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Rapport | Doc. 14957 | 28 août 2019

Protéger et soutenir les victimes du terrorisme

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteure : Mme Marietta KARAMANLI, France, SOC

Origine - Renvoi en commission : Doc. 14271, renvoi du 30 mai 2017. 2019 - Quatrième partie de session

Résumé

Les victimes d'actes terroristes, avec leurs besoins physiques, matériels, affectifs et psychologiques spécifiques, doivent bénéficier d'une protection et d'un soutien adéquats, et leur dignité ainsi que leurs droits humains doivent être pleinement respectés. Le rapport note qu'un certain nombre d'instruments juridiques existants n'ont pas été pleinement mis en œuvre et mis en pratique et souligne la nécessité d'une approche plus cohérente et systématique de la protection et du soutien aux victimes du terrorisme dans les États membres du Conseil de l'Europe. Les États membres et observateurs du Conseil de l'Europe ainsi que les États dont le parlement bénéficie du statut d'observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l'Assemblée parlementaire sont invités à prendre un certain nombre de mesures relatives à la reconnaissance du statut des victimes du terrorisme, au soutien spécifique aux niveaux national et international ainsi qu'à la coopération avec la société civile.

L'Union européenne est également invitée à veiller à ce que le Centre d'expertise pour les victimes du terrorisme de l'Union européenne prenne également une dimension paneuropéenne et coordonne ses activités avec le Conseil de l'Europe et à examiner, en consultation avec ce dernier, la possibilité d'adopter une Charte européenne des droits des victimes du terrorisme afin de faciliter la reconnaissance, la communication et la coordination dans la grande Europe.

Enfin, le Comité des Ministres est invité à appeler tous les États membres du Conseil de l'Europe à faire preuve d'un engagement plus soutenu pour assurer une protection adéquate des victimes d'actes terroristes.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 27 juin
2019.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rend hommage à toutes les victimes innocentes qui ont été tuées, blessées et traumatisées lors d’attaques terroristes dans plusieurs États membres du Conseil de l’Europe et dans le monde entier.
2. Dans leurs stratégies antiterroristes, les gouvernements et les parlements doivent faire en sorte que les victimes d’attaques terroristes, qui ont des besoins physiques, matériels, affectifs et psychologiques spécifiques, bénéficient d'une protection et d'un soutien adéquats et que leur dignité et leurs droits humains soient pleinement respectés.
3. L’Assemblée note qu’un certain nombre d'instruments juridiques existants n’ont pas été pleinement mis en œuvre ni mis en pratique et souligne la nécessité d’une approche plus cohérente et systématique de la protection et du soutien aux victimes du terrorisme dans tous les États membres du Conseil de l'Europe. Elle invite donc les États membres, les États observateurs et les États dont le parlement bénéficie du statut d'observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l'Assemblée parlementaire:
3.1. concernant la reconnaissance des « victimes du terrorisme »:
3.1.1. à reconnaître officiellement les « victimes du terrorisme » au sein d’un cadre juridique universellement accepté comme une catégorie particulière de victimes, reconnaissant ainsi leur souffrance au nom de l’État visé par l’acte de terrorisme, identifier leurs besoins comme étant distincts de ceux des victimes d’infractions « ordinaires » et faciliter leur accès aux structures de soutien, en particulier en ce qui concerne les victimes transfrontalières ;
3.1.2. à envisager de procéder au recensement de toutes les personnes touchées par un attentat, quels que soient leur nationalité et leur statut de résident, et les informer de leur droit d'accès à la justice, des conditions d'indemnisation et de l'existence de services et d'organisations de soutien ;
3.1.3. à reconnaître l’importance humanitaire, juridique et stratégique d’apporter un soutien rapide et efficace aux victimes à chaque étape du processus de reconstruction, afin de leur donner les moyens d’agir, en tant que survivants, et de réduire au minimum les dommages causés, au niveau individuel comme au niveau de la société ;
3.2. concernant le soutien aux victimes du terrorisme à l’échelle nationale:
3.2.1. à fournir aux victimes du terrorisme une assistance médicale, psychologique, matérielle, juridique et sociale appropriée de façon urgente et sur le long terme ;
3.2.2. à garantir aux victimes du terrorisme le droit à une restitution, une réparation ou une indemnisation équitables, sans condition de revenus et indépendamment de leur résidence ou de leur nationalité, dans l’État où l’attentat a eu lieu, ainsi qu’aux membres de leur famille proche ou aux bénéficiaires de la victime directe ;
3.2.3. à veiller à ce qu’un organisme public spécialisé réponde aux besoins des victimes d'actes terroristes en adoptant une approche globale et empathique, axée sur les victimes ;
3.2.4. à élaborer des services et supports d’information multilingues décrivant les services et infrastructures nationaux d’assistance aux victimes ;
3.2.5. à veiller à ce que les organismes et organes publics, qui ne s’occupent pas spécifiquement des victimes d’actes terroristes, mais avec lesquels celles-ci peuvent avoir à interagir, reçoivent une formation adéquate et continue ainsi que des financements adéquats ;
3.2.6. à assurer la coordination entre les organismes publics compétents afin de réduire au minimum les formalités administratives pour les victimes, d’assurer la cohérence des prestations de services et de garantir une transparence maximale ;
3.2.7. à accorder une attention particulière aux besoins spécifiques des groupes vulnérables de victimes tels que les victimes transfrontalières, les minorités, les femmes, les jeunes et les enfants ;
3.2.8. à offrir aux victimes de terrorisme, dans la mesure du possible, la possibilité de participer aux procédures pénales  les concernant;
3.2.9. à veiller à ce que tout soit mis en œuvre pour protéger de manière adéquate les victimes de toute nouvelle victimisation, tant de la part des assaillants à l’origine de l’attaque que de ceux ralliés à leur cause, et de toute victimisation secondaire résultant de leurs interactions avec les autorités ;
3.2.10. à défendre la dignité et la vie privée des victimes en les informant de leurs droits vis-à-vis des médias et de leur vie privée et droit à l’image, et en encourageant la presse à respecter certaines normes d’éthique et à éviter les reportages dégradants ou sensationnalistes, tout en respectant la liberté de la presse ;
3.2.11. à sensibiliser le public aux risques que peuvent représenter les réseaux sociaux lorsqu’ils véhiculent des informations ou des images privées et potentiellement choquantes concernant les victimes ou les attentats terroristes ;
3.2.12. à envisager la création de fonds humanitaires provenant d’appels aux dons spécifiques ou, à tout le moins, en superviser les conditions et en assurer le contrôle, afin de s’assurer que les fonds recueillis par le public soient utilisés de manière effective et efficiente ;
3.2.13. à lutter contre les discours et incitations de diverses formes des terroristes, conformément à la Résolution 2221 (2018) de l’Assemblée, par le biais de programmes scolaires et de campagnes de sensibilisation soulignant les valeurs suprêmes que sont la dignité humaine, la paix, la non-violence, la tolérance et les droits humains, et en impliquant les victimes d’actes terroristes ;
3.2.14. à prendre des mesures appropriées pour parvenir à la reconnaissance sociale et à la commémoration des victimes, par le biais d’initiatives telles que les musées, les cérémonies commémoratives et les médailles ;
3.3. concernant le soutien aux victimes du terrorisme en coopération avec la société civile:
3.3.1. à travailler en étroite collaboration avec les organisations de la société civile telles que les associations de victimes, de préférence dans le cadre d’un accord clair et formel, sur des projets d’élaboration de politiques, des campagnes de sensibilisation et de collecte de fonds ainsi que des programmes de recherche, d'éducation et de formation ;
3.3.2. à aider la société civile et, en particulier, les organisations non gouvernementales qui apportent un soutien aux victimes du terrorisme dans le cadre pénal à améliorer l’offre de services liés à la justice en faveur des victimes ainsi que de leur famille et ayants droit ;
3.3.3. à revoir la base et la mise en œuvre des subventions accordées aux organisations non gouvernementales, consulter ces dernières au sujet de leurs besoins, suivre et évaluer en permanence les services de soutien fournis, afin de garantir une distribution effective et efficiente des ressources ;
3.4. concernant le soutien aux victimes du terrorisme à l’échelle internationale:
3.4.1. à mettre en œuvre l’article 13 de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE n° 196) intitulé « Protection, dédommagement et aide aux victimes du terrorisme » ;
3.4.2. à mettre en œuvre, de manière proactive, les Lignes directrices révisées du Comité des Ministres sur la protection des victimes d’actes terroristes du 19 mai 2017 ;
3.4.3. à renforcer la coopération internationale non seulement pour lutter plus efficacement contre les organisations terroristes, mais aussi pour mieux partager les informations entre les services nationaux d’indemnisation, éviter les cas de double indemnisation ou de non indemnisation, et coordonner l’assistance ;
3.4.4. à partager les bonnes pratiques, les expériences positives et l’expertise en passant notamment par les organisations internationales afin que la communauté internationale puisse apprendre de l’expérience unique de certains États et soutenir ainsi la formation des professionnels de l’assistance aux victimes ;
3.4.5. à donner la priorité à l’amélioration du soutien aux victimes transfrontalières du terrorisme dans les réformes à venir .
4. L’Assemblée invite l’Union européenne:
4.1. à faire en sorte que le Centre d’expertise pour les victimes du terrorisme de l’Union européenne prenne également une dimension paneuropéenne et coordonne ses activités avec le Conseil de l'Europe, notamment en vue de promouvoir la pleine application de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE n° 196) ainsi que le Protocole additionnel à la Convention de 2015 (STCE n° 217) et les Lignes directrices révisées du Comité des Ministres sur la protection des victimes d’actes terroristes du 19 mai 2017;
4.2. à examiner, en concertation avec le Conseil de l'Europe, la possibilité d'adopter une Charte européenne des droits des victimes du terrorisme afin de faciliter la reconnaissance, la communication et la coordination en Europe et ainsi marquer l’importance des droits et la reconnaissance du statut de victimes du terrorisme.
5. Enfin, l'Assemblée estime que les survivants d'attaques terroristes, ainsi que les anciens terroristes et combattants étrangers, devraient participer activement à tous les efforts visant à prévenir la radicalisation conduisant à l'extrémisme violent dans tous les États membres du Conseil de l'Europe, et décide de suivre de près cette question dans ses futurs travaux.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 27 juin 2019.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution ... (2019) sur Protéger et soutenir les victimes du terrorisme et se félicite de l’action menée par certains États membres du Conseil de l’Europe pour accompagner leurs stratégies antiterroristes de mesures concrètes visant à garantir une protection et une assistance appropriées aux victimes du terrorisme.
2. L'Assemblée se félicite également des Lignes directrices révisées du Comité des Ministres sur la protection des victimes d'actes terroristes de 2017, ainsi que de la Stratégie du Conseil de l’Europe contre le terrorisme (2018-2022) qui reconnaît, entre autres, que les efforts visant à renforcer la sécurité et à lutter efficacement contre les organisations terroristes devraient s’accompagner d’une meilleure coordination de l’aide aux victimes.
3. L'Assemblée considère qu'un engagement plus soutenu de la part des États membres est nécessaire pour garantir une protection adéquate des victimes d'actes terroristes dans tous les États membres du Conseil de l'Europe. Elle tient à souligner que l’assistance aux victimes doit prendre une dimension internationale, en raison du risque accru que des citoyens des États membres soient victimes d’une attaque terroriste dans d’autres pays européens ou en dehors de l’Europe.
4. L’Assemblée invite donc le Comité des Ministres:
4.1. à recommander aux États membres:
4.1.1. de mettre en œuvre, de manière proactive, les Lignes directrices révisées du Comité des Ministres sur la protection des victimes d’actes terroristes du 19 mai 2017 ;
4.1.2. de promouvoir la pleine application de l’article 13 de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE n° 196) intitulé « Protection, dédommagement et aide aux victimes du terrorisme » ;
4.1.3. de renforcer la coopération internationale en vue de mieux partager les informations entre les services nationaux d’indemnisation, d’éviter les cas de double indemnisation et de coordonner l’assistance ;
4.1.4. de partager les bonnes pratiques, les expériences et l’expertise en passant notamment par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, afin que la communauté internationale puisse apprendre de l’expérience unique de certains États ;
4.1.5. de donner la priorité à l’amélioration du soutien aux victimes transfrontalières du terrorisme dans les réformes à venir ;
4.2. à accélérer ses travaux pour créer un réseau de points de contact uniques pour l'échange d'informations procédurales concernant le statut juridique des victimes du terrorisme dans les juridictions des États membres, ainsi que dans les autres États concernés, y compris à l’extérieur de l’Europe ;
4.3. à examiner, en concertation avec l’Union européenne, la possibilité d'adopter une Charte européenne des droits des victimes du terrorisme afin de faciliter la reconnaissance, la communication et la coordination dans une Europe élargie.
5. L’Assemblée souhaite continuer à être pleinement informée des travaux sur la lutte contre le terrorisme et la protection des victimes menés par le Comité des Ministres et par les comités et groupes de travail concernés.

