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Rapport | Doc. 14963 | 16 septembre 2019

Le fonctionnement des institutions démocratiques en République de Moldova

Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Corapporteur : M. Egidijus VAREIKIS, Lituanie, PPE/DC

Corapporteur : Mme Maryvonne BLONDIN, France, SOC

Origine - Renvoi en commission: Résolution 1115 (1997). 2019 - Quatrième partie de session

Résumé

En juin 2019, trois mois après les élections législatives, la République de Moldova faisait face à une crise politique et constitutionnelle sans précédent après que la Cour constitutionnelle eut décidé de dissoudre le parlement et ce, selon la Commission de Venise, sans remplir les conditions requises.

La commission de suivi salue la résilience du peuple moldave et la sortie de crise pacifique avec la formation d’une coalition parlementaire composée de partis politiques aux vues divergentes mais déterminés à poursuivre un objectif commun: «la désoligarchisation du pays».

La commission salue cette démarche mais appelle les autorités à s’assurer que les réformes entreprises et le «nettoyage des institutions» répondent aux normes du Conseil de l’Europe, visent la dépolitisation et l’indépendance des institutions, en particulier celles du système judiciaire et du ministère public.

L’Assemblée devrait appeler les autorités, avec l’assistance du Conseil de l’Europe, à poursuivre leurs efforts, pour améliorer la législation électorale après l’abolition du système électoral mixte, réformer le système judiciaire, lutter contre la corruption et le blanchiment d’argent et faire la lumière sur le scandale bancaire de 2014.

L’Assemblée devrait suivre ces développements dans le cadre de sa procédure de suivi.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 10 septembre
2019.

(open)
1. Après les élections législatives du 24 février 2019 ayant abouti à un parlement sans majorité, la République de Moldova s’est retrouvée dans une situation sans précédent: le 7 juin 2019, la Cour constitutionnelle de la République de Moldova a jugé que le délai pour former une majorité parlementaire avait expiré, sur la base – comme l'a indiqué la Commission de Venise – d'un nouveau calcul du délai de trois mois prévu par la constitution. Le 8 juin 2019, un «accord politique temporaire sur la désoligarchisation de la Moldova» était conclu entre le Parti des socialistes et le Bloc ACUM, permettant la formation d'une majorité parlementaire, l'élection d'une présidente du parlement et la désignation d'un gouvernement. Le même jour, la Cour constitutionnelle déclarait ces décisions inconstitutionnelles et décidait, le 9 juin 2019, de suspendre temporairement le Président de la République, qui avait refusé de donner suite à la demande de la Cour constitutionnelle de dissoudre le parlement et de convoquer des élections législatives anticipées. Ces décisions de la Cour constitutionnelle ont plongé le pays dans une crise politique et constitutionnelle et ont abouti à une dualité de pouvoir sans précédent. Une nouvelle coalition majoritaire a pu être formée au parlement, sans pour autant que le gouvernement en exercice cède la place. Cette situation a conduit le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à solliciter l’avis de la Commission de Venise le 8 juin 2019.
2. Dans son avis du 21 juin 2019, la Commission de Venise a estimé que la Cour constitutionnelle n’avait pas rempli les conditions requises pour ordonner la dissolution du parlement. L'Assemblée parlementaire apprécie que cet avis ait joué un rôle déterminant dans la recherche d'une issue à cette crise. À la suite de la démission du gouvernement en place, la Cour constitutionnelle a, en effet, décidé d’annuler ses décisions controversées.
3. L’Assemblée regrette profondément que cette crise ait jeté une ombre sur la Cour constitutionnelle. Cette institution, en n’agissant pas conformément à la Constitution et à sa propre jurisprudence, s’est discréditée. L’Assemblée invite les membres nouvellement élus de la Cour constitutionnelle à rétablir la confiance dans leur juridiction.
4. Compte tenu du climat polarisé régnant en République de Moldova, l’Assemblée se félicite de la passation pacifique de pouvoir, ainsi que de la résilience et de la retenue du peuple moldave qui, par son vote, a clairement exprimé son souhait d’alternance politique et ses attentes de véritables changements. Les forces politiques, à savoir le Parti des Socialistes et le Bloc ACUM, ayant formé une coalition majoritaire représentent un large éventail d’électeurs moldaves et ont réussi à s’entendre sur des objectifs politiques communs malgré leurs visions politiques divergentes.
5. L’Assemblée note que le nouveau gouvernement s’est engagé en priorité, sur la base d’un « accord politique temporaire », à « désoligarchiser » le pays et à lutter contre la corruption. L’Assemblée se félicite des mesures légitimes et nécessaires envisagées pour éradiquer tous les éléments caractéristiques d’un « État captif » au sein des institutions de l’État. Dans le même temps, l’Assemblée invite les autorités moldaves à veiller à ce que les mesures à prendre leur permettent de réformer le système et, à terme, de consolider les institutions démocratiques. L’Assemblée souligne également que les processus démocratiques doivent être encouragés et, en particulier, elle invite le parlement à garantir le respect des droits de l’opposition.
6. L’Assemblée salue les mesures prises pour identifier les personnes ayant permis l’exploitation d’institutions publiques au profit d’intérêts privés, partisans ou commerciaux, en particulier la création de plusieurs commissions d’enquête par le parlement. Elle invite les autorités judiciaires à prendre au sérieux les allégations d’actes répréhensibles et à enquêter de manière approfondie sur d’éventuelles infractions pénales. Les responsables devraient en rendre compte et être traduits en justice.
7. L’Assemblée rappelle que « le scandale de la fraude bancaire » – s’étant soldé par des transferts illégaux massifs de fonds en 2014 par le biais d’institutions financières moldaves – a créé une charge financière énorme pour les citoyens de la République de Moldova, dans la mesure où l’État a offert des garanties financières. L’Assemblée déplore que, cinq ans plus tard, les enquêtes menées se soient révélées peu concluantes. Elle se félicite donc des mesures prises récemment par le parlement pour créer une commission d’enquête parlementaire chargée de relancer les investigations. Elle salue la publication du rapport d’audit Kroll 2, tout en demandant instamment que toutes les informations contenues dans celui-ci soient portées à la connaissance des autorités compétentes. L’Assemblée attend maintenant que l’ensemble des personnes mises en cause soient traduites en justice. Elle appelle également tous les États membres du Conseil de l’Europe concernés à coopérer pleinement avec la justice moldave pour localiser et récupérer l’argent volé.
8. L’Assemblée note que les autorités sont déterminées à réviser et à assainir le système. Bien que la tentation soit grande d’expulser rapidement les représentants de l’État ayant cédé aux influences et aux pressions extérieures, l’Assemblée souligne que les mesures juridiques prises aujourd’hui pour « désoligarchiser » le pays auront des effets à long terme et qu’elles devraient donc contribuer à consolider les institutions de l’État, à renforcer leur indépendance et à garantir de nouvelles lois conformes aux normes du Conseil de l’Europe tant au niveau de leur contenu que de leur application. Elle invite également les autorités moldaves, si cela s’avère approprié, à abroger les textes législatifs jugés nécessaires pour sortir de la crise.
9. L’Assemblée note que les mesures prises après juin 2019 ont restauré la confiance des donateurs internationaux. Elle se félicite de la reprise du soutien financier international de l’Union européenne et du Fonds monétaire international, laquelle pourrait contribuer de manière significative au renforcement de l’État de droit, à l’augmentation des investissements et des possibilités d’emploi, à l’amélioration de la situation socio-économique de la population moldave et à l’adoption de mesures fortes visant à prévenir une émigration massive.
10. L'Assemblée prend note de la réforme du système judiciaire annoncée par les autorités en août 2019. Cette réforme est susceptible de modifier substantiellement l'élection du procureur général, la composition de la Cour suprême de justice, le Conseil supérieur de la magistrature et le Conseil supérieur des procureurs. La réforme apportera également des modifications à l'évaluation des juges et des procureurs. L'Assemblée se félicite de la détermination des autorités à résoudre les problèmes urgents et à rétablir la confiance dans le système judiciaire. Dans le même temps, elle rappelle qu'il est d'une importance fondamentale de veiller à ce que les modifications proposées renforcent l'indépendance et l'impartialité des instances de régulation du système judiciaire et du ministère public et établissent des systèmes de recrutement ouverts, transparents et fondés sur le mérite. L'Assemblée attend des autorités moldaves qu'elles sollicitent l’expertise du Conseil de l'Europe, en particulier de la Commission de Venise, pour veiller à ce que les changements proposés soient durables et conformes aux normes du Conseil de l'Europe.
11. L’Assemblée appelle également les autorités moldaves:
11.1. à veiller à ce que les procédures de révocation et de recrutement dans les administrations et institutions publiques se fondent sur des critères clairs et ouverts, de manière à accroître la transparence et la responsabilisation des institutions de l’État ;
11.2. à revoir le fonctionnement de l’Institut national pour la justice et à veiller à ce que la formation initiale et continue des magistrats vise à renforcer les capacités des futurs juges et procureurs, afin que les intéressés soient en mesure d’agir de manière indépendante.
12. L’Assemblée souligne la nécessité de renforcer le système judiciaire, car ses faiblesses ont permis le développement de mécanismes de blanchiment de capitaux (« lessiveuses »). L’Assemblée rappelle sa Résolution 2279 (2019) “Lessiveuses: faire face aux nouveaux défis de la lutte internationale contre la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux” et réitère son appel aux autorités moldaves pour qu’elles abrogent les textes législatifs comme ceux prévoyant des « amnisties fiscales » ou des « visas en or » propices au blanchiment et introduisent des dispositions empêchant les personnes accusées ou reconnues coupables d’infractions graves, notamment la corruption et le blanchiment de capitaux, d’accepter des fonctions publiques ou de les exercer.
13. L’Assemblée rappelle que la corruption reste un phénomène très répandu en République de Moldova. L’Assemblée salue la publication, le 24 juillet 2019, du rapport de conformité de 2018 du Groupe d’États contre la corruption (GRECO), qui a fait le bilan des mesures visant à prévenir la corruption parmi les juges, les procureurs et les membres du parlement. Elle invite instamment les autorités moldaves à agir résolument pour éradiquer ce fléau et à mettre en œuvre les recommandations formulées par le GRECO en 2016 et 2018. L’Assemblée appelle en particulier le Parlement moldave à adopter un Code d’éthique, un Code de conduite et un Code sur les règles et les procédures conformes aux recommandations du GRECO de 2016.
14. Suite aux changements de la législation électorale et à l’abolition du mode de scrutin mixte, en août 2019, conformément aux recommandations de la Commission de Venise, l’Assemblée se félicite des mesures prises pour accroître la transparence du financement des campagnes électorales, abaisser le seuil électoral et élargir les possibilités de vote des membres de la diaspora moldave. Elle invite les autorités moldaves à mettre en œuvre les recommandations formulées par la commission ad hoc d’observation des élections de l’Assemblée parlementaire en 2018 et les avis de la Commission de Venise concernant respectivement le financement des partis politiques et des campagnes électorales (2017) et le système électoral (2017).
15. L’Assemblée est convaincue que la réforme du système judiciaire et du ministère public conformément aux normes du Conseil de l’Europe sera déterminante pour assurer la restauration de l’État de droit et mettre un terme au système de justice sélective ayant prévalu jusqu’à présent. Ces réformes permettront également de garantir la protection juridique des droits humains fondamentaux, y compris des droits des femmes. Dans ce contexte, l’Assemblée encourage les autorités moldaves à ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE n° 210, “Convention d’Istanbul”), qui a été signée par le pays en 2017. L’Assemblée salue à cet égard le soutien exprimé par le Président de la République en faveur de cette ratification.
16. L'Assemblée se félicite de la volonté des autorités moldaves de poursuivre les discussions 5+2, qui impliquent la République de Moldova, les autorités de facto de Transnistrie, l'OSCE, la Fédération de Russie et l'Ukraine, pour parvenir à un règlement pacifique du conflit en Transnistrie. L'Assemblée réitère également son plein soutien à l'intégrité territoriale de la République de Moldova et son appel à la Fédération de Russie pour qu'elle retire ses troupes et son matériel du territoire moldave, conformément à la Résolution 1896 (2012) sur le respect des obligations et engagements de la Fédération de Russie. Dans ce contexte, l'Assemblée se félicite de toute initiative qui pourrait aboutir, dans un premier temps, à la liquidation du stock de munitions dans la région transnistrienne de la République de Moldova.
17. L’Assemblée encourage les autorités moldaves à poursuivre leur coopération avec le Conseil de l’Europe, notamment avec la Commission de Venise, et à tirer parti de l’expertise de celui-ci concernant plus spécialement la réforme du système judiciaire, du parquet et de la législation anticorruption. Elle décide de continuer d’observer de près la progression des affaires susmentionnées dans le cadre de sa procédure de suivi.

