1. Introduction
1. Le 4 février 2016, M. Schennach
et plusieurs de ses collègues ont présenté une proposition de résolution
sur « Le fonctionnement des institutions démocratiques en Pologne »,
dans laquelle ils font part de leur préoccupation en relation avec
« les récents changements et réformes, en particulier en ce qui
concerne le fonctionnement de la Cour constitutionnelle et les nouvelles
lois relatives à la radiodiffusion ou à la police, [qui] ont fait
naître des préoccupations quant à l’engagement constant de la Pologne
en faveur des principes essentiels du Conseil de l’Europe, et plus
particulièrement de l’État de droit »
. Le 27 mai 2016, le Bureau de l’Assemblée
a chargé la commission de suivi d’établir un rapport sur « Le fonctionnement
des institutions démocratiques en Pologne ».
2. Malheureusement, en raison de circonstances exceptionnelles
indépendantes de la volonté des personnes concernées, ce rapport
a connu de fréquents changements de rapporteurs. Son élaboration
a donc subi un retard important et deux demandes de prolongation
du délai de soumission
de
ce rapport ont été présentées. Le 6 mars 2019, la commission de
suivi a nommé Mme Azadeh Rojhan Gustafsson
(Suède, SOC) en remplacement de M. Yves Cruchten (Luxembourg, SOC),
qui était corapporteur depuis le début de ce rapport et qui a quitté
l’Assemblée en janvier 2019. M. Pieter Omtzigt (Pays-Bas, PPE/DC)
a été nommé en remplacement de Mme Dora
Bakoyannis (Grèce, PPE/DC), qui a démissionné de ses fonctions de corapporteure
en raison de sa candidature au poste de Secrétaire Générale du Conseil
de l’Europe.
3. Pour la préparation de ce rapport, deux visites d’information
ont été menées à Varsovie. La première a eu lieu du 3 au 5 avril
2017. Une note d’information présentant les conclusions des rapporteurs
a été publiée à l’issue de cette visite. La seconde visite a eu
lieu du 5 au 6 septembre 2019. Nos conclusions sur cette mission
font partie intégrante du présent rapport. Outre les visites d’information,
deux échanges de vues ont été organisés par la commission de suivi
le 29 mai 2018 et le 16 mai 2019. Des représentants des autorités, organes
judiciaires et instances nationales indépendantes de la Pologne,
mais aussi de la communauté internationale et de la société civile
ont pris part à ces échanges.
4. En avril 2019, le Président de la commission a reçu un courrier
du Président de la délégation polonaise informant la commission
que ce rapport serait publié et débattu à l’Assemblée juste avant
les élections nationales en Pologne, ce qui présentait un risque
d’instrumentalisation de ce rapport à des fins partisanes nationales.
Il a donc été demandé que le rapport soit reporté à une date postérieure
aux élections, ce qui impliquait une prolongation de son délai de
présentation. La commission de suivi ayant pour principe de ne pas présenter
de rapports pendant la période électorale d’un pays, elle a décidé
de tenir le débat sur ce rapport au cours de la partie de session
de janvier 2020 plutôt que lors de celle d’octobre 2019. Elle a
donc sollicité une prorogation du délai de présentation auprès du
Bureau, qui l’a acceptée le 12 avril 2019. Nous avons donc décidé
de reporter notre mission d’information du mois de mai 2019 au mois
de septembre 2019.
5. Pendant l’élaboration de ce rapport, nos prédécesseurs et
nous-mêmes avons bénéficié de l’excellente qualité de la coopération
et des contributions d’un grand nombre de personnes et d’organes,
notamment le gouvernement polonais ; les organes judiciaires et
instances nationales indépendantes ; les représentants des organes
de suivi du Conseil de l’Europe et de plusieurs autres organisations
intergouvernementales ainsi que les experts et représentants de
la société civile en Pologne. La liste est trop longue pour citer
individuellement chaque personne, mais nous tenons à exprimer nos
sincères remerciements à tous ceux qui ont été prêts à nous rencontrer
et ont contribué de toute autre manière à l’élaboration de ce rapport.
