1. Introduction
1. Membre du Conseil de l’Europe
depuis 1995, la République de Macédoine du Nord est engagée dans un
dialogue postsuivi avec l’Assemblée parlementaire depuis l’année
2000. Dans sa
Résolution
1949 (2013), l’Assemblée a souligné les «défis auxquels [le pays]
doit faire face à tous les niveaux pour assurer sa stabilité politique
et sa cohésion sociale». Tout en se félicitant de son aspiration
à s’intégrer davantage en Europe et à se conformer pleinement aux
normes européennes dans les domaines des droits de l’homme, de la
démocratie et de l’État de droit, elle a exprimé de sérieux doutes
quant à la question de savoir si le pays «dispose d’une stabilité
politique suffisante pour réaliser des progrès réguliers dans la
mise en œuvre des réformes requises».
2. Depuis notre nomination en tant que corapporteurs
en juin 2015,
M. Ghiletchi et moi avons effectué quatre visites d’information
dans le pays, en février 2016, mai 2017, juin 2018 et mai 2019 respectivement,
qui ont donné lieu à l’élaboration de trois notes d’information
détaillées
.
Lors de nos visites, nous avons rencontré les plus hautes autorités
du pays, dont le Président de la République, M. Pendarovski, le
président ou les vice-présidents du parlement ainsi que les chefs
de factions parlementaires et de partis politiques. Nous nous sommes
par ailleurs entretenus avec les ministres de la Justice, de l’Intérieur,
du Travail et des Affaires sociales, de la Société de l’information
ou leurs représentants, les hauts magistrats, le médiateur et d’autres organismes
de réglementation indépendants. Enfin, nous avons aussi rencontré
des représentants de la société civile et des médias, ainsi que
de l’Union européenne, de la Mission de l’OSCE et de la communauté diplomatique,
ainsi que la Coordinatrice résidente des Nations Unies afin de recueillir
des informations sur l’état d’avancement des réformes.
3. Nous tenons à remercier la délégation de la Macédoine du Nord
auprès de l’Assemblée parlementaire et les autorités du pays pour
leur coopération tout au long de notre mandat et l’assistance fournie
dans le cadre de la préparation de nos visites. Nous tenons également
à remercier la délégation pour ses commentaires détaillés sur l’avant-projet
de rapport transmis le 12 août 2019.
4. L’Assemblée a également observé un certain nombre d’élections,
notamment l’élection présidentielle des 13 et 27 avril 2014 et les
élections législatives anticipées du 27 avril 2014. Ces observations
ont été suivies de deux visites postélectorales menées en juillet 2014
et avril 2015
.
Compte tenu de la situation politique consécutive au scrutin d’avril 2014
et du boycott des élections et du parlement par l’opposition, l’Assemblée
parlementaire a organisé, le 22 mai 2015, un débat d’actualité sur
«la situation dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine»»
,
à la demande de quatre groupes politiques
.
Une délégation postélectorale de la commission de suivi a effectué
une visite d’information à Skopje les 28 et 29 avril 2015 et a appelé
les autorités à se conformer aux dispositions constitutionnelles
et juridiques applicables, tout en poursuivant le dialogue politique
.
L’Assemblée a également observé les élections législatives anticipées
du 11 décembre 2016
, le référendum portant sur la «question
du nom» tenu le 30 septembre 2018
et l’élection présidentielle du
21 avril et 5 mai 2019
. Ces commissions ad hoc de l’Assemblée
ont produit des documents précieux permettant d’évaluer le cadre
juridique électoral et les problèmes qu’il convient de régler.
5. En 2013, l’Assemblée avait recommandé le renforcement de la
présence du Conseil de l’Europe dans le pays pour, entre autres,
«apporter conseil, promouvoir et soutenir les politiques et les
activités des autorités nationales et des partenaires locaux liées
au statut de membre du Conseil de l’Europe»
. L’établissement du Bureau de
programme du Conseil de l’Europe à Skopje en 2015 et a constitué
une évolution très positive et mérite d’être salué. Dans le cadre
de la «Facilité horizontale pour les Balkans occidentaux et la Turquie»,
le Bureau a mis en œuvre des programmes conjoints de l’Union européenne
et du Conseil de l’Europe visant à rapprocher le pays des normes
européennes, en particulier dans les domaines de la justice, de
la lutte contre la discrimination et contre la corruption. Le Bureau
a contribué au renforcement de la coopération avec le Conseil de
l’Europe.
2. Contexte politique
2.1. Politiques
nationales: les Accords de Pržino de juin 2015 et juillet 2016
6. Au printemps 2015, la publication
de conversations recueillies à l’occasion d’écoutes téléphoniques illégales
révélant une apparente participation directe de hauts responsables
du gouvernement et de responsables du parti à des activités illégales,
comme la fraude électorale, la corruption, l’abus de pouvoir et d’autorité,
les conflits d’intérêts, le chantage, l’extorsion, les dommages
criminels, ainsi que des indications d’ingérence politique inacceptable
dans la nomination/désignation de juges
a provoqué une crise politique majeure
qui a duré deux ans. Elle a pris fin en 2016 avec la démission du
Premier ministre Gruevski et la signature, en juin 2015 et juillet 2016,
des Accords de Pržino parrainés par l’Union européenne
.
D’autres événements ont marqué la fin de la crise, notamment la
mise en place d’un gouvernement technocratique de juillet 2016 à
janvier 2017 (avec la participation de membres de l’opposition),
et l’organisation d’élections législatives anticipées le 11 décembre 2016.
7. Les élections de 2016 n’ont pas été concluantes et n’ont pas
permis de dégager une majorité nette. Sur les 123 sièges du parlement,
le VMRO-DPMNE a remporté 51 sièges, le SDSM 49 sièges et le parti
albanais DUI dix sièges. La formation d’un nouveau gouvernement
a été retardée de plusieurs mois après les élections de décembre 2016,
le Président Ivanov ayant refusé la demande de mandat du SDSM pour
former un gouvernement après l’incapacité du VMRO-DPMNE, qui avait
remporté plusieurs sièges lors des élections, de constituer une
majorité parlementaire. De leur côté, les députés du VMRO–DPMNE
ont fait obstruction à un vote visant à mettre en place à la tête
du parlement un président soutenu par le SDSM, Talat Xhaferi, un membre
d’origine albanaise de l’Union démocratique pour l’intégration (DUI).
8. Le 27 avril 2017, alors que M. Xhaferi était élu président
du parlement, des partisans du VMRO–DPMNE ont pris d’assaut le bâtiment
du parlement et violemment agressé plusieurs chefs de l’opposition
(voir ci-dessous). Le SDSM et ses partenaires de la coalition albanaise
ont enfin pu former un gouvernement le 31 mai 2017. Après une période
de médiation conduite par l’Union européenne et le département d’État
des États-Unis, M. Zaev a été nommé Premier ministre
. Le gouvernement dirigé
par le SDSM a accordé la priorité à la relance des processus d’adhésion
de la Macédoine du Nord à l’Union européenne (UE) et à l’Organisation
du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
2.2. Évolutions
régionales et internationales: l’Accord de Prespa du 17 juin 2018
et son impact sur le processus d’intégration euro-atlantique
9. Au niveau régional, le Premier
ministre Zaev et son homologue bulgare Boyko Borisov ont conclu
le 1er août 2017 un «accord d’amitié, de bon voisinage et de coopération»,
ouvrant la voie à une coopération bilatérale plus étroite dans plusieurs
domaines, notamment l’énergie, les infrastructures de transport
et de communication, les services financiers et les marchés des
capitaux. Cet accord a permis de mettre fin à des années de querelles
entre les deux pays au sujet de la dénomination de la langue et
a donné lieu à un renforcement de la coopération et des programmes
économiques entre ces deux États.
10. Les autorités ont également repris les négociations en vue
de résoudre un différend avec la Grèce (vieux de 27 ans) portant
sur le nom, qui ont débouché sur la signature, le 17 juin 2018,
de «l’accord sur le nom» qui fera date – aussi appelé «Accord de
Prespa»
. L’accord a été signé par les ministres
des Affaires étrangères des deux parties, M. Kotzias et M. Dimitrov,
en présence des Premiers ministres de la Grèce (M. Tsipras) et de
la Macédoine du Nord (M. Zaev) sur les rives du lac Prespa, qui
borde les deux pays. Étaient également présents le médiateur de
l’ONU, Matthew Nimetz, la haute représentante de l’Union européenne
pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica
Mogherini, et le commissaire européen à l’élargissement, Johannes
Hahn.
11. L’accord a été considéré comme une question touchant à l’adhésion
à l’Union Européenne et a donc été soumis à une procédure d’adoption
accélérée au parlement. La loi de ratification a été adoptée par
le Parlement de Macédoine du Nord le 20 juin 2018 par 69 voix pour
et aucune contre; tous les partis représentés ont apporté leur soutien
à l’accord, à l’exception du VMRO-DPMNE, qui s’est abstenu de voter.
Les détracteurs de l’accord ont manifesté dans la rue et devant
le parlement
. Les manifestations
ont été déclenchées par des petits partis extraparlementaires et
par des hooligans
.
Le veto opposé par le Président à «l’accord sur le nom» (voir ci-dessous)
n’a pas empêché pour autant la poursuite du processus prévu dans
l’accord.
12. L’accord réglemente la(es) «question(s) du nom», exclut toute
revendication territoriale, interdit les activités, les actes ou
la propagande hostiles menés par des organismes publics ou directement
ou indirectement contrôlés par l’État et clarifie certaines questions
historiques. Il donne également lieu à l’instauration d’une commission
conjointe d’experts interdisciplinaires chargée des questions historiques, archéologiques
et éducatives (qui s’est réunie à deux reprises depuis lors) et
sert de base à un partenariat stratégique étendu entre les deux
pays.
13. Le 30 juillet 2018, le parlement a décidé d’organiser la tenue,
le 30 septembre 2018, d’un référendum consultatif (sans valeur juridique
contraignante); la décision a été adoptée par 68 voix pour (et aucune contre)
.
La question posée était formulée comme suit: «
Êtes-vous
en faveur de l’adhésion à l’Union européenne et à l’OTAN en acceptant
l’accord entre la République de Macédoine et la République de Grèce?». Quelque
94 % des 666 000 électeurs ont voté «oui» au cours d’un processus
électoral pour lequel la commission ad hoc de l’Assemblée a conclu
à l’impartialité de l’administration et au respect des libertés fondamentales
tout au long de la campagne
. Cependant,
en raison du faible taux de participation (36,89%, c’est-à-dire
en-deçà du seuil requis des 50%), dû à l’absence d’organisation
d’une campagne du ‘Contre’ et d’une campagne de boycott), le référendum
a été déclaré nul et non avenu par la Commission électorale nationale.
14. La «question du nom», ainsi que d’autres questions d’identité
abordées dans cet accord, ont suscité, des décennies durant, des
réactions passionnées et émotionnelles, et demeurent des sujets
très controversés dans la société macédonienne. Nous avions souligné
que ces préoccupations et opinions devaient être exprimées et débattues
de manière libre, pacifique et constructive, sans recours à la violence,
à des manœuvres d’intimidation et à une rhétorique incendiaire.
15. À l’issue du référendum, les amendements constitutionnels
nécessaires à la ratification de «l’accord sur le nom» devaient
encore être adoptés à la majorité des deux tiers. Face à l’opposition
du VMRO-DPMNE, des négociations politiques ont été engagées pour
débloquer la situation. Après l’adoption de la loi d’amnistie en décembre 2018,
les charges retenues à l’encontre de huit députés de l’opposition
impliqués dans l’assaut du parlement ont été abandonnées (voir ci-dessous).
Grâce à l’appui de ces derniers, la majorité parlementaire requise
pour adopter les amendements constitutionnels a pu être obtenue.
Cette amnistie a été jugée indispensable, à l’époque, pour surmonter
la polarisation, permettre l’adoption des modifications de la Constitution
et progresser sur la voie de la réconciliation. Dans le même temps,
cette mesure soulève des questions en termes de respect de l’État
de droit. Elle ne devrait donc pas aller à l’encontre des pouvoirs
du système judiciaire, s’agissant d’établir la responsabilité des
auteurs d’actes de violence.
16. Les amendements constitutionnels ont été adoptés le 13 décembre 2018.
Après la ratification de l’Accord de Prespa par la Grèce le 26 janvier 2019,
le pays a officiellement changé de nom le 12 février 2019, devenant
la «République de Macédoine du Nord».
17. La ratification finale de l’Accord de Prespa a ouvert la voie
à l’intégration dans l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord
(OTAN) et au lancement des négociations d’adhésion à l’Union Européenne
(le pays avait signé un accord de stabilisation et d'association
en 2001, qui est entré en vigueur en 2004 et s’était engagé, depuis
2012, dans un «dialogue d’adhésion de haut niveau» avec l’Union
européenne). À la suite de la ratification de l’accord et conformément
à ce dernier, les autorités grecques ont envoyé le 25 juin 2018
une notification à l’OTAN et à l’Union Européenne, indiquant qu’elles
approuvaient l’adhésion de la Macédoine du Nord à ces deux institutions.
Le Protocole d’adhésion a été signé avec l’OTAN le 6 février 2019.
Les autorités espèrent que les 29 États membres de l’OTAN auront
achevé le processus de ratification du Protocole d’ici la fin de
l’année 2019
.
18. Le Conseil des affaires générales de l’Union européenne a
décidé pour sa part de procéder en juin 2018 à une «ouverture sous
conditions» des négociations d’adhésion. La décision finale d’ouvrir
ou non ces négociations dépendra des progrès accomplis dans les
réformes de plusieurs domaines prioritaires. Plus précisément, les
réformes judiciaires devront produire des résultats tangibles et
durables et le gouvernement devra mener des enquêtes, poursuivre
et condamner de manière proactive les personnes impliquées dans
des affaires de corruption et de criminalité organisée (y compris
de hauts responsables, des membres des services de sécurité et de
renseignement, ou des fonctionnaires des administrations publiques).
Les autres conditions préalables à l’ouverture des négociations
comprenaient la production d’un rapport positif de la Commission européenne
et la prise d’une décision par le Conseil européen et la première
conférence intergouvernementale d’ici fin 2019. Dans un rapport
publié le 29 mai 2019
, la Commission européenne a recommandé
l’ouverture par le Conseil européen des négociations d’adhésion
à l’Union européenne. Le 18 juin 2019, le Conseil européen a décidé
de reporter la décision d’ouvrir les négociations – une décision
qui demande l’unanimité des États membres de l’Union européenne
– jusqu’en octobre 2019
.
19. Il est ressorti de nos réunions que la signature de l’accord
suscite un immense espoir de renforcer l’intégration euro-atlantique
– un objectif stratégique consensuel du pays. Cet objectif a transcendé
les partis politiques et les communautés ethniques qui, pendant
un certain temps, ont focalisé leur attention sur ce processus,
laissant de côté leurs revendications traditionnelles. Après une
crise politique de deux ans qui a bloqué le processus de démocratisation
du pays, cet accord a également renforcé la volonté des autorités
de poursuivre les réformes engagées depuis avril 2017.
2.3. Contexte
des réformes actuelles
20. Le 8 juin 2015, pendant la
période de crise politique, un groupe d’experts de haut niveau de
la Commission européenne, dirigé par Reinhard Priebe, un directeur
de la Commission européenne à la retraite, a publié le «rapport
Priebe», qui contient toute une série de recommandations. Ces dernières
ont servi de base aux réformes entreprises par le gouvernement après
avril 2017. Le plan de mise en œuvre dit «
Plan
3-6-9» visait à exposer les problèmes urgents à résoudre pour
restaurer l’État de droit, la démocratie et les droits de l’homme
dans des délais donnés (3, 6 et 9 mois respectivement). Des informations
détaillées sur l’état de mise en œuvre de ces réformes ont fait
l’objet d’un rapport de synthèse publié par le gouvernement au printemps 2018
.
21. En juin 2018, le Conseil européen a souligné «qu’il est indispensable
que l’ancienne République yougoslave de Macédoine continue de réaliser
des progrès concrets en ce qui concerne les réformes prioritaires
à opérer d’urgence et à obtenir de nouveaux résultats tangibles
dans la lutte contre la corruption»
. À la suite de cela, les autorités
de Macédoine du Nord ont adopté, en juin 2018, le «Plan 18» portant
sur quatre réformes clés de l’État de droit, à savoir les réformes
judiciaires, les réformes des services de sécurité, la réforme de
l’administration publique et les réformes visant à mettre en place
des mesures de lutte contre la corruption
.
22. La publication des conversations recueillies à l’occasion
d’écoutes téléphoniques illégales a mis en lumière un dysfonctionnement
grave des institutions démocratiques et étatiques et plongé le pays
dans une crise politique profonde. Il s’agit désormais pour les
autorités de restaurer la confiance dans le système démocratique
et de rétablir la protection des droits fondamentaux. Compte tenu
des changements politiques et juridiques majeurs intervenus depuis
l’adoption du dernier rapport de l’Assemblée en 2013, nous avons décidé
d’axer ce rapport sur le dialogue postsuivi avec la Macédoine du
Nord en ce qui concerne l’état actuel des réformes. Le document
met en exergue les progrès accomplis dans la résolution des problèmes systémiques
relevés dans nos précédents rapports et notes d’information, ainsi
que dans le rapport Priebe. Il met également en lumière les points
sur lesquels les autorités doivent se pencher. Par souci de clarté,
ce rapport est divisé en trois chapitres: État de droit, démocratie
et droits de l’homme.
3. État
de droit
3.1. Réforme
du système judiciaire: état des lieux
23. En 2013, l’Assemblée notait
le manque de confiance des citoyens de Macédoine du Nord dans leur système
judiciaire. Cette observation reste valable, comme l’a confirmé
récemment le rapport annuel 2018 du médiateur. La lenteur des procédures
judiciaires et le sentiment de la population que la plupart des
décisions sont partiales, sélectives et politiquement motivées sont
à l’origine de cette défiance
. L’Assemblée avait demandé instamment
aux autorités macédoniennes de s’assurer que les conditions favorables
à l’instauration d’un système judiciaire non sélectif sont réunies.
24. Depuis le changement de parti au pouvoir, le pays a entrepris
d’importantes réformes du système judiciaire, comme le préconisaient
le Plan 3-6-9 et le Plan 18. Voici quelques-unes des premières mesures
qui ont été prises.
24.1. Le Conseil
pour la responsabilité disciplinaire et l’évaluation des juges a
été supprimé le 28 juillet 2017. Cet organe disciplinaire avait
été créé en 2015 par le parti alors au pouvoir. Il avait été qualifié
d’instrument politique par l’opposition de l’époque et critiqué
par la Commission de Venise
. Les procédures disciplinaires relèvent
de nouveau de la compétence du Conseil de la magistrature.
24.2. Le Procureur général Marko Zvrlevski, qui était perçu
comme un allié de la coalition précédemment au pouvoir, a été démis
de ses fonctions par le parlement (à la suite d’un avis positif rendu
en ce sens par le Conseil des procureurs) le 17 août 2017.
24.3. Le 14 septembre 2017, le parlement a mis fin au mandat
de la «commission de lustration». Cette dernière avait été établie
en 2009 et critiquée par l’Assemblée
ainsi que par la
Commission de Venise dans un mémoire
d’amicus
curiae daté de mars 2013 et a par la suite été contestée
par la Cour constitutionnelle macédonienne. Le processus de lustration
a été suspendu en 2015 dans le cadre de l’application de l’Accord
de Przino et suite à l’abolition de la loi.
25. D’importantes réformes ont été engagées depuis lors. La loi
sur les tribunaux et la loi sur le Conseil de la magistrature ont
été adoptées conformément à la plupart des recommandations formulées
par la Commission de Venise en 2015 et 2018. Ces recommandations
portaient plus particulièrement sur les motifs engageant la responsabilité
disciplinaire des juges, les procédures et organes disciplinaires,
ainsi que sur le système d’évaluation du travail des juges
. La loi sur le Conseil de la magistrature
entend améliorer le système de nomination, de promotion et d’appréciation
professionnelle des juges. Elle fait également en sorte que la procédure
de nomination des juges de première instance tienne compte du classement
des candidats à l’issue de leur formation à l’École de la magistrature.
La loi instaure également une procédure de recours devant la Cour
suprême concernant les processus de nomination. Par ailleurs, elle
donne aux citoyens la possibilité de lancer des pétitions et de
formuler des demandes de révocation de juges, ce qui a suscité les inquiétudes
du président du Conseil de la magistrature.
26. Plusieurs autres textes législatifs ont été adoptés ces derniers
mois afin de renforcer l’efficacité du système de justice et d’en
améliorer l’accès. Il s’agit notamment des modifications apportées
à la loi sur les juges et la loi sur l’École de la magistrature
(août 2018); de la loi sur les infractions mineures; de la loi relative aux
contentieux administratifs; de la loi sur les salaires des juges
et de celle sur l’administration de la justice (décembre 2018);
et de la loi sur l’aide juridique gratuite (mars 2019). Certaines
modifications ont été apportées en décembre 2018 au Code pénal concernant
la poursuite pénale des infractions motivées par la haine. De nouvelles
dispositions sur la protection des témoins et l’ingérence dans l’administration
de la justice ont également été ajoutées. D’importants textes législatifs
sont encore en préparation, dont la loi sur le ministère public
et celle sur le Conseil du ministère public.
27. Lors de nos visites effectuées en 2018 et 2019, le président
du Conseil des procureurs avait déploré que son institution n’ait
pas participé à l’élaboration des projets de loi sur le ministère
public et au projet de loi sur le Conseil des procureurs à un stade
précoce. Le président de l’Association des juges s’est quant à lui
félicité de la participation de son association à l’élaboration
de la loi sur les juges et de la loi sur le Conseil de la magistrature,
mais a souligné qu’il reste beaucoup à faire pour rétablir la confiance
dans le pouvoir judiciaire et dans ses institutions dysfonctionnelles
(notamment la Cour suprême et le Conseil de la magistrature).
28. Le président du Conseil de la magistrature s’attendait aussi
à une plus grande implication de son institution dans la rédaction
des lois. Il a souligné l’insuffisance du budget alloué aux tribunaux
(0,34 % du PIB au lieu des 0,8 % prévus) et la pénurie d’environ
200 juges, qui, selon les autorités, pourrait être résolue en raccourcissant
la durée de la formation dispensée par l’École de la magistrature
et en permettant aux juges sur le point de prendre leur retraite
de prolonger leur mandat.
29. Le président du Conseil de la magistrature a toutefois contesté
les allégations formulées dans une enquête réalisée en 2018 par
le ministère de la Justice selon lesquelles le tribunal de première
instance de Skopje 1, la Cour d’appel et la Cour suprême avaient
contrôlé la répartition des affaires judiciaires. Le ministre de
la Justice nous a fait savoir cette année, qu’à la suite de ces
allégations, des investigations ont été menées pour identifier les
personnes qui ont fait une utilisation abusive du système automatisé
de gestion des affaires judiciaires (ACCMIS). Tant le ministère
public que le Conseil de la magistrature ont ouvert des enquêtes,
dont les conclusions n’ont pas encore été rendues. La loi prévoit
maintenant, dans un premier temps, la révocation des présidents
de tribunaux qui n’ont pas recours au système automatisé pour attribuer
les affaires et des juges qui accepteraient de traiter des affaires
non allouées par ce biais.
30. Alors que certains de nos interlocuteurs ont soulevé des questions
concernant la réévaluation des juges, le président du Conseil de
la magistrature a estimé que des outils permettant d’apprécier les
performances des juges existent déjà. De leur côté, les ONG déplorent
le défaut de motivation des décisions rendues par le Conseil de
la magistrature et le Conseil des procureurs généraux concernant
l’élection ou la non élection et la mutation des juges ou procureurs.
Les modifications apportées en mars 2019 à la loi sur les tribunaux
portant sur les motifs permettant d’engager la responsabilité des
juges, approuvées par la Commission de Venise, visent à renforcer
l’indépendance des juges. Il est important que les réformes entreprises
renforcent également l'impartialité et la responsabilité des juges:
la politisation du système judiciaire a été un problème dans le
passé et aurait eu un impact sur les processus électoraux des juges
au niveau national et européen. Des questions restent en suspens
concernant le fonctionnement du système ACCMIS
. À ce sujet,
le ministre de la Justice nous a également appris que des amendements
à la loi relative à l’ACCMIS étaient en cours d’élaboration.
3.2. Réforme
de la loi sur le ministère public et futur statut du procureur spécial
31. La publication de conversations
enregistrées illégalement en 2015 a mis au jour des conversations révélant
une ingérence présumée du gouvernement dans le système judiciaire
et dans l’administration électorale et son contrôle d’un certain
nombre de médias. Étant donné le peu de confiance accordée par l’opposition
au ministère public pour traiter ces affaires sensibles, les quatre
partis politiques ont décidé de mettre en place un «Procureur spécial
contre les infractions relatives au contenu des interceptions illégales des
communications et en résultant» (ci-après la procureure spéciale)
et ont nommé à ce poste, le 15 septembre 2016, Mme Katica
Janeva, une procureure du tribunal de première instance de Gevgelia.
En vertu de l’Accord de Pržino, elle était censée disposer d’une
autonomie pleine et entière pour mener les investigations sur les
infractions liées à et émanant des communications interceptées et
son mandat devait avoir une durée de validité de 18 mois à compter
de la remise des enregistrements. Nous avons rencontré Mme Janeva
à plusieurs reprises pour être mis au courant de son travail, de
l’état d’avancement des affaires et des relations avec les procureurs
et le Conseil des procureurs qui se sont nettement améliorées après
2017.
32. Mme Janeva s’était également dite
préoccupée par le délai de prescription et a demandé une prolongation
de son mandat (qui se termine en septembre 2019). Cette préoccupation
était partagée par la mission de l’OSCE à Skopje, qui a suivi 20
affaires pour lesquelles le Bureau de la procureure spéciale a prononcé
des mises en examen avant le délai réglementaire (très rapproché)
du 30 juin 2017. Dans un récent rapport d’étape, la mission a constaté
que les prescriptions aujourd’hui prévues par le cadre juridique
et institutionnel avaient mis en danger le processus obligeant les
auteurs des infractions graves révélées par les écoutes téléphoniques
à répondre de leurs actes
. Dans le
cadre des discussions en cours sur la préparation de la réforme
du ministère public, Mme Janeva a admis
qu’il était inutile de produire devant les tribunaux les conversations
recueillies à l’occasion des écoutes car suffisamment d’éléments
de preuve avaient été rassemblés pour examiner ces affaires sans
les enregistrements. La validité de l’action entreprise par la procureure
spéciale après juillet 2017 fait l’objet de diverses interprétations.
Alors que la procureure spéciale estime que les infractions mises
à jour par l’enquête ouverte avant juillet 2017 ne doivent pas rester
impunies, la Cour suprême a rendu un avis indiquant qu’elle considérerait
non recevables les affaires ouvertes après le 30 juin 2017, ajoutant
que l’interprétation donnée par la procureure spéciale constituait
une entrave à la justice et une utilisation abusive de l’argent
des contribuables.
33. Le Bureau de la procureure spéciale a été créé dans un contexte
politique exceptionnel et résulte d’un accord entre les quatre principaux
partis politiques. En trois ans, ce bureau a engagé des poursuites
dans 20 affaires de haut niveau et a mis en examen plus de 100 personnes
dans au moins 18 affaires d’infractions pénales graves, dont la
plupart concernaient des abus de pouvoir et de position, la falsification
de documents, des détournements de fonds et une fraude à grande
échelle. En juin 2017, la procureure spéciale a inculpé de corruption
l’ancien Premier ministre Gruevski, ainsi qu’une centaine d’autres
personnes. Le procès de M. Gruevski s’est ouvert en décembre 2017.
L’ancien Premier ministre a finalement fui le pays en 2018 et obtenu
l’asile politique en Hongrie. Les autorités de Macédoine du Nord
ont formulé une demande d’extradition qui, pour l’heure, est restée
vaine.
34. Au moment de notre visite dans le pays en mai 2019, des discussions
étaient encore en cours entre le gouvernement et l’opposition pour
parvenir à un accord sur la réforme de la loi sur le ministère public
qui devait également porter sur le Bureau de la procureure spéciale.
Un projet de loi a été soumis au parlement. Par ailleurs, les négociations
politiques se poursuivaient entre le gouvernement SDSM et le parti
VMRO-DPMNE, dont le soutien est indispensable pour obtenir la majorité
des deux tiers requise pour l’adoption de cette loi. L’une des questions
controversées portait sur la gestion du flux des affaires ouvertes
par la procureure spéciale, dont celles ayant fait l’objet d’une
enquête après juillet 2017
. La demande d’amnistie
formulée par le VMRO-DPMNE pour toutes les personnes impliquées
dans ces affaires a été jugée irrecevable par les autorités.
35. Le 15 juillet 2019, alors que les négociations étaient au
point mort, Mme Janeva a remis, de manière inattendue
sa démission qui devait prendre effet après l’adoption de la nouvelle
loi sur le parquet spécial et la désignation de la personne qui
lui succèdera. Mme Janeva a déclaré regretter
que les principaux partis politiques du pays continuent à se quereller
au sujet de la future loi sur le ministère public. Le lendemain,
le téléphone de Mme Janeva été saisi
dans le cadre d’une enquête lancée par le parquet chargé de la lutte
contre la criminalité organisée, sur une affaire d’extorsion présumée
(dite «affaire Extorsion») concernant deux hommes d’affaires: M. Jovanovski
(propriétaire d’un réseau de télévision à Skopje) et M. Milevski.
Ils sont soupçonnés d’avoir réclamé des millions d’euros au suspect
d’une affaire (sans nom jusqu’ici) ouverte par le parquet spécial.
En échange, ils lui auraient promis leur aide pour éviter la prison
ou pour une condamnation à une peine plus légère en faisant usage
de leur influence présumée sur le procureur en charge de l’affaire
. Selon la procureure Vilma Ruskovska,
le téléphone de la procureure spéciale Katica Janeva, a été saisi
afin de mettre en lumière un éventuel lien avec M. Jovanovski. Mme Janeva
a nié tout abus de pouvoir.
36. Le 8 août 2019, le journal italien La Verità a publié des
conversations enregistrées impliquant M. Kamcev, M. Jovanovski et
Mme Janeva. Mme Janeva
a reconnu qu'il s'agissait de sa voix et qu'elle avait été en contact
avec M. Kamcev au sujet d'une autre affaire (non nommée), mais a
nié toute mesure illégitime dans le cadre de l'«affaire Extorsion».
Le 21 août, le parquet pour le crime organisé a demandé l'arrestation
de Mme Janeva, soupçonnée d'"abus de
pouvoir". Elle a été placée en détention provisoire pendant 30 jours
.
Le 30 août 2019, le Conseil des procureurs a décidé à l'unanimité
d'engager une motion et de proposer au Parlement de destituer Mme Janeva
de son poste de Procureure spéciale. Cette demande a été approuvée
à l'unanimité par la Commission parlementaire des questions relatives
aux élections et aux nominations le 5 septembre 2019 et soumise
au parlement. Dans l’intervalle, Mme Janeva
aurait, depuis son lieu de détention, demandé à ses collègues du
Bureau de la procureure spéciale de transmettre tous leurs dossiers
(y compris les affaires en instance de jugement), leurs enquêtes
en cours et leurs enquêtes préliminaires, au parquet. Cette demande
aurait ensuite été soumise au Procureur général de Macédoine du
Nord
.
Au moment de la rédaction du présent document, l'enquête dans l'affaire
«Extorsion» était toujours en cours et visait à déterminer si d'autres
personnes, y compris des responsables politiques du parti au pouvoir,
étaient impliquées dans cette affaire. Ces développements ont choqué
le pays, ébranlant la confiance de l’opinion dans le Bureau de la
procureure spéciale. Nous ne sommes pas en mesure de juger sur le
bien-fondé de l'affaire. Toutefois, cette affaire montre que personne
n'est au-dessus de la loi et doit avoir droit à un procès équitable.
Il est maintenant crucial que le parquet et le système judiciaire
agissent de manière diligente et indépendante pour rendre justice
et faire la lumière sur cette affaire. Nous demeurons également
confiants que le Bureau du/de la Procureur·e spécial·e continuera
d'exercer et d'enquêter sur les crimes de haut niveau, conformément
à son mandat.
37. Comme annoncé par le Premier ministre Zoran Zaev le 19 juillet,
le projet de loi sur le ministère public a été soumis au parlement
fin août 2019. Cette loi devrait prévoir le regroupement du parquet
général et du parquet spécial, qui formeraient une nouvelle et unique
entité: le parquet contre la criminalité organisée et la corruption
à haut niveau. Ce dernier pourrait être dirigé par la procureure
Vilma Ruskoska. Les procureurs du parquet spécial, dont les mandats
se terminent en septembre 2020, seraient autorisés à postuler de nouveau
. Au moment de la rédaction du présent
rapport, aucun compromis n'avait été trouvé avec l'opposition. Ce
projet de loi a été considéré comme étant en lien avec l’adhésion
à l’Union européenne et fait l’objet d’une procédure d’adoption
rapide au parlement.
38. Il est primordial de parvenir à un accord qui garantisse le
fonctionnement indépendant et efficace du ministère public et améliore
sa capacité à traiter les affaires sensibles. Bien que des compromis
politiques puissent s’avérer nécessaires, il convient de respecter
les principes fondamentaux de la prééminence du droit. Il importe
également de mettre en place un cadre juridique qui permette au
Bureau de la procureure spéciale d’agir en toute autonomie et indépendance.
Nous encourageons de ce fait vivement les autorités à solliciter l’expertise
du Conseil de l’Europe afin de s’assurer que cette législation clé
soit conforme aux standards du Conseil de l’Europe.
3.3. Lutte
contre la corruption
39. Dans l’indice de perception
de la corruption de 2018, la Macédoine du Nord se classe au 93e rang
des 180 pays évalués, avec un score de 37/100, malgré les modestes
progrès réalisés depuis 2017 (date à laquelle elle occupait la 107e place)
. La corruption reste un phénomène
très répandu dans bien des domaines. En 2018, le GRECO a constaté
que le pays avait fait des progrès limités avec l’adoption des modifications
à la loi sur le Conseil de la magistrature (en décembre 2017 et
mai 2018) et la création de nouveaux organes consultatifs et de
supervision pour les juges et les procureurs, venant appuyer la
mise en œuvre de leurs règles de conduite respectives dans la pratique
quotidienne
.
Aucune mesure concrète n’a été adoptée pour renforcer la fonction
de contrôle et soutenir une «stratégie plus équilibrée, politiquement
impartiale» de la Commission nationale pour la prévention de la
corruption (SCPC), chargée de contrôler les déclarations de patrimoine
et les intérêts des autorités publiques. Les résultats de la Macédoine
du Nord à ce stade ont été qualifiés de «manifestement décevants»
par le GRECO, qui a exhorté les autorités à prendre des mesures
plus déterminées et ciblées en ce qui concerne un certain nombre
de recommandations publiées il y a quatre ans et demi. Les autorités
ont été priées de présenter un rapport sur les progrès réalisés
par le pays dans l’application des recommandations dès que possible,
et au plus tard le 30 juin 2019
.
40. La nouvelle loi sur la prévention de la corruption et des
conflits d’intérêts adoptée en janvier 2019, qui couvre désormais
ces deux phénomènes, marque une avancée importante dans le renforcement
de la lutte contre la corruption. Une nouvelle Commission nationale
pour la prévention de la corruption a été établie. Ses membres ont
été élus sur la base de critères clairs, dans le cadre de procédures
ouvertes et transparentes (les entretiens des candidats étant retransmis
à la télévision) saluées par beaucoup de nos interlocuteurs, dont
des représentants de la société civile. Un nouvel outil électronique
permettant l’interconnexion de plusieurs bases de données a été
mis en place; il devrait renforcer la coopération de toutes les
institutions qui participent à la prévention de la corruption et
à la lutte contre ce fléau, et faciliter aussi l’accès direct aux
données statistiques.
41. Face aux allégations de népotisme et de conflits d’intérêts
de hauts fonctionnaires, la Commission a rapidement pris des mesures
pour y répondre, qui ont bénéficié d’un soutien politique clair
et suscité une forte attention des médias. Cette démarche est encourageante
et nous espérons que cette institution continuera d’avoir les moyens,
la capacité et l’appui politique nécessaires pour s’attaquer aux
habitudes et pratiques de corruption profondément ancrées, qui minent
les sociétés démocratiques. Des organes indépendants forts et efficaces
pourraient à l’avenir avoir un effet dissuasif. Cette évolution
doit cependant se confirmer sur le long terme et être appuyée par
des institutions judiciaires réactives, capables de mener les affaires
à leur conclusion finale. Nous encourageons ainsi les autorités
à veiller à ce que les nouveaux textes législatifs et leur application
tiennent compte des recommandations formulées par le GRECO et à
intensifier leurs efforts pour lutter contre la corruption. Nous
pensons que ces mesures peuvent renforcer l’indépendance et l’impartialité
de la Commission nationale pour la prévention de la corruption,
comme l’a demandé l’Assemblée en 2013, à condition que ses moyens
financiers et techniques puissent être augmentés.
42. En mars 2019, la Commission a également adopté une stratégie
visant à promouvoir un système de protection des lanceurs d’alerte.
Pour mémoire, l’Assemblée avait en 2013 appelé à renforcer la protection juridique
et institutionnelle des donneurs d’alerte, qui reste un problème
en Macédoine du Nord
.
43. Dans son rapport récent sur la prévention de la corruption
et la promotion de l’intégrité au sein des gouvernements centraux
(hautes fonctions de l’exécutif) et des services répressifs (cinquième
cycle d’évaluation), le GRECO reconnaît que la Macédoine du Nord
a établi un cadre politique et institutionnel relativement large
pour prévenir et combattre la corruption, par le biais de son programme
national 2016-2019 pour la répression de la corruption et la réduction
des conflits d'intérêts. La Macédoine du Nord a aussi adopté la
loi de 2019 sur la prévention de la corruption et des conflits d’intérêts,
la loi sur le lobbying et la loi sur la protection des lanceurs
d’alerte. Le GRECO note cependant que certains points faibles restent
à améliorer et que la «solidité globale du cadre de lutte contre
la corruption peut prêter le flanc à des critiques, dans la mesure où
la mise en œuvre des différentes politiques et lois est très faible
et sélective en pratique». Le GRECO souligne aussi la politisation
perçue de la police et la nécessité de renforcer son indépendance
opérationnelle. Le GRECO recommande également d’améliorer l’efficacité
des mécanismes de contrôle interne, directement subordonnés au ministre
de l’Intérieur, ainsi que le contrôle externe exercé par le parlement,
le médiateur et le procureur général, de manière à rendre la police
davantage responsable devant la population. Il préconise d’élaborer
un nouveau code d’éthique de la police, qui porterait sur des thèmes
comme l’intégrité, les conflits d’intérêts, les cadeaux et la prévention
de la corruption dans la police
.
44. En ce qui concerne l’État de droit, la Macédoine du Nord a
pris des mesures concrètes pour en rétablir les principes. Nous
tenons à souligner que tous les efforts déployés pour normaliser
le système et remettre le pays sur la voie des normes européennes
devraient permettre de renforcer la transparence, l’impartialité,
la responsabilité et l’indépendance de la justice. Il reste cependant
à voir comment ces nouvelles lois seront mises en œuvre par les
instances judiciaires et de poursuite. Les défis auxquels était
confrontée la Procureure spéciale Mme Janeva
depuis 2015 – comme nous l'avions noté lors de nos visites – pour
porter les affaires judiciaires (politiquement sensibles) devant
les tribunaux et veiller à ce qu'elles soient dûment traitées par
le système judiciaire ordinaire soulèvent des préoccupations. À
tout le moins, ils ont montré que le pouvoir judiciaire a encore
un long chemin à parcourir vers le rétablissement de la confiance.
Dans le même temps, la Commission d'État pour la prévention de la
corruption des conflits d'intérêts a souligné lors de notre dernière visite
que les principaux problèmes de corruption se situent au sein des
partis politiques. Cela exige une forte attention et un changement
de mentalités. En juin 2019, à la suite des résultats décevants
du parti à l’élection présidentielle, le Premier ministre, M. Zaev,
a pris la décision de remanier son gouvernement et de remercier les
ministres dont les performances laissaient à désirer. Il a proposé
de remplir lui-même la fonction de ministre des Finances. Or, sa
proposition a été rejetée par la Commission nationale pour la prévention
de la corruption et des conflits d'intérêts, qui a estimé que cette
situation entraînerait un conflit d’intérêts. Le Premier ministre a
donc décidé de n'assumer cette fonction que jusqu'à la nomination,
le 2 septembre 2019, de Nina Angelovska la première femme à occuper
cette fonction dans un gouvernement de Macédoine du Nord.
4. Démocratie
4.1. Suivi
des événements du 27 avril 2017
45. Le 27 avril 2017, alors qu’une
nouvelle coalition parlementaire était sur le point d’être formée,
le parlement a été pris d’assaut, un acte que nous avons fermement
condamné, et au cours duquel plus de 100 personnes, dont le chef
du SDSM, M. Zaev, et d’autres parlementaires ont été blessés. Pendant
cet événement déplorable, M. Sela, chef du parti DPA, a été roué
de coups et grièvement blessé. Le procès des personnes impliquées
dans les actes de violence, débuté en août 2018, concerne trente
personnes, dont l’ancien ministre de l’Intérieur, le chef de la
police, cinq députés de l’opposition, des policiers et des militants inculpés
«d’atteinte à l’ordre constitutionnel et à la sécurité» pour avoir
contribué à la logistique sous-jacente aux événements
.
46. Comme évoqué précédemment, dans le cadre des négociations
politiques engagées au sujet des amendements constitutionnels nécessaires
à la ratification de l’Accord de Prespa, le parlement a adopté,
en décembre 2018, une loi d’amnistie exonérant huit députés de leur
responsabilité dans les événements d’avril 2017
.
47. Le 20 février 2019, soupçonnés d’avoir fomenté les attaques
du 27 avril 2017 contre le parlement, l’ancien président du parlement,
Trajko Veljanovski, et les anciens ministres Spiro Ristovski et
Mile Janakievski ont été arrêtés par la police à Skopje. Le chef
du VMRO-DPMNE a qualifié ces arrestations de politiques. Les anciens
ministres ont été placés en détention provisoire (pendant 30 jours)
tandis que M. Veljanoski, bénéficiant de l’immunité parlementaire,
est resté libre. À la maison d’arrêt de Skopje, située dans le quartier de
Sutka, les deux anciens ministres ont été mêlés à un incident verbal
et physique et légèrement blessés. Cet événement a conduit à l’ouverture
d’une enquête urgente par le ministère de la Justice et à la démission
du directeur de l’établissement pénitentiaire, le 25 février 2018.
48. Cette situation marquée par la poursuite de hauts représentants
du VMRO-DPMNE a suscité de vives tensions politiques qui ont débouché
sur le boycott du parlement par le principal parti d’opposition.
Le VMRO-DPMNE a toutefois décidé, au printemps 2018, de reprendre
sa place au parlement, décision que nous avons interprétée comme
un signe de responsabilité politique en cela qu’elle a permis l’adoption
de textes de loi essentiels – nécessitant une majorité des deux-tiers
– tels que la loi sur l’énergie, la loi sur l’enseignement supérieur
(qui a redonné leur autonomie aux universités), la loi sur les étrangers
ainsi qu’un train de lois visant à réformer le système d’interception
des communications gouvernementales, etc
.
4.2. Réflexions
concernant la période de transition politique.
49. La Macédoine du Nord a traversé
une crise politique majeure et profonde en 2015-2016, suivie d’une période
de transition (2016-2017). Deux acteurs ont facilité la résolution
de cette crise qui s’est conclue par l’organisation pacifique des
élections législatives (décembre 2016) et présidentielle (mai 2019),
à savoir le médiateur international Peter Vanhoutte, et le groupe
d’experts conduit par l’expert de haut niveau de la Commission européenne
Reinhard Priebe qui a produit ledit «rapport Priebe» en 2017. Ce
dernier a fourni une feuille de route qui a ensuite été approuvée
par l’ensemble des principaux partis politiques, ouvrant ainsi la voie
au règlement de problèmes systémiques concernant le fonctionnement
des institutions démocratiques et l’État de droit.
50. Le consensus auquel sont parvenus les quatre grands partis
politiques, englobant les deux principales communautés, a servi
de base pour mener à bien ce processus. Il convient de saluer les
compromis indispensables auxquels sont parvenus les partis politiques,
malgré un contexte très polarisé. L’engagement d’un dialogue constructif
demeure nécessaire pour poursuivre le processus de réforme, mettre
pleinement en œuvre les recommandations formulées dans le rapport
Priebe et respecter les obligations de la Macédoine du Nord en tant
qu’État membre du Conseil de l’Europe. Comme l’a fait remarquer
la Commission européenne dans son rapport de 2019, un consensus
entre les différents partis et groupes ethniques a déjà été établi
à plusieurs occasions, notamment pour les modifications des lois
qui exigent une majorité des deux tiers, en particulier dans le
domaine du système judiciaire, de la lutte contre la corruption
et des services de renseignement
.
Il est également louable que les partis politiques de la Macédoine
du Nord aient, ces derniers mois, décidé de participer pleinement
et activement aux travaux du parlement, qui est le lieu où il convient
de débattre de tous les sujets, y compris ceux sensibles et controversés.
Dans le même temps, le parlement a renforcé son rôle de contrôle
et moins recouru aux procédures d’urgence ou accélérées.
4.3. Questions
électorales et modifications de la législation électorale
51. En 2013, l’Assemblée avait
demandé une révision du Code électoral et avait traité les questions électorales
identifiées par la commission ad hoc de l’Assemblée parlementaire
pour l’observation des élections de 2011. La Macédoine du Nord devait,
en particulier, remédier à la séparation insuffisamment nette entre
État et partis et renforcer les mécanismes juridiques de protection
du statut des agents publics, surtout au niveau local. Ces mesures
devaient être prises afin d’agir efficacement contre les cas, perçus
comme étant très répandus, de pressions exercées pendant la campagne
électorale, notamment de menaces de perte d’emploi.
52. En 2016, à la demande de la commission de suivi, la Commission
de Venise et l’OSCE/BIDDH ont recensé les principales recommandations
relatives aux élections législatives qui n’avaient toujours pas
été suivies d’effet. Ces recommandations portaient sur un certain
nombre de domaines, dont notamment l’enregistrement des candidats
et la révocation des membres de l’administration électorale; les
règles de campagne restrictives relatives à la durée de la campagne
et à la définition large des activités de campagne; les auditions
publiques sur les recours et la redistribution périodique des sièges
ou la redélimitation des circonscriptions par un organe indépendant.
Il a été souligné que l’élaboration de nouveaux amendements au Code
électoral devrait reposer sur un processus ouvert et un dialogue
constructif entre toutes les forces politiques et parties prenantes.
Il était aussi impératif que les réformes électorales soient achevées
bien avant les prochaines élections et mises en œuvre de bonne foi.
La Commission de Venise a également noté que ces amendements ne
tenaient pas compte de certaines recommandations antérieures, y
compris celles sur les élections municipales et présidentielles
.
53. Dans le cadre de la préparation des élections législatives
de 2016 (initialement fixées au 5 juin 2016, puis reportées à décembre 2016
à la suite de décisions de la Cour constitutionnelle), plusieurs
lois ont été adoptées. Le SDSM, le DUI et le DPA ont soulevé des
questions litigieuses portant sur l’exactitude des listes électorales
ainsi que le fonctionnement et la composition de l’Agence audiovisuelle
et du Conseil national de la radiodiffusion de service public. Sous
la conduite du VMRO-DPMNE, le parlement a adopté, en l’absence du
SDSM, des amendements modifiant cinq lois, notamment la loi relative
à la grâce présidentielle (voir ci-dessous), la loi relative à la
protection de la vie privée dont les modifications apportées interdisent
la publication des enregistrements des écoutes téléphoniques réalisées
entre 2008 et 2015 et qui sont susceptibles de porter atteinte à
la vie privée, de même que l’utilisation de tels documents à des
fins électorales, politiques ou autres. Des modifications ont en
outre été apportées aux lois relatives à la protection de l’information
du public, au Code électoral et aux contentieux administratifs
.
54. Compte tenu de ce qui précède, la commission de suivi a décidé,
le 23 mai 2016, d’inviter les dirigeants des deux grands partis
(VMRO-DPMNE et SDSM) à participer à un échange de vues sur les développements récents
et l’état d’avancement de la mise en œuvre de l’Accord de Przino,
en septembre 2016, à Tirana.
55. Lors des élections anticipées de décembre 2016, la commission
ad hoc d’observation des élections de l’Assemblée a souligné l’inefficacité
de l’organisation interne de la commission électorale nationale
(CEN); sa prise de décisions politisée et le raccourcissement des
délais légaux; le manque de transparence de certaines activités
de la CEN (réunions à huis clos, publication non systématique des
décisions); le détournement de ressources administratives et les
pressions exercées sur les électeurs, notamment sur les fonctionnaires
.
Le rapport final de la mission d’observation électorale de l’OSCE/BIDDH
(février 2017) confirme l’existence d’allégations d’intimidation
d’électeurs, de coercition, de pression sur les fonctionnaires,
d’achat de voix et d’utilisation abusive de ressources administratives
tout au long de la campagne
.
56. En ce qui concerne la Commission électorale nationale (CEN),
lors de notre visite de 2017, nous avions fait part de nos préoccupations
quant au fait que malgré sa nouvelle composition (six personnes
nommées par les quatre principaux partis politiques et trois membres
indépendants), la CEN demeure l’objet d’ingérences politiques dans
ce pays fortement polarisé, selon des lignes politiques mais aussi
ethniques. L’influence des partis politiques sur cette commission
demeure une source de tension et pourrait compromettre ses activités. En
décembre 2017, tous les membres de la CEN (sauf un) ont démissionné
.
57. Des amendements au Code électoral ont été adoptés le 25 juillet 2018.
Les nouvelles dispositions ont trait à la composition de la CEN
(comprenant des experts au lieu de représentants de partis politiques),
au financement des partis politiques et des candidats (qui sera
couvert par le budget de l’État et non plus assuré par les partis
eux-mêmes), et à la réglementation des médias pendant les campagnes
électorales
.
Ces amendements ont soulevé des inquiétudes parmi les associations
de médias, car a) ils réintroduisent la publicité financée par l’État,
à laquelle il avait été mis un terme il y a quelques années, et
b) ils autorisent la CEN à enregistrer et à surveiller les reportages
sur les élections diffusés en ligne et à condamner les médias traditionnels
et en ligne à payer jusqu’à 4 000 euros d’amende s’ils sont reconnus
coupables de «couverture déséquilibrée ou impartiale» – ce qui,
selon des associations de défense des médias et des journalistes,
risque de freiner la liberté des médias et de fausser à nouveau
le marché de ce secteur
. Une alerte a également été publiée
sur la plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection
du journalisme et la sécurité des journalistes
.
Dans leur réponse du 6 septembre 2018, les autorités se sont engagées
à prendre en compte ces préoccupations lors de la préparation de
la révision de la législation électorale et de l'élaboration du
nouveau Code électoral
..
58. Dans son rapport d’observation du référendum sur la question
du nom, tenu le 30 septembre 2018, la délégation de l’Assemblée
a noté que «l’exactitude des listes électorales n’était pas citée
par ses interlocuteurs comme une préoccupation majeure – même si
le nombre anormalement élevé d’électeurs inscrits sur les listes par
rapport à la population reste une source de préoccupation». Elle
a également souligné la nécessité qu’un nouveau recensement soit
organisé dans le pays, car le recensement précédent remonte à 2002
. Bien que le projet de loi doive
être ratifié par le parlement, l’opposition a menacé de boycotter
le processus. Dans son mémorandum, la commission ad hoc de l’Assemblée
a
conclu que «le référendum a été administré de manière impartiale
et que les libertés fondamentales ont été respectées tout au long
de la campagne». Elle a toutefois précisé que le cadre juridique
régissant la conduite des référendums n’était ni complet ni harmonisé, et
encouragé les autorités à solliciter la Commission de Venise pour
avis sur la loi sur les référendums, ceci afin d’en clarifier et
d’en étoffer le contenu et de l’harmoniser avec le Code électoral.
59. Lors de notre visite effectuée en mai 2019, nous avons été
informés de l’intention des autorités d’organiser un nouveau recensement
en 2020 avec l’aide d’experts d’Eurostat. Une tentative en ce sens
avait été faite en 2011, mais elle n’a pas abouti en raison de divergences
d’opinion sur la méthode de comptage. Le problème concernait en
particulier les citoyens travaillant à l’étranger. L’organisation
d’un nouveau recensement constituait, lors de nos précédentes visites,
un point sensible, compte tenu des droits linguistiques et culturels
découlant de la taille des communautés (en 2001, la communauté albanaise représentait
25 % de la population). Lors de notre dernière visite en mai 2019,
aucun de nos interlocuteurs n’a toutefois mentionné ce recensement
comme controversé. Ce recensement pourrait contribuer à la mise
à jour des listes électorales. L’une des principales préoccupations
est liée au fait que les citoyens qui travaillent actuellement à
l’étranger sont néanmoins inscrits sur les listes électorales nationales.
Quelques réflexions ont été menées dans ce cadre sur la mise en
œuvre de dispositifs de vote depuis l’étranger à l’intention des ressortissants
de la Macédoine du Nord qui résident hors des frontières nationales.
Les partis politiques ne sont pas encore parvenus à un accord politique,
et les discussions ont été reportées après la pause de l’été 2019.
60. Lors de l’élection présidentielle tenues le 21 avril et le
5 mai 2019, la commission ad hoc d’observation des élections de
l’Assemblée a conclu que la campagne électorale s’est déroulée dans
un climat serein. À la différence des scrutins précédents, les fonctionnaires
de l’État se sont efforcés de maintenir une distinction claire entre
leurs activités officielles et leurs activités politiques, et d’éviter
le recours à des ressources d’État et l’abus des ressources administratives
durant la campagne. Les médias, dont le radiodiffuseur public, ont présenté
diverses informations sur les candidats présidentiels et les partis
politiques qui les soutenaient, ce qui a permis aux électeurs de
faire un choix éclairé. Le jour du scrutin a été bien organisé;
l’administration électorale s’est acquittée de ses fonctions essentielles,
a fait preuve d’impartialité et a bénéficié de la confiance de la
plupart des parties prenantes. L’Assemblée a toutefois fait observer
que le Code électoral avait été modifié quatre fois depuis 2016.
«Les principales recommandations antérieures visant à améliorer
le contentieux électoral, l’inscription des électeurs, la représentation
de la diaspora, le financement des campagnes électorales et la campagne
politique, ainsi que l’utilisation des seuils de participation pour
les référendums et élections présidentielles pourraient être prises
en compte dans la prochaine réforme électorale»
.
61. En conclusion, une tendance positive a été observée tout au
long des dernières élections. Il importe également de noter que
le Code électoral a été modifié à plusieurs reprises depuis 2013,
sans pour autant prendre en compte toutes les recommandations de
la Commission de Venise. En nous appuyant sur les conclusions des
observateurs électoraux de l’Assemblée, nous encourageons vivement
les autorités de la Macédoine du Nord à envisager de réexaminer
la législation électorale dans son intégralité, de manière à assurer
sa cohérence et à la mettre en conformité avec les recommandations
de la Commission de Venise. Au moment de la rédaction de ce projet
de rapport, le gouvernement envisageait de réviser le système électoral.
Nous espérons que les autorités de Macédoine du Nord favoriseront
le dégagement d’un consensus entre toutes les forces politiques
et travailleront avec la Commission de Venise pour aligner la législation électorale
sur les normes européennes.
4.4. Questions
constitutionnelles
62. En 2014, le VMRO-DPMNE, qui
était alors au pouvoir, a tenté de réviser la Constitution et d’adopter
sept projets d’amendements constitutionnels. Ces derniers portaient
sur plusieurs domaines, notamment: le retrait du ministre de la
Justice du Conseil de la magistrature (qui nomme les juges) afin
de réduire l’influence politique sur les tribunaux; l’introduction
d’un mécanisme de «recours constitutionnel» permettant aux citoyens de
porter plainte contre les autorités; une définition plus étroite
du mariage, en tant qu’union entre une femme et un homme; l’ouverture
d’une «zone financière internationale» (c’est-à-dire un paradis
fiscal) et la limitation de la dette publique à 60 % du PIB et celle
du déficit budgétaire à 3 % du PIB. Après adoption de l’avis de
la Commission de Venise
,
les projets d’amendements révisés reflétaient certaines des critiques
que la Commission y avait exprimées, mais pas toutes. Cependant,
faute d’une majorité des deux tiers, ces amendements ont été rejetés
par le parlement.
4.4.1. Droit
du Président d’octroyer des grâces
63. La période de transition vécue
par la Macédoine du Nord a vu émerger quelques questions concernant les
prérogatives du Président de la République et l’exercice de son
mandat dans un contexte fortement polarisé.
64. Le 16 mars 2016, lors d’une session à huis clos, la Cour constitutionnelle
a décidé d’annuler une disposition juridique qui empêchait antérieurement
le Président de la République d’accorder des grâces. L’opposition
a craint que cette décision n’ouvre la voie à la grâce d’anciens
hauts fonctionnaires du gouvernement soupçonnés d’avoir organisé
la fraude électorale, s’ils venaient à être condamnés. Cette décision
a également donné lieu à des manifestations des deux bords devant
les bâtiments de la Cour constitutionnelle. Nous avions alors noté
que la décision du Président de la République de mettre fin à toutes les
enquêtes pénales ouvertes en relation avec les écoutes téléphoniques
illégales, fût-elle bien intentionnée, porterait atteinte à l’État
de droit, entraverait le travail de la procureure spéciale, compromettrait
la mise en œuvre de l’Accord de Pržino et favoriserait l’impunité
.
65. Le 12 avril 2016, compte tenu de la dégradation de la situation
politique, le Président Ivanov a unilatéralement décidé de mettre
fin à toutes les enquêtes pénales ouvertes à l’encontre des membres
des partis au pouvoir ou d’opposition en relation avec les écoutes
téléphoniques illégales
et d’amnistier la seule personne
condamnée à ce jour
. Cinquante-six
personnes ont été graciées, notamment l’ancien Premier ministre
Nikola Gruevski (visé par cinq procédures pénales), l’ancien ministre
des Transports Mile Janakieski (16 procédures) et l’ancienne ministre
de l’Intérieur Gordana Jankulovska (11 procédures). L’ancien Président, Premier
ministre et chef du parti SDSM Branko Crvenkovski, ainsi que le
chef actuel de ce parti, Zoran Zaev (visé par deux procédures pénales)
ont également été graciés
.
66. Le 19 mai 2016, sur proposition des responsables des groupes
parlementaires VMRO-DPMNE et DUI, le parlement a adopté les amendements
à la loi relative à la grâce présidentielle. Ces amendements prévoyaient
notamment le droit de révoquer les grâces accordées par le Président
de la République dans un délai de 30 jours et obligeaient le Président,
en cas de demande en ce sens, à retirer l’amnistie octroyée à certains
bénéficiaires. La décision a suscité des manifestations et de vives
réactions de la part de l’Union européenne et des États-Unis.
67. Le 6 juin 2016, le Président de la République a décidé d’annuler
la grâce accordée aux 22 personnes politiquement exposées (sur les
56 amnistiées précédemment), envoyant ainsi le message que les membres de
la classe politique ne sont plus intouchables. Aucun nom n’a été
rendu public à ce stade.
4.4.2. Le
«véto de poche» du Président
68. Une autre question a pris corps
après les élections de décembre 2016, lorsque le Président Ivanov
a rejeté la demande du SDSM de lui confier le mandat de former un
gouvernement, devant l’incapacité du VMRO-DPMNE – qui avait remporté
un grand nombre de sièges aux élections – de réunir un soutien suffisant pour
former sa propre majorité, retardant ainsi la formation d’un nouveau
gouvernement pendant plusieurs mois.
69. Après la formation du nouveau gouvernement en 2017 et le changement
de nom du pays en 2019, le Président de la République a refusé à
plusieurs reprises de promulguer des lois adoptées par le parlement, qu’il
jugeait inconstitutionnelles ou dangereuses pour l’unité nationale
. On peut se demander si ce «veto
de poche» est conforme à la Constitution, l’article 75 disposant
que «le Président de la République peut décider de ne pas signer
la promulgation d’une loi. Le parlement procède à un nouvel examen
de la loi et le Président de la République est alors obligé de signer
sa promulgation si la loi a été adoptée à la majorité du nombre
total de représentants».
70. Au cours de notre entretien, le Premier ministre Zaev nous
a fait savoir en juin 2018 qu’il avait sollicité l’avis d’experts
pour contourner le veto du Président. La mise en accusation du Président
(dont le mandat expirait en avril 2019) aurait pu s’avérer difficile,
car elle nécessitait la majorité des deux tiers au parlement
et
le soutien du principal parti d’opposition, celui du Président.
Pour pallier ce «veto de poche», ces lois ont finalement été signées
par le président du parlement et publiées au Journal officiel. Une
modification de la Constitution serait la bienvenue pour éviter
les impasses à l’avenir et clarifier la procédure à suivre au cas
où le Président refuserait de promulguer une deuxième fois des lois
adoptées par le parlement (et éviter le recours à ce «veto de poche»).
Les autorités pourraient s’inspirer des bonnes pratiques développées
dans d’autres États membres du Conseil de l’Europe, qui se sont
dotés de dispositions constitutionnelles claires en la matière.
4.5. Démocratie
locale
71. Les dernières élections locales
en Macédoine du Nord ont eu lieu en 2017. Initialement prévues en
mai, elles ont dû être reportées à octobre 2017 en raison de l’impasse
concernant l’élection du président du parlement et de l’expiration
de toutes les échéances électorales, qui ont nécessité des amendements
au Code électoral en juin et septembre 2017. Les amendements ont
été adoptés selon une procédure rapide visant à proroger les mandats
des maires et conseillers municipaux en exercice jusqu’aux élections
en question et à permettre à BESA (la quatrième force politique
au parlement) d’être représenté par un membre à la Commission électorale
nationale.
72. Le 15 octobre 2017, 45 maires (sur 81) ont été élus à l’issue
du premier tour, dont 37 du parti SDSM, trois du VMRO-DPMNE et deux
du DUI. Le deuxième tour de scrutin – notamment dans la capitale
Skopje – s’est déroulé le 29 octobre 2017. Le Congrès des pouvoirs
locaux et régionaux du Conseil de l’Europe a observé les élections.
La mission internationale d’observation des élections a noté qu’elles
se sont tenues dans un environnement compétitif. Les candidats ont,
en général, pu faire campagne sans restrictions, et, dans l’ensemble,
dans le respect des libertés fondamentales. Des allégations crédibles
d’achat de votes, de pressions sur les électeurs et de cas isolés
de violence ont toutefois été notées durant la période préélectorale. La
mission a conclu qu’«en dépit de difficultés d’organisation, l’administration
électorale a veillé à ce que les électeurs soient en mesure d’exercer
leur droit de vote. Le jour des élections s’est déroulé en bon ordre,
bien que quelques irrégularités procédurales aient été observées»
.
73. Dans nos rapports précédents, nous avions mis l’accent sur
le rôle clé de la décentralisation pour la bonne gouvernance au
niveau local et la mise en œuvre effective de l’Accord-cadre d’Ohrid.
Au cours des réunions que nous avons tenues en 2017, avant les élections
locales, plusieurs représentants de l’Association des collectivités
locales (ZELS), dont son président et maire de Skopje, M. Trajanovski
(VMRO-DPMNE), et ses vice-présidents Nevzat Bejta, maire de Gostivar
(DUI), et Zoran Damjanovski, maire de Kumanovo (SDSM) ont regretté
que la succession d’élections – présidentielle et législatives (anticipées)
– depuis 2013 ait mis les maires sous pression. En raison de la
crise politique en cours depuis trois ans, la substance même de la
décentralisation avait été perdue. Interrogés sur leurs attentes
à l’égard du nouveau gouvernement, les trois maires ont mentionné
l’élargissement des compétences des collectivités locales, une décentralisation
et des capacités accrues en matière budgétaire et une mise en œuvre
juste et équitable de la loi pour un développement régional équilibré.
74. Le nouveau gouvernement devra revoir la législation et achever
la décentralisation budgétaire afin de s’assurer que toutes les
municipalités ont la capacité de s’acquitter de leurs obligations
avec un financement adéquat.
4.6. Réforme
de l’administration publique
75. En 2013, l’Assemblée a demandé
aux autorités de renforcer les systèmes de recrutement au mérite,
qui doivent reposer sur des critères de sélection ou d’élection
transparents. «Face au sentiment de polarisation et de politisation
de la société, les partis au pouvoir, qui détiennent la majorité
à la fois au parlement et au niveau local depuis les élections de
mars 2013, ont la lourde responsabilité de veiller à la mise en
place d’un dialogue intégrateur entre toutes les composantes de
la société et les partis politiques».
76. La mise en œuvre de la stratégie de réforme de l’administration
publique et du programme de réforme de la gestion des finances publiques
s’est poursuivie. L’Union européenne a reconnu les efforts concrets déployés
pour accroître la transparence et la responsabilisation et améliorer
les consultations dans le cadre de l’élaboration des politiques.
Comme déjà indiqué dans le rapport de l’Assemblée établi en 2013,
il est indispensable de veiller à ce que les recrutements, les nominations
ou les licenciements de fonctionnaires et de personnel de l’administration
publique soient fondés sur le mérite (et non sur l’appartenance
politique). Les mesures législatives adoptées en octobre 2017 et
février 2018 par le Gouvernement, qui obligent les ministères, les
administrations publiques ainsi que les entreprises publiques ou
les organismes de réglementation créés par le Parlement à publier
et mettre régulièrement à jour une liste de 21 documents
, constituent un
pas vers plus de transparence. Dans le même temps, il importe également
de garder à l’esprit la nécessité d’assurer une représentation transparente
et équitable au sein de l’administration
. Dans ce contexte,
il convient de saluer l’action rapide engagée par la Commission
nationale pour la prévention de la corruption à la suite d’allégations
de népotisme au sein de l’administration.
77. La nouvelle loi de janvier 2019 sur le libre accès aux informations
à caractère public pourrait également renforcer la transparence
dans l’administration publique. Elle vise à faciliter grandement
l’accès du public à l’information, à améliorer la transparence institutionnelle
et à combler les lacunes juridiques de la législation actuelle,
qui permettent aux partis de dissimuler des données ou d’en retarder
la divulgation. Les partis politiques seront tenus de divulguer
toutes leurs données financières, telles que les recettes et les
dépenses. La loi contient une définition beaucoup plus stricte de
ce qui relève de l’intérêt général. La commission pour le libre
accès aux informations à caractère public pourra désormais engager
des procédures à l’encontre des institutions qui font obstacle à
ce droit et infliger des sanctions de sa propre initiative
.
5. Droits
de l’homme
5.1. Derniers
développement en matière d’égalité entre les femmes et les hommes
78. Quelques progrès importants
ont été réalisés dans le domaine de l’égalité entre les femmes et
les hommes. Au sein du parlement actuel, 38 % des représentant(e)s
sont des femmes. Le plan d’action en faveur de l’égalité de genre
(2018-2020) visait à introduire un quota de 50 % de femmes pour
assurer leur participation aux processus électoraux et à la prise
de décision, tandis que des mesures de budgétisation sensible au
genre sont appliquées au niveau ministériel
Les
autorités ont indiqué que les amendements au Code électoral en cours
d'élaboration devraient inclure un quota de 50/50 pour assurer une
représentation égale des femmes et des hommes sur les listes de
candidats aux élections législatives
.
Nous nous félicitons de cet engagement et encourageons vivement
les autorités à veiller à ce que cette disposition soit fondée sur un
"système de fermeture éclair" (c'est-à-dire l'alternance de candidats
féminins et masculins sur les listes de candidats) avec des mécanismes
efficaces empêchant les partis politiques de ne pas se conformer
à cette exigence.
79. Nous nous félicitons également des efforts entrepris par le
Gouvernement pour adopter des budgets tenant compte des spécificités
de genre (y compris dans la loi sur les budgets de 2019) et pour
aider les institutions publiques à analyser la budgétisation sensible
au genre en créant, d'ici la fin de l'année 2019, un centre de ressources.
Avec l'appui du Bureau de l'ONU pour les femmes, ce centre aidera
à promouvoir une budgétisation sensible au genre et des politiques
d'égalité des sexes.
80. À la suite de la ratification, le 23 mars 2018, de la Convention
du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique (
STCE
n° 210) (Convention d’Istanbul), la Macédoine du Nord a adopté
un plan d’action national en vue de sa mise en œuvre, qui devrait également
prendre en compte la nécessité d’augmenter le nombre de foyers pour
les victimes de violence fondée sur le genre. Une nouvelle loi sur
la prévention de cette forme de violence et la protection contre
ce phénomène est en cours d’élaboration et devrait être adoptée
d'ici la fin de 2019. De nouveaux services, tels que des refuges,
des centres de crise et des centres de conseil pour les victimes
et les auteurs d'actes de violence, devraient être ouverts. Au cours
de la période 2019-2023, une formation sera dispensée aux prestataires
de services spécialisés, ainsi qu'aux professionnels de la santé,
de la police, des centres de travail social, aux militants de la
société civile et aux médias
.
81. En mars 2019, au terme d’un processus long et d’un débat animé,
le parlement a adopté la loi sur l’interruption de grossesse (qui
n’a toutefois pas été signée par le Président de la République M. Ivanov), annulant
la précédente loi restrictive qui était en vigueur depuis 2013.
La nouvelle loi a finalement été promulguée par le Président Pendarovski.
Plus précisément, la nouvelle loi supprime en particulier les obstacles
administratifs, les séances obligatoires de conseil auxquelles les
femmes étaient soumises ainsi que le délai de réflexion de trois
jours mis en place par la législation précédente
.
5.2. Institution
du médiateur
82. En 2013, l’Assemblée avait
appelé les autorités macédoniennes à allouer suffisamment de ressources financières
et humaines à ces activités et à garantir le bon fonctionnement
du Bureau du médiateur.
83. L’adoption d’amendements à la loi relative au médiateur a
renforcé cette institution. En plus d’être le mécanisme national
de prévention prévu par le Protocole facultatif des Nations Unies
se rapportant à la Convention contre la torture (OPCAT), le médiateur
est désormais chargé de superviser l’action des membres de la police
et de la police pénitentiaire. Il fera office de mécanisme de contrôle
civil, assurera la protection des victimes et leur portera assistance.
En outre, le médiateur sera chargé du suivi de la Convention relative
aux droits des personnes handicapées et de son Protocole facultatif.
Pour s’acquitter de ces mandats, il doit pouvoir compter sur des
ressources financières et humaines indépendantes et suffisantes.
Dans ce contexte, l’ECRI a constaté qu’en dépit de l’augmentation
des effectifs du bureau du médiateur, seuls 50% des postes (79 sur
142) étaient pourvus en août 2018.
84. Compte tenu de la nécessité de renforcer le Bureau du médiateur
en tant qu’organe indépendant, il convient de saluer les débats
organisés par le Parlement de Macédoine du Nord à propos des rapports
annuels du médiateur. En juin 2018, le parlement a adopté diverses
mesures destinées à mettre en œuvre les recommandations formulées
dans le rapport annuel 2017
.
5.3. Réforme
des services de renseignement
85. Le scandale des enregistrements
de conversations du printemps 2015 a révélé un système d’écoutes électroniques
massives dans le pays: au cours de son enquête, portant sur près
de 670 000 conversations enregistrées illégalement à partir de plus
de 20 000 numéros de téléphone, le groupe d’experts de haut niveau de
l’Union européenne a conclu que le parti au pouvoir avait utilisé
frauduleusement les services de sécurité nationale afin de contrôler
de hauts fonctionnaires de l’administration publique, des procureurs,
des juges et des adversaires politiques. Cette enquête a révélé
une concentration du pouvoir dans les mains du service national
de sécurité (UBK) qui, à l’époque, détenait le monopole de la surveillance
tant dans les opérations de renseignement que dans les enquêtes
pénales. En outre, le rapport a révélé le dysfonctionnement du mécanisme
de supervision de l’UBK, ce dernier étant en mesure d’intercepter
les communications directement, de manière autonome et sans entrave,
qu’une injonction ait ou non été émise par un tribunal conformément
à la loi sur l’interception des communications
.
86. En 2015, à la suite de la publication de conversations recueillies
à l’occasion d’écoutes téléphoniques, les autorités précédentes
ont adopté une nouvelle législation pour limiter et réglementer
l’usage et, en particulier, la publication de telles données. L’objectif
était de protéger la vie privée – notamment les droits personnels
et familiaux – tout en assurant l’intérêt public qui consiste à
enquêter des infractions pénales et des actes de corruption. Après
la formation d’un gouvernement technique, une loi adoptée en septembre 2015
a mis en place un procureur spécial chargé d’enquêter sur ces allégations
(voir plus haut). Une loi relative à la protection de la vie privée
(axée sur la divulgation d’informations prétendument tirées d’enregistrements réalisés
par l’UBK entre 2008 et 2015) et une autre relative à la protection
des lanceurs d’alerte ont été adoptées le 10 novembre 2015. Dans
un avis daté de mars 2016, la Commission de Venise a recommandé une
révision en profondeur de la loi sur la protection de la vie privée,
qui n’équilibre pas de façon satisfaisante le droit à la vie privée
et l’intérêt du public à être informé, et a conseillé d’améliorer
la loi sur les lanceurs d’alerte
.
87. En mars 2019, un train de lois visant à réformer les services
de renseignement et de sécurité, notamment la loi relative à l’Agence
de sécurité nationale, a été adopté. Une agence technique opérationnelle a
été établie et fonctionne depuis novembre 2018. Elle est chargée,
de par la loi et sur décision de justice, d’intercepter des communications
pour protéger la sécurité nationale ou dans le cadre d’enquêtes
pénales. Les services de renseignement sont désormais placés sous
l’autorité du gouvernement et toutes les écoutes téléphoniques doivent
être ordonnées par un tribunal. Une commission parlementaire de
contrôle, présidée par l’opposition, surveille les activités des
services de renseignement. Ces mesures devraient limiter les abus
du système.
5.4. Situation
dans les prisons
88. En 2017, le Comité européen
pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (CPT) a publié un rapport extrêmement critique sur
la situation dans les établissements pénitentiaires de Macédoine
du Nord. Ce document a mis en lumière un large éventail de problèmes,
en particulier à la prison d’Idrizovo (qui accueille 60 % des détenus
du pays), comme des soins de santé totalement inadaptés, des problèmes
persistants de mauvais traitements, la violence entre détenus, la corruption
et le manque d’activités proposées aux détenus, la pénurie du personnel
pénitentiaire et son manque de formation et de soutien. Les conditions
de détention observées dans plusieurs quartiers de l’établissement
pourraient être qualifiées d’inhumaines et de susceptibles de mettre
la vie des détenus en danger. Dans le quartier de détention provisoire
de la prison de Skopje (où est incarcérée la grande majorité des
prévenus du pays), les prévenus sont confinés dans leurs cellules
23 heures sur 24 et ce pour des périodes pouvant aller jusqu’à deux
ans. Peu de progrès ont été réalisés pour s’attaquer aux problèmes
systémiques soulevés depuis 2006 (notamment l’inadéquation des procédures
de signalement et du système de contrôle ainsi que le manque de
gestion du personnel et les performances insuffisantes de ce dernier)
. Le 14 octobre 2017, le président
du CPT a tenu des réunions avec de hauts responsables gouvernementaux, dont
le Premier ministre M. Zaev, pour examiner comment remédier à la
situation. Le CPT se rendra dans le pays en 2019. La situation dans
la prison d’Idrizovo doit être réglée de toute urgence, de même
que les conditions déplorables qui règnent dans les commissariats
de police, les centres médico-sociaux et les établissements psychiatriques
89. Nous avons été informés que, depuis février 2018, la Direction
de l'exécution des sanctions (la DES) a soumis 6 rapports trimestriels
pour informer le CPT des mesures et activités mises en œuvre pour
améliorer le système pénitentiaire. Ces mesures prévoient, entre
autres, l'augmentation des capacités et des installations d'hébergement,
l'amélioration des conditions de séjour et de travail dans les prisons
et les établissements éducatifs correctionnels, la reconstruction
de la prison d'Idrizovo (avec le soutien de la Banque de développement
du Conseil de l'Europe), la construction d'un quartier de détention
provisoire à la prison d'Idrizovo, l'amélioration des soins médicaux
aux détenus condamnés et en détention provisoire dans les prisons
et des établissements correctionnels et l'embauche de personnel
additionnel.
90. La surpopulation carcérale continue également de poser problème.
Le 21 septembre 2017, le gouvernement a annoncé son intention de
gracier tous les détenus condamnés à des peines d’emprisonnement
inférieures à six mois et de réduire de 30 % les peines des détenus
condamnés à moins de cinq ans d’emprisonnement pour lutter contre
le surpeuplement carcéral et les conditions inhumaines en prison,
dans le cadre d’une réforme plus vaste du système judiciaire
. La loi d'amnistie adoptée en janvier 2018
s'est appliquée à 2 345 condamnés, dont 736 ont été libérés et 1
560 ont bénéficié d'une réduction de peine de 30%. Cela a contribué
à réduire le nombre de détenus
. En outre, le DES est
également en train de mettre au point un système de probation durable
pour offrir des mesures de substitution au sein de la communauté
.
5.5. Mauvais
traitements et torture
91. Les mauvais traitements, auxquels
s’ajoute l’absence de réaction appropriée des institutions étatiques face
à ces pratiques, demeurent un problème. En 2018, la Cour européenne
des droits de l’homme a rendu un arrêt dans l’affaire de M. Selami
(et autres), qui avait été appréhendé pour son implication présumée
dans l’assassinat de deux policiers et grièvement blessé lors de
cette arrestation. La Cour a estimé que M. Selami avait été à l’évidence
victime d’actes de torture et d’une détention illégale et a conclu
que les tribunaux nationaux ne lui avaient pas accordé une réparation
adéquate pour ces actes
.
92. Suite à la publication du rapport du CPT, les autorités ont
pris des mesures pour améliorer les conditions de détention des
personnes dans les postes de police et la rénovation de ces locaux
.
Les modifications apportées à la loi sur les affaires intérieures
de février 2018 prévoient également la possibilité d'engager d'office
des poursuites pénales dans les cas où les rapports criminels indiquent
que des fonctionnaires de police ou une personne officielle autorisée
à des fins de sécurité et de contre-espionnage ayant des pouvoirs policiers
auraient commis un acte criminel en accomplissant un acte officiel.
La loi érige en outre en infraction pénale tout acte criminel commis
par des fonctionnaires de police en dehors du service en recourant
à la menace, à la force ou à des moyens de coercition graves entraînant
la mort, des lésions corporelles graves, des lésions corporelles,
la détention illégale, la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants
.
Ces enquêtes devraient être menées par la nouvelle Section des enquêtes
et des poursuites relatives aux actes criminels commis par des personnes
investies de pouvoirs de police et des fonctionnaires de police
pénitentiaire. Ce nouveau service a été créé à la suite des modifications
apportées à la loi sur le ministère public adoptée en octobre 2018,
leurs enquêtes étant auparavant considérées comme inefficaces.
93. Les autorités ont indiqué qu'en mars 2017, avec l'assistance
d'experts du Conseil de l'Europe, la Direction de l'exécution des
sanctions a adopté une Stratégie pour la mise en œuvre de la politique
de tolérance zéro à l'égard des mauvais traitements et un Plan pour
la prévention de la corruption afin d'établir des mécanismes plus
efficaces pour traiter les cas de mauvais traitements des personnes
privées de liberté, ainsi que les cas de corruption parmi le personnel
des prisons et des établissements éducatifs correctionnels. Des
procédures opérationnelles normalisées (pour consigner l'utilisation
des moyens de coercition) et un nouveau code de conduite pour le
personnel des prisons et des établissements éducatifs correctionnels
ont été élaborés en 2018 et inclus dans la formation dispensée au
personnel employé dans les prisons et les établissements éducatifs
correctionnels. Le DES élabore actuellement une nouvelle stratégie
nationale pour le système pénitentiaire (2020-2025) avec l'aide
du Conseil de l'Europe. Entre-temps, dans le cadre du projet de
jumelage financé par l'Union européenne, une stratégie sera élaborée
pour le développement du service de probation.
94. Dans ce contexte, nous saluons, au sein du Bureau du médiateur
la création d'une unité organisationnelle spéciale pour le contrôle
civil. Il s'agit d'une correction supplémentaire au système d'enquête sur
les actes criminels perpétrés par des personnes investies de pouvoirs
de police et des officiers de la police pénitentiaire, dont trois
représentants d'ONG. Étant donné que le nombre d'accusations portées
contre des policiers et des agents de la police pénitentiaire a
été très faible jusqu'à présent, la Commission européenne a exprimé
l'espoir que le mécanisme de contrôle externe permettrait de lutter
contre le sentiment d'impunité
.
5.6. Médias
95. La Macédoine du Nord occupe
le 95e rang dans le classement mondial
de la liberté de la presse 2019, ce qui constitue une amélioration
par rapport à 2018, année où le pays avait fini à la 109e place
. Dans nos notes d’information précédentes,
nous avions souligné un certain nombre de problèmes en matière de
liberté des médias, notamment les agressions de journalistes
et l’absence de décisions de
justice condamnant les auteurs de tels actes (ce qui favorise un
climat d’impunité pour leurs auteurs). Les attaques contre des journalistes,
les ingérences politiques indues, le contrôle politique des médias
et un financement public problématique de ces derniers sont autant
de questions qui doivent être traitées. Les journalistes ont également
décrit un «système corrompu», fonctionnant en «circuit fermé», avec
des institutions publiques qui passent contrat avec des sociétés
de publicité et des sociétés de distribution commerciale proches
du pouvoir.
96. Nous avons observé ces derniers mois une amélioration du climat
pour les journalistes, qui sont désormais plus libres d’exprimer
des opinions critiques. Mais il reste encore beaucoup à faire pour
lutter contre ce qui a été décrit comme des «formes plus subtiles
de pression» (de nature économique, par exemple), pour faire en
sorte que les agressions dont ont été victimes des journalistes
ne restent pas impunies et pour renforcer les organes de régulation
des médias.
97. Les amendements à la loi relative aux services de médias audio
et audiovisuels en Macédoine du Nord ont été adoptés en décembre 2018
et sont entrés en vigueur en janvier 2019. Cette loi est censée
améliorer l’indépendance, la transparence, l’efficacité et la responsabilisation
des services de médias audio et audiovisuels. Elle est désormais
jugée conforme aux normes européennes et internationales relatives
aux médias audiovisuels
.
Les modifications apportées incluent des dispositions visant à renforcer
la diversité de représentation au sein des organes de régulation
des médias et à garantir la prise en compte des intérêts des différents
groupes ethniques.
98. L’un des principaux défis a trait à la viabilité financière
des médias. L’une des premières mesures annoncées par le gouvernement
en 2018 concernait la suppression du paiement mensuel de la redevance audiovisuelle
(qui assurait jusqu’alors le financement du service public de radiodiffusion)
afin d’alléger la charge financière pesant sur les familles à faibles
revenus. Les représentants des médias ont critiqué cette mesure,
selon eux populiste, car elle ne renforcera pas l’indépendance du
radiodiffuseur public et est contraire aux normes européennes. En
mai 2019, des discussions se poursuivaient sur la question de savoir
si le financement du radiodiffuseur public par le budget de l’État
était souhaitable.
99. Nous avons également noté que les journalistes et le personnel
du radiodiffuseur public craignaient d'être évalués conformément
à la loi sur les employés du secteur public, qui, selon l'Association
des journalistes, aurait un impact sur la politique éditoriale du
radiodiffuseur public et pourrait entraîner des pressions politiques
.
100. Le radiodiffuseur public MRT doit être réformé afin de devenir
un véritable média public indépendant. Dans son rapport annuel 2019
sur le classement mondial de la liberté de la presse, Reporters
sans frontières a noté que «les programmes du radiodiffuseur public
sont toujours au service des intérêts de l’ancien parti conservateur
au pouvoir, le VMRO-DPMNE»
. On retrouve toujours au conseil
de programmation et à la direction de la radio-télévision macédonienne
(MRT) les mêmes personnes qui ont souvent été accusées de subordonner
la MRT aux intérêts du parti VMRO-DPMNE
. Le mandat des 13 membres sortants
du conseil de programmation (nommés en décembre 2014) a expiré début
2019, mais ils n’ont pas encore été remplacés. En particulier, la
réélection, en février 2018, de Marijan Cvetkovski à la tête de
la MRT a soulevé des controverses car il fait l’objet d’une enquête
ouverte par le parquet spécial en octobre 2018 pour des présomptions
d’abus de pouvoir et d’appartenance à une organisation criminelle.
101. Les autorités devraient s’attaquer à la question de la lutte
contre le discours de haine dans les médias en ligne et sur internet
et en assurer le suivi. Les dirigeants politiques ont une responsabilité
en la matière: ils doivent s’abstenir de tenir des propos haineux
et en condamner le recours. Les discours incendiaires attisent généralement
la rhétorique de haine. Il appartient aux personnalités publiques
de veiller à ce que leurs déclarations ne suscitent pas d’autres
propos haineux de la part de leurs partisans. Selon les données recueillies
par le Comité Helsinki, 64 % des 123 infractions inspirées par la
haine enregistrées en 2018 étaient à motivation ethnique et 25 %
à motivation politique
.
102. Le plan de lutte contre la désinformation et les fausses nouvelles
annoncé le 24 juillet 2019 par le Premier ministre a suscité de
vives réactions: le parti d’opposition VMRO-DPMNE a affirmé que
cela pourrait s’apparenter à de la censure. L’Association des journalistes
a quant à elle fait part de ses inquiétudes quant aux mesures dites
«proactives» envisagées, telles que le financement de campagnes
dans les médias privés, la corégulation, l’instauration de critères
réglementant l’accréditation qui permet aux médias de couvrir des événements
du gouvernement, ou encore le rôle problématique du groupe devant
être créé pour combattre la désinformation
.
103. Après notre visite de mai 2019, nous avons conclu à une amélioration
du paysage médiatique. Le problème de la sécurité des journalistes
ne se pose plus, l’attention porte maintenant sur des problèmes financiers
et d’autres questions systémiques. Nous attendons notamment des
autorités qu’elles veillent à ce que le radiodiffuseur public agisse
comme un média d’information impartial et de grande qualité. Les
organes de régulation des médias, tels que le Conseil d’éthique
des médias, mais aussi des associations comme le Conseil d'éthique
des médias qui promeuvent l'application et l'avancement des normes
éthiques et professionnelles dans les médias, ont un rôle important
à jouer à cet égard.
5.7. Accord-cadre d’Ohrid (ACO)
104. Au cours de nos visites, nous
avons systématiquement recueilli des informations sur la mise en
œuvre de l’Accord-cadre d’Ohrid (ACO). Comme indiqué dans les précédents
rapports consacrés au dialogue postsuivi, cet accord a été signé
le 13 août 2001 pour mettre fin aux combats entre l’Armée de libération nationale
albanaise (ALN) et les forces de sécurité du gouvernement. Il avait
également pour objectif la mise en œuvre d’importantes réformes
visant à renforcer les droits des Albanais de souche, qui représentent quelque
25 % des deux millions d’habitants, tout en préservant l’unité de
l’État. Ces réformes ont notamment consisté à modifier des passages
essentiels de la Constitution, y compris son préambule, de manière
à faire prévaloir le concept d’égalité des citoyens sur le statut
préférentiel conféré précédemment aux Macédoniens de souche. À noter
également, les dispositions visant à réglementer et à élargir l’utilisation
de la langue albanaise, tout particulièrement dans les communautés
comprenant au moins 20 % d’Albanais, l’instauration d’une représentation
proportionnelle dans la fonction publique et les institutions d’État,
ainsi que la mise en place de mécanismes de protection des minorités
au parlement et dans les instances décentralisées. L’ACO a également
imposé la majorité qualifiée («principe de Badinter»), c’est-à-dire
une double majorité exigeant à la fois 1) un vote majoritaire et
2) une majorité de voix de députés revendiquant leur appartenance
à des communautés ne faisant pas partie de la population majoritaire
du pays, lorsque le parlement adopte des lois concernant directement
les droits des communautés nationales, conformément aux dispositions
de la loi de 2007 relative à la commission des relations intercommunautaires
.
105. Les relations interethniques demeurent fragiles. Cette période
de crise a été marquée par un regain de tensions ethniques et des
combats acharnés dans la ville ethniquement mixte de Kumanovo, à
la frontière nord (à 30 km de Skopje), le 26 avril 2015
,
puis le 9 mai 2015, des affrontements armés et des tirs nourris
d’armes à feu ont éclaté, provoquant la mort de huit policiers et
de dix militants albanais
,
plus de 40 blessés et des dégâts sérieux. Cette attaque a été qualifiée
«d’agression terroriste» par les autorités. Elle a amené le responsable
du DUI, Ali Ahmeti, puis le Vice-Premier ministre (et ancien dirigeant
de «l’Armée de libération du Kosovo»(*)
(UCK) en Macédoine en 2001)
à démissionner sous la pression de la communauté albanaise. Le 12 mai 2015,
la ministre de l’Intérieur Gordana Jankulovska, le ministre des
Transports et des Communications Mile Janakievski et le Directeur
de la sécurité et du contre-espionnage (UBK) Saso Mijalkov ont démissionné.
Au cours du procès en appel (actuellement en cours à Skopje), les
33 accusés ont réaffirmé qu’ils étaient victimes d’une manœuvre
politique fomentée par l’ancien gouvernement dirigé par l’ex-Premier ministre
Nikola Gruevski, et ont demandé la conduite d’une enquête internationale
avec les témoignages de hauts responsables anciens et actuels. La
Cour d’appel devrait décider de la tenue éventuelle d’un nouveau procès
.
106. Des tensions sont apparues après l’assassinat de cinq pêcheurs
macédoniens, prétendument par six Albanais de souche dans l’affaire
connue sous l’appellation «affaire des monstres» en 2015. Elles
ont été exacerbées après les allégations d’une ingérence des autorités
dans l’affaire des conversations recueillies à l’occasion d’écoutes
téléphoniques illégales
. En novembre 2017, la Cour suprême
a infirmé le verdict, demandé un nouveau procès et placé les quatre
accusés en liberté conditionnelle
.
Le tribunal pénal de Skopje a repris l’examen de l'affaire en juin
2019.
107. Le «plan 3-6-9» élaboré par le gouvernement en 2017 porte
sur la mise en œuvre de l’Accord-cadre d’Ohrid. Le rapport a également
pris en considération l’adoption par le gouvernement d’un nouveau
projet de loi relatif à l’utilisation des langues, à la suite de
l’accord de coalition conclu entre le SDSM et les partis albanais DUI
et BESA. Un projet de loi a été adopté le 4 août 2017 par le gouvernement,
le Premier ministre Zaev précisant que des dispositions controversées
(telles que l’ajout de l’albanais sur les billets de banque et les pièces
ainsi que sur les insignes des uniformes de l’armée et de la police)
ne figuraient pas dans le projet de loi.
108. Le parlement a enfin adopté la loi sur l’utilisation des langues
en janvier 2019. Celle-ci étend, au niveau national, l’utilisation
de la langue albanaise aux administrations, à la santé, à la justice
et à la police, ainsi qu’à d’autres services officiels. L’albanais
n’était reconnu jusqu’à présent comme une langue officielle que
dans les régions où la minorité représente au moins 20 % de la population.
Le parti de droite VMRO-DPMNE s’est opposé à cette loi, de même
que le Président de la République (qui a refusé de la promulguer,
arguant qu’elle pourrait mettre en danger l’unité et la souveraineté
de la Macédoine) et des manifestations ont éclaté dans le pays.
La loi a finalement été signée par le président du parlement et
publiée au journal officiel. Par la suite, les autorités ont sollicité
un avis à la Commission de Venise, qui devrait être adopté en 2019.
109. Dans l’intervalle, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe
a notamment fait les recommandations suivantes: «suivre et assurer
la mise en œuvre effective de la loi sur l’utilisation des langues
au niveau local et central, y compris concernant la présence des
langues minoritaires sur les panneaux topographiques; encourager
l’utilisation des langues minoritaires dans la sphère publique dans
la mesure du possible et s’abstenir de s’appuyer exclusivement sur
le recensement de 2002»
. De toute évidence, l’application
de la loi sur l’utilisation des langues risque de poser de nombreuses
difficultés d’ordre pratique, en particulier dans les procédures
judiciaires. Pour l'heure, nous nous félicitons de la création d'une
Agence chargée de l'application de la loi sur l'utilisation des
langues, qui a commencé ses travaux. Nous notons également qu'un projet
de loi portant création de l'Inspection chargée de l'application
de la loi sur les langues a été élaboré par le gouvernement et soumis
au parlement
.
110. Le 28 mars 2018, le parlement a décidé de fermer le secrétariat
pour l’application de l’Accord-cadre d’Ohrid et de le remplacer
par le ministère du Système politique et des Relations entre les
communautés. Le 5 juillet 2019, Sadula Duraki a été nommée Vice-Premier
Ministre et Ministre du système politique et des relations entre
les communautés. Nous espérons que ce nouveau ministre œuvrera à
la promotion de l’esprit de l’Accord-cadre d’Ohrid et contribuera
au renforcement de la cohésion entre les diverses communautés.
111. Les relations interethniques devront à l’avenir faire l’objet
d’une attention accrue. La normalisation de la vie politique rouvrira
très certainement des questions jugées importantes pour la communauté
albanaise, telles que la régionalisation ou la répartition des fonds
sur des bases ethniques. Nous nous félicitons de l’approche inclusive
du Président de la République nouvellement élu, M. Pendarovski,
qui pourrait favoriser la cohésion sociale et renforcer cette société
multiethnique. L’adoption récente de la loi relative à l’utilisation
des langues, actuellement examinée par la Commission de Venise,
constitue un pas important vers la poursuite de la mise en œuvre
de l’Accord-cadre d’Ohrid de 2001, même si son application risque
d’être difficile en pratique.
5.8. Lutte contre la discrimination
112. En 2013, l’Assemblée a exhorté
les autorités à intensifier leurs efforts de lutte contre la discrimination, notamment
des Roms et à poursuivre les programmes locaux d’intégration. Par
ailleurs, l’Assemblée a demandé aux autorités d’assurer un accès
effectif aux documents d’identité, ainsi qu’aux soins de santé et
aux droits sociaux. L’Assemblée avait rappelé à cette occasion que
la lutte contre la discrimination devait englober toutes les formes
de discrimination, y compris les préjugés liés à l’orientation sexuelle.
113. Une nouvelle loi relative à la prévention de la discrimination
et la protection contre celle-ci (loi contre la discrimination)
a été adoptée en mars 2019. La Commission de Venise a rendu un avis
sur ce projet de loi en mars 2018
et s’est félicitée des nombreuses
améliorations qu’il contient, y compris le partage de la charge de
la preuve dans les affaires de discrimination, la professionnalisation
de la Commission qui dispose à présent de membres à plein temps,
son indépendance financière et ses nouvelles attributions et compétences
pour la protection contre la discrimination. La loi institue par
ailleurs la règle d’équilibre entre les sexes dans la sélection
des membres de la commission, dote également cette dernière d’un
secrétariat, laisse une plus large latitude aux tribunaux pour prononcer
des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives, mentionne expressément
l’orientation sexuelle et l’identité de genre comme motifs de discrimination,
habilite les associations et autres organisations concernées à engager
des actions en justice pour le compte de victimes de discrimination
ou à titre d’appui, sans nécessairement évoquer un cas particulier,
exonère de frais de justice les requérants dans les affaires de
discrimination, etc.
La Commission nationale pour la
protection contre la discrimination sera également chargée à l’avenir
de la prévention de la discrimination. L’ECRI a toutefois noté que
le projet de loi révisée sur la protection contre la discrimination
et sa prévention qui devrait prévoir un personnel d’appui aux travaux
professionnels, administratifs et techniques de la commission n’était
pas encore adopté et appliqué
. Entre-temps, les autorités ont
indiqué que de nouveaux locaux avaient été mis à la disposition
de la Commission et de son secrétariat.
114. En mai 2019, nous avons rencontré le président de cette commission,
un organe composé de sept membres nommés et révoqués par le parlement
sur proposition de sa commission des élections et nominations. Comme
relevé par la Commission de Venise, cette Commission nationale manque
gravement de ressources budgétaires et humaines, ce qui l’a empêchée
de jouer un rôle significatif dans la lutte contre la discrimination»
.
Elle a pâti de la méfiance du public, qui la jugeait liée à l’ancien
parti au pouvoir
. La nouvelle loi prévoit la
nomination de nouveaux membres de cette commission par le parlement
, raccourcissant
ainsi le mandat de ses membres actuels, une situation que la Commission
de Venise a jugé «extrêmement problématique»: «les dispositions
de ce type vident de son sens la notion d’indépendance des organismes
de protection des droits de l’homme, du fait que toute nouvelle
majorité peut s’appuyer sur ce précédent pour mettre fin au mandat
d’un organisme indépendant en adoptant une nouvelle loi». La Commission
de Venise a également recommandé aux autorités «d’envisager des
dispositions transitoires qui permettent aux membres d’aller au
bout de leur mandat, et garantissent leur remplacement dans de bonnes conditions»
.
115. En mars 2019 toujours, le Comité des Ministres a invité les
autorités de la Macédoine du Nord à «assurer le bon fonctionnement
de la commission pour la protection contre la discrimination en
tant qu’organe professionnel et totalement indépendant chargé des
questions d’égalité, doté d’un secrétariat opérationnel, et prendre
des mesures globales pour faire mieux connaître les normes anti-discrimination
applicables au sein du pouvoir judiciaire et de la population, en
particulier auprès des groupes les plus désavantagés»
.
116. S’agissant de la promotion des droits des personnes LGBTI,
le cadre juridique a été amélioré ces derniers mois grâce à l’action
d’organisations de la société civile et du groupe interparlementaire
pour la promotion des droits humains des personnes LGBTI. Plusieurs
initiatives prometteuses ont été adoptées, notamment la loi sur
la protection contre la discrimination et sa prévention, de mars 2019,
la clause anti-discrimination de la loi de 2018 relative aux services
de médias audio et audiovisuels et le Code pénal amendé, qui couvre
désormais les discours de haine motivés par l’orientation sexuelle
et l’identité de genre. Skopje a accueilli en juillet 2019 la première
Marche des fiertés de la Macédoine du Nord avec la participation
de membres du gouvernement. Toutefois, comme noté lors de nos précédentes
visites, les personnes LGBTI continuent d’être victimes de discrimination.
Dans ses conclusions de 2019 sur la Macédoine du Nord, l’ECRI a
réitéré sa recommandation faite aux autorités en 2016 de réaliser
une étude exhaustive et indépendante de toutes les formes de discrimination
à l’égard des personnes LGBT, en collaboration avec la communauté LGBT
.
117. Concernant la situation des personnes transgenres, la Cour
européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt historique en
janvier 2019
concluant à une
violation de l’article 8 de la Convention en raison de l’absence
d’un cadre réglementaire propre à assurer le droit au respect de
la vie privée du requérant. Cet arrêt devrait inciter le pays à
adopter une loi permettant l’accès des personnes transgenres à une
procédure rapide et transparente de reconnaissance juridique de
leur genre.
5.9. Minorités nationales
118. La Macédoine du Nord a ratifié
la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
en 1997 (
STE
n° 157). En mars 2019, le Comité des Ministres a recommandé
aux autorités de «prendre avec résolution toutes les mesures nécessaires
pour continuer à bâtir une société intégrée... et éviter les politiques
ethno-nationalistes d’exclusion mutuelle qui favorisent la formation
de structures sociales parallèles». En outre, le Comité des Ministres
a appelé les autorités nationales à «mettre en œuvre des mesures
pour rétablir la confiance dans les institutions publiques et se
désolidariser activement du discours de haine fondé sur des considérations
politiques et ethniques» et «prendre toutes les mesures nécessaires
pour créer un système d’enseignement intégré et multiculturel en
accord avec la Stratégie pour l’éducation 2018-2025». Enfin, il
a exhorté les autorités à «continuer à mettre en œuvre le principe
de représentation équitable et promouvoir la participation effective
de toutes les personnes appartenant aux minorités nationales, dans
la vie publique et dans les processus décisionnels pertinents à
tous les niveaux»
.
119. En ce qui concerne la situation de la communauté rom, nous
avons été informés par le ministère des Affaires sociales des mesures
prises pour toucher les personnes dans le besoin. La situation de
cette communauté et des enfants roms en institution témoigne de
la nécessité pour le pays de mettre en œuvre des politiques inclusives.
Cette initiative s’inscrit dans le cadre d’un plan d’action visant
à éradiquer la pauvreté transgénérationnelle, à mettre en place
un revenu minimum garanti pour 26 000 familles en situation de détresse
sociale (suite à l'adoption des amendements à la loi sur la protection
de l'enfance et à la loi sur la sécurité sociale des personnes âgées
qui sont entrés en vigueur le 23 mai 2019), mettre fin à l'institutionnalisation
des enfants handicapés mentaux
et promouvoir l'intégration
des enfants roms dans l'enseignement préscolaire,
120. Les Roms continuent d’être victimes de discriminations multiples.
Concernant la mise en œuvre de la Convention-cadre, le Comité des
Ministres a demandé aux autorités de «veiller à ce que les représentants
des Roms soient effectivement associés à tous les processus décisionnels
relatifs à la promotion de leur intégration socio-économique, y
compris l’adoption et la mise en œuvre des stratégies et des plans
d’action concernés, et prendre toutes les mesures nécessaires pour
surmonter les obstacles qui subsistent à la délivrance de documents
personnels, à l’enregistrement et aux processus de régularisation
de la propriété»
.
D'autres mesures ont été prises pour identifier les personnes non
enregistrées (notamment les Roms). En 2018, 700 personnes ont pu
être identifiées et inscrites dans les registres, ce qui leur permet
d'accéder aux services sociaux, sanitaires et éducatifs.
5.10. Questions en matière de migration
et d’asile
121. Le pays est également confronté
à une grave crise des migrations déclenchée par le conflit en Syrie
et en Irak. Il est traversé par la «route des Balkans», utilisée
par les migrants pour se rendre dans les pays européens comme l’Allemagne
et le Royaume-Uni. Au cours du mois d’août 2015, jusqu’à 3 000 migrants seraient
entrés quotidiennement dans le pays. La Macédoine du Nord, comme
ses voisins, faisait face à cette crise humanitaire avec des ressources
limitées, ce qui a beaucoup affecté le pays
. Des
mesures juridiques ont été prises pour imposer aux migrants de déposer
une demande d’asile dans les trois jours ou de quitter le pays.
D’autres actions plus radicales ont été menées, par exemple la construction
d’obstacles techniques et de clôtures le long de la frontière grecque
pour mettre un terme au passage illégal ou illicite de la frontières
(et, de ce fait, contenir le flot de réfugiés). Les autorités ont
précisé que le transit légal des migrants était autorisé et s'est
déroulé sans heurts jusqu'au début du mois de mars 2016. Après que
les pays situés le long de la "route des Balkans" eurent signalé
qu'ils n'autoriseraient plus l'entrée ou le transit de ces migrants,
le pays est aujourd'hui confronté à "des tentatives de transit illégal
de ressortissants étrangers (migrants illégaux)"
.
122. Dans l’intervalle, une nouvelle loi relative à la protection
internationale et temporaire a été adoptée. Un contrôle efficace
a été assuré à la frontière méridionale, notamment grâce au déploiement
à la frontière d’agents invités des États membres de l’Union européenne,
et un accord sur le statut relatif aux actions du Corps européen
de garde-frontières et de garde-côtes avec l’Union européenne a
été conclu
.
123. Malgré ces mesures et les accords internationaux visant à
gérer les flux de réfugiés, le pays reste soumis à de fortes pressions
en raison de sa situation géographique. Selon les dernières données
publiées par la Commission européenne, le flux reste largement transitoire.
Depuis le début de l’année 2018, environ 32 500 migrants auraient
franchi illégalement la frontière du pays dans les deux sens, notamment
de nombreux Iraniens passant illégalement de la Serbie à la Grèce
.
En 2018, seules 299 personnes ont demandé l’asile en Macédoine du
Nord et six ont obtenu une protection subsidiaire (aucun statut
de réfugié n’a été accordé), alors que la procédure a été close
pour 278 demandeurs d'asile – soit parce qu'ils avaient quitté leur
lieu d'hébergement, soit parce qu'ils ne s'étaient pas présentés
lorsque les autorités du secteur «asile» l'avaient demandé, et qu’ils
n’avaient pas justifié leur absence
.
Les autorités ont également indiqué que 16 895 tentatives de franchissement
illégal de la frontière ont été empêchées à la frontière nationale
.
6. Conclusions
124. Depuis le dernier rapport sur
le dialogue postsuivi avec la Macédoine du Nord publié en 2013, d’importants
changements sont intervenus. Malgré la polarisation de la société
selon des lignes de fracture ethniques et politiques observée en
2013, les principaux partis politiques sont parvenus à surmonter
leurs divergences et à dégager un consensus en s’accordant sur une
feuille de route démocratique contenue dans l’Accord de Pržino de
2015 et 2016. L’accord vise à résoudre des problèmes cruciaux liés
à l’État de droit, au système judiciaire et à la lutte contre la
corruption.
125. Nous avons salué la bonne volonté dont ont fait preuve deux
États membres du Conseil de l’Europe, la Macédoine du Nord et la
Grèce, et les mesures courageuses qu’ils ont prises pour mettre
fin à 27 ans de controverse autour du nom, avec la signature et
la ratification de l’Accord de Prespa. Cet accord constitue une contribution
inestimable à la stabilité de l’ensemble de la région. Nous nous
félicitons également des efforts déployés par les autorités, un
parlement fonctionnel et la population de Macédoine du Nord pour
renforcer les bonnes relations du pays avec ses voisins (en particulier
la Bulgarie) et contribuer à la cohésion de la région.
126. Il est ressorti de nos réunions que la signature de l’Accord
de Prespa a suscité un immense espoir de renforcer l’intégration
euro-atlantique – un objectif stratégique consensuel du pays, transcendant
les partis politiques et les communautés ethniques. Cet accord a
également renforcé l’intention des autorités de poursuivre les réformes
engagées depuis avril 2017, après une crise politique de deux ans
qui a bloqué le processus de démocratisation du pays.
127. Cependant, la société reste polarisée et les blessures du
passé doivent être surmontées. Les mesures prometteuses prises pour
réformer le système judiciaire, renforcer la liberté des médias,
réviser la loi électorale, réformer les services de renseignement
et les services secrets ou prévenir et interdire la discrimination
doivent être accueillies favorablement et soutenues. Elles devraient
également contribuer à assurer l’égalité de tous les citoyens et
à surmonter les clivages politiques et ethniques.
128. La réforme de la justice, en particulier, sera de la plus
haute importance. Dans un contexte de forte méfiance à l’égard du
système judiciaire, la réforme devrait renforcer la responsabilité,
la transparence et l’indépendance des juges – et restaurer la confiance.
Des mesures importantes restent à engager, notamment la réforme
du ministère public. Dans ce contexte, il est nécessaire de veiller
à ce que le Bureau de la procureure spéciale qui a joué un rôle
décisif dans le règlement des affaires extrêmement sensibles qui
ont compromis le fonctionnement des institutions étatiques et judiciaires
si nécessaire à l’État de droit, soit en mesure de travailler, au
sein du ministère public national, sans ingérence politique indue.
129. En conclusion, nous saluons l’attitude constructive des autorités
et leur coopération avec le Conseil de l’Europe. Au cours des deux
dernières années, de nombreuses lois importantes ont été adoptées
ou révisées sur la base des recommandations formulées par la Commission
de Venise, le GRECO et d’autres organes de suivi. Ce processus sera
long et difficile. Il faudra changer les mentalités pour mettre
en œuvre efficacement les lois récemment adoptées.
130. La procédure de postsuivi est un outil qui permet un dialogue
renforcé avec les autorités de la Macédoine du Nord et qui contribue
à faire en sorte que les réformes respectant les normes du Conseil
de l’Europe aboutiront à l’établissement d’institutions pérennes
et responsables. Nous devrions donc proposer à l'Assemblée de décider
de poursuivre le dialogue post-suivi avec la Macédoine du Nord et
d'évaluer, dans le prochain rapport que nous avons l'intention de
préparer en 2022, les progrès réalisés, notamment dans les domaines
suivants:
130.1. la poursuite de la
consolidation d’institutions démocratiques durables et fonctionnelles;
130.2. l’indépendance de la justice, notamment le renforcement
de l’indépendance et de la responsabilité des juges et des procureurs.
L’Assemblée escompte que la réforme du parquet sera menée conformément
aux normes du Conseil de l’Europe et permettra de faire en sorte
que le parquet spécial, qui a joué un rôle important dans le traitement
d’affaires hautement sensibles, soit en mesure de travailler, au
sein du ministère public national, sans ingérence politique indue;
130.3. la lutte contre la corruption, conformément aux recommandations
formulées par le Groupe d’États contre la corruption (GRECO), notamment
en ce qui concerne les affaires de corruption à haut niveau et la
mise en œuvre non sélective des lois et des politiques;
130.4. la consolidation de son cadre électoral, conformément
aux recommandations de la Commission de Venise et aux rapports des
missions d’observation électorale de l’Assemblée;
130.5. la poursuite de politiques inclusives visant à garantir
les droits des minorités, dans l’esprit de l’Accord-cadre d’Ohrid,
y compris pour la communauté rom.
131. Le Conseil de l’Europe est prêt à tout moment à apporter son
expertise pour aider les autorités macédoniennes à se conformer
aux normes européennes. Il continuera à soutenir à la fois cette
période de transition – qui pourrait être une source d’inspiration
pour d’autres États membres du Conseil de l’Europe – et les aspirations
des citoyens à l’intégration européenne.