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Rapport | Doc. 15021 | 03 janvier 2020

Menaces sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes en Europe

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : Lord George FOULKES, Royaume-Uni, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14555, Renvoi 4391 du 25 juin 2018. 2020 - Première partie de session

Résumé

Il est inacceptable que, dans l’Europe des droits de l’homme, des dizaines de journalistes soient agressés physiquement, emprisonnés de façon arbitraire et même assassinés; les responsables de ces crimes restent le plus souvent impunis. Les menaces, le harcèlement, les restrictions juridiques et administratives, et les pressions politiques et économiques indues contre les journalistes sont monnaie courante.

Tous les États membres du Conseil de l’Europe doivent garantir efficacement la sécurité des journalistes, créer un environnement favorable à la liberté des médias et prévenir l’utilisation abusive des lois ou dispositions normatives susceptibles d’affecter cette liberté, sans laquelle il n’y a pas de démocratie. Le droit des journalistes de protéger leurs sources doit être garanti; la violence policière à l’encontre de journalistes doit être condamnée et les sanctions contre toute atteinte à la liberté des médias doivent être dissuasives.

La Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes est un outil essentiel d’alerte et de collaboration qui aide à analyser la situation dans les États membres et à identifier des tendances positives et négatives. Les États membres doivent répondre rapidement et efficacement aux alertes lancées par la Plateforme et coopérer de bonne foi avec celle-ci.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 5 décembre 2019.

(open)
1. Il n’y a pas de vraie démocratie sans liberté d’expression ni sans médias libres, indépendants et pluralistes. Le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire sont fermement déterminés à renforcer la liberté des médias sous tous les angles, parmi lesquels le droit d’accès à l’information, la protection des sources, la protection contre les perquisitions des locaux professionnels et des domiciles privés et contre la saisie de matériel, ainsi que la préservation de l’indépendance éditoriale et de la possibilité d’investiguer, de critiquer et de contribuer aux débats publics sans craindre les pressions ou les interférences. La sécurité des journalistes et autres acteurs des médias est à la base de cette liberté.
2. En vertu de la Convention européenne des droits de l’homme et notamment de son article 10, les États membres ont l’obligation positive d’établir un cadre juridique solide pour que les journalistes et d’autres acteurs des médias travaillent en toute sécurité. Or, les menaces, le harcèlement, les restrictions juridiques et administratives et les pressions politiques et économiques indues sont monnaie courante. Plus grave encore, dans certains pays, des journalistes qui enquêtent sur des affaires de corruption ou d’abus de pouvoir, ou qui expriment simplement des critiques par rapport aux régimes en place et aux leaders politiques, sont agressés physiquement, emprisonnés de façon arbitraire, torturés et même assassinés. À ce titre, l’Assemblée fait référence également à sa Résolution 2293 (2019) «L’assassinat de Mme Daphne Caruana Galizia et l’État de droit, à Malte et ailleurs: veiller à ce que toute la lumière soit faite».
3. D’après les informations publiées par la Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes («la Plateforme») depuis 2015 jusqu’au 25 novembre 2019, 26 journalistes ont été tués, dont 22 cas d’impunité pour meurtre, 109 journalistes se trouvent actuellement en détention et 638 violations graves de la liberté de la presse ont été commises dans 39 pays. Les menaces sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes sont devenues si nombreuses, récurrentes et graves, qu’elles mettent en danger non seulement le droit des citoyens d’être correctement informés, mais aussi la stabilité et le bon fonctionnement de nos sociétés démocratiques.
4. Les organes du Conseil de l’Europe, y compris l’Assemblée parlementaire, doivent poursuivre leur action en faveur d’un environnement sûr pour les journalistes et autres acteurs des médias dans tous les pays d’Europe et au-delà, et se mobiliser pleinement pour inciter les États membres à remédier rapidement et efficacement à toute menace qui pèse sur la liberté des médias, en encourageant vivement et en soutenant la mise en œuvre des réformes qui s’imposent à cet égard.
5. L’Assemblée appelle par conséquent les États membres à protéger plus efficacement la sécurité des journalistes et la liberté des médias. Pour ce faire, les États membres doivent:
5.1. mettre pleinement en œuvre la Recommandation CM/Rec(2016)4 sur la protection du journalisme et la sécurité des journalistes et autres acteurs des médias;
5.2. mener à bien des enquêtes indépendantes, rapides et efficaces sur les infractions commises à l’encontre de journalistes, telles que les assassinats, les agressions ou les mauvais traitements, et traduire en justice les auteurs, les instigateurs, les exécutants et les complices responsables au regard de la loi, en veillant à ce qu’il n’y ait pas d’impunité pour les actes de violence commis contre des journalistes;
5.3. mettre en place des mécanismes nationaux conformes au Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité, tout en veillant à ce que ces mécanismes bénéficient d’un fort soutien politique et opérationnel, tant au niveau de leur conception que de leur mise en œuvre, ainsi que d’une solide coordination interinstitutionnelle associée à un véritable partenariat avec la société civile, notamment les syndicats et associations de journalistes, et les organisations de défense de la liberté des médias;
5.4. lutter contre le harcèlement en ligne des journalistes, notamment des femmes journalistes et des journalistes appartenant à des minorités, et accroître la protection des journalistes d’investigation et des lanceurs d’alerte;
5.5. soutenir la création de dispositifs d’alerte précoce et d’intervention rapide, tels que les permanences téléphoniques ou les points de contact en cas d’urgence, pour s’assurer que les journalistes ont un accès immédiat à la protection lorsqu’ils sont menacés;
5.6. accorder une attention particulière au nombre croissant d’attaques menées contre des journalistes et organes de presse de la part de groupes d’extrémistes et d’organisations criminelles et prendre les mesures préventives qui s’imposent lorsque des journalistes sont face à un danger réel et imminent pour leur vie et leur sécurité;
5.7. améliorer la coopération et l’échange d’informations, d’expertise et de bonnes pratiques avec d’autres Etats chaque fois que des crimes commis contre des journalistes ont une dimension transfrontalière ou impliquent le cyberespace;
5.8. doubler les textes législatifs protégeant les journalistes d’un dispositif d’application de la loi et de mécanismes de recours pour les victimes et leurs famille qui soient effectifs dans la pratique;
5.9. éviter l’arrestation et l’extradition de journalistes en exil vers leur pays d’origine s’ils risquent d’y être réprimés et persécutés.
6. L’Assemblée appelle les États membres à créer un environnement favorable et propice pour les médias et à revoir leur législation en ce sens, afin de prévenir le recours abusif à différentes lois ou dispositions susceptibles d’avoir une incidence sur la liberté des médias, notamment celles sur la diffamation, la lutte contre le terrorisme, la sécurité nationale, l’ordre public, le discours de haine, le blasphème et la mémoire, qui sont bien trop souvent appliquées pour intimider les journalistes et pour les réduire au silence. À ce titre, les États membres doivent notamment:
6.1. ne pas prévoir de sanctions pénales pour des infractions commises par les médias – en particulier des peines d’emprisonnement, la fermeture d’organes de presse ou le blocage de sites internet et de réseaux sociaux – sauf en cas d’atteinte grave à d’autres droits fondamentaux, par exemple de propos haineux ou d’incitation à la violence; veiller à ce que ces sanctions ne soient pas appliquées de manière discriminatoire ni arbitraire contre des journalistes;
6.2. consacrer et garantir le respect du droit des journalistes de protéger leurs sources et concevoir un cadre normatif, judiciaire et institutionnelle adéquat pour protéger les lanceurs d’alerte et les facilitateurs d’alerte, conformément à la Résolution 2300 (2019) de l’APCE «Améliorer la protection des lanceurs d’alerte partout en Europe»;
6.3. faciliter le travail des journalistes dans des contextes spécifiques, notamment dans les zones de conflits ou les rassemblements publics;
6.4. condamner fermement la violence policière à l’encontre de journalistes et mettre en place des sanctions dissuasives à cet égard;
6.5. élaborer des programmes de formation spécifiques pour les agents des services répressifs chargés d’honorer leurs obligations en matière de protection des journalistes;
6.6. éviter tout recours abusif à des dispositifs administratifs, tels que des régimes d’enregistrement ou d’accréditation, et des régimes fiscaux en vue de harceler les journalistes ou de les mettre sous pression;
6.7. concevoir des mécanismes constructifs et non discriminatoires de dialogue avec des commissions pérennes ou ad hoc de médias et de journalistes, réunissant politiques, juges, procureurs, policiers, journalistes et rédacteurs, pour examiner les problèmes liés à la sécurité des journalistes, et chercher des solutions dans un cadre collaboratif, tout en accordant une attention particulière à la nécessité d’assurer une protection efficace aux journalistes d’investigation, ainsi qu’à la plus grande vulnérabilité des femmes journalistes et à la fragilité des freelances.
7. L’Assemblée condamne la montée de comportements agressifs et d’attaques verbales violentes de la part de personnalités politiques et de représentants des pouvoirs publics à l’encontre de journalistes et appelle tous les dirigeants politiques à lutter contre ce phénomène.
8. L’Assemblée note avec inquiétude que les médias de service public subissent des pressions croissantes dans la plupart des régions d’Europe et se heurtent à des restrictions de ressources et à de nouvelles dispositions législatives et réglementaires qui limitent leur indépendance ou réduisent leur champ d’action. L’Assemblée réaffirme et salue le rôle crucial des médias de service public dans une société démocratique et appelle une fois encore les États membres à garantir qu’ils disposent de ressources adéquates et durables et que leur indépendance éditoriale et leur autonomie institutionnelle sont préservées.
9. Alors que les problèmes susmentionnés ou au moins certains d’entre eux sont observés à des degrés divers dans la plupart des pays, l’Assemblée se doit de noter que la situation dans certains États membres est très préoccupante pour ce qui concerne la liberté des médias et la sécurité des journalistes. Dans ce contexte, l’Assemblée appelle tout particulièrement:
9.1. l’Azerbaïdjan à modifier radicalement l’environnement hostile constaté qui entrave fortement la liberté des médias, et en particulier à:
9.1.1. interdire toute utilisation abusive du droit pénal visant à réduire au silence les journalistes indépendants, qui sont aujourd’hui systématiquement menacés d'accusations criminelles non fondées, de preuves forgées de toutes pièces et de peines d’emprisonnement injustifiées;
9.1.2. examiner de toute urgence toutes les affaires concernant les journalistes et les professionnels des médias incarcérés, et libérer tous ceux qui sont détenus sans preuves d’activités criminelles sérieuses et suffisamment étayées;
9.1.3. s’abstenir d’adopter des mesures administratives restrictives, comme une interdiction de voyager pour les journalistes, qui limitent leur liberté à informer convenablement le public;
9.1.4. mettre fin au harcèlement juridique des agences de presse indépendantes, mené par exemple au moyen d’accusations fallacieuses de fraude fiscale ou de sous-déclaration des bénéfices;
9.1.5. cesser de bloquer systématiquement l’accès aux sites d’information en ligne indépendants;
9.1.6. cesser toute pression administrative et politique contre la seule agence de presse indépendante Turan et contre l’Institut pour la liberté et la sécurité des journalistes (IRFS);
9.2. la Hongrie à régler immédiatement le grave problème qui se pose pour le pluralisme des médias, à savoir que le conglomérat économique et politique biaisé de licences de média, qui concentre 78% des médias hongrois, en association étroite avec le parti au pouvoir, est en totale contradiction avec la liberté d’expression et d’information;
9.3. Malte à:
9.3.1. mettre fin de toute urgence au climat d’impunité qui prévaut et mettre en application la Résolution n° 2293 (2019) de l’APCE. À cet égard, l'Assemblée se félicite de l'annonce récente de la révision du mandat et de la composition d'une enquête publique indépendante sur le meurtre de Daphne Caruana Galizia, à la suite des préoccupations exprimées dans la Déclaration de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’APCE;
9.3.2. abroger, ainsi que le recommande la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, toute loi autorisant les poursuites posthumes dans les affaires de diffamation, visant des journalistes, à l’encontre de leurs héritiers. Il est inacceptable que plus de 30 procédures civiles en diffamation engagées à titre posthume à l’encontre de la famille de Daphne Caruana Galizia soient toujours en cours;
9.4. la Fédération de Russie – qui détient le triste record d’alertes concernant des attaques graves et des actes de harcèlement et d’intimidation visant des journalistes – à prendre des mesures à effet immédiat pour:
9.4.1. s’atteler au problème de la violence à l’encontre de journalistes, notamment les meurtres, les agressions physiques et les menaces, les arrestations, les emprisonnements et le harcèlement en ligne dont ils sont victimes; prendre des mesures correctrices pour empêcher de tels crimes et mettre fin au climat d’impunité qui encourage de nouvelles attaques; ceux qui ont commis ou commandité ces crimes doivent être traduits en justice;
9.4.2. empêcher les violences policières à l’encontre des journalistes, comme celles qui se sont produites pendant les manifestations de juillet‑août 2019 à Moscou; imposer des sanctions dissuasives aux policiers responsables de cet inacceptable abus de pouvoir;
9.4.3. mettre fin à l’intimidation des journalistes au moyen d’arrestations et d’incarcérations reposant sur des accusations fallacieuses de trafic de drogue ou autres, afin d’empêcher toute enquête journalistique sur la corruption ou les abus de pouvoir, comme dans le cas du journaliste Ivan Golounov;
9.4.4. faire cesser le recours abusif à des lois contre le terrorisme en vue d’appliquer la censure aux médias, comme dans le cas de la journaliste Svetlana Prokopieva, qui a été accusée de «justifier publiquement le terrorisme» et qui encourt jusqu’à sept ans de prison, pour avoir exprimé, à la radio, son opinion sur le suicide d’un adolescent;
9.4.5. revoir le mandat de l’autorité fédérale de régulation des médias en Russie, Roskomnadzor, afin de limiter ses pouvoirs excessifs en matière de contrôle et de censure des médias, y compris les médias en ligne; tout blocage des organes de presse indépendants sans avertissement ni explication, comme cela s’est produit récemment pour le site d’information en ligne Fergana, équivaut à un acte de censure qui est incompatible avec la liberté des médias;
9.4.6. modifier la loi récente sur les fausses informations et le manque de respect envers l’État, les autorités et la société, et la mettre en conformité avec les normes du Conseil de l’Europe; les interdictions générales frappant la diffusion d’informations fondées sur des idées vagues et ambiguës, dont les «fausses informations» ou les «informations non objectives», sont incompatibles avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et doivent être abolies; elles produisent un effet dissuasif d’autocensure sur les journalistes et les autres professionnels des médias et permettent au gouvernement de faire taire toute critique contre le pouvoir en place, en envoyant en prison les journalistes et les bloggeurs qui s’y opposent, et de déterminer la composition du paysage médiatique en contraignant les agences de presse à supprimer les contenus qualifiés par les autorités de «socialement dangereux» ou d’«irrespectueux» ou en bloquant leur site internet;
9.4.7. mettre un terme à la discrimination dont font l’objet les principales organisations de défense des médias en étant qualifiées d’«agents de l’étranger»; rappeler le nouveau projet de loi adopté par la Douma d’Etat qui étend le statut d '«agents de l’étranger» aux journalistes et blogueurs indépendants recevant des subventions, des salaires ou des rémunérations pour des travaux spécifiques de toute source étrangère: le marquage des informations publiées par des journalistes indépendants et des blogueurs avec le label «agent de l’étranger» aura un effet paralysant sur la liberté d'expression et des médias;
9.5. la Turquie – pays qui détient le record du nombre de journalistes emprisonnés dans l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe – à prendre des mesures à effet immédiat pour:
9.5.1. cesser d’utiliser de façon abusive le code pénal et les lois sur la lutte contre le terrorisme pour réduire au silence les organes de presse et les journalistes: ces derniers font l’objet d’arrestations et de détentions pré-sentencielles arbitraires, et sont incarcérés pendant des mois, et parfois des années, avant d’être traduits en justice; la Cour européenne des droits de l’homme a systématiquement condamné ces détentions car elles constituent une restriction réelle et effective de la liberté d’expression qui conduit à l’autocensure;
9.5.2. conformément à la Résolution n° 2121 (2016) de l'APCE, abroger l’article 299 (offense au Président de la République), abroger ou modifier l’article 301 (dénigrement de la nation turque, de l’État de la République turque, des organes et des institutions de l’État) et assurer une interprétation stricte de l’article 216 (incitation à la violence, à la résistance armée ou au soulèvement) et de l’article 314 (appartenance à une organisation armée) de son code pénal, qui, selon à la Commission de Venise, contient des sanctions excessives et s’applique de manière trop générale contre la liberté d’expression et d’information;
9.5.3. faire en sorte que les organes de presse qui ont été fermés, dont le nombre est supérieur à 150, et les quelque 10 000 employés des médias qui ont été licenciés après le coup d’État manqué de 2016, aient accès à des voies de recours internes efficaces et, le cas échéant, obtiennent une indemnisation appropriée;
9.5.4. supprimer des lois récemment adoptées toutes les dispositions des décrets d’urgence abolis qui ont été conservées et qui rendent possible l’application de mesures radicales contre les médias;
9.5.5. s’assurer que la réglementation nouvellement introduite, qui autorise le Conseil suprême de la radio et de la télévision à exercer un contrôle strict sur les médias en ligne, respecte strictement la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme;
9.5.6. réviser la Loi internet afin d’éviter tout blocage inutile et injustifié de l’accès aux ressources en ligne pour des motifs de «sécurité nationale»;
9.5.7. dans le cadre de la Stratégie sur la réforme judiciaire qui a été annoncée, se concentrer sur la garantie de la sécurité des journalistes, et veiller, dans ce contexte, à ce que des mesures significatives soient prises pour renforcer la liberté d’expression et des médias et garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire, conformément aux normes du Conseil de l’Europe.
10. L’Assemblée se félicite de l’attitude constructive d’un certain nombre d’États membres manifestée jusqu’à présent à l’égard de la Plateforme et des alertes qui y sont publiées. Par exemple, la France et l’Ukraine ont mis en place des mécanismes de réponse pour coordonner un suivi adéquat des alertes et pour y trouver des solutions. Aux Pays‑Bas, le ministère public, les autorités policières et les organes de presse ont conclu un accord afin d’adopter des mesures de prévention et de coordonner les réponses aux actes de violence. Il convient par ailleurs de saluer les progrès encourageants réalisés en Macédoine du Nord, où les pressions et les poursuites à l’encontre de journalistes ont nettement diminué.
11. En espérant que tous les États membres prendront conscience de la valeur ajoutée qu’apporte la Plateforme et de l’importance que représente la contribution de ses partenaires pour le Conseil de l’Europe, l’Assemblée appelle les États membres à:
11.1. soutenir sans réserve la Plateforme et à coopérer de manière effective et efficace à ses travaux, notamment en participant financièrement à son bon fonctionnement;
11.2. mettre en place des mécanismes de réponse adéquats et apporter des réponses circonstanciées aux alertes postées sur la Plateforme, par la recherche de mesures correctives rapides et l’adoption de mesures ciblées pour éviter les cas répétitifs;
11.3. tenir compte de la façon dont d’autres États membres améliorent leur collaboration avec les partenaires de la Plateforme, en s’employant à suivre les exemples positifs et à appliquer les bonnes pratiques;
11.4. favoriser la mise en place d’autres plateformes techniques transnationales similaires, sur lesquelles les professionnels des médias pourraient signaler toute menace contre leur sécurité.
12. Enfin, l’Assemblée appelle les parlements nationaux à faire en sorte que les gouvernements agissent dans le plein respect des principes et des normes du Conseil de l’Europe relativement au droit à la liberté d’expression, y compris la liberté des médias et la sécurité des journalistes. Les parlements nationaux doivent être les garants de ce droit et s’assurer de l’engagement total de l’appareil étatique à tous les niveaux, que ce soit au niveau politique, législatif, judiciaire, répressif et éducatif. Dans cette optique, les parlements nationaux devraient tenir davantage compte des travaux du Conseil de l’Europe et porter notamment à l’attention des commissions concernées les recommandations du Comité des Ministres et les rapports et résolutions de l’APCE, et s’appuyer sur ces textes lorsqu’ils rédigent des textes de loi en lien avec la liberté des médias et la sécurité des journalistes.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté par la commission le 5 décembre 2019.

