1. Introduction
1. Le terrorisme n'est pas un
phénomène nouveau en Europe. Ces dernières années, plusieurs États membres
du Conseil de l’Europe ont été la cible d’attaques terroristes au
fort retentissement, menées par des groupes et des individus, telles
que les attentats d’Oslo et Utøya en 2011, Paris et Londres en 2015,
Bruxelles, Nice, Berlin et Istanbul en 2016, Manchester, Saint Pétersbourg,
Stockholm, Paris et Barcelone en 2017, Londres en 2017 et 2018 ainsi
que Strasbourg en 2018.
2. Selon un rapport d'Europol de 2018, 205 attentats terroristes
ont eu lieu, ont été déjoués ou ont échoué en Europe pour la seule
année 2017. Plus de la moitié des cas ont été enregistrés au Royaume-Uni.
Dans la la période 2000-2017, 1 790 personnes ont été tuées, dont
740 dans l’Union européenne et on compte 1 050 victimes européennes
en dehors de l’Union. Sur les 740 victimes tuées dans l’Union européenne,
640 étaient des ressortissants de l’Union, 117 avaient une autre
nationalité et 9 étaient de nationalité inconnue
.
3. Depuis quelques années, la politique antiterroriste est majoritairement
axée sur la lutte contre le terrorisme et les terroristes, en particulier
leur idéologie et leurs motivations. Néanmoins, il est au moins
aussi important de veiller à ce que les États et les organisations
internationales ne négligent pas les victimes d’attentats terroristes,
mais leur accordent une protection appropriée dans leur mission
de défense de la dignité et de la protection des droits humains
ainsi que dans leur stratégie de lutte contre le terrorisme.
4. À plusieurs reprises, l'Assemblée parlementaire a exprimé
avec la plus grande fermeté sa condamnation de tous les actes de
terrorisme. Ses résolutions en sont la preuve, notamment la
Résolution 2090 (2016) Combattre le terrorisme international tout en protégeant
les normes et les valeurs du Conseil de l’Europe, la
Résolution 2091 (2016) Les combattants
étrangers en Syrie et en Irak, la
Résolution 2113 (2016) Après les attaques
de Bruxelles, un besoin urgent de répondre aux défaillances de sécurité
et de renforcer la coopération contre le terrorisme, la
Résolution 2190 (2017) Poursuivre et punir les crimes contre l’humanité, voire
l’éventuel génocide commis par Daech et la
Résolution 2211 (2018) Le financement du groupe terroriste Daech: enseignements
retenus.
5. L'Assemblée a également souligné la nécessité d’élaborer,
face au terrorisme, des discours alternatifs positifs visant à dénoncer
les propos extrémistes et les contre-vérités, par exemple à dissiper
les illusions sur la réalité des territoires contrôlés par Daech
et le sort de ses recrues. Cela était l’objet du rapport sur Les contre-discours
face au terrorisme et de la
Résolution 2221
(2018) ainsi que de la
Recommandation 2131 (2018), adoptées par la suite, auxquelles notre commission
a contribué par un avis.
6. Au cours des trois dernières années, notre Assemblée s'est
engagée dans différentes initiatives pour encourager la société
à faire face à toute forme de violence politique. En 2016, elle
a lancé l’initiative #NiHaineNiPeur afin d’inciter les décideurs,
les universitaires, les journalistes, les représentants de la société civile
et les citoyens ordinaires à rejeter la peur et la haine sous toutes
ses formes, pour s'attaquer au sentiment d'insécurité collective
et à la stigmatisation de certains groupes au sein de la société.
7. Avant ma désignation en tant que Rapporteure le 25 janvier
2018, notre commission était déjà sensible à la situation des victimes
d’attaques terroristes et avait recueilli, en septembre et octobre
2016, les témoignages
de survivants ou de membres de la
famille des victimes qui, aux côtés d’experts en la matière, ont
fourni de précieuses informations pour mieux comprendre le point
de vue des victimes. Les témoignages de M. Bjørn Ihler qui a échappé
aux attaques en Norvège en 2011 sur l'île d'Utøya, de Mme Luciana
Milani qui a perdu sa fille dans les attentats de Paris de novembre
2015, et de M. Antoine Leiris qui a perdu sa femme lors de ces mêmes
attentats, ont été particulièrement émouvants.
8. Par ailleurs, le 11 octobre 2016, M. David Anderson, expert
indépendant en matière de législation antiterroriste, a souligné,
à juste titre, que la protection des droits humains ne fait pas
obstacle à la lutte contre le terrorisme et l'extrémisme, mais souligne
plutôt son importance. Se référant aux attentats terroristes islamiques
de ces dernières années, il a souligné la responsabilité de l'Europe
non seulement de faire respecter les lois contre le terrorisme,
mais aussi de protéger la population, y compris les musulmans, contre les
griefs et les crises identitaires susceptibles de les rendre vulnérables
à l’extrémisme, en particulier au djihadisme salafiste.
9. Le 28 juin 2017, les témoignages de M. Brendan Cox, fondateur
de la Fondation Jo Cox, du nom de l’ancienne députée assassinée
en 2016, de Mme Sajda Mughal, directrice
exécutive de l'organisation JAN Trust et rescapée de l'attentat
terroriste de Londres en 2015, et de l’imam Muhammad Imran, formateur
au sein du programme «Me and You» («Moi et toi») à Manchester, ont
livré à la commission des observations pointues et éclairées sur
le rôle actif qu'une société civile résiliente – notamment les organisations
de victimes et de survivants – peut jouer dans la lutte contre le
terrorisme.
10. Le 22 mai 2018 à Athènes, notre commission a tenu un échange
de vues et une discussion sur le rôle du Conseil de l’Europe en
faveur des victimes du terrorisme, avec la participation de M. Travis
Frain, survivant de l’attentat terroriste de Westminster et membre
de l'organisation britannique Survivors
against Terror, de Mme Susanne
Gentz, du Comité international de la Croix-Rouge, et de Mme Mary
Bossis, professeure à l’Université du Pirée.
11. Tout récemment, la publication de la Stratégie du Conseil
de l’Europe contre le terrorisme (2018-2022) a défini une série
d’actions et d’outils conçus pour aider les autorités nationales
dans leur lutte contre le terrorisme
. Cela inclut la
reconnaissance du fait que les efforts visant à renforcer la sécurité
et à lutter efficacement contre les organisations terroristes devraient
s’accompagner d’une meilleure coordination de l’aide aux victimes,
ce qui est l’objet de mon rapport.
12. Aux fins de mon analyse, j’ai défini la notion de victime
d’actes terroristes en vue principalement de mieux identifier leurs
besoins ainsi que les meilleures stratégies au niveau national et
international pour y répondre.
13. J’ai identifié quatre études de cas reflétant différentes
approches: ces dernières années, l’Espagne, le Royaume-Uni et la
France ont subi des attentats de grande ampleur – dans certains
cas le terrorisme y perdure depuis plusieurs dizaines d’années –
ce qui les a amenés à développer et mettre en œuvre des stratégies
et des politiques de soutien aux victimes qui valent la peine d’être
partagées avec tous les États membres du Conseil de l’Europe. Par
ailleurs, bien que l’Allemagne ait une histoire récente moins lourde
en matière de terrorisme, son expérience des dernières années a
mis en lumière des problèmes dont les autres pays pourraient aussi
tirer des leçons.
14. En avril 2019, j’ai participé à la conférence organisée à
Saint-Pétersbourg sur le thème de «La lutte contre le terrorisme
international»
. Je suis intervenue dans la session
dédiée au «Rôle des institutions internationales dans la construction
d’une stratégie commune de lutte contre le terrorisme» en insistant
sur le lien entre cet objectif fondamental et la nécessité de mieux
protéger les victimes. En effet, il est juste et efficace de mieux
protéger les victimes du terrorisme. D’une part, la solidarité nationale
doit avoir pour préoccupation une indemnisation équitable du dommage
spécial et anormal subi par les victimes. D’autre part, les organisations
internationales doivent avoir pour préoccupation de donner des lignes
directrices pour cette protection afin d’envoyer un signal fort
aux victimes et aussi aux agresseurs.
