1. Introduction
1. La proposition de résolution
déposée par Mme Angela Smith et d’autres
membres de l’Assemblée le 23 janvier 2018, à l’origine du présent
rapport, mettait en lumière les enjeux spécifiques auxquels est
confronté le patrimoine culturel juif, comme l'a révélé une étude
récente réalisée par la Fondation pour le patrimoine juif
à la suite des recherches qu'elle
a menées pour cartographier, classer et évaluer l'état des synagogues historiques
d'Europe. Etant donné que le Conseil de l'Europe s’emploie actuellement
à sensibiliser l’opinion au patrimoine culturel et à mieux protéger
et mettre ce dernier en valeur, que le patrimoine juif fait historiquement et
intégralement partie de la culture européenne et, enfin, que 2018
a été désignée Année européenne du patrimoine culturel, il serait
opportun d’entreprendre des recherches sur la situation actuelle
du patrimoine bâti juif en Europe.
3. En effet, la Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la
valeur du patrimoine culturel pour la société (STCE no 199,
«Convention de Faro») appelle les États membres à adhérer à un ensemble
de principes relatifs à la protection du patrimoine, et le Conseil
de l’Europe à poursuivre sa mission de suivi du patrimoine culturel en
général. Les articles de la Convention sont au cœur même du présent
rapport et mettent en avant les principes suivants:
- le patrimoine culturel représente
une valeur et comporte des avantages pour la société en plaçant
des citoyens ordinaires au centre de l’action grâce aux liens établis
avec les droits de l’homme;
- le patrimoine culturel est un patrimoine européen commun
dont il conviendrait de traiter équitablement les différentes expressions;
- la conservation du patrimoine intéresse tout un chacun
et est de la responsabilité de tous;
- le patrimoine culturel encourage l’intérêt pour la diversité
culturelle, le respect vis-à-vis d’autres cultures et, à travers
le dialogue interculturel, pour la coexistence et la cohésion sociale;
- pour rendre le patrimoine culturel entièrement accessible,
celui-ci doit être inventorié, étudié, protégé, conservé, interprété
et exposé;
- l’éducation est essentielle à la sauvegarde du patrimoine,
parce qu’elle permet de cultiver une mémoire culturelle collective
au sein de la société;
- le patrimoine culturel est une ressource susceptible d’offrir
des avantages économiques et sociaux.
4. Je tiens à remercier M. Michael Mail, directeur général de
la Fondation pour le patrimoine juif, et Dame Helen Hyde DBE, Présidente
de la Fondation, pour leur aide et leur expertise dans la rédaction
du présent rapport. J’ai aussi tenu compte de certains points essentiels
qui ont été soulevés lors de la visite d’information que j’ai effectuée
en Lituanie en octobre 2018, tant avec des personnes directement
associées à des projets de restauration au niveau local, qu’avec
celles qui participent à l’élaboration des politiques au niveau
national. À cet égard, je remercie la délégation parlementaire lituanienne,
M. Martynas Uzpelkis et la communauté juive lituanienne (Litvak)
de nous avoir aidés à organiser un programme dense incluant les
visites dans différentes régions du pays dans le cadre de 13 projets
de restauration.
2. La situation des synagogues en Europe
2.1. Aperçu
5. La présence juive en Europe
remonte à plus de 2 500 ans. Pendant cette période, le peuple juif
a développé une culture aussi riche qu’exceptionnelle qui a apporté
une contribution unique à la civilisation européenne toute entière
et qui reste à ce jour un legs remarquable dont on trouve les traces
sur l’ensemble du continent.
6. Les sites patrimoniaux juifs – synagogues, quartiers juifs,
bâtiments communaux, cimetières, monuments – sont dépositaires de
la vie, des coutumes et de l’art juifs dont témoignent de nombreux
et splendides édifices, véritables prouesses architecturales et
artistiques.
7. Les éléments les plus emblématiques de la communauté juive
sont les synagogues, grandes ou petites, imposantes ou modestes.
Bien plus qu’un lieu de culte, la synagogue était le principal espace
public de la communauté, ainsi que sa représentation symbolique.
C’est pourquoi Juifs et non-Juifs attachaient aux synagogues une
importance toute particulière en tant qu’incarnation de la présence
et de la vie communautaire et religieuse juives.
8. L’emplacement et l’aspect extérieur de la synagogue étaient
souvent révélateurs de la position de la communauté juive au sein
de la société locale, qui pouvait aller de la «ghettoïsation» à
«l’acculturation complète», et s’est affirmée avec le Siècle des
lumières qui a apporté l’émancipation aux Juifs d’Europe. Les membres
des communautés juives cherchant à prouver qu’ils étaient désormais
des citoyens européens à part entière et tenant à ce que la splendeur
des synagogues n’ait rien à envier à celle des églises, l’aspect
des synagogues a alors radicalement changé.