C. Exposé des motifs par Mme Karamanli, Rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Le terrorisme n'est pas un phénomène nouveau en Europe. Ces dernières années, plusieurs États membres du Conseil de l’Europe ont été la cible d’attaques terroristes au fort retentissement, menées par des groupes et des individus, telles que les attentats d’Oslo et Utøya en 2011, Paris et Londres en 2015, Bruxelles, Nice, Berlin et Istanbul en 2016, Manchester, Saint Pétersbourg, Stockholm, Paris et Barcelone en 2017, Londres en 2017 et 2018 ainsi que Strasbourg en 2018.
2. Selon un rapport d'Europol de 2018, 205 attentats terroristes ont eu lieu, ont été déjoués ou ont échoué en Europe pour la seule année 2017. Plus de la moitié des cas ont été enregistrés au Royaume-Uni. Dans la la période 2000-2017, 1 790 personnes ont été tuées, dont 740 dans l’Union européenne et on compte 1 050 victimes européennes en dehors de l’Union. Sur les 740 victimes tuées dans l’Union européenne, 640 étaient des ressortissants de l’Union, 117 avaient une autre nationalité et 9 étaient de nationalité inconnue 
			(3) 
			Maite Pagazaurtundua-Ruiz,
Black and white paper on terrorism in Europe: Victim’s data and
status. Pour la défense de la liberté et de la sécurité contre le
fanatisme au 21e siècle, ADLE, Bruxelles-Madrid, mai 2017..
3. Depuis quelques années, la politique antiterroriste est majoritairement axée sur la lutte contre le terrorisme et les terroristes, en particulier leur idéologie et leurs motivations. Néanmoins, il est au moins aussi important de veiller à ce que les États et les organisations internationales ne négligent pas les victimes d’attentats terroristes, mais leur accordent une protection appropriée dans leur mission de défense de la dignité et de la protection des droits humains ainsi que dans leur stratégie de lutte contre le terrorisme.
4. À plusieurs reprises, l'Assemblée parlementaire a exprimé avec la plus grande fermeté sa condamnation de tous les actes de terrorisme. Ses résolutions en sont la preuve, notamment la Résolution 2090 (2016) Combattre le terrorisme international tout en protégeant les normes et les valeurs du Conseil de l’Europe, la Résolution 2091 (2016) Les combattants étrangers en Syrie et en Irak, la Résolution 2113 (2016) Après les attaques de Bruxelles, un besoin urgent de répondre aux défaillances de sécurité et de renforcer la coopération contre le terrorisme, la Résolution 2190 (2017) Poursuivre et punir les crimes contre l’humanité, voire l’éventuel génocide commis par Daech et la Résolution 2211 (2018) Le financement du groupe terroriste Daech: enseignements retenus.
5. L'Assemblée a également souligné la nécessité d’élaborer, face au terrorisme, des discours alternatifs positifs visant à dénoncer les propos extrémistes et les contre-vérités, par exemple à dissiper les illusions sur la réalité des territoires contrôlés par Daech et le sort de ses recrues. Cela était l’objet du rapport sur Les contre-discours face au terrorisme et de la Résolution 2221 (2018) ainsi que de la Recommandation 2131 (2018), adoptées par la suite, auxquelles notre commission a contribué par un avis.
6. Au cours des trois dernières années, notre Assemblée s'est engagée dans différentes initiatives pour encourager la société à faire face à toute forme de violence politique. En 2016, elle a lancé l’initiative #NiHaineNiPeur afin d’inciter les décideurs, les universitaires, les journalistes, les représentants de la société civile et les citoyens ordinaires à rejeter la peur et la haine sous toutes ses formes, pour s'attaquer au sentiment d'insécurité collective et à la stigmatisation de certains groupes au sein de la société.
7. Avant ma désignation en tant que Rapporteure le 25 janvier 2018, notre commission était déjà sensible à la situation des victimes d’attaques terroristes et avait recueilli, en septembre et octobre 2016, les témoignages 
			(4) 
			Voir
les extraits des auditions pertinentes de 2016 jusqu’à présent dans <a href='http://www.assembly.coe.int/LifeRay/POL/Pdf/DocsAndDecs/2019/AS-POL-INF-2019-08-FR.pdf'>AS/Pol/Inf
(2019) 08</a>. de survivants ou de membres de la famille des victimes qui, aux côtés d’experts en la matière, ont fourni de précieuses informations pour mieux comprendre le point de vue des victimes. Les témoignages de M. Bjørn Ihler qui a échappé aux attaques en Norvège en 2011 sur l'île d'Utøya, de Mme Luciana Milani qui a perdu sa fille dans les attentats de Paris de novembre 2015, et de M. Antoine Leiris qui a perdu sa femme lors de ces mêmes attentats, ont été particulièrement émouvants.
8. Par ailleurs, le 11 octobre 2016, M. David Anderson, expert indépendant en matière de législation antiterroriste, a souligné, à juste titre, que la protection des droits humains ne fait pas obstacle à la lutte contre le terrorisme et l'extrémisme, mais souligne plutôt son importance. Se référant aux attentats terroristes islamiques de ces dernières années, il a souligné la responsabilité de l'Europe non seulement de faire respecter les lois contre le terrorisme, mais aussi de protéger la population, y compris les musulmans, contre les griefs et les crises identitaires susceptibles de les rendre vulnérables à l’extrémisme, en particulier au djihadisme salafiste.
9. Le 28 juin 2017, les témoignages de M. Brendan Cox, fondateur de la Fondation Jo Cox, du nom de l’ancienne députée assassinée en 2016, de Mme Sajda Mughal, directrice exécutive de l'organisation JAN Trust et rescapée de l'attentat terroriste de Londres en 2015, et de l’imam Muhammad Imran, formateur au sein du programme «Me and You» («Moi et toi») à Manchester, ont livré à la commission des observations pointues et éclairées sur le rôle actif qu'une société civile résiliente – notamment les organisations de victimes et de survivants – peut jouer dans la lutte contre le terrorisme.
10. Le 22 mai 2018 à Athènes, notre commission a tenu un échange de vues et une discussion sur le rôle du Conseil de l’Europe en faveur des victimes du terrorisme, avec la participation de M. Travis Frain, survivant de l’attentat terroriste de Westminster et membre de l'organisation britannique Survivors against Terror, de Mme Susanne Gentz, du Comité international de la Croix-Rouge, et de Mme Mary Bossis, professeure à l’Université du Pirée.
11. Tout récemment, la publication de la Stratégie du Conseil de l’Europe contre le terrorisme (2018-2022) a défini une série d’actions et d’outils conçus pour aider les autorités nationales dans leur lutte contre le terrorisme 
			(5) 
			<a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=09000016808afc96'>Stratégie
du Conseil de l’Europe contre le terrorisme (2018-2022)</a>, 4 juillet 2018.. Cela inclut la reconnaissance du fait que les efforts visant à renforcer la sécurité et à lutter efficacement contre les organisations terroristes devraient s’accompagner d’une meilleure coordination de l’aide aux victimes, ce qui est l’objet de mon rapport.
12. Aux fins de mon analyse, j’ai défini la notion de victime d’actes terroristes en vue principalement de mieux identifier leurs besoins ainsi que les meilleures stratégies au niveau national et international pour y répondre.
13. J’ai identifié quatre études de cas reflétant différentes approches: ces dernières années, l’Espagne, le Royaume-Uni et la France ont subi des attentats de grande ampleur – dans certains cas le terrorisme y perdure depuis plusieurs dizaines d’années – ce qui les a amenés à développer et mettre en œuvre des stratégies et des politiques de soutien aux victimes qui valent la peine d’être partagées avec tous les États membres du Conseil de l’Europe. Par ailleurs, bien que l’Allemagne ait une histoire récente moins lourde en matière de terrorisme, son expérience des dernières années a mis en lumière des problèmes dont les autres pays pourraient aussi tirer des leçons.
14. En avril 2019, j’ai participé à la conférence organisée à Saint-Pétersbourg sur le thème de «La lutte contre le terrorisme international» 
			(6) 
			Co-organisée
par l’Assemblée interparlementaire de la CEI, l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe, l’Assemblée parlementaire de l’OSCE, l’Assemblée
parlementaire de la Méditerranée, l’Assemblée parlementaire de l’OTSC,
l’Union interparlementaire, le Bureau de lutte contre le terrorisme
des Nations Unies, et l'Office des Nations unies contre la drogue
et le crime. . Je suis intervenue dans la session dédiée au «Rôle des institutions internationales dans la construction d’une stratégie commune de lutte contre le terrorisme» en insistant sur le lien entre cet objectif fondamental et la nécessité de mieux protéger les victimes. En effet, il est juste et efficace de mieux protéger les victimes du terrorisme. D’une part, la solidarité nationale doit avoir pour préoccupation une indemnisation équitable du dommage spécial et anormal subi par les victimes. D’autre part, les organisations internationales doivent avoir pour préoccupation de donner des lignes directrices pour cette protection afin d’envoyer un signal fort aux victimes et aussi aux agresseurs.
15. Le 14 novembre 2018, j’ai effectué une visite en Espagne et je souhaiterais remercier les autorités ainsi que les organisations de la société civile pour les discussions fructueuses que nous avons eues à Madrid et qui ont grandement éclairé mon rapport. Le 11 décembre 2018, la commission a tenu un échange de vues avec M. Julien Rencki, Directeur général du Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI), France, et Madame Julie Heisserer, responsable des relations européennes et internationales de la délégation interministérielle à l’aide aux victimes auprès du Ministère de la Justice français. En outre, le 20 mai 2019, la commission a tenu un autre échange de vues avec M. Jonas Knetsch, Professeur à l’université Jean Monnet de Saint-Étienne et M. Christophe Poirel, Directeur, Direction des droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Des représentants du Royaume-Uni et de l’Allemagne ont été également invités à commenter mon rapport et les autorités allemandes ont formulé des observations et des suggestions. Enfin, le 24 juin 2019, la commission a tenu un échange de vues avec le Professeur Francis Eustache, Directeur de l'Unité "Neuropsychologie et Imagerie de la Mémoire Humaine", Pôle des Formations et de Recherche en Santé (PFRS) et a discuté de l'impact du traumatisme sur la mémoire des victimes d’actes terroristes.