15. Le 14 novembre 2018, j’ai effectué une visite en Espagne et
je souhaiterais remercier les autorités ainsi que les organisations
de la société civile pour les discussions fructueuses que nous avons
eues à Madrid et qui ont grandement éclairé mon rapport. Le 11 décembre
2018, la commission a tenu un échange de vues avec M. Julien Rencki,
Directeur général du Fonds de Garantie des Victimes des actes de
Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI), France, et Madame Julie
Heisserer, responsable des relations européennes et internationales
de la délégation interministérielle à l’aide aux victimes auprès
du Ministère de la Justice français. En outre, le 20 mai 2019, la
commission a tenu un autre échange de vues avec M. Jonas Knetsch, Professeur
à l’université Jean Monnet de Saint-Étienne et M. Christophe Poirel,
Directeur, Direction des droits de l’homme du Conseil de l’Europe.
Des représentants du Royaume-Uni et de l’Allemagne ont été également invités
à commenter mon rapport et les autorités allemandes ont formulé
des observations et des suggestions. Enfin, le 24 juin 2019, la
commission a tenu un échange de vues avec le Professeur Francis
Eustache, Directeur de l'Unité "Neuropsychologie et Imagerie de
la Mémoire Humaine", Pôle des Formations et de Recherche en Santé
(PFRS) et a discuté de l'impact du traumatisme sur la mémoire des
victimes d’actes terroristes.
2. Définir le terrorisme et les victimes:
une tâche complexe, mais nécessaire
2.1. Définir
le terrorisme
16. Le terrorisme est un phénomène
qui peut se manifester sous différentes formes, c’est pourquoi il
est difficile de trouver une définition universellement acceptée.
Les autorités à travers le monde utilisent des définitions différentes
dans leur législation nationale et ce problème est souvent exacerbé
par la charge politique et émotionnelle du terme lui-même
. La diversité des
actes, des sujets, des objectifs, des histoires et des réponses
nationales explique «ce caractère protéiforme (qui) est sans doute
à l’origine de l’absence de définition unitaire du terrorisme»
.
17. Les actes terroristes sont généralement le fait de groupes
non étatiques ou même d'acteurs individuels qui peuvent avoir été
aidés ou être aidés par des États. Le terrorisme est de toute évidence
une menace unique en son genre et il est par conséquent primordial
d’apporter un soutien spécifique à ses victimes.
18. La Convention du Conseil de l’Europe de 2005 pour la prévention
du terrorisme (STCE n°196) ne définit pas ce qu’est le terrorisme,
mais érige en infractions pénales la provocation publique à commettre
une infraction terroriste ainsi que le recrutement et l’entraînement
pour le terrorisme. Le Protocole additionnel à la Convention de
2015 (
STCE
n° 217) érige en infractions pénales le fait d’être recruté
pour le terrorisme, le fait de recevoir un entraînement pour le
terrorisme, de se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme et
de fournir ou collecter des fonds pour de tels voyages
.
2.2. Définir
les victimes
19. Les victimes véhiculent le
message des assaillants
. La victime
n’est donc pas un dommage collatéral isolé d’un acte de violence
politique, mais une partie intégrante du terrorisme et donc de la
lutte contre le terrorisme.
20. Afin de garantir une politique antiterroriste complète et
efficace, il est primordial que les victimes des attaques terroristes
soient facilement identifiables et formellement reconnues par la
législation, les politiques et les procédures. Toutefois, comme
pour le concept de terrorisme, il n’existe malheureusement aucune définition
universellement acceptée de ce qu’est une «victime de terrorisme».
21. Dans leur Déclaration des principes fondamentaux de 1986,
les Nations Unies définissaient les victimes de la criminalité comme
«des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi
un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou
mentale, une souffrance morale, une perte matérielle ou une atteinte
grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions
qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un État membre»
.
22. Le rapport des Nations Unies sur la
Protection
des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte
antiterroriste, adopté par l'Assemblée générale le 19
décembre 2011, prévoit une classification des victimes de terrorisme
en quatre grandes catégories: victimes directes, victimes secondaires,
victimes indirectes et victimes potentielles
.
23. Cependant, selon une étude menée par le département thématique
Droits des citoyens et affaires constitutionnelles du Parlement
européen en 2017, intitulée
How can the
EU and the Member States better help the victims of terrorism ? («Comment
l'UE et les États membres peuvent-ils mieux aider les victimes du terrorisme ?),
la classification proposée par les Nations Unies risque de créer
une approche hiérarchique qui ne tiendra pas compte des préjudices
psychologique, physique et financier.
24. Le statut de victime peut varier considérablement, non seulement
en fonction des individus et des communautés, mais également au
fil du temps. Bien qu’il puisse être nécessaire de restreindre ou
d’élargir ces définitions en fonction du soutien apporté, il est
important qu’une définition large soit adoptée aux étapes initiales
de la réponse, afin de s’assurer que personne ne soit indûment exclu.
Les Lignes directrices révisées du Comité des Ministres sur la protection
des victimes d'actes terroristes de 2017 offrent une définition
assez générale: «une victime est toute personne qui a subi un préjudice
physique ou psychologique direct du fait d'un acte terroriste et,
dans des circonstances appropriées, sa famille proche».
2.3. Les
besoins des victimes
25. La nature publique et aveugle
de ces attentats fait que l’expérience des victimes est unique et
peut par conséquent faire naître des besoins différents de ceux
des victimes d’infractions «ordinaires». Les besoins fondamentaux
de toutes les victimes d’infractions incluent:
- la reconnaissance (du statut
de victime et des souffrances endurées) ;
- la protection (de toute violence supplémentaire et/ou
d’une victimisation secondaire) ;
- le soutien (accès à une assistance juridique, financière,
médicale et psychologique, à l’information, et à un accompagnement
vers un retour à une vie personnelle et professionnelle « normale ») ;
- la lutte contre toute forme de discrimination dont pourraient
être l’objet les victimes;
- la justice ;
- l’indemnisation.
26. En outre, les besoins des victimes peuvent évoluer dans le
temps. Si certains de ces besoins peuvent être satisfaits par les
structures et dispositifs existants de soutien aux victimes d’infractions
«ordinaires», une approche spécifique est souvent nécessaire. Le
Professeur Eustache a également souligné la nécessité d'études à
long terme sur la mémoire intrusive et le syndrome de stress post-traumatique
propres aux victimes du terrorisme. Certains groupes peuvent être
considérés comme vulnérables et ainsi nécessiter un soutien adapté.
Ces groupes incluent, sans s’y limiter, les enfants, les victimes
transfrontalières, et les personnes souffrant de troubles mentaux
qui doivent recevoir une assistance spécialisée. De plus, toute
victime du terrorisme devrait bénéficier des mêmes droits et services,
indépendamment de leur nationalité et de leur statut de résident
par exemple.
2.4. Pourquoi
protéger et soutenir les victimes est important pour tous
27. La reconnaissance et le soutien
sont un acte important qui renforce la dignité des victimes et leur
donne la force de se muer en survivants au lieu d’être de simples
victimes. En tant que survivants, elles sont capables de créer leur
propre contre-discours sur les droits humains, la résilience, la
justice, l'amour et le respect, qui peuvent être des outils puissants
pour combattre la propagation de l'extrémisme. Les nombreuses auditions organisées
par la commission au cours des cinq dernières années ont montré
que les victimes sont souvent, en fait, les acteurs les mieux placés
pour contrer l’extrémisme violent.
28. Étant donné que les attaques terroristes modernes sont généralement
dirigées contre l’État plutôt que contre des individus, l’État a
une obligation non seulement légale, mais aussi morale de protéger
et soutenir les victimes.