9. Le XXe siècle a été une période
de transitions accompagnée de vagues de dépeuplement et d’exodes massifs
et souvent tragiques qui ont culminé avec l’Holocauste. Alors qu’au
XIXe siècle, 9 Juifs sur 10 vivaient en
Europe, ils ne sont plus aujourd’hui qu’un sur 10. Le peuple juif
«ne vit plus où il a vécu». Dans ce qui fut, des siècles durant,
le cœur de l’implantation juive dans des pays tels que la Pologne
et la Lituanie, ces communautés ont aujourd’hui en grande partie
disparu. Privé d’utilisateurs, ce patrimoine ancien qui a subi les ravages
de l’abandon, des phénomènes naturels et des actions humaines est
aujourd’hui un peu partout en péril.
10. Les anciennes synagogues d’Europe de l’Est ont connu un destin
particulièrement tragique sous le régime communiste. Elles ont en
effet été démolies, reconstruites à des fins diverses, ou tout simplement laissées
à l’abandon. En Europe de l’Ouest, où elles sont en bien meilleur
état, des communautés juives amoindries se battent pour les préserver.
Néanmoins, par exemple au Royaume-Uni, pays épargné par l’Holocauste,
la migration naturelle de la population juive des petites vers les
grandes villes et des quartiers du centre-ville vers les banlieues
a eu pour effet l’abandon, la vente et la démolition de nombre de
synagogues historiques.
11. Après un demi-siècle d’incurie, l’architecture des synagogues
connaît depuis peu un regain d’intérêt. Le patrimoine bâti juif
est aujourd’hui plus largement considéré comme faisant partie intégrante
des paysages urbains et de la culture européenne en général. Ainsi,
le programme du Conseil de l’Europe sur les itinéraires culturels
européens comporte un itinéraire du patrimoine juif. Pourtant, un
flou demeure concernant les synagogues. En effet, si certains édifices
remarquables ont été reconnus comme tels et conservés et décrits en
détail, un tableau exhaustif de l’état actuel des synagogues historiques
fait défaut. De plus, la démolition de nombreuses anciennes synagogues
se poursuit.
12. Ces faits ont conduit la Fondation pour le patrimoine juif
à commander une étude, menée par le Centre d’art juif de l’Université
hébraïque de Jérusalem
, dans le but de répertorier l’ensemble
des synagogues historiques d’Europe et de fournir ainsi une description
détaillée de l’état actuel de ces édifices dont chacun est classé
en fonction de son importance et de son état de conservation
.
13. Outre les États membres du Conseil de l’Europe, cette étude
englobait aussi le Bélarus, pays riche en sites patrimoniaux juifs.
2.2. Principaux
constats
14. Les principaux constats tirés
de cet inventaire sont les suivants:
Importance
|
Total
|
En péril
|
%
|
Internationale
|
90
|
16
|
18%
|
Nationale
|
624
|
148
|
24%
|
Régionale
|
1 565
|
360
|
23%
|
Locale
|
958
|
233
|
24%
|
Total
|
3 237
|
757
|
23%
|
Total internationale
et nationale
|
714
|
164
|
23%
|
- il
y a 3 237 synagogues historiques en Europe: les calculs
montrent qu’en 1939, à la veille de la Seconde Guerre mondiale,
l’Europe comptait 17 000 synagogues. Les édifices qui ont résisté
au temps représentent donc 19% du total
de 1939;
- sur ces 3 237 sites, 718 sont
aujourd’hui en fonction (22%): plus des trois quarts
des synagogues historiques en activité en 1939 et qui existent toujours
sont soit désaffectées, soit laissées à l’abandon;
- 757 synagogues sont désignées
comme étant en péril (23%): un quart des synagogues historiques encore
debout aujourd’hui sont en suffisamment mauvais état pour être considérées
en danger.
2.3. Particularismes
régionaux
15. La principale caractéristique
architecturale d’une synagogue est sa vaste salle de prière. Les synagogues
désaffectées sont utilisées à d’autres fins que leur vocation première.
Par exemple, 133 d’entre elles sont devenues des lieux de culte
pour d’autres confessions, 180 des musées, 289 des centres culturels ou
d’art, 900 des logements ou des bureaux, et d’autres encore des
gymnases, des salles de spectacles et des cinémas, des entrepôts
et des restaurants, des garages et des casernes de pompiers. Trois
cents anciennes synagogues sont aujourd’hui à l’abandon.
16. Le pourcentage de synagogues ayant résisté à la guerre diffère
sensiblement d’un pays à l’autre. De manière générale, il est beaucoup
plus bas en Europe de l’Est qu’en Europe de l’Ouest. C’est au Bélarus
que le niveau de conservation est le plus faible – 7% seulement
de synagogues y subsistent. Quelque 10% des synagogues ont été préservées
en Ukraine, en Fédération de Russie, en Lettonie, en Lituanie, en
République de Moldova et en Serbie. La Pologne et la Croatie ont
conservé 14% de leurs synagogues et la Roumanie, 18%. En Bulgarie,
en République tchèque, en Hongrie, en République slovaque et en
Bosnie-Herzégovine, la situation est nettement meilleure, avec 30%
de synagogues encore debout.
17. Plus à l’ouest, le pourcentage augmente – près de 50% des
synagogues subsistent en Italie, et environ 60% en France, aux Pays-Bas
et au Royaume-Uni. Dans certains cas, bien entendu, les statistiques
ne veulent rien dire. Citons par exemple la Norvège, dont les deux
seules synagogues ont été préservées, ce qui porte le niveau de
conservation à 100%.
18. Il semble que la disparition des synagogues ait été beaucoup
plus fréquente en ex-Union soviétique que dans d’autres pays. Cependant,
les synagogues des territoires faisant partie du bloc soviétique
avant la Seconde Guerre mondiale ont été bien moins préservées que
celles des territoires annexés par l’URSS à l’issue de la guerre.
19. Au Bélarus, par exemple, les deux tiers des synagogues actuelles
se trouvent dans l’ouest du pays, annexé en 1939, et un tiers seulement
dans la Biélorussie soviétique d’avant-guerre. Il en va de même
en Ukraine. Bien plus nombreuses sont les synagogues préservées
dans ces parties du pays situées avant-guerre en Pologne, en Roumanie
et en Tchécoslovaquie, que dans l’Ukraine soviétique d’avant-guerre.
La comparaison entre les territoires soviétiques d’avant-guerre
et d’après-guerre permet de conclure que la disparition des synagogues
en Union soviétique a commencé avant la Seconde Guerre mondiale
et l’Holocauste.
20. Dans les pays de l’ancien bloc communiste d’Europe de l’Est,
les synagogues ont été davantage préservées: près de 14% des synagogues
subsistent en Pologne, environ 18% en Roumanie et en ex-Yougoslavie,
et quelque 30% en Bulgarie, en Hongrie et en Tchécoslovaquie.
21. La différence entre l’Union soviétique et d’autres pays communistes
s’explique par plusieurs facteurs. En premier lieu, nous avons déjà
vu que la destruction des synagogues en URSS avait commencé bien antérieurement,
avant l’Holocauste. En second lieu, la majorité des synagogues du
Bélarus et d’Ukraine (ainsi que de Lituanie et de Lettonie) étaient
des bâtiments de bois et risquaient donc bien plus d’être détruites
durant la guerre et l’après-guerre. En troisième lieu, l’Union soviétique
ne reconnaissant pas la propriété privée, l’ensemble des bâtiments
appartenaient à un État foncièrement hostile aux communautés religieuses,
qui en disposait à sa guise. En revanche, dans les pays communistes
d’Europe de l’Est n’appartenant pas à l’URSS, les communautés juives
ont continué d’exister en tant qu’entités juridiques et la destruction
des synagogues orchestrée par l’État n’a pas été aussi systématique.
22. La situation patrimoniale juive était beaucoup plus favorable
en Europe de l’Ouest qu’en Europe de l’Est. De fait, la plupart
des synagogues y étaient construites en dur et appartenaient légalement
aux communautés juives. L’État était quant à lui plus ou moins neutre
et non hostile à la religion.
2.4. Défis
23. Le patrimoine juif doit aujourd’hui
faire face aux défis suivants.
2.4.1. Le
patrimoine «orphelin»
24. Sans communauté pour les utiliser
et les entretenir, la plupart des édifices patrimoniaux juifs qui
ont résisté au temps sont aujourd’hui menacés. Par ailleurs, une
certaine ambivalence continue de régner au sein de la société environnante
qui ne considère pas ces sites comme siens – mais comme un «patrimoine minoritaire»
– et ne leur accorde donc aucune valeur. C’est ce qu’illustre aussi
l’ignorance du fonctionnement antérieur de ces bâtiments, de leur
valeur patrimoniale et des soins qu’ils requièrent aujourd'hui en
termes de conservation et de viabilité. Il subsiste des traces de
la politique consistant à occulter l’histoire juive, vivace dans
les anciens pays du bloc communiste et, plus inquiétant encore,
un antisémitisme encore bien présent après avoir sévi des siècles
durant en Europe est encore attesté dans l’ensemble du continent.
En outre, bien que nombre de biens communaux situés dans les anciens
pays communistes aient été restitués à la communauté juive, des
cas demeurent où la question de la propriété reste en suspens, ce
qui peut entraver les actions de conservation.
2.4.2. Le
traumatisme
25. Nombre de ces édifices témoignent
d’un profond traumatisme social dû à une barbarie presque insoutenable.
Il peut être psychologiquement plus facile d'ignorer purement et
simplement ces sites et ce qu'ils représentent. Des récits contradictoires
sur les événements de l'Holocauste, portant par exemple sur l’ampleur de
la collaboration avec les nazis, peuvent également exacerber les
sensibilités et les difficultés à prendre des mesures de sauvegarde
de ces sites. Il est intéressant de consulter les sites internet
de villes qui comptaient une population juive importante ou majoritaire
avant la guerre – et dont l’histoire
a été en grande partie une histoire juive – et d’analyser
ce qui en est aujourd’hui présenté. Ceci vaut également pour certaines composantes
du monde juif pour lesquelles l'Holocauste est un souvenir extrêmement
douloureux qu'il est plus facile d'éluder.
2.4.3. L’ampleur
de la tâche
26. Bien que de nombreux projets
de conservation du patrimoine juif aient été menés avec succès ces dernières
années, le nombre même de sites toujours menacés continue de faire
obstacle à l'action, qui peut sembler insurmontable.
2.4.4. Le
coût
27. La réhabilitation du patrimoine
et la reconfiguration de bâtiments anciens à de nouvelles fins est
un processus complexe et coûteux. Surtout en période de crise financière,
où les gouvernements se préoccupent beaucoup plus du maintien des
services sociaux de base, la conservation du patrimoine en général,
et du patrimoine juif «orphelin» en particulier, n'apparaît tout
simplement pas comme une priorité. Souvent, bien qu’officiellement
en vigueur, les politiques de conservation ne sont pas concrètement
mises en œuvre du fait de contraintes financières.
3. Réponses
possibles
28. Des efforts accrus ont été
déployés pour préserver, protéger et mettre en valeur le patrimoine
juif au fur et à mesure que son importance historique, architecturale
et sociale, ainsi que son potentiel pédagogique pour la société
contemporaine, ont été davantage reconnus.
29. Un nombre croissant de défenseurs locaux du patrimoine, souvent
non Juifs eux-mêmes, sont déterminés à faire en sorte que les vestiges
de l'histoire et de la contribution juives ne disparaissent pas.
En effet, la participation citoyenne et le militantisme social se
sont souvent révélés décisifs pour faire avancer les plans de sauvetage
du patrimoine juif en péril. À un tout autre niveau d’engagement,
l'Union européenne, l'Islande, la Norvège et le Liechtenstein ont
reconnu l'importance de ces travaux dans le cadre du mécanisme de
subvention Espace économique européen/Norvège qui a financé des
projets spécifiquement consacrés à la conservation du patrimoine
juif.
30. Aujourd'hui, dans toute l’Europe, des projets proposent divers
moyens pour remettre ces sites en service de manière rationnelle
et durable. Ce sont là de bons exemples d’une «reconversion adaptée»
qui consiste à réinventer d'anciens sites pour de nouveaux usages.
On trouvera ci-dessous des études de cas qui portent sur des projets
de ce type à divers stades de développement et qui en révèlent le
potentiel.
3.1. Synagogue
du Second Temple, Hambourg, Allemagne
3.1.1. Introduction
31. À l’aube du XIXe siècle,
Hambourg rassemblait la plus grande communauté juive d'Allemagne.
La Neue Israelitische Tempelverein de
Hambourg, fondée en 1817, fut l'une des premières congrégations
réformistes et joua un rôle important dans le développement du mouvement
réformiste en matière de théologie, de liturgie, de musique et d’architecture.
Au début des années 1840, ses membres décidèrent de construire un
nouveau temple qui serait la toute première synagogue réformée construite
dans une grande ville allemande. Il s'agissait d'un édifice imposant
combinant les styles néo-classique, néo-gothique et mauresque. Aujourd'hui, le
Temple est considéré comme l'un des principaux témoignages architecturaux
du mouvement réformateur du XIXe siècle
en Allemagne.
3.1.2. La
situation actuelle
32. En 1931, la communauté juive
déménagea et le temple fut vendu. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le
bâtiment fut partiellement détruit lors des raids aériens sur Hambourg.
Deux parties de la structure ont été préservées: l'entrée ouest
et la partie est comprenant l'abside. Aujourd'hui, le bâtiment est
une propriété privée et certaines sections servent de garage. L'arrière
du bâtiment est hors d'usage et en très mauvais état. L'ensemble
du site est menacé de ruine en raison d’une totale incurie.
3.1.3. Le
projet
33. La première étape du plan
de sauvegarde consiste à mener des recherches. Ce sera là la tâche
de l'Institut de l'histoire des Juifs en Allemagne, basé à Hambourg,
et de Bet Tfila – l'Unité de recherche pour l'architecture juive
de l'Université technique de Braunschweig, qui analyseront la structure
et l'histoire du temple. En attirant l'attention sur cet important
patrimoine et en faisant prendre conscience de sa valeur, le plan à
long terme est de protéger les vestiges du site, et d'en faire un
mémorial et un centre éducatif qui exposeront au grand public l'histoire
de la synagogue et l'importance de ce site, tout en étudiant le
bâtiment qui a retrouvé sa vocation première de concert avec la
communauté réformatrice de Hambourg.
3.2. Synagogue
Etz Hayim, Izmir, Turquie
3.2.1. Introduction
34. La synagogue Etz Hayim est
la plus ancienne d'Izmir (anciennement Smyrne). Elle remonte à l'époque des
Juifs romaniotes, établis en Asie Mineure pendant la période byzantine.
Elle fut par la suite reconstruite par des Juifs séfarades expulsés
d'Espagne et accueillis par l'Empire ottoman. L'Etz Hayim conjugue
donc des éléments architecturaux espagnols et ottomans, métissage
que reflètent également ses fresques impressionnantes – une autre
particularité de l'édifice. Cette convergence d'influences est un
phénomène unique à Izmir. La synagogue fait partie d'un groupe de
neuf synagogues historiques situées dans la vieille ville d'Izmir,
elle-même zone de conservation désignée.
3.2.2. La
situation actuelle
35. L’état de la synagogue Etz
Hayim s’explique par une lente détérioration, d’anciens cataclysmes
ayant dévasté la ville (incendies, séismes), et par le déclin d’une
communauté juive qui n'a pas les moyens d'entretenir l’édifice.
La propriété du site est également souvent restée incertaine. L'avenir
même du bâtiment a parfois été compromis, mais des travaux ont été
effectués en urgence pour réparer le toit et stabiliser le plancher
qui s'effondrait. Le bâtiment demeure cependant dans un état précaire.
3.2.3. Le
projet
36. Le projet de restauration de
la synagogue Etz Haim s'inscrit dans le cadre d'un projet plus vaste
visant à sauver toutes les synagogues historiques du vieux quartier
d'Izmir, mené par la Fondation israélienne Kiriaty en coopération
avec la municipalité et la communauté juive d'Izmir et le ministère
de la Culture et du Tourisme de Turquie. La question de la propriété
de ces sites a récemment été résolue en faveur de la communauté. L’objectif
est dorénavant de sauver l'Etz Haim et de l'intégrer dans une présentation
élargie de toutes les synagogues. Pour ce faire, l'ensemble du complexe
sera transformé en un musée juif unique en son genre et en un lieu
culturel dont les bâtiments seront accessibles à un plus vaste public
et qui retraceront l’histoire, les valeurs et les traditions des
populations juives du pays, et enfin leur patrimoine séfarade distinctif,
constitué au XVe siècle. Une autre mesure
clé consistera à présenter – et célébrer – l'histoire de la cohabitation harmonieuse
qui a caractérisé les relations judéo-musulmanes dans la région,
ainsi que les influences interculturelles, les valeurs communes
et la contribution de la communauté juive.
3.3. Synagogue
à la cigogne blanche, Wrocław, Pologne
3.3.1. Introduction
37. La diversité culturelle est
l'une des principales caractéristiques historiques et culturelles
qui font la singularité de Wrocław (anciennement Breslau). Les souverains
et les frontières ont changé au cours des siècles et de nombreuses
nationalités et confessions y ont élu domicile en raison de la situation
de la ville le long de diverses routes commerciales et migratoires.
La présence juive a été attestée pour la première fois il y a plus
de 800 ans. Avec le Siècle des lumières vint la proposition de construire
une synagogue principale qui servirait toute la communauté. C’est
ainsi que fut construite la synagogue néo-classique à la cigogne
blanche, inaugurée en 1829.
3.3.2. La
situation actuelle
38. L’édifice fut confisqué par
les nazis au cours de la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre
de l’extermination du peuple juif, et utilisé comme garage automobile
et entrepôt abritant les biens volés aux Juifs. Après diverses occupations
sous le régime communiste d'après-guerre, le bâtiment fut définitivement
rendu à la communauté juive en 1996, mais dans un état de délabrement
avancé.
3.3.3. Le
projet
39. Un projet de restauration a
immédiatement démarré sous la direction de la Fondation Bente Kahan,
avec le soutien de la ville de Wrocław et du mécanisme financier
de l’Espace économique européen. Aujourd'hui, le Centre de culture
et d'éducation juives de la synagogue à la cigogne blanche propose
des expositions, des projections de films, des ateliers, des conférences
et des concerts, ce qui fait de lui un pilier de la scène culturelle
contemporaine de Wrocław. Le bâtiment abrite également une exposition
permanente intitulée «L'histoire retrouvée: la vie juive à Wrocław
et en Basse-Silésie» et une petite synagogue en fonctionnement. Le
centre cible les jeunes, qui ont été 25 000 à assister aux représentations
théâtrales pédagogiques proposées sur des thèmes de l’histoire juive.
Avec les églises orthodoxe orientale, catholique romaine et luthérienne,
la synagogue fait partie du Chemin culturel des quatre religions,
dont les membres organisent des manifestations culturelles, éducatives
et œcuméniques avec l’aide de la municipalité de Wrocław.
3.4. Synagogue
en bois, Pakruojis, Lituanie
3.4.1. Introduction
40. Les Juifs se sont établis à
Pakruojis au début des années 1700. En majorité des commerçants,
ils ont largement contribué au développement de l'économie locale.
La croissance de la population juive a stimulé l’expansion de la
ville et sa vie sociale. La synagogue en bois, qui date de 1801,
est aujourd'hui la plus ancienne synagogue de Lituanie. Elle a été
utilisée comme telle jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, au cours de
laquelle la communauté juive de Pakruojis a été massacrée.
3.4.2. La
situation actuelle
41. À l’issue de la guerre, la
synagogue est devenue un club de loisirs, puis un cinéma. Le bâtiment
a pris feu à plusieurs reprises, ce qui a occasionné beaucoup de
dégâts et compromis son avenir. Des appels à sa démolition ont été
lancés.
3.4.3. Le
projet
42. L'administration régionale
de Pakruojis et le département du patrimoine culturel lituanien
se sont attelés, dans un premier temps, à la sauvegarde et à la
protection du bâtiment. L'administration régionale et la communauté
juive lituanienne – cette dernière étant la propriétaire officielle
de la synagogue – ont ensuite conclu un accord sur son adaptation
à un usage public. Les travaux se sont achevés en 2016 grâce à un financement
du mécanisme financier de l'Espace économique européen, ce qui a
permis de rénover le bâtiment et de restaurer de remarquables fresques
intérieures. Le site est aujourd’hui occupé par la bibliothèque
publique de Pakruojis et accueille une section de littérature pour
la jeunesse, ainsi que des concerts et autres événements culturels.
Il abrite aussi une exposition permanente sur l'histoire des Juifs
de la région de Pakruojis.
3.5. Synagogue,
Merthyr Tydfil, Pays de Galles
3.5.1. Introduction
43. Au XIXe siècle,
Merthyr Tydfil était le cœur industriel du Pays de Galles et aussi
sa plus grande ville. Une communauté juive s’y est implantée dès
les années 1830 et la construction de la synagogue, en 1863, a témoigné
d’une communauté prospère et en pleine croissance. La synagogue
de Merthyr est une structure en pierre de style néo-gothique et
la plus ancienne synagogue construite à cet effet encore debout
au Pays de Galles. Aujourd'hui, elle est considérée d’un point de
vue architectural comme l'une des synagogues les plus importantes
du Royaume-Uni et a été classée monument historique de niveau II.
3.5.2. La
situation actuelle
44. Au XXe siècle, le déclin industriel
de Merthyr a entraîné celui de sa communauté juive, laquelle s’est officiellement
dissoute en 1983, lorsque la synagogue a été vendue. Depuis lors,
l’édifice a été employé à diverses fins. Il est cependant inoccupé
depuis plusieurs années. Son état va en se dégradant et sa structure même
est menacée par un trou béant dans le toit et des fenêtres brisées.
3.5.3. Le
projet
45. Le bâtiment a été mis en vente
par son propriétaire actuel, ce qui a permis d'envisager à nouveau
son avenir. La Fondation pour le patrimoine juif a commencé à organiser
une consultation pour solliciter des avis sur la proposition de
création d’un «Centre du patrimoine juif gallois» qui reconnaîtrait,
célébrerait et retracerait les 250 ans d'histoire remarquable de
la communauté juive du Pays de Galles, tout en offrant un nouveau
lieu culturel à la ville. Ce projet a été bien accueilli par la
municipalité de Merthyr et les communautés juive et patrimoniale
locales. Une étude de faisabilité a donc été menée en consultation
avec les principaux intervenants locaux, y compris les écoles de
la région et le musée local. Il en est ressorti que le concept était viable.
Les prochaines étapes sont en cours de discussion avec la municipalité
et le Fonds de la loterie pour le patrimoine (Heritage
Lottery Fund).
3.6. Grande
Synagogue, Dąbrowa Tarnowska, Pologne
3.6.1. Introduction
46. Avant 1939, Dąbrowa Tarnowska
était une petite ville galicienne typique, où Juifs et non-Juifs
polonais coexistaient sans conflits majeurs. La première synagogue
mentionnée fut un bâtiment de bois construit en 1697. Dans les années
1860, une synagogue monumentale en pierre – la Grande Synagogue
– fut construite pour accueillir une population croissante. L’édifice
est aujourd’hui considéré comme un joyau de l'architecture hassidique
en Pologne. En 1900, les 2 500 Juifs présents constituaient 80%
de la population.
3.6.2. La
situation actuelle
47. Au cours de la Seconde Guerre
mondiale, le bâtiment a été confisqué et utilisé comme entrepôt
par les nazis. Très peu de membres de la communauté juive ont survécu,
la majorité d’entre eux ayant péri dans le camp de la mort de Belzec.
Après la guerre, le bâtiment est devenu la propriété du Trésor public
polonais et, tandis que l’on débattait de son affectation future,
il est resté inutilisé et son état s'est détérioré.
3.6.3. Le
projet
48. Le tournant décisif pour l'avenir
du bâtiment a été la cession de la synagogue à la municipalité de Dąbrowa
Tarnowska par le Trésor public polonais, en 2006. Cet événement
a conduit à la mise en œuvre d'un vaste projet de restauration du
bâtiment, avec la participation d'un groupement de partenaires –
la municipalité, les autorités régionales de Malapolska, le ministère
de la Culture et du Patrimoine national et la communauté religieuse
juive de Cracovie – et l'aide financière des fonds régionaux de
l’Union européenne. Ce projet a abouti à la création d’un «Centre
de rencontre des cultures» qui sert de cadre au dialogue interculturel
et interreligieux, et où les traditions judaïque et chrétienne se
rencontrent et interagissent. Outre un espace d'exposition temporaire,
le Centre propose une exposition permanente sur la vie juive dans
la région. Il accueille également des concerts, des conférences
et des ateliers de formation pour les citadins et l’ensemble des
habitants de la région de Malapolska. L’un des grands objectifs
poursuivis est de faire de ce centre un lieu intergénérationnel
et d’encourager le dialogue et la réconciliation entre Juifs et
Polonais tout en combattant les préjugés et les stéréotypes.
4. Principales
observations
4.1. Propriété
légale
49. Il est important que toute
question en suspens quant à la propriété officielle des biens communautaires juifs
soit entièrement réglée afin que les travaux de conservation ne
s’en trouvent pas ralentis.
4.2. Recherche
50. La recherche est indispensable
pour disposer d’un solide socle de connaissances sur le bâtiment,
son histoire et la valeur patrimoniale à préserver. Il est également
essentiel que les professionnels concernés possèdent les compétences
nécessaires pour comprendre la nature et les particularités du bâtiment
à la restauration duquel ils travaillent.
4.3. Collaboration
51. L’ampleur de ces projets requiert
la participation de diverses catégories d'intervenants:
- engagement local – il est indispensable
d’associer étroitement la collectivité aux projets, tant au niveau de
l'administration locale officielle que via la société civile, en
renforçant l'intérêt et le sentiment d’«appropriation» de la population,
en faisant participer les résidents à l'élaboration et à la gestion
du projet et en les encourageant à le défendre, car c'est bien de
leur patrimoine qu’il s’agit;
- soutien des gouvernements régionaux et nationaux – le
soutien et la participation des autorités aux niveaux régional et
national, exprimés par un aval officiel et des conseils pratiques,
sont importants;
- engagement de la communauté juive – la communauté doit
s'impliquer, localement si elle est présente sur le site, ou à un
autre niveau, y compris en prenant contact avec des descendants
des habitants et des organisations de sauvegarde du patrimoine juif;
- bailleurs de fonds extérieurs – de tels projets nécessitent
un financement substantiel qui dépasse généralement les moyens des
municipalités et des militants sur le terrain. Un financement a
été octroyé par les autorités régionales et nationales par des sources
philanthropiques privées et à partir des fonds de l'Union européenne
et de l’Espace économique européen.
4.4. Education
52. Si les synagogues peuvent être
utilisées à des fins diverses, leur histoire et celle de la communauté
juive sont systématiquement exploitées dans un but pédagogique,
afin d’encourager la coexistence et le dialogue interculturel tout
en combattant les préjugés et l'intolérance. L'aspect éducatif est
souvent particulièrement axé sur les jeunes et consacré à deux aspects:
a) la vie de la communauté juive, sa contribution et l’enrichissement sociétal
apporté par les échanges interculturels; b) les dangers de l’intolérance,
des préjugés et de l’antisémitisme, qui ont atteint leur point culminant
lors de l’Holocauste.
4.5. Intégration
53. En la restaurant et en la «normalisant»
comme tout autre lieu d’un paysage métissé, en favorisant le sentiment
d’appartenance et en établissant des liens entre les générations
actuelles et la composante juive de leur histoire et de leur culture,
la synagogue s’intègre pleinement dans la vie culturelle de la ville.
4.6. Prise
en compte des besoins locaux
54. Les projets visent à ce que
l'affectation du bâtiment convienne à la communauté locale et réponde
aux besoins de cette dernière, assurant ainsi un avenir durable.
4.7. L’histoire
de A à Z
55. Dans ces sites témoignant de
la vie de communautés exterminées au cours de l’Holocauste, l'accent éducatif
est mis non seulement sur la façon dont ces communautés ont disparu,
mais aussi sur leur vie et leur contribution à la société au cours
des siècles.
4.8. Intérêt
économique
56. On s’accorde à reconnaître
que sauver ces sites et leur redonner vie peut être profitable à
la ville sur un plan économique. Une fois restaurés, ils peuvent
en effet favoriser le tourisme et être source d’une régénération
socio-économique. Les bâtiments du patrimoine juif sont des lieux
de pèlerinage pour les Juifs souhaitant savoir comment leurs ancêtres
ont vécu, et attirent également un nombre croissant de non-Juifs cherchant
à comprendre l'histoire juive de la région, ou simplement désireux
d’apprécier de beaux édifices.
5. Conclusions
57. Le patrimoine culturel juif
devrait être pleinement reconnu comme faisant partie intégrante
du patrimoine global de la société et devrait donc être traité équitablement.
Il convient de rappeler qu’un quart des synagogues historiques encore
debout aujourd’hui en Europe sont en mauvais ou très mauvais état
et sont considérées en péril. Après avoir vu plusieurs projets de
conservation du patrimoine lors de la préparation du présent rapport,
je tiens à souligner qu’il faudrait faire prendre davantage conscience,
au niveau local, de la nécessité de conserver le patrimoine juif.
À cette fin, il s’agirait d’amener la population locale à «s’approprier» ce
patrimoine et d’encourager les partenariats entre divers acteurs,
dont les autorités locales, les groupes de la société civile, la
communauté juive et les organisations de sauvegarde du patrimoine.
58. La vulnérabilité particulière du patrimoine juif, souvent
décrit comme un patrimoine «orphelin» sans ses communautés locales,
doit être prise en compte lors de l’élaboration des politiques patrimoniales.
Les enquêtes nationales sur le patrimoine devraient inclure le patrimoine
juif en tant que catégorie distincte; il faudrait répertorier les
sites en danger, leur assurer une protection juridique, concevoir
des plans d’action et affecter des ressources aux cas les plus urgents,
en veillant à ce que le patrimoine juif bénéficie du même niveau
de protection, de conservation et d’entretien que le reste du patrimoine.
59. À mon avis, le patrimoine culturel juif – tant matériel qu’immatériel
– devrait être utilisé comme un élément clé pour enseigner l’histoire,
car il est une manifestation concrète de la vie de la communauté
juive et de sa présence historique en Europe. L’intérêt pédagogique
de ce patrimoine devrait être reconnu et il faudrait développer
largement les programmes éducatifs, qui devraient englober les établissements
scolaires, les universités, les musées et le secteur culturel. De
plus, si le patrimoine culturel juif est mis en valeur et mieux compris,
cela favorisera aussi le dialogue interculturel, l’inclusion et
la cohésion sociale, tout en apportant une forme d’apaisement sociétal
et en aidant la population à assumer un passé difficile.
60. L’Holocauste doit être étudié car il a complètement remis
en cause les fondements mêmes de la société. Son étude permet de
réfléchir à l’exercice du pouvoir et à l’abus de pouvoir, ainsi
qu’aux responsabilités des individus, des organisations et des nations
face aux violations des droits de l'homme. Étudier l’Holocauste permet
aussi de comprendre comment une convergence de facteurs peut contribuer
à la désintégration des valeurs démocratiques et quelles étapes
peuvent conduire à un génocide, ce qui rend plus attentif au risque de
génocide dans le monde d’aujourd’hui.
61. Sur le plan pratique, je préconiserais de créer un mécanisme
qui serait consacré à la formation des professionnels et des bénévoles
œuvrant pour le patrimoine juif et qui viserait notamment à mutualiser
les connaissances, les compétences et les bonnes pratiques à l’échelle
de l’Europe. Il serait possible de renforcer encore cette coopération
en s’entendant sur une philosophie et des pratiques de travail communes.
62. Permettez-moi de souligner également les avantages économiques
que présente la conservation des sites du patrimoine juif. Ces sites
peuvent en effet contribuer à l’attrait visuel du paysage et dynamiser l’économie
locale en s’intégrant dans le patrimoine général proposé aux visiteurs,
aux touristes et aux pèlerins.
63. En conclusion, je tiens à souligner que la culture juive fait
partie intégrante du patrimoine culturel européen. Il nous incombe
donc à tous d’intensifier nos efforts pour la protéger.