aperçu de l’action de la banque sur
la période 2014-2018: faire face aux répercussions de la crise et relever
de nouveaux défis
5. La crise financière de 2009
a profondément transformé le paysage économique européen. Les mesures d’austérité
budgétaire ont pesé sur la capacité de diverses institutions et
États à financer les projets en cours et les investissements à caractère
social. Avec le resserrement des exigences prudentielles en matière
de fonds propres et d’endettement, la CEB a dû modérer son activité
de prêt, tandis que ses clients – les États membres – étaient également
confrontés à des contraintes en matière d’emprunt et à des handicaps socioéconomiques
tels que le chômage, toujours élevé, et des taux de pauvreté en
hausse. Le ralentissement économique a réduit l’activité globale
de prêt aux pays cibles
de
la banque autour de 2012-2013, mais l’activité a ensuite repris,
notamment pour ce qui est du volume de projets approuvés. Alors
qu’il y a actuellement 194 projets en cours, il n’y a pas eu le
moindre défaut ou retard de paiement des prêts correspondants. Toutefois,
la baisse continue des taux d’intérêts sur les marchés financiers
– plus bénéfiques pour les emprunteurs – se sont traduits par la
baisse du résultat net et du Compte des dividendes sociaux de la
CEB entre 2014 et 2018 (voir tableau ci-dessous).
6. C’est dans ce contexte qu’un autre défi est apparu à la mi-2015:
celui de l’aide d’urgence et de l’intégration à long terme des migrants
et des réfugiés. En réponse, la CEB a mis en place un nouvel outil
de financement fondé sur des dons: le Fonds pour les migrants et
les réfugiés
,
dont le but est de soutenir les efforts nationaux visant à garantir
les droits humains fondamentaux, principalement par le financement prioritaire
de centres d’accueil et de transit pour les migrants et les réfugiés.
À fin 2018, les 28 millions d’euros affectés au fonds avaient permis
à la banque de soutenir 24 projets dans 14 pays; la moitié de ces
projets sont encore en cours et devraient être achevés d’ici avril 2021.
La Macédoine du Nord et la Grèce ont été les principales bénéficiaires
de ces financements, avec respectivement 6,35 millions d’euros et 5,5 millions d’euros
de dons. Parallèlement, la portée du Programme régional de logement,
déjà existant, a été élargie pour aider à la réinstallation de personnes
déplacées: fin 2018, 120 millions d’euros de subventions provenant
de ce programme avaient permis de financer des solutions de logement
pour 4 300 familles de réfugiés vulnérables en Bosnie-Herzégovine,
en Croatie, au Monténégro et en Serbie.
7. Les activités financières générales de la banque au cours
de la période 2014-2018 sont résumées dans le tableau ci-dessous:
Principales données chiffrées
sur la CEB et ses activités (en millions d’euros; données en fin
d’année)
|
2014
|
2015
|
2016
|
2017
|
2018
|
2014-2018
|
Prêts
décaissés dans l’année
dont part des pays
cibles
|
1 746
924
|
1 843
1126
|
2 037
1156
|
2 302
1150
|
2 773
1233
|
+58,8 %
+33,4 %
|
Projets
approuvés dans l’année
dont part des pays
cibles
|
2 065
1320
|
2 301
1499
|
3 451
1144
|
3 908
1448
|
3 898
1664
|
+88,8 %
+26 %
|
Encours total des prêts
|
12 992
|
13 416
|
13 715
|
14 057
|
14 883
|
+14 %
|
Capital souscrit
|
5 472
|
5 472
|
5 472
|
5 472
|
5 472
|
0
|
Capital versé
|
612
|
612
|
612
|
612
|
612
|
0
|
Réserve générale
|
1 895
|
2 030
|
2 150
|
2 255
|
2 353
|
+24,2%
|
Résultat net
|
134
|
127
|
104,9
|
112,0
|
97,5
|
-27,2%
|
Compte des dividendes
sociaux*
|
70,3
|
60,6
|
63,1
|
59,1
|
52,2
|
-25,7%
|
* Le Compte des dividendes sociaux est alimenté par les bénéfices
de la banque et peut être utilisé pour subventionner des projets
à fort impact social.
8. En termes d’activités, la CEB
s’est largement concentrée sur la cohésion sociale par le soutien
à la création d’emplois (notamment dans les petites et moyennes
entreprises), au logement social, à l’amélioration de la qualité
de vie en milieu urbain et rural, aux écoles et aux institutions
de formation professionnelle. La part des projets dans ces domaines
est restée supérieure à 76 % tout au long de la période 2014-2018.
Le financement d’équipements de santé publique et de projets respectueux
de l’environnement (y compris d’investissements dans l’efficacité
énergétique) a également été important, avec une moyenne de 8 %
et 9 % par an respectivement. Bien que l’aide d’urgence aux réfugiés,
aux migrants et aux personnes déplacées ne représente qu’un pourcentage
modeste du total, les efforts d’intégration à long terme de ce groupe
de population, ainsi que le soutien à d’autres groupes vulnérables,
sont en fait beaucoup plus importants grâce aux investissements
classiques dans les projets de cohésion sociale.
9. En ce qui concerne le nombre de pays qui empruntent activement
à la CEB, il était de 20 en 2014, 13 en 2015, 19 en 2016, 22 en
2017 et 32 en 2018. Les grands pays, qui ont contribué de manière
importante au capital de la banque, sont également de grands utilisateurs
de ses prêts, comme la Pologne, l’Espagne, la Turquie et la France,
suivis de l’Allemagne, de la République tchèque de la République
slovaque et des Pays-Bas, qui sont aussi d’importants bénéficiaires.
Certains pays sont des contributeurs nets au capital de la banque
sans lui emprunter activement (Danemark, Estonie, Saint-Siège, Kosovo*,
Liechtenstein, Luxembourg, Norvège, Saint-Marin et Suisse). Dans
le même temps, huit États membres du Conseil de l’Europe (Andorre,
Arménie, Autriche, Azerbaïdjan, Monaco, Fédération de Russie, Ukraine
et Royaume-Uni) restent en marge de l’accord partiel sur la CEB,
ne contribuant donc pas à cet outil d’investissement social et de
solidarité et n’en bénéficiant pas. Malheureusement, les perspectives
de leur adhésion semblent actuellement incertaines.
10. La banque cofinance des projets sociaux
avec ses pays
membres en mettant à disposition ses ressources propres et les fonds
levés sur les marchés financiers dans des conditions reflétant la
qualité de sa notation (AAA avec perspective stable pour Standard
& Poor’s, Aa1 avec perspective stable pour Moody’s, et AA+ avec
perspective stable pour Fitch Ratings). En 2018, par exemple, la
banque a levé 5 milliards d’euros sur les marchés internationaux
(contre 3 milliards d’euros en 2017). La CEB peut également accorder
des prêts aux institutions financières et aux collectivités locales
de ses États membres pour des projets de développement social et
durable. En 2017, elle a mis en place un nouvel instrument financier,
le prêt plurisectoriel, qui vise à donner aux collectivités locales
une plus grande flexibilité dans le financement de projets d’infrastructures
sociales portant simultanément sur plusieurs secteurs. La même année,
elle a lancé sa première obligation d’inclusion sociale, renforçant
ainsi sa capacité à financer des projets prioritaires dans les domaines
du logement social, de l’éducation et de la formation professionnelle
ainsi que de la création d’emplois. Globalement, les collectivités
territoriales ont été les bénéficiaires directes des financements
de la CEB à hauteur d’environ 33 % des prêts approuvés en 2018.
11. Au fil des ans, la CEB a conclu un certain nombre de partenariats
avec des investisseurs multilatéraux (dans le cadre d’accords bilatéraux
avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD),
la Banque européenne d’investissement (BEI), la Banque mondiale,
la Banque nordique d’investissement (NIB), la Kreditanstalt für
Wiederaufbau (KfW), le Mécanisme européen de stabilité, le réseau «100
Resilient Cities» (100RC) établi par la Fondation Rockefeller) et
des organisations internationales, principalement l’Union européenne
et plusieurs agences spécialisées de l’ONU telles que le Programme
des Nations Unies pour le développement (PNUD), tandis que les accords
de coopération avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour
les réfugiés (HCR) et l’UNICEF sont en cours de renouvellement.
Ces initiatives conjointes sont particulièrement pertinentes pour
promouvoir l’agenda social et les objectifs de développement durable
dans toute l’Europe.
12. Parmi les partenariats établis par la CEB, les relations avec
l’Union européenne sont particulièrement importantes. L’Union est
en effet le plus grand donateur de la CEB pour le soutien de projets
à fort impact social dans les pays les plus nécessiteux. Pour la
seule année 2018, l’Union a contribué à hauteur de 39,5 millions d’euros
aux fonds fiduciaires de la CEB, sur un total de 41 millions d’euros,
permettant ainsi l’octroi d’aides à divers projets en Turquie et
dans les pays des Balkans occidentaux, projets qui ont bénéficié à
plus de 5 000 personnes vulnérables, principalement des réfugiés
et des personnes déplacées dans leur pays, et portaient sur l’accès
aux soins et le logement social. De plus, plusieurs pays de l’Union
européenne ont récemment établi des fonds fiduciaires distincts
afin de renforcer l’assistance technique pour ce type de projets
(Compte slovaque pour la croissance inclusive, Fonds italien pour
les projets novateurs, Fonds espagnol de cohésion sociale)
.
En outre, avec sa Facilité de cofinancement européenne, qui est
un instrument de crédit, la CEB peut aider ses États membres à accéder
aux fonds de l’Union pour financer leurs besoins d’investissements
sociaux.
13. Un autre aspect important de l’activité de la CEB est sa relation
avec le Conseil de l’Europe et le soutien apporté à ses valeurs.
À cet égard, je tiens à mentionner le financement des réformes dans
le secteur de la justice, en particulier pour l’amélioration des
infrastructures publiques judiciaires et des conditions de détention dans
les établissements pénitentiaires. Cette dernière activité est à
peu près sans égale en Europe et aide les États membres à appliquer
les Règles pénitentiaires européennes. Pour évaluer les projets
proposés, la banque communique au besoin avec le Comité européen
pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (CPT).
14. De plus, et dans le même ordre d’idées, la CEB participe à
la rénovation d’établissements psychiatriques afin de mieux protéger
la dignité des patients, conformément aux normes européennes et
à celles de l’Organisation mondiale de la santé. S’agissant des
projets financés au titre du Fonds pour les migrants et les réfugiés,
la banque travaille en étroite coopération avec le Conseil de l’Europe
et son Représentant spécial sur les migrations et les réfugiés.
La CEB suit aussi les travaux de la Commissaire aux droits de l’homme
et se réfère régulièrement à ses conclusions, notamment à l’issue
de ses visites dans les pays, pour la sélection des propositions
de projets. Enfin, je dois signaler que le statut actuel de la CEB
ne prévoit pas la possibilité d’un soutien budgétaire direct au
Conseil de l’Europe.
3. Exemples
choisis de projets de la banque
15. Parmi les nombreux projets
cofinancés par la CEB ces dernières années, j’en ai retenu trois
pour illustrer son action. Le premier est mis en œuvre avec les
autorités françaises dans le domaine de la santé (traitement du
cancer et recherche), le deuxième a pour but de soutenir divers
investissements publics au niveau régional en Pologne et le troisième
porte sur un programme de microcrédit réalisé par une fondation
locale en Bosnie-Herzégovine et incluant une garantie via le Compte
des dividendes sociaux de la CEB.
3.1. CYCLHAD: cofinancement
du développement de traitements novateurs contre le cancer en France
16. Le projet CYCLHAD initial a
débuté en 2013 avec un prêt de la CEB de 50 millions d’euros destiné
au financement d’une action nationale qui s’inscrivait dans le plan
de lutte contre le cancer lancé en France en 2002. Ce projet a été
prolongé en 2018 par un prêt supplémentaire de 42 millions d’euros
et devrait être achevé d’ici la fin 2023. Les prêts de la CEB (couvrant
au final 48 % du coût total du projet) ont été conçus de manière
à contribuer à réduire les niveaux d’endettement des collectivités
locales (qui garantissent les prêts) et des banques consécutifs
à la crise économique et financière. Le premier de ces prêts de
la CEB a été décaissé en trois tranches sur 2015 et 2016.
17. Comme le résumé du projet l’indique, environ 355 000 nouveaux
cas de cancer sont diagnostiqués chaque année en France, dont seulement
la moitié peuvent être guéris avec les méthodes classiques de traitement
chirurgical, chimiothérapique et radiothérapique. L’Institut national
du cancer a lancé le programme France Hadron (en 2012) pour coordonner
la recherche nationale sur l’hadronthérapie. Cette méthode innovante
de radiothérapie est capable de détruire les cellules cancéreuses
radiorésistantes et inopérables en les irradiant avec un faisceau
de protons ou d’ions carbone et représente une vraie solution d’avenir.