B. Exposé des motifs par M. Egidijus Vareikis et Mme Maryvonne Blondin, corapporteurs

(open)

1. Introduction

1. Les élections législatives du 24 février 2019 ont débouché sur un parlement sans majorité. Suite aux décisions de la Cour constitutionnelle des 7, 8 et 9 juin 2019 – jugées contraires aux normes du Conseil de l’Europe par la Commission de Venise – déclarant illégales la coalition formée par le Bloc ACUM et le Parti des Socialistes et les décisions ultérieures qu’elle a prises, le pays a connu une crise politique et constitutionnelle. La crise politique s’est finalement terminée par un changement de direction politique le 20 juin 2019. Les réformes majeures lancées par la nouvelle majorité dans les semaines qui ont suivi, visant à « désoligarchiser » le pays, ont eu un impact sur les structures et le fonctionnement des institutions démocratiques et de l’administration publique.
2. Le 22 juin 2019, la commission de suivi a organisé un échange de vues sur l’évolution récente de la situation en République de Moldova et a invité les corapporteurs à rédiger un rapport sur le fonctionnement des institutions démocratiques en République de Moldova . Dans le cadre de la préparation de ce rapport, nous avons effectué une visite à Chisinau les 22 et 23 juillet 2019. Nous avons rencontré le président du Parlement, le Président de la République, les dirigeants des groupes politiques au parlement, la Première ministre, les ministres de l’Intérieur et de la Réintégration, le secrétaire d’État à la Justice, le procureur général par intérim, des membres du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil supérieur des procureurs, le président par intérim de la Cour constitutionnelle, des membres du Centre national anticorruption, les présidents de la Commission électorale centrale et de la Cour des comptes, ainsi que des représentants des ONG et de la communauté internationale. Nous avons fait une déclaration après notre visite 
			(2) 
			La « désoligarchisation »
de la République de Moldova devrait viser à consolider les institutions
de l’État, <a href='https://pace.coe.int/fr/web/as-mon/main?p_auth=OqKa3DCP&p_p_id=newsreader_WAR_PACECALENDARportlet&p_p_lifecycle=1&p_p_state=normal&p_p_mode=view&p_p_col_id=column-1&p_p_col_pos=1&p_p_col_count=2&_newsreader_WAR_PACECALENDARportlet_articleId=7586&_newsreader_WAR_PACECALENDARportlet_backUrl=%2Ffr%2Fweb%2Fas-mon%2Fmain%3Bjsessionid%3D8E1271D45C72A710808C50578B8F0344%3Fp_p_id%3Dnewsreader_WAR_PACECALENDARportlet%26p_p_lifecycle%3D0%26p_p_state%3Dnormal%26p_p_mode%3Dview%26p_p_col_id%3Dcolumn-1%26p_p_col_pos%3D1%26p_p_col_count%3D2%26_newsreader_WAR_PACECALENDARportlet_delta%3D6%26_newsreader_WAR_PACECALENDARportlet_keywords%3D%26_newsreader_WAR_PACECALENDARportlet_advancedSearch%3Dfalse%26_newsreader_WAR_PACECALENDARportlet_andOperator%3Dtrue%26_newsreader_WAR_PACECALENDARportlet_resetCur%3Dfalse%26cur%3D2&_newsreader_WAR_PACECALENDARportlet_javax.portlet.action=viewDetail'>déclaration</a> des
corapporteurs de l’Assemblée, 26 juillet 2019..
3. Cette visite s’est déroulée à un moment où la plupart des fonctionnaires travaillant pour les institutions de l’État (Cour constitutionnelle, Commission électorale centrale, Bureau du procureur général, etc.) avaient remis leur démission ou fait l’objet d’une révocation. Nous avons cependant eu l’occasion de discuter de l’évolution de la situation avec les fonctionnaires responsables (par intérim). Nous souhaitons remercier la délégation moldave auprès de l’Assemblée parlementaire, ainsi que les autorités du pays, d’avoir facilité notre visite. Nous souhaitons également adresser nos remerciements à l’ambassadeur de France, S.E. M. Le Deunff, pour avoir accueilli dans ses locaux une réunion avec la communauté internationale, ainsi que le bureau du Conseil de l’Europe à Chisinau pour l’aide précieuse qu’il a prodiguée à notre délégation.
4. Le présent rapport entend rappeler les principaux événements qui se sont déroulés début juin 2019 et ont plongé le pays dans une crise politique et constitutionnelle. Il insiste également sur des questions déjà abordées dans des notes d’information et des rapports antérieurs, comme la corruption généralisée ou la faiblesse et la vulnérabilité des institutions de l’État. Le rapport se concentre essentiellement sur la réforme du système judiciaire et la lutte contre la corruption, deux sujets maintes fois évoqués pendant cette crise. Toutefois, nous tenons à souligner que les questions relatives aux droits de l’homme ne doivent pas être négligées. Dans notre note d’information précédente 
			(3) 
			Voir <a href='https://pace.coe.int/documents/19887/4268449/AS-MON-2018-08-FR.pdf'>AS/Mon
(2018) 08 REV</a>, nous avions décrit les questions relatives aux dits droits qui mériteraient d’être traitées par les autorités, s’agissant en particulier des conditions de détention et de la liberté de la presse. Un système judiciaire solide et indépendant est en tout cas indispensable pour assurer la protection des droits fondamentaux de la population.

2. La crise constitutionnelle et politique de juin 2019

2.1. Élections législatives du 24 février 2019

5. Des élections législatives ont eu lieu le 24 février 2019 selon un mode de scrutin mixte approuvé par le Parti démocrate et le Parti des Socialistes en 2018. Elles ont débouché sur l’élection de 50 députés sur des listes à la proportionnelle et de 51 autres dans des circonscriptions (scrutin majoritaire uninominal). Ce système électoral mixte a été analysé et critiqué en 2017 et 2018 par la Commission de Venise, laquelle a déploré l’absence de consensus autour de la réforme du mode de scrutin et exprimé des préoccupations tenant notamment au fait que « des candidats indépendants dans le cadre du scrutin majoritaire entretiennent des liens avec des milieux d’affaires ou d’autres acteurs servant leurs propres intérêts, ou soient indûment influencés par eux. Bien que la décision souveraine du législateur moldave en ce qui concerne le système électoral fût reconnue, il était par conséquent recommandé de ne pas modifier le système électoral dans le contexte actuel en République de Moldova» 
			(4) 
			Avis conjoint sur la
loi portant modification de certains textes législatifs (système
électoral pour l’élection du Parlement), adopté par le Conseil des
élections démocratiques à sa 61e réunion
(Venise, 15 mars 2018) et par la Commission de Venise à sa 114e session
plénière (Venise, 16-17 mars 2018), <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2018)008-f'>CDL-AD(2018)008</a>.
6. En février 2019, la commission ad hoc de l’Assemblée parlementaire d’observation des élections législatives avait formulé la conclusion suivante: « en ce qui concerne la législation électorale, le nouveau système électoral a malheureusement confirmé certaines inquiétudes exprimées par la Commission de Venise, en particulier le fait que les acteurs électoraux et en particulier les électeurs des circonscriptions uninominales auraient subi des pressions ou manipulations indues d’hommes d’affaires locaux disposant de moyens importants. Ce sont finalement des députés issus de quatre forces politiques qui ont été élus au parlement via la composante majoritaire du scrutin ». La délégation de l’Assemblée parlementaire s’est également déclarée convaincue que « les changements fréquents de la législation électorale, notamment d’éléments fondamentaux de la loi tels que le système électoral ou la méthode d’attribution des sièges, combinés avec de conséquents ‘revirements politiques’ opérés par des membres du parlement en cours de législature ont pour résultat de modifier drastiquement la majorité parlementaire après les élections et alors que les citoyens ont déjà exprimé leur volonté. Ces éléments ne contribuent pas à la stabilité démocratique et peuvent saper la confiance des citoyens dans les institutions de leur pays et dans les valeurs de l’État de droit» 
			(5) 
			Doc. 14859, Observation des élections législatives en République
de Moldova (24 février 2019), Rapport d’observation d’élection,
commission ad hoc du Bureau (Rapporteur: M. Claude Kern, France,
ADLE), 8 avril 2019..
7. L’application de ce mode de scrutin mixte a débouché sur l’élection d’un parlement sans majorité. Le Parti des Socialistes (PSRM) a obtenu 35 sièges, le Parti démocrate de Moldavie (PD) 30, le Bloc ACUM 26 (dont 14 pour le Parti  Action et Solidarité  (PAS) dirigé par Maia Sandu et 12 pour la Plate-forme Dignité et Vérité  d’Andrei Năstase). Le Parti Shor a obtenu 7 sièges et 3 candidats non affiliés ont également été élus.
8. Les résultats officiels ont été proclamés le 9 mars 2019. La constitution prévoit, dans son article 85, une période de trois mois pour former une majorité parlementaire (au-delà de ce terme, le Président de la République de Moldova, après avoir consulté les groupes parlementaires, peut dissoudre le parlement). La formation d’une coalition s’est révélée difficile: le Bloc ACUM avait d’emblée rejeté l’idée de former une coalition avec l’un quelconque des deux autres grands partis ; il exigeait comme condition préalable l’adoption de lois de « désoligarchisation » ainsi que les postes de président du Parlement et de Premier ministre. Les réunions et les négociations entre le Parti démocrate et le Parti des Socialistes se sont révélées peu concluantes, malgré plusieurs réunions tenues sur la recherche d’éventuels accords entre leurs chefs respectifs (M. Plahotniuc pour le Parti démocrate et M. Dodon pour le Parti des Socialistes).