29. La lutte contre le terrorisme est majoritairement axée sur
l’élimination de la menace physique à l’aide de mesures de contre-radicalisation,
de répression et de sécurité, conçues pour empêcher les attentats.
Soutenir et mettre en œuvre toutes les mesures susceptibles d’aider
les victimes à retrouver leur autonomie à la suite d’un attentat
est tout aussi important que de neutraliser la menace psychologique.
Il y a par conséquent un intérêt clairement stratégique à élaborer
un contre-discours positif qui affirme que la terreur ne détruira
pas les principes fondamentaux de la démocratie et des droits humains
. C’est
ce qui ressort clairement de la
Résolution 2221 (2018) de l’Assemblée sur Les contre-discours face au
terrorisme, selon laquelle les victimes ont un rôle important à
jouer pour diffuser des «discours alternatifs positifs [et] préventifs»
«en promouvant des valeurs communes et en facilitant le dialogue,
en encourageant la sensibilisation et en dissipant les fausses informations»
.
30. En visant notamment des civils et des particuliers, l’objectif
de toute action terroriste est de faire vaciller l’État de droit
et de générer des réactions extrêmes au sein même des institutions
comme de l’opinion publique. En revanche, les manifestations massives
d’unité et de solidarité après un attentat montrent à quel point
le terrorisme peut galvaniser l’attachement aux droits humains et
aux valeurs démocratiques. Antoine Leiris, qui a témoigné devant
la commission, a écrit sur l’attentat de novembre 2015 à Paris au
cours duquel sa femme a été tuée: «[les terroristes] n’auront pas
ma haine». Cette simple déclaration est un rappel fondamental de l’importance
de soutenir et d’accompagner les victimes afin de limiter autant
que possible l’étendue des ravages causés par le terrorisme.
3. Soutenir
les victimes au niveau national: une double approche
31. Le soutien apporté aux victimes
à l’échelle nationale vient généralement d’une ou deux sources: les autorités
nationales, par le biais de mesures juridiques et institutionnelles,
et les organisations non gouvernementales de la société civile.
Ces sources ne sont pas incompatibles et le soutien apporté par
la société civile ne doit en aucun cas abroger les responsabilités
et obligations de l’État.
3.1. Mesures
juridiques et institutionnelles proposées par les autorités nationales
32. De nombreux États membres du
Conseil de l’Europe ont instauré des mesures juridiques et institutionnelles
afin de soutenir les victimes d’infractions. Cependant, ces mesures
sont rarement spécifiques aux victimes du terrorisme. La compilation
des commentaires adressés par 20 États membres au Comité directeur
pour les droits de l’homme (CDDH) du Conseil de l’Europe
montre
la grande disparité des niveaux de protection et d’assistance en
Europe.
33. Certains gouvernements désignent, au sein du secteur de la
justice pénale, un organisme chargé de mettre en œuvre des politiques
spécifiquement conçues pour soutenir les victimes de terrorisme.
Il est recommandé qu’un seul organisme soit établi comme point de
contact pour les victimes et qu’il soit chargé de coordonner les
différents services de soutien disponibles, assurant ainsi une stratégie
cohérente et globale axée sur les victimes
.
34. En raison du caractère de plus en plus mondialisé du terrorisme
et de ses victimes, il est important que le ou les organismes désignés
pour soutenir les victimes reçoivent la formation adéquate pour
aider les victimes qui ne sont pas des résidents ou des citoyens
du territoire où l’attentat a eu lieu. Les victimes transfrontalières
ignorent souvent quels sont leurs droits dans le pays où l’attentat
a eu lieu et il est donc impératif que les autorités nationales
communiquent avec elles de manière proactive
. Dans
de nombreux cas, cela peut nécessiter la collaboration avec d’autres
gouvernements ou organisations internationales.
35. De la même manière, d’autres groupes de victimes peuvent être
considérés comme «vulnérables», tels que les enfants, les minorités,
les femmes ou les personnes souffrant de troubles mentaux, et doivent
par conséquent faire l’objet d’une attention particulière. Il est
recommandé d’évaluer les besoins, afin d’identifier les personnes
ayant des besoins particuliers auxquels les services standard d’assistance
aux victimes pourraient ne pas répondre
.
36. De plus, les gouvernements devraient veiller à ce que les
organismes non-spécifiques d’aide aux victimes dans le secteur de
la justice pénale reçoivent une formation appropriée et disposent
des ressources adéquates pour répondre aux besoins des victimes
d’actes terroristes.
37. Lorsque cela est possible, les victimes devraient avoir la
possibilité d’assister, de prendre part et/ou d’être associées d’une
manière ou d’une autre au processus judiciaire, si elles le souhaitent.
Cela est primordial pour garantir le droit des victimes à la justice
et à la vérité et contribuer ainsi à l’autonomisation des victimes,
à renforcer la confiance publique et la solidarité sociale, avec
pour effet de réduire au maximum les dégâts causés par un attentat
terroriste
. Mes
discussions avec les autorités espagnoles, notamment l’
Audiencia Nacional, ont confirmé
ce point.
38. Le soutien financier est souvent une préoccupation majeure
pour les victimes du terrorisme, car l’attentat terroriste peut
entraîner des frais, à la fois immédiats et à plus long terme, accentuant
encore le traumatisme initial. Les victimes de terrorisme sont habituellement
prises en charge par les mêmes structures d’indemnisation que les
victimes d’infractions de droit commun, mais ce n’est pas toujours
le cas et ces structures sont parfois difficiles d’accès, en particulier
pour les victimes transfrontalières
. Ces dernières années, de nombreux attentats
ont donné lieu à des appels aux dons, permettant à la population
d’aider les victimes. Toutefois, ces initiatives sont plutôt ponctuelles
et spontanées, ce qui peut entraîner une redistribution incohérente
ou inefficace, allant dans certains cas jusqu’à la fraude
.
39. Les autorités nationales devraient donc s’assurer que des
solutions appropriées de soutien financier sont à la disposition
de toutes les victimes du terrorisme, indépendamment de leur lieu
de résidence ou de leur citoyenneté, et que les appels aux dons
soient soumis à un certain contrôle pour garantir une collecte et
une redistribution effectives et efficientes de ceux-ci.
40. Il est essentiel de veiller à ce que l'aide aux victimes du
terrorisme soit coordonnée, complète et efficace pour éviter une
victimisation secondaire, qui ne résulte pas de l'acte criminel
initial, mais de la réponse institutionnelle à la victime, ce dont
la commission a été directement témoin lors d'une audition avec
un survivant britannique. Les politiques et les cadres institutionnels
d’assistance aux victimes devraient avoir pour objectif de réduire
le plus possible voire de supprimer toutes les démarches administratives
superflues, de garantir la cohérence de l’offre de services entre
les différents cas et de développer au maximum la transparence envers
les victimes, afin de renforcer la confiance publique et d’alimenter
un sentiment profond de communauté et de solidarité.
41. Les gouvernements devraient également prendre conscience de
l’importance de préserver la vie privée et la dignité des victimes,
afin d’éviter une victimisation secondaire. Cela consiste, en ce
qui concerne la liberté de la presse, à décourager toute intrusion
injustifiée des médias et toute forme de reportage sensationnaliste ou
déshonorant qui pourrait être considéré comme dégradant pour les
victimes
.
3.2. Le
rôle essentiel de la société civile
42. Comme cela a été évoqué lors
des différentes auditions organisées par la commission, la société
civile est particulièrement bien placée pour comprendre les besoins
et les intérêts des victimes (de nombreuses organisations ont été
fondées ou sont dirigées par des victimes elles-mêmes). Il est donc
dans l’intérêt des autorités nationales et des organisations internationales
de partager les informations, de se consulter, de faciliter les
orientations et de coordonner les activités avec les organisations
non gouvernementales engagées dans le soutien aux victimes de terrorisme.