Elle sera particulièrement utile pour le traitement des très jeunes
patients.
18. En France, le centre Archade de Caen (en Normandie) pilote
la recherche en amont sur les ions carbone, recherche financée partiellement
par l’entreprise CYCLHAD et par la CEB. Le projet a été conçu pour développer
des traitements du cancer compétitifs en termes de coûts en finançant
la construction du centre de recherche, l’achat du système d’hadronthérapie
et le développement du traitement clinique. La première phase du
projet s’est achevée fin 2018 avec l’inauguration du centre de recherche
et le début du traitement des premiers patients par protonthérapie.
Selon l’évaluation réalisée par la CEB, la mise en œuvre de cette première
phase est très satisfaisante. La deuxième phase du projet, qui court
de 2018 à 2022, a pour but de développer des options technologiques
plus abordables pour les traitements cliniques afin qu’un plus grand nombre
d’hôpitaux français puissent les acquérir et les utiliser. Pour
terminer, le prototype de traitement sera déployé et exploité par
CYCLHAD dans la troisième phase du projet, à compter de 2023.
19. Dans son avis de recevabilité, le Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe a relevé que ce projet était conforme aux objectifs
politiques et sociaux de l’Organisation (tels qu’énoncés à l’article
premier de son Statut), qui consistent notamment à favoriser le
progrès économique et social de ses membres. Il est également conforme
à la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (Convention
d’Oviedo), dont l’article 3 porte sur «l’accès équitable à des soins
de santé de bonne qualité», à la Recommandation du Comité des Ministres
CM/Rec(2012)8 sur «la mise en œuvre des principes de bonne gouvernance
dans les systèmes de santé», et aux résolutions de l’Assemblée parlementaire,
notamment à la
Résolution
1946 (2013) sur «l’égalité de l’accès aux soins de santé», qui reconnaît
que «le droit à la santé est un droit fondamental de l’être humain»
et appelle les États membres «à assurer l’accessibilité aux établissements
et aux professionnels de santé sur l’ensemble du territoire par
des mesures appropriées».
3.2. Projets
dans la région des Basses-Carpates: amélioration de la qualité de
vie et des services de santé en milieu urbain et rural
20. La CEB a approuvé en 2018 la
Facilité de financement public des infrastructures en faveur de
la Région des Basses-Carpates, l’une des plus pauvres de Pologne,
sous forme d’un prêt de 43 millions d’euros. Cette facilité se base
sur le plan financier pluriannuel de la région concernée et permettra
de soutenir toute une série de sous-projets destinés à améliorer
l’accessibilité des transports (modernisation des équipements routiers
et ferroviaires afin de réduire la congestion et d’optimiser la
sécurité) et la connectivité avec les régions et pays voisins, à
réaliser des investissements dans le patrimoine culturel (rénovation
du remarquable château-musée de Łancut et d’édifices historiques
à Krosno) et à soutenir la capacité des communes à assurer des services publics
(aménagement du territoire, informatisation et création de centres
médicaux). Le prêt de la CEB complétera les efforts de la région
et devrait porter le montant cumulé des investissements à environ 310 millions d’euros
sur la période 2018-2020
.
21. La CEB soutient la région des Basses-Carpates dans la réalisation
de ses projets depuis 2010, date à laquelle les compétences et responsabilités
des collectivités territoriales polonaises ont été étendues. Elles doivent
maintenant relever le défi financier qu’imposent la modernisation
des infrastructures locales et l’offre de services publics aussi
variés que l’éducation, la santé, l’action sociale, l’ordre public,
la culture, les transports en commun et la protection de l’environnement.
De plus, il est urgent d’exploiter pleinement le potentiel économique
de la région et de renforcer la cohésion sociale en créant un plus
grand nombre d’emplois de meilleure qualité pour la population locale.
À cet effet, une forte dose de fonds structurels et de cohésion
de l’Union européenne a déjà été injectée dans la région pour compléter
les apports locaux.
22. La Facilité de financement de la CEB permettra aux autorités
régionales des Basses-Carpates de gérer plus facilement leur propre
contribution financière aux investissements ciblés. Les sous-projets
devraient améliorer la qualité de vie des 2,1 millions d’habitants
de la région et avoir des effets positifs sur le développement durable.
Dans son avis de recevabilité, le Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe considère que les objectifs du projet sont conformes
aux droits énoncés dans la Charte sociale européenne révisée
(notamment en ce qui concerne la protection
de la santé) et aux normes défendues par la Charte européenne de
l’autonomie locale (STE n° 122).