2.2. Évolution de la situation après les élections

9. La première semaine de juin 2019 a été le théâtre d’une intense activité diplomatique à Chisinau où les trois principaux partis politiques s’efforçaient de parvenir à un accord politique. Le Vice-Premier ministre de la Fédération de Russie, M. Kozak, le commissaire de l’Union européenne, M. Hahn, et des représentants du département d’État américain se sont rendus en République de Moldova cette semaine-là.
10. Toutefois, le 7 juin 2019, la Cour constitutionnelle fixait le délai de formation d’un gouvernement à 90 jours et par conséquent, la date limite au 7 juin à minuit. Cette décision a provoqué la surprise. En vertu de l’article 85 de la Constitution, « en cas d’impossibilité de former le gouvernement ou en cas de blocage de la procédure d’adoption des lois pour une période de trois mois, le Président de la République de Moldova, après consultation des fractions parlementaires, peut dissoudre le Parlement » (les italiques sont de nous).
11. Le 8 juin 2019, un « accord politique provisoire pour la désoligarchisation de la Moldova » 
			(6) 
			Le
Président Dodon a ensuite appelé à un « moratoire temporaire sur
les sujets idéologiques et géopolitiques divisant la société ». était conclu entre le Parti des Socialistes et le Bloc ACUM, ce qui a permis de former une majorité au parlement. Mme Zinaida Greceanîi du Parti des Socialistes a été élue Présidente du Parlement, tandis que le Président Dodon a proposé d’attribuer le poste de Premier ministre à Mme Maia Sandu. Le gouvernement a obtenu 61 voix. Mme Sandu a été désignée Première ministre, M. Năstase Vice-Premier ministre et deux portefeuilles (ministère de la Défense et ministère de la Réinsertion) ont été attribués au Parti des Socialistes. Le parlement a adopté une déclaration qualifiant la République de Moldova d’« État captif » et a destitué les chefs respectifs du Service d’information et du Centre national anticorruption.
12. Pourtant, les 8 et 9 juin 2019, la Cour constitutionnelle jugeait ces décisions inconstitutionnelles et appelait le Président de la République à dissoudre le parlement et à convoquer des élections anticipées. Devant le refus du Président Dodon, la Cour constitutionnelle – conformément à une pratique ad hoc instaurée depuis 2017 – suspendait l’intéressé et nommait le Premier ministre, M. Filip, Président de la République par intérim. Ce dernier a signé le décret de dissolution et annoncé que des élections anticipées se tiendraient le 6 septembre 2019.
13. En conséquence, le 8 juin 2019, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe saisissait la Commission de Venise pour évaluer les décisions de la Cour constitutionnelle jugées « difficiles à comprendre », car apparemment « arbitraires compte tenu du texte de la Constitution et des normes internationales relatives à l’État de droit » 
			(7) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/portal/-/statement-by-the-spokesperson-of-the-secretary-general-on-the-situation-in-moldova'>Déclaration</a> du Secrétaire Général sur la situation en République
de Moldova et la Commission de Venise, 9 juin 2019..
14. Pour notre part, nous avons publié une déclaration dans laquelle nous regrettions que le pays ait été plongé dans un état de confusion juridique et politique après les décisions prises par la Cour constitutionnelle. Nous avons exhorté toutes les forces politiques à faire preuve de retenue et à respecter les principes démocratiques et la volonté du peuple 
			(8) 
			<a href='http://www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=7521&lang=1&cat=3'>Déclaration</a> des corapporteurs sur le suivi de la République de Moldova,
11 juin 2019.. À ce moment, le pays connaissait un pouvoir dédoublé, avec deux cabinets tenant des sessions en même temps et un Président de la République suspendu.
15. La situation dans le pays revêtait un caractère alarmant. Les forces de l’ordre étaient restées fidèles au gouvernement en place et empêchaient le nouveau ministre de l’Intérieur, M. Năstase, d’accéder à ses bureaux. La forte polarisation et les allégations de financement illégal du Parti des Socialistes à la suite de la diffusion d’images vidéo alimentaient le débat public et bon nombre de discussions portaient sur les projets de fédéralisation du pays en vue de réintégrer la région de Transnistrie. À la suite de reportages de médias et d’organisations non gouvernementales concernant plusieurs journalistes d’investigation inquiétés et interpellés lors de différents incidents survenus entre le 7 et le 9 juin 2019, le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias a exhorté les autorités moldaves à assurer la sécurité des journalistes 
			(9) 
			« OSCE
Media Freedom Representative calls on Moldovan authorities to ensure
journalists’ safety and prevent intimidation of media », communiqué
de presse du 12 juin 2019, <a href='https://www.osce.org/representative-on-freedom-of-media/422816'>FOM.PR/61/19</a>..
16. Les 10 et 11 juin, de nombreux pays ont appelé au calme et à la retenue, notamment la Roumanie, l’Ukraine, la Russie, la Suisse, la Turquie, ainsi que l’Union européenne, l’OTAN et l’OSCE. Le 10 juin, l’Allemagne, la France, la Pologne, le Royaume-Uni et la Suède ont publié une déclaration commune 
			(10) 
			<a href='https://www.gov.pl/web/diplomacy/statement-on-recent-events-in-the-republic-of-moldova'>Statement</a> on recent events in the Republic of Moldova, 10 juin
2019. exprimant leur soutien au parlement. Ces pays ont indiqué qu’ils soutiendraient le nouveau gouvernement, et se sont probablement abstenus de soutenir l’« ancien ».
17. Le 14 juin, à l’issue d’une brève rencontre entre M. Plahotniuc et l’ambassadeur des États-Unis, le Parti démocrate annonçait qu’il comptait rejoindre l’opposition parlementaire, le gouvernement (sortant) cessant ainsi d’exister. Le lendemain, M. Plahotniuc démissionnait de son poste de président du parti et quittait le pays pour une destination inconnue, en expliquant qu’il devait assurer la sécurité de sa famille, tout en restant député jusqu’à sa démission le 30 juillet 2019. Toute la direction du Parti démocrate a démissionné dans la foulée. Le gouvernement nouvellement formé a pu alors prendre ses fonctions. Le Parti démocrate a convoqué un congrès extraordinaire du parti le 27 juillet 2019 pour élire ses nouveaux dirigeants, mais cette date a ensuite été reportée à septembre 2019. Le 30 juillet 2019, M. Plahotniuc démissionnait de son mandat de député, déclarant qu’il n’était plus en mesure de l’exercer, et décidait de renoncer à son immunité parlementaire afin de mettre fin aux « abus et pressions » exercés sur le pouvoir judiciaire pour faire lever ladite immunité 
			(11) 
			<a href='https://www.moldpres.md/en/news/2019/07/30/19005940'>https://www.moldpres.md/en/news/2019/07/30/19005940</a>.
18. Le 15 juin 2019, à la lumière de la passation de pouvoir intervenue, la Cour constitutionnelle décidait de réviser et d’abroger les décisions prises du 7 au 9 juin. Les marches prévues à Chisinau le 16 juin à l’initiative du Bloc ACUM et du Parti des Socialistes ont été annulées.
19. Au cours de la période comprise entre la formation d’une nouvelle coalition (8 juin) et la démission de M. Filip du poste de Premier ministre (14 juin), le Parti des Socialistes n’a eu de cesse de dénoncer la destruction de preuves attestant du transfert d’énormes sommes d’argent à l’étranger. Le Président Dodon a soutenu que 50 millions $US avaient été soustraits du pays.
20. Le 20 juin, le président de la Cour constitutionnelle démissionnait.
21. Le 21 juin 2019, la Commission de Venise rendait un avis 
			(12) 
			Communiqué de presse
«Commission de Venise: Moldova: la dissolution du Parlement ne remplit
pas les conditions requises» et avis intitulé «Opinion on the constitutional
situation with particular reference to the possibility of dissolving parliament»
adopté par la Commission de Venise lors de sa 119e session
plénière (Venise, 21-22 juin 2019), <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2019)012-e'>CDL-AD(2019)012</a>. dans lequel elle estime que les décisions adoptées par la Cour constitutionnelle entre le 7 et le 9 juin ne remplissaient pas les conditions requises pour permettre la dissolution du parlement. Elle a notamment conclu que:
  • « S’agissant des décisions rendues par la Cour constitutionnelle les 8 et 9 juin, la Commission de Venise estime que les droits procéduraux du Président et du parlement ont été sérieusement mis à mal par le nombre de décisions et la grande célérité (un jour ou deux au cours d’un week-end) avec laquelle la Cour a statué sur des affaires très sensibles, aux répercussions importantes sur les institutions de l’État. Ni le Président ni le parlement n’étaient représentés ou ne paraissaient avoir eu la possibilité de faire valoir leurs arguments devant la Cour.
  • S’agissant de la manière dont la Cour a calculé le délai de trois mois pour la formation d’un gouvernement, avec une date d’expiration au 7 juin 2019, la Commission de Venise estime qu’elle est sans précédent. D’après le calcul accepté du délai de trois mois prévus par le Code civil et précédemment appliqué par la Cour constitutionnelle, la date limite pour la formation d’un nouveau gouvernement était le 9 juin, soit trois mois francs après la confirmation du résultat des élections. Le 9 juin étant un dimanche, la date limite applicable pouvait être le 10 juin. En conséquence, la Commission affirme que l’investiture de Maia Sandu le 8 juin respectait le délai légal.
  • La Constitution moldave établit que le Président peut, en dernier recours dans une situation donnée, dissoudre le parlement dans l’intérêt du pays, par exemple s’il est impossible de former un gouvernement dans les délais légaux. Toutefois, elle souligne que si les partis représentant une majorité sont parvenus à un accord pour former un gouvernement, ce qui était le cas en République de Moldova, la dissolution du parlement pourrait être considérée comme une violation des obligations constitutionnelles de neutralité du président.».
  • L’avis indique qu’il y a de fortes raisons de penser que la décision de la Cour constitutionnelle de suspendre provisoirement le Président et la désignation du Premier ministre pour exercer par intérim la fonction de président n’était pas fondée au regard de la Constitution moldave 
			(13) 
			Dans
notre note d’information précédente, nous avions soulevé la question
de la pratique instaurée par la Cour constitutionnelle consistant
à suspendre tout Président de la République refusant de promulguer
les lois adoptées par le parlement à l’issue d’une deuxième lecture.
Nous avions invité les autorités à envisager un amendement de la Constitution
en vue de clarifier cette question..
22. La Commission de Venise n’a pas non plus manqué de souligner le caractère exceptionnel de son avis, dans la mesure où elle s’abstient généralement de commenter les décisions des Cours constitutionnelles.
23. Ces événements ont marqué la conclusion de la crise politique et constitutionnelle. La coalition créée pour gouverner le pays était composée de deux éléments politiques antagonistes (à savoir le Parti des Socialistes et le Bloc ACUM composé lui-même de deux formations) poursuivant le même objectif (à savoir renverser le parti au pouvoir), mais nourrissant néanmoins des opinions divergentes quant à l’orientation future du pays. Alors que le Bloc ACUM est pro-occidental et soutenu par l’Union européenne, le Parti des Socialistes s’est engagé à développer des relations équilibrées entre l’Est et l’Ouest et bénéficie du soutien de la Fédération de Russie. Le Président Dodon a effectué de nombreuses visites officielles en Russie et la Présidente du Parlement, Mme Greceanîi, s’est adressée à la Douma le 27 juin, tandis que la Première ministre Mme Sandu bénéficie du soutien de l’Union européenne et a visité Bruxelles et les dirigeants d’Europe occidentale à plusieurs reprises.
24. Le 24 juin, le Bloc ACUM et le Parti des Socialistes se mettaient d’accord sur un programme d’action limité, dans un premier temps, dans sa portée et sa durée « à la désoligarchisation et la restauration d’une République de Moldova conforme à la Constitution ». Ce programme affirme l’intention du gouvernement de « reprendre la voie de l’intégration européenne de la République de Moldova (...) et d’œuvrer à la mise en œuvre effective de l’accord d’association entre la République de Moldova et l’Union européenne ». Le programme énonce trois priorités (« Libérer l’État de la captivité et renforcer l’indépendance des institutions, en particulier dans le domaine de la justice » ; « Sortir le pays de l’isolement et relancer d’urgence l’économie » ; « Créer les conditions d’un véritable bien-être et d’une meilleure qualité de vie ») et un plan d’action prévoyant l’adoption de mesures concrètes 
			(14) 
			<a href='https://gov.md/en/advanced-page-type/government-activity-program'>https://gov.md/en/advanced-page-type/government-activity-program</a>.
25. Le Président Dodon a confirmé que, sous le gouvernement actuel de coalition, le pays entendait continuer la mise en œuvre de l’accord d’association, s’efforcer de mener une politique étrangère équilibrée et demeurer neutre. On attend des troupes russes qu’elles quittent la région de Transnistrie, auquel cas elles ne seraient pas remplacées par d’autres forces militaires. Le Président a ajouté que le pays poursuivrait sa coopération technique avec l’OTAN tout en excluant l’hypothèse de la construction de bases militaires étrangères sur le territoire national.
26. La Première ministre a souligné la nécessité de débarrasser la Moldova des mécanismes de corruption et de blanchiment de capitaux ainsi que de garantir le fonctionnement des institutions de l’État dans l’intérêt supérieur du peuple 
			(15) 
			<a href='https://www.moldpres.md/en/news/2019/07/17/19005526'>https://www.moldpres.md/en/news/2019/07/17/19005526</a>. Elle a également souligné que la tâche de son gouvernement serait de reconstruire l’État et de restaurer la confiance des citoyens moldaves et des partenaires stratégiques du pays. Sa coalition est parvenue à rétablir le dialogue avec les partenaires internationaux en vue de les inciter à renouveler leur soutien financier:
  • Le 24 juillet, la Commission européenne a repris l’aide budgétaire à la République de Moldova en déboursant 14,54 millions d’euros. L’objectif de ces fonds est de soutenir la mise en œuvre de l’accord de libre-échange UE-Moldova, de financer des formations professionnelles et d’aider à la mise en œuvre du plan d’action pour la libéralisation du régime des visas. L’aide macrofinancière de l’Union européenne avait été suspendue après l’invalidation de l’élection du maire de Chisinau en octobre 2018. Le 25 juillet 2019, la Première ministre, Maia Sandu, et le commissaire de l’Union européenne chargé de la politique européenne de voisinage et des négociations d’élargissement, Johannes Hahn, ont signé trois conventions de financement dans le cadre desquelles l’Union européenne apportera un soutien financier d’un montant total de plus de 40 millions d’euros afin de renforcer l’État de droit, de combattre la corruption et d’apporter un soutien économique.
  • À la suite d’une visite du Fonds monétaire international en juillet 2019, un accord au niveau du secrétariat a été conclu pour allouer 46,5 millions $US à la République de Moldova. Parmi les conditions préalables au financement figuraient l’achèvement des réformes du secteur bancaire, le redoublement des efforts en vue de récupérer les actifs de la fraude bancaire de 2014 et la suppression des vulnérabilités du secteur financier non bancaire 
			(16) 
			<a href='https://en.publika.md/moldova-will-receive-465-million-usd-from-imf-our-country-achieved-a-remarkable-success-in-the-banking-system-rehabilitation_2659098.html'>https://en.publika.md/moldova-will-receive-465-million-usd-from-imf-our-country-achieved-a-remarkable-success-in-the-banking-system-rehabilitation_2659098.html#ixzz5tGwN8Otj</a>. Le FMI avait suspendu ses programmes avec la République de Moldova après que le parlement avait approuvé une amnistie fiscale et adopté un ensemble de lois sur les réformes fiscales en 2018.
  • Le 8 juillet, la Première ministre, Mme Sandu, a signé deux accords avec USAID pour un montant total de 29 millions $US en vue d’encourager la gouvernance démocratique et la croissance économique de la République de Moldova.
  • Le Président Dodon s’est efforcé de rétablir un partenariat stratégique avec la Russie. Cette dernière, le 27 juin, a étendu le régime d’exonération des droits de douane pour les exportateurs moldaves à cinq grandes catégories de produits agricoles (fruits, légumes, conserves alimentaires, vin et produits viticoles). Le Président Dodon cherche maintenant à obtenir une réduction des prix du gaz pour la période du 1er septembre au 1er janvier, en invoquant le statut d’observateur du pays auprès de l’Union économique eurasienne.