43. Les organisations de victimes ont un rôle particulièrement
important à jouer pour sensibiliser tous les acteurs de la société
aux besoins des personnes touchées par des actes terroristes, en
intervenant dans le discours public et en défendant les intérêts
des victimes
. Cela peut inclure des
contre-discours moraux pour prévenir la propagation de l'extrémisme
et promouvoir la tolérance, la non-violence et d'autres valeurs fondamentales,
qui servent ainsi d’objectif stratégique clair pour les gouvernements
et les organisations internationales dans leur lutte contre le terrorisme
.
44. Dans de nombreux pays, les autorités nationales accordent
des fonds aux organisations de victimes pour les soutenir dans leur
action. Les gouvernements devraient donc être à l’écoute des besoins
de ces organisations et faire preuve de transparence dans la prise
de décision concernant ce financement. Ainsi, ils devraient mener
une consultation continue avec les organisations de la société civile
et suivre leurs activités, afin d’assurer que les ressources sont
utilisées de manière effective et efficiente. Idéalement, la coopération entre
les autorités et la société civile devrait être formalisée à travers
des protocoles d’accord ou d’autres formes d’accord.
4. L’importance
croissante du soutien aux victimes aux niveaux international et
multilatéral
45. Entre l’internationalisation
croissante du terrorisme et le développement de la mobilité mondiale
dont beaucoup jouissent aujourd’hui, il est de plus en plus probable
que les ressortissants d’un État soient victimes du terrorisme dans
un autre. Lors des attentats terroristes de 2017 à Barcelone et
Cambrils, en Espagne, et de 2016 à Nice, en France, les citoyens
de pas moins de respectivement 34 et 13 pays ont été touchés. Dès lors,
la communauté internationale a un intérêt évident et urgent à assurer
un soutien à toutes les victimes à la suite d’un attentat terroriste,
indépendamment de leur citoyenneté ou de leur statut de résidence
dans l’État frappé. À cet égard, les organisations internationales
ont un rôle central à jouer en facilitant la coopération.
4.1. Le
Conseil de l’Europe
46. En 2001, à la suite des attentats
perpétrés aux États-Unis, le Conseil de l'Europe a créé un groupe multidisciplinaire
d'action internationale contre le terrorisme qui, en 2003, est devenu
le Comité d'experts sur le terrorisme (CODEXTER). Le CODEXTER a
fait de la facilitation de l’échange de bonnes pratiques sur les régimes
d'indemnisation des victimes du terrorisme une priorité, grâce aux
travaux du Groupe de spécialistes sur l'assistance aux victimes
. Le CODEXTER est depuis devenu le
Comité du Conseil de l’Europe de lutte contre le terrorisme (CDCT),
qui agit comme principal organe de coordination des activités du
Conseil de l'Europe pour combattre le terrorisme. Il supervise et
garantit la bonne application des instruments juridiques pertinents.
Il réalisera une étude sur la manière dont sont traités les cas
des victimes de terrorisme (en particulier ceux ayant une dimension
transnationale). Sur la base de cette étude, un nouvel ensemble
de recommandations ou de lignes directrices, en coopération avec
le Comité européen pour les problèmes criminels et le Comité directeur
pour les droits de l'homme (CDDH), pourrait être envisagé.
47. Le travail et la coordination des différents organes du Conseil
de l'Europe ont abouti à l'adoption, en 2006, par le Comité des
Ministres de la Recommandation sur l'assistance aux victimes
, qui soulignait
la nécessité de services spécifiques d'aide aux victimes et de formation
des professionnels travaillant avec les victimes
.
48. En mai 2017, les États membres du Conseil de l'Europe ont
adopté de nouvelles lignes directrices concernant le soutien, l'information
et l'indemnisation des victimes d'attentats terroristes
. Le Conseil de l'Europe
recommande que les gouvernements des États membres s'inspirent de
ces lignes directrices dans leur législation et leur pratique internes.
Ses principales recommandations et principes sont notamment les suivants:
- les autorités doivent apporter
une aide en temps utile aux victimes d'attentats terroristes et
organiser des possibilités de soutien médical, psychologique, social
et matériel prolongé ;
- les autorités de chaque État membre doivent également
organiser des centres d'information pour les victimes et veiller
à ce qu'elles aient accès à l'aide juridictionnelle et reçoivent
une indemnisation adéquate en temps voulu, indépendamment de leur
nationalité ou de leur statut de résidence ;
- les gouvernements doivent être capables de fournir toutes
ces mesures à toutes les victimes, sans discrimination et indépendamment
de toute procédure judiciaire concernant le(s) auteur(s) de l’attaque ;
- ces lignes directrices se réfèrent au droit des victimes
de préserver leur vie privée et familiale et visent à parvenir à
la reconnaissance et à la commémoration des victimes par la société.
49. L’article 13 de la Convention du Conseil de l’Europe pour
la prévention du terrorisme de 2005 prévoit que les mesures «pour
protéger et soutenir les victimes du terrorisme commis sur [le]
territoire [d’un État partie]» comprennent notamment «l’aide financière
et le dédommagement des victimes du terrorisme et des membres de
leur famille proche». Toutefois, cette disposition s’applique uniquement
aux victimes au sein d’un État membre et ne concerne pas les citoyens
européens touchés par le terrorisme hors de l’Europe
.
50. Les États membres sont généralement réticents à introduire
des dispositions détaillées sur l'indemnisation des victimes dans
les instruments juridiques internationaux, en raison de leurs importantes conséquences
financières. La plupart des Parties à la Convention ont pris des
mesures pour venir en aide aux victimes du terrorisme, mais il est
certain que davantage pourrait être fait. L'introduction de nouveaux instruments
internationaux contraignants n'est peut-être pas la meilleure façon
de procéder. La solution qui pourrait être la plus réalisable, et
que je soutiens, serait dans un premier temps une recommandation
du Comité des Ministres sur la question.
51. En juillet 2018, le Comité des Ministres a adopté une nouvelle
Stratégie contre le terrorisme (2018-2022) axée sur la prévention,
les poursuites et la protection, notamment l’aide aux victimes
. Cette stratégie demande en particulier
que l’assistance aux victimes prenne une dimension internationale,
en raison du risque accru que des citoyens des États membres soient
victimes d’une attaque terroriste dans d’autres pays européens ou
en dehors de l’Europe.
52. Lors de sa 3ème réunion plénière
les 14 et 15 mai 2019, le CDCT a aussi décidé de créer un réseau
de points de contact uniques pour l'échange d'informations procédurales
concernant le statut juridique des victimes du terrorisme dans les
juridictions des États membres du Conseil de l'Europe, ainsi que
dans les autres États concernés, y compris à l’extérieur de l’Europe.
Cela devrait être salué et soutenu par notre Assemblée.
4.2. Les
Nations Unies
53. Lors de la réunion biannuelle
de la Sous-commission des relations extérieures au siège de l’ONU
(New-York, 5-6 décembre 2018), j’ai eu l’occasion d’échanger des
vues avec de hauts fonctionnaires des Nations Unies. L'ONU a trois
objectifs principaux dans le domaine du soutien aux victimes du
terrorisme: faire en sorte que les voix des victimes soient entendues ;
veiller au respect des droits fondamentaux des victimes ; considérer
les victimes comme des alliées dans la lutte contre le terrorisme
et l'extrémisme violent
.
54. Le Secrétaire général des Nations Unies, le Haut-Commissaire
des Nations Unies aux droits de l'homme et l'Office des Nations
Unies contre la drogue et le crime (UNODC) ont conjugué leurs efforts
afin de mieux reconnaître les besoins particuliers des victimes
du terrorisme et de mieux y répondre.
55. En juin 2014, le Secrétaire général des Nations Unies, avec
un important soutien de l’Espagne, a lancé un portail web pour les
victimes du terrorisme, afin de faciliter l'accès des victimes,
de leur famille et de leur communauté aux différentes ressources,
qu'il s'agisse de soutien psychosocial, d'accès aux systèmes nationaux
de justice pénale ou de possibilités de réadaptation offertes par
les États membres
.
56. En avril 2015, le Service de la prévention du terrorisme de
l'ONUDC a publié un manuel intitulé «Bonnes pratiques pour aider
les victimes du terrorisme dans le cadre de la justice pénale»
. Ce manuel aborde le cadre juridique
et la capacité institutionnelle à déployer des efforts internationaux
visant à protéger les victimes du terrorisme, les moyens mis en
œuvre pour les soutenir lors des enquêtes pénales et le rôle joué
par les organisations de la société civile pour accompagner ces
efforts. En octobre 2015, l'Espagne a proposé une réunion informelle
du Conseil de sécurité sur les victimes du terrorisme, donnant ainsi
la parole aux victimes pour la première fois devant le Conseil de
sécurité.
57. En 2016, dans le cadre de la Stratégie antiterroriste mondiale
des Nations Unies, une conférence sur les droits humains des victimes
du terrorisme a été organisée par le Centre des Nations Unies pour
la lutte contre le terrorisme (UNCCT). Les objectifs étaient de
sensibiliser le public aux droits des victimes du terrorisme et
d'examiner comment les États peuvent renforcer leur législation,
leurs procédures et leurs pratiques nationales pour mieux protéger
et soutenir les victimes, leur communauté et leur famille. Un rapport du
rapporteur spécial, Framework Principles for Securing the Human
Rights of Victims of Terrorism (A/HRC/20/14) («Principes-cadres
pour la protection des droits humains des victimes du terrorisme»),
a présenté un ensemble de recommandations aux États membres afin
qu’ils respectent leurs obligations internationales en la matière.
4.3. Union
européenne
58. Malgré les efforts de l'Union
européenne, les traités fondateurs eux-mêmes, qui ne se référaient
pas expressément aux victimes d'actes criminels, empêchaient une
action de grande envergure en faveur des droits des victimes. Reconnaissant
cette lacune, lors du sommet de l'Union européenne à Lisbonne en
2007, le Conseil a convenu d’une base juridique supplémentaire dans
les traités de l'Union pour assurer la protection des victimes.
Cela a fourni le point de départ et l'élan pour examiner les droits
des victimes et rédiger le principal instrument de l'Union européenne
en la matière, la directive de 2012 sur les droits des victimes
.
59. Cette directive est basée sur les cinq grands besoins des
victimes: respect et reconnaissance, protection, soutien, accès
à la justice et indemnisation. Elle élargit également la définition
de victime, qui n’est plus exclusivement la victime directe, mais
aussi les membres de la famille endeuillée, et reconnaît les besoins des
victimes particulièrement vulnérables et fait expressément référence
aux victimes du terrorisme, en soulignant qu'elles peuvent avoir
besoin d'une attention, d'un soutien et d'une protection spécifiques.
Les règles relatives aux droits des victimes ne sont pas toujours
bien appliquées par les États membres de l'Union européenne et des
procédures d'infraction sont en cours.
60. En mars 2017, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement
européen ont approuvé la Directive (UE) 2017/541 relative à la lutte
contre le terrorisme qui met davantage l’accent sur les victimes
du terrorisme.
La directive recommande qu’une réponse
globale aux besoins spécifiques des victimes du terrorisme soit
fournie immédiatement après un attentat terroriste et aussi longtemps
que nécessaire par le biais de l'infrastructure nationale d'intervention
d'urgence. Elle met également en avant la nécessité de veiller à
ce que toutes les victimes du terrorisme aient accès aux informations
sur les droits des victimes, sur les services de soutien disponibles
et sur les systèmes d'indemnisation dans l'État membre où l'infraction
terroriste a été commise (article 26). Cet aspect concerne également
le niveau paneuropéen plus vaste et le Conseil de l'Europe pourrait
servir de cadre d'action, soit par un texte juridiquement contraignant,
soit par un texte non contraignant.
61. Le 10 mars 2017, à l’occasion de la Journée européenne de
commémoration des victimes du terrorisme
,
les ministres et secrétaires d’État chargés de l’aide aux victimes
de la Belgique, de la République tchèque, de la France, de la Grèce,
de la Hongrie, de l’Italie, de la Roumanie, de l’Espagne et du Royaume-Uni,
ont élaboré une feuille de route pour l’aide aux victimes du terrorisme
.
62. La déclaration commune signée le 5 novembre 2018 par les ministres
de la justice de l'Allemagne, de la Belgique, de l'Espagne, de la
France, de l'Italie, du Luxembourg, et des Pays-Bas témoigne également
d'un intérêt croissant pour la coordination des efforts. Le texte
vise à consolider les outils mis à la disposition des autorités
policières et judiciaires, à renforcer le soutien aux victimes,
notamment dans les affaires transnationales, et à améliorer la lutte
contre les contenus terroristes sur Internet. Les ministres ont
également encouragé la Commission européenne à proposer des initiatives
dans ce domaine, en particulier la création d'un centre européen
d'expertise pour partager les connaissances et les outils sur l'aide
aux victimes
.
63. Le 11 mars 2019, à l’occasion de la 15e Journée européenne
de commémoration des victimes du terrorisme, la Commission européenne
a salué le rapport de la conseillère spéciale auprès du président
Jean-Claude Juncker pour l'indemnisation des victimes de la criminalité,
intitulé «Renforcement des droits des victimes: de l'indemnisation
à la réparation»
. Le rapport montre que les victimes
éprouvent souvent des difficultés à accéder à la justice et à être
indemnisées en raison du manque d'informations, d'un soutien insuffisant,
de critères d'admissibilité trop restrictifs ou d'obstacles procéduraux.
Pour les personnes qui sont victimes de la criminalité alors qu’elles
voyagent dans un autre pays de l’Union européenne, il peut être
encore plus difficile d'obtenir une indemnisation. La Commission
européenne s’emploie aussi actuellement à mettre en place un centre
d'expertise de l'Union européenne pour les victimes du terrorisme
et le Conseil de l'Europe pourrait assurer la coordination et créer
des synergies pour étendre la protection aux 47 États membres, aux États
observateurs et à ceux qui ont le statut de partenaires pour la
démocratie.
5. Études
de cas: différentes expériences, différentes approches
5.1. Espagne:
un passé édifiant
64. Le 14 novembre 2018, j’ai effectué
une visite d’information à Madrid et je tiens à remercier tous les interlocuteurs
qui ont pris le temps d'expliquer le fonctionnement du système dans
leur pays et de m'envoyer des commentaires et des recommandations
supplémentaires. L’Espagne a malheureusement une longue histoire
de violences terroristes remontant aux années 1960, et a par conséquent
élaboré, depuis 1979, certaines des politiques les plus avancées
au monde en matière de protection et de soutien aux victimes du terrorisme
.
65. En Espagne, une victime de terrorisme peut juridiquement être
définie de deux manières. Une définition générale identifie comme
victimes de crimes les victimes directes et, en cas de décès, les
membres de leur famille. Une définition plus précise prévoit que
les victimes de terrorisme sont «des personnes ayant subi des dommages
physiques et/ou psychologiques à la suite d'activités terroristes».
66. Cette définition a été introduite par la loi de 2011 sur la
reconnaissance et la protection intégrale des victimes du terrorisme
, qui accorde à celles-ci
le droit à des aides, prestations et indemnités. La loi 29/2011 prévoit
une augmentation quantitative et qualitative, par rapport à la législation
précédente, de l'assistance, du soutien, des honneurs et des mesures
de protection auxquels ont droit les victimes d'actes de terrorisme.
Son application est rétroactive et couvre ceux qui ont subi des
actes de terrorisme à partir de 1960. Le système assure l'égalité
de traitement aux victimes d'attaques en Espagne, quelle que soit
leur nationalité. Il accorde également une attention et une protection
particulières aux victimes espagnoles du terrorisme à l’étranger.
67. Le législateur espagnol donne aux victimes d'actes de terrorisme
une signification politique en les reconnaissant expressément comme
des symboles de la défense de l'État de droit démocratique face
à la menace terroriste. Il considère également les victimes du terrorisme
comme des victimes de violations des droits humains, renforçant
ainsi le statut juridique des victimes et créant des obligations
juridiques contraignantes pour l'État. La loi, qui s'inspire des
principes de mémoire, de dignité, de justice et de vérité, vise à
apporter un soutien complet aux victimes.
68. En ce qui concerne le soutien, la loi espagnole 29/2011 a
créé le Bureau d'information et d'assistance aux victimes du terrorisme
auprès de l’Audiencia Nacional,
qui fournit une assistance juridique spéciale et un soutien psychologique
aux victimes.
69. Par ailleurs, la Direction générale de l'aide aux victimes
du terrorisme du ministère de l’Intérieur procure également des
informations et apporte un soutien. Elle offre, de surcroît, une
aide professionnelle et d'autres formes de soutien pratique, dans
le domaine du logement par exemple. Elle peut également orienter
les victimes vers des organisations non gouvernementales et des
organisations de la société civile spécialisées qui peuvent fournir
une aide plus personnalisée. En tant que «guichet unique», une équipe
qualifiée de travailleurs sociaux offre une aide spéciale dans le
domaine psycho-social. En outre, un réseau national de psychologues,
spécialisé dans l'aide aux victimes du terrorisme, est coordonné
et parrainé par le ministère de l'Intérieur. Lors de ma réunion
à Madrid, ils ont plaidé pour la création d'un réseau d'autorités
chargées de fournir soutien et assistance aux victimes dans chaque
État membre du Conseil de l'Europe, ainsi que d'une Charte européenne
des droits des victimes du terrorisme, afin de faciliter la communication
et la coordination en Europe.
70. Les bureaux d'aide aux victimes régionaux présents dans toute
l'Espagne proposent également aux victimes des informations ainsi
qu’un soutien psychologique et pratique, souvent en collaboration
avec des ONG.
71. Le mouvement associatif des victimes du terrorisme revêt une
importance primordiale dans le système espagnol. Il existe plusieurs
associations nationales et régionales et deux fondations publiques,
placées sous l'autorité du ministère de l'Intérieur. J'ai rencontré
des membres de l’
Asociación de Víctimas
del Terrorismo (Association des victimes du terrorisme
(AVT)), qui est la principale organisation non gouvernementale de victimes
en Espagne, et qui représente et défend les intérêts des victimes
du terrorisme et leur apporte une aide morale et matérielle. En
juin 2017, l’AVT a lancé une Plateforme européenne en ligne d’aide
aux victimes du terrorisme (EPAVT)
. L’AVT préconise un recensement officiel
des victimes du terrorisme, qu’il s’agisse d’attentats nouveaux
ou passés, dans le but d’éviter les dommages et les difficultés
auxquels les victimes doivent souvent faire face pour prouver leur
situation. Elle insiste également sur la mise en place d’un mécanisme
de coopération entre les autorités nationales responsables de l'assistance
aux victimes du terrorisme et recommande l'adoption d'un statut
européen pour les victimes du terrorisme ainsi que la création d'un
bureau européen d'assistance aux victimes du terrorisme.
72. Bien que l’Espagne se soit fortement mobilisée en faveur des
victimes d’actes terroristes, les représentants que nous avons rencontrés
ont reconnu ne pas disposer d’un suivi long et précis de la situation des
victimes, ce qui supposerait de garder un contact, des informations
et une possibilité de suivre leurs demandes pendant une grande partie
de leur vie personnelle et professionnelle. Au-delà du cas de ce
pays, un suivi détaillé permettrait aussi de savoir si l’accompagnement
proposé a été effectif et a permis aux victimes de surmonter les
difficultés auxquelles elles ont été confrontées à la suite des
attaques personnelles dont elles ont été victimes.
73. Les échanges avec Jonan Fernández, Secrétaire général aux
droits de l'homme, à la coexistence et à la coopération du gouvernement
basque, ainsi qu’avec Enrique Ullibarriarana Errasti, directeur
des victimes et des droits de l'homme au sein du gouvernement basque,
ont constitué l'un des moments forts de ma visite.
74. En avril 2018, le groupe séparatiste basque ETA, responsable
de plus de 800 morts au cours d'une période sombre et traumatisante
de plusieurs décennies de violence et de terrorisme, a annoncé sa dissolution.
Le gouvernement espagnol a réagi en déclarant que le groupe terroriste
avait déjà été battu avec les armes de la démocratie et la force
de l'État de droit.
75. Pour sa part, le Gouvernement basque a établi des contacts
directs avec toutes les victimes, dans la mesure du possible, en
se rendant à leur domicile, en offrant une assistance individuelle
et en soutenant les associations de victimes. Depuis 2011, il a
commencé à recueillir des histoires individuelles et des témoignages
à utiliser dans les programmes scolaires, touchant ainsi plus de
14 000 élèves. Ces programmes socio-éducatifs sont non seulement
utiles pour prévenir l'extrémisme et la radicalisation violente
chez les jeunes générations, mais ils sont également essentiels
pour les victimes elles-mêmes, leur permettant de surmonter la victimisation,
de reconstruire leur vie et de partager leur expérience de survivants.
En 2018, le gouvernement basque a également adopté un Plan pour
la coexistence et les droits de l'homme (2017-2020) pour lutter
contre la menace du terrorisme international à motivation religieuse,
qui mériterait à mon sens un examen plus approfondi par notre commission
dans le contexte de la déradicalisation et de la réinsertion d'anciens
combattants étrangers.
76. Selon M. Fernández, la terreur, la guerre et la violence ont
toujours essayé de trouver leur justification dans des valeurs absolues,
telles que la patrie, l’identité ou la religion. À travers l’éducation
et des politiques fortes, nous devons souligner la valeur suprême
de la dignité humaine, de la paix, de la non-violence et des droits
humains, qui surpassent et battent toute cause politique ou religieuse.
Les victimes du terrorisme peuvent être de précieux alliés dans
cette bataille.
5.2. France:
une lutte permanente et accrue
77. Pour les citoyens français,
le terrorisme génère une inquiétude croissante après les différents
attentats de grande ampleur qui ont frappé le pays ces cinq dernières
années. Les attentats de Paris en 2015 (130 morts et plus de 400
blessés) ont tout particulièrement intensifié la peur de nouveaux
attentats et déclenché un état d’urgence qui a duré deux ans. En
outre, une délégation interministérielle placée auprès du ministère
de la Justice a succédé, en 2017, au secrétariat d’État aux Droits
des victimes.
78. Selon l’Instruction interministérielle relative à la prise
en charge des victimes d’actes de terrorisme du 6 octobre 2008
, révisée en 2017, les victimes
d’actes de terrorisme en France ont droit à un soutien de la part
des acteurs institutionnels et de la société civile. Le décret traite
à la fois des victimes d'attentats sur le sol national et des victimes
françaises d'attaques sur des territoires étrangers. Dans les deux
cas, le document décrit les procédures des services d'urgence et
le processus judiciaire, les étapes nécessaires pour qualifier officiellement
l’acte comme acte de terrorisme, la manière d’établir une liste
des victimes et des informations pertinentes concernant leur famille,
et les actions médico-sociales à entreprendre.
79. Concrètement, les dispositions comprennent un soutien juridique,
médical et psychologique, une indemnisation intégrale (couvrant
les dommages physiques, professionnels et moraux), les mêmes droits
et avantages que ceux garantis aux victimes de guerre (tels que
les pensions et la qualité spéciale de pupille de la Nation pour
les jeunes de moins de 21 ans), l'exonération de certaines taxes
et une reconnaissance spéciale en tant que «victime du terrorisme».
En juillet 2016, un décret présidentiel a également créé la Médaille nationale
de reconnaissance aux victimes du terrorisme ainsi que la Légion
d’honneur pour les victimes du terrorisme, qui vise à «manifester
l'hommage de la Nation aux personnes tuées, blessées ou prises en
otage lors d'actes terroristes»
.
80. La vague d’attentats qui a frappé la France dans les années 1980
a conduit le législateur à mettre en place un dispositif spécifique
pour réparer les préjudices subis par les victimes du terrorisme,
ce qui a conduit à la création du Fonds de garantie des victimes
des actes de terrorisme en 1986, devenu Fonds de garantie des victimes
des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) en 1990.
81. Depuis sa création, les victimes françaises ou étrangères
d’actes terroristes survenus en France à compter du 1er janvier
1985, et les victimes françaises d’actes terroristes survenus à
l’étranger, peuvent demander une indemnisation au FGTI selon une
procédure particulière. Celle-ci diffère de la procédure suivie en
matière d’infractions de droit commun. Dès que les autorités transmettent
au FGTI les informations sur les circonstances de l’acte terroriste
et l’identité des victimes, l’équipe qui s’occupe de l’indemnisation
des victimes du terrorisme contacte directement ces dernières. Elle
les aide à constituer leur dossier et s’efforce de verser rapidement
une provision permettant de couvrir les premiers frais. Elle leur
présente une offre d’indemnisation dans les trois mois dès lors
que le préjudice est en état d’être définitivement apprécié. Afin
de faciliter l'accès à l'information pour les victimes du terrorisme,
un site web dédié détaille tous les droits et procédures et permet de
postuler en ligne.
82. Comme l'a souligné le Professeur Knetsch lors d'une audition
en Commission le 20 mai 2019 à Paris, une distinction est établie
depuis 2016 entre les victimes décédées ou blessées et les victimes
«impliquées», qui déclarent un choc émotionnel en raison de la proximité
géographique ou de leur exposition au risque lors d'un attentat
terroriste. Cela a créé une délimitation arbitraire de l’ampleur
de l’exposition et généré des problèmes supplémentaires avec les
demandes d’indemnisation.
83. Les réformes en cours visent à offrir un soutien à la reconstruction
de la vie de la victime par l'intervention d'un personnel formé.
Lors d'une audition en commission le 11 décembre 2018, le directeur général
de la FGTI, M. Julien Rencki, a appelé à une meilleure coordination
entre les systèmes nationaux pour faire face à ce qu'il a appelé
la « mondialisation du terrorisme » et éviter le risque de non indemnisation,
de double indemnisation, les problèmes d'interprétation et le traitement
des tests médicaux. En mars 2018, la France a organisé le premier
séminaire sur les moyens de renforcer les efforts de coordination
avec les autres pays. Selon Monsieur Rencki, seul un cadre juridique
commun au niveau européen garantirait une protection adéquate. Il
a également fait valoir que le pays de résidence devrait être responsable
de l'indemnisation et qu'une sorte de solidarité financière entre
les États européens devrait être mise en place en cas d'attentats majeurs.
84. Le ministre de la Justice s'appuie sur un réseau d'associations
de victimes pour soutenir et accompagner les victimes dans toutes
les régions. Ces associations sont fédérées avec le Réseau France Victimes,
premier opérateur public dans le domaine de l'assistance aux victimes.
Les associations de victimes apportent un soutien complémentaire:
l'Association française des victimes du terrorisme (AFVT), la Fédération nationale
des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (Fenvac) ou d'autres
associations créées par les victimes d'actes terroristes (Life for
Paris, 13onze15, Fraternité Vérité, Promenades des anges, etc.).
Mme Julie Heisserer, responsable des
relations européennes et internationales de la délégation interministérielle
pour l'aide aux victimes auprès du ministère français de la Justice,
a fait état d'une augmentation de 152 % du financement en faveur
des victimes du terrorisme en France, qui inclut également un soutien
aux organisations de la société civile et un réseau de 1 500 centres
locaux pour aider les victimes. Elle a également souligné l'importance
de la commémoration des victimes par le biais de musées, de cérémonies
commémoratives et de médailles.
5.3. Royaume-Uni:
une expérience mitigée
85. Le Royaume-Uni a une expérience
considérable du terrorisme, du fait du conflit en Irlande du Nord
et d’un certain nombre d’attentats de grande ampleur subis ces dernières
années. Bien que chaque type de terrorisme soit très différent,
le gouvernement britannique a su s’inspirer de son expérience dans
les deux cas pour élaborer ses politiques de soutien aux victimes.
86. En 2017, le Royaume-Uni a mis en place une unité intergouvernementale
chargée de coordonner l'aide aux citoyens britanniques directement
touchés par des attentats terroristes au Royaume-Uni et à l'étranger. Cette
unité travaille avec le gouvernement, la société civile et les autorités
locales pour veiller à ce que le soutien aux victimes du terrorisme
soit complet, coordonné et clairement diffusé.
87. Le gouvernement a également mis au point des pages web afin
de donner des conseils complets aux victimes et les orienter vers
les services de soutien au Royaume-Uni
. Il travaille également en
étroite collaboration avec les autorités locales pour mettre en
évidence le soutien disponible et s'assurer que les paiements du
«We Love Manchester Emergency Fund» et du «UK Solidarity Fund» n'ont
pas d’incidence sur le versement des prestations.
88. Juridiquement, le soutien aux victimes d'actes terroristes
au Royaume-Uni relève du Code de pratiques concernant les victimes
d’infractions d’octobre 2015, qui accorde aux survivants les droits
habituellement reconnus aux victimes par le système pénal et adapte
les services aux besoins individuels. En outre, il permet de faire
une «déclaration personnelle de la victime» au cours de la procédure
pénale.
89. D’importantes modifications législatives adoptées début 2017
donnent désormais droit aux victimes d’attaques perpétrées au Royaume-Uni
à l’aide de véhicules (comme celles du London Bridge et de Finsbury Park
en 2017) à une indemnisation à vie de la part du Motor Insurance
Bureau
. Ces ajustements en amont dans
le domaine du soutien aux victimes sont intervenus au bon moment,
montrant combien il est important que les dispositifs évoluent au
même rythme que les menaces.
90. Concernant les attentats perpétrés en dehors du Royaume-Uni,
le tout premier programme d'aide aux victimes de terrorisme à l’étranger
(dispositif d'indemnisation financé par l'État) a été introduit
en novembre 2012 par le gouvernement britannique. Toutefois, il
n’indemnise les victimes que dans certains types d’actes de terrorisme,
comme en a décidé le ministre des Affaires étrangères.
91. Après l’attentat du 22 mai 2017 à Manchester, une enquête
indépendante (le rapport Kerslake) portant sur la préparation et
la réaction des autorités à l’attaque a été menée. Bien qu’une telle
initiative soit louable, les conclusions sur l’expérience des victimes
après l’attaque n’ont pas été positives. De nombreuses victimes n’ont
pas été informées du soutien dont elles disposaient ou de la manière
d'y accéder. Parmi les bénéficiaires, beaucoup se sont dit insatisfaits,
en particulier en ce qui concerne les enfants, touchés de manière disproportionnée
lors de l'attentat
.
92. Lors de son témoignage devant la commission à Athènes le 22
mai 2018, M. Travis Frain, un survivant de l’attentat du Westminster
Bridge en mars 2017, a estimé que le soutien réel était inadéquat,
quand bien même les structures juridiques nécessaires puissent être
en place au Royaume-Uni. Il a déclaré que d’autres survivants et
lui-même avaient dû «[se] battre pour obtenir un soutien réel
» et qu’ils n’avaient été contactés par
la police que cinq mois après l’attaque
.
93. Le gouvernement a convenu de fournir des subventions aux organisations
et fondations basées au Royaume-Uni qui visent à rassembler les
victimes et les survivants du terrorisme/de la violence politique
afin de les aider à faire face à leur traumatisme et à aller de
l'avant. Il s’agit notamment de la Croix-Rouge britannique, de Victim
Support et du Survivors Assistance Network de la Fondation pour
la Paix Tim Parry Johnathan Ball. Certains ont toutefois critiqué
la nature à court terme de ces subventions, les jugeant inadéquates
pour que les organisations puissent offrir aux victimes un soutien
à long terme. Lors de son témoignage devant la commission, Travis
Frain a observé que le Survivors Assistance Network avait vu les demandes
augmenter de 600 % depuis les attentats de l’année dernière, mais
que son financement n’avait pas encore été confirmé.
94. Une étude publiée par le groupe de pression « Survivors Against
Terror » en novembre 2018 donne un aperçu microcosmique des points
de vue et des expériences des survivants ainsi que des proches des
victimes d’attentats terroristes au Royaume-Uni. Il a interrogé
près de 300 victimes britanniques d'attentats terroristes dans le
monde et a constaté que: 76 % ont déclaré que les services de santé
mentale fournis par le gouvernement nécessitaient des améliorations
substantielles ; 52 % estimaient que le soutien financier était totalement
inadéquat ; 46 % des victimes d'attentats à l'étranger ont affirmé
que le soutien du gouvernement était faible ; et 38 % de toutes
les victimes ont affirmé que le soutien juridique était inadéquat.
Il est intéressant de noter que la Fondation pour la paix Tim Parry
Johnathan Ball ainsi que Victim Support ont toutes deux été félicitées
pour avoir tenté de combler les vastes lacunes qui subsistent en
matière de soutien malgré les contraintes de financement, avec un
taux de satisfaction de 84 % et 62 % respectivement
.
95. Enfin, en avril 2018, dénonçant les défaillances du gouvernement,
les victimes des attentats de Westminster, du pont de Londres et
du Manchester Arena ont demandé un examen indépendant après avoir révélé
comment elles avaient été laissées pour compte après leur sortie
de l'hôpital, malgré la création d'une unité spécialisée du Ministère
de l’Intérieur pour les victimes des atrocités de 2017
. Malheureusement, l'Unité d'aide
aux victimes du terrorisme n'a pas répondu à notre demande de commentaires.
5.4. Allemagne:
apprendre de ses erreurs
96. En Allemagne, le terrorisme
n’est pas un phénomène nouveau. Cependant, il n’est pas aussi répandu que
dans d’autres pays européens, de sorte que le soutien aux victimes
du terrorisme nécessitant un soutien spécifique a sans doute été
moins développé. Mais à la suite des événements survenus dans les
pays voisins et sur le territoire allemand au cours des dernières
années, une plus grande attention est désormais portée aux victimes.
97. Depuis 2001, l’Allemagne indemnise les victimes du terrorisme
d’extrême droite sous la forme d’une compensation unique. En 2010,
la protection a été étendue aux victimes d’autres formes de terrorisme
et d’extrémisme, comme celui d’extrême gauche ou encore l’extrémisme
islamique. Avec cette évolution, l’État entendait témoigner de sa
solidarité avec les victimes et condamner fermement de tels actes.
98. Après l’attentat du marché de Noël à Berlin en 2016, des dysfonctionnements
dans le soutien aux victimes ont été révélés. Les victimes et les
familles endeuillées ont dénoncé le manque d'informations dans un
délai raisonnable, l’absence de condoléances officielles de la part
des autorités et l’inadéquation du soutien financier proposé. Certaines
familles ont décrit une attente interminable avant de savoir si
leurs proches étaient vivants ou décédés, d’autres ont même déclaré
avoir reçu les factures d’autopsie avant tout message de condoléances
.
99. Bien que la réponse des autorités aux victimes ait été «administrativement
correcte», le gouvernement allemand a reconnu de sérieux dysfonctionnements
pratiques dans le soutien apporté aux victimes et à leurs familles
. En conséquence,
le 8 mars 2017, le ministre-président retraité de Rhénanie-Palatinat,
Kurt Beck, a été nommé premier commissaire officiel du gouvernement
pour les victimes de l'attentat de Berlin. Par la suite, le 11 avril
2018, le Gouvernement fédéral a nommé le professeur Edgar Franke
Commissaire du Gouvernement fédéral pour les victimes et les endeuillés
des infractions terroristes commises sur le territoire national.
Il est indépendant dans l'exercice de son mandat, mais son bureau
est rattaché au ministère fédéral de la Justice et de la Protection
des consommateurs.
100. Le commissaire a recommandé des améliorations, ce qui a eu
pour conséquence le triplement du montant de l’indemnisation disponible
pour les survivantˑeˑs, passant de 10 000 € à 30 000 €. L’indemnisation versée
aux personnes blessées peut être sensiblement plus élevée et dépend
de la gravité des blessures de l’individu.
101. L’attentat du marché de Noël à Berlin en 2016 démontre non
seulement l’importance d’une politique proactive de soutien aux
victimes, mais aussi la nécessité de réexaminer, d’évaluer et d’améliorer
sans arrêt celle-ci, si nécessaire. Je souhaiterais remercier les
autorités allemandes pour leurs observations et commentaires sur
mon rapport.
6. Conclusions
102. Les gouvernements doivent aller
au-delà de la simple affirmation de leur solidarité et veiller à
la mise en place de mesures concrètes pour garantir la protection
des droits fondamentaux des victimes. Un certain nombre d'instruments
juridiques existants ne sont pas pleinement mis en œuvre et respectés
dans la pratique, et une approche plus cohérente et systématique
doit s'imposer dans tous les États membres du Conseil de l'Europe.
Ces derniers doivent aussi veiller à évaluer les dispositifs mis
en place.
103. Les États membres, les États observateurs et les États dont
le parlement bénéficie du statut d'observateur ou de partenaire
pour la démocratie auprès de l'Assemblée parlementaire devraient
prendre des mesures concrètes pour mettre en œuvre, de manière proactive,
l'article 13 de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention
du terrorisme (
STCE
n° 196) intitulé «Protection, dédommagement et aide aux victimes
du terrorisme» ainsi que les Lignes directrices révisées du Comité
des Ministres sur la protection des victimes d'actes terroristes
du 19 mai 2017.
104. Les principales recommandations incluent la reconnaissance
des victimes du terrorisme, des mesures de soutien spécifiques au
niveau national pour garantir l'accès à la justice ainsi qu’une
indemnisation et une assistance appropriées, une coopération renforcée
avec les organisations de la société civile, une coopération internationale
accrue et une attention particulière aux victimes transfrontalières
du terrorisme. Les gouvernements peuvent jouer un rôle clé dans
le façonnement d'une mémoire collective et la création de cadres
sociaux et institutionnels qui permettent aux victimes du terrorisme
de développer des mécanismes de résilience, également par le biais
d'initiatives telles que les musées, les cérémonies commémoratives
et les médailles.
105. Pour sa part, le Conseil de l’Europe devrait intensifier ses
efforts pour créer un réseau de points de contact uniques pour l'échange
d'informations procédurales concernant le statut juridique et les
mesures d’accompagnement des victimes du terrorisme dans les juridictions
des États membres, ainsi que dans les autres États concernés, y
compris hors d’Europe. Ce réseau devrait coopérer activement avec
le futur Centre d’expertise de l’Union européenne pour les victimes
du terrorisme afin de garantir une meilleure coordination paneuropéenne,
y compris avec les États observateurs et les États dont le parlement
bénéficie du statut d'observateur ou de partenaire pour la démocratie
auprès de l'Assemblée parlementaire.
106. En coopération avec l’Union européenne, l’Organisation pourrait
également envisager d’adopter une Charte européenne des droits des
victimes du terrorisme, afin de faciliter la reconnaissance, la
communication et la coordination en Europe et ainsi marquer l’importance
des droits humains et la reconnaissance du statut de victimes du
terrorisme.