23. De plus, ce projet fait écho aux recommandations de l’Assemblée
relatives à la priorité en matière de santé publique que constitue
la sécurité routière (
Résolution 2129 (2016)), au fonctionnement de l’administration et des services
publics (
Résolution 2008 (2014)), à l’accessibilité des soins de santé en tant que condition
essentielle de la cohésion sociale et de la stabilité économique
(
Résolution 1946 (2013)) et à l’impact de la crise économique sur les investissements
stratégiques dans les services publics aux niveaux local et régional
(
Résolution 1886 (2012)).
3.3. Le
microcrédit pour soutenir la création et le maintien d’emplois viables
en Bosnie-Herzégovine.
24. Bien que d’ampleur modeste,
le prêt-programme de 2 millions d’euros lancé en 2018 en faisant
appel à la garantie du Compte des dividendes sociaux apportera un
soutien essentiel à des microentrepreneurs en Bosnie-Herzégovine
par l’intermédiaire de la MI-BOSPO Microcredit
Foundation, affiliée au réseau Women’s World
Banking. Cette fondation travaille principalement avec
des très petites et petites entreprises appartenant à des femmes,
qui n’ont généralement pas de revenus stables et n’ont pas accès
au crédit. Ce prêt-programme contribuera à l’émancipation économique
et à l’inclusion des femmes et leur permettra d’améliorer leurs conditions
de vie. Les hommes entrepreneurs ne seront cependant pas exclus,
car la fondation peut leur accorder des financements à concurrence
de 25 % du volume de projets.
25. Le financement de la CEB dans le cadre de ce projet sera limité
à 5 100 d’euros par prêt, ce qui permettra à au moins 800 ménages
et très petites entreprises d’en bénéficier. Un aspect important
du projet est que la fondation MI-BOSPO n’apportera pas seulement
un soutien financier à ces bénéficiaires, mais aussi des conseils
en gestion d’entreprise. La formule des prêts-programmes de microcrédit
a déjà été testée avec succès en Bosnie-Herzégovine, avec une première
opération d’un montant de 2,5 millions d’euros en 2014, distribué
par une autre institution partenaire spécialisée dans le microcrédit
en Bosnie-Herzégovine
.
26. Comme les incertitudes politiques dans lesquelles se trouve
le pays freinent l’investissement étranger, il est encore plus difficile
d’amorcer le développement économique de l’intérieur. Le taux de
chômage atteignait un niveau record de 37 % en mars 2018, ce qui
pourrait dissimuler un niveau d’activité économique informelle considérable.
Les femmes sont touchées de manière disproportionnée car elles sont
souvent confinées à la maison (en raison du manque de structures
de garde d’enfants) ou sont en situation de travailleuses familiales non
rémunérées. Les retombées socioéconomiques du prêt-programme de
la CEB devraient être particulièrement importantes.
27. Il n’est pas surprenant que l’avis de recevabilité émis pour
ce projet mentionne aussi la valeur ajoutée élevée que pourrait
générer le financement de la CEB, notamment au vu des engagements
de la Bosnie-Herzégovine au titre de la Charte sociale européenne
révisée (STE n° 163) et des conclusions critiques rendues par le
Comité européen des Droits sociaux (CEDS) pour la période 2011-2014.
De plus, le projet est conforme aux objectifs de la Stratégie 2018-2023
du Conseil de l’Europe pour l’égalité entre les femmes et les hommes
et à toute une série de résolutions de l’Assemblée. Ces dernières
concernent notamment l’autonomisation des femmes dans l’économie
(
Résolution 2235 (2018)), la lutte contre les inégalités de revenus (
Résolution 2158 (2017)), les défis d’un nouveau modèle social européen (
Résolution 2068 (2015)) et la nécessité d’un travail décent pour tous (
Résolution 1993 (2014)), ou encore les dangers des mesures d’austérité pour
la démocratie et les droits sociaux (
Résolution 1884 (2012)).
4. La
gouvernance et les orientations stratégiques de la CEB au-delà de
l’horizon 2019
28. La structure de gouvernance
de la CEB reflète à la fois l’histoire de sa création (notamment
les liens avec le Conseil de l’Europe) et l’évolution des circonstances. Le Conseil de direction, composé d’ambassadeurs
des États membres (les représentants permanents de ces États auprès
du Conseil de l’Europe), est «l’organe suprême de la banque»: il
détermine les orientations générales de l’activité de la CEB, fixe
les conditions d’adhésion, élit ses hauts dirigeants et approuve
le rapport annuel, les comptes et le bilan. Le
Conseil d’administration, où siègent principalement des
représentants des ministères des finances nationaux, gère tous les
aspects financiers et approuve les projets et le budget. Le Comité de surveillance, qui
compte trois membres, inspecte les comptes et le bilan de la banque
après leur examen par un auditeur externe.
29. Le/la Gouverneur(e),
élu(e) pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois, est le/la représentant(e)
légal(e) de la CEB, dont il/elle dirige les services opérationnels.
Il/elle est assisté(e) de trois vice-gouverneur(e)s, chargé(e)s
respectivement de la stratégie financière, de la stratégie de développement social
et des pays du groupe cible. En fonction de l’issue des discussions
en cours au Conseil de direction, le nombre de vice-gouverneur(e)s
pourrait être ramené à deux, avec une nouvelle répartition de leurs
champs de compétences respectifs. Il convient de rappeler que c’est
l’une des propositions qui avaient été formulées lors de la Revue
stratégique de la CEB, en 2008, que l’Assemblée avait énergiquement
soutenue.
30. Le Gouverneur actuel, M. Rolf Wenzel, qui est à la tête de
la CEB depuis 2012, travaille sans relâche à rendre cette institution
«plus utile, plus transparente et plus efficace, pour le bien de
toutes les parties prenantes». Sous sa direction, le travail de
la CEB a encore été modernisé et rationalisé au moyen de restructurations
internes, d’un cadre prudentiel renforcé, d’une sélection en quatre
volets des projets axée sur la valeur ajoutée sociale, d’un dialogue
intensifié avec les parties prenantes et les partenaires de la CEB,
d’un renforcement des fonctions d’évaluation et d’un suivi étroit
des paramètres macroéconomiques critiques pour l’activité de la
CEB
.
31. À la suite des recommandations de cette Assemblée, qui appelaient
à «continuer à rationaliser la gouvernance de la CEB» (
Résolution 2007 (2014)), il m’est apparu qu’il n’y a toujours pas eu de progrès
vers une simplification des structures décisionnaires de la banque
et en ce qui concerne la simplification du système de vote au Conseil
de direction. Ce système pourrait donner plus de poids aux petits
et moyens pays, même si une «égalité parfaite» au sens de «un pays,
une voix» – comme c’est le cas au Comité des Ministres – ne serait
probablement pas réaliste. En fait, les droits de vote à la banque
sont corrélés directement à la part des pays membres au capital
de la banque. Il convient que la réforme de la gouvernance de la
CEB se poursuive afin de continuer à améliorer son efficience, comme
indiqué dans la Résolution 434 (2018) du Conseil de direction de
la banque, en particulier avec le réexamen, en temps utile, des
compétences, des fonctions et du nombre des vice-gouverneurs.
32. La Stratégie de la CEB pour 2017-2019 a été élaborée dans
un contexte marqué par la faiblesse persistante des taux d’intérêt
et l’évolution constante de la réglementation bancaire applicable
aux institutions financières internationales. La position adoptée
dans cette stratégie était lucide et permet à la CEB de s’adapter
aux exigences des IFRS
en
matière d’adéquation des fonds propres grâce à l’augmentation progressive
de ses réserves par l’incorporation des bénéfices annuels. Toutefois,
la CEB atteindra probablement dans les années à venir le volume
maximal de financements qu’elle peut offrir à ses États membres.
Si ces dernières veulent que la CEB continue à accroître son activité
de prêt, ils devront envisager une augmentation de capital (la dernière
ayant pris effet fin 2011). La CEB dispose actuellement d’une autorisation
d’emprunt à long terme de 5 milliards d’euros (pour l’année 2019).