2. Définir le terrorisme et les victimes: une tâche complexe, mais nécessaire

2.1. Définir le terrorisme

16. Le terrorisme est un phénomène qui peut se manifester sous différentes formes, c’est pourquoi il est difficile de trouver une définition universellement acceptée. Les autorités à travers le monde utilisent des définitions différentes dans leur législation nationale et ce problème est souvent exacerbé par la charge politique et émotionnelle du terme lui-même 
			(7) 
			 The International
Centre for Counter-Terrorism – The Hague (ICCT) <a href='https://icct.nl/publication/radicalisation-de-radicalisation-counter-radicalisation-a-conceptual-discussion-and-literature-review/'>Radicalisation,
De-Radicalisation, Counter-Radicalisation: A Conceptual Discussion
and Literature Review</a>, 27 mars 2013. . La diversité des actes, des sujets, des objectifs, des histoires et des réponses nationales explique «ce caractère protéiforme (qui) est sans doute à l’origine de l’absence de définition unitaire du terrorisme» 
			(8) 
			La lutte contre le
terrorisme dans le droit et la jurisprudence de l’Union européenne,
Rapport final de la recherche réalisée avec le soutien de la Mission
de recherche Droit et justice, sous la direction d’Emmanuelle Saulnier-Cassia, France,
2012, <a href='http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2018/07/RF-Saulnier-Cassia-09.27-Rapport.pdf'>http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2018/07/RF-Saulnier-Cassia-09.27-Rapport.pdf.</a>.
17. Les actes terroristes sont généralement le fait de groupes non étatiques ou même d'acteurs individuels qui peuvent avoir été aidés ou être aidés par des États. Le terrorisme est de toute évidence une menace unique en son genre et il est par conséquent primordial d’apporter un soutien spécifique à ses victimes.
18. La Convention du Conseil de l’Europe de 2005 pour la prévention du terrorisme (STCE n°196) ne définit pas ce qu’est le terrorisme, mais érige en infractions pénales la provocation publique à commettre une infraction terroriste ainsi que le recrutement et l’entraînement pour le terrorisme. Le Protocole additionnel à la Convention de 2015 (STCE n° 217) érige en infractions pénales le fait d’être recruté pour le terrorisme, le fait de recevoir un entraînement pour le terrorisme, de se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme et de fournir ou collecter des fonds pour de tels voyages 
			(9) 
			Conformément à son
mandat, le CDCT examine actuellement la possibilité d'élaborer une
définition juridique du terrorisme afin de modifier ou de remplacer
l'article 1 de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention
du terrorisme, en vue d'améliorer encore la clarté juridique du
crime de terrorisme entre les Parties..

2.2. Définir les victimes

19. Les victimes véhiculent le message des assaillants 
			(10) 
			Argomaniz,
J. et Lynch, O., The Complexity of Terrorism – Victims, Perpetrators
and Radicalization, Studies in Conflict
and Terrorism 41(7), 2018. . La victime n’est donc pas un dommage collatéral isolé d’un acte de violence politique, mais une partie intégrante du terrorisme et donc de la lutte contre le terrorisme.
20. Afin de garantir une politique antiterroriste complète et efficace, il est primordial que les victimes des attaques terroristes soient facilement identifiables et formellement reconnues par la législation, les politiques et les procédures. Toutefois, comme pour le concept de terrorisme, il n’existe malheureusement aucune définition universellement acceptée de ce qu’est une «victime de terrorisme».
21. Dans leur Déclaration des principes fondamentaux de 1986, les Nations Unies définissaient les victimes de la criminalité comme «des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un État membre» 
			(11) 
			<a href='https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/VictimsOfCrimeAndAbuseOfPower.aspx'>Déclaration
des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la
criminalité et aux victimes d'abus de pouvoir</a>, adoptée par l'Assemblée générale dans sa Résolution
40/34 du 29 novembre 1985..
22. Le rapport des Nations Unies sur la Protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, adopté par l'Assemblée générale le 19 décembre 2011, prévoit une classification des victimes de terrorisme en quatre grandes catégories: victimes directes, victimes secondaires, victimes indirectes et victimes potentielles 
			(12) 
			<a href='http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/66/171&Lang=F%2021.'>A/RES/66/171</a>..
23. Cependant, selon une étude menée par le département thématique Droits des citoyens et affaires constitutionnelles du Parlement européen en 2017, intitulée How can the EU and the Member States better help the victims of terrorism ? («Comment l'UE et les États membres peuvent-ils mieux aider les victimes du terrorisme ?), la classification proposée par les Nations Unies risque de créer une approche hiérarchique qui ne tiendra pas compte des préjudices psychologique, physique et financier. 
			(13) 
			<a href='http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2017/596805/IPOL_STU(2017)596805_EN.pdf'>How
can the EU and the Member States better help the victims of terrorism?</a>, étude pour la Commission LIBE, 2017.
24. Le statut de victime peut varier considérablement, non seulement en fonction des individus et des communautés, mais également au fil du temps. Bien qu’il puisse être nécessaire de restreindre ou d’élargir ces définitions en fonction du soutien apporté, il est important qu’une définition large soit adoptée aux étapes initiales de la réponse, afin de s’assurer que personne ne soit indûment exclu. Les Lignes directrices révisées du Comité des Ministres sur la protection des victimes d'actes terroristes de 2017 offrent une définition assez générale: «une victime est toute personne qui a subi un préjudice physique ou psychologique direct du fait d'un acte terroriste et, dans des circonstances appropriées, sa famille proche».

2.3. Les besoins des victimes

25. La nature publique et aveugle de ces attentats fait que l’expérience des victimes est unique et peut par conséquent faire naître des besoins différents de ceux des victimes d’infractions «ordinaires». Les besoins fondamentaux de toutes les victimes d’infractions incluent:
  • la reconnaissance (du statut de victime et des souffrances endurées) ;
  • la protection (de toute violence supplémentaire et/ou d’une victimisation secondaire) ;
  • le soutien (accès à une assistance juridique, financière, médicale et psychologique, à l’information, et à un accompagnement vers un retour à une vie personnelle et professionnelle « normale ») ;
  • la lutte contre toute forme de discrimination dont pourraient être l’objet les victimes;
  • la justice ;
  • l’indemnisation.
26. En outre, les besoins des victimes peuvent évoluer dans le temps. Si certains de ces besoins peuvent être satisfaits par les structures et dispositifs existants de soutien aux victimes d’infractions «ordinaires», une approche spécifique est souvent nécessaire. Le Professeur Eustache a également souligné la nécessité d'études à long terme sur la mémoire intrusive et le syndrome de stress post-traumatique propres aux victimes du terrorisme. Certains groupes peuvent être considérés comme vulnérables et ainsi nécessiter un soutien adapté. Ces groupes incluent, sans s’y limiter, les enfants, les victimes transfrontalières, et les personnes souffrant de troubles mentaux qui doivent recevoir une assistance spécialisée. De plus, toute victime du terrorisme devrait bénéficier des mêmes droits et services, indépendamment de leur nationalité et de leur statut de résident par exemple.

2.4. Pourquoi protéger et soutenir les victimes est important pour tous

27. La reconnaissance et le soutien sont un acte important qui renforce la dignité des victimes et leur donne la force de se muer en survivants au lieu d’être de simples victimes. En tant que survivants, elles sont capables de créer leur propre contre-discours sur les droits humains, la résilience, la justice, l'amour et le respect, qui peuvent être des outils puissants pour combattre la propagation de l'extrémisme. Les nombreuses auditions organisées par la commission au cours des cinq dernières années ont montré que les victimes sont souvent, en fait, les acteurs les mieux placés pour contrer l’extrémisme violent.
28. Étant donné que les attaques terroristes modernes sont généralement dirigées contre l’État plutôt que contre des individus, l’État a une obligation non seulement légale, mais aussi morale de protéger et soutenir les victimes.
29. La lutte contre le terrorisme est majoritairement axée sur l’élimination de la menace physique à l’aide de mesures de contre-radicalisation, de répression et de sécurité, conçues pour empêcher les attentats. Soutenir et mettre en œuvre toutes les mesures susceptibles d’aider les victimes à retrouver leur autonomie à la suite d’un attentat est tout aussi important que de neutraliser la menace psychologique. Il y a par conséquent un intérêt clairement stratégique à élaborer un contre-discours positif qui affirme que la terreur ne détruira pas les principes fondamentaux de la démocratie et des droits humains 
			(14) 
			Javier Martín-Peña,
Ana Andrés, Pedro J. Ramos-Villagrasa & Jordi Escartín, Living under threat: psychosocial effects on
victims of terrorism, Behavioral Sciences of Terrorism
and Political Aggression, 9(3), 2016.. C’est ce qui ressort clairement de la Résolution 2221 (2018) de l’Assemblée sur Les contre-discours face au terrorisme, selon laquelle les victimes ont un rôle important à jouer pour diffuser des «discours alternatifs positifs [et] préventifs» «en promouvant des valeurs communes et en facilitant le dialogue, en encourageant la sensibilisation et en dissipant les fausses informations» 
			(15) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=24554&lang=FR'>Les
contre-discours face au terrorisme</a>, rapport de la commission des questions juridiques et
des droits de l'homme, 2018..
30. En visant notamment des civils et des particuliers, l’objectif de toute action terroriste est de faire vaciller l’État de droit et de générer des réactions extrêmes au sein même des institutions comme de l’opinion publique. En revanche, les manifestations massives d’unité et de solidarité après un attentat montrent à quel point le terrorisme peut galvaniser l’attachement aux droits humains et aux valeurs démocratiques. Antoine Leiris, qui a témoigné devant la commission, a écrit sur l’attentat de novembre 2015 à Paris au cours duquel sa femme a été tuée: «[les terroristes] n’auront pas ma haine». Cette simple déclaration est un rappel fondamental de l’importance de soutenir et d’accompagner les victimes afin de limiter autant que possible l’étendue des ravages causés par le terrorisme.