(open)
1. Renvoyant à sa Résolution … (2019) «Menaces sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes en Europe», l’Assemblée parlementaire rappelle que le droit à la liberté d’expression et des médias libres, indépendants et pluralistes sont des conditions fondamentales d’une véritable démocratie. La sécurité des journalistes et des autres acteurs des médias est à la base de cette liberté. Les États membres ont l’obligation positive d’établir un cadre juridique solide pour que les journalistes et les autres acteurs des médias travaillent dans des conditions de sécurité.
2. Cependant, les menaces, le harcèlement, les restrictions juridiques et administratives et les pressions politiques et économiques indues sont très répandus. Dans certains pays, des journalistes qui enquêtent sur des affaires de corruption ou d’abus de pouvoir, ou qui expriment simplement des critiques par rapport aux dirigeants politiques et aux gouvernements en place, sont agressés physiquement, emprisonnés de façon arbitraire, torturés et même assassinés.
3. Les menaces sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes sont devenues si nombreuses, récurrentes et graves, qu’elles mettent en danger non seulement le droit des citoyens d’être correctement informés, mais aussi la stabilité et le bon fonctionnement de nos sociétés démocratiques. Le Conseil de l’Europe doit se mobiliser pleinement pour inciter les États membres à remédier rapidement et efficacement à ces menaces, en exhortant et en soutenant les réformes nécessaires à cet effet.
4. Dans ce contexte, la Plateforme pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes est un outil de collaboration essentiel qui aide à sensibiliser à la situation dans les États membres et à identifier des tendances positives et négatives. En outre, la Plateforme encourage les efforts conjoints et les actions plus synergiques des différentes parties prenantes et fournit des repères pour la conception et la mise en œuvre effective des stratégies nationales visant à défendre la liberté des médias et la sécurité des journalistes.
5. Afin de renforcer le rôle de la Plateforme et d'exploiter tout son potentiel, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
5.1. d’encourager les États membres à réagir promptement et de manière substantielle aux alertes en prenant les mesures correctives appropriées;
5.2. de tenir des échanges réguliers au sein du Comité sur les alertes publiées sur la Plateforme et sur les mesures de suivi prises par les États membres;
5.3. d’organiser un dialogue annuel avec les partenaires de la Plateforme, sur la base de leur rapport annuel, afin d'identifier les défis systémiques concernant la liberté des médias et la sécurité des journalistes dans les États membres, ainsi que les solutions possibles pour relever ces défis;
5.4. de considérer la Plateforme et ses alertes sur la violation de la liberté des médias et de la sécurité des journalistes comme base pour définir des priorités et évaluer les progrès de la stratégie de mise en œuvre de la Recommandation CM/Rec(2016)4 sur la protection du journalisme et la sécurité des journalistes et autres acteurs des médias;
5.5. de mettre à disposition les ressources et le soutien nécessaires pour donner à la Plateforme plus de visibilité, de reconnaissance et d’impact.

C. Exposé des motifs par Lord Foulkes, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le Conseil de l’Europe est fermement déterminé à améliorer la protection des journalistes et à renforcer la liberté des médias. En plus des obligations fondamentales qui découlent de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et en particulier – mais pas seulement – de son article 10, les instruments normatifs 
			(3) 
			Voir
en particulier: <a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=090000168064147b'>Recommandation
CM/Rec(2016)4</a> du Comité des Ministres (CM) sur la protection du journalisme et
la sécurité des journalistes et autres acteurs des médias, et la <a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680790e36'>Recommandation
CM/Rec(2018)1</a> sur le pluralisme des médias et la transparence de leur
propriété. adoptés par le Comité des Ministres fournissent aux États membres des recommandations claires pour les aider à instaurer un cadre juridique solide permettant de garantir la liberté des médias ainsi que la sécurité des professionnels de ce domaine.
2. Les rapports périodiques du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe ont beaucoup contribué à attirer l’attention des États membres sur la nécessité de rendre cette protection plus efficace. En outre, la liberté des médias est un thème central de l’action de la Commission de Venise et de la Commissaire aux droits de l’homme ainsi que des travaux du Comité directeur sur les médias et la société de l’information (CDMSI). Et quant à l’Assemblée parlementaire, elle a constamment accordé une attention particulière aux problèmes liés à la liberté des médias et à la sécurité des journalistes, ainsi qu’aux conditions indispensables au bon fonctionnement des médias.
3. La création, en 2015, de la Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes (ci-après «la Plateforme») a constitué une évolution majeure. Cette Plateforme est la réponse apportée aux demandes faites par des organisations de journalistes et des groupes de défense de la liberté de la presse ainsi qu’aux appels répétés de notre Assemblée. Elle effectue un important travail de veille et de collecte d’informations par le biais d’organisations partenaires. Elle produit des statistiques et des rapports périodiques, dont le but est d’alerter la communauté internationale et de responsabiliser les États membres, qui ont l’obligation positive de protéger la liberté des médias et la sécurité des journalistes.
4. Malgré tous ces efforts, le contexte dans lequel les journalistes et les médias travaillent aujourd’hui est non seulement insatisfaisant, mais souvent assez préoccupant: dans de nombreux États membres, menaces, harcèlement, restrictions juridiques et administratives, pressions politiques et économiques injustifiées sont monnaie courante. Plus grave encore, des journalistes qui enquêtent sur des affaires de corruption ou d’abus de pouvoir, ou qui ne font que critiquer des régimes ou des responsables politiques, sont agressés physiquement, emprisonnés de façon arbitraire, torturés et même assassinés. Cette tendance sans précédent constitue une grave menace pour le fonctionnement de nos sociétés démocratiques.
5. Les pressions qui s’exercent sur les médias de service public sont de plus en plus fortes: coupes budgétaires, attaques lancées par les partis au pouvoir pour obtenir la modification d’une ligne éditoriale ou le retrait de journalistes indésirables et restriction des compétences dévolues au service public.
6. Dans le présent rapport, je me propose d’analyser la manière dont évoluent les menaces contre la liberté des médias et la sécurité des journalistes depuis 2017. Je m’appuierai pour ce faire sur les informations publiées par la Plateforme et par d’autres mécanismes d’alerte rapide, mais aussi sur des analyses plus politiques concernant la situation dans des pays où les atteintes à la liberté des médias sont moins spectaculaires, mais où des pressions politiques et économiques sur les médias, notamment de service public, conduisent à l’autocensure.
7. La première partie du rapport met en lumière les menaces qui pèsent sur les journalistes et les médias de façon générale dans les États membres. Dans la deuxième partie, j’examine les tendances qui sont apparues pendant la période couverte par le rapport. Malheureusement, il apparaît que certains pays ont élaboré des stratégies qui fragilisent l’«écosystème médiatique» et sapent graduellement le pluralisme et l’indépendance des médias. Dans la troisième partie, je décris brièvement le fonctionnement de la Plateforme et je propose quelques idées pour améliorer l’efficacité de son action et la rendre plus visible.
8. Mon analyse prend appui sur le rapport d’expert de M. Marc Gruber 
			(4) 
			Expert
des médias et de la communication, France., que je remercie chaleureusement pour son excellent travail. J’ai aussi pris en compte les contributions d’autres experts 
			(5) 
			M. Mogens Blicher Bjerregård,
Président de la Fédération européenne des journalistes, Bruxelles;
Mme Flutura Kusari, Conseillère juridique,
Centre européen pour la liberté de la presse et des médias, Leipzig;
Mme Sophie Busson, Responsable du plaidoyer,
Reporters sans frontières, Paris; Mme Joy
Hyvarinen, Responsable du plaidoyer, Index on Censorship, Londres;
Mme Roberta Taveri, Agent de programme,
équipe Europe & Asie Centrale, ARTICLE 19, Londres; M. Giacomo
Mazzone, Responsable des relations institutionnelles et avec les
membres, Union Européenne de Radio-Télévision (UER), Genève; M. Ricardo
Gutiérrez, Secrétaire général, Fédération européenne des journalistes,
Bruxelles; M. Thomas Friang, Responsable du plaidoyer, Reporters
sans frontières, Paris; Dr Moez Chakchouk, Sous-directeur général
pour la communication et l'information, UNESCO; Mme Herdis
Kjerulf Thorgeirsdottir, Première Vice-Présidente de la Commission
de Venise, Conseil de l'Europe; Ambassadeur Thomas Schneider, Président
du Comité directeur sur les médias et la société de l'information
(CDMSI), Conseil de l'Europe; M. Matjaz Gruden, Directeur de la
Participation démocratique, Conseil de l’Europe; Mme Jessica
Ní Mhainín, Responsable de la recherche sur les politiques et du plaidoyer,
Index on Censorship, Londres; M. Tom Gibson, Représentant auprès
de l’Union Européenne, Comité pour la protection des journalistes,
Bruxelles. et de plusieurs membres de la commission.

2. Tour d’horizon des menaces à l’encontre des journalistes et des médias

9. Selon le rapport annuel 2019 de la Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes (ci-après «la Plateforme»), ces dernières années le nombre d’alertes concernant les menaces graves à la vie des journalistes ont fortement augmenté, doublant presque chaque année depuis 2015. Cette augmentation passe notamment par une nette recrudescence des insultes et des violences verbales et de la stigmatisation publique des médias et des journalistes, y compris par des élus ou par des représentants des autorités. Cette première partie fournit un tour d’horizon de ces menaces de 2017 à 2019 sans pour autant être exhaustive.

2.1. Atteintes directes, graves et ciblées: les assassinats de journalistes et la question de l’impunité

10. Ces attaques sont les plus préoccupantes pour la profession et pour les organisations de la société civile. Selon les alertes de la Plateforme, 10 journalistes ont été tués depuis 2017 mais la liste ci-dessous ne reprend pas certains d’entre eux, notamment lorsque l’enquête a montré que la mort n’est pas liée à leur profession (Viktoria Marinova en Bulgarie) ou parce que leur mort dépasse le cadre du présent rapport (le saoudien Jamal Khashoggi tué dans les locaux du consulat de son pays en Turquie), ou parce que la mort a eu lieu dans un contexte non ciblé 
			(6) 
			Le journaliste italien
Antonio Megalizzi, par exemple, qui se trouvait dans les rues de
Strasbourg après son travail lors d’une attaque terroriste le 11
décembre 2018..
11. Danemark: Le 10 août 2017, la journaliste freelance Kim Wall a été portée disparue après un voyage à bord d'un sous-marin pour interviewer son inventeur, Peter Langkjær Madsen. Le 23 août 2017, la police danoise a identifié un torse sans tête comme étant celui de Kim Wall. Peter Madsen a été arrêté puis condamné à perpétuité pour le meurtre de la journaliste en septembre 2018.
12. Malte: Le 16 octobre 2017, la journaliste et blogueuse anti-corruption Daphne Caruana Galizia a été tuée dans l’explosion de sa voiture alors qu’elle avait reçu des menaces de mort lors des semaines précédentes. En décembre 2017, trois personnes accusées d'avoir fabriqué la bombe sont inculpées et maintenues en détention; en juillet 2019, elles ont été officiellement accusées du meurtre. L’enquête concernant l’identité du ou des commanditaires du meurtre en est actuellement, selon la police maltaise, à un «stade avancé». Le 20 septembre 2019, le gouvernement maltais a ordonné l’ouverture d’une enquête publique sur l’assassinat, à la suite de la Résolution n° 2293 (2019)de l’APCE exigeant la mise en place, dans les trois mois, d’une enquête publique indépendante sur ce meurtre. Toutefois, dans une Déclaration du 30 septembre 2019, la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’APCE a exprimé de vives préoccupations quant à l’indépendance et à l’impartialité des trois membres nommés par le Premier ministre pour diriger l’enquête. Le 31 octobre 2019, les organisations partenaires de la Plateforme ont décidé de transférer cette alerte dans la catégorie «impunité pour meurtre», sur la base de leur évaluation du manque de progrès suffisants dans l'enquête sur cette affaire. Le 15 novembre 2019, le Gouvernement a annoncé que deux membres de l’enquête publique sur l’assassinat de Daphne Caruana Galizia, à la suite des préoccupations concernant leurs impartialité, exprimées par la famille de la journaliste défunte, seraient remplacés, et que son mandat serait révisé. Le 18 novembre 2019, la police a arrêté Melvin Theuma, qui serait l'intermédiaire entre les trois suspects existants et la personne qui a ordonné l'assassinat. Le 20 novembre 2019, la police maltaise a arrêté Yorgen Fenech, l'un des hommes d'affaires les plus importants du pays, dans le cadre d'une enquête sur le meurtre de la journaliste Daphne Caruana Galizia. Fenech a été arrêté après l'interception et la fouille de son yacht. Après l’arrestation de Yorgen Fenech et une série d’investigations, le gouvernement a décidé de recommander la grâce présidentielle pour Melvin Theuma, l’intermédiaire présumé, tandis que la demande de grâce présidentielle de Yorgen Fenech a été rejetée. Le 30 novembre 2019, Yorgen Fenech a été traduit en justice et accusé, entre autres, d’association de malfaiteurs et de complicité dans l’assassinat de Daphne Caruana Galizia. Cette mise en accusation est le résultat d’une vaste enquête menée par la police maltaise avec l’assistance et la collaboration de plusieurs services de police internationaux, en particulier Europol et le FBI.
13. Royaume-Uni: Le 18 avril 2019, la journaliste Lyra McKee a été tuée d’une balle dans la tête lors d’un reportage sur des affrontements dans le quartier de Creggan à Derry/Londonderry (Irlande du Nord). Le 23 avril 2019, les enquêteurs ont arrêté une femme de 57 ans, puis l’ont relâchée sans inculpation. Ultérieurement, le groupe extrémiste «New IRA» a reconnu sa responsabilité, offrant «des excuses complètes et sincères» à la famille de la journaliste et à ses amis, tout en ajoutant que la journaliste «se tenait à côté des forces ennemies» (la police britannique).
14. Fédération de Russie:
  • 9 mars 2017: le journaliste et cofondateur du journal Novy Petersburg, Nikolai Andrushchenko, a été battu par des inconnus à Moscou. Il avait déjà été agressé deux fois auparavant. Il est décédé le 19 avril 2017 après deux semaines d’hospitalisation;
  • 15 avril 2017: Maksim Borodin, correspondant d'investigation à Ekaterinbourg pour le site d'information indépendant Novy Den, est décédé après être tombé du balcon de son appartement au cinquième étage trois jours plus tôt. Les collègues de M. Borodin et les organisations de la société civile ont demandé l’ouverture d’une enquête mais la police russe n'a pas réagi, faute d’éléments suspects selon elle;
  • 24 mai 2017: le journaliste d’investigation Dmitry Popkov, rédacteur en chef et cofondateur du Ton-M, a été abattu de cinq balles par des individus non identifiés, dans son jardin dans la ville de Minoussinsk, près de Krasnodar.
15. République slovaque: Le 21 février 2018, le journaliste d’investigation Ján Kuciak et sa compagne Martina Kusnirova ont été tués à leur domicile, provoquant un vif émoi au sein de la classe politique et de la société dans son ensemble. Il enquêtait notamment sur les liens présumés entre des hommes politiques slovaques et la mafia italienne, ainsi que sur des fraudes autour des fonds agricoles européens. Le 8 mars 2019, l'homme d'affaires et milliardaire slovaque Marian Kocner, dont le nom apparaissait dans les enquêtes de M. Kuciak, a été inculpé pour avoir ordonné le meurtre.
16. Turquie: Le 29 avril 2017, Saeed Karimian, fondateur et président de la société télévisée de langue perse GEM TV, a été abattu à Istanbul par des individus masqués. Quelques jours plus tard deux personnes accusées de l'assassinat ont été arrêtées en Serbie avec de faux passeports en route pour l'Iran. Le parquet général d’Istanbul a ouvert une enquête sur cette affaire.
17. Même si le contexte de chacun de ces meurtres est bien spécifique, on peut cependant noter que certains d’entre eux ont fait l’objet d’enquêtes poussées qui ont été résolues tandis que d’autres n’ont donné lieu qu’à peu de réactions: ni réponse officielle des autorités aux alertes, ni résultat tangible sur les exécutants ou sur les commanditaires des assassinats. Ce silence laisse planer un doute sur la volonté des autorités et sur le sérieux de la police à résoudre ces affaires. Le rapport annuel 2019 de la Plateforme du Conseil de l’Europe nous indique qu’en 2018, 26 alertes ont été lancées sur cette Plateforme sur des cas d’impunité, dont 17 d’assassinat de journalistes (deux en Azerbaïdjan, un au Monténégro, six dans la Fédération de Russie, un en Serbie, deux en Turquie et cinq en Ukraine). Une alerte distincte sur un cas d’impunité en Serbie (publiée le 10 août 2018) relève 14 affaires non résolues de meurtres, kidnapping et disparitions de journalistes serbes et albanais entre 1988 et 2005. D’autres alertes sont liées à des affaires non résolues d’agressions graves de journalistes.

2.2. Attaques, agressions physiques et verbales d’origine non-étatique

18. La période 2017-2019 se caractérise par une nette recrudescence de menaces envers les journalistes, qu’elles soient ciblées ou générales, d’origine identifiée ou non. Il s’agit en particulier de harcèlement en ligne dans l’environnement numérique, notamment via les médias sociaux qui propagent des messages de haine, de violence ou d’hostilité, mais également d’agressions réelles, notamment lors de manifestations. De nombreux journalistes d’investigation sont menacés de manière constante et vivent sous protection policière. Il est à noter que deux pays qui étaient peu touchés par ce phénomène sont à présent également affectés: la France et l’Allemagne. Cette partie fournit un tour d’horizon des principaux cas d’origine non-étatique par ordre alphabétique 
			(7) 
			Sauf
indication contraire, les sources d’informations proviennent de
la Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection
du journalisme et la sécurité des journalistes: <a href='https://www.coe.int/fr/web/media-freedom'>https://www.coe.int/fr/web/media-freedom.</a>:
19. Albanie: Le 8 mars 2017, Elvi Fundo, directeur du portail en ligne Citynews.al et Radio Best, a été battu par des assaillants non identifiés près de la gare de Tirana. Le 29 août 2018, une personne a tiré à l’arme automatique sur le domicile des parents de la journaliste Klodiana Lala.
20. Allemagne: Alors que le nombre d’attaques contre les journalistes avait diminué en 2016 et 2017, la tendance s’est radicalement inversée en 2018 du fait de manifestants d’extrême-droite. Sur les 26 agressions perpétrées contre des journalistes en Allemagne en 2018, 22 ont été perpétrées par des extrémistes de droite 
			(8) 
			<a href='https://www.ecpmf.eu/get-help/fact-finding-missions/concept-of-the-enemy-2018-review-en'>https://www.ecpmf.eu/get-help/fact-finding-missions/concept-of-the-enemy-2018-review-en</a>., notamment le 28 avril 2018 quand deux photographes indépendants ont été blessés après avoir été pourchassés à travers la campagne de Thuringe par des néo-nazis armés de battes de baseball, de couteaux, d'une clé anglaise et de gaz lacrymogènes. L'un des photographes a été blessé à la tête et l'autre a été poignardé à la cuisse.
21. Arménie: Le 2 avril 2017, Sisak Gabrielian, journaliste à la section arménienne de Radio Free Europe (RFE), a été agressé par des militants du Parti républicain d’Arménie (HHK), alors qu’il assurait la couverture des élections parlementaires à Erevan. Le 28 septembre 2017, Nariné Avetisyan, rédactrice en chef de la chaîne de télévision Lori à Vanadzor, a été agressée lors d’un reportage sur le goudronnage d’une route par le responsable de la société de construction.
22. Bosnie-Herzégovine: Plusieurs agressions et de nombreuses intimidations ont eu lieu dans le pays. Le 20 février 2018, Nedzad Latic, journaliste et rédacteur en chef du portail The Bosnian Times, a été attaqué à Sarajevo, blessé à la tête et hospitalisé 
			(9) 
			Deux jours plus tard
un suspect aurait été arrêté pour implication dans l'agression mais
aucun détail n'est connu.. Le 26 juillet 2018, un groupe de journalistes est agressé avec une barre de métal lors d'une manifestation de vétérans militaires à Sarajevo. Le 20 août 2018, un groupe de quinze personnes masquées a attaqué le véhicule de quatre journalistes et employés de la radiotélévision publique BHRT. Le 26 août 2018, deux personnes masquées ont frappé avec des barres de métal le correspondant de BN TV, Vladimir Kovačević à Banja Luka 
			(10) 
			Le
10 septembre 2018, la police a arrêté un individu suspecté d'avoir
participé à l'attaque.. Outre ces attaques, d’autres journalistes ont été victimes de menaces sérieuses 
			(11) 
			Notamment Marko Radoja,
rédacteur en chef à BHRT, qui a reçu plus de 200 menaces, dont des
menaces de mort, et qui a été placé sous protection policière en
2018 et un autre, Dragan Bursac, chroniqueur pour Al Jazeera Balkans, a fui le pays..
23. Bulgarie: Le 4 octobre 2017, une voiture appartenant à Zornitsa Akmanova, journaliste de l'émission de télévision «Lords of the Air», a été incendiée à Karlovo. En novembre 2017, un mafieux a déclaré aux journalistes lors d’une interview filmée que ses anciens patrons voulaient tuer Georgi Ezekiev, l'éditeur du site web Zov News. Entre-temps, l'une des journalistes participant à cette enquête, Maria Dimitrova, a reçu des messages menaçants par SMS et sur Facebook 
			(12) 
			Le procureur régional
a considéré qu’il s’agissait d’insultes mais non de menaces.. Le 10 mai 2018, le journaliste d'investigation Hristo Geshov a été agressé à l'extérieur de son domicile.
24. Chypre: Le 20 juillet 2018, Costas Constantinou, journaliste chypriote grec, a reçu une menace de mort publiée par un extrémiste chypriote grec sur un post Facebook indiquant que: «Quelqu'un devrait lui mettre une balle dans la tête pour mettre fin à cela. Un Turc dans tous les sens du terme.» Le post a ensuite été supprimé de Facebook et l’affaire a été signalée au chef de la police par l’intermédiaire de l’avocat de M. Constantinou.
25. Croatie: Diverses attaques ont eu lieu, notamment en octobre 2018 contre le journaliste Ivan Žada, qu’un membre de la famille d’un député menaçait «d'engager un tueur à gages». Le 24 juin 2018, le journaliste Hrvoje Bajlo a été grièvement blessé et a dû être hospitalisé à la suite d'une violente agression à Zadar par un homme d’affaires et ex-footballeur, Jakov Surać. Le 29 octobre 2017, la journaliste de la télévision publique croate (HRT) Maja Sever a reçu une menace de mort via Facebook suite à la diffusion de son reportage sur les réfugiés du Nigeria. Fin 2017, les journalistes de Novosti ont également été plusieurs fois la cible de propos haineux sur les médias sociaux et de menaces de mort selon le rédacteur en chef de Novosti, Nikola Bajto. Des membres du Parti d’extrême-droite «autochtone de droite» (A-HSP) se sont réunis devant le bureau de l’hebdomadaire de Novosti dans le centre de Zagreb et ont brûlé un exemplaire du magazine.
26. Espagne: C’est en Catalogne que se sont déroulés les deux incidents les plus graves, à savoir: fin octobre 2017 plusieurs journalistes ont été la cible d'agressions, dans le cadre de la couverture médiatique des suites du référendum catalan d'autodétermination, et le 29 août 2018 un caméraman de la chaîne publique madrilène Telemadrid a été agressé par plusieurs participants à une manifestation organisée par le parti Ciudadanos.
27. France: Les insultes et les menaces à l’encontre des journalistes se sont multipliées depuis le 17 novembre 2018 lors des manifestations des «Gilets jaunes». De nombreux journalistes ont été victimes d’agressions physiques à tel point que les médias d’information ont dû prendre des mesures pour protéger leurs reporters. Les agressions se caractérisent par des insultes, des crachats, des coups entraînant parfois des fractures et même des tentatives de lynchage. Des groupes de «Gilets jaunes» ont également attaqué des rédactions de journaux, dégradé des locaux et bloqué l’impression ou la distribution de journaux. Par ailleurs, le 6 avril 2017, les journaux Le Canard Enchainé et Mediapart ont reçu des lettres de menaces de mort accompagnées d'une balle de fusil de la part d'un groupe appelé «Epuration 2J», puis le 27 janvier 2019 à Grenoble, les locaux de la station de radio publique ont été partiellement détruits par un groupe «anarcho-libertaire anticapitaliste». Le harcèlement en ligne est également en forte hausse. 
			(13) 
			Ainsi
Nicolas Henin, un reporter qui avait été retenu en otage par Daesh en
Syrie, a reçu 20 000 tweets haineux à la suite de la publication
de son livre Jihad academy et
à des interviews où il rappelait notamment que l’appel au meurtre
de présumés islamistes est répréhensible par la loi. Le 4 février
2019 il a porté plainte pour «menaces de mort» suite à des messages
le ciblant lui et sa famille. Parfois la justice parvient à identifier
et à condamner les auteurs de menaces: le 3 juillet 2018, deux harceleurs
de la journaliste Nadia Daam, qui étaient poursuivis pour des menaces
de mort et de viol adressées à son encontre, ont été condamnés à
six mois de prison avec sursis et à une amende de 2 000 euros. Mme Daam
dénonçait précisément le cyberharcèlement dans ses émissions à la
radio.
28. Grèce: Il s’agit notamment les attaques de groupes ou de manifestants d’extrême-droite: le 20 février 2017, deux journalistes ont été harcelés par des manifestants d'extrême droite lors d'un reportage à Thessalonique; en 2017 et en 2018, la journaliste Anthi Pazianou puis le journaliste Stratis Balaska ont été harcelés et agressés verbalement par des groupes d'extrême droite tels que «Aube dorée» en raison de leurs reportages sur les réfugiés. A cela s’ajoute l’explosion d’une bombe, le 17 décembre 2018, à la chaîne de radio et de télévision privée Skai et au quotidien grec Kathimerini et l’attaque des locaux du syndicat des journalistes de Macédoine et de Thrace (ESIEMTH) le 20 décembre 2017. Enfin, le 22 janvier 2019 à Athènes, au moins trois journalistes ont été grièvement blessés après avoir été agressés par des manifestants contestant la décision du gouvernement grec d'accepter l’appellation «Macédoine du Nord».
29. Hongrie: L’extrême-droite, via le site 888.hu s’est attaquée aux journalistes. Le 5 septembre 2017, le portail a publié une liste de journalistes accusés de servir les intérêts du milliardaire américain d'origine hongroise George Soros. L'article nomme explicitement huit journalistes et les qualifie de «propagandistes étrangers» et de «porte-paroles» de George Soros. Les médias internationaux y sont présentés comme «biaisés» et «stigmatisants». Leur seul but serait de «discréditer» la Hongrie sur la scène internationale.
30. Italie: Le pays compte un nombre important d’attaques, de harcèlement et d’actes intimidants. La violence croissante à l’encontre des journalistes en Italie est particulièrement préoccupante du fait que le pays cumule les menaces d’organisations mafieuses 
			(14) 
			ECPMF, mai 2019: “Italy,
so much mafia, so little news” – <a href='https://www.ecpmf.eu/get-help/fact-finding-missions'>https://www.ecpmf.eu/get-help/fact-finding-missions</a>. et un nombre de plus en plus important d’attaques de la part de groupes d’extrême-droite ou néo-fascistes 
			(15) 
			On peut citer notamment
des menaces de mort contre le rédacteur en chef de la chaîne d'information
LA7, Enrico Mentana, via une lettre signée de la croix gammée nazie
et d’un slogan datant de l'époque fasciste; l’incendie criminel contre
le domicile du journaliste Federico Ruffo; Paolo Berizzi, journaliste
à La Repubblica, qui a découvert des messages menaçants et offensants
peints sur le mur de sa maison de famille à Bergame; le journaliste
Filippo Mele de la La Gazzetta del Mezzogiorno,
qui a reçu une enveloppe contenant une balle; Marilù Mastrogiovanni
du journal sicilien Il Tacco,
qui a été la cible de nombreuses menaces de mort via sa boite mail
professionnelle, ou encore le directeur du journal en ligne Spia et correspondant d'Agi, Paolo
Borrometi, qui a été la cible d'une attaque meurtrière déjouée par
un groupe mafieux italien.. Une vingtaine de journalistes italiens menacés par la mafia vivent sous protection policière permanente 
			(16) 
			Par
opposition à la protection temporaire qui a concerné 200 journalistes
en 2017: <a href='https://rsf.org/fr/actualites/pres-de-200-journalistes-italiens-sous-protection-policiere-au-cours-de-lannee-2017'>https://rsf.org/fr/actualites/pres-de-200-journalistes-italiens-sous-protection-policiere-au-cours-de-lannee-2017.</a>. En termes d’attaques perpétrées, on peut citer notamment le 7 novembre 2017 Daniele Piervincenzi, un journaliste de la RAI, qui a été frappé par le frère d'un chef mafieux lors d'une interview sur les élections 
			(17) 
			Le 18 juin 2018, Roberto
Spada a été condamné à six ans de prison.. Le 1er août 2018, le journaliste et écrivain Enrico Nascimbeni a été attaqué par deux hommes armés d'un couteau qui l’ont traité de «communiste de merde». Le 7 janvier 2019, Federico Marconi et Paolo Marchetti, de l’Espresso, ont été agressés par deux groupes néo-fascistes, «Avanguardia Nazionale» et «Forza Nuova». Ces derniers avaient déjà attaqué avec des fusées éclairantes le 6 décembre 2017 les locaux du journal La Repubblica et avaient «déclaré la guerre» à son éditeur.
31. Macédoine du Nord: Le 18 février 2017, deux journalistes de A1 TV, Aleksandar Todevski et le caméraman Vladimir Zhelchevski, ont été battus à Skopje alors qu'ils couvraient des manifestations devant le parlement. Le journaliste Borjan Jovanovski de Novatv a été insulté et on lui a craché au visage. Le 27 avril 2017, Dimitar Tanurov, journaliste de l'agence de presse en ligne Meta, et Nikola Ordevski, caméraman de l'agence de presse Makfax, ont été agressés lors d’une manifestation nationaliste à Skopje. En tout, 21 journalistes ont été menacés ou empêchés de faire des reportages sur les lieux. Le pays connait également des phénomènes de menaces et de harcèlement: harcèlement sur Twitter avec diffusion de l’adresse personnelle, menaces de mort sur Facebook, etc.
32. Malte: Le 14 janvier 2019, Shift News, une plateforme maltaise d'informations en ligne indépendante, a été victime d'une cyber-attaque visant à bloquer le site, à la suite de la publication d'une série d'articles d'investigation portant sur des contrats controversés relatifs à des concessions hospitalières. Shift news demeure un portail d’information très actif, de même que plusieurs autres portails maltais qui informent régulièrement sur l’actualité et les affaires en cours et publient des articles d’investigation, ainsi que des points de vue et des blogs de divers contributeurs.
33. Monténégro: Le pays a connu des attaques particulièrement graves et ciblées. Le 1er avril 2018 le journaliste Sead Sadiković a échappé à l'explosion d'une voiture piégée devant son domicile. Selon la police, l'explosion était «destinée à l’intimider». Le 8 mai 2018, la journaliste d'investigation Olivera Lakić du journal Vijesti a été blessée à une jambe et a dû être hospitalisée puis placée sous protection policière jusqu’à l’arrestation du coupable. Ces deux journalistes ont pour point commun d’enquêter sur la corruption et le crime organisé.
34. Pays-Bas: En juin 2018, les locaux amstellodamois du groupe Pijper Media qui publie Nieuwe Revu, Marie-Claire et Panorama ont essuyé des tirs de missile antichar. Une semaine plus tard, la façade du siège de De Telegraaf a été attaquée par une camionnette, causant des dommages considérables. Ces deux attaques n’ont pas fait de victimes.
35. Pologne: Le 13 juillet 2017, Dorota Bawolek, correspondante de Polsat TV, a été la cible de centaines de messages haineux sur les médias sociaux parce que la télévision publique TVP l’accusait d’avoir posé une question «dérangeante» à la Commission européenne.
36. Fédération de Russie: Le pays détient le triste record d’alertes portant sur les actes graves d’attaques, de harcèlement et d’intimidation de journalistes: pas moins de 14 cas ont été répertoriés depuis 2017. Menaces de mort, empoisonnement, attaque physique et à l’arme blanche ou à l’arme à feu, attaque au gaz ou au produit chimique sont les principaux moyens employés par les personnes ou les groupes qui s’en sont pris aux journalistes. Plusieurs d’entre eux ont été blessés au point de devoir être hospitalisés et/ou de devoir quitter le pays. C’est notamment le cas pour des journalistes travaillant pour des médias indépendants ou d’investigation tels que Ekho Moskvy, Mediazona et Novaya Gazeta. Les agressions concernent également des blogueurs professionnels tels que Ilya Varlamov qui a plus de 200 000 abonnés sur les médias sociaux et qui été agressé le 26 avril 2017 à l’aéroport de Stavropol à l’aide de peinture et d’iode 
			(18) 
			Il est à noter que
dans ce cas, trois personnes ont été condamnées à une amende 500
roubles (environ 7 €) pour «hooliganisme» sans avoir donné lieu
à une enquête plus poussée.. Là encore, comme pour les cas d’assassinats mentionnés plus haut, «les autorités ont systématiquement manqué à prendre des mesures correctives pour prévenir la violence à l’égard de journalistes (…) créant ainsi un climat d’impunité propice à de nouvelles attaques» selon le rapport 2019 de la Plateforme du Conseil de l’Europe 
			(19) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/media-freedom/annual-report'>https://www.coe.int/fr/web/media-freedom/annual-report.</a>.
37. Serbie: En 2018, l’Association des journalistes indépendants de Serbie (NUNS) a enregistré 21 cas de violence verbale et 7 cas d’attaques physiques 
			(20) 
			<a href='http://safejournalists.net/wp-content/uploads/2018/12/indicators_on_the_level_of_media_freedom_WB_2018.pdf'>http://safejournalists.net/wp-content/uploads/2018/12/indicators_on_the_level_of_media_freedom_WB_2018.pdf.</a>. Ainsi le 31 mai 2017, la journaliste Lidija Valtner du quotidien Danas a été agressée par deux supporters du Parti Progressiste qui ont tenté de lui prendre son téléphone pour l'empêcher de filmer. Le 17 avril 2018, Danilo Masojevic et Vladeta Urosevic de Prva TV ont été agressés à Leskovac. Le 9 octobre 2018 Zeljko Matorcevic, rédacteur en chef du portail Zif Info, a été frappé à la tête et sa mâchoire a été cassée. Le 12 décembre 2018, la maison de Milan Jovanović, journaliste de Žig Info, a été incendiée par un cocktail Molotov. Le 16 mars 2019, une centaine de manifestants antigouvernementaux ont pris d'assaut le bâtiment de la Radio-télévision publique RTS à Belgrade, exigeant de pouvoir s’adresser à la population à l’antenne. Concernant les menaces, il s’agit avant tout de menaces de mort adressées par lettre (N1TV) ou via les médias sociaux (Tatjana Vojtehovski, Una Hajdari, Dragan Janjic). Concernant le Kosovo 
			(21) 
			Toute référence au
Kosovo, que ce soit à son territoire, à ses institutions ou à sa
population, doit se comprendre en pleine conformité avec la Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies et sans préjuger
du statut du Kosovo., 23 attaques verbales et physiques ont été enregistrées pour la seule année 2018 
			(22) 
			<a href='http://safejournalists.net/wp-content/uploads/2018/12/indicators_on_the_level_of_media_freedom_WB_2018.pdf'>http://safejournalists.net/wp-content/uploads/2018/12/indicators_on_the_level_of_media_freedom_WB_2018.pdf.</a>.
38. Turquie: La situation de la liberté des médias est éminemment difficile et sensible en Turquie du fait de l’attitude hostile des autorités (voir plus bas), mais d’autre éléments viennent s’ajouter à cet environnement. Ainsi le 25 juin 2018, à la suite des résultats des élections présidentielles et législatives en Turquie, le leader du Parti du Mouvement nationaliste (MHP) Devlet Bahçeli a publié une vidéo en ligne et a inséré une publicité payante dans les journaux nationaux avec une liste de 80 personnes dont des journalistes qui, selon lui, avaient «terni la réputation de son parti» et appelait à «ne pas oublier ce qu'ils avaient fait», les mettant ainsi en grave danger de représailles.
39. Ukraine: Le journaliste ukrainien Stanyslav Aseev a été kidnappé le 3 juin 2017 par la «sureté de l’État» de la «République populaire de Donetsk» 
			(23) 
			Le
17 août 2018, la chaîne russe Rossiya
24 a diffusé une interview du journaliste dans laquelle
il avoue travailler pour les services de renseignement ukrainiens
dans le Donbass, mais bien entendu cette information est invérifiable.. Le 31 janvier 2018, le rédacteur en chef du site d'information Strana.ua, Igor Guzhva, a dû fuir l'Ukraine et a demandé l'asile en Autriche après avoir reçu des menaces de mort 
			(24) 
			M. Guzhva a estimé
que les autorités ukrainiennes ont ignoré plusieurs demandes d'enquête
sur les menaces à son encontre. Les autorités en revanche ont considéré
que M. Guzhva cherchait à éviter des accusations criminelles en Ukraine.. Le 22 février 2018, un incendie criminel a ravagé le siège de Chetverta Vlada à Rivne. Le 18 novembre 2018, deux journalistes ukrainiens et un canadien ont été agressés à Kiev avec un spray au poivre par des groupes d’extrême-droite s’opposant à une manifestation contre la transphobie. Ils ont aussi subi une campagne de harcèlement sur les médias sociaux. Enfin, le 18 janvier 2019, le quotidien Novyi Den à Kherson a été attaqué par des inconnus par des balles en caoutchouc et du gaz lacrymogène. Un journaliste présent a été victime de brûlures chimiques. Le 13 juillet 2019, deux personnes non identifiées ont attaqué les bureaux de la chaîne de télévision privée "112 Ukraine" à Kiev, au lance-grenades. L'incident a endommagé la façade et les voitures garées à proximité. Personne n'a été blessé. Le service de presse de la police nationale a qualifié l'incident d'«acte terroriste». La chaîne 112 avait reçu un avertissement plus tôt dans la semaine à la suite de la programmation de la diffusion en première du documentaire "Revealing Ukraine". Des employés de "112 Ukraine" avaient reçu des messages de menaces. La chaîne 112 a annulé la diffusion pour éviter d'éventuelles conséquences juridiques et a sollicité une protection policière, mais la police n'a pas donné suite à la demande, ni avant ni après l'attaque. "112 Ukraine", selon l’Union nationale des journalistes d’Ukraine.

2.3. Menaces de la part des autorités et détournement de la législation pour entraver le travail des journalistes et des médias

40. Les menaces des autorités se concrétisent notamment par des pressions politiques, un harcèlement juridique ou administratif, mais aussi par l’usage exagéré de la force par la police, voire par l’arrestation et la détention des journalistes. La plupart des journalistes en détention en Europe se trouvent en Turquie. Outre ces détentions, les violences verbales de la part de responsables politiques ont également augmenté de façon exponentielle ces dernières années. Si l’on cumule cela avec l’inaction de la police qui n’est pas toujours en mesure de faire face aux menaces les plus graves sur internet envers les journalistes, ces derniers vivent parfois dans une atmosphère de peur et de pressions. La période couverte par ce rapport fait état d’un nombre très élevé d’alertes d’origine étatique sur la Plateforme du Conseil de l’Europe. Il ne s’agit pas ici d’être exhaustif sur ces menaces qui constituent près de 200 occurrences sur la période du rapport mais de dégager un certain nombre d’observations par pays.

2.3.1. Violences policières et refus d’accréditation

41. Albanie: En 2017, le journaliste Isa Myzyraj a été menacé de mort par le Maire de la municipalité de Has. En avril 2019, des journalistes et des photographes ont été blessés par la police lors de manifestations antigouvernementales.
42. Azerbaïdjan: le 17 octobre 2019, dans la perspective des manifestations contre la corruption présumée et les bas salaires, la police a arrêté Seymur Hazi, reporter pour le site web d'informations indépendant Meydan TV. Le tribunal de district de Khetai à Bakou a déclaré Hazi coupable d’hooliganisme mineur et de non-respect des ordres de la police et l'a condamné à 15 jours de détention. Hazi avait prévu de couvrir les manifestations pour Meydan TV. Il a été libéré le 29 août 2019 d'une peine de prison de cinq ans sur des accusations de représailles pour son activité journalistique, qui lui a permis de faire des révélations sur des actes de corruption et de violation des droits de l'homme de la part du gouvernement. Les 19 et 20 octobre 2019, plusieurs journalistes ont été soumis à des violences physiques de la part de la police et / ou ont été placés en détention alors qu'ils couvraient des manifestations pacifiques à Bakou. Sept journalistes au moins ont été arrêtés alors qu'ils couvraient les manifestations du 19 octobre. Le 20 octobre, les correspondants d'Azadliq Radiosu, de Meydan TV et de Turan News Agency ont été soumis à des violences physiques de la part de la police alors qu'ils portaient des gilets d'identification et montraient leurs cartes de presse. La police a également saisi et endommagé leur matériel. La violence et les détentions ont empêché les journalistes de couvrir les manifestations. Des blocages internet et des perturbations du service de téléphonie mobile dans le centre de Bakou au cours des manifestations ont également été signalés.
43. Allemagne: Lors du sommet du G20 à Hambourg, les 7 et 8 juillet 2017, au moins 32 journalistes se sont retrouvés privés d’accréditation. Selon le porte-parole du gouvernement, cette décision a été prise pour des «motifs de sécurité». En août 2018, une équipe de télévision travaillant pour le magazine politique d'investigation Frontal21 de la chaîne ZDF a été détenue par la police suite à une plainte d'un participant à une manifestation anti-Merkel à Dresde, où la chancelière se rendait.
44. Arménie: Entre le 13 et le 23 avril 2018, lors des manifestations à Erevan qui ont conduit à la démission du Premier ministre Serge Sarkissian, plusieurs journalistes ont été délibérément pris pour cible par la police.
45. Bulgarie: En avril 2019, des journalistes ont été blessés par la police lors d'une manifestation à Gabrovo.
46. France: Depuis le début du mouvement des «Gilets jaunes» le 17 novembre 2018, près de 90 journalistes et photographes qui couvraient les manifestations ont été victimes de violences policières 
			(25) 
			<a href='https://rsf.org/fr/actualites/gilets-jaunes-rsf-appelle-les-forces-de-lordre-respecter-les-regles-elementaires-de-la-liberte-de-la?'>https://rsf.org/fr/actualites/gilets-jaunes-rsf-appelle-les-forces-de-lordre-respecter-les-regles-elementaires-de-la-liberte-de-la?.</a> selon les syndicats de journalistes et les organisations non gouvernementales 
			(26) 
			C’est par exemple le
cas de <a href='http://videos.leparisien.fr/video/gilets-jaunes-des-blesses-par-tirs-de-flash-ball-dont-deux-journalistes-du-parisien-08-12-2018-x6ym4z7'>deux
photographes du Parisien</a> visés par des tirs de lanceurs de balles de défense,
d’un <a href='https://www.lejdd.fr/Societe/gilets-jaunes-un-photographe-du-jdd-blesse-sur-les-champs-elysees-3816494'>photographe
du JDD hospitalisé</a> après avoir été frappé par un CRS (policier spécialisé
dans le maintien de l’ordre public). Une quinzaine de journalistes
ont aussi déclaré avoir été mis en joue, pris pour cibles parfois
intentionnellement, commotionnés ou molestés par la police.. Certains reporters victimes d’agissements anormaux ont déposé plainte auprès de l’Inspection générale de la police nationale 
			(27) 
			Début 2019, 7 procédures
concernant des faits dénoncés par des journalistes étaient confiées
à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et suivies
par le Parquet de Paris.. Le 1er mai 2019, plus de 300 journalistes ont dénoncé «une volonté délibérée de [les] empêcher de travailler» 
			(28) 
			<a href='https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/tribune-nous-assistons-a-une-volonte-deliberee-de-nous-empecher-de-travailler-plus-de-300-journalistes-denoncent-les-violences-policieres_3416561.html'>https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/tribune-nous-assistons-a-une-volonte-deliberee-de-nous-empecher-de-travailler-plus-de-300-journalistes-denoncent-les-violences-policieres_3416561.html.</a>. Le samedi 20 avril 2019, le journaliste Gaspard Glanz a été interpellé à Paris et accusé «d’outrage sur personne dépositaire de l’autorité publique», mais surtout il a été «interdit de paraître» à Paris tous les samedis et le 1er mai 2019. Même si elle a été levée ensuite par le Tribunal correctionnel, cette restriction de la liberté de circulation était inédite.
47. Roumanie: Plusieurs journalistes roumains et un cameraman de la chaîne de télévision publique autrichienne ORF ont été battus par la police anti-émeute au cours des manifestations le 10 août 2018 
			(29) 
			Des cas d'agressions
physiques ont été rapportés par les journalistes Robert Mihăilescu
(Hotnews.ro), Cristi Stefanescu (DW) et Vlad Ursulean (Casa Jurnalistului),
par les photojournalistes Ioana Moldovan (Documentaria.ro) et Silviu
Matei (Agerpres) et par le journaliste Cristian Popa et le cameraman
Cristi Ban (Digi24 news TV).. Dans un autre registre, le 6 juillet 2017, les inspecteurs des impôts ont effectué une descente dans les locaux du réseau d'investigation «Rise Project» au moment même où un article important était annoncé pour révéler que Liviu Dragnea, président du parti social-démocrate au pouvoir, exerçait un contrôle sur les services secrets roumains. Le 28 janvier 2018, un rapport confidentiel de l'administration fiscale roumaine sur l'activité du projet Rise a été divulgué à la presse et utilisé dans une campagne de diffamation.
48. Turquie: Deux journalistes allemands ont été obligés de quitter la Turquie le dimanche 10 mars 2019, leurs accréditations de presse n'ayant pas été renouvelées pour 2019 sans aucune explication. Jörg Brase, journaliste au radiodiffuseur public allemand ZDF, et Thomas Seibert, Reporter au journal Tagespiegel, étaient des correspondants de longue date dans le pays. L’ambassade de Turquie en Allemagne aurait apparemment tenté en vain de trouver un accord pour remplacer les correspondants, a rapporté le rédacteur en chef de Tagespiegel. Un troisième journaliste, Halil Gülbeyaz, de NDR TV, s'est également vu refuser son accréditation et n'est pas autorisé à retourner en Turquie. En juin 2019, l’accréditation des deux journalistes a finalement été renouvelée. Un autre journaliste, Halil Gülbeyaz, de la chaîne publique allemande NDR, s’est également vu refuser son accréditation et n’est pas autorisé à retourner en Turquie.

2.3.2. Actions hostiles des dépositaires de l’autorité publique

49. Autriche: En septembre 2018, le ministre de l'Intérieur a suggéré que certains journalistes fassent l’objet d’une enquête pour leurs reportages sur le travail des services de renseignement autrichiens. Un courriel du porte-parole du ministère, Christoph Pölzl, a ensuite demandé à la police de «restreindre la communication avec les médias au minimum légal».
50. Azerbaïdjan: Le pays est un des plus hostile aux journalistes en termes de poursuites judiciaires, condamnations et emprisonnement. 18 cas de procédures pénales, condamnations et emprisonnement de journalistes ou de médias ont eu lieu depuis 2017. En mai 2019, 5 journalistes étaient toujours en prison en raison de leur activité professionnelle. Les peines sont parfois très lourdes, comme pour Elchin Ismayilli, fondateur et rédacteur en chef de Kend.info, un site d'information en ligne réputé pour sa couverture des affaires de corruption et violations des droits de l'homme et qui a été condamné à 9 ans de prison le 18 septembre 2017 
			(30) 
			Le tribunal
l'a retenu coupable d'extorsion avec menaces (article 182 du code
pénal), d'abus de pouvoir (article 308) et de corruption (article
311).. Le blogueur Rashad Ramazanov purge aussi une peine de 9 ans pour «possession de drogue» et selon son avocat il avait été torturé et battu pendant sa détention. Les trois autres journalistes détenus actuellement sont Ziya Asadlin 
			(31) 
			Emprisonné depuis le
5 septembre 2017, l’accusation est ubuesque: «hooliganisme avec
usage d’arme ou d’arme par destination», parce qu’un gérant de salon
de thé s’est senti menacé par le téléphone portable du journaliste., Fikret Faramazoglu et Afgan Mukhtarli. Enfin certains journalistes sont «interdits de voyager» comme l’a découvert le journaliste Kamran Mahmudov le 22 juin 2017 en voulant se rendre en Géorgie voisine. Dans un même temps, plus de 400 journalistes ont bénéficié de subventions publiques gratuites au logement ces dernières années, ce qui est une façon évidente «d’acheter» les journalistes pour éviter les critiques.
51. Bosnie-Herzégovine: Le 28 mars 2019, le Président du conseil municipal de Novi Grad, une municipalité de Sarajevo, a agressé le caméraman Adi Kebo du journal d'investigation Zurnal alors qu'il travaillait sur une enquête de corruption présumée.
52. Hongrie: Des amis ou proches du gouvernement ont acheté ou sont parvenus à prendre le contrôle de médias auparavant indépendants ou critiques. Le gouvernement utilise le système de licence de média de façon abusive, ainsi des stations de radio populaires ont perdu leurs licences dans un contexte de diminution du pluralisme des médias 
			(32) 
			<a href='https://mappingmediafreedom.org/index.php/demonising-media-threats-journalists-europe/'>https://mappingmediafreedom.org/index.php/demonising-media-threats-journalists-europe/.</a>. En outre, les autorités ont tenté de s’ingérer dans la conduite de médias étrangers tels le média slovène Mladina en mars 2019 à la suite de d’une couverture de magazine qui déplaisait au Premier Ministre hongrois, demandant aux autorités slovène «une assistance pour prévenir des incidents similaires à l'avenir».
53. Malte: Suite à l’assassinat de Daphne Caruana Galizia, sa famille et les organisations de journalistes ont dénoncé les pressions à leur encontre pour réclamer justice, le refus d’avoir mené immédiatement une enquête afin de déterminer si sa vie aurait pu être sauvée, la destruction répétée du monument à sa mémoire appelant à la justice pour son assassinat, sur ordre du Ministre de la Justice. À l’époque de sa mort, la journaliste faisait l’objet de 47 poursuites en diffamation au civil et au pénal, engagées notamment par le Premier ministre, M. Muscat, et le ministre du Tourisme, M. Mizzi. Aujourd’hui, 34 procédures civiles en diffamation engagées à titre posthume contre Daphne Caruana Galizia sont toujours en cours et les plaignants continuent de demander des dommages‑intérêts à la famille de la journaliste. À l’évidence, ces affaires soumettent sa famille à des pressions psychologiques et financières injustifiées. Cette attitude des autorités maltaises contribue à entretenir une atmosphère d’impunité et de minimisation de l'importance de cette affaire, avec de graves conséquences pour la liberté de la presse dans le pays.
54. Pays-Bas: Le 24 octobre 2019, le journaliste de NOS TV, Robert Bas, a été emprisonné pour avoir refusé de répondre à des questions en tant que témoin dans un procès pénal devant un tribunal de Rotterdam. Robert Bas a déclaré au tribunal que, en qualité de journaliste, en vertu de son droit de protéger ses sources, il ne donnerait pas de réponses complètes aux questions concernant l'assassinat du directeur de l'établissement de santé mentale en 2014. Suite à cela, le tribunal a ordonné sa détention à titre de mesure coercitive pour le forcer à répondre. Au début de 2019, Bas a eu plusieurs conversations téléphoniques avec une source au sujet de l'affaire, qui avaient été enregistrées par des responsables du ministère de la Justice. Certaines d'entre elles avaient été ajoutées aux dossiers de l'accusation. Ni Bas, ni sa source ne sont suspects dans cette affaire. L’avocat représentant NOS et Bas a insisté sur le fait que les journalistes avaient un droit de non divulgation, qui couvre à la fois l’identité de la source et toutes les informations que la source a fournies au journaliste. L'Association des journalistes néerlandais (NVJ) a appelé les autorités néerlandaises à libérer immédiatement Robert Bas. Le 25 octobre 2019, NOS a annoncé que Bas avait été libéré. Le tribunal de Rotterdam a jugé que Robert Bas avait le droit de refuser de témoigner au sujet de questions qui l'obligeraient à révéler des informations sur ses sources.
55. Fédération de Russie: Le pays a fait l’objet de 25 alertes de menaces d’origine étatique auprès du Conseil de l’Europe mais aucune n’a donné lieu à la moindre réaction. Parmi les actes plus significatifs se trouvent des arrestations et des condamnations de journalistes étrangers 
			(33) 
			Le
4 juin 2018, le journaliste ukrainien Roman Sushchenko a été condamné
par le Tribunal de Moscou à une peine de 12 ans d'emprisonnement
dans une prison de haute sécurité pour «espionnage». Le 12 septembre
2018, la Cour suprême de la Fédération de Russie a confirmé le verdict., des condamnations lourdes, parfois en absences de preuves matérielles 
			(34) 
			Le blogueur Alexandre
Valov a été condamné le 26 décembre 2018 à six ans de réclusion
et une forte amende malgré une absence de preuve matérielle et des
vices de procédure. Son BlogSochi est
toujours inaccessible et tous ses comptes en ligne ont été piratés., des violences policières graves accompagnées de fouilles d’appartements privés 
			(35) 
			Le 1er
novembre 2017, le FSB a perquisitionné les locaux de Novye Kolyosa à Kaliningrad. Igor
Rudnikov, le rédacteur en chef, a d'abord été détenu chez lui, puis
emmené menotté à la salle de rédaction. Il a ensuite été hospitalisé pour
une commotion cérébrale, un bras et une côte cassés. La police a
également fouillé la maison de sa mère. Le journaliste est actuellement
en «détention provisoire». Il en va de même pour Aleksandr Batmanov,
présentateur de la chaîne de télévision NGO à Volgograd, arrêté
et maltraité par la police puis détenu car «soupçonné de vol dans
une épicerie» le 7 juillet 2017., des amendes au montant disproportionné 
			(36) 
			Le
26 octobre 2018, le site d’information indépendant The New Times a été condamné à amende
de 22 250 000 roubles (300 000 euros) et son rédacteur en chef,
Yevgenia Albats, à 30 000 roubles (400 euros) pour avoir prétendument enfreint
la loi sur les «agents étrangers»., des restrictions de circulation de journalistes étrangers 
			(37) 
			Le 8 mars 2017, le
journaliste norvégien Thomas Nilsen s'est vu refuser l'entrée en
Russie pour des raisons «liées à la sécurité de l'État» sans motifs
ni voie de recours. Depuis le 6 juin 2018, trois journalistes estoniens
sont aussi persona non grata en
Russie pour allégations de «russophobie». et des blocages de sites internet.
56. Ukraine: Les journalistes indépendants espagnols Antonio Pampliega et Manuel Angel Sastre ont été interceptés par la police ukrainienne à leur arrivée à l'aéroport de Kiev le 24 août 2017. Ils ont été expulsés le même jour pour «menace pour la sécurité nationale». Les deux journalistes avaient l'intention de couvrir le conflit armé dans l'est du pays. Début 2019, l'Ukraine a interdit l'entrée sur son territoire au correspondant autrichien Christian Wehrschütz qui travaille dans le pays depuis 2014 pour la chaîne publique nationale autrichienne ORF. Le service de sécurité ukrainien SBU a accusé Wehrschütz d'être entré illégalement dans la péninsule contestée de Crimée et de «propagande anti-ukrainienne». Les autorités avaient auparavant refusé à Wehrschütz l'accréditation pour se rendre dans l'est du pays. Enfin, l’Ukraine a interdit à plusieurs reprises les activités de médias étrangers (russes) sur son territoire, ou l’entrée de journalistes ou dirigeants d’organisations de médias 
			(38) 
			Le 14
mai 2018, les autorités ukrainiennes ont décidé d’interdire les
activités des agences de presse Novosti, Rossiyasegodnya.rf, Sputniknews.com, Rsport.ria.ru, 1prime.ru, Realty.ria.ru et rian.com.ua, ainsi que les chaînes
de télévision rtr-planeta.com, russia.tv, vesti.ru, tvkultura.ru, digitalrussia.tv.
Le 26 juin 2018, l’Ukraine a refusé l’entrée sur son territoire
à deux journalistes russes qui prévoyaient d’assister à une conférence
sur la liberté d’expression à Kiev. Les deux journalistes concernés
sont Paula Slier, chef du bureau du Moyen-Orient à RT, et Evgueny
Primakov, présentateur sur Rossiya 24.
Enfin en juillet 2018, le service de sécurité de l'Ukraine a interdit
au président de l'Union russe des journalistes Vladimir Solovyov
d'entrer sur le territoire ukrainien pour une période de trois ans..

2.4. Présence ou développement de lois liberticides, d’un environnement administratif, juridique, économique ou politique hostile au travail des journalistes et aux médias

2.4.1. Réglementations anti-terroristes et anti-criminalité abusives ou arbitraires

57. Espagne: Le 24 septembre 2017, la police a poursuivi Mònica Terribas, journaliste de Catalunya Ràdio, l'accusant de «favoriser les actions contre l'ordre public pour avoir appelé les citoyens de la région de Catalogne à rendre compte des mouvements de la police lors du référendum sur l'indépendance».
58. Fédération de Russie: Après des mois de gestation, la loi russe sur les «fausses informations» et le «manque de respect pour l'État, les autorités et la société» a finalement été adoptée et est entrée en vigueur le 18 mars 2019. En vertu de cette loi, le «non-respect flagrant» de l'État, des autorités publiques, des symboles officiels et de la société peut entraîner des amendes pouvant aller jusqu'à 300 000 roubles (plus de 4 000 €) et une peine d'emprisonnement de 15 jours, tandis que la publication de «fausses nouvelles» peut être puni d'une amende allant jusqu'à 1,5 million de roubles (plus de 20 000 €). Roskomnadzor, l’organisme gouvernemental chargé de la surveillance des contenus et des médias en ligne, a le pouvoir de signaler les pages présentant des contenus qu’il considère comme étant en violation de la nouvelle loi et de bloquer leur accès si le contenu n’est pas immédiatement supprimé. Cette loi a bien entendu un effet d’autocensure et de «sidération» sur les journalistes et autres acteurs des médias dans le pays.
59. Monténégro: Le journaliste d’investigation Jovo Martinović a été reconnu coupable d'avoir téléchargé une application de messagerie cryptée et de l'avoir utilisée pour le trafic de drogue. Détenu sans procès ni accusations pendant 14 mois, il a été condamné à 18 mois de prison alors qu’en fait il travaillait pour un reportage sur le trafic de drogue pour la chaîne de télévision française Canal+. Au moment de la rédaction de ce rapport, Martinović était détenu en attente d’une décision en appel.
60. Turquie: Nous n’ignorons pas les difficultés auxquelles la Turquie a dû faire face et doit encore faire face après le coup d’État manqué, les menaces terroristes continuelles et la guerre dans la Syrie voisine. Toutefois, ces difficultés ne sauraient justifier ce que l’on pourrait décrire comme un véritable harcèlement systématisé et organisé contre les journalistes et les médias au nom du «terrorisme» et le pays est largement en tête des condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de liberté d’expression 
			(39) 
			Quarante constats de
violation en 2018, soit plus de la moitié des constats de violation
(<a href='https://www.echr.coe.int/Documents/Stats_violation_2018_FRA.pdf'>https://www.echr.coe.int/Documents/Stats_violation_2018_FRA.pdf</a>)<a href=''>.</a>. La Turquie est décrite par les groupes de liberté de la presse et par les organisations de journalistes comme «la plus grande prison de journalistes dans le monde», soit actuellement 157 d’entre eux d’après la Fédération européenne des journalistes 
			(40) 
			<a href='https://europeanjournalists.org/turkey-journalists-in-jail/'>https://europeanjournalists.org/turkey-journalists-in-jail/</a>., pour la plupart en détention provisoire. Leurs avocats n’ont qu’un accès limité aux documents en raison d’accusations de terrorisme ou de complicité avec des affaires liées au terrorisme. À la suite du coup d’état raté du 15 juillet 2016 et des décrets d’urgence qui ont suivi, plus de 150 médias ont été fermés et environ 10 000 travailleurs des médias avaient été licenciés 
			(41) 
			Leur licenciement n'incluait
pas de preuves spécifiques ni de détails sur leurs actes reprochés.
Au lieu de cela, les décrets offraient une justification générale
selon laquelle «ils […] avaient des liens avec, faisaient partie
de, étaient liés à, ou étaient en communication avec […]» des groupes
considérés comme criminels par le gouvernement.. Malgré la levée de l'état d'urgence en juillet 2018, les dispositions des décrets d'urgence ont été en grande partie conservées dans la nouvelle législation promulguée par la suite. Ces modifications législatives ont conféré à l'exécutif turc un pouvoir discrétionnaire presque illimité lui permettant d'appliquer des mesures radicales, notamment à l'encontre des médias. Ainsi le parquet d’Istanbul a émis le 10 août 2017 des mandats d’arrêt contre 35 personnes dans le cadre d’une enquête sur les liens entre les médias et les réseaux du prédicateur Fethullah Gülen, entraînant dix arrestations à Istanbul. De plus, ceux qui défendent ces journalistes sont eux-mêmes visés: ainsi, le 14 août 2017, les journaux pro-gouvernementaux Aksam, Star et Sabah ont publié des noms de journalistes turcs affiliés à un groupe de soutien aux journalistes emprisonnés, en les présentant comme des «fomentateurs de rébellion», des «traîtres» 
			(42) 
			Cette
répression s’applique même aux journalistes étrangers, puisque le
26 juillet 2017, Loup Bureau, un journaliste français, a été arrêté
à la frontière entre l'Irak et la Turquie et placé en détention
par les autorités turques pour activités «terroristes» en lien avec
des combattants kurdes de Syrie. Il a été libéré le 17 septembre
2017, notamment suite aux demandes du Président français Emmanuel
Macron.. Enfin, les autorités turques s’en prennent de façon récurrente au journal Cumhuryet dont les journalistes et collaborateurs sont régulièrement harcelés, accusés «d’assistance à une organisation terroriste», arrêtés et emprisonnés. Le 25 avril 2019, six de ses anciens journalistes étaient en prison et deux en exil 
			(43) 
			<a href='https://rsf.org/fr/actualites/six-anciens-collaborateurs-de-cumhuriyet-emprisonnes-en-turquie-laboutissement-dune-vengeance'>https://rsf.org/fr/actualites/six-anciens-collaborateurs-de-cumhuriyet-emprisonnes-en-turquie-laboutissement-dune-vengeance.</a>. Le 12 septembre 2019, annulant la décision d’un tribunal de première instance, la 16e chambre pénale de la Cour d’appel suprême (Cour de cassation) a jugé que l’exécution des peines de plusieurs membres du personnel de Cumhuriyet devait être suspendue et a demandé la libération des journalistes. Toutefois, le 21 novembre 2019, la 27e haute cour pénale d’Istanbul a confirmé la condamnation de 12 anciens employés de Cumhuriyet malgré l’arrêt d’acquittement rendu en septembre par la Cour de cassation. En outre, les tribunaux ou les autorités administratives bloquent et filtrent des sites d’information en ligne, notamment pro-kurdes, athées et LGBTI, voire des médias sociaux entiers 
			(44) 
			<a href='https://rm.coe.int/situation-de-la-democratie-des-droits-de-l-homme-et-de-l-etat-de-droit/168086c0c6'>https://rm.coe.int/situation-de-la-democratie-des-droits-de-l-homme-et-de-l-etat-de-droit/168086c0c6.</a>. Le 10 octobre 2019, le Bureau du Procureur général d’Istanbul a publié une déclaration interdisant les reportages et les commentaires critiques sur les opérations militaires menées par la Turquie dans le nord de la Syrie. La déclaration énonce qu'une ou plusieurs personnes qui «menacent la paix sociale de la République de Turquie, la paix intérieure, l'unité et la sécurité» par l'intermédiaire de «toute sorte d'information suggestive, publication/diffusion écrite ou visuelle» et «comptes opérationnels sur les réseaux sociaux» seront poursuivies conformément au code pénal turc et à la loi antiterroriste. Dans ce contexte, la police a arrêté deux journalistes, Hakan Demir, rédacteur en chef du site internet du quotidien BirGün, et Fatih Gökhan Diler, rédacteur en chef responsable du site d'information Diken. Les deux journalistes ont été remis en liberté conditionnelle mais interdits de voyager à l'étranger.
61. Royaume-Uni: En février 2019, le pays a adopté une nouvelle loi sur le contre-terrorisme et la sécurité des frontières 
			(45) 
			<a href='https://services.parliament.uk/Bills/2017-19/counterterrorismandbordersecurity.html'>https://services.parliament.uk/Bills/2017-19/counterterrorismandbordersecurity.html</a>.. Le projet de loi avait suscité de nombreuses critiques en raison de son impact négatif sur la liberté des médias et la liberté d'expression. Le texte retient ainsi la notion très vague de «soupçon raisonnable» pour criminaliser la publication d'images de vêtements ou de symboles. Les autorités britanniques ont reconnu qu'au moins 14 organisations figurant actuellement sur la liste des organisations terroristes ne remplissaient pas les critères pour figurer sur la liste. De plus, aucune intention terroriste n'est requise, il suffit de consulter une vidéo «terroriste» pour risquer des poursuites.
62. La France, la Pologne et l’Ukraine ont également adopté des lois autorisant les autorités administratives à bloquer les contenus en ligne sans décision de justice dans le cadre de mesures «antiterroristes».

2.4.2. Harcèlement juridique et «procédures bâillon» («Strategic Litigation Lawsuits Against Public Participation – SLAPP»)

63. Belgique: Les journalistes d'investigation David Leloup et Tom Cochez sont la cible de plaintes multiples émanant d'entreprises ou d'individus du monde politico-financier (cinq plaintes et deux menaces de plaintes en 2018). L'Association belge des Journalistes Professionnels (AJP) s'inquiète de cette multiplication de plaintes ciblant ces journalistes.
64. Bosnie-Herzégovine: 105 poursuites judiciaires ont été engagées contre un journaliste du quotidien Oslobođenje 
			(46) 
			<a href='http://safejournalists.net/wp-content/uploads/2018/12/indicators_on_the_level_of_media_freedom_WB_2018.pdf'>http://safejournalists.net/wp-content/uploads/2018/12/indicators_on_the_level_of_media_freedom_WB_2018.pdf.</a>.
65. Croatie: Pas moins de 1 160 poursuites étaient en cours en mars 2019 par des personnalités publiques et des entreprises contre des journalistes et des organes de presse. Le radiodiffuseur public croate HRT a lui-même intenté 36 procès contre ses propres journalistes et d'autres personnes, à tel point que des centaines de journalistes croates ont manifesté le samedi 2 mars 2019 à Zagreb 
			(47) 
			Les plaintes incluent
le délit d'«humiliation», prévu par le code pénal croate ou demandent
une indemnisation pour de prétendus préjudices non matériels tels
que «l'angoisse mentale» ou «la réputation ternie».. Etant donné le caractère coordonné de ces plaintes et l’implication de personnes dépositaires de l’autorité publique, ce phénomène peut être considéré comme une menace créée et encouragée par les autorités croates.
66. Finlande: Le 12 avril 2019, un tribunal finlandais a condamné la journaliste d’investigation Johanna Vehkoo pour diffamation contre un conseiller municipal d’Oulu, Junes Lokka. Or les poursuites visent les commentaires de la journaliste dans un groupe privé Facebook en 2016, avant que M. Lokka ne soit élu en mars 2017, ce qui semble disproportionné aux yeux de la journaliste et de son syndicat.
67. France: Le groupe de M. Vincent Bolloré a engagé près de 30 poursuites contres des journalistes et des médias. Parfois les journaux sont condamnés, comme Mediapart pour «diffamation», le tribunal estimant qu’un article était «certes bien fondé, mais plutôt inopportun».
68. Pologne: Gazeta Wyborcza a publié une série d’articles sur la construction à Varsovie de la «K tower» mettant en cause le dirigeant politique Jaroslaw Kaczynski. Le 20 février 2019, celui-ci a demandé au procureur polonais d’engager des poursuites pour diffamation contre les journalistes, qui risquent des peines d’emprisonnement en vertu du code pénal polonais. Le président de la Banque nationale polonaise (NBP) Adam Glapiński et le sénateur du PiS Grzegorz Bierecki ont aussi menacé cinq journalistes de les poursuivre pour «atteinte à la réputation». Rien qu’en 2018, le parti au pouvoir «Droit et justice» (PiS) et d'autres organes de l'État ont poursuivi le journaliste Wojciech Czuchnowski plus de 50 fois et ont demandé des excuses et des amendes de 12 000 € 
			(48) 
			<a href='https://www.dw.com/en/is-media-censorship-a-coming-threat-in-poland/a-46671328'>https://www.dw.com/en/is-media-censorship-a-coming-threat-in-poland/a-46671328.</a>.

2.4.3. Appels à la violence qui engagent la responsabilité des dirigeants politiques

69. Autriche: Le 23 avril 2018, le journaliste Armin Wolf de la télévision publique ORF a déclenché des menaces du parti d’extrême droite (FPÖ) («quelque chose qui ne peut rester sans conséquences») alors qu’il notait qu’une affiche électorale du FPÖ rappelait un dessin montrant un juif de l'ancien journal nazi Der Stürmer. De nombreux partisans du FPÖ ont envoyé des messages haineux au journaliste de l'ORF sur Facebook.
70. France: Les dirigeants de partis politiques de premier plan se sont pris de manière explicite aux médias. C’est notamment le cas de Jean-Luc Mélenchon, leader de la France Insoumise, qui a appelé publiquement à «pourrir» les journalistes de France Info, les «discréditer» et prouver que ce sont des «abrutis» 
			(49) 
			Radio France a déposé
plainte: <a href='https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/on-ne-peut-pas-laisser-passer-radio-france-porte-plainte-contre-jean-luc-melenchon_3000583.html'>https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/on-ne-peut-pas-laisser-passer-radio-france-porte-plainte-contre-jean-luc-melenchon_3000583.html</a>..
71. Hongrie: En 2017, un porte-parole du gouvernement a accusé un correspondant travaillant pour un site d’information d’être «drogué» et «de ne pas être un journaliste». Au moins huit autres journalistes ont été accusés par des médias pro-gouvernementaux de «servir des intérêts anti-hongrois».
72. Italie: C’est un des pays où les représentants des autorités publiques ont fait preuve de la plus grande hostilité envers les journalistes, notamment de juin 2018 à août 2019, sous le gouvernement de coalition des Cinq étoiles et de la Ligue. Durant cette période, les deux vice-premiers ministres du gouvernement, Luigi Di Maio (Cinq étoiles) et Matteo Salvini (Ligue), ont tenu dans les médias sociaux un discours particulièrement hostile aux médias et aux journalistes. M. Salvini a menacé de supprimer la protection policière dont bénéficie le journaliste d’investigation Roberto Saviano malgré les menaces graves et répétées à son encontre. Quant à M. Di Maio, il a insulté des journalistes (les traitant de «vulgaires chacals») 
			(50) 
			Les journalistes et
leurs organisations représentatives craignent ce climat de violence
alimenté par une rhétorique hostile et ont organisé des manifestations
à travers le pays contre ces insultes avec une campagne «giù le
mani dall'informazione» (bas les pattes de l’information). et a lancé une politique de suppression des subventions publiques à la presse 
			(51) 
			Le 20
juillet 2018, Roberto Saviano a été assigné en justice pour diffamation
par Matteo Salvini, suite à un tweet le qualifiant de «bouffon»
et de «ministre de la pègre».. En outre, en septembre 2018, M. Di Maio a appelé les entreprises publiques à cesser de payer des encarts publicitaires dans les journaux accusés de «polluer le débat public».
73. Macédoine du Nord: Le chef du parti VMRO, Nikola Gruevski, a décrit ses adversaires comme des «traîtres» et une série d'attaques contre les médias ont eu lieu à partir de février 2017. Deux journalistes ont été battus le 28 février 2017 à Skopje et personne n’a été poursuivi.
74. République tchèque: Le président Milos Zeman a demandé au Président russe Vladimir Poutine lors d’une rencontre bilatérale en mai 2017 s’il devrait «liquider» des journalistes car ils seraient trop nombreux. En octobre 2017 il a organisé une conférence de presse avec dans les mains une fausse Kalachnikov sur laquelle était écrit «pour les journalistes».
75. République slovaque: Après avoir traité les journalistes de «sales prostituées anti-slovaques» en novembre 2016, le Premier ministre Robert Fico les a traités «d’ignorants» en 2017 et leur a continuellement reproché leur façon trop négative de parler de lui. Même une fois son mandat terminé, le 21 mars 2019, lors d'une conférence de presse, M. Fico a accusé les médias de mener «une guerre» en qualifiant les médias slovaques de «la plus grande menace pour la démocratie».

2.4.4. Arrestation ou kidnapping de journalistes en exil et extradition vers leur pays d'origine

76. Azerbaïdjan: Le journaliste Afgan Mukhtarli a été kidnappé le 29 mai 2017 à Tbilissi et emprisonné en Azerbaïdjan 
			(52) 
			<a href='https://www.youtube.com/watch?v=ocxU3VukKUc'>https://www.youtube.com/watch?v=ocxU3VukKUc.</a>.
77. Turquie: Le pays a lancé des mandats d'arrêt lancés contre des journalistes exilés, tels que Can Dündar en Allemagne et Hamza Yalçın à l’Espagne.

2.4.5. Médias de service public (MSP) sous pression

78. Au cours des dernières années, les MSP ont été mis sous pression, y compris dans plusieurs pays considérés auparavant comme des «lieux sûrs». Trois moyens ont principalement été utilisés: la restriction des ressources, la limitation du mandat de service public et l’adoption de nouvelles lois ou de nouveaux règlements pour limiter l’indépendance de ces médias. Même si cette tendance n’entraine pas forcément d’alertes précises, on peut utiliser la «fable de la grenouille» pour illustrer cet affaiblissement chronique de l’indépendance et des moyens des MSP, à savoir un étouffement lent mais progressif et constant.
79. Danemark: Le gouvernement a imposé fin 2018 un nouvel accord de service à la radiotélévision publique DR qui limite considérablement sa présence en ligne et réduit les investissements dans les droits sportifs. De plus, la redevance audiovisuelle a été abolie et remplacée par une subvention directe à la charge du budget de l’État, remplacement motivé par des considérations politiques, réduisant le budget de 25% avant 2022. Dès septembre 2018, DR a annoncé la fermeture de trois chaînes de radio et de trois chaînes de télévision ainsi que le licenciement d’environ 400 personnes.
80. Suisse: A l’initiative d’un comité de jeunes députés issus de l’Union démocratique du centre (UDC) et du Parti libéral, les citoyens ont été demandés de se prononcer sur une initiative populaire «No Billag» qui proposait de supprimer la redevance dans l’audiovisuel public. Le 4 mars 2018, les électeurs ont refusé la suppression à une écrasante majorité de 71,6 % mais la redevance a néanmoins diminué et il faudra économiser 80 millions de francs sur cinq ans, en réduisant notamment la masse salariale.
81. Ukraine: Le pays a connu une restriction des ressources au sein de son nouveau radiodiffuseur public national, UA:PBC, entré en service en 2017. Fin 2018, à quelque mois des élections présidentielles et législatives, le Parlement a voté un budget réduit de moitié (57%) par rapport à ce qui était prévu par la loi. Cette coupe a obligé UA:PBC à se désinvestir de certaines régions du pays et à arrêter la transmission analogique.
82. Bosnie-Herzégovine: Il a fallu parvenir à un accord prévoyant le recouvrement des redevances audiovisuelles par le biais des factures d’électricité pour éponger les dettes de la radiotélévision publique en 2017.
83. Lituanie: Des modifications ont été apportées au système de nomination du Conseil d’administration de la radiotélévision publique allant dans le sens de plus d’ingérence politique.
84. Luxembourg: Le directeur général de la radio publique a démissionné avant la fin de son mandat suite à des dysfonctionnements de réglementation et à des pressions excessives.
85. Roumanie: La majorité politique peut décider de révoquer le directeur général de l’agence de presse AGERPRESS et, après chaque élection, les conseils d’administration des médias publics peuvent être légalement révoqués avant la fin de leur mandat.
86. Chypre: Le Parlement bloque chaque année le budget du service public pour obtenir des modifications dans sa grille de programmes ou l’arrêt de la publicité.
87. En Pologne et en Hongrie, le contrôle du gouvernement sur les MSP s’accentue avec la marginalisation des journalistes non alignés et le recours aux MSP à des finalités partisanes, surtout en période électorale. Cette situation inédite en démocratie s’étend de l’Europe centrale vers d’autres pays comme l’Italie où un parti de gouvernement (la Ligue) interfère avec la ligne éditoriale de la RAI, ou l’Autriche, où les journalistes de l’ORF sont accusés de diffamation par le parti populiste au pouvoir.

2.4.6. Précarité des journalistes, facteur de risques pour la liberté des médias

88. Comme déjà évoqué dans notre rapport sur le Journalisme en Europe 
			(53) 
			Mme Elvira
Drobinski-Weiss, Doc. 14505
«Le statut des journalistes en Europe». et comme le rappellent les syndicats de journalistes depuis de nombreuses années 
			(54) 
			<a href='https://europeanjournalists.org/fr/policy/freelance/'>https://europeanjournalists.org/fr/policy/freelance/</a>., il existe une précarisation grandissante de la profession, qui se traduit par l’explosion du nombre de journalistes dits «freelances» ou avec des relations de travail atypiques. Le point commun de ces statuts est que la majorité d’entre eux sont imposés par les employeurs et que ces freelances forcés (forcedlances) ou faux indépendants (fakelances) travaillent dans les mêmes conditions que les salariés à plein temps mais n’ont pas les mêmes droits. La précarisation et la pression au rendement sur les journalistes affectent leur capacité à rechercher et à enquêter; cette situation a également un impact négatif sur leur intégrité physique puisque «les pigistes et freelances manquent souvent de préparation ou d’assurance pour les zones à risques ou les conflits (manifestations, événements publics, conflits armés), ce qui les met en danger physique ou qui les pousse à prendre des risques disproportionnés» 
			(55) 
			Mme Elvira
Drobinski-Weiss, Doc. 14505
«Le statut des journalistes en Europe»..

3. Des développements négatifs et des stratégies qui nuisent à «l’écosystème des médias» et qui affaiblissent les médias indépendants

89. A la lumière des observations de la première partie, nous constatons plusieurs tendances négatives à travers le continent ainsi que des déficiences des États membres qui traduisent une volonté délibérée d’empêcher les journalistes de faire leur travail.
90. Les journalistes continuent d'être détenus ou emprisonnés de manière arbitraire et injustifiée.
91. Les lois répressives, notamment la législation antiterroriste utilisée à mauvais escient, érodent la liberté des médias. Comme l’a souligné la Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe le 4 décembre 2018 
			(56) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/misuse-of-anti-terror-legislation-threatens-freedom-of-expression'>https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/misuse-of-anti-terror-legislation-threatens-freedom-of-expression.</a>, «l’utilisation de la législation antiterroriste à mauvais escient est devenue en Europe l’une des menaces les plus répandues pour la liberté d’expression, y compris la liberté des médias». 
			(57) 
			C’est
le cas notamment en Turquie après le coup d’état manqué de 2016,
en Azerbaïdjan, mais aussi plus récemment en France avec les lois
sécuritaires qui ont fait suite à l’état d’urgence.
92. Le nombre d’atteintes à la sécurité et l’intégrité physique des journalistes est en augmentation (55 en 2015-2016 contre 66 en 2017-2018), de même que le nombre de menaces enregistrées, y compris les menaces de mort, qui a doublé en 2018 par rapport à 2017.
93. Les États ne protègent pas assez les journalistes: en vertu de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme, les États ont l’obligation positive de prendre des mesures préventives en cas de risque réel et immédiat pour la vie d’un journaliste. Dans les cas de Ján Kuciak et de Daphne Caruana Galizia, qui avaient tous les deux signalé des menaces, ni Malte ni la République slovaque n'ont pris ces menaces assez au sérieux pour prendre des mesures préventives.
94. Cette absence de protection s’accompagne d’une absence d’enquête sur la responsabilité des États et d’impunité suivant le même article 2 qui oblige également les États à mener une enquête indépendante et efficace sur leur responsabilité s’ils ne protègent pas leurs journalistes 
			(58) 
			Souvent
les enquêtes se concentrent uniquement sur la culpabilité individuelle.
La famille et le grand public méritent de savoir qui a commis ces
crimes et si la vie des journalistes aurait pu être sauvée.. La Cour européenne des droits de l’homme 
			(59) 
			Exemples d’affaires
ayant fait jurisprudence: Gongadzé c. Ukraine, n° 34056/02, 8 novembre
2005; Dink c. Turquie, n° 2668/07, n° 6102/08, n° 30079/08, n° 7072/09
et n° 7124/09, 14 septembre 2010; et, plus récemment, Mazepa et autres
c. Russie, n° 15086/07, 17 juillet 2018, dans laquelle la Cour a
jugé que les autorités russes n’avaient «pas mis en œuvre les mesures
d’enquête appropriées pour identifier le ou les commanditaires du
meurtre» d’Anna Politkovskaïa. a mis en évidence des schémas de comportement des autorités répressives et judiciaires qui sont caractéristiques d’une «culture» ou d’un «climat» d’impunité. Le manque de réponse policière et judiciaire appropriée est tout simplement inacceptable.
95. L’impunité s’accompagne aussi de menaces et de harcèlement des membres de la famille et des activistes qui cherchent à obtenir justice pour le compte des personnes menacées ou tuées 
			(60) 
			Cf. Malte, où la famille
de Daphne Caruana Galizia a été longuement harcelée en ligne et
par le biais de poursuites en diffamation. En République slovaque,
les organisateurs de la manifestation «Pour une Slovaquie décente»
(Za slušné Slovensko) ont
été accusés pénalement d’avoir été «payés» par George Soros..
96. L'indépendance et la pérennité des MSP sont de plus en plus compromises. L’indépendance est notamment attaquée par des partis gouvernementaux afin de modifier la ligne éditoriale et écarter les dirigeants et journalistes les moins «à l’écoute». Les lois sur l’audiovisuel, les autorités de contrôle et la gouvernance des MSP sont modifiées trop fréquemment, nuisant ainsi à leur stabilité et à leur indépendance.
97. Les conflits d’intérêts entre activités politiques et propriété des médias demeurent fréquents en se traduisent de plus en plus par des attaques directes contre les médias indépendants et les MSP.
98. Le comportement agressif de la classe politique et des représentants des autorités envers les journalistes, notamment en Italie, en République tchèque, en République slovaque et en Turquie, constitue une menace à l’encontre des médias en général.
99. Les États tentent de bloquer les sites internet et les plateformes de médias sociaux.
100. La capacité des journalistes à protéger les sources est toujours menacée et les lois qui menacent de criminaliser l’activité des journalistes continuent d’exercer un effet dissuasif important.
101. Des journalistes qui se rendent en exil sont arrêtés et extradés vers leur pays d’origine où ils risquent d’être sanctionnés et persécutés 
			(61) 
			Par exemple, la Turquie
a lancé des mandats d’arrêt contre des journalistes exilés tels
que Can Dündar en Allemagne et Hamza Yalçın en Espagne.. Parfois, cela peut même impliquer un enlèvement 
			(62) 
			C’est le cas du journaliste
azerbaidjanais Afgan Mukhtarli, kidnappé le 29 mai 2017 à Tbilissi
et emprisonné en Azerbaïdjan: <a href='https://www.youtube.com/watch?v=ocxU3VukKUc'>https://www.youtube.com/watch?v=ocxU3VukKUc.</a>.

3.1. Schémas au niveau transnational

102. Les procédures bâillon connues sous l’abréviation SLAPP (strategic litigation lawsuits against public participation) sont répandues dans de nombreux pays et constituent un abus de la législation sur la diffamation. Quel que soit le pays, la stratégie ne consiste pas à gagner mais à intenter ces procès qui, en raison des frais d’avocats et des procédures, sont à la fois onéreux et chronophages et destinés à faire taire la presse et l'expression politique.
103. Les menaces et attaques de la part de groupes d’extrémistes sont présentes dans au moins 11 pays 
			(63) 
			Allemagne, Arménie,
Autriche, Croatie, France, Grèce, Hongrie, Italie, République slovaque,
Turquie et Ukraine.. Les journalistes et les médias sont pris pour cible et sont les victimes directes d’une vindicte qui est visiblement orchestrée et commune à tous les groupes ou mouvements nationalistes, racistes ou populistes à travers l’Europe. Les journalistes femmes ou traitant de la question des migrants sont particulièrement affectés.

3.2. Schémas au niveau national

104. Hongrie: un conglomérat économique et politique biaisé de licences. L'achat ou la prise de contrôle de médias auparavant indépendants ou critiques par des partisans du gouvernement, ou l'utilisation abusive du système de licence des médias, constituent une forme d'ingérence orchestrée par les autorités. Le 28 novembre 2018, les propriétaires de la majorité des médias pro-gouvernementaux hongrois ont annoncé qu’ils cédaient leurs sociétés à une «Fondation pour la presse et les médias d’Europe centrale» dirigée par un proche du Premier ministre. Les intérêts commerciaux en harmonie avec le parti au pouvoir ont acheté des médias et sont passés du jour au lendemain à des points de vente pro-gouvernementaux 
			(64) 
			<a href='https://europeanjournalists.org/blog/2019/05/09/hungary-almost-78-of-the-media-are-pro-government'>https://europeanjournalists.org/blog/2019/05/09/hungary-almost-78-of-the-media-are-pro-government</a>., et les stations de radio populaires ont perdu leurs licences dans un contexte de diminution de la pluralité des médias.
105. Fédération de Russie: une conjugaison de facteurs multiples. Le pays compte un nombre élevé de journalistes et de blogueurs détenus, parfois plus d’un an de manière «provisoire», et leur nombre est au plus haut depuis la chute de l'URSS. La Fédération de Russie est le champion de l’impunité pour les assassins et agresseurs de journalistes et les autorités utilisent également les lois anti-terroristes et le blocage des communications (la messagerie cryptée Telegram depuis 2018) pour contrôler l’internet. Le régulateur fédéral russe des médias, Roskomnadzor, est en passe d’avoir des pouvoirs quasi-illimités dans le contrôle et la censure des médias. L’affaire du site d’information en ligne indépendant Fergana, bloqué le 1er octobre 2019 sur ordre du Roskomnadzor sans avertissement, notification ou explication ultérieure, en est un parfait exemple. Toutefois, en vertu de la loi, l’autorité de régulation des médias ne peut bloquer l’accès à des sites internet qu’après avoir adressé un avertissement à un fournisseur et accordé au propriétaire du site un délai suffisant pour corriger les informations erronées. Enfin les principales organisations de défense des médias ont été déclarées «agents de l’étranger». De plus, le 21 novembre 2019, la Douma a adopté le projet de loi visant à étendre le statut d’«agents étrangers» aux personnes privées. Le projet de loi adopté devrait permettre aux ministères de la Justice et des Affaires étrangères de désigner également les individus diffusant des informations à un nombre indéterminé de personnes et recevant un financement de l'étranger comme des «agents étrangers». Toutes les informations publiées par le blogueur ou le journaliste «agent étranger» devraient être marquées du label «agent étranger». Selon le Syndicat russe des journalistes et des travailleurs des médias, «le caractère extrêmement vague de ses formulations est évidemment destiné à son application sélective. Cela suggère que la nouvelle loi vise principalement les journalistes qui déplaisent aux autorités.» Enfin et surtout, certaines parties du territoire officiel ou sous contrôle russe (Tchétchénie et Crimée) sont des «zones grises» pratiquement sans information 
			(65) 
			<a href='https://rsf.org/fr/russie'>https://rsf.org/fr/russie.</a>.
106. Turquie: une justice partiale et arbitraire. En particulier depuis le putsch raté de 2016, il existe un manque d'indépendance et d'impartialité du pouvoir judiciaire qui affecte notamment le fonctionnement des médias et le travail des journalistes, dont l’activité est criminalisée et qui sont placés en «détention provisoire prolongée». De plus, la justice est lente et les procureurs peinent à prouver de manière exhaustive les critères juridiques en place pour établir l'accusation «d'adhésion à une organisation terroriste» dans le cas de journalistes. Il faut espérer que la stratégie de réforme judiciaire proposée par les autorités turques en 2019, qui vise à renforcer l’efficacité du pouvoir judiciaire et à améliorer son indépendance, son impartialité, sa transparence et son efficacité, sera en mesure de redresser la situation.

4. Action qui pourrait être menée; le rôle de la Plateforme

107. Toutes les menaces susmentionnées contre la liberté des médias et la sécurité des journalistes doivent être combattues de toute urgence, de façon efficace et adéquate.
108. Dans les stratégies que les États membres doivent mettre en place pour améliorer la situation, le rôle de la Plateforme devrait être essentiel. Le Conseil de l’Europe a créé la Plateforme en avril 2015, à la suite des demandes formulées par des organisations de journalistes et des groupes de défense de la liberté de la presse. Son rôle principal est de lancer des alertes lorsque la liberté des médias est bafouée et que la sécurité des journalistes est menacée. Les organisations partenaires 
			(66) 
			Fédération
européenne des journalistes; Fédération internationale des journalistes;
Association des journalistes européens; Article 19; Reporters sans
frontières; le Comité pour la protection des journalistes; Index
on Censorship; International Press Institute; International News
Safety Institute; The Rory Peck Trust; l'Union européenne de Radio-Télévision;
PEN International; European Centre for Press and Media Freedom;
Free Press Unlimited. de la Plateforme contribuent de manière remarquable à son action en observant de très près la situation dans les États membres. Dans leur dernier rapport annuel 
			(67) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/media-freedom/annual-report'>https://www.coe.int/fr/web/media-freedom/annual-report</a>., elles invitent les États membres à prendre d’urgence en compte les conclusions et les recommandations présentées dans le rapport et à prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour créer un environnement favorable à des médias libres et indépendants et pour mettre fin aux nombreux actes de violence, de harcèlement et d’intimidation qui sont la réalité quotidienne des journalistes dans certains États membres.
109. Excellent outil de lancement d’alertes et d’observation fine de la situation aux quatre coins de l’Europe, la Plate-forme est aussi un instrument très utile pour la coopération. Elle n’a pas été pensée comme un autre moyen de «dénoncer et blâmer les mauvais élèves», mais comme une occasion d’améliorer la situation de la liberté des médias et de la sécurité des journalistes dans les États membres. La Plateforme fournit en continu des informations qui peuvent servir de base au dialogue avec les autorités nationales sur les mesures préventives ou correctives pouvant être prises; elle permet de mettre à profit l’expertise des organisations de défense de la liberté des médias et des associations de journalistes et d’exploiter leurs réseaux.
110. Le grand intérêt de la Plateforme est de rappeler les questions de sécurité des journalistes et de liberté des médias à l’attention des gouvernements et de les inciter à réagir lorsque des menaces sont signalées. Surtout, elle contribue à suivre l’évolution de la situation et à trouver des réponses systémiques à divers problèmes tels que le blocage de sites internet, la sécurité des journalistes pendant les rassemblements, l’accréditation des journalistes étrangers et les «notices rouges» diffusées par Interpol.
111. En plus de lancer des alertes et de pointer du doigt des problèmes, la Plateforme, en présentant les bons résultats obtenus par certains pays, constitue pour les autres une source d’inspiration (et cette fonction devrait encore se renforcer).
112. Ainsi, sur le plan de la coopération, la France a créé un groupe de travail interministériel chargé de coordonner les réponses. Ce groupe est composé de représentants de la Représentation permanente de la France auprès du Conseil de l’Europe et des ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Culture. Le ministère ukrainien de la Politique de l’information a également mis en place un système de coordination des réponses aux alertes. Aux‑Pays‑Bas, le ministère public, les autorités policières et les organes de presse ont conclu un accord afin d’adopter des mesures de prévention et de coordonner les réponses aux actes de violence.
113. En ce qui concerne l’environnement médiatique dans son ensemble, on peut mentionner le cas de la Macédoine du Nord: même si le travail des journalistes demeure assez difficile et précaire, cet État membre se démarque depuis 2018 des autres pays de l’ex-Yougoslavie par une diminution des pressions et des poursuites à l’encontre de journalistes 
			(68) 
			<a href='https://www.ecpmf.eu/news/legal/eu-reports-macedonia-improved-climate-towards-journalists-and-then-there-is-turkey'>https://www.ecpmf.eu/news/legal/eu-reports-macedonia-improved-climate-towards-journalists-and-then-there-is-turkey.</a> et un recul de la propagande politique dans les médias; les agressions de journalistes ont ainsi diminué de 65 % en 2018 par rapport aux années précédentes 
			(69) 
			<a href='https://rsf.org/en/republic-north-macedonia'>https://rsf.org/en/republic-north-macedonia.</a>.
114. En ce qui concerne l’amélioration du cadre juridique, le Gouvernement britannique a accepté, après de longs débats parlementaires, de modifier la loi intitulée Anti-Terrorism Act (loi antiterroriste), qui dispose que le travail de journaliste et la réalisation de travaux universitaires constituent un motif valable de consultation d’informations en ligne pouvant être utiles au terrorisme. Une autre amélioration apportée à la législation a été observée à Malte, où le Parlement a adopté une loi sur les médias qui supprime les procédures pénales à l’encontre des journalistes et la possibilité de les placer en détention.
115. Une série de problèmes et de cas soulevés dans un certain nombre d’alertes ont été traités de façon satisfaisante. Plusieurs dialogues bilatéraux ont abouti et plus de 120 affaires ont été résolues. Plusieurs gouvernements se montrent désormais plus disposés à assurer un suivi constructif. Ces bons exemples doivent être multipliés et la coopération avec la Plateforme développée.
116. Cela étant, la visibilité de la Plateforme doit être renforcée, et son action et sa valeur mises en avant. Il serait utile de renforcer les synergies avec l’Union européenne et de faire mieux connaître la Plateforme et son système d’alerte auprès des délégations de l’Union dans divers pays: les discussions concernant l’adhésion sont une occasion exceptionnelle d’avoir un certain poids et d’obtenir des États concernés qu’ils s’engagent à trouver des solutions. De plus, les États membres doivent être vivement encouragés à jouer un rôle plus actif et à soulever la question des atteintes à la liberté des médias dans leurs relations et discussions bilatérales.
117. Pour lutter contre le faible taux de réponse de certains États membres et améliorer l’efficacité de la communication entre la Plateforme et les autorités nationales, il pourrait être utile d’organiser des missions conjointes sur le terrain, qui mettraient en présence différentes parties prenantes. Il conviendrait d’organiser une discussion sur la manière de repérer les pays qui ne répondent pas dans le cadre du rapport annuel de la Plateforme, afin de les encourager à participer plus activement.
118. Enfin, il pourrait être utile de relier l’activité de la Plateforme avec les travaux du Comité directeur sur les médias et la société de l’information (CDMSI) et la stratégie de mise en œuvre de la Recommandation CM/Rec(2016)4, ainsi qu’avec les dialogues permanents sur les droits de l’homme qui ont lieu dans le cadre des Lignes directrices de l’UE en matière de droits de l’homme relatives à la liberté d’expression en ligne et hors ligne et leur mise en œuvre.

5. Conclusions

119. La période 2017-2019 se caractérise par plusieurs événements négatifs concernant la liberté des médias et la sécurité des journalistes. Le nombre d’agressions physiques et d’actes de violence à l’encontre de journalistes a beaucoup augmenté. Un nouveau phénomène choquant voit le jour en Europe: des journalistes sont tués parce qu’ils font leur métier. L’incarcération arbitraire, la torture et l’assassinat de journalistes se multiplient en Europe et cette tendance est préoccupante. De plus, le harcèlement en ligne permanent et l’augmentation des attaques perpétrées par des groupes «néo-fascistes» et des organisations criminelles à l’encontre de journalistes et d’organes d’information constituent de graves problèmes qui portent atteinte à la sécurité des journalistes.
120. Un grand nombre de crimes ont été perpétrés dans un climat de totale impunité, preuve que de nombreux États membres ne protègent pas la liberté des médias et la sécurité des journalistes comme ils ont l’obligation de le faire. Pire, au lieu de protéger les journalistes, les autorités politiques et judiciaires constituent souvent elles-mêmes une menace, voire la menace principale et quotidienne qui pèse sur les médias. Or, en vertu de la CEDH, les États membres ont l’obligation de mener des enquêtes indépendantes et rapides sur tout agissement criminel à l’encontre de journalistes (meurtres, agressions, mauvais traitements, etc.) et de traduire en justice tous les responsables au regard de la loi.
121. Bon nombre d’États membres ont échoué à créer un environnement médiatique favorable et, à cette fin, à réviser leur législation. Les exemples d’autorités publiques qui, en détournant la législation, portent potentiellement atteinte à la liberté des médias ne manquent pas. Certains instruments juridiques comme les lois sur la diffamation, la lutte contre le terrorisme, la sécurité nationale, l’ordre public, le discours de haine ou le blasphème et les lois sur la mémoire, sont souvent appliqués pour intimider et museler les journalistes dans le cadre de «procédures-bâillons» et de multiples poursuites stratégiques.
122. Bon nombre d’autorités publiques ne respectent pas le droit des journalistes de protéger leurs sources et ne facilitent pas le travail des professionnels des médias dans certains contextes, par exemple dans les zones de conflit ou les rassemblements publics. Trop souvent, les autorités ont abusivement recours à des mesures administratives comme l’enregistrement ou l’accréditation, ou font un usage impropre de la législation fiscale, dans le but de harceler des journalistes ou d’exercer des pressions sur eux. Les cas de violence policière contre des journalistes sont encore trop fréquents.
123. On observe également une forte augmentation des comportements agressifs et des agressions verbales violentes à l’encontre de journalistes de la part de personnalités politiques et de représentants des autorités. Malheureusement, ces comportements servent parfois d'exemples et contaminent certains pans de la société. Ainsi peut-on parler de véritables situations de «diabolisation» populaire des médias qui se caractérisent par la volonté de harceler et de s’attaquer aux journalistes ou aux médias pour ce qu’ils représentent, plutôt que de débattre des faits ou d’établir la vérité. Un certain nombre de pays connaissent une «décomplexion populaire» et une défiance face aux médias, qui sont accusés d’être partiaux et copieusement insultés. Cette dynamique constitue une menace renforcée et chronique pour la liberté des médias en Europe, particulièrement là où les contrepoids (société civile) et contre-pouvoirs (judiciaires) ont été affaiblis.
124. Un autre problème très préoccupant concerne les médias de service public en Europe, qui subissent des pressions croissantes et continues dans la plupart des États membres. Ils pâtissent de coupes budgétaires et de nouvelles lois ou réglementations qui limitent leur indépendance ou restreignent leurs attributions. Or, pour être en accord avec les normes du Conseil de l’Europe en la matière, les États membres doivent garantir aux médias de service public un financement suffisant et pérenne, une indépendance éditoriale et une autonomie institutionnelle.
125. Nous devons demander aux États membres de redoubler d’efforts et d’être plus efficaces. À cet égard, j’ai proposé dans le projet de résolution une série de mesures que les États membres devraient prendre pour inverser la tendance et veiller au respect de la liberté des médias et de la sécurité des journalistes. J’espère que ces propositions recevront le soutien de mes collègues.
126. La Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes est un excellent moyen d’examiner à la loupe la situation dans les États membres et d’encourager ces derniers à répondre aux menaces qui sont signalées. De plus, la Plateforme aide les acteurs concernés à dégager des tendances et à trouver des réponses systémiques aux différents problèmes qui se posent. Les États membres devraient soutenir cet outil sans réserve, établir une coopération véritable avec la Plateforme et apporter des réponses de fond aux alertes dénoncées, en recherchant des actions correctives rapides et en adoptant des mesures ciblées pour que les cas signalés ne se reproduisent pas.
127. À cet égard, l’action et la valeur de la Plateforme doivent être mises en avant et sa visibilité doit être renforcée. Les parties prenantes devraient réfléchir ensemble à la meilleure façon d’optimiser l’impact des alertes, et en particulier chercher à développer des synergies avec les services concernés de l’Union européenne, notamment dans le but de peser davantage sur certains pays et d’obtenir leur engagement au moment des négociations d’adhésion. Une bonne idée serait d’enjoindre aux États membres de soulever la question des atteintes à la liberté des médias dans leurs relations et discussions bilatérales. Je suis en outre convaincu que la Plateforme a tout à gagner d’un rapprochement avec les activités du Comité directeur sur les médias et la société de l’information et avec les dialogues permanents sur les droits de l’homme qui ont lieu dans le cadre des Lignes directrices de l’UE en matière de droits de l’homme relatives à la liberté d’expression en ligne et hors ligne.
128. Enfin et surtout, certains États membres, quoique peu nombreux, ont mis en place des mesures et des initiatives constructives pour renforcer la protection des journalistes et des médias. Ces bons exemples doivent être salués, les efforts valorisés, et les autres États membres encouragés à s'en inspirer. Je pense sincèrement que la Plateforme, en tant qu’outil de promotion des bonnes pratiques, pourrait les aider en ce sens. Les organes du Conseil de l’Europe, y compris l’Assemblée parlementaire, doivent continuer à renforcer leur dialogue avec les autorités nationales, encourager dans tous les pays la poursuite des efforts entrepris pour défendre la liberté des médias, et se tenir prêts à répondre à de nouvelles demandes de soutien et de coopération.

Annexe – Avis divergent de M. Kamil Aydın, Turquie, sur le rapport intitulé «Menaces sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes en Europe»

(open)

Le présent avis divergent vise à réagir à certaines informations inexactes du rapport qui ne correspondent pas à la situation réelle du journalisme et de la liberté des médias en Turquie. Par la présente, nous donnons notre propre point de vue sur les questions concernées.

Le rapport ne donne pas une vision globale de la situation de la liberté des médias en Turquie. Les réalisations des réformes précédentes et des réformes actuelles visant à améliorer la protection de la liberté des médias ne figurent pas dans le rapport. Ce dernier ne développe pas la véritable nature des crimes dont les journalistes emprisonnés sont accusés, ni les motifs pour lesquels certains médias ont été fermés. Certains aspects de la liberté des médias en Turquie peuvent être résumés comme suit:

Dans le cadre des négociations en vue de l’adhésion à l’Union européenne, des lois «d’harmonisation» ont été adoptées par le Parlement turc afin d’aligner la législation nationale sur les acquis de l’UE et de renforcer la protection des droits fondamentaux. Au fil de ce processus de réforme, diverses dispositions de droit pénal ont limité des aspects des infractions de nature verbale. L’exemple le plus récent des efforts constants de réforme est fourni par une loi adoptée en octobre 2019 qui ajoute la phrase suivante aux dispositions pertinentes de la Loi contre le terrorisme: «les opinions qui ne sortent pas du cadre de l’information du public ou les simples critiques ne constituent pas une infraction». Compte tenu de ces réformes, j’estime que le Code pénal de la Turquie respecte déjà, sur le fond, les normes de l’UE et du Conseil de l'Europe.

Le rapport reproche au système judiciaire turc son manque d’indépendance mais, en réalité, les tribunaux de Turquie statuent en toute indépendance sur le fond de chaque affaire. L’indépendance du pouvoir judiciaire est attestée par de récents arrêts de la Cour Constitutionnelle et de la Cour de Cassation dans lesquels ces instances protègent la liberté de parole et demandent que des journalistes soient libérés de prison. Par contre, la vaste majorité des personnes qualifiées de «journalistes emprisonnés» en Turquie sont poursuivis pour des infractions graves qui n’ont aucun rapport avec leur travail journalistique. De même, les décisions de fermer certains médias ont uniquement concerné ceux qui faisaient la propagande du terrorisme, étaient financés par des fonds provenant d’organisations criminelles ou servaient à blanchir de l’argent résultant d’activités criminelles. Les décisions correspondantes peuvent être contestées devant les tribunaux tout comme toutes les mesures prises dans le cadre de l’état d'urgence.