33. Les lignes d’action définies dans la stratégie actuelle de
la CEB sont les suivantes: (1) la croissance durable et inclusive;
(2) l’intégration des réfugiés, des personnes déplacées et des migrants;
(3) l’action en faveur du climat par le biais de l’élaboration de
mesures d’atténuation et d’adaptation. Ces trois lignes d’action ont
le même degré d’importance, sont étroitement liées et mettent l’accent
sur les conditions sociales et environnementales des droits humains
compris au sens large. En tant que rapporteure de l’Assemblée sur
la CEB, je pense que ces trois grandes lignes d’action conservent
toute leur validité pour l’activité de la banque dans les années
à venir. Il pourrait toutefois être utile de les lier plus explicitement
aux Objectifs de développement durable des Nations Unies (ODD),
au vu de la revue thématique de la banque et de récents rapports
de l’Assemblée (
Résolution
2272 (2019) sur la «Mise en œuvre des Objectifs de développement durable:
la nécessaire synergie de tous les acteurs, des parlements aux collectivités
locales»;
Résolution
2271 (2019) sur le «Renforcement de la coopération avec les Nations
Unies dans la mise en œuvre du Programme de développement durable
à l'horizon 2030», et «Mettre fin à la violence à l’égard des enfants:
une contribution du Conseil de l’Europe aux Objectifs de développement
durable» – actuellement en préparation).
34. Dans ce contexte, et en pensant à l’avenir, je dois aussi
mentionner le rapport du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe
pour la Session ministérielle d’Helsinki, les 16 et 17 mai 2019
.
Il vient rappeler à point nommé que l’Organisation «repose sur deux
textes majeurs: la Convention européenne des droits de l’homme […]
et la Charte sociale européenne», qui sont le «pivot central» de
son développement. La défense des droits sociaux fondamentaux consacrés
par la Charte est donc la tâche primordiale du Conseil de l’Europe
et de la CEB; elle est «le ciment qui assure la cohésion de nos
sociétés» et «garantit aux Européens la possibilité de mener une
vie digne et décente». Je ne doute pas que cette importance croissante
accordée aux droits sociaux inspirera les discussions en cours au
Conseil de direction sur le prochain
Plan
de développement(2020-2022), qui
devrait être approuvé par le Conseil de direction et le Conseil
d’administration de la CEB d’ici la fin de l’année.
35. En m’appuyant sur le rapport du Secrétaire Général, je voudrais
souligner qu’il est urgent de mieux combattre les effets des inégalités
croissantes dans l’Europe d’aujourd’hui, qui pénalisent très durement
les groupes de population vulnérables. La CEB partage manifestement
cette préoccupation et a publié deux documents thématiques (“Les
inégalités en matière de logement en Europe” et “Une introduction
aux inégalités en Europe”) dont pourraient s’inspirer les décideurs
politiques. Je tiens juste à ajouter que nous devrions aussi analyser
les causes de ces inégalités et privilégier les investissements
sociaux présentant le plus fort potentiel de réduction des inégalités
profondes et de protection des populations les plus vulnérables
exposées à la pauvreté ou au risque de pauvreté.
36. Dans ce contexte, la construction d’une société plus inclusive
exige des décideurs politiques qu’ils observent de plus près les
besoins des populations les plus défavorisées en milieu urbain mais
aussi rural. C’est une mission essentielle pour la CEB et ses parties
prenantes. Le rôle que les collectivités locales peuvent jouer à
cet égard ne doit pas être sous-estimé. Les activités de prêt pourraient
être développées pour créer des centres de jeunesse à vocation multiple
qui offrent des services d’orientation professionnelle et d’aide sociale,
favorisent l’engagement civique, la diversité culturelle et l’égalité
des chances et proposent une aide pour la garde des enfants aux
familles vivant dans la pauvreté ou en risque de pauvreté. De plus,
lors de la sélection des projets en fonction de leurs retombées
sur le plan social, la CEB pourrait aussi se référer, au besoin,
aux conclusions annuelles du Comité européen des Droits sociaux
(CEDS) concernant les différents pays.
37. Au sujet des parties prenantes, je voudrais rappeler les discussions
de cette commission sur l’adhésion à la banque et les questions
des parlementaires des pays non membres sur les conditions d’adhésion
à la CEB. Il apparaît que la banque fixe les modalités d’adhésion
sur la base de la contribution des membres potentiels à l’Accord
partiel sur la CEB (qui découle du taux de contribution au budget
ordinaire du Conseil de l’Europe). En conséquence, un nouveau membre
doit acquérir sa part du capital souscrit de la CEB (constitué des
parts versées et appelables). La part versée par chaque membre représente
11,1 % de sa part souscrite au capital. De plus, tout nouveau membre
doit payer sa part aux réserves de la banque (qui sont en augmentation
constante avec l’incorporation des bénéfices annuels) – cette part
étant actuellement nettement plus élevée que la valeur de la part
respective des pays au capital versé. Pour résumer, un nouveau pays membre
doit souscrire au capital, payer une part fixe (11,1 %) à titre
de capital versé et contribuer aux réserves de la banque (dont le
montant augmente chaque année, le taux de contribution étant propre
à chaque pays).
38. Les montants à mobiliser pour adhérer à la CEB peuvent être
perçus comme un obstacle de taille en valeur absolue. Ils ne représentent
cependant qu’un investissement de départ qui permet ensuite au pays concerné
d’emprunter à la banque des montants beaucoup plus élevés à des
conditions très avantageuses. Si l’on prend l’exemple de la Pologne,
en 2018, sa part au capital versé était de 14,24 millions d’euros
et sa contribution aux réserves était environ trois à quatre fois
plus élevée, tandis que le total des fonds de la CEB (prêts en cours
et engagements de financement) en sa faveur s’élevait, fin 2018,
à 2 770 millions d’euros. Je pense que l’argument est convaincant
et que l’exemple parle de lui-même: l’adhésion à la CEB a un effet multiplicateur
considérable sur la capacité de ses actionnaires à réaliser des
projets pertinents sur le plan social. Les huit États membres du
Conseil de l’Europe qui ne font pas encore partie de la CEB devraient sérieusement
reconsidérer leur position.
39. À la suite de mes entretiens avec les représentants de la
CEB, j’ai pris la mesure du travail considérable accompli par le
personnel de la banque, notamment en faisant un usage prudent des
dons destinés à financer l’assistance technique nécessaire à la
concrétisation de certains projets, ce qui permet le développement
des capacités institutionnelles dans les pays cibles et leur permet
de mieux absorber les fonds et d’apporter leur juste contribution
à la réussite des projets. À cet égard, il convient tout particulièrement
de mentionner le Programme régional de logement, lancé en 2012 dans
le cadre d’une initiative conjointe de la Bosnie-Herzégovine, de
la Croatie, du Monténégro et de la Serbie (les pays partenaires)
et de nombreux donateurs. Après la phase initiale de constitution
des capacités au niveau local, ce programme en est maintenant à
un stade décisif puisqu’il doit livrer des solutions de logement
durables pour plus de 34 000 personnes vulnérables dans les quatre
pays partenaires d’ici 2021
. Cet effort et cette
expérience sont vraiment impressionnants et pourraient être reproduits
dans d’autres parties de l’Europe, pas uniquement pour répondre aux
besoins de logement, mais aussi pour contribuer à intégrer les principes
de développement durable sur le même modèle.
5. Conclusions
et recommandations pour les activités futures
40. Malgré la complexité des contraintes
économiques, financières et réglementaires qui régissent son activité,
sa taille relativement réduite et certaines rigidités structurelles
profondément enracinées, la CEB montre une remarquable capacité
à gérer les risques et à soutenir des investissements à caractère
social présentant une forte valeur ajoutée dans ses États membres.
En plus de soixante ans d’activité, elle a cumulé un savoir-faire
unique et une vaste expérience de la gestion de projets dans des
pays présentant des niveaux de développement, des capacités institutionnelles
et des besoins sociaux très différents. Elle doit être encouragée
à poursuivre les projets dans des pays qui ont un besoin accru de
soutien et d’assistance technique pour renforcer leurs capacités
institutionnelles.
41. La banque doit continuer à entretenir ses liens avec le Conseil
de l’Europe et à encourager les activités découlant des valeurs
de l’Organisation, qui constituent son avantage comparatif. L’élaboration
du prochain plan de développement, au-delà de l’horizon 2019, peut
être l’occasion pour la banque de prendre en compte les préoccupations
des États membres quant à la promotion du développement durable
et la réalisation des ODD, à la lutte contre les causes et les effets
des inégalités croissantes génératrices de pauvreté, à l’intégration
à long terme des migrants et des réfugiés et aux moyens d’assurer
une meilleure qualité des services publics, aussi bien en milieu
rural qu’urbain. À cette fin, il pourrait aussi être utile que la
banque développe son action à destination des collectivités territoriales
de ses États membres.
42. Enfin, la CEB devrait continuer à œuvrer à la consolidation
de ses partenariats avec des institutions européennes et internationales
choisies et à optimiser ses structures et sa gouvernance internes
afin de gagner en souplesse décisionnelle et d’alléger son système
de vote.