3. Soutenir les victimes au niveau national: une double approche

31. Le soutien apporté aux victimes à l’échelle nationale vient généralement d’une ou deux sources: les autorités nationales, par le biais de mesures juridiques et institutionnelles, et les organisations non gouvernementales de la société civile. Ces sources ne sont pas incompatibles et le soutien apporté par la société civile ne doit en aucun cas abroger les responsabilités et obligations de l’État.

3.1. Mesures juridiques et institutionnelles proposées par les autorités nationales

32. De nombreux États membres du Conseil de l’Europe ont instauré des mesures juridiques et institutionnelles afin de soutenir les victimes d’infractions. Cependant, ces mesures sont rarement spécifiques aux victimes du terrorisme. La compilation des commentaires adressés par 20 États membres au Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH) du Conseil de l’Europe 
			(16) 
			Allemagne, Autriche,
Belgique, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande,
France, Macédoine du Nord, Monaco, Monténégro, Norvège, Pays-Bas,
Pologne, Portugal, Suède, Suisse et Turquie. montre la grande disparité des niveaux de protection et d’assistance en Europe.
33. Certains gouvernements désignent, au sein du secteur de la justice pénale, un organisme chargé de mettre en œuvre des politiques spécifiquement conçues pour soutenir les victimes de terrorisme. Il est recommandé qu’un seul organisme soit établi comme point de contact pour les victimes et qu’il soit chargé de coordonner les différents services de soutien disponibles, assurant ainsi une stratégie cohérente et globale axée sur les victimes 
			(17) 
			<a href='https://www.unodc.org/documents/terrorism/Publications/Good practices on victims/good_practices_victims_F.pdf'>Bonnes
pratiques en matière de soutien aux victimes du terrorisme dans
le cadre de la justice pénale</a>, ONUDC, 2015..
34. En raison du caractère de plus en plus mondialisé du terrorisme et de ses victimes, il est important que le ou les organismes désignés pour soutenir les victimes reçoivent la formation adéquate pour aider les victimes qui ne sont pas des résidents ou des citoyens du territoire où l’attentat a eu lieu. Les victimes transfrontalières ignorent souvent quels sont leurs droits dans le pays où l’attentat a eu lieu et il est donc impératif que les autorités nationales communiquent avec elles de manière proactive 
			(18) 
			<a href='https://victimsupport.eu/activeapp/wp-content/uploads/2017/02/VSE-Cross-border-Victimisation-Report.pdf'>Challenges
and solutions with respect to the provision of support to victims
of crime in a cross-border situation</a>, Victim Support Europe, 2017.. Dans de nombreux cas, cela peut nécessiter la collaboration avec d’autres gouvernements ou organisations internationales.
35. De la même manière, d’autres groupes de victimes peuvent être considérés comme «vulnérables», tels que les enfants, les minorités, les femmes ou les personnes souffrant de troubles mentaux, et doivent par conséquent faire l’objet d’une attention particulière. Il est recommandé d’évaluer les besoins, afin d’identifier les personnes ayant des besoins particuliers auxquels les services standard d’assistance aux victimes pourraient ne pas répondre 
			(19) 
			“<a href='http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2017/596805/IPOL_STU(2017)596805_EN.pdf'>How
can the EU and the Member States better help victims of terrorism ?</a>” - Département thématique Droit des citoyens et affaires
constitutionnelles du Parlement européen, 2017..
36. De plus, les gouvernements devraient veiller à ce que les organismes non-spécifiques d’aide aux victimes dans le secteur de la justice pénale reçoivent une formation appropriée et disposent des ressources adéquates pour répondre aux besoins des victimes d’actes terroristes.
37. Lorsque cela est possible, les victimes devraient avoir la possibilité d’assister, de prendre part et/ou d’être associées d’une manière ou d’une autre au processus judiciaire, si elles le souhaitent. Cela est primordial pour garantir le droit des victimes à la justice et à la vérité et contribuer ainsi à l’autonomisation des victimes, à renforcer la confiance publique et la solidarité sociale, avec pour effet de réduire au maximum les dégâts causés par un attentat terroriste 
			(20) 
			ONUDC, op. cit.. Mes discussions avec les autorités espagnoles, notamment l’Audiencia Nacional, ont confirmé ce point.
38. Le soutien financier est souvent une préoccupation majeure pour les victimes du terrorisme, car l’attentat terroriste peut entraîner des frais, à la fois immédiats et à plus long terme, accentuant encore le traumatisme initial. Les victimes de terrorisme sont habituellement prises en charge par les mêmes structures d’indemnisation que les victimes d’infractions de droit commun, mais ce n’est pas toujours le cas et ces structures sont parfois difficiles d’accès, en particulier pour les victimes transfrontalières 
			(21) 
			<a href='https://doi.org/10.2298/TEM1701065W'>Peer-support Groups
for Cross-border Victims of Terrorism: Lessons Learnt in the UK
after the 9/11 and Paris Attacks</a>, Watkins, J., Australian Journal of Emergency Management,
2017.. Ces dernières années, de nombreux attentats ont donné lieu à des appels aux dons, permettant à la population d’aider les victimes. Toutefois, ces initiatives sont plutôt ponctuelles et spontanées, ce qui peut entraîner une redistribution incohérente ou inefficace, allant dans certains cas jusqu’à la fraude 
			(22) 
			Survivors Against Terror
and the Tim Parry Johnathan Ball Peace Foundation, The Case for
a new British Solidarity Fund, 2018..
39. Les autorités nationales devraient donc s’assurer que des solutions appropriées de soutien financier sont à la disposition de toutes les victimes du terrorisme, indépendamment de leur lieu de résidence ou de leur citoyenneté, et que les appels aux dons soient soumis à un certain contrôle pour garantir une collecte et une redistribution effectives et efficientes de ceux-ci.
40. Il est essentiel de veiller à ce que l'aide aux victimes du terrorisme soit coordonnée, complète et efficace pour éviter une victimisation secondaire, qui ne résulte pas de l'acte criminel initial, mais de la réponse institutionnelle à la victime, ce dont la commission a été directement témoin lors d'une audition avec un survivant britannique. Les politiques et les cadres institutionnels d’assistance aux victimes devraient avoir pour objectif de réduire le plus possible voire de supprimer toutes les démarches administratives superflues, de garantir la cohérence de l’offre de services entre les différents cas et de développer au maximum la transparence envers les victimes, afin de renforcer la confiance publique et d’alimenter un sentiment profond de communauté et de solidarité.
41. Les gouvernements devraient également prendre conscience de l’importance de préserver la vie privée et la dignité des victimes, afin d’éviter une victimisation secondaire. Cela consiste, en ce qui concerne la liberté de la presse, à décourager toute intrusion injustifiée des médias et toute forme de reportage sensationnaliste ou déshonorant qui pourrait être considéré comme dégradant pour les victimes 
			(23) 
			<a href='https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2017/03/guidelines_for_assistance_to_victims_of_terrorism.pdf'>Feuille
de route pour l’assistance aux victimes du terrorisme</a>, 2017..

3.2. Le rôle essentiel de la société civile

42. Comme cela a été évoqué lors des différentes auditions organisées par la commission, la société civile est particulièrement bien placée pour comprendre les besoins et les intérêts des victimes (de nombreuses organisations ont été fondées ou sont dirigées par des victimes elles-mêmes). Il est donc dans l’intérêt des autorités nationales et des organisations internationales de partager les informations, de se consulter, de faciliter les orientations et de coordonner les activités avec les organisations non gouvernementales engagées dans le soutien aux victimes de terrorisme.
43. Les organisations de victimes ont un rôle particulièrement important à jouer pour sensibiliser tous les acteurs de la société aux besoins des personnes touchées par des actes terroristes, en intervenant dans le discours public et en défendant les intérêts des victimes 
			(24) 
			<a href='https://www.osce.org/odihr/19356?download=true'>Background
Paper on Solidarity with the Victims of Terrorism</a>, OSCE, 2005.. Cela peut inclure des contre-discours moraux pour prévenir la propagation de l'extrémisme et promouvoir la tolérance, la non-violence et d'autres valeurs fondamentales, qui servent ainsi d’objectif stratégique clair pour les gouvernements et les organisations internationales dans leur lutte contre le terrorisme 
			(25) 
			Argomaniz, J. et Lynch,
O., op. cit..
44. Dans de nombreux pays, les autorités nationales accordent des fonds aux organisations de victimes pour les soutenir dans leur action. Les gouvernements devraient donc être à l’écoute des besoins de ces organisations et faire preuve de transparence dans la prise de décision concernant ce financement. Ainsi, ils devraient mener une consultation continue avec les organisations de la société civile et suivre leurs activités, afin d’assurer que les ressources sont utilisées de manière effective et efficiente. Idéalement, la coopération entre les autorités et la société civile devrait être formalisée à travers des protocoles d’accord ou d’autres formes d’accord.

4. L’importance croissante du soutien aux victimes aux niveaux international et multilatéral

45. Entre l’internationalisation croissante du terrorisme et le développement de la mobilité mondiale dont beaucoup jouissent aujourd’hui, il est de plus en plus probable que les ressortissants d’un État soient victimes du terrorisme dans un autre. Lors des attentats terroristes de 2017 à Barcelone et Cambrils, en Espagne, et de 2016 à Nice, en France, les citoyens de pas moins de respectivement 34 et 13 pays ont été touchés. Dès lors, la communauté internationale a un intérêt évident et urgent à assurer un soutien à toutes les victimes à la suite d’un attentat terroriste, indépendamment de leur citoyenneté ou de leur statut de résidence dans l’État frappé. À cet égard, les organisations internationales ont un rôle central à jouer en facilitant la coopération.

4.1. Le Conseil de l’Europe

46. En 2001, à la suite des attentats perpétrés aux États-Unis, le Conseil de l'Europe a créé un groupe multidisciplinaire d'action internationale contre le terrorisme qui, en 2003, est devenu le Comité d'experts sur le terrorisme (CODEXTER). Le CODEXTER a fait de la facilitation de l’échange de bonnes pratiques sur les régimes d'indemnisation des victimes du terrorisme une priorité, grâce aux travaux du Groupe de spécialistes sur l'assistance aux victimes 
			(26) 
			Ce groupe a discuté
des méthodes modernes d'assistance aux victimes et de prévention
de la victimisation. Dans un premier temps, il s'est concentré sur
les victimes d'actes terroristes, puis a élaboré des recommandations
établissant, entre autres, des normes et principes appropriés dans
ce domaine.. Le CODEXTER est depuis devenu le Comité du Conseil de l’Europe de lutte contre le terrorisme (CDCT), qui agit comme principal organe de coordination des activités du Conseil de l'Europe pour combattre le terrorisme. Il supervise et garantit la bonne application des instruments juridiques pertinents. Il réalisera une étude sur la manière dont sont traités les cas des victimes de terrorisme (en particulier ceux ayant une dimension transnationale). Sur la base de cette étude, un nouvel ensemble de recommandations ou de lignes directrices, en coopération avec le Comité européen pour les problèmes criminels et le Comité directeur pour les droits de l'homme (CDDH), pourrait être envisagé.
47. Le travail et la coordination des différents organes du Conseil de l'Europe ont abouti à l'adoption, en 2006, par le Comité des Ministres de la Recommandation sur l'assistance aux victimes 
			(27) 
			En 2004, l’Assemblée
a adopté la Recommandation
1677 (2004) Défi du terrorisme dans les
États membres du Conseil de l’Europe et a invité le Comité des ministres
à traiter cette question. , qui soulignait la nécessité de services spécifiques d'aide aux victimes et de formation des professionnels travaillant avec les victimes 
			(28) 
			<a href='https://victimsupport.eu/activeapp/wp-content/uploads/2012/09/Recommendation-Rec20068-of-the-Committee-of-Ministries_Council-of-Europe11.pdf'>Recommandation
Rec(2006)8 sur l’assistance aux victimes d’infractions</a>, 2006..
48. En mai 2017, les États membres du Conseil de l'Europe ont adopté de nouvelles lignes directrices concernant le soutien, l'information et l'indemnisation des victimes d'attentats terroristes 
			(29) 
			Lignes directrices
révisées du Comité des Ministres sur la protection des victimes
d’actes terroristes.. Le Conseil de l'Europe recommande que les gouvernements des États membres s'inspirent de ces lignes directrices dans leur législation et leur pratique internes. Ses principales recommandations et principes sont notamment les suivants:
  • les autorités doivent apporter une aide en temps utile aux victimes d'attentats terroristes et organiser des possibilités de soutien médical, psychologique, social et matériel prolongé ;
  • les autorités de chaque État membre doivent également organiser des centres d'information pour les victimes et veiller à ce qu'elles aient accès à l'aide juridictionnelle et reçoivent une indemnisation adéquate en temps voulu, indépendamment de leur nationalité ou de leur statut de résidence ;
  • les gouvernements doivent être capables de fournir toutes ces mesures à toutes les victimes, sans discrimination et indépendamment de toute procédure judiciaire concernant le(s) auteur(s) de l’attaque ;
  • ces lignes directrices se réfèrent au droit des victimes de préserver leur vie privée et familiale et visent à parvenir à la reconnaissance et à la commémoration des victimes par la société.
49. L’article 13 de la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme de 2005 prévoit que les mesures «pour protéger et soutenir les victimes du terrorisme commis sur [le] territoire [d’un État partie]» comprennent notamment «l’aide financière et le dédommagement des victimes du terrorisme et des membres de leur famille proche». Toutefois, cette disposition s’applique uniquement aux victimes au sein d’un État membre et ne concerne pas les citoyens européens touchés par le terrorisme hors de l’Europe 
			(30) 
			Bien que la Convention
ne l’impose pas, conformément à l’évaluation thématique de la mise
en œuvre de l’art. 13, la plupart des États parties ayant répondu
ont prévu l'application de leurs régimes d’aide et d'indemnisation
des victimes aux victimes d'actes terroristes perpétrés en dehors
de leur territoire. .
50. Les États membres sont généralement réticents à introduire des dispositions détaillées sur l'indemnisation des victimes dans les instruments juridiques internationaux, en raison de leurs importantes conséquences financières. La plupart des Parties à la Convention ont pris des mesures pour venir en aide aux victimes du terrorisme, mais il est certain que davantage pourrait être fait. L'introduction de nouveaux instruments internationaux contraignants n'est peut-être pas la meilleure façon de procéder. La solution qui pourrait être la plus réalisable, et que je soutiens, serait dans un premier temps une recommandation du Comité des Ministres sur la question.
51. En juillet 2018, le Comité des Ministres a adopté une nouvelle Stratégie contre le terrorisme (2018-2022) axée sur la prévention, les poursuites et la protection, notamment l’aide aux victimes 
			(31) 
			<a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=09000016808afc96'>Stratégie
du Conseil de l’Europe contre le terrorisme (2018-2022)</a>, 2018<a href=''>.</a>. Cette stratégie demande en particulier que l’assistance aux victimes prenne une dimension internationale, en raison du risque accru que des citoyens des États membres soient victimes d’une attaque terroriste dans d’autres pays européens ou en dehors de l’Europe.
52. Lors de sa 3ème réunion plénière les 14 et 15 mai 2019, le CDCT a aussi décidé de créer un réseau de points de contact uniques pour l'échange d'informations procédurales concernant le statut juridique des victimes du terrorisme dans les juridictions des États membres du Conseil de l'Europe, ainsi que dans les autres États concernés, y compris à l’extérieur de l’Europe. Cela devrait être salué et soutenu par notre Assemblée.

4.2. Les Nations Unies

53. Lors de la réunion biannuelle de la Sous-commission des relations extérieures au siège de l’ONU (New-York, 5-6 décembre 2018), j’ai eu l’occasion d’échanger des vues avec de hauts fonctionnaires des Nations Unies. L'ONU a trois objectifs principaux dans le domaine du soutien aux victimes du terrorisme: faire en sorte que les voix des victimes soient entendues ; veiller au respect des droits fondamentaux des victimes ; considérer les victimes comme des alliées dans la lutte contre le terrorisme et l'extrémisme violent 
			(32) 
			<a href='https://www.un.org/undpa/en/speeches-statements/07042016/Preventing-Violent-Extremism'>Geneva
Conference on Preventing Violent Extremism, Département des affaires
politiques</a>, 2016<a href=''>.</a>.
54. Le Secrétaire général des Nations Unies, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme et l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) ont conjugué leurs efforts afin de mieux reconnaître les besoins particuliers des victimes du terrorisme et de mieux y répondre.
55. En juin 2014, le Secrétaire général des Nations Unies, avec un important soutien de l’Espagne, a lancé un portail web pour les victimes du terrorisme, afin de faciliter l'accès des victimes, de leur famille et de leur communauté aux différentes ressources, qu'il s'agisse de soutien psychosocial, d'accès aux systèmes nationaux de justice pénale ou de possibilités de réadaptation offertes par les États membres 
			(33) 
			<a href='https://www.un.org/counterterrorism/ctitf/fr'>Soutien
aux victimes du terrorisme et sensibilisation à leur cause</a>, Bureau de lutte contre le terrorisme, Équipe spéciale
de lutte contre le terrorisme, 2018<a href=''>.</a>.
56. En avril 2015, le Service de la prévention du terrorisme de l'ONUDC a publié un manuel intitulé «Bonnes pratiques pour aider les victimes du terrorisme dans le cadre de la justice pénale» 
			(34) 
			<a href='https://www.un.org/victimsofterrorism/fr/node/2250'>Bonnes
pratiques en matière de soutien aux victimes du terrorisme dans
le cadre de la justice pénale, ONUDC.</a>. Ce manuel aborde le cadre juridique et la capacité institutionnelle à déployer des efforts internationaux visant à protéger les victimes du terrorisme, les moyens mis en œuvre pour les soutenir lors des enquêtes pénales et le rôle joué par les organisations de la société civile pour accompagner ces efforts. En octobre 2015, l'Espagne a proposé une réunion informelle du Conseil de sécurité sur les victimes du terrorisme, donnant ainsi la parole aux victimes pour la première fois devant le Conseil de sécurité.
57. En 2016, dans le cadre de la Stratégie antiterroriste mondiale des Nations Unies, une conférence sur les droits humains des victimes du terrorisme a été organisée par le Centre des Nations Unies pour la lutte contre le terrorisme (UNCCT). Les objectifs étaient de sensibiliser le public aux droits des victimes du terrorisme et d'examiner comment les États peuvent renforcer leur législation, leurs procédures et leurs pratiques nationales pour mieux protéger et soutenir les victimes, leur communauté et leur famille. Un rapport du rapporteur spécial, Framework Principles for Securing the Human Rights of Victims of Terrorism (A/HRC/20/14) («Principes-cadres pour la protection des droits humains des victimes du terrorisme»), a présenté un ensemble de recommandations aux États membres afin qu’ils respectent leurs obligations internationales en la matière.

4.3. Union européenne

58. Malgré les efforts de l'Union européenne, les traités fondateurs eux-mêmes, qui ne se référaient pas expressément aux victimes d'actes criminels, empêchaient une action de grande envergure en faveur des droits des victimes. Reconnaissant cette lacune, lors du sommet de l'Union européenne à Lisbonne en 2007, le Conseil a convenu d’une base juridique supplémentaire dans les traités de l'Union pour assurer la protection des victimes. Cela a fourni le point de départ et l'élan pour examiner les droits des victimes et rédiger le principal instrument de l'Union européenne en la matière, la directive de 2012 sur les droits des victimes 
			(35) 
			<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?qid=1421925131614&uri=CELEX:32012L0029'>Directive
2012/29/UE du Parlement européen.</a>.
59. Cette directive est basée sur les cinq grands besoins des victimes: respect et reconnaissance, protection, soutien, accès à la justice et indemnisation. Elle élargit également la définition de victime, qui n’est plus exclusivement la victime directe, mais aussi les membres de la famille endeuillée, et reconnaît les besoins des victimes particulièrement vulnérables et fait expressément référence aux victimes du terrorisme, en soulignant qu'elles peuvent avoir besoin d'une attention, d'un soutien et d'une protection spécifiques. Les règles relatives aux droits des victimes ne sont pas toujours bien appliquées par les États membres de l'Union européenne et des procédures d'infraction sont en cours.
60. En mars 2017, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen ont approuvé la Directive (UE) 2017/541 relative à la lutte contre le terrorisme qui met davantage l’accent sur les victimes du terrorisme. 
			(36) 
			<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:32017L0541'>Directive
(UE) 2017/541 du Parlement européen, 2017</a>. La directive recommande qu’une réponse globale aux besoins spécifiques des victimes du terrorisme soit fournie immédiatement après un attentat terroriste et aussi longtemps que nécessaire par le biais de l'infrastructure nationale d'intervention d'urgence. Elle met également en avant la nécessité de veiller à ce que toutes les victimes du terrorisme aient accès aux informations sur les droits des victimes, sur les services de soutien disponibles et sur les systèmes d'indemnisation dans l'État membre où l'infraction terroriste a été commise (article 26). Cet aspect concerne également le niveau paneuropéen plus vaste et le Conseil de l'Europe pourrait servir de cadre d'action, soit par un texte juridiquement contraignant, soit par un texte non contraignant.
61. Le 10 mars 2017, à l’occasion de la Journée européenne de commémoration des victimes du terrorisme 
			(37) 
			Une Journée européenne
de commémoration des victimes du terrorisme a été instituée après
l’attentat à la bombe du 11 mars 2004 à Madrid. , les ministres et secrétaires d’État chargés de l’aide aux victimes de la Belgique, de la République tchèque, de la France, de la Grèce, de la Hongrie, de l’Italie, de la Roumanie, de l’Espagne et du Royaume-Uni, ont élaboré une feuille de route pour l’aide aux victimes du terrorisme 
			(38) 
			<a href='https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2017/03/guidelines_for_assistance_to_victims_of_terrorism.pdf'>Feuille
de route pour l’assistance aux victimes du terrorisme. </a>Il s’agissait d’apporter une réponse commune à l’appel en
faveur de l’élaboration d’une politique internationale interdisciplinaire
et mieux coordonnée en matière d’aide aux victimes, lancé lors de
la Conférence internationale pour l’aide aux victimes, organisée
à Paris, à l’UNESCO, le 9 janvier 2017, en tenant compte de la directive
de 2012 de l’Union européenne sur les droits des victimes, de la
directive de 2004 sur l’indemnisation et des récentes dispositions
relatives au soutien, à l’aide et à la protection des victimes de
terrorisme dans le cadre de la directive sur la lutte contre le
terrorisme adoptée par le Conseil le 7 mars 2017..
62. La déclaration commune signée le 5 novembre 2018 par les ministres de la justice de l'Allemagne, de la Belgique, de l'Espagne, de la France, de l'Italie, du Luxembourg, et des Pays-Bas témoigne également d'un intérêt croissant pour la coordination des efforts. Le texte vise à consolider les outils mis à la disposition des autorités policières et judiciaires, à renforcer le soutien aux victimes, notamment dans les affaires transnationales, et à améliorer la lutte contre les contenus terroristes sur Internet. Les ministres ont également encouragé la Commission européenne à proposer des initiatives dans ce domaine, en particulier la création d'un centre européen d'expertise pour partager les connaissances et les outils sur l'aide aux victimes 
			(39) 
			Déclaration
des ministres, Conférence européenne de lutte contre le terrorisme,
Paris, 5 novembre 2018, <a href='http://www.justice.gouv.fr/art_pix/conf_europ_lutte_terrorisme_declaration_ministres.pdf'>http://www.justice.gouv.fr/art_pix/conf_europ_lutte_terrorisme_declaration_ministres.pdf</a>..
63. Le 11 mars 2019, à l’occasion de la 15e Journée européenne de commémoration des victimes du terrorisme, la Commission européenne a salué le rapport de la conseillère spéciale auprès du président Jean-Claude Juncker pour l'indemnisation des victimes de la criminalité, intitulé «Renforcement des droits des victimes: de l'indemnisation à la réparation» 
			(40) 
			<a href='https://ec.europa.eu/info/policies/justice-and-fundamental-rights/criminal-justice/victims-rights_en.'>https://ec.europa.eu/info/policies/justice-and-fundamental-rights/criminal-justice/victims-rights_en. </a>. Le rapport montre que les victimes éprouvent souvent des difficultés à accéder à la justice et à être indemnisées en raison du manque d'informations, d'un soutien insuffisant, de critères d'admissibilité trop restrictifs ou d'obstacles procéduraux. Pour les personnes qui sont victimes de la criminalité alors qu’elles voyagent dans un autre pays de l’Union européenne, il peut être encore plus difficile d'obtenir une indemnisation. La Commission européenne s’emploie aussi actuellement à mettre en place un centre d'expertise de l'Union européenne pour les victimes du terrorisme et le Conseil de l'Europe pourrait assurer la coordination et créer des synergies pour étendre la protection aux 47 États membres, aux États observateurs et à ceux qui ont le statut de partenaires pour la démocratie.

5. Études de cas: différentes expériences, différentes approches

5.1. Espagne: un passé édifiant

64. Le 14 novembre 2018, j’ai effectué une visite d’information à Madrid et je tiens à remercier tous les interlocuteurs qui ont pris le temps d'expliquer le fonctionnement du système dans leur pays et de m'envoyer des commentaires et des recommandations supplémentaires. L’Espagne a malheureusement une longue histoire de violences terroristes remontant aux années 1960, et a par conséquent élaboré, depuis 1979, certaines des politiques les plus avancées au monde en matière de protection et de soutien aux victimes du terrorisme 
			(41) 
			Argomaniz, J., State
responses to victims of terrorism needs in Spain, in J Argomaniz
& O Lynch (eds), International Perspectives on Terrorist Victimisation:
An Interdisciplinary Approach. Rethinking Political Violence, Palgrave, Basingstoke,
2015..
65. En Espagne, une victime de terrorisme peut juridiquement être définie de deux manières. Une définition générale identifie comme victimes de crimes les victimes directes et, en cas de décès, les membres de leur famille. Une définition plus précise prévoit que les victimes de terrorisme sont «des personnes ayant subi des dommages physiques et/ou psychologiques à la suite d'activités terroristes».
66. Cette définition a été introduite par la loi de 2011 sur la reconnaissance et la protection intégrale des victimes du terrorisme 
			(42) 
			Article 4, Ley 29/2011,
Reconocimiento y Protección Integral a las Víctimas del Terrorismo,
2011. Le législateur espagnol a regroupé en un seul corpus normatif
la législation fragmentée., qui accorde à celles-ci le droit à des aides, prestations et indemnités. La loi 29/2011 prévoit une augmentation quantitative et qualitative, par rapport à la législation précédente, de l'assistance, du soutien, des honneurs et des mesures de protection auxquels ont droit les victimes d'actes de terrorisme. Son application est rétroactive et couvre ceux qui ont subi des actes de terrorisme à partir de 1960. Le système assure l'égalité de traitement aux victimes d'attaques en Espagne, quelle que soit leur nationalité. Il accorde également une attention et une protection particulières aux victimes espagnoles du terrorisme à l’étranger.
67. Le législateur espagnol donne aux victimes d'actes de terrorisme une signification politique en les reconnaissant expressément comme des symboles de la défense de l'État de droit démocratique face à la menace terroriste. Il considère également les victimes du terrorisme comme des victimes de violations des droits humains, renforçant ainsi le statut juridique des victimes et créant des obligations juridiques contraignantes pour l'État. La loi, qui s'inspire des principes de mémoire, de dignité, de justice et de vérité, vise à apporter un soutien complet aux victimes.
68. En ce qui concerne le soutien, la loi espagnole 29/2011 a créé le Bureau d'information et d'assistance aux victimes du terrorisme auprès de l’Audiencia Nacional, qui fournit une assistance juridique spéciale et un soutien psychologique aux victimes.
69. Par ailleurs, la Direction générale de l'aide aux victimes du terrorisme du ministère de l’Intérieur procure également des informations et apporte un soutien. Elle offre, de surcroît, une aide professionnelle et d'autres formes de soutien pratique, dans le domaine du logement par exemple. Elle peut également orienter les victimes vers des organisations non gouvernementales et des organisations de la société civile spécialisées qui peuvent fournir une aide plus personnalisée. En tant que «guichet unique», une équipe qualifiée de travailleurs sociaux offre une aide spéciale dans le domaine psycho-social. En outre, un réseau national de psychologues, spécialisé dans l'aide aux victimes du terrorisme, est coordonné et parrainé par le ministère de l'Intérieur. Lors de ma réunion à Madrid, ils ont plaidé pour la création d'un réseau d'autorités chargées de fournir soutien et assistance aux victimes dans chaque État membre du Conseil de l'Europe, ainsi que d'une Charte européenne des droits des victimes du terrorisme, afin de faciliter la communication et la coordination en Europe.
70. Les bureaux d'aide aux victimes régionaux présents dans toute l'Espagne proposent également aux victimes des informations ainsi qu’un soutien psychologique et pratique, souvent en collaboration avec des ONG.
71. Le mouvement associatif des victimes du terrorisme revêt une importance primordiale dans le système espagnol. Il existe plusieurs associations nationales et régionales et deux fondations publiques, placées sous l'autorité du ministère de l'Intérieur. J'ai rencontré des membres de l’Asociación de Víctimas del Terrorismo (Association des victimes du terrorisme (AVT)), qui est la principale organisation non gouvernementale de victimes en Espagne, et qui représente et défend les intérêts des victimes du terrorisme et leur apporte une aide morale et matérielle. En juin 2017, l’AVT a lancé une Plateforme européenne en ligne d’aide aux victimes du terrorisme (EPAVT) 
			(43) 
			<a href='http://avt.org/especiales/epavt-european-platform-to-assist-victims-of-terrorism/8'>European
Platform to Assist Victims of Terrorism</a>, 2017<a href=''>.</a>. L’AVT préconise un recensement officiel des victimes du terrorisme, qu’il s’agisse d’attentats nouveaux ou passés, dans le but d’éviter les dommages et les difficultés auxquels les victimes doivent souvent faire face pour prouver leur situation. Elle insiste également sur la mise en place d’un mécanisme de coopération entre les autorités nationales responsables de l'assistance aux victimes du terrorisme et recommande l'adoption d'un statut européen pour les victimes du terrorisme ainsi que la création d'un bureau européen d'assistance aux victimes du terrorisme.
72. Bien que l’Espagne se soit fortement mobilisée en faveur des victimes d’actes terroristes, les représentants que nous avons rencontrés ont reconnu ne pas disposer d’un suivi long et précis de la situation des victimes, ce qui supposerait de garder un contact, des informations et une possibilité de suivre leurs demandes pendant une grande partie de leur vie personnelle et professionnelle. Au-delà du cas de ce pays, un suivi détaillé permettrait aussi de savoir si l’accompagnement proposé a été effectif et a permis aux victimes de surmonter les difficultés auxquelles elles ont été confrontées à la suite des attaques personnelles dont elles ont été victimes.
73. Les échanges avec Jonan Fernández, Secrétaire général aux droits de l'homme, à la coexistence et à la coopération du gouvernement basque, ainsi qu’avec Enrique Ullibarriarana Errasti, directeur des victimes et des droits de l'homme au sein du gouvernement basque, ont constitué l'un des moments forts de ma visite.
74. En avril 2018, le groupe séparatiste basque ETA, responsable de plus de 800 morts au cours d'une période sombre et traumatisante de plusieurs décennies de violence et de terrorisme, a annoncé sa dissolution. Le gouvernement espagnol a réagi en déclarant que le groupe terroriste avait déjà été battu avec les armes de la démocratie et la force de l'État de droit.
75. Pour sa part, le Gouvernement basque a établi des contacts directs avec toutes les victimes, dans la mesure du possible, en se rendant à leur domicile, en offrant une assistance individuelle et en soutenant les associations de victimes. Depuis 2011, il a commencé à recueillir des histoires individuelles et des témoignages à utiliser dans les programmes scolaires, touchant ainsi plus de 14 000 élèves. Ces programmes socio-éducatifs sont non seulement utiles pour prévenir l'extrémisme et la radicalisation violente chez les jeunes générations, mais ils sont également essentiels pour les victimes elles-mêmes, leur permettant de surmonter la victimisation, de reconstruire leur vie et de partager leur expérience de survivants. En 2018, le gouvernement basque a également adopté un Plan pour la coexistence et les droits de l'homme (2017-2020) pour lutter contre la menace du terrorisme international à motivation religieuse, qui mériterait à mon sens un examen plus approfondi par notre commission dans le contexte de la déradicalisation et de la réinsertion d'anciens combattants étrangers.
76. Selon M. Fernández, la terreur, la guerre et la violence ont toujours essayé de trouver leur justification dans des valeurs absolues, telles que la patrie, l’identité ou la religion. À travers l’éducation et des politiques fortes, nous devons souligner la valeur suprême de la dignité humaine, de la paix, de la non-violence et des droits humains, qui surpassent et battent toute cause politique ou religieuse. Les victimes du terrorisme peuvent être de précieux alliés dans cette bataille.

5.2. France: une lutte permanente et accrue

77. Pour les citoyens français, le terrorisme génère une inquiétude croissante après les différents attentats de grande ampleur qui ont frappé le pays ces cinq dernières années. Les attentats de Paris en 2015 (130 morts et plus de 400 blessés) ont tout particulièrement intensifié la peur de nouveaux attentats et déclenché un état d’urgence qui a duré deux ans. En outre, une délégation interministérielle placée auprès du ministère de la Justice a succédé, en 2017, au secrétariat d’État aux Droits des victimes.
78. Selon l’Instruction interministérielle relative à la prise en charge des victimes d’actes de terrorisme du 6 octobre 2008 
			(44) 
			<a href='http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2009/04/cir_1929.pdf'>Instruction
interministérielle relative à la prise en charge des victimes d’actes
de terrorisme</a>, 2008., révisée en 2017, les victimes d’actes de terrorisme en France ont droit à un soutien de la part des acteurs institutionnels et de la société civile. Le décret traite à la fois des victimes d'attentats sur le sol national et des victimes françaises d'attaques sur des territoires étrangers. Dans les deux cas, le document décrit les procédures des services d'urgence et le processus judiciaire, les étapes nécessaires pour qualifier officiellement l’acte comme acte de terrorisme, la manière d’établir une liste des victimes et des informations pertinentes concernant leur famille, et les actions médico-sociales à entreprendre.
79. Concrètement, les dispositions comprennent un soutien juridique, médical et psychologique, une indemnisation intégrale (couvrant les dommages physiques, professionnels et moraux), les mêmes droits et avantages que ceux garantis aux victimes de guerre (tels que les pensions et la qualité spéciale de pupille de la Nation pour les jeunes de moins de 21 ans), l'exonération de certaines taxes et une reconnaissance spéciale en tant que «victime du terrorisme». En juillet 2016, un décret présidentiel a également créé la Médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme ainsi que la Légion d’honneur pour les victimes du terrorisme, qui vise à «manifester l'hommage de la Nation aux personnes tuées, blessées ou prises en otage lors d'actes terroristes» 
			(45) 
			<a href='http://www.legiondhonneur.fr/fr/page/le-systeme-national/75'>Légion
d’Honneur</a>, 2016..
80. La vague d’attentats qui a frappé la France dans les années 1980 a conduit le législateur à mettre en place un dispositif spécifique pour réparer les préjudices subis par les victimes du terrorisme, ce qui a conduit à la création du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme en 1986, devenu Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) en 1990.
81. Depuis sa création, les victimes françaises ou étrangères d’actes terroristes survenus en France à compter du 1er janvier 1985, et les victimes françaises d’actes terroristes survenus à l’étranger, peuvent demander une indemnisation au FGTI selon une procédure particulière. Celle-ci diffère de la procédure suivie en matière d’infractions de droit commun. Dès que les autorités transmettent au FGTI les informations sur les circonstances de l’acte terroriste et l’identité des victimes, l’équipe qui s’occupe de l’indemnisation des victimes du terrorisme contacte directement ces dernières. Elle les aide à constituer leur dossier et s’efforce de verser rapidement une provision permettant de couvrir les premiers frais. Elle leur présente une offre d’indemnisation dans les trois mois dès lors que le préjudice est en état d’être définitivement apprécié. Afin de faciliter l'accès à l'information pour les victimes du terrorisme, un site web dédié détaille tous les droits et procédures et permet de postuler en ligne.
82. Comme l'a souligné le Professeur Knetsch lors d'une audition en Commission le 20 mai 2019 à Paris, une distinction est établie depuis 2016 entre les victimes décédées ou blessées et les victimes «impliquées», qui déclarent un choc émotionnel en raison de la proximité géographique ou de leur exposition au risque lors d'un attentat terroriste. Cela a créé une délimitation arbitraire de l’ampleur de l’exposition et généré des problèmes supplémentaires avec les demandes d’indemnisation.
83. Les réformes en cours visent à offrir un soutien à la reconstruction de la vie de la victime par l'intervention d'un personnel formé. Lors d'une audition en commission le 11 décembre 2018, le directeur général de la FGTI, M. Julien Rencki, a appelé à une meilleure coordination entre les systèmes nationaux pour faire face à ce qu'il a appelé la « mondialisation du terrorisme » et éviter le risque de non indemnisation, de double indemnisation, les problèmes d'interprétation et le traitement des tests médicaux. En mars 2018, la France a organisé le premier séminaire sur les moyens de renforcer les efforts de coordination avec les autres pays. Selon Monsieur Rencki, seul un cadre juridique commun au niveau européen garantirait une protection adéquate. Il a également fait valoir que le pays de résidence devrait être responsable de l'indemnisation et qu'une sorte de solidarité financière entre les États européens devrait être mise en place en cas d'attentats majeurs.
84. Le ministre de la Justice s'appuie sur un réseau d'associations de victimes pour soutenir et accompagner les victimes dans toutes les régions. Ces associations sont fédérées avec le Réseau France Victimes, premier opérateur public dans le domaine de l'assistance aux victimes. Les associations de victimes apportent un soutien complémentaire: l'Association française des victimes du terrorisme (AFVT), la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (Fenvac) ou d'autres associations créées par les victimes d'actes terroristes (Life for Paris, 13onze15, Fraternité Vérité, Promenades des anges, etc.). Mme Julie Heisserer, responsable des relations européennes et internationales de la délégation interministérielle pour l'aide aux victimes auprès du ministère français de la Justice, a fait état d'une augmentation de 152 % du financement en faveur des victimes du terrorisme en France, qui inclut également un soutien aux organisations de la société civile et un réseau de 1 500 centres locaux pour aider les victimes. Elle a également souligné l'importance de la commémoration des victimes par le biais de musées, de cérémonies commémoratives et de médailles.

5.3. Royaume-Uni: une expérience mitigée

85. Le Royaume-Uni a une expérience considérable du terrorisme, du fait du conflit en Irlande du Nord et d’un certain nombre d’attentats de grande ampleur subis ces dernières années. Bien que chaque type de terrorisme soit très différent, le gouvernement britannique a su s’inspirer de son expérience dans les deux cas pour élaborer ses politiques de soutien aux victimes.
86. En 2017, le Royaume-Uni a mis en place une unité intergouvernementale chargée de coordonner l'aide aux citoyens britanniques directement touchés par des attentats terroristes au Royaume-Uni et à l'étranger. Cette unité travaille avec le gouvernement, la société civile et les autorités locales pour veiller à ce que le soutien aux victimes du terrorisme soit complet, coordonné et clairement diffusé.
87. Le gouvernement a également mis au point des pages web afin de donner des conseils complets aux victimes et les orienter vers les services de soutien au Royaume-Uni 
			(46) 
			<a href='https://victimsofterrorism.campaign.gov.uk/'>Support
for Victims of Terrorism</a>, 2017.. Il travaille également en étroite collaboration avec les autorités locales pour mettre en évidence le soutien disponible et s'assurer que les paiements du «We Love Manchester Emergency Fund» et du «UK Solidarity Fund» n'ont pas d’incidence sur le versement des prestations.
88. Juridiquement, le soutien aux victimes d'actes terroristes au Royaume-Uni relève du Code de pratiques concernant les victimes d’infractions d’octobre 2015, qui accorde aux survivants les droits habituellement reconnus aux victimes par le système pénal et adapte les services aux besoins individuels. En outre, il permet de faire une «déclaration personnelle de la victime» au cours de la procédure pénale.
89. D’importantes modifications législatives adoptées début 2017 donnent désormais droit aux victimes d’attaques perpétrées au Royaume-Uni à l’aide de véhicules (comme celles du London Bridge et de Finsbury Park en 2017) à une indemnisation à vie de la part du Motor Insurance Bureau 
			(47) 
			<a href='https://www.mib.org.uk/media-centre/news/2017/january/new-untraced-drivers-agreement-and-supplementary-uninsured-drivers-agreement/'>Untraced
Drivers Agreement</a>, 2017.. Ces ajustements en amont dans le domaine du soutien aux victimes sont intervenus au bon moment, montrant combien il est important que les dispositifs évoluent au même rythme que les menaces.
90. Concernant les attentats perpétrés en dehors du Royaume-Uni, le tout premier programme d'aide aux victimes de terrorisme à l’étranger (dispositif d'indemnisation financé par l'État) a été introduit en novembre 2012 par le gouvernement britannique. Toutefois, il n’indemnise les victimes que dans certains types d’actes de terrorisme, comme en a décidé le ministre des Affaires étrangères.
91. Après l’attentat du 22 mai 2017 à Manchester, une enquête indépendante (le rapport Kerslake) portant sur la préparation et la réaction des autorités à l’attaque a été menée. Bien qu’une telle initiative soit louable, les conclusions sur l’expérience des victimes après l’attaque n’ont pas été positives. De nombreuses victimes n’ont pas été informées du soutien dont elles disposaient ou de la manière d'y accéder. Parmi les bénéficiaires, beaucoup se sont dit insatisfaits, en particulier en ce qui concerne les enfants, touchés de manière disproportionnée lors de l'attentat 
			(48) 
			<a href='https://www.kerslakearenareview.co.uk/'>The
Kerslake Arena Review</a>, 2018..
92. Lors de son témoignage devant la commission à Athènes le 22 mai 2018, M. Travis Frain, un survivant de l’attentat du Westminster Bridge en mars 2017, a estimé que le soutien réel était inadéquat, quand bien même les structures juridiques nécessaires puissent être en place au Royaume-Uni. Il a déclaré que d’autres survivants et lui-même avaient dû «[se] battre pour obtenir un soutien réel» et qu’ils n’avaient été contactés par la police que cinq mois après l’attaque 
			(49) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=7077&lang=1&cat=137'>« J’ai
été traité avec indifférence », a déclaré une victime de l’attentat
terroriste à Londres</a>, APCE, 2018..
93. Le gouvernement a convenu de fournir des subventions aux organisations et fondations basées au Royaume-Uni qui visent à rassembler les victimes et les survivants du terrorisme/de la violence politique afin de les aider à faire face à leur traumatisme et à aller de l'avant. Il s’agit notamment de la Croix-Rouge britannique, de Victim Support et du Survivors Assistance Network de la Fondation pour la Paix Tim Parry Johnathan Ball. Certains ont toutefois critiqué la nature à court terme de ces subventions, les jugeant inadéquates pour que les organisations puissent offrir aux victimes un soutien à long terme. Lors de son témoignage devant la commission, Travis Frain a observé que le Survivors Assistance Network avait vu les demandes augmenter de 600 % depuis les attentats de l’année dernière, mais que son financement n’avait pas encore été confirmé.
94. Une étude publiée par le groupe de pression « Survivors Against Terror » en novembre 2018 donne un aperçu microcosmique des points de vue et des expériences des survivants ainsi que des proches des victimes d’attentats terroristes au Royaume-Uni. Il a interrogé près de 300 victimes britanniques d'attentats terroristes dans le monde et a constaté que: 76 % ont déclaré que les services de santé mentale fournis par le gouvernement nécessitaient des améliorations substantielles ; 52 % estimaient que le soutien financier était totalement inadéquat ; 46 % des victimes d'attentats à l'étranger ont affirmé que le soutien du gouvernement était faible ; et 38 % de toutes les victimes ont affirmé que le soutien juridique était inadéquat. Il est intéressant de noter que la Fondation pour la paix Tim Parry Johnathan Ball ainsi que Victim Support ont toutes deux été félicitées pour avoir tenté de combler les vastes lacunes qui subsistent en matière de soutien malgré les contraintes de financement, avec un taux de satisfaction de 84 % et 62 % respectivement 
			(50) 
			<a href='http://www.survivorsagainstterror.org.uk/assets/downloads/sat_survey_14_nov_formatted_v3.pdf'>http://www.survivorsagainstterror.org.uk/assets/downloads/sat_survey_14_nov_formatted_v3.pdf</a>..
95. Enfin, en avril 2018, dénonçant les défaillances du gouvernement, les victimes des attentats de Westminster, du pont de Londres et du Manchester Arena ont demandé un examen indépendant après avoir révélé comment elles avaient été laissées pour compte après leur sortie de l'hôpital, malgré la création d'une unité spécialisée du Ministère de l’Intérieur pour les victimes des atrocités de 2017 
			(51) 
			<a href='https://www.telegraph.co.uk/news/2019/04/22/terror-attack-victims-maimed-jihadists-say-feel-abandoned-governments/'>https://www.telegraph.co.uk/news/2019/04/22/terror-attack-victims-maimed-jihadists-say-feel-abandoned-governments/.</a>. Malheureusement, l'Unité d'aide aux victimes du terrorisme n'a pas répondu à notre demande de commentaires.

5.4. Allemagne: apprendre de ses erreurs

96. En Allemagne, le terrorisme n’est pas un phénomène nouveau. Cependant, il n’est pas aussi répandu que dans d’autres pays européens, de sorte que le soutien aux victimes du terrorisme nécessitant un soutien spécifique a sans doute été moins développé. Mais à la suite des événements survenus dans les pays voisins et sur le territoire allemand au cours des dernières années, une plus grande attention est désormais portée aux victimes.
97. Depuis 2001, l’Allemagne indemnise les victimes du terrorisme d’extrême droite sous la forme d’une compensation unique. En 2010, la protection a été étendue aux victimes d’autres formes de terrorisme et d’extrémisme, comme celui d’extrême gauche ou encore l’extrémisme islamique. Avec cette évolution, l’État entendait témoigner de sa solidarité avec les victimes et condamner fermement de tels actes.
98. Après l’attentat du marché de Noël à Berlin en 2016, des dysfonctionnements dans le soutien aux victimes ont été révélés. Les victimes et les familles endeuillées ont dénoncé le manque d'informations dans un délai raisonnable, l’absence de condoléances officielles de la part des autorités et l’inadéquation du soutien financier proposé. Certaines familles ont décrit une attente interminable avant de savoir si leurs proches étaient vivants ou décédés, d’autres ont même déclaré avoir reçu les factures d’autopsie avant tout message de condoléances 
			(52) 
			<a href='https://www.dw.com/en/german-government-criticized-over-terror-victims-compensation/a-41778143'>German
government criticized over terror victims compensation</a>, Deutsche Welle, 2017..
99. Bien que la réponse des autorités aux victimes ait été «administrativement correcte», le gouvernement allemand a reconnu de sérieux dysfonctionnements pratiques dans le soutien apporté aux victimes et à leurs familles 
			(53) 
			<a href='https://www.dw.com/en/berlin-christmas-market-victims-families-neglected/a-37770572'>Berlin
Christmas market victims' families 'neglected'</a>, Deutsche Welle, 2017.. En conséquence, le 8 mars 2017, le ministre-président retraité de Rhénanie-Palatinat, Kurt Beck, a été nommé premier commissaire officiel du gouvernement pour les victimes de l'attentat de Berlin. Par la suite, le 11 avril 2018, le Gouvernement fédéral a nommé le professeur Edgar Franke Commissaire du Gouvernement fédéral pour les victimes et les endeuillés des infractions terroristes commises sur le territoire national. Il est indépendant dans l'exercice de son mandat, mais son bureau est rattaché au ministère fédéral de la Justice et de la Protection des consommateurs.
100. Le commissaire a recommandé des améliorations, ce qui a eu pour conséquence le triplement du montant de l’indemnisation disponible pour les survivantˑeˑs, passant de 10 000 € à 30 000 €. L’indemnisation versée aux personnes blessées peut être sensiblement plus élevée et dépend de la gravité des blessures de l’individu.
101. L’attentat du marché de Noël à Berlin en 2016 démontre non seulement l’importance d’une politique proactive de soutien aux victimes, mais aussi la nécessité de réexaminer, d’évaluer et d’améliorer sans arrêt celle-ci, si nécessaire. Je souhaiterais remercier les autorités allemandes pour leurs observations et commentaires sur mon rapport.

6. Conclusions

102. Les gouvernements doivent aller au-delà de la simple affirmation de leur solidarité et veiller à la mise en place de mesures concrètes pour garantir la protection des droits fondamentaux des victimes. Un certain nombre d'instruments juridiques existants ne sont pas pleinement mis en œuvre et respectés dans la pratique, et une approche plus cohérente et systématique doit s'imposer dans tous les États membres du Conseil de l'Europe. Ces derniers doivent aussi veiller à évaluer les dispositifs mis en place.
103. Les États membres, les États observateurs et les États dont le parlement bénéficie du statut d'observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l'Assemblée parlementaire devraient prendre des mesures concrètes pour mettre en œuvre, de manière proactive, l'article 13 de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE n° 196) intitulé «Protection, dédommagement et aide aux victimes du terrorisme» ainsi que les Lignes directrices révisées du Comité des Ministres sur la protection des victimes d'actes terroristes du 19 mai 2017.
104. Les principales recommandations incluent la reconnaissance des victimes du terrorisme, des mesures de soutien spécifiques au niveau national pour garantir l'accès à la justice ainsi qu’une indemnisation et une assistance appropriées, une coopération renforcée avec les organisations de la société civile, une coopération internationale accrue et une attention particulière aux victimes transfrontalières du terrorisme. Les gouvernements peuvent jouer un rôle clé dans le façonnement d'une mémoire collective et la création de cadres sociaux et institutionnels qui permettent aux victimes du terrorisme de développer des mécanismes de résilience, également par le biais d'initiatives telles que les musées, les cérémonies commémoratives et les médailles.
105. Pour sa part, le Conseil de l’Europe devrait intensifier ses efforts pour créer un réseau de points de contact uniques pour l'échange d'informations procédurales concernant le statut juridique et les mesures d’accompagnement des victimes du terrorisme dans les juridictions des États membres, ainsi que dans les autres États concernés, y compris hors d’Europe. Ce réseau devrait coopérer activement avec le futur Centre d’expertise de l’Union européenne pour les victimes du terrorisme afin de garantir une meilleure coordination paneuropéenne, y compris avec les États observateurs et les États dont le parlement bénéficie du statut d'observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l'Assemblée parlementaire.
106. En coopération avec l’Union européenne, l’Organisation pourrait également envisager d’adopter une Charte européenne des droits des victimes du terrorisme, afin de faciliter la reconnaissance, la communication et la coordination en Europe et ainsi marquer l’importance des droits humains et la reconnaissance du statut de victimes du terrorisme.