Nous regrettons cependant que, malgré nos demandes insistantes,
il n’ait pas été possible, à quelque occasion que ce soit, de rencontrer
le ministre de la Justice et le Président de la Pologne (ni même
des membres de la Chancellerie du Président). Par leurs fonctions,
ces deux personnalités ont acquis une autorité et une influence
considérables sur le système judiciaire et la justice à la suite
des récentes réformes. Il aurait donc été utile à nos travaux que nous
puissions entendre leurs points de vue et explications concernant
certaines des questions abordées dans la suite de ce rapport.
6. Comme nous l’indiquons dans ce rapport, depuis qu’il est au
pouvoir, le gouvernement du Parti Droit et Justice a engagé un vaste
programme de réformes. La réforme la plus importante concerne cependant
le système judiciaire et la justice et il s’agit également du volet
le plus controversé de ces réformes. Le présent rapport sera donc
principalement consacré à ces questions. Même si nous évoquons certaines
autres réformes, une analyse exhaustive de l’ensemble des réformes
et développements portées à notre attention dépasse le cadre du
présent rapport. Il convient cependant de souligner que certaines
de ces réformes peuvent soulever des questions préoccupantes susceptibles
de mériter un suivi spécifique de la commission de suivi et de l’Assemblée.
2. Contexte
7. Il est légitime d’affirmer
que les réformes engagées par les autorités en place ont déclenché
une crise politique et, comme nous le verrons, constitutionnelle
en Pologne. La crise politique a éclaté au lendemain des élections
législatives de 2015. Ces élections se sont déroulées dans un climat
politique de plus en plus polarisé et alors que le mécontentement
de la société polonaise à l’égard de son élite dirigeante grandissait.
Les élections générales pour renouveler le Sejm et le Sénat, qui
se sont tenues le 25 octobre 2015, ont été remportées par le parti
« Droit et justice » (également connu sous son acronyme, PiS), qui
a obtenu 235 sièges sur 460 au Sejm, la chambre basse du Parlement
, c’est-à-dire
la majorité absolue
.
C’est la première fois depuis 1991 qu’un parti parvient, à lui seul,
à avoir la majorité absolue en Pologne. Il convient de faire observer que
le PiS n’a pas obtenu la majorité des deux tiers qui lui aurait
permis de changer la constitution polonaise. Il est regrettable
que la polarisation qui a caractérisé le climat politique pendant
la période préélectorale se soit poursuivie après les élections
et se soit même intensifiée et enracinée, le bouleversement du pouvoir
à la suite des élections l’ayant exacerbée. Le dialogue, ou même
la coopération, entre le gouvernement et les partis d’opposition
sont donc limités, voire inexistants et les responsables politiques
adoptent de plus en plus souvent des stratégies politiques à somme
nulle. Cette situation est compensée, dans une certaine mesure,
par l’existence d’une société civile ample et dynamique qui participe
activement aux débats sur les développements politiques et sociaux
du pays. Cependant, comme nous l’indiquons dans la suite de ce rapport,
cela s’est également traduit par une pression accrue sur les ONG,
y compris pour contrôler leurs discours politiques.
8. Le PiS a vu dans sa victoire écrasante un blanc-seing des
électeurs pour réformer en profondeur le système politique et social
du pays. En même temps, il a eu l’impression, à son arrivée au pouvoir,
que les structures étatiques et les institutions démocratiques étaient
dominées par les autorités précédentes et qu’elles leur étaient
favorables, ce qui, selon lui, visait à saboter la mise en œuvre
du programme de réforme du nouveau gouvernement. En particulier,
les nouvelles autorités considéraient le système judiciaire, et
plus précisément la Cour constitutionnelle comme un mécanisme essentiel
permettant aux autorités précédentes de remettre en cause le programme
de réforme du nouveau gouvernement. Les nouveaux représentants au pouvoir
ont malheureusement eu confirmation de cette impression à la suite
d’une décision regrettable prise par le parlement sortant, qui avait
pour objectif de nommer à la Cour constitutionnelle des sympathisants
des autorités sortantes. La nouvelle majorité au pouvoir s’est donc
employée à « dépolitiser » ces institutions en vue de les placer
sous le contrôle des nouvelles autorités. Dans ce contexte, la Cour
constitutionnelle, qui disposait de pouvoirs juridiques considérables
pour bloquer ou empêcher les ambitieux programmes de réforme du
parti au pouvoir s’ils n’étaient pas conformes aux dispositions
de la Constitution, a été la première institution à se retrouver
dans le collimateur du PiS.
9. Comme indiqué, la victoire électorale du PiS tenait en grande
partie à sa promesse de remédier au mécontentement grandissant de
la population polonaise à l’égard des élites dirigeantes et de ce
qui était qualifié de politiques servant leurs propres intérêts.
Pour les nouvelles autorités, le système de justice et la magistrature
ont été les principaux points d'ancrage des précédentes élites dirigeantes
qui ont fragilisé son impartialité et affecté l’administration effective
de la justice en Pologne. Ces critiques ayant visiblement inspiré les
réformes engagées par les autorités membres du PiS, il convient
de revenir brièvement sur la situation du système judiciaire polonais
avant 2015 et les critiques que les autorités actuelles en font.
10. Selon les autorités polonaises
, la raison principale de
la réforme de la justice est le très faible degré de confiance du
public dans le système judiciaire et son fonctionnement indépendant,
ainsi que le problème systémique de la durée excessive des procédures,
malgré le nombre élevé de juges et le niveau important de dépenses
publiques consacrées au système judiciaire en Pologne. Par ailleurs,
selon les autorités, le système judiciaire polonais se caractérise
par une culture corporatiste qui résulte d’un déséquilibre des pouvoirs,
lui-même responsable de l’absence de redevabilité au sein du système
judiciaire, comme l’atteste l’inefficacité des procédures disciplinaires
en cas de faute présumée des juges, y compris d’activités de corruption.
Enfin, les autorités polonaises affirment que l’une des raisons
de la réforme du système judiciaire en Pologne tient à la conviction
que le système judiciaire polonais n’a pas été en mesure d’exiger
des juges et procureurs de rendre des comptes sur les actes illégaux
commis pendant le régime communiste en Pologne.
11. Nous nous posons quelques questions concernant les données
communiquées pour justifier l’affirmation selon laquelle la confiance
du public dans le système judiciaire était très faible avant 2015.
L’indice sur l'État de droit 2017-2018 de l’organisation
World Justice Project (qui repose
principalement sur des données antérieures à 2016)
, cité par les autorités polonaises,
indique que – selon la perception du public et des experts – la
Pologne occupe la 17e place sur les 24
pays de l’Union européenne, l’AELE et l’Amérique du Nord ayant participé
à l’enquête (25e rang du classement mondial
des 113 pays examinés) avec un score de 0,67 (0 étant la note minimale
et 1 la note maximale). De même, le rapport du Réseau européen des
Conseils de la Justice (RECJ)
, qui est cité pour souligner les
problèmes du système judiciaire perçus par les juges eux-mêmes,
démontre que si la perception de l’indépendance de la justice est
inférieure à la moyenne, la confiance du public dans le système
judiciaire se situe dans le segment inférieur de la moyenne des
pays étudiés
.
En 2017, le Fonds monétaire international
a publié un rapport qui se fonde
en grande partie sur des données provenant d’organes du Conseil
de l’Europe comme le GRECO et la Commission européenne pour l’efficacité de
la justice (CEPEJ) et qui démontre que l’indépendance de la justice
s’est fortement dégradée entre 1995 et 2003. Depuis 2003, la situation
s’est toutefois régulièrement améliorée, mais les chiffres n’ont
pas retrouvé les niveaux de 1995
. Les données comparatives
pour 2015 démontrent que la Pologne se situe entre le 25e et le
75e percentile pour l’indépendance et
l’impartialité des tribunaux, dans le segment inférieur de la moyenne européenne
.
En outre, l'indice de perception de la corruption de Transparency
International
en
2015 classe la Pologne au 30e rang sur
167 pays, avec un score de 62 points
.
En conséquence, si les données qui nous ont été communiquées par
les autorités polonaises démontrent sans aucun doute qu’il est réellement
possible d’améliorer le système judiciaire polonais, et la confiance
du public dans ce dernier, et si elles justifient donc l’objectif
des autorités de s’attaquer à ces questions, elles ne semblent pas
indiquer que la confiance du public dans le système judiciaire était
exceptionnellement faible par rapport aux normes européennes lorsque
les autorités actuelles sont arrivées au pouvoir en 2015
. En outre, des sondages réalisés
par le
Public Opinion Research Centre (PBOS)
montrent qu’en septembre 2015, 46 % des personnes interrogées considéraient
que les tribunaux fonctionnaient mal. En mars 2019, ce chiffre atteignait
45 %
, ce qui indique que la confiance dans
la justice est restée identique. De même, en septembre 2015, 27 %
des répondants ont évalué les tribunaux de manière positive, alors
qu’en mars 2019, ils étaient 32 %
.
Il ressort de ces chiffres que les réformes n’ont pas atteint l’objectif
annoncé de renforcement de la confiance du public dans le système judiciaire.
12. Par ailleurs, il est indéniable que la justice et le système
judiciaire polonais ont été et sont encore confrontés à des problèmes
et défis systémiques qui affectent l'État de droit et préoccupent
le Conseil de l’Europe. Une inquiétude majeure a trait à la durée
des procédures judiciaires et à l’absence de recours effectif, qui
s’expliquent principalement en raison du manquement des tribunaux
nationaux à leur obligation de tenir compte de l’entièreté de la
procédure lorsqu’ils en apprécient la durée. Une autre inquiétude
concerne les montants d’indemnisation disproportionnellement bas
alloués par les tribunaux nationaux
. Le premier arrêt de la Cour européenne
des droits de l’homme (« la Cour ») ayant conclu à une violation
de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée excessive
des procédures, a été rendu le 30 octobre 1998. Le 31 décembre 2014,
la Cour a établi des violations similaires dans 419 jugements. En
2004, la Pologne a promulgué la « Loi relative au recours fondé
sur la violation du droit de la partie à voir sa cause jugée dans
un délai raisonnable ». Cette loi s’est toutefois montrée inefficace:
sur les 419 jugements mentionnés ci-dessus, 280 ont été rendus entre
2005 et 2011,
après la promulgation
de la loi. En outre, à la même période, la Cour a rejeté 358 affaires supplémentaires
pour lesquelles un règlement amiable avait été obtenu après que
le gouvernement a reconnu unilatéralement une violation de l’article 6,
§ 1 et de l’article 13. Le 7 juillet 2015, la Cour a rendu son arrêt
dans l’affaire
Rutkowski c. Pologne , qui relevait
de la procédure de l’arrêt pilote visant 591 autres recours au motif d’une
violation de l’article 6, § 1 et de l’article 13. De surcroît, à
la même date, 256 autres affaires, à première vue bien fondées,
ont été portées devant la Cour. Selon les dernières statistiques
, à l’heure où ce rapport est rédigé,
650 affaires similaires étaient pendantes devant la Cour, à différents
stades de la procédure.
13. Dans son arrêt concernant l’affaire
Rutkowski
c. Pologne, la Cour a jugé à l’unanimité que « les violations de
l’article 6, § 1 et de l’article 13 découlaient d’une pratique incompatible
avec la Convention, consistant en la durée excessive des procédures
civiles et pénales en Pologne et dans le fait que les tribunaux
polonais n’ont pas respecté la jurisprudence de la Cour pour évaluer
le caractère raisonnable de la durée des procédures et pour allouer
un “redressement approprié et suffisant” en cas de violation du
droit à un procès dans un délai raisonnable ». Elle a donc jugé
que « l’État défendeur est tenu de prendre des mesures adéquates
ou d’autres mesures pour garantir que les tribunaux internes respectent
les principes pertinents des articles 6, § 1 et 13 de la Convention »
. Les mesures générales
concernant cette affaire sont actuellement en attente d’exécution par
le Comité des ministres, qui a engagé une procédure soutenue pour
cette affaire au motif qu’elle révèle des problèmes structurels
importants relatifs au système judiciaire polonais.
14. Dans ce contexte, il convient de noter que les autres problèmes
structurels du système judiciaire polonais, qui ont été mis en évidence
par les arrêts de la Cour, en particulier en ce qui concerne le
recours excessif à la détention provisoire ainsi que la durée de
celle-ci, ont été résolus par des réformes de grande portée. Il
s’agit notamment de la réforme du Code de procédure pénale de 2009,
qui a conduit à la clôture de la procédure de surveillance par le
Comité des ministres entre 2011 et 2016.
15. Il convient de garder à l’esprit qu’aucune force politique
ni organisation de la société civile n’a contesté le fait que le
système judiciaire présentait des faiblesses avant 2015. Toutes
les parties prenantes sont convenues qu’il fallait remédier à ces
insuffisances. Il est cependant clair que ces réformes doivent respecter les
normes et règles acceptées au niveau européen. En outre, elles doivent
viser à améliorer l’indépendance du système judiciaire et l’administration
de la justice dans le pays. Ces principes sous-tendent notre évaluation des
réformes décrites dans ce rapport. Il est, par ailleurs, impossible
d’examiner les réformes du système judiciaire sans se pencher sur
la question des procédures disciplinaires engagées à l’encontre
des juges et sur les pratiques apparentes de campagnes sur les réseaux
sociaux destinées à discréditer les juges et le système judiciaire,
qui ont suscité de vives polémiques, tant sur le plan national qu’international.
16. Comme indiqué ci-dessus, les autorités ont affirmé que la
culture corporatiste et bureaucratique de l’administration de la
justice en Pologne – qui, selon elles, résultait d’un déséquilibre
des pouvoirs et entraînait l’absence de redevabilité du système
judiciaire – était l’un des principaux motifs de ces réformes. Un
système d’autonomie judiciaire, similaire à celui qui est actuellement
en place en Pologne, est généralement la règle en Europe. Si nous
sommes conscients du fait qu’un système d’autonomie de la justice
présente un risque intrinsèque de corporatisme et de défense de
ses intérêts personnels, ce qui semble être clairement le cas de la
Pologne, le Livre blanc propose principalement des éléments anecdotiques
à l’appui du déséquilibre des pouvoirs et de l’absence de redevabilité
du système judiciaire. Une appréciation détaillée des affaires individuelles
dépasse le cadre et le champ de compétence du présent rapport. Nous
tenons cependant à souligner que, si, par principe, nous accueillons
favorablement les mesures visant à améliorer et renforcer le système
d’autonomie judiciaire, y compris sa transparence et sa redevabilité,
ces mesures devraient être conformes aux normes et règles européennes
afin de ne pas affaiblir le principe de l’indépendance judiciaire.
17. Enfin, selon les autorités polonaises, l’une des raisons de
la réforme du système judiciaire en Pologne est son incapacité à
exiger des juges et procureurs de rendre des comptes sur les actes
illégaux commis pendant le régime communiste en Pologne. La Pologne
a été à l’avant-garde des processus de transition démocratique en
Europe centrale et de l’Est à la fin de l’ère soviétique. Sa transition
pacifique
d’un
régime communiste vers un régime démocratique, négociée à la suite
d’une période difficile de loi martiale, est considérée par beaucoup
comme un modèle de transition démocratique reproduit par d’autres
pays d’Europe centrale et orientale. Il est cependant apparu clairement
lors de notre visite que, pour une partie de la Pologne, cette transition
négociée signifiait que toute la lumière n’avait pas été faite sur
les exactions de l’ère communiste. Cette situation lui a donné l’impression,
à tort ou à raison, que les auteurs présumés de ces exactions étaient
parvenus à préserver leurs intérêts et à échapper à la justice.
La lumière n’a pas été faite sur les excès et crimes commis à l’époque
du communisme en Pologne. Nous ne pouvons faire de commentaires sur
la véracité des cas particuliers avancés par les autorités et leurs
sympathisants à l’appui de leurs allégations. Nous constatons que
la période communiste, considérée par certains comme une période d’occupation
de fait par l’Union soviