1. Introduction
1. Lors de la 129e session
du Comité des Ministres, tenue à Helsinki le 17 mai 2019, les ministres
des Affaires étrangères des États membres du Conseil de l’Europe
ont chargé leurs Délégués «d’examiner les moyens de renforcer l’action
contre la traite des êtres humains». Cette
instruction claire fait écho aux intentions qui nous motivaient,
mes collègues et moi, lorsque nous avons déposé la proposition de
résolution sur une action concertée de la lutte contre la traite
des êtres humains (
Doc. 14478). J’accueille avec vive satisfaction la décision du
Comité des Ministres et je considère mon rapport comme une contribution
interparlementaire à l’action dans ce domaine.
2. En tant que président du groupe parlementaire multipartite
du Parlement britannique sur la traite des êtres humains et l’esclavage
moderne
, j’ai constaté que les normes juridiques
et les orientations politiques ne suffisent pas. L’Europe a plutôt
besoin de davantage de sensibilisation, de compréhension des problèmes
et d’action concertée, fondée sur les expériences nationales et
accordant beaucoup plus d’attention à la situation des victimes.
Ayant entendu plusieurs experts et témoins au cours de l’élaboration
de ce rapport, je me suis souvent demandé quelles seraient les revendications
de mes collègues parlementaires si leurs propres enfants ou des
membres de leur famille étaient victimes de la traite. Tel est le
terrible sort de millions de familles dans le monde entier. Il ne
s’agit pas d’un défi théorique mais bien d’une immense tragédie
humaine. Nous devons développer davantage d’empathie pour les victimes
et faire davantage pour les aider.
3. Dans ce rapport, l’expression «traite des êtres humains» s’entend
telle qu’elle est définie à l’article 3 (a) du Protocole des Nations
Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes,
en particulier des femmes et des enfants (2000): «l’expression "traite
des personnes" désigne le recrutement, le transport, le transfert,
l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours
ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par
enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation
de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou
d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité
sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend,
au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres
formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés,
l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude
ou le prélèvement d’organes». Cette formulation est identique à
celle figurant à l’article 4 (a) de la Convention du Conseil de
l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197,
2005). En outre, ce rapport aborde également le mariage forcé et
l’adoption forcée d’enfants, qui sont des formes de traite, ainsi
que le trafic illicite de migrants.
4. Certains pays, dont le mien, le Royaume-Uni, considèrent la
traite comme une forme contemporaine d’esclavage. L’organisation
non gouvernementale britannique Anti-Slavery International définit
l’«esclavage moderne» comme une situation dans laquelle des personnes
sont forcées de travailler par la contrainte ou la menace, physique
ou psychologique; piégées et contrôlées par l’«employeur» au moyen
d’agressions psychologiques ou physiques, ou de la menace d’agressions;
déshumanisées, traitées comme une marchandise ou achetées et vendues
comme telles; soumises à des contraintes physiques ou à des restrictions
dans leur liberté de circulation
. Les reportages des médias sur des
migrants vendus aux enchères comme des esclaves pour le travail
ou d’autres usages en Libye
ont suscité de vives réactions de
par le monde, en particulier de la part de l’Union africaine
et du Conseil de sécurité de l’ONU
. Le Parlement européen s’est également
penché sur les formes contemporaines d’esclavage
.
5. Depuis de nombreuses années, l’Europe est touchée par le fléau
abominable de la vente d’êtres humains par-delà les frontières
. Comme l’a montré l’Office des Nations
Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) dans ses rapports sur
les flux mondiaux de la traite
, notre continent en est l’une des
principales destinations. Certes, il n’existe plus de marchés d’esclaves
en Europe, mais des hommes et des femmes font encore la queue, dans
des rues d’Europe, pour se faire embarquer et exploiter dans des
exploitations agricoles ou sur des chantiers de construction, ou
pour fournir des services sexuels. L’expression «esclavage moderne» n’étant
pas courante dans plusieurs pays, j’utiliserai dans le présent rapport
l’expression «traite des êtres humains» ou plus simplement «traite».
6. La commission sur l’égalité et la non-discrimination, saisie
pour avis sur ce rapport, a désigné Mme Isabelle
Rauch (France, ADLE) comme rapporteure pour avis. Le Gouvernement
français, qui a annoncé l’adoption de son deuxième plan d’action
national contre la traite le 18 octobre 2019, a inscrit la lutte
contre la traite des êtres humains parmi ses priorités
. Le 8 mars 2019, la France et la
Suède ont lancé une initiative conjointe visant à lutter contre
la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle
. J’apprécie vivement ces initiatives
et remercie Mme Rauch de sa contribution
à la préparation du rapport. La commission sur l’égalité et la non-discrimination
et son ancien rapporteur, M. José Mendes Bota, ont élaboré la
Résolution 1983 (2014) sur la prostitution, la traite et l’esclavage moderne
en Europe
, qui nous intéresse dans le contexte
de ce rapport.
7. La commission des migrations, des réfugiés et des personnes
déplacées et son ancienne rapporteure, Mme Annette
Groth, ont élaboré la
Résolution
1922 (2013) sur la traite des travailleurs migrants à des fins de travail
forcé
, qui nous intéresse également. Lors
de sa réunion du 28 juin 2018, la commission a décidé de combiner
ce rapport avec une proposition de résolution présentée par Mme Daphné
Dumery et ses collègues, intitulée «Réfugiés et migrants: des cibles
faciles pour la traite et l’exploitation» (
Doc. 14336). La traite a souvent une dimension transnationale;
les victimes à qui les trafiquants font franchir des frontières
sont donc aussi des migrants. L’augmentation du nombre de migrants
arrivant en Europe en 2015-2016 a inévitablement entraîné une augmentation
du nombre de cas de traite, qui continue de poser problème à certains
pays européens
.
8. La présidente du Comité des Parties à la Convention du Conseil
de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, l’ambassadrice
Corina Călugăru, Représentante permanente de la République de Moldova auprès
du Conseil de l’Europe, a participé à la réunion de la commission
du 3 octobre 2019 et a accepté de soumettre mon avant-projet de
rapport au Comité des Parties pour commentaires. Je suis très reconnaissant à
l’Allemagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni pour les commentaires
reçus, ainsi qu’au président et au secrétariat du Groupe d’experts
du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains
(GRETA). Cette coopération entre le Comité des Ministres et l’Assemblée
parlementaire devrait se poursuivre dans la mise en œuvre de l’action
du Conseil de l’Europe contre la traite des êtres humains.
9. Le présent rapport ne doit pas faire double emploi avec les
rapports d’experts sur la traite, nombreux et de grande qualité,
qui ont été publiés ces dernières années. Il entend plutôt sensibiliser
les parlementaires au problème et suggérer d’engager une action
politique et législative concertée au niveau européen et au niveau national.
10. Plusieurs pays européens, du fait de leurs normes peu exigeantes
ou de leurs services répressifs peu efficaces, sont devenus des
lieux cibles ou des paradis sûrs de la traite, tandis que d’autres
États sont devenus d’importants pays d’origine des victimes de la
traite. Pour que le Conseil de l’Europe réalise des progrès mesurables
dans la lutte contre la traite, il est indispensable d’agir de manière
concertée au niveau européen et d’assumer les responsabilités collectivement.
2. Action internationale
11. Outre le Conseil de l’Europe,
plusieurs agences des Nations Unies, Interpol, l’Organisation pour
la sécurité et lacoopération en Europe (OSCE) et l’Union européenne
soutiennent la lutte contre la traite, de même que des organisations
régionales en Afrique
, en Asie
, au Moyen-Orient
, en Amérique
et en Australie
. Afin d’accroître l’impact de l’action
internationale contre la traite, il est important que les États membres
fassent en sorte, par l’intermédiaire de leurs gouvernements et
de leurs parlements, que cette action soit menée de façon ciblée,
coordonnée et synergique, et axée sur des résultats concernant la
protection effective des victimes et la prévention efficace de la
traite.
2.1. Organisation
des Nations Unies (ONU)
12. La traite des êtres humains
ayant souvent une dimension mondiale, l’Organisation des Nations
Unies joue depuis de nombreuses décennies un rôle moteur dans la
lutte contre la traite, en imposant aux États des obligations de
droit international public. La Convention des Nations Unies pour
la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation
de la prostitution d’autrui
(1949)
est le premier traité exhaustif des Nations Unies à employer l’expression
«traite des êtres humains», et à établir l’obligation de lutter
contre l’exploitation de la prostitution d’autrui. En outre, l’article
2 de cette convention prévoit de punir «toute personne qui: 1) tient, dirige
ou, sciemment, finance ou contribue à financer une maison de prostitution;
2) donne ou prend sciemment en location, en tout ou en partie, un
immeuble ou un autre lieu aux fins de la prostitution d’autrui».
La Journée internationale pour l’abolition de l’esclavage commémore
son adoption, le 2 décembre 1949, par l’Assemblée générale des Nations
Unies.
13. En 2000, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la
Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale
organisée et les deux protocoles qui nous intéressent dans ce contexte:
le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des
personnes, en particulier des femmes et des enfants, et le Protocole
contre le trafic illicite de migrants par terre, mer et air
. En tant que
protocoles à la Convention des Nations Unies contre la criminalité
transnationale organisée, leur application requiert en principe
un certain degré de transnationalité ou d’implication d’un groupe
criminel organisé. Toutefois, le guide législatif pour l’application
du protocole contre la traite énonce que les lois nationales relatives
aux infractions de traite devraient également s’appliquer dans les
cas où il n’y a pas d’élément de transnationalité ni de participation d’un
groupe criminel organisé
. Le trafic illicite de migrants
présente, en toute logique, une dimension transnationale
. Le secrétariat de la Convention
de 2000 et de ses protocoles est assuré par l’Office des Nations
Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) à Vienne. Conformément
à la résolution A/RES/68/192 de 2013, l’Assemblée générale des Nations
Unies a déclaré le 30 juillet Journée mondiale de la lutte contre
la traite d’êtres humains.
14. Dans le cadre des procédures spéciales du Conseil des droits
de l’homme des Nations Unies à Genève, plusieurs experts indépendants
ont été mandatés en tant que rapporteurs spéciaux pour établir des
rapports et formuler des conseils sur des questions directement
liées au sujet du présent rapport: la Rapporteuse spéciale sur les
formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs
conséquences, la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains,
en particulier des femmes et des enfants, la Rapporteuse spéciale
sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences,
la Rapporteuse spéciale sur la vente et l’exploitation sexuelle
d’enfants, y compris la prostitution des enfants et la pornographie
mettant en scène des enfants et autres contenus montrant des violences
sexuelles sur enfant, et le Rapporteur spécial sur les droits de
l’homme des migrants.
15. L’Organisation internationale du travail (OIT), à Genève,
a élaboré des traités internationaux tels que la Convention n° 29
sur le travail forcé (1930) et son Protocole de 2014 ainsi que la
Convention n° 189 sur les travailleuses et travailleurs domestiques
(2011). En 2017, l’OIT a estimé que 25 millions de personnes étaient victimes
de travail forcé, y compris les services sexuels forcés, et 15 millions
de personnes victimes de mariage forcé
.
16. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) mène
des projets de longue durée contre la traite, qui mettent l’accent
sur des mesures de lutte pratiques
. En outre, les agences spécialisées
des Nations Unies contribuent à la lutte contre la traite et coordonnent
leurs travaux par l’intermédiaire du Groupe de coordination interinstitutionnelle
contre la traite des êtres humains (ICAT), qui sert de forum politique mandaté
par l’Assemblée générale des Nations Unies et est ouvert aux autres
organisations internationales compétentes. Depuis 2017, le Conseil
de l’Europe participe aux activités de l’ICAT en tant qu’organisation partenaire.
2.2. Organisation
internationale de police criminelle (Interpol)
17. Interpol a mis en place plusieurs
programmes de formation de la police nationale à la lutte contre
la traite
et le trafic illicite de migrants
. Interpol coopère avec Europol,
l’OSCE, l’Organisation internationale pour les migrations, ONU Femmes
et l’ONUDC, et organise chaque année la Conférence mondiale sur
la traite des êtres humains et le trafic illicite de migrants
. Il pourrait être utile que le Conseil
de l’Europe fasse également partie de ces partenaires et puisse,
éventuellement, accueillir une future conférence.
18. Afin de mieux lutter contre la traite des êtres humains et
la criminalité internationale, les ministres de l’Intérieur du G7
ont décidé, lors de leur réunion d’avril 2019 à Paris, de renforcer
la coopération opérationnelle et d’échanger des informations pertinentes
en matière de répression par l’intermédiaire d’Interpol.
2.3. Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)
19. En 2003, l’OSCE a adopté son
Plan d’action pour lutter contre la traite des êtres humains et
a ensuite créé la fonction de Représentant spécial et Coordonnateur
pour la lutte contre la traite des êtres humains
. L’OSCE mène plusieurs projets concrets
contre la traite des êtres humains. Le projet sur la lutte contre
la traite des êtres humains le long des voies migratoires présente
un intérêt particulier dans le contexte de ce rapport
.
20. En outre, le Bureau du Représentant spécial et Coordonnateur
de l’OSCE convoque des réunions semestrielles de l’Alliance contre
la traite des personnes, un vaste forum international dont le Conseil
de l’Europe fait partie. La 19e réunion
de l’Alliance contre la traite des personnes (Vienne, 8-9 avril
2019) a examiné l’importance croissante de l’utilisation et de l’exploitation
des technologies de l’information et de la communication dans le
domaine de la traite
.
2.4. Union
Européenne
21. L’article 5 de la Charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne interdit expressément l’esclavage,
le travail forcé ou obligatoire et la traite des êtres humains.
En ce qui concerne les États membres de l’Union européenne, des
normes juridiques communes spécifiques sont fixées par la directive
2011/36/UE concernant la prévention de la traite des êtres humains
et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes.
Selon l’article 2 de la directive, l’exploitation illégale «comprend,
au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres
formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés,
y compris la mendicité, l’esclavage ou les pratiques analogues à
l’esclavage, la servitude, l’exploitation d’activités criminelles,
ou le prélèvement d’organes». La Commission européenne observe l’évolution
de la situation en matière de traite dans ses États membres et publie
des informations en ligne
. Elle a créé le poste de coordonnateur
européen de la lutte contre la traite des êtres humains et a nommé
Mme Myria Vassiliadou à ce poste
. Le 18 octobre est la Journée européenne
de lutte contre la traite des êtres humains.
22. La directive 2004/81/CE du 29 avril 2004 réglemente la délivrance
de permis de séjour aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes
de la traite et qui coopèrent avec les autorités compétentes. En outre,
la directive 2009/52/CE du 18 juin 2009 prévoit des sanctions à
l’égard des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour
irrégulier qui, même s’ils n’ont pas été inculpés ou condamnés pour
traite des êtres humains, utilisent le travail ou les services d’une
personne tout en sachant que cette personne est victime de traite.
La directive 2002/90/CE et la décision-cadre 2002/946/JAI érigent
le trafic illicite de migrants en infraction pénale.
23. Europol
et Eurojust
jouent également un rôle actif et
important dans la lutte contre la traite. Europol a créé en 2016
le Centre européen de lutte contre le trafic de migrants
. Le Bureau européen d’appui en matière
d’asile (EASO), à Malte, a organisé en 2017 la quatrième conférence
annuelle sur la traite des êtres humains et la protection internationale
.
24. La Commission européenne a publié en décembre 2018 ses données
sur la traite dans l’Union européenne pour la période 2015-2016;
il y est fait état de 20 532 victimes enregistrées dans l’Union européenne,
mais la commission a indiqué que le nombre réel de victimes est
probablement beaucoup plus élevé, car un grand nombre d’entre elles
ne sont pas détectées
. En outre, l’Union européenne a
lancé un plan d’action contre le trafic illicite de migrants (2015-2020)
; début 2016, elle a également lancé
une consultation publique sur le thème «Lutter contre le trafic
illicite de migrants: la législation de l’UE est-elle adaptée au
but recherché?»
.
25. A l’occasion de la Journée internationale des femmes, le 8
mars 2001, la Commission européenne a publié un aperçu de ses nombreuses
initiatives sous le titre «Traite des femmes – le miroir aux alouettes:
de la pauvreté à l’esclavage sexuel – une stratégie Européenne globale»
. Près de vingt ans plus tard, beaucoup a
été fait dans ce domaine, y compris au niveau de la législation
européenne, mais les problèmes semblent néanmoins s’être aggravés;
à l’occasion de la Journée européenne de lutte contre la traite
des êtres humains, le 18 octobre 2019, la Commission européenne
a encore appelé à «mettre fin à l’impunité des trafiquants d’êtres
humains»
.
2.5. Conseil
de l’Europe
26. L’article 4 de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE n° 5) interdit l’esclavage,
la servitude, et le travail forcé ou obligatoire. Il ressort de
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que
cet article pourrait jouer un rôle de plus en plus important dans
la lutte contre la traite
. Malheureusement, son libellé n’inclut
pas la traite, contrairement à l’article 5 de la Charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne
.
27. Le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres
humains (GRETA) a été créé en application de la Convention du Conseil
de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains
; il est chargé
d’assurer le suivi de la mise en œuvre de la convention par les
Parties. La convention est supervisée par le Comité des Parties.
Depuis 2010, le GRETA a effectué deux cycles d’évaluation de la
mise en œuvre de la Convention; il a publié plus de 80 rapports
d’évaluation par pays et a récemment lancé le troisième cycle d’évaluation,
dont le thème principal est l’accès des victimes à la justice et
à des recours effectifs
.
28. D’autre part, la Convention du Conseil de l’Europe contre
le trafic d’organes humains (STCE n° 216) de 2015 érige en infraction
pénale le prélèvement et le trafic d’organes s’il est réalisé «sans
le consentement libre, éclairé et spécifique du donneur» ou si «en
échange du prélèvement d’organes, le donneur vivant, ou une tierce
personne, s’est vu offrir ou a obtenu un profit ou un avantage comparable»
(article 4). Ainsi, en interdisant le don d’organes à des fins lucratives,
cette convention prévoit des restrictions plus sévères pour le don
d’organes que les restrictions prévues par la Convention sur la
lutte contre la traite des êtres humains pour la traite aux fins
de prélèvement d’organes. Le Comité des Parties supervise la convention
et peut demander des informations aux Parties. À ce jour, cette
convention, encore récente, a été signée par 23 États membres
et un État non membre, le Costa Rica;
il manque encore de nombreuses ratifications.
29. L’Assemblée a abordé la question de la traite, entre autres,
dans sa
Résolution 1983
(2014) sur la prostitution, la traite et l’esclavage moderne
en Europe et sa
Résolution
1922 (2013) sur la traite des travailleurs migrants à des fins de
travail forcé. Dans ce dernier contexte, la Charte sociale européenne
révisée (STE n° 163) énonce un certain nombre de droits qui définissent
les conditions légales d’emploi par opposition à l’exploitation
du travail d’autrui
.
3. Types
de traite des êtres humains
30. Ainsi qu’en témoignent les
diverses normes juridiques mentionnées dans ce qui précède, la traite
des êtres humains peut prendre différentes formes
. Selon le type de traite et d’exploitation,
différentes mesures de lutte peuvent être nécessaires. Dans ce qui
suit, j’emploie la terminologie figurant à l’article 3 (a) du Protocole
des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite
des personnes, en particulier des femmes et des enfants (2000) ainsi
qu’à l’article 4 (a) de la Convention du Conseil de l’Europe sur
la lutte contre la traite des êtres humains (2005), qui est identique.
3.1. Exploitation
de la prostitution d’autrui et autres formes d’exploitation sexuelle
31. Selon les données de l’Union
européenne, la traite aux fins d’exploitation de la prostitution
d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle est la forme
de traite la plus fréquemment signalée dans l’Union européenne,
et 95 % des victimes recensées sont des femmes ou des jeunes filles
. Les chiffres concernant les États
membres du Conseil de l’Europe sont probablement similaires.
32. Dans quelques États membres, la prostitution est autorisée
par la loi et réglementée. Cela est généralement présenté comme
un moyen d’éviter de pousser les personnes se livrant à la prostitution
dans l’illégalité. Là où elle n’est pas sanctionnée, la prostitution
semble prospérer
et se révèle très lucrative pour les
finances publiques
. Le présent rapport ne porte pas
sur la prostitution en tant que telle. La position de l’Assemblée
a déjà été exposée en détail dans la
Résolution 1983 (2014) sur la prostitution, la traite et l’esclavage moderne
en Europe. Toutefois, il est politiquement très important de lutter
contre l’exploitation de la prostitution d’autrui, quel que soit
le système juridique dans lequel cette exploitation a lieu.
33. L’augmentation du nombre de personnes se livrant à la prostitution
a donné lieu à des recherches empiriques plus approfondies sur l’impact
physique et mental de la prostitution. Ces personnes se retrouvent souvent
avec des lésions physiques graves, des maladies sexuellement transmissibles
et de sérieux troubles mentaux
. Les effets de l’exploitation sexuelle
se distinguent ainsi de ceux du travail forcé, qui donne fréquemment
lieu à des blessures physiques mais plus rarement, semble-t-il,
à des troubles mentaux et à la transmission de maladies
. En 2017, le Centre européen de
prévention et de contrôle des maladies de l’Union européenne a publié
des statistiques qui font apparaître une forte augmentation des
maladies sexuellement transmissibles
; il en ressort également que les
migrants sont exposés à un risque élevé et ont besoin d’informations
sur la prévention et le traitement de ces maladies
.
34. Malheureusement, on ignore combien de personnes sont victimes
de la traite aux fins d’exploitation sexuelle, alors même que les
estimations portant sur la prostitution clandestine ou non enregistrée
font état de chiffres très élevés, même dans les pays qui ont légalisé
la prostitution et introduit la notion de «travailleur sexuel» en
rendant obligatoire l’enregistrement de cette activité
. Toutefois, l’absence de données
précises ne doit pas servir d’excuse à l’inaction quand on sait
que des cas de traite sont fréquemment signalés par les médias,
qu’on dispose de nombreux indices, et que la traite prend de l’ampleur
dans le monde entier
.
3.1.1. Vulnérabilités
des victimes
35. La prostitution est généralement
liée à un certain degré de vulnérabilité, souvent causée par la
pauvreté des personnes concernées. À l’échelle mondiale par exemple,
les migrants vénézuéliens qui fuient la pauvreté sont, en effectifs,
le deuxième groupe de migrants après les Syriens qui fuient les
opérations militaires, et un grand nombre d’entre eux sont devenus
victimes de la traite aux fins d’exploitation sexuelle
; environ 10 000 Vénézuéliens ont
demandé l’asile en Espagne en 2017
. Les femmes et les filles nigérianes
forment le plus grand groupe de victimes non européennes de la traite
aux fins d’exploitation sexuelle en Europe
.
36. Une situation irrégulière ou précaire au regard du droit de
séjour est une source de vulnérabilité supplémentaire fréquente,
qui peut faire chuter le prix des services sexuels à de très bas
niveaux
. Aujourd’hui, le «sexe de survie»
des migrants en Europe
et sur d’autres continents
nous rappelle que l’intégrité physique
et mentale est facilement compromise lorsque l’on vit dans l’extrême
pauvreté et le besoin. De nombreux migrants ont raconté le calvaire
qu’ils ont vécu lors du long et périlleux voyage depuis leur pays d’origine,
où règne la pauvreté, jusqu’en Europe, en passant par des pays de
transit extrêmement dangereux; nombreuses sont les femmes qui ont
été soumises à l’exploitation sexuelle tout au long du trajet
.
37. Lors de la préparation du rapport sur la «Situation des migrants
et des réfugiés dans les îles grecques: il faut redoubler d’efforts»
(
Doc. 14837), la commission des migrations, des réfugiés et des
personnes déplacées a entendu des témoignages bouleversants rapportés
par une ONG néerlandaise de professionnels de la santé travaillant
à titre bénévole dans le centre d’accueil et d’identification des
réfugiés du camp de Moria, sur l’île grecque de Lesbos
; il a ainsi été décrit comment des
migrants, même lorsqu’ils étaient séropositifs ou porteurs de maladies
sexuellement transmissibles, avaient été forcés à se prostituer,
avaient reçu des tatouages ou d’autres signes marquant leur appartenance
à certains groupes criminels, et avaient demandé des médicaments,
y compris à des fins d’avortement et même de suicide assisté. Le
nombre élevé de migrants et de réfugiés qui arrivent en Europe a
clairement un impact énorme sur la traite des êtres humains, que
nos pays ne peuvent ignorer.
38. Le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite
des personnes, en particulier des femmes et des enfants, et le Protocole
contre le trafic illicite de migrants par terre, mer et air de la
Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale
organisée (2000) sont des instruments importants dans ce contexte. Le
deuxième protocole n’incrimine pas le trafic illicite de migrants
lorsqu’il est motivé par des aspects purement humanitaires, mais
vise les passeurs qui exploitent les migrants afin d’en tirer un
avantage financier ou autre
. Le prix à payer, pour les migrants
clandestins, prend souvent la forme de l’exploitation sexuelle
.
39. Les migrants et les autres personnes hébergées temporairement
dans des camps sont particulièrement vulnérables. À la suite des
accusations portées contre le personnel humanitaire d’OXFAM en Haïti
, le Parlement britannique a chargé
sa commission du développement international de mener une enquête
sur l’exploitation et les abus sexuels
dans le secteur humanitaire, et a publié un rapport substantiel
très critique à l’égard du comportement des organisations humanitaires
. Depuis, de plus en plus de victimes
osent s’exprimer et un nombre croissant de cas d’exploitation sexuelle
par des travailleurs humanitaires à l’étranger ont été signalés
. De nombreux migrants, en particulier
des femmes et des filles, ont été exploités sexuellement par ceux
qui étaient censés les aider
.
40. En 2006, la tenue de la coupe du monde de la FIFA en Allemagne
faisait craindre que le libéralisme des lois allemandes en matière
de prostitution entraînerait une augmentation de la migration irrégulière
vers l’Allemagne du fait de la traite de personnes se livrant à
la prostitution
. Dans ce contexte, le Parlement européen
a adopté en 2006 une résolution sur la prostitution forcée dans
le cadre de manifestations sportives internationales. La coupe du
monde de la FIFA 2018, qui s’est tenue en Russie, a eu un impact
similaire bien que la prostitution soit en principe illégale dans
ce pays
.
41. Les enfants sont particulièrement vulnérables à la traite,
en particulier s’ils se trouvent en situation de migration. En outre,
des enfants sont exploités sexuellement dans le contexte des voyages
et du tourisme. Le ministère néerlandais des Affaires étrangères
a participé à la réalisation d’une étude mondiale sur l’exploitation sexuelle
d’enfants dans le tourisme et d’autres formes de voyage, publiée
en 2016
, qui décrit l’ampleur de cette forme
d’exploitation sexuelle. L’ONG End Child Prostitution, Child Pornography
and Trafficking of Children for Sexual Purposes (ECPAT) à Bangkok
a publié des lignes directrices sur la lutte contre le tourisme sexuel
impliquant des enfants
. La Convention du Conseil de l’Europe
sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus
sexuels (STCE n° 201) prévoit que l’exploitation sexuelle d’enfants
doit être punie par la loi.
3.1.2. Contraintes
exercées sur les victimes et consentement des victimes
42. Les trois conventions mentionnées
plus haut, c’est-à-dire la Convention des Nations Unies de 1949,
la Convention des Nations Unies de 2000 avec son protocole anti-traite
et la Convention du Conseil de l’Europe de 2005, prévoient d’ériger
en infraction pénale l’«exploitation de la prostitution d’autrui»
et la prostitution forcée en tant que forme de traite. La convention
des Nations Unies de 1949 est considérée comme dépassée par certains
experts, car elle ne fait pas de distinction entre la prostitution
volontaire et la prostitution forcée. Il est vrai que la notion
de «travail du sexe» n’existait pas en 1949; toutefois, une définition
moderne et plus étroite du terme «prostitution» au sens de la convention
devrait permettre de distinguer l’exploitation sexuelle, telle qu’elle
est visée dans le titre de la convention, des différents concepts
adoptés au niveau national pour désigner les relations sexuelles
consenties à des fins lucratives ou autres.
43. L’article 3 (b) du Protocole des Nations Unies visant à prévenir,
réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes
et des enfants (2000), dispose que «le consentement d’une victime
de la traite des personnes à l’exploitation envisagée, telle qu’énoncée
à l’alinéa a) du présent article, est indifférent lorsque l’un quelconque
des moyens énoncés à l’alinéa a) a été utilisé». L’article 4 (b)
de la Convention du Conseil de l’Europe de 2005 utilise le même
langage. Les moyens visés à l’alinéa a. de ces deux traités sont
décrits comme suit: «par la menace de recours ou le recours à la
force ou d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude,
tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité,
ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour
obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre».
Lors de la transposition de ces dispositions en droit interne, les
Parties doivent veiller à mieux protéger les victimes et à prêter
la plus grande attention aux vulnérabilités les plus fréquentes;
celles-ci jouent souvent un rôle décisif car, en vertu du Protocole
des Nations Unies de 2000 et de la Convention du Conseil de l’Europe
de 2005, elles rendent le consentement sans effet.
44. Le consentement à des actes sexuels suppose que la personne
concernée possède la capacité juridique de consentir. En vertu de
la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant,
toute personne âgée de moins de 18 ans doit être considérée comme
un enfant et doit être protégée. Le Protocole contre la traite de
la Convention des Nations Unies de 2000 et la Convention du Conseil
de l’Europe contre la traite de 2005 reprennent cette définition.
Toutefois, la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection
des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels de 2007 et
la directive 2011/93/UE relative à la lutte contre les abus sexuels
et l’exploitation sexuelle des enfants ainsi que la pédopornographie
laissent aux États membres une marge d’appréciation pour définir,
en s’appuyant sur le droit national, l’âge en dessous duquel il
est interdit d’entreprendre des actes sexuels avec un enfant. Dans
l’Union européenne, par exemple, la fourchette va de 14 à 18 ans
. Cet écart risque de nuire à la
protection des enfants victimes de la traite aux fins d’exploitation sexuelle,
car dans la pratique, les services répressifs pourraient avoir des
difficultés à établir légalement la distinction entre des actes
sexuels librement consentis par un enfant migrant âgé de plus de
14 ou 16 ans et le «sexe de survie» ou la traite aux fins d’exploitation
sexuelle d’une personne âgée de moins de 18 ans, entraînant violation
de l’article 19 (infractions se rapportant à la prostitution enfantine)
de la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants
contre l’exploitation et les abus sexuels. Europol a publié en 2018
un rapport circonstancié sur les réseaux criminels impliqués dans
la traite et l’exploitation de victimes mineures dans l’Union européenne;
le rapport souligne que cette forme de traite, notamment aux fins d’exploitation
sexuelle, prend de l’ampleur
.
45. La violence est un moyen de contrainte fréquemment utilisé
dans l’exploitation de la prostitution d’autrui
. La majorité des personnes qui se
livrent à la prostitution étant des femmes, les scientifiques féministes
remettent depuis longtemps en question la perception selon laquelle
les femmes consentiraient librement à satisfaire les désirs sexuels
de leurs clients, et attirent l’attention sur les cas fréquents
et graves d’humiliation, de violence, de sévices physiques et d’exploitation
. La violence psychologique et la
mise sous contrainte sont également fréquentes et peuvent prendre
des formes variées, notamment au sein de clans familiaux
et de groupes de pairs
.
46. Mme Sabine Constabel, de l’ONG
Sisters à Stuttgart, a indiqué à la commission, le 6 septembre 2019, que
les personnes qui se prostituent présentent souvent des contusions
et des blessures qui témoignent de la violence des proxénètes et
des clients, mais aussi que le corps féminin ne peut être pénétré
10 fois par jour, voire plus, sans que cela entraîne des lésions.
Au cours de son activité de travailleuse sociale, elle a constaté que
ces personnes souffrent souvent de stress post-traumatique et de
dépression. De nombreux travailleurs du sexe consomment de l’alcool
et des drogues pour supporter la pression qu’ils subissent au travail;
la toxicomanie est très répandue et vient aggraver les troubles
mentaux. Selon Mme Constabel, dans de
telles conditions, on ne peut parler de consentement de la part
des personnes qui se livrent à la prostitution.
47. Des mouvements tels que «No Means No»
et «Me Too»
ainsi que la campagne de l’Assemblée parlementaire
«Pas Dans Mon Parlement»
ont placé la question du consentement
aux actes sexuels au centre du débat public. Certains pays européens
ont adopté des lois contre le harcèlement sexuel
. Cependant, le débat public sur
le consentement n’a pas encore produit d’effet au niveau des politiques
et des lois relatives à l’exploitation de la prostitution d’autrui.
Afin de mieux protéger les personnes se livrant à la prostitution
contre l’exploitation sexuelle, le consentement ne doit faire aucun
doute, conformément à l’article 3 (b) du Protocole contre la traite
à la Convention des Nations Unies de 2000 et à l’article 4 (b) de
la Convention du Conseil de l’Europe de 2005. Tout indice de contrainte
ou de vulnérabilité devrait conduire à la présomption que le consentement
n’a pas été donné librement et qu’il est donc sans effet.
48. Certains tribunaux ont exclu la possibilité d’un consentement
en cas de violation de la dignité humaine; ainsi, la Cour constitutionnelle
fédérale d’Allemagne a rendu en 1986 et 1990 des arrêts dans lesquels
elle a jugé que les peep-shows entraînent une violation de la protection
de la dignité humaine garantie par l’article 1er de
la Constitution allemande, car ils déshumanisent les femmes en les
présentant comme de simples objets de désir sexuel pour les spectateurs
.
La Cour constitutionnelle de la Turquie a également établi un lien
entre l’exploitation sexuelle et la violation de la dignité humaine
dans un arrêt rendu en 2018
. Ces notions juridiques d’atteinte
à la dignité humaine sont, en toute logique, plutôt abstraites;
elles se rapprochent toutefois de ce qu’on appelle, dans d’autres
contextes, l’esclavage moderne
.
49. Depuis la généralisation des téléphones mobiles équipés de
caméras et connectés à internet, la prostitution par webcam interposée
et d’autres contenus en ligne ont remplacé les peep-shows
. Ce phénomène préoccupant a déjà
été abordé dans le contexte des abus sur enfants
. Le trafic en ligne d’images représentant
des abus sexuels sur enfants est un phénomène mondial en pleine
croissance
. Terre des hommes a lancé une pétition
en ligne contre le tourisme sexuel par webcam impliquant des enfants
. L’article 9 de la Convention du
Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité (STE n° 185) impose
d’ériger la pornographie enfantine en infraction pénale.
50. La France
et l’Allemagne
ont récemment révisé leurs lois
nationales sur la prostitution et les abus sexuels afin de mieux
lutter contre l’exploitation sexuelle. De nouvelles lois sont envisagées
en Espagne
. Un plus grand nombre de pays devraient
revoir leur législation afin de répondre plus efficacement à l’augmentation du
nombre de migrants soumis à la traite et à l’exploitation.
3.2. Traite
aux fins de travail forcé
51. Le travail forcé est interdit
par l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme,
par l’article 5 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne et par la Convention n° 29 de l’Organisation internationale
du travail (OIT) sur le travail forcé ou obligatoire de 1930. La
Convention n° 29 de l’OIT sur le travail forcé a été mise à jour
en 2014 par un protocole visant à combattre le travail forcé et
la traite des êtres humains ainsi qu’à protéger les victimes
. De nombreux États membres du Conseil
de l’Europe n’ont pas encore ratifié ce protocole
. L’OIT a publié en 2012 ses indicateurs
du travail forcé, destinés à aider les membres des forces de l’ordre,
les inspecteurs du travail et les responsables syndicaux à détecter
le travail forcé
.
52. Au sein de l’Union européenne, la Directive 2009/52/CE du
18 juin 2009 prévoit des sanctions contre les employeurs de ressortissants
de pays tiers en séjour irrégulier qui sont victimes de la traite
des êtres humains. Cela fait donc de nombreuses années que l’Union
européenne lutte activement contre le travail forcé. Néanmoins,
les chiffres fournis par l’OIT en 2012 étaient très alarmants: 880 000 personnes
étaient astreintes à un travail forcé dans l’Union européenne (58 %
des victimes de travail forcé étaient des femmes et la proportion
des victimes d’exploitation sexuelle était estimée à 30 %)
. Selon les estimations du projet
de recherche CLANDESTINO (2007-2009)
, financé par l’Union européenne,
il y avait entre 1,9 et 3,8 millions de migrants en situation irrégulière
dans l’Union européenne
. Or, il n’y a guère de chances que
des migrants en situation irrégulière occupent un emploi déclaré.
Par conséquent, les estimations de l’OIT de 2012 étaient probablement
trop basses. L’afflux exceptionnel de migrants en Europe en 2015-2016
a certainement entraîné une augmentation du nombre de victimes du
travail forcé.
53. Pour le deuxième cycle d’évaluation de la mise en œuvre de
la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite
des êtres humains, le GRETA a décidé d’accorder une attention particulière
aux mesures prises par les États parties pour prévenir et combattre
la traite aux fins d’exploitation par le travail. Il a aussi consacré
le chapitre thématique de son 7e rapport
général (publié en 2018) à cette question. Les rapports par pays
du GRETA montrent que, dans de nombreux États parties, la traite
aux fins d’exploitation sexuelle est la première forme de traite
au regard du nombre de victimes identifiées.
54. Dans le même temps, la traite aux fins d’exploitation par
le travail est en hausse et elle est devenue la forme prédominante
d’exploitation dans un certain nombre de pays (en Belgique, à Chypre,
en Géorgie, au Portugal, au Royaume-Uni et en Serbie, par exemple)
.
S’il existe des écarts considérables concernant le nombre et la
proportion de victimes de la traite aux fins d’exploitation par
le travail dans les pays évalués, tous les pays ont cependant indiqué
une augmentation de cette forme d’exploitation avec les années.
Ainsi que l’a constaté le GRETA, la vulnérabilité à l’exploitation
et à la traite dépend d’une combinaison de facteurs, dont beaucoup
sont structurels et liés aux politiques mises en œuvre dans les
domaines de l’économie, de l’emploi et de l’immigration.
55. Les principaux facteurs de vulnérabilité des victimes du travail
forcé sont la pauvreté et une situation irrégulière au regard de
la législation sur l’immigration. La traite aux fins de travail
forcé se produit généralement dans les secteurs exigeant une main-d’œuvre
nombreuse, tels que l’agriculture
, la construction
, l’industrie du vêtement
, l’hôtellerie et la restauration
et l’aide à domicile
. Dans ce dernier secteur, une protection
juridique est assurée par la Convention n° 189 de l’OIT sur les
travailleuses et travailleurs domestiques (2011).
56. Il peut être difficile de faire la distinction entre de mauvaises
conditions de travail et le travail forcé, notamment dans les pays
et les secteurs d’activité où le niveau de revenus est généralement
bas
. L’Organisation des Nations Unies
pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) donne quelques orientations juridiques
dans son étude législative sur la réglementation du travail et les
normes de sécurité dans les secteurs de l’agriculture, de la sylviculture
et de la pêche
. Les parlements nationaux devraient
se familiariser avec ces mesures législatives pour lutter contre
le travail forcé.
57. Le Royaume-Uni a adopté en 2015 sa loi sur l’esclavage moderne
, qui a déclenché un débat public sur
les stratégies de lutte contre le travail forcé dans le pays
. Les dispositions de la loi de 2015
sur l’esclavage moderne concernant la transparence dans les chaînes
d’approvisionnement instaurent l’obligation, pour les entreprises
dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur ou égal à £ 36 millions,
d’établir pour chaque exercice financier une «déclaration relative
à l’esclavage et à la traite», qui décrit les mesures prises pour
faire en sorte que les chaînes d’approvisionnement et les différents
secteurs de l’entreprise soient exempts d’esclavage et de traite.
De plus, le Royaume-Uni a créé l’institution du Commissaire à la
lutte contre l’esclavage (Independent Anti-Slavery Commissioner)
. Après la mort tragique de 39 Vietnamiens
dans un camion frigorifique survenue en octobre 2019 dans l’Essex
, le rapport de 2017 du Commissaire
sur les personnes d’origine vietnamienne soumises à la traite au
Royaume-Uni prend une résonance particulière; dans ce rapport, le
Commissaire indique que ces personnes sont généralement victimes
d’exploitation sexuelle, ou exploitées dans les secteurs de l’aide
à domicile, du nettoyage et de la restauration, mais aussi dans
la culture du cannabis ou dans les bars à ongles
.
58. L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA)
a publié en 2014 un rapport analytique sur les formes les plus graves
d’exploitation par le travail et sur les moyens d’aider les victimes
à accéder à la justice dans les États membres de l’Union européenne;
ce document comprend des lignes directrices sur la détection des
facteurs de risque et sur la protection des victimes
. Il serait souhaitable que les États
non membres de l’Union européenne s’inspirent eux aussi de ces recommandations.
En 2019, la FRA a publié son rapport sur la protection des travailleurs
migrants contre l’exploitation dans l’Union européenne, qui préconise une
«tolérance zéro»
.
59. Les ONG peuvent compléter l’action gouvernementale et la législation
en aidant à sensibiliser le public. La Walk Free Foundation publie
l’indice mondial de l’esclavage (
Global
Slavery Index)
, qui analyse et classe les pays
et coopère avec l’OIT
, mais elle a été critiquée par d’autres
ONG
. Alors que certaines ONG préconisent
de dépénaliser le «travail du sexe»
, d’autres tentent de l’éradiquer
car elles le considèrent comme une forme de traite
. Les campagnes de sensibilisation
du public au travail des enfants ont contribué à faire connaître
les produits fabriqués sans travail des enfants
. Ces campagnes ont été étendues
aux produits fabriqués sans recours au travail forcé
.
60. Dans le même ordre d’idées, les producteurs et les distributeurs
de produits agricoles devraient garantir aux consommateurs que ces
articles sont produits sans recours au travail forcé ni à l’exploitation
de travailleurs soumis à la traite. À cet égard, l’Italie a créé
en 2016 un réseau pour un travail agricole de qualité
, étant donné que, selon les estimations,
30 % de la main-d’œuvre totale employée dans l’agriculture italienne
n’est pas dûment déclarée et que de nombreuses victimes du travail
forcé sont des migrants venus d’Afrique par bateau
.
61. Les entreprises du bâtiment devraient faire l’objet de contrôles
et se voir délivrer des attestations selon lesquelles elles n’emploient
pas de personnes soumises à la traite, en particulier si elles participent
à des marchés publics
. L’organisation Know The Chain conseille
les entreprises et les investisseurs pour les aider à éviter les
risques de travail forcé dans leurs chaînes d’approvisionnement
mondiales
. Parmi les nombreuses initiatives
prises en ce sens figure aussi le guide pour les entreprises et
les employeurs sur la gestion du risque de travail forcé caché,
publié en 2014 par le conseil national des services sociaux du Danemark
.
3.3. Trafic d’organes
62. Le «prélèvement d’organes»
est mentionné à l’article 3 du protocole des Nations Unies de 2000
et à l’article 4 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la
lutte contre la traite des êtres humains, qui est identique. Dans
le cadre du deuxième cycle d’évaluation de la mise en œuvre de cette
convention, le GRETA a accordé une attention particulière aux mesures
prises par les États parties pour prévenir la traite aux fins de prélèvement
d’organes. Ses rapports par pays donnent des informations sur la
législation nationale et sur les cas éventuellement détectés.
63. En outre, la Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic
d’organes humains s’attaque spécifiquement au trafic d’organes.
Cette convention récente devrait être signée et ratifiée par davantage d’États.
Son article 4 érige en infraction pénale le prélèvement d’organes
s’il est réalisé «sans le consentement libre, éclairé et spécifique
du donneur» ou si «en échange du prélèvement d’organes, le donneur
vivant, ou une tierce personne, s’est vu offrir ou a obtenu un profit
ou un avantage comparable».
64. Le prélèvement d’un organe et le versement d’argent ou de
prestations similaires peuvent normalement être établis par les
autorités chargées de l’application de la loi lorsqu’elles sont
informées de tels cas. Les débats sur la contrainte ou le consentement
deviennent donc sans objet. Selon des informations diffusées par les
médias, les migrants acceptent parfois de se faire prélever un organe
afin de payer les passeurs pour un transfert en Europe
.
65. En 2015, le Parlement européen a réalisé une étude sur le
trafic d’organes humains
. La même année, l’Office des Nations
Unies contre la drogue et le crime a publié une compilation d’outils
pour permettre de mieux appréhender le phénomène de la traite aux
fins de prélèvement d’organes
.
66. Le Protocole additionnel à la Convention sur les droits de
l’homme et la biomédecine relatif à la transplantation d’organes
et de tissus d’origine humaine (STE n° 186) énonce des normes éthiques
visant à compléter cette convention.
3.4. Traite aux fins de mariage forcé ou
d’adoption illégale
67. Ni la convention des Nations
Unies de 1949 ni le protocole de 2000 n’abordent directement la
question de la traite des êtres humains aux fins de mariage forcé
ou d’adoption, bien que le guide législatif pour l’application du
protocole de 2000 précise que l’esclavage et les pratiques analogues
peuvent englober l’adoption dans certaines circonstances
.
68. En revanche, la question est abordée dans les rapports du
GRETA, qui donnent des informations sur les cas détectés. Par exemple,
dans plusieurs pays évalués par le GRETA, des femmes vulnérables
originaires de pays de l’Union européenne subiraient une exploitation
sous la forme de mariages blancs avec des ressortissants de pays
tiers. D’autres rapports du GRETA font état de cas de traite aux
fins de mariages d’enfants, de mariages précoces ou de mariages
forcés dans les communautés roms. Les rapports décrivent aussi des
mesures visant à prévenir ce phénomène et à protéger les victimes.
69. Le phénomène des mariages forcés atteint aujourd’hui des dimensions
préoccupantes
. Un projet financé
par l’Union européenne et portant sur une approche multidisciplinaire
de la prévention de la traite et des mariages de complaisance (projet
HESTIA) a été mené en Estonie, en Finlande, en Irlande, en Lettonie, en
Lituanie et en République slovaque
. Des cas de mariage d’enfants réfugiés
syriens ont récemment été signalés en Turquie
et dans d’autres pays
. L’Agence des droits fondamentaux
de l’Union européenne a publié en 2014 un rapport sur les dispositions
législatives et les pratiques encourageantes en matière de lutte contre
les mariages forcés dans l’Union européenne, dans lequel elle présente
des orientations politiques
.
70. En 2018, la commission sur l’égalité et la non-discrimination
a produit un rapport sur le mariage forcé en Europe, qui a servi
de base à la
Résolution
2233 (2018) de l’Assemblée. Vu l’ampleur prise par le phénomène des
mariages forcés, les mesures de lutte contre la traite devraient
s’attaquer également à la traite aux fins de mariage forcé.
71. Avec l’aide d’Europol, les polices danoise et allemande ont
démantelé en 2018 des réseaux criminels qui organisaient des mariages
de complaisance
. L’Allemagne est l’un des pays où
sont organisés des mariages de complaisance aux fins de l’obtention
de visas
; une infraction analogue consiste
en ce que des hommes de nationalité allemande fournissent, en échange
d’argent, de fausses déclarations de paternité concernant des bébés
nés de mères étrangères
. Confronté à des cas similaires,
le Gouvernement du Royaume-Uni a publié en 2015 un document d’orientation
sur les mariages de complaisance et les infractions connexes
. Ces phénomènes sont décrits plus
en détail dans une étude qui a été réalisée en 2012 par le Réseau
européen des migrations à la demande de la Commission européenne
et qui porte sur les mariages de complaisance et les fausses déclarations
de parentalité
.
72. Ces dernières affaires ne relèvent pas nécessairement de la
traite en tant que telle, mais bien de la fraude. Or, les acquéreurs
de visas frauduleux, par exemple, doivent payer un prix élevé
. Dans la plupart des cas, ces personnes
ne disposent pas de telles sommes et doivent s’acquitter de leurs
dettes en se livrant à la prostitution ou à des activités criminelles,
leurs qualifications ne leur permettant pas d’accéder à des emplois
offrant des revenus élevés. De ce point de vue, il existe un lien
direct entre la fraude aux visas ou à la citoyenneté et la traite
des êtres humains.
73. Les parents qui vendent leur enfant en vue de son adoption
se livrent de facto à la traite.
La définition de la traite des êtres humains qui figure dans la
Convention anti-traite du Conseil de l’Europe ne vise pas directement
la problématique des adoptions illégales. Néanmoins, ainsi que cela
est indiqué dans le rapport explicatif de la Convention, lorsqu’une
adoption illégale peut être assimilée à une pratique analogue à l’esclavage
telle que définie à l’alinéa d) de l’article 1er de
la Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage,
de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues
à l’esclavage, elle entre également dans le champ d’application
de la Convention anti-traite. Le GRETA s’est intéressé à cette question dans
le cadre du deuxième cycle d’évaluation de la mise en œuvre de la
Convention anti-traite; dans plusieurs rapports par pays, il a mentionné
des cas de traite aux fins d’adoption illégale.
74. Dans ces affaires d’adoption illégale, les enfants sont généralement
proposés à des parents fortunés en Europe occidentale ou en Amérique
du Nord
; le nombre de cas est élevé, mais
il semble diminuer
. En 2017, la Rapporteuse spéciale
du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur la vente
d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant
en scène des enfants, Mme Maud de Boer-Buquicchio,
a présenté son rapport thématique sur les adoptions illégales
.
75. La Convention européenne en matière d’adoption des enfants
(révisée) (STCE n° 202) énonce des normes applicables à l’adoption
d’enfants. Elle précise notamment que nul ne peut tirer indûment
un gain financier ou autre d’une activité en relation avec l’adoption
d’un enfant (article 17). Selon le rapport explicatif de cette convention,
le remboursement des frais et des dépenses directement ou indirectement
liés à une adoption et le versement d’une rémunération raisonnable
par rapport aux services rendus sont permis
. À ce jour, la convention n’a malheureusement
été signée que par 18 États membres, dont 10 l’ont ratifiée.
4. Dimension de genre de la traite des
êtres humains
76. Selon les estimations, plus
de deux tiers de l’ensemble des victimes de la traite sont des femmes
. Les femmes représentent une proportion
encore plus élevée des victimes de la prostitution forcée
, phénomène qui est aussi très répandu
dans les pays de transit vers l’Europe
.
77. Comme l’a expliqué à la commission le 27 juin 2019 Mme Annabel
Canzian, de l’ONG «Comité contre l’esclavage moderne», les hommes
sont souvent plus réticents à signaler le travail forcé et à porter
plainte. Les personnes de sexe masculin qui se prostituent semblent
recevoir moins de soutien
. Les hommes et les garçons ont donc
besoin de mesures de protection spéciales.
78. Le 8e rapport général sur les activités
du GRETA fait aussi référence à la dimension de genre de la traite des
êtres humains. Lorsqu’elle est pratiquée aux fins d’exploitation
sexuelle, la traite touche principalement les femmes. Les femmes
font aussi l’objet de traite à d’autres fins, comme le travail forcé,
la servitude domestique, le mariage forcé, la mendicité forcée ou
encore la criminalité forcée. Les femmes et les filles sont souvent
les premières ciblées par les trafiquants parce qu’elles sont touchées
de façon disproportionnée par la pauvreté et la discrimination,
facteurs qui entravent leur accès à l’emploi, aux possibilités d’éducation,
et à d’autres ressources. Il est donc essentiel que la dimension
de genre des mesures de prévention et de protection permette de
reconnaître ces risques et d’associer les victimes de la traite
à la conception et à la mise en œuvre des mesures d’inclusion sociale
et de réinsertion
.
Cependant, il n’y a pas suffisamment de ressources disponibles pour
aider les femmes victimes de formes d’exploitation autres que l’exploitation
sexuelle. La situation des femmes qui ont des enfants peut aussi
être particulièrement difficile, étant donné les risques de victimisation
secondaire des enfants. Le nombre d’hommes victimes de la traite
a augmenté dans les États parties à la Convention anti-traite en
raison de la prolifération des cas de traite aux fins d’exploitation
par le travail. Mais les programmes d’assistance destinés aux hommes
victimes de la traite restent nettement insuffisants. Une sensibilisation
accrue et des programmes ciblés, reconnaissant les hommes et les
garçons comme victimes potentielles, sont primordiaux afin de garantir
l’identification et l’orientation vers des services d’assistance
.
79. Dans sa Résolution du 26 février 2014 sur l’exploitation sexuelle
et la prostitution et leurs conséquences sur l’égalité entre les
hommes et les femmes, le Parlement européen aborde spécifiquement
la question de la dimension de genre de la traite
. À la suite de cette résolution,
la Commission européenne a fait réaliser une étude complète sur
la dimension de genre de la traite des êtres humains, qui contient
toute une série de recommandations détaillées
.
80. L’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les
femmes (une agence de l’Union européenne) a produit un rapport qui
donne des orientations aux États membres sur la manière de prendre
en compte la dimension de genre pour mieux identifier et soutenir
les victimes de la traite; ce rapport contient aussi une liste d’indicateurs
concernant la mise en œuvre des dispositions de la directive de
l’Union européenne sur la lutte contre la traite et de la directive
sur les droits des victimes
.
5. Criminalité connexe
81. La traite des êtres humains
est souvent liée à d’autres activités criminelles et infractions
pénales, telles que les agressions physiques, le trafic de drogue,
les jeux d’argent illégaux, le vol, la fraude aux visas, la fraude aux
documents d’identité, la fraude fiscale et le blanchiment d’argent.
82. Le Conseil de l’Europe a élaboré des instruments couvrant
deux de ces domaines: la Convention du Conseil de l’Europe relative
au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des
produits du crime et au financement du terrorisme (STCE n° 198)
et l’Accord relatif au trafic illicite par mer, mettant en œuvre l’article 17
de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de
stupéfiants et de substances psychotropes (STE n° 156). En outre,
la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale
(STE n° 30) et ses protocoles (STE n° 99 et n° 182) peuvent faciliter
la coopération transnationale, qui joue à cet égard un rôle essentiel.
83. L’OSCE a publié une analyse des modèles économiques les plus
fréquents de la traite des êtres humains afin de déterminer les
meilleurs angles d’attaque contre ce phénomène
. Les flux financiers liés à la traite
ne peuvent être interrompus que si les services répressifs disposent
des connaissances et des informations nécessaires. Pour perturber
ces flux au sein de l’Union européenne, les États membres sont tenus
de se conformer à la décision-cadre 2001/500/JAI du Conseil du 26 juin
2001 concernant le blanchiment d’argent, l’identification, le dépistage,
le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits
du crime, ainsi qu’à la décision-cadre 2005/212/JAI du Conseil du
24 février 2005 relative à la confiscation des produits, des instruments
et des biens en rapport avec le crime.
84. La mise en œuvre effective des lois contre la traite est parfois
entravée par des pratiques de corruption, qui sont notamment le
fait d’organisations criminelles
. Dans ce contexte, la Convention
pénale sur la corruption (STE n° 173) et la Convention civile sur
la corruption (STE n° 174) peuvent s’avérer particulièrement utiles.
6. Indemnisation des victimes
85. Outre l’article 15, paragraphe 3,
de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite
des êtres humains, qui concerne le droit, pour les victimes, à être
indemnisées par les auteurs d’infractions, la Convention européenne
relative au dédommagement des victimes d’infractions violentes (STE
n° 116) pourrait être utilisée pour assurer l’indemnisation des
victimes de la traite qui ont subi des violences graves.
86. La Convention anti-traite du Conseil de l’Europe comporte
les dispositions les plus avancées en matière d’indemnisation. Le
suivi, par le GRETA, de la mise en œuvre de ces dispositions est
riche d’enseignements. L’indemnisation figure aussi parmi les aspects
qui seront examinés plus particulièrement lors du troisième cycle
d’évaluation, que le GRETA a entamé récemment.
7. Conclusions
87. Il est préférable de prévenir
la traite des êtres humains plutôt que de s’occuper de ses victimes
après coup. Pour y parvenir, nous avons besoin d’une sensibilisation
accrue, d’efforts plus intensifs et d’une dissuasion plus efficace.
Cela suppose de renforcer la sensibilisation des clients, des employeurs
et du grand public, notamment des tiers qui sont témoins de cas
de traite.
88. Les victimes de la traite doivent être mieux protégées, y
compris grâce à des mesures spécifiques de protection des témoins
lors des poursuites et des procès contre les trafiquants. Les victimes
de la traite ne devraient pas être sanctionnées ni considérées comme
des criminels; en revanche, la responsabilité des trafiquants et
des clients doit être engagée. La formation des gardes-frontières,
des policiers, des professionnels de santé et des agents des services
de l’immigration doit permettre de détecter les victimes de la traite
plus rapidement.
89. La coopération internationale est une condition indispensable
pour accroître l’efficacité des stratégies et des mesures de lutte
contre la traite. Le Conseil de l’Europe est bien placé pour apporter
une contribution majeure à cette coopération, compte tenu de ses
différents traités juridiques qui peuvent être d’une grande utilité
dans ce contexte et qui sont en principe ouverts à la signature
des États non membres, même non européens. Interpol
, Europol
et Eurojust
peuvent également jouer un rôle
actif et important dans la lutte contre la traite. Il conviendrait
en outre de chercher à coopérer au niveau international avec d’autres organisations
régionales, notamment l’Union africaine
et l’ASEAN
, ainsi qu’avec des organisations comme
le Commonwealth
et la Francophonie
.
90. La traite des êtres humains, sous toutes ses formes, doit
être considérée comme un crime, y compris lorsqu’elle est commise
à l’étranger par des ressortissants d’États membres. Les législateurs
nationaux sont invités à veiller à ce que les lois nationales soient
suffisantes et à ce que les traités internationaux pertinents soient
ratifiés et mis en œuvre.
91. À cet effet, les membres de l’Assemblée parlementaire devraient
coopérer plus activement, par exemple en établissant un réseau de
collaboration parlementaire contre la traite, entre eux et avec
des parlementaires hors d’Europe, en partenariat étroit avec les
ONG compétentes.
92. Cela fait des années que d’éminents experts produisent d’excellents
rapports sur la traite. Apparemment, ce ne sont pas les analyses
qui manquent, mais plutôt la volonté de faire bouger les choses
et de faire évoluer les mentalités qui rendent la traite possible.
Les parlementaires sont particulièrement bien placés pour favoriser
les changements nécessaires, au niveau des politiques, des lois
et des mesures concrètes.
93. En conclusion de ce rapport, je voudrais citer un document
de 2002 élaboré dans le cadre de l’Organisation des États américains
(OEA) et soumettre à la réflexion de mes collègues parlementaires européens
cette analyse politique succincte, mais approfondie et complète,
qui explique pourquoi il est si difficile de mener une action concertée
:
«Il existe plusieurs raisons au manque d’attention et de réaction
à la traite à travers le monde, dont les suivantes:
Pour commencer, les victimes viennent rarement dénoncer les
trafiquants. Les personnes victimes de la traite sont détenues loin
de tout réseau de soutien, leurs papiers d’identité et les documents
de voyage leur sont souvent confisqués, et ils font aussi l’objet
de menaces de la part de leurs gardiens. Qui plus est, les trafiquants exercent
souvent un certain pouvoir sur leurs victimes parce que dans bien
des cas ils viennent du même pays et sont susceptibles de se venger
sur les membres de la famille de la victime.
Ensuite, les femmes et les enfants faisant l’objet de la traite
viennent souvent des couches économiques et sociales les plus défavorisées
et leurs familles n’ont pas les moyens économiques ou politiques
de faire pression sur les pouvoirs publics pour arracher les victimes
à ce triste sort. Au sein de certaines sociétés, c’est en fait la
pauvreté qui pousse les familles à vendre leurs enfants pour ce
qu’elles croient être des emplois légitimes.
Par ailleurs, les lois, politiques et pratiques nationales
ont donné naissance à une série de contre-incitations qui vont à
l’encontre de toute lutte efficace contre la traite. La plupart
des systèmes de droit pénal ne sont pas équipés pour traiter de
manière adéquate de ce phénomène des temps modernes. Et même lorsque
ces lois sont suffisantes, des considérations de nature politique
compliquent l’arrestation des trafiquants et des proxénètes. Les
autorités judiciaires et juridiques de la plupart des pays placent
la prostitution au plus faible échelon de leurs priorités. La corruption
des services de répression et des agents de l’immigration est souvent responsable
du manque d’enquêtes et de poursuites. Qui plus est, nombreuses
sont les victimes qui ont besoin de services médicaux et sociaux
que les pouvoirs publics ne fournissent qu’avec beaucoup de réticence.
Enfin, les préjugés économiques, racistes et sexistes sont
les fondements inconscients de la négligence témoignée par les lois
et les politiques nationales face à ce délit fort répandu. Ceci
est particulièrement vrai dans les pays en développement et les
pays les moins avancés, où les femmes et les enfants sont généralement
les éléments les plus vulnérables de la société.»