3. Action entreprise par les autorités nouvellement établies dans le domaine de l’État de droit, de la démocratie et des droits de l’homme

27. Dans sa Résolution 1955 (2013) relative au respect des obligations et engagements de la République de Moldova, l’Assemblée avait identifié de graves dysfonctionnements au sein du parquet et des autres services répressifs. Dans cette résolution, l’Assemblée soulignait la nécessité de dépolitiser les institutions de l’État et de mieux séparer les pouvoirs. Elle formulait ensuite l’espoir « que l’ensemble des partis politiques tireront des leçons de cette crise. Elle invite notamment les partis au pouvoir à adopter l’attitude responsable requise pour assurer le bon fonctionnement des institutions nécessaire dans une société démocratique, fondé sur la transparence et l’obligation de rendre des comptes. C’est là une condition préalable au respect de l’État de droit, de la démocratie et des droits de l’homme, mais aussi pour stimuler l’économie, attirer des investissements étrangers, réduire la pauvreté et agir en faveur de l’intérêt public pour favoriser des meilleures conditions de vie pour tous. La démocratie implique un ensemble de freins et de contre-pouvoirs au sein des institutions démocratiques. Les institutions étatiques ne devraient jamais servir les intérêts que d’un parti ou d’une personne».
28. À l’issue de notre visite précédente dans le pays en avril 2018, nous avions conclu que l’obtention de résultats concrets dans le domaine de l’État de droit et des droits de l’homme pourrait améliorer de manière significative la confiance de la population à l’égard des institutions publiques, en permettant à celles-ci de demeurer les véritables lieux de décision. À l’époque, la République de Moldova était décrite par bon nombre d’interlocuteurs – dont le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, M. Jagland, en 2015 
			(17) 
			<a href='https://www.nytimes.com/2015/08/11/opinion/bring-moldova-back-from-the-brink.html?_r=0'>https://www.nytimes.com/2015/08/11/opinion/bring-moldova-back-from-the-brink.html?_r=0</a>, 10 août 2015., et les institutions de l’Union européenne – comme un « État captif » dans lequel la puissance publique est mise au service de profits et d’intérêts privés 
			(18) 
			Le concept d’« État
captif » est utilisé depuis l’année 2000 par la Banque mondiale.
Voir: <a href='http://documents.worldbank.org/curated/en/241911468765617541/Measuring-governance-corruption-and-State-capture-how-firms-and-bureaucrats-shape-the-business-environment-in-transition-economies'>http://documents.worldbank.org/curated/en/241911468765617541/Measuring-governance-corruption-and-State-capture-how-firms-and-bureaucrats-shape-the-business-environment-in-transition-economies</a>.
29. Comme indiqué plus haut, la coalition au pouvoir – décrite par certains comme « une alliance contre nature » entre le Bloc ACUM et le Parti des Socialistes – s’est mise d’accord sur un programme politique censé « désoligarchiser » le pays. Plusieurs décisions ont été rendues rapidement afin d’écarter des fonctionnaires nommés par le gouvernement antérieur et soupçonnés d’avoir abusé de leurs fonctions pour favoriser des intérêts privés.
30. Le 17 juin, la Première ministre annonçait son intention d’établir un « Bureau des politiques anticorruption et de la réforme de la justice ». Cet organe est composé d’experts nationaux et internationaux censés fournir des conseils sur l’accélération des réformes judiciaires et la mise sur pied d’institutions puissantes et compétentes capables de lutter contre la corruption.
31. Le Cabinet a démis de leurs fonctions un certain nombre de hauts fonctionnaires et de hauts responsables. Le 5 juillet 2019, le parlement a adopté une loi modifiant le statut des secrétaires d’État et des directeurs des cabinets ministériels. Le nouveau gouvernement craignait que les activités des ministères ne soient bloquées ou sapées par des directeurs de cabinet et secrétaires d’État ayant bénéficié d’une nomination politique. Les secrétaires d’État doivent désormais être recrutés sur la base de leurs mérites professionnels et peuvent être révoqués par le gouvernement sur proposition du ministre concerné. La loi prévoit également que les directeurs de cabinet des ministères et les secrétaires d’État ayant participé à des activités politiques pendant leurs heures de travail ou ayant pris part à la campagne électorale en faveur du Parti démocrate au pouvoir à l’époque doivent être révoqués. Ceux qui n’ont pas violé la loi et se sont révélés être des professionnels impartiaux resteront à leur poste. Quant à ceux qui ont servi le régime et non les citoyens, ils partiront 
			(19) 
			<a href='http://infomarket.md/en/analitics/The_Parliament_of_Moldova_approved_in_the_second_reading_a_law_changing_the_status_of_the_position_of_the_Secretary_of_State_and_the_establishment_of_the_position_of_the_Secretary_General_of_the_Ministry'>http://infomarket.md/en/analitics The_Parliament_of_Moldova_approved_in_the_second_reading_a_law_changing_the_status_of_the_position_of_the_Secretary_of_State_and_the_establishment_of_the_position_of_the_Secretary_General_of_the_Ministry</a>.

3.1. Fonctionnement du parlement

32. Depuis les élections législatives du 24 février 2019, quatre groupes politiques opèrent au sein du parlement. Le 8 juin 2019, Mme Zinaida Greceanîi du Parti des Socialistes était élue Présidente.
33. Le 18 juillet 2019, l’ancien Premier ministre, Pavel Filip, démissionnait de son poste de président du Parti démocrate. Il a été remplacé à la tête du groupe parlementaire du Parti démocrate par le président honoraire de cette formation, Dumitru Diacov. Le groupe ACUM/DA, quant à lui, sera dirigé par Alexandru Slusari qui occupe également les fonctions de vice-président du Parlement.
34. Outre ses commissions permanentes, le parlement a également constitué plusieurs commissions d’enquête. Le 18 juin, une commission parlementaire ad hoc a été créée et chargée d’« enquêter sur les circonstances d’un coup d’État qui a tenté de saper les fondements du système constitutionnel en République de Moldova ». Cette commission a été priée d’analyser les arrêts rendus par la Cour constitutionnelle entre le 7 et le 9 juin, de vérifier si les demandes d’arrestation de 60 députés avaient été adressées aux procureurs et si les mandats d’arrêt avaient été établis par les tribunaux compétents. D’autres commissions d’enquête traiteront du scandale de la fraude bancaire ou des privatisations depuis 2013 (voir plus bas).
35. Une nouvelle délégation parlementaire – dirigée par le Vice-Premier ministre – a présenté ses pouvoirs à l’Assemblée lors de la partie de session de juin 2019. Le 22 juin, la commission de suivi a tenu une audition sur les événements intervenus récemment en République de Moldova. Le 8 juillet 2019, conformément à la législation électorale imposant aux ministres de démissionner du parlement dans les 30 jours suivant leur nomination comme membres du gouvernement, la Première ministre, Mme Sandu, le Vice-Premier ministre, M. Năstase, et la ministre de l’Éducation, de la Culture et de la Recherche, Mme Nicolaescu-Onofrei, ont abandonné leur siège de député. En vertu du Code électoral, des élections partielles devraient être organisées dans les trois mois pour remplacer Mme Sandu et M. Năstase (élus dans des circonscriptions uninominales), alors que Mme Nicolaescu-Onofrei avait été élue sur une liste de parti.
36. Le 9 juillet 2019, le Parti Shor publiait une lettre ouverte concernant les « abus commis par la coalition parlementaire PSRM-ACUM (PAS et DA) ». Le parti y énumérait une série de plaintes et de griefs, notamment le fait que l’un de ses membres, Marina Tauber, s’était vu refuser le droit de présider la Commission des droits de l’homme et des relations interethniques. Le parti se plaignait en outre d’avoir été privé de la possibilité de nommer des membres de la délégation moldave auprès de l’Assemblée parlementaire et d’autres délégations parlementaires, groupes d’amitié et commissions d’enquête nouvellement créés. Le Parti Shor dénonçait également l’impossibilité pour lui de prendre la parole pour répondre pendant les sessions parlementaires. Il s’oppose aussi à ce que les députés de la majorité demandent aux procureurs de lever l’immunité de ses députés uniquement sur la base du rapport Kroll 2, malgré le fait qu'il n'y a pas eu de décision de justice à ce sujet. Enfin, le Parti Shor exprimait sa profonde préoccupation face aux dérives antidémocratiques et antisémites – ainsi qu’aux pratiques opaques – de la coalition parlementaire.
37. Nous avons discuté de ces questions avec divers intervenants. On nous a assurés que des postes ont été offerts au Parti Shor dans les commissions permanentes et les groupes d’amitié (sur la base d’une adhésion volontaire). Cependant, la majorité au pouvoir a semblé très réservée sur l’attribution de la présidence de la commission des droits de l’homme et de sièges au sein de la commission d’enquête sur la fraude bancaire, puisque cinq des sept députés du Parti Shor sont mentionnés dans le rapport Kroll 2. Au moment de notre visite, à notre connaissance, aucune enquête n’avait été ouverte contre les intéressés, à l’exception notable d’Ilhan Shor condamné à sept ans et demi de prison et libéré dans le cadre d’un régime de contrôle judiciaire (qu’il a fini par violer). Nous avons attiré l’attention de nos interlocuteurs sur la nécessité de garantir les droits de l’opposition. En même temps, nous avons bien compris que la coalition au pouvoir soulève un argument moral, quoique non juridique, pour justifier la mise à l’écart de l’opposition. Nous avons vivement encouragé nos collègues moldaves à adopter sans plus tarder leur Code d’éthique, leur Code de conduite et leur Code de procédure, lesquels pourraient contribuer à résoudre de telles situations de crise et faciliter l’adoption de décisions juridiquement bien fondées.
38. Nous espérons aussi que l’adoption de tels codes, également préconisée par le GRECO pour prévenir la corruption parmi les parlementaires, pourrait contribuer à parer le phénomène des « retournements politiques ». Elle pourrait également contribuer à résoudre la défection d’environ 40 % des parlementaires moldaves entre deux scrutins, une pratique s’inscrivant elle-même dans un contexte plus large propre aux tentatives déployées par de puissants intérêts liés à des entreprises privées pour exercer une influence sur les partis politiques. À l’époque, en raison de l’absence de plaintes officielles, aucune enquête n’avait été menée. Cependant, cet opportunisme politique, tel que décrit par la commission ad hoc d’observation des élections de l’Assemblée parlementaire, a nourri la défiance du public dans la classe politique et les valeurs de l’État de droit.

3.2. Cour constitutionnelle

39. Le rôle tenu par la Cour constitutionnelle pendant la crise a fait l’objet de vives critiques dans la mesure où cette juridiction n’aurait pas agi conformément aux dispositions légales et constitutionnelles, comme l’a démontré la Commission de Venise dans son avis du 21 juin.
40. La Cour constitutionnelle était auparavant perçue comme un outil politique de l’ancienne majorité au pouvoir. Le 17 décembre 2018, un consortium d’ONG avait exprimé ses préoccupations à la suite de la démission inattendue de trois membres de la Cour constitutionnelle et de la nomination de trois nouveaux membres 
			(20) 
			<a href='https://crjm.org/wp-content/uploads/2018/12/EN-2018-12-17-Declar-Constitut-judges_fin.pdf'>https://crjm.org/wp-content/uploads/2018/12/EN-2018-12-17-Declar-Constitut-judges_fin.pdf</a>: Raisa Apolschii, députée du Parti démocrate et présidente de la commission juridique pour les nominations et les immunités ; Artur Reşetnicov, ancien chef du service de renseignement (2007-2009), ancien député du Parti des communistes ayant ensuite rejoint le Parti démocrate ; et Corneliu Gurin, ancien procureur général (2013-2016). Considérant que des élections législatives avaient été annoncées pour le 24 février 2019, les ONG avaient déploré le manque de transparence et « la nomination extrêmement hâtive de la moitié des juges de la Cour constitutionnelle » qui avaient fait naître « de vives préoccupations quant à la politisation excessive de la Cour constitutionnelle et son utilisation possible dans des luttes politiques » 
			(21) 
			Ibid..
41. Le 18 juin, le ministre de l’Intérieur, M. Năstase, déposait une plainte auprès du Bureau du procureur général pour demander la suspension temporaire des juges nouvellement désignés de la Cour constitutionnelle et réclamer l’ouverture d’une enquête pour usurpation de pouvoir à leur encontre.
42. Le 20 juin 2019, Mihai Poalelelungi démissionnait de ses fonctions de juge et de président de la Cour constitutionnelle. Sa démission a été suivie de la démission en bloc de tous les juges de la Cour constitutionnelle le 26 juin 2019. La question de la nomination des membres de la Cour constitutionnelle est actuellement examinée par le parlement. Dans l’intervalle, le 26 juin 2019, le plénum de la Cour constitutionnelle a habilité M. Veaceslav Zaporojan, ancien juge de la Cour constitutionnelle, à exercer les compétences administratives de président de cette juridiction jusqu’à la nomination du nouveau collège de juges et l’élection d’un nouveau président, laquelle devrait avoir lieu conformément aux dispositions légales pertinentes.
43. M. Zaporojan a accepté de rencontrer notre délégation. Il nous a livré son opinion sur les raisons pour lesquelles la Cour constitutionnelle en était arrivée à rendre les décisions incriminées les 7 et 8 juin. Toutefois, les éléments d’information ainsi communiqués pêchaient par leur incohérence sur certains points. M. Zaporojan n’a pas remis en question les décisions prises par la Cour constitutionnelle sur le fond, mais il a émis des doutes sur l’avis de la Commission de Venise. Des préoccupations ont également été exprimées au sujet des pressions exercées sur le pouvoir judiciaire pour qu’il ouvre une enquête pour « usurpation de pouvoir » à l’encontre des membres de la Cour constitutionnelle.
44. Des appels à candidatures ont été organisés pour remplacer les six membres de la Cour constitutionnelle (dont deux doivent être nommés par le parlement, deux par le gouvernement et deux par le Conseil supérieur de la magistrature). Le 24 juillet 2019, à l’issue d’une procédure de sélection ouverte, le parlement a nommé le secrétaire d’État à la Justice, Nicoale Esanu, et l’ancien ministre de la Justice, Vladimir Grosu, juges à la Cour constitutionnelle. Le premier était membre de la Commission de Venise et le second membre suppléant. Le 30 juillet 2019, après avoir reçu 19 candidatures pour les postes vacants en question, le Conseil supérieur de la magistrature a nommé Serghei Turcan et Eduard Ababei juges à la Cour Constitutionelle. Le gouvernement doit encore, pour sa part, nommer ses deux membres (sur les 23 candidatures reçues). Les nouveaux juges devront restaurer la réputation entachée de la Cour constitutionnelle et veiller à ce qu’elle reste une juridiction indépendante capable de résister aux influences politiques. Nous avons aussi été informés que la procédure de sélection des juges avait fait l’objet de critiques et été remise en question 
			(22) 
			L’ancienne
juge Mme Manole s’est plainte de n’avoir
reçu aucune explication suite à son exclusion de la compétition. Il
y avait également des questions soulevées concernant l’intégrité
de certain-es candidat-es..

3.3. Administration et cadre légal des élections

45. L’une des premières mesures prises par le parlement a été de modifier le système électoral. Le 11 juin, le parlement a adopté, en première lecture, un projet de loi visant à abolir le système électoral mixte. Pour mémoire, ce mode de scrutin avait été critiqué par la Commission de Venise en juin 2017 et mars 2018. La Commission s’était montrée particulièrement critique à l’égard de l’absence de consensus sur la transformation du système électoral parlementaire en un système mixte. La Commission avait de plus souligné le risque de voir des candidats indépendants majoritaires nouer des liens avec des hommes d’affaires ou d’autres acteurs servant leurs propres intérêts ou être influencés par eux 
			(23) 
			Avis conjoint sur la
loi portant modification de certains textes législatifs (système
électoral pour l’élection du Parlement), <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2018)008-f'>CDL-AD(2018)008, </a>op.cit..
46. Le 18 juillet 2019, le gouvernement a approuvé un projet de loi modifiant le cadre légal des élections qui a été adopté par le parlement le 15 août. Les changements incluent l’abolition du mode de scrutin mixte et le retour au système électoral proportionnel, fondé sur les listes de partis (conformément aux recommandations de la Commission de Venise); la possibilité pour la Commission électorale centrale (CEC) de fixer le nombre de bureaux de vote à l’étranger ; un financement plus transparent des partis et des campagnes électorales et une diminution des plafonds de dons pour les campagnes électorales; l’abandon des certificats d’intégrité ; l’interdiction de mener campagne le jour du scrutin et la possibilité pour les membres de la diaspora dont le passeport a expiré mais la carte d’identité est valide de voter 
			(24) 
			<a href='https://www.moldpres.md/en/news/2019/07/18/19005597'>https://www.moldpres.md/en/news/2019/07/18/19005597</a>. Le parlement discute également de la possibilité d’abaisser le seuil électoral à 5 % pour les partis politiques, 7 % pour les coalitions électorales et 2 % pour les candidats indépendants 
			(25) 
			Les
seuils électoraux étaient auparavant de 6 % pour les partis politiques
et de 8 % pour les coalitions électorales..
47. En ce qui concerne le fonctionnement de la Commission électorale centrale (composée d’un membre nommé par le Président et de huit membres nommés par le parlement), le parlement a adopté le 18 juin un amendement au Code électoral autorisant la révocation des membres de la CEC sans décision préalable de la Cour suprême de justice, comme c’était le cas auparavant. Cette loi a incité Iurie Ciocan, membre et ancien président de la CEC, à démissionner. Le Président de la République a cependant refusé de promulguer la loi et l’a renvoyée au parlement. Il est évident qu’une telle promulgation aurait gravement compromis l’indépendance de la CEC.
48. Alina Russu – qui dirigeait la CEC – a démissionné le 2 juillet en expliquant que « la mise en œuvre des dernières initiatives visant à modifier le cadre normatif en matière électorale pourrait susciter des soupçons quant à la liberté de décision de l’autorité électorale suprême », dans la mesure où les membres de la CEC pourraient être démis de leurs fonctions sans ordonnance judiciaire. La vice-présidente de la CEC, Rodica Ciubotaru, a également démissionné.
49. Le 16 juillet, le parlement a nommé trois nouveaux membres de la CEC: Dumitru Pavel, avocat (ayant notamment dans le passé assuré la défense de M. Năstase) proposé par la plate-forme « DA » ; Dorin Chimil, docteur en droit, proposé par le Parti  Action et Solidarité , et Maxim Lebedinsky, conseiller du Président pour les questions juridiques, proposé par le Parti des Socialistes. Le Parti démocrate a dénoncé une violation du Code électoral, puisque tout candidat à la CEC doit être présenté à la fois par la majorité et par l’opposition.
50. Le 19 juillet, Dorin Cimil, candidat du Parti  Action et Solidarité , a été élu à la tête de la CEC et Maxim Lebedinsky en a été nommé secrétaire. Au cours de notre réunion, nous avons été informés de la préparation des élections locales qui devraient se tenir le 20 octobre 2019. La campagne électorale débutera le 20 août 2019. Les élections partielles destinées à pourvoir les sièges de Mme Sandu, M. Năstase et M. Melnic (élus dans des circonscriptions uninominales) devaient également avoir lieu ce jour-là. Nous avons aussi été informés que le parlement supprimerait les « certificats d’intégrité » exigés lors des dernières élections législatives. Dans le cadre des élections locales, l’Autorité nationale pour l’intégrité aurait dû délivrer environ 130 000 de ces certificats.

3.4. Réforme du système judiciaire

3.4.1. Organisation judiciaire

51. La question de l’indépendance du système judiciaire ne date pas d’hier et a été notamment examinée par la Commission de Venise, le GRECO et l’Assemblée parlementaire. En 2019, la Commission internationale de juristes a conclu que la réalisation de l’indépendance judiciaire en République de Moldova exige « un changement d’attitude à l’égard du pouvoir judiciaire de la part de l’exécutif et des autres sources du pouvoir exécutif et privé, mais surtout du pouvoir judiciaire lui-même » 
			(26) 
			«Only
an Empty Shell» – The Undelivered Promise of an independent Judiciary
in Moldova – <a href='https://crjm.org/wp-content/uploads/2019/03/2019-ICJ-Rep-Moldova-Judiciary_ENG.pdf'>A
Mission Report,</a> Commission internationale de juristes, 2019.
52. Le 16 juillet 2019, le président du Conseil supérieur de la magistrature (nommé en janvier 2018 pour un mandat de quatre ans), Victor Micu, a été révoqué par 10 voix contre 9 sur proposition d’un autre membre, Petru Moraru, reprochant à l’intéressé d’avoir pris des vacances pendant une période difficile pour le système judiciaire « ce qui était une mauvaise chose à faire » 
			(27) 
			<a href='https://www.ipn.md/en/victor-micu-dismissed-as-president-of-judicial-self-governing-body-7967_1066839.html'>https://www.ipn.md/en/victor-micu-dismissed-as-president-of-judicial-self-governing-body-7967_1066839.html#ixzz5tqyTBeL4</a>.
53. Dans des interviews accordées à la presse, d’anciens juges et des juges encore en activité ont déclaré avoir reçu pour instruction de rendre des jugements illégaux et avoir été soumis à des manœuvres d’intimidation 
			(28) 
			<a href='https://www.ipn.md/en/former-and-current-judges-say-they-were-told-to-pass-7967_1066754.html'>https://www.ipn.md/en/former-and-current-judges-say-they-were-told-to-pass-7967_1066754.html#ixzz5tSCc1Fya</a>. L’un des cas concerne la juge Domnica Manole récemment révoquée après avoir annulé, le 14 avril 2016, la décision rendue le 30 mars 2016 par la Commission électorale centrale d’interdire la tenue du référendum réclamé par la Plate-forme Dignité et Vérité. Peu de temps après, Eduard Harunjen, à l’époque procureur par intérim, a obtenu du Conseil supérieur de la magistrature l’engagement de poursuites pénales contre l’intéressée. Le 8 juillet 2019, Mme Manole a été acquittée après la décision du procureur d’abandonner les charges pesant contre elle 
			(29) 
			<a href='http://protv.md/actualitate/ex-magistrata-domnica-manole-achitata-de-judecatoria-chisinau-in-dosarul-referendumului-zd-g-md---2498170.html'>http://protv.md/actualitate/ex-magistrata-domnica-manole-achitata-de-judecatoria-chisinau-in-dosarul-referendumului-zd-g-md---2498170.html</a>.

3.4.2. Ministère public

54. Dans le contexte du démantèlement de « l’État captif », le rôle du procureur général est apparu très discutable. Dans nos notes d’information précédentes, nous avions déjà soulevé des doutes relatifs au système de justice sélective en place.
55. Le 2 juillet 2019, l’ordre des avocats a publié une déclaration réclamant la démission du procureur général, M. Eduard Harunjen, accusé de « faire preuve d’un manque d’objectivité et d’équité dans les procédures pénales », ainsi que d’une « incapacité à assurer la protection des droits de l’homme». Le barreau reprochait également à l’intéressé le non-respect du principe de l’égalité des armes et l’engagement de poursuites « sur la base de preuves obtenues illégalement ».
56. Le 5 juillet 2019, la Première ministre, Mme Sandu, prononçait devant les 660 procureurs de la République de Moldova une allocution déplorant que le procureur général, M. Harunjen, et Mme Betisor, procureure en chef adjointe du Bureau du procureur chargé de la lutte contre la corruption, n’eussent pas enquêté sur la fraude bancaire et exhortant les procureurs à refuser de suivre « des instructions illégales » et à agir en toute indépendance 
			(30) 
			Allocution
prononcée par la Première ministre devant les procureurs de Moldova
le 5 juillet 2019, https://gov.md/en/content/prime-ministers-addressing-prosecutors-moldova.
57. Dans ce contexte, l’arrestation, puis la libération, de Renato Usatîi le 16 juin 2019 avaient jeté des doutes sur l’indépendance du parquet. L’intéressé avait vu, en effet, le mandat d’arrêt lancé en 2016 à son encontre par les procureurs annulé, alors que les accusations pénales pesant contre lui n’avaient pas été abandonnées.
58. Le Président Dodon avait exigé la démission de M. Harunjen. En sa qualité de nouveau Président de la République élu, il avait remis en question la désignation de l’intéressé au poste de procureur général et s’était engagé à annuler le décret de nomination signé en décembre 2016 par le Président en exercice à l’époque, M. Timofti 
			(31) 
			<a href='http://a-tv.md/index.php?newsid=26871'>http://a-tv.md/index.php?newsid=26871</a>.
59. M. Harunjen n’ayant pas l’intention de démissionner, le parlement décidait le 8 juillet que sa nomination comme procureur général du pays en 2016 était illégale. Le parlement a fait valoir que M. Harunjen avait été élu au poste de procureur général, tout en étant membre du Conseil supérieur des procureurs, en sa qualité de procureur général par intérim (à l’époque), ce qui est interdit par la loi. Cette décision ne tient pas compte de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 19 décembre 2016, lequel confirme la nomination de M. Harunjen. Le parlement a reproché à M. Harunjen de s’être abstenu d’assister à ses sessions et d’avoir déclaré légal l’appel à candidatures pour pourvoir le poste de procureur général 
			(32) 
			Voir la <a href='http://lex.justice.md/index.php?action=view&view=doc&lang=1&id=368922'>Décision
de la Cour constitutionnelle</a> rendue le 19 décembre 2016 dans le cadre du contrôle
de constitutionnalité du Décret du Président de la République de
Moldova n° 2495 du 8 décembre 2016 nommant M. Harunjen au poste
de procureur général.	<a href='http://infomarket.md/en/politicalreview/The_Parliament_of_Moldova_stated_that_the_conditions_for_appointment_to_the_post_of_Prosecutor_General_of_Eduard_Harunjen_were_not_observed_and_recommended_the_president_to_dismiss_him'> http://infomarket.md/en/politicalreview/The_Parliament_of_Moldova_stated_that_the_conditions_for_appointment_to_the_post_of_Prosecutor_General_of_Eduard_Harunjen_were_not_observed_and_recommended_the_president_to_dismiss_him</a>.
60. Le parlement a donc demandé au Président Dodon de démettre le procureur général de ses fonctions, nonobstant l’article 25 de la Constitution en vertu duquel l’intéressé ne peut être révoqué que par un décret présidentiel pris « sur proposition du Conseil supérieur des procureurs ». Une réunion s’est tenue le jour suivant. Dans l’intervalle, M. Harunjen (qui avait été hospitalisé) a démissionné. Le Conseil supérieur des procureurs a été prié d’ouvrir une enquête contre l’intéressé pour « usurpation de pouvoir ». Considérant qu’une telle procédure excédait ses pouvoirs, ledit Conseil a demandé au parquet de s’occuper de l’affaire.
61. Dans le contexte actuel, la démission du procureur général apparaissait probablement comme une mesure nécessaire pour restaurer la confiance dans le parquet. Aujourd’hui, la principale priorité consistait alors à définir les conditions dans lesquelles le nouveau procureur général sera désigné. Maia Sandu a évoqué à plusieurs reprises la possibilité de nommer un citoyen étranger à ce poste, alors que le Président Dodon rejette cette option.
62. La Loi n° 3/2016 sur le ministère public a été modifiée: le nombre de membres du Conseil supérieur des procureurs est passé de 12 à 19, de manière à permettre une meilleure représentation de la société civile. Chaque membre est en outre désormais en mesure d’assumer les fonctions de procureur général par intérim.
63. Le président du Conseil supérieur des procureurs a rejeté la demande du ministre de l’Intérieur de convoquer une réunion extraordinaire sous prétexte qu’une telle initiative irait à l’encontre du principe de séparation des pouvoirs 
			(33) 
			<a href='https://en.publika.md/superior-council-of-the-prosecutors-to-nastase-the-minister-has-no-right-to-convene-a-session-and-his-actions-can-be-understood-as-a-pressure_2659084.html'>https://en.publika.md/superior-council-of-the-prosecutors-to-nastase-the-minister-has-no-right-to-convene-a-session-and-his-actions-can-be-understood-as-a-pressure_2659084.html</a>.
64. Le 5 juillet 2019, plusieurs rapports dans la presse ont fait état d’une lettre adressée par le GRECO aux autorités moldaves 
			(34) 
			<a href='https://en.publika.md/group-of-states-against-corruption-criticize-acum-psrms-actions-about-prosecution_2659078.html'>https://en.publika.md/group-of-states-against-corruption-criticize-acum-psrms-actions-about-prosecution_2659078.html#ixzz5tAtf7kjO</a>, dans laquelle celui-ci fait part de ses inquiétudes quant à la transparence du processus d’élaboration des lois. La lettre aurait appelé les autorités à procéder d’urgence à la mise en œuvre intégrale des recommandations du GRECO et à autoriser la publication du deuxième rapport de conformité adopté par ce dernier en décembre 2018 (ce que lesdites autorités auraient finalement fait le 24 juillet 2019) 
			(35) 
			Quatrième
cycle d’évaluation, « Prévention de la corruption des parlementaires,
des juges et des procureurs », rapport de conformité, adopté par
le GRECO lors de sa 81e séance plénière
(Strasbourg, 3-7 décembre 2018). <a href='https://rm.coe.int/quatrieme-cycle-d-evaluation-prevention-de-la-corruption-des-parlement/168096812e'>GrecoRC4(2018)10</a>,.
65. Les 16 et 19 juillet 2019, le parlement adoptait, en première et deuxième lectures, un projet de loi autorisant le Président de la République – agissant sur proposition du Conseil supérieur des procureurs – à nommer un procureur général par intérim jusqu’à l’organisation d’une procédure de sélection et la nomination du candidat retenu en vertu d’un décret présidentiel. Cette loi permettrait au Président de rejeter la candidature avancée par le Conseil supérieur des procureurs, dès lors que la personne concernée est manifestement incapable d’assumer cette fonction. À supposer que la candidature soit rejetée ou que le Conseil supérieur des procureurs se trouve dans l’impossibilité d’avancer une candidature, le procureur général par intérim serait confirmé dans ses fonctions par décret présidentiel sur proposition du parlement avec l’accord du Conseil supérieur des procureurs 
			(36) 
			<a href='https://www.moldpres.md/en/news/2019/07/19/19005638'>https://www.moldpres.md/en/news/2019/07/19/19005638</a>.
66. Le 26 juillet 2019, le Conseil supérieur des procureurs s'est réuni pour sélectionner un·e candidat·e au poste de procureur général par intérim, sans parvenir à une décision faute de quorum. Conformément à la nouvelle disposition de la loi sur le parquet et suite à la demande du président, le parlement a lancé un appel à candidatures. Neuf candidat·e·s ont postulé. Le 30 juillet, le parlement désignait Dumitu Robu. Ce candidat a été approuvé par le Conseil supérieur des procureurs le 31 juillet, ce qui a permis au Président de la République de signer le décret présidentiel désignant M. Robu comme procureur général par intérim. Le 9 août, le Conseil supérieur des procureurs décidait d'ouvrir le concours pour le poste de procureur général, tandis que le ministre de la Justice a demandé son ajournement, dans la mesure où la procédure d'élection du procureur général était en cours de révision.

3.4.3. Évolution future du système judiciaire

67. Lors de notre visite, nous avons rencontré des représentants du système judiciaire pour comprendre comment les instances judiciaires et du parquet fonctionnaient alors – et dans quelle mesure ces instances répondraient aux allégations de manque d’indépendance, et si elles avaient la capacité et la volonté de redresser le système judiciaire. À la suite de nos réunions avec des représentants du ministère public (et notamment de M. Popa, procureur général par intérim), des membres du Conseil supérieur des procureurs et des membres du Conseil supérieur de la magistrature, nous n’avons pas été convaincus que le système – s’il était maintenu en l’état – parviendrait à se corriger lui-même. Au contraire, il ressort de nos discussions que les représentants en exercice n’ont ni la volonté ni la capacité de critiquer leur travail passé, de remettre en question leur modus operandi ou d’exprimer leur volonté de changer leurs méthodes de travail et de gagner plus d’indépendance. Dans la plupart des cas, les appels à ouvrir des enquêtes après le changement de gouvernement sont restés sans réponse – ou ont été rejetées – par le procureur général par intérim. Cette attitude a incité le Président à proposer une nouvelle loi modifiant les modalités de nomination du procureur par intérim (voir supra).
68. On peut comprendre que la situation actuelle puisse nécessiter des mesures temporaires et dérogatoires du droit commun. Toutefois, lesdites mesures devraient être exceptionnelles et réversibles une fois le système judiciaire en mesure de fonctionner sur la base de critères clairs exempts de considérations politiques. Il est en effet indispensable de consolider les instances de régulation des magistratures du siège et du parquet, lesquelles devraient rester responsables de la procédure de sélection initiale des candidats. Cela d’autant plus que le GRECO a formulé des recommandations cohérentes concernant les procédures de nomination et de révocation des procureurs généraux et autres procureurs lesquelles devraient garantir que:
  • toute décision dans ce domaine soit motivée, fondée sur des critères clairs et objectifs, et susceptible d’être contestée devant un tribunal ;
  • les décisions de nomination se fondent sur des procédures de sélection obligatoires et transparentes ; et
  • la révocation ne puisse être prononcée que dans le contexte d’une procédure disciplinaire, une condition jugée indispensable compte tenu de la diversité de la configuration des services assurés par le ministère public dans les différents États membres du Conseil de l’Europe.
69. Le 27 août 2019, le chef de l'État, le Président Dodon, la Présidente du Parlement, Mme Greceanîi, la Première ministre, Mme Sandu, et le ministre de l'Intérieur, M. Năstase, ont présenté, au cours d'une conférence de presse commune, leur projet de grande réforme de la justice sur laquelle les trois partis de la coalition au pouvoir s’étaient entendu. Les changements affecteraient l'élection du procureur général, la composition de la Cour suprême de justice, du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil supérieur des procureurs ainsi que l'évaluation des juges et des procureurs. L a Première ministre, Mme Sandu, a expliqué que cette réforme était rendue nécessaire en raison de la vive résistance rencontrée et du manque de volonté du système judiciaire et du bureau du procureur en faveur du changement 
			(37) 
			<a href='https://www.ipn.md/en/a-new-concept-of-justice-reform-is-put-forward-7965_1067743.html'>https://www.ipn.md/en/a-new-concept-of-justice-reform-is-put-forward-7965_1067743.html</a>. Ces informations étant arrivées à un stade avancé, nous n’avons pas été en mesure d’examiner en détail les modifications proposées. Cependant, compte tenu de l'importance de ces textes législatifs, nous attendons des autorités moldaves qu'elles collaborent étroitement avec les instances du Conseil de l'Europe, y compris la Commission de Venise, et sollicitent leur expertise pour faire en sorte que ces changements renforcent l'indépendance et l'impartialité des instances de régulation du système judiciaire et du ministère public et établissent des systèmes de recrutement ouverts, transparents et fondés sur le mérite. Nous espérons en outre que les changements proposés seront durables et conformes aux normes du Conseil de l'Europe.
70. Lors de notre visite, nous avons également abordé la question de la formation des juges et des procureurs assurée par l’Institut national pour la justice. Il nous est apparu que de profondes réformes seraient nécessaires pour améliorer la formation, revoir les programmes d’études et veiller à ce qu’une nouvelle génération de juges et de procureurs soit formée avec le souci de leur indépendance professionnelle. Le 29 juillet, la Première ministre, Mme Sandu, a demandé la démission du conseil de direction de l’Institut national pour la justice. Elle a également réclamé une augmentation du nombre de nouveaux juges et procureurs (actuellement de 20 pour chacune de ces catégories de magistrats) afin de parvenir à une « masse critique de personnes désireuses de nettoyer le système » 
			(38) 
			<a href='https://www.ipn.md/en/prime-minister-asks-national-institute-of-justice-board-to-resign-7965_1067114.html'>https://www.ipn.md/en/prime-minister-asks-national-institute-of-justice-board-to-resign-7965_1067114.html#ixzz5v4llEaag</a>.
71. Enfin, alors que nous avons observé une grande détermination des autorités pour réformer et dépolitiser le système en profondeur, nous avons également noté les critiques de membres de l’opposition concernant les procédures de nomination lancées par le parlement pour sélectionner les membres de la Cour constitutionnelle, le chef du Centre national anticorruption et le procureur général par intérim, comme en atteste la lettre transmise par le président du Parti libéral et ancien maire de Chisinau, Dorin Chirtoaca 
			(39) 
			M. Chirtoaca, alors
maire de Chisinau, avait été arrêté en 2017 par M. Robu, qui était
alors procureur, pour abus de pouvoir présumé lié à l’octroi de
contrats de stationnement dans la capitale..

3.5. Services de renseignement et de sécurité

72. Le 18 juin 2019, le parlement a adopté deux lois en première lecture. En vertu de ces instruments, le Président de la République sera désormais habilité à coordonner le travail du Service de renseignement et de sécurité (SIS) et du Service de protection et de garde de l’État. Le directeur du SIS sera nommé par le parlement, sur proposition du Président de la République, pour un mandat de cinq ans. Il pourra être révoqué par le parlement à la demande du Président ou d’un tiers des députés.
73. Le 5 juillet, le parlement a adopté en lecture finale les modifications de la Loi sur la sécurité de l’État. Cet instrument oblige désormais les autorités de l’administration centrale, les instances gouvernementales ou les personnes morales de droit public à fournir, sur demande, toute information sur la sécurité nationale, la défense et l’ordre public, y compris les données considérées comme relevant du secret d’État, commercial ou bancaire.
74. Un rapport publié par l’ONG RISE Moldova regroupant des journalistes d’investigation fait état d’allégations de surveillance de masse et d’interceptions (illégales) des communications de 52 responsables politiques (dont M. Năstase), de représentants de la société civile et de journalistes par le ministre de l’Intérieur. Il est assez étonnant que le nombre d’interceptions de conversations autorisées par les tribunaux soit passé de 2 800 en 2013 à 12 100 en 2018 
			(40) 
			<a href='https://www.rise.md/articol/ministerul-interceptarilor/'>https://www.rise.md/articol/ministerul-interceptarilor/</a>.
75. Le 26 juillet 2019, le Vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur M. Năstase a signé l'ordre de liquidation de la Direction des opérations spéciales de l'Inspection nationale des enquêtes. M. Năstase a affirmé que la direction avait agi en tant que force de police politique et avait intercepté illégalement des conversations de militants politiques, de journalistes, de représentants de la société civile et d’hommes d'affaires.

3.6. Lutte contre la corruption et le blanchiment de capitaux

76. Le directeur du Centre national anticorruption (CAN), Bogdan Zumbreanu, a été révoqué le 8 juin 2019 par le parlement grâce aux voix de la nouvelle majorité parlementaire. Il a été réintégré plus tard à son ancien poste de chef du service des enquêtes pénales dudit Centre, avant de démissionner le 8 juillet 
			(41) 
			<a href='https://www.trm.md/en/social/fostul-sef-al-cna-a-plecat-definitiv-din-cadrul-institutiei-din-proprie-initiativa'>https://www.trm.md/en/social/fostul-sef-al-cna-a-plecat-definitiv-din-cadrul-institutiei-din-proprie-initiativa</a>. Une procédure a été lancée le 27 juin en vue de sélectionner le nouveau directeur du CAN. Dix candidats se sont manifestés, et trois autres après l’extension du délai de soumission des candidatures. Ruslan Flocea, un conseiller du Président Dodon ayant travaillé pour le Centre, a été nommé directeur le 31 juillet 2019 par le parlement, à une large majorité.
77. Le 5 juillet, le Parlement moldave a approuvé, en première lecture, une loi prévoyant l’introduction d’un audit externe obligatoire de toutes les entreprises publiques appartenant à l’État ou à une municipalité. Jusqu’à ce jour, l’administration des entreprises publiques d’Etat avait toujours refusé de communiquer les informations demandées en arguant de la nécessité de protéger les secrets commerciaux. Les auteurs du projet de loi soulignent que la garantie de la transparence des entreprises d’Etat et municipales figure dans le programme de réforme et revêt un caractère obligatoire s’agissant pour la République de Moldova d’obtenir l’assistance macrofinancière promise par l’Union européenne pour un montant total de 100 millions d’euros 
			(42) 
			<a href='http://infomarket.md/en/analitics/Moldovan_Parliament_approved_in_the_first_reading_a_law_providing_for_the_introduction_of_a_mandatory_external_audit_of_state_and_municipal_enterprises'>http://infomarket.md/en/analitics/Moldovan_Parliament_approved_in_the_first_reading_a_law_providing_for_the_introduction_of_a_mandatory_external_audit_of_state_and_municipal_enterprises</a>.
78. Comme l’indique le dernier rapport de l’Assemblée sur les « lessiveuses », la République de Moldova est mêlée à d’importants stratagèmes de blanchiment de capitaux, impliquant la complicité de juges corrompus. Selon certaines estimations, 84 milliards $US auraient été ainsi siphonnés dans le pays en provenance de Russie 
			(43) 
			Doc 14847, Lessiveuses: faire face aux nouveaux défis de la lutte
internationale contre la criminalité organisée, la corruption et
le blanchiment de capitaux (Rapporteur: M. Mart van de Ven, Pays-Bas,
ADLE). Dans sa Résolution 2279 (2019) “Lessiveuses: faire face aux nouveaux défis de la lutte internationale contre la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux”, l’Assemblée a appelé les autorités:
«7.2.1. à poursuivre pleinement et de manière effective son enquête sur le système de lessiveuse internationale et à poursuivre et punir tous les auteurs d’infractions en rapport avec ces faits ;
7.2.2. à mettre en place des dispositions qui empêchent les personnes inculpées ou condamnées pour de graves infractions, y compris pour corruption et blanchiment de capitaux, de prendre ou d’exercer des fonctions publiques ;
7.2.3. à poursuivre avec diligence les enquêtes et l’engagement de poursuites à l’encontre des candidats à une fonction publique et des responsables publics, y compris des élus, tout en évitant scrupuleusement toute inégalité de traitement motivée par des considérations politiques ;
7.2.4. à envisager d’abroger « l’amnistie fiscale » mise en place en juillet 2018, car elle risque de faciliter le blanchiment de capitaux ;
7.2.5. à veiller à réglementer rigoureusement son programme de « visa en or », car il risque lui aussi de faciliter le blanchiment de capitaux, surtout lorsqu’il est associé à « l’amnistie fiscale ».
79. Le pays se remet toujours du fameux « scandale de la fraude bancaire »: en 2014, un milliard $US auraient disparu du système bancaire de trois grandes banques nationales (Banca de Economii, Banca Socială et Unibank) 
			(44) 
			Les
corapporteurs de l’Assemblée, à savoir Mme Christoffersen
et M. Wach en 2015 (AS/Mon(2015)20 rev) et Mme Leskaj
et M. Jonasson en 2016 (AS/Mon(2016) 27), avaient traité du scandale
de la fraude bancaire dans leurs notes d’information respectives.. Les institutions de l’État n’ont pas voulu ou n’ont pas pu empêcher cette fraude.
80. Lors de notre visite en avril 2018, nous avions exhorté les autorités à publier le deuxième rapport d’enquête (dit « rapport Kroll 2 ») préparé par la société d’audit américaine Kroll et à établir la responsabilité de la fraude bancaire. À cette époque, seul un résumé de ce document avait été rendu disponible (en décembre 2017) ; il expliquait que, sur le montant total des prêts accordés (2,9 milliards $US), une partie (environ 2 milliards $US) avait été reversée aux banques d’origine, la perte nette des trois banques entre 2012 et le 26 novembre 2014 étant par conséquent estimée à 600 millions $US 
			(45) 
			https://www.moldova.org/en/kroll-2-report-summary-reactions/	.
81. Le 11 juin 2019, le Conseil national de sécurité convoqué par le Président Dodon a demandé à la Banque Nationale et au parquet de publier le rapport Kroll 2 
			(46) 
			Une <a href='https://fr.scribd.com/embeds/415580787/content?start_page=1&view_mode=scroll&show_recommendations=true&access_key=key-GVmDlNdVCE5oCHZD5uyv'>version</a> du rapport Kroll 2 dans laquelle les noms ont été effacés
circule sur le Web.. Il est cependant apparu que ce document ne désigne pas nommément les bénéficiaires des prêts, la liste des personnes concernées n’ayant été divulguée qu’au parquet. Le rapport mentionne de nouveau le nom de plusieurs députés de la faction Shor: Ilhan Shor, Marina Tauber et Regina Apostolova, ainsi que celui d’un des députés indépendants élus dans le district de Transnistrie, Viorel Melnik, lequel a démissionné du parlement le 17 juillet (en soutenant que le rôle des députés indépendants dans le parlement actuel a été ramené à zéro 
			(47) 
			<a href='https://www.moldpres.md/en/news/2019/07/17/19005549'>https://www.moldpres.md/en/news/2019/07/17/19005549</a>).
82. La question de la publication intégrale du rapport Kroll 2 reste très confuse. Le procureur général par intérim nous a expliqué que ce document ne comporte aucune annexe. Renato Usatîi, pour sa part, prétend avoir reçu une copie du rapport intégral, lequel contiendrait une annexe désignant nommément le mari de la Présidente actuelle du Parlement, Mme Greceanîi. La question de savoir si le rapport exhibé par M. Usatîi est authentique ou pas fait encore débat.
83. Ilhan Shor, le dirigeant du Parti Shor élu député en février, a quitté le pays (prétendument pour Israël) le 15 juin, après avoir semble-t-il traversé la frontière illégalement 
			(48) 
			Ilan Shor avait été
condamné à sept ans d’emprisonnement et, après avoir fait appel,
placé en liberté conditionnelle avec interdiction de se rendre à
l’étranger.. Une enquête a été ouverte par le parquet. Des membres du personnel de l’aéroport de Chisinau ont été entendus. Une audience de tribunal prévue pour le 25 juin a été reportée en raison de la maladie d’un juge. Le 19 juillet, selon les médias, le procureur chargé de la lutte contre la corruption a indiqué que le député avait quitté le pays sans passer le moindre contrôle douanier ou frontalier et a lancé un mandat d’arrêt 
			(49) 
			<a href='https://en.publika.md/court-hearing-over-ilan-sors-case-put-off-prosecutor-to-issue-arrest-warrant-_2659247.html'>https://en.publika.md/court-hearing-over-ilan-sors-case-put-off-prosecutor-to-issue-arrest-warrant-_2659247.html#ixzz5u85Fo0jd</a>.
84. Le parlement, pour sa part, a créé le 10 juin 2019 une commission pour enquêter sur la fraude bancaire. Ladite commission est présidée par Alexandru Slusari de la Plate-forme DA (Vérité et Dignité). Elle devrait rendre son rapport dans les 90 jours. Le 5 juillet, la majorité parlementaire a refusé d’inclure comme membres de cette instance les députés du Parti démocrate, en la personne de M. Candu (ancien Président du Parlement) et de M. Cebotari (ancien ministre de la Justice). À la suite de l’audition tenue le 25 juillet, la commission d’enquête a demandé au Bureau du procureur d’engager des poursuites pénales et d’enquêter sur les actes/omissions de nombreux titulaires qui occupaient alors de hautes fonctions et d’enquêter sur leur implication et possible négligence lorsque les garanties étatiques ont été offertes aux établissements bancaires Banca de Economii, Unibank and Banca Socială, étant donné les graves conséquences sur le système bancaire moldave. 
			(50) 
			http://infomarket.md/en/banks/A_special_parliamentary_commission_to_investigate_the_theft_of_a_billion_urged_the_Prosecutor_General_to_institute_criminal_proceedings_against_Iurie_Leanca_Dorin_Dragutanu_Andrian_Candu_and_Anatolie_Arapu
85. Le 1er juillet, le ministre de l’Intérieur a engagé des poursuites judiciaires à l’encontre de juges et de procureurs impliqués dans des activités illégales. Il s’agissait notamment de la procureure en chef adjointe du Bureau du procureur chargé de la lutte contre la corruption, Adriana Betisor, laquelle a démissionné de ses fonctions le 3 juillet, mais continuera à travailler comme procureur dans les affaires de lutte contre la corruption.
86. Le ministre de l’Économie, pour sa part, a indiqué le 9 juillet qu’« un groupe de criminels est parvenu à infiltrer la structure gouvernementale et à transformer tout le pays en une entreprise servant ses propres intérêts ». Le ministre a affirmé que pas moins de 400 millions de LEI (environ 20 millions d’euros) sont collectés chaque mois par le biais de ce dispositif.
87. Le Conseil national de sécurité a officiellement demandé à la communauté internationale d’ouvrir une enquête internationale et de tenter de recouvrir des avoirs liés à des délits financiers impliquant la République de Moldova. Le 16 juillet, le Bureau du procureur général a décidé de renforcer la cellule d’enquête criminelle du parquet chargée de l’affaire de fraude bancaire en lui adjoignant des fonctionnaires détachés du ministère de l’Intérieur, du Service de sécurité et de renseignement, ainsi que des experts judiciaires et des comptables de la Banque Nationale et de la Commission nationale du marché des valeurs mobilières. Une équipe commune d’enquête sera mise en place en coopération avec Eurojust (Union européenne) afin de recueillir des documents et autres éléments de preuve concernant les personnes impliquées dans la fraude. Les autorités compétentes d’Autriche, de Chypre, d’Estonie, des États-Unis, de France, d’Italie, de Lettonie, du Liechtenstein, de Monaco, de République tchèque, de Russie et de Suisse ont été invitées à coopérer à la collecte de preuves d’opérations bancaires et à l’audition de témoins 
			(51) 
			<a href='https://www.ipn.md/en/task-force-investigating-bank-fraud-to-be-extended-7967_1066833.html'>https://www.ipn.md/en/task-force-investigating-bank-fraud-to-be-extended-7967_1066833.html#ixzz5tpgp9Fc0</a>.  Le Bureau du procureur général prévoit de récupérer
13,34 milliards de LEI, soit l'équivalent des prêts de sauvetage accordés
aux anciennes Banca de Economii, Banca Sociala et Unibank. Quelque
2,2 milliards de LEI ont été recouvrés à ce jour, dont 1,2 milliard
provenant de la vente des actifs de ces institutions financières
aujourd'hui disparues..
88. Le parlement a lui aussi établi une commission d’enquête chargée d’analyser les modalités de la privatisation de biens publics entamée en 2013, y compris celle de la Banca de Economii. Le 19 juillet, le parlement approuvait un moratoire sur la privatisation, l’octroi de concessions et la signature de partenariats public-privé relatifs à des biens publics, jusqu’à l’approbation par le parlement des conclusions de ladite commission d’enquête.
89. Le rapport Kroll 2 mentionne plusieurs biens immobiliers enregistrés auprès de Finpar Invest Ltd, une société occupant une place centrale dans la gestion du parc immobilier de Vladimir Plahotniuc. Un média d’investigation, RISE Moldova, a identifié certains des biens saisis par l’Office des saisies le 26 juin 2019, notamment l’hôtel de luxe Nobil et les studios où plusieurs chaînes de télévision (Prime, Publika, Canal 2 et Canal 3) opèrent, dans le cadre de l’enquête sur la fraude bancaire 
			(52) 
			https://www.moldova.org/en/igor-dodon-reveals-last-week-50000000-left-moldova/.
En 2015, les journalistes d’investigation de RISE
Moldova avaient déjà mis en lumière les liens entre M. Plahotniuc
et la société FinInvest. M. Plahotniuc avait nié être propriétaire
d’un média à l’époque. Voir	<a href='https://www.occrp.org/en/component/content/article?id=3973:rise-moldova-investigation-traces-politician-s-ties-to-businesses'>https://www.occrp.org/en/component/content/article?id=3973:rise-moldova-investigation-traces-politician-s-ties-to-businesses</a>. Pendant notre visite, le Centre national anticorruption s’est abstenu de commenter ou de confirmer cette information en invoquant le secret de l’instruction.
90. Le parlement a également créé une commission spéciale chargée d’examiner la mise en œuvre du projet de construction de la « Chișinău-Arena ». Ladite commission examinera les conditions dans lesquelles le concours a été organisé, en tenant dûment compte de ce que le Président Dodon a qualifié de « nombreuses décisions suspectes et de l’opacité des opérations » 
			(53) 
			https://www.moldpres.md/en/news/2019/07/18/19005583.
91. Les autorités devraient également s’attaquer aux assertions de corruption politique: pendant la crise, certaines allégations ont été formulées – sur la base de séquences vidéo diffusées par le Parti démocrate – à propos de la reconnaissance par le Président Dodon de la réception par son parti de fonds en provenance de la Russie à hauteur d’un million $US par mois jusqu’en avril 2019. La législation en vigueur interdit le financement des partis politiques par des pays étrangers. À la suite de ces allégations, le Parti démocrate avait demandé la création d’une commission d’enquête chargée de clarifier les circonstances d’éventuelles atteintes à la sûreté nationale et à la souveraineté du pays résultant du financement étranger de certains partis politiques. Cette proposition avait été rejetée par la coalition au pouvoir.
92. Le 24 juillet 2019, le rapport de conformité du GRECO (adopté en décembre 2018) a été rendu public. Il conclut que la Moldova doit faire des progrès significatifs pour atteindre un niveau acceptable de conformité et invite les autorités nationales à intensifier leurs efforts pour lutter contre la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs. Jusqu’à présent, 4 des 18 recommandations énoncées ont été intégralement mises en œuvre, 9 partiellement mises en œuvre et 5 pas du tout mises en œuvre 
			(54) 
			<a href='https://rm.coe.int/fourth-evaluation-round-corruption-prevention-in-respect-of-members-of/168096812d'>GrecoRC4(2018)10</a>,.
93. Dans ce contexte, nous avons également été informés du changement ayant affecté les services répressifs. Dans la police et l’administration pénitentiaire, un certain nombre de démissions ont été enregistrées. Il s’agit notamment de celles du chef de la police des frontières Fredolin Lekari le 10 juillet, du chef adjoint de la police de Chisinau Silviu Musuc et du chef de l’Inspection générale de la police (IGP) Marin Maxian le 12 juillet. Selon certaines allégations, une liste noire établie par le ministre de l’Intérieur aurait été établie et mentionnerait notamment le nom des chefs de l’inspection de la police territoriale dont on attend la démission. La nomination de Gheorg Balan au poste de chef de l’Inspection générale de la police avait soulevé des questions, M. Balan étant le filleul du ministre de l’Intérieur Andrei Năstase. Le gouvernement a décidé de le nommer chef par intérim jusqu’à ce qu’un nouveau chef puisse être nommé.

3.7. Autres questions institutionnelles et politiques

94. À la suite des dernières élections législatives, on a pu observer une augmentation de la représentation des femmes au sein du parlement (26 %) et du gouvernement (55 %). Il s’agit là d’une évolution que nous saluons. Dans le domaine de l’égalité des sexes, nous nous félicitons également du soutien exprimé par le Président de la République, M. Dodon, aux initiatives que pourrait prendre le parlement pour ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE n° 210, “Convention d’Istanbul”), signée par le pays en 2017. Cette ratification constituerait une avancée sensible dans la protection des droits des femmes et l’Assemblée serait disposée à soutenir le Parlement moldave dans son processus de ratification.
95. En ce qui concerne le règlement du conflit en Transnistrie, cette question avait fait partie des négociations politiques pour la formation d’un nouveau gouvernement (voir plus haut). À l’époque, des allégations, étayées par des images vidéo, avaient été formulées mettant en cause le Président de la République et le dirigeant du Parti des Socialistes concernant la fédéralisation de l’État moldave sur la base du mémorandum Kozak de 2003. Le nouveau Vice-Premier ministre chargé de la réintégration, M. Şova, a confirmé que les autorités étaient prêtes à poursuivre la mise en œuvre des trains de mesures adoptés à Berlin et à créer un nouveau groupe de travail pour poursuivre les discussions. Toutefois, aucun plan majeur n’est prévu dans un avenir proche. Interrogé sur l’éventuelle fédéralisation du pays, M. Şova a déclaré que le gouvernement envisage de mettre en place une « autonomie décentralisée » pour la région de Transnistrie.
96. Le 12 juillet 2019, le Président Dodon a indiqué que les trois priorités présentées aux partenaires « 5+2 » sont les droits de l’homme et la démocratisation de la région de Transnistrie ; la libre circulation des personnes, des biens et des services dans toute la Moldova, ainsi que le rétablissement d’un espace commercial et économique unique ; et la création des conditions nécessaires à la reprise des négociations en 2020. Les partenaires 5+2 restent déterminés à continuer de soutenir la mise en œuvre des mesures de confiance définies dans le protocole de Berlin en 2016 
			(55) 
			<a href='https://www.moldpres.md/en/news/2019/07/12/19005403'>https://www.moldpres.md/en/news/2019/07/12/19005403</a>.
97. En ce qui concerne le processus de réintégration de la région de Transnistrie, la Première ministre demande la levée de l’interdiction de se rendre sur la rive gauche pour tous les citoyens moldaves et la prolongation de la mission de l’Union européenne d’assistance à la surveillance aux frontières de la République de Moldova et d’Ukraine (EUBAM). Elle espère que le format 5+2 pourra aussi servir de plate-forme pour aider à lutter en priorité contre la corruption et la contrebande et faire en sorte que « les institutions de l’État et les fonctionnaires du gouvernement ne soient plus impliqués dans des affaires de corruption et de contrebande avec Tiraspol, comme ce fut le cas dans le passé », une situation empêchant tout progrès réel dans la recherche d’une solution politique 
			(56) 
			<a href='https://www.moldpres.md/en/news/2019/07/13/19005438'>https://www.moldpres.md/en/news/2019/07/13/19005438</a>. À Luxembourg, l’Assemblée parlementaire de l’OSCE a rappelé son soutien à un règlement complet, pacifique et durable du conflit en République de Moldova, sur la base du respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de cet État dans ses frontières internationalement reconnues. L’Assemblée parlementaire de l’OSCE a rappelé la nécessité d’un retrait complet des forces armées et des stocks de munitions de la Fédération de Russie du territoire moldave, ainsi que le besoin de transformer l’opération de maintien de la paix en cours en une mission civile internationale 
			(57) 
			Déclaration de Luxembourg
adoptée par l’Assemblée parlementaire de l’OSCE à sa 28e session
annuelle (4-8 juillet 2019,<a href='https://www.oscepa.org/documents/annual-sessions/2019-luxembourg/3881-luxembourg-declaration-fre/file'> AS
(19) D E</a>, par. 12 et 13.. Une visite d’information des représentants des 5+2 a également été organisée le 12 juillet 2019 et a confirmé l’engagement des autorités moldaves à poursuivre les discussions 1+1 et 5+2 
			(58) 
			Voir
la <a href='https://www.osce.org/chairmanship/425576'>déclaration
commune</a> des médiateurs et des observateurs de la Conférence
permanente sur les questions politiques dans le cadre du processus
de négociation en vue du règlement du conflit transnistrien au format
«5+2» après leur visite du 12 juillet 2019 à Chisinau et Tiraspol.. À l'occasion de sa visite en République de Moldova, le ministre russe de la Défense a évoqué la possibilité pour la Fédération de Russie d'engager, selon le format 5 + 2, le processus de liquidation des munitions stockées près du village de Cobasna, dans la région transnistrienne de la République de Moldova 
			(59) 
			https://www.ipn.md/en/russia-proposes-to-initiate-process-of-liquidation-of-ammunition-stored-7965_1067697.html#ixzz5xiNcl35M.

4. Remarques conclusives

98. Nous félicitons le peuple moldave d’avoir surmonté, de manière pacifique, la crise politique et constitutionnelle de juin 2019. La coalition actuelle, qui semblait si improbable il y a quelques mois, reflète la volonté d’une grande partie des citoyens de tous horizons. Cet accord pragmatique, basé sur la définition d’objectifs politiques communs, offre une chance de combler aujourd’hui les fossés traditionnels au sein de la société, ainsi que de restaurer la confiance des partenaires et des investisseurs internationaux dans le cadre d’une « politique étrangère équilibrée ». La Première ministre, Mme Sandu, a engagé une action courageuse et politiquement risquée pour normaliser la situation et soustraire les institutions de l’État à toute ingérence indue. Nous soutenons les efforts entrepris pour restaurer l’État de droit et le bon fonctionnement des institutions démocratiques, ainsi que pour renforcer les institutions de l’État. Nous espérons aussi que la politique engagée parviendra à améliorer le niveau de vie de la population. Dans ce contexte, nous nous félicitons de la reprise de l’aide internationale au peuple moldave et de la confiance accrue des partenaires internationaux. Cette assistance paraît indispensable pour améliorer les conditions de vie des citoyens et les inciter fortement à contribuer au développement de la Moldova, étant donné qu’un million de personnes ont quitté le pays au cours des dernières décennies et qu’un Moldave sur quatre vit à l’étranger 
			(60) 
			Le 1er janvier 2019,
on comptait 2 ,681 millions de résidents en République de Moldova <a href='http://statistica.gov.md/newsview.php?l=en&idc=168&id=6416'>http://statistica.gov.md/newsview.php?l=en&idc=168&id=6416</a>.
99. Le changement pacifique de pouvoir a mis en lumière des pratiques qui n’étaient pas conformes aux normes du Conseil de l’Europe et compromettaient le fonctionnement des institutions démocratiques. Il a incité les autorités nouvellement nommées à procéder à une purge du système étatique. Il existe aujourd’hui une volonté légitime des nouvelles autorités, fondée sur le désir exprimé par les électeurs, d’écarter les personnes activement impliquées dans ces activités illégales et antidémocratiques qui ont eu de profondes répercussions sur les institutions et les entreprises et des conséquences dramatiques pour la société. L’élimination des éléments qui caractérisent l’« état captif » devrait contribuer à rétablir l’État de droit et la confiance dans les institutions publiques. Des efforts pour dépolitiser les institutions de l’État et supprimer les intérêts privés sont absolument nécessaires pour garantir un fonctionnement des institutions démocratiques conforme aux normes du Conseil de l’Europe. Les institutions démocratiques ne doivent pas être instrumentalisées dans le cadre d’une démarche législative hâtive et imprévoyante. À long terme, il existe un risque élevé que de telles actions précipitées compromettent l’indépendance et le bon fonctionnement des institutions démocratiques ou des organes indépendants. Même si des textes législatifs ont été adoptés pour débloquer certaines situations, les autorités devraient maintenant envisager d’abroger les instruments permettant de déroger au droit commun.
100. Nous saluons la résilience et la retenue dont le peuple moldave a fait preuve pendant cette crise. Nous prenons note aussi des fortes attentes de la population qui espère vraiment que cette nouvelle coalition changera le fonctionnement des institutions démocratiques. Les autorités sont très tentées de révoquer rapidement les fonctionnaires qui se seraient montrés réceptifs aux influences et pressions extérieures et pourraient maintenant être peu enclins à « nettoyer le système » de l’intérieur et à prendre les mesures attendues pour restaurer l’État de droit. Pourtant, nous invitons instamment les mêmes autorités à ne pas oublier que les mesures juridiques prises aujourd’hui pour « désoligarchiser » le pays auront des effets à long terme et qu’elles devraient donc avoir pour finalité de contribuer à consolider les institutions de l’État, à renforcer leur indépendance et à garantir que les nouvelles lois et leur mise en œuvre seront conformes aux normes du Conseil de l’Europe.
101. La réforme du système judiciaire et du ministère public jouera un rôle essentiel dans le rétablissement de l’État de droit et la garantie de la protection des droits humains fondamentaux par la branche judiciaire et dans la suppression de la justice sélective. Les procédures de révocation et de recrutement au sein de l’appareil judiciaire et du ministère public, ainsi que d’autres services répressifs, devraient se fonder sur des critères clairs et transparents. L’éradication de la corruption, perçue comme une priorité pour le nouveau gouvernement, nécessite aussi une action résolue. Le dernier rapport publié le 24 juillet 2019 par le GRECO, l’organe anticorruption du Conseil de l’Europe, comporte des recommandations claires et utiles sur les mesures qui devraient être prises pour améliorer la transparence et la responsabilisation des institutions de l’État, parlement compris.
102. Le renouvellement des fonctionnaires et autres agents publics peut s’avérer opportun s’il est dûment justifié. Il est cependant primordial de veiller à ce que les changements pertinents de la législation soient mis en œuvre de manière à consolider les institutions et les organes indépendants: le renversement du système antérieur ne doit pas se faire au détriment du respect de procédures prédéterminées basées sur des critères clairs et objectifs et ne devrait pas aboutir à une «chasse aux sorcières», une crainte qui a pu être exprimée lors de notre visite. Nous suivrons donc de près ces développements au cours des prochains mois.
103. Dans le contexte politique incertain prévalant aujourd’hui – inhérent au caractère purement technique de la coalition parlementaire –, nous sommes déterminés à suivre attentivement cette situation et à veiller à ce que les procédures appropriées soient suivies et qu’elles soient conformes aux normes du Conseil de l’Europe. Pour le moment, le pays devrait organiser des élections locales libres et équitables le 20 octobre 2019 et veiller à ce que la volonté des électeurs soit respectée au niveau local. Nous espérons également qu’il sera mis fin aux allégations de pressions et d’intimidations politiquement motivées à l’encontre des élus locaux, comme cela a été le cas dans le passé. Nous encourageons vivement les autorités moldaves à poursuivre la coopération avec le Conseil de l’Europe, à rechercher l’expertise de l’Organisation et à s’inspirer des bonnes pratiques que celle-ci préconise afin de surmonter la crise politique et de jeter des bases solides pour l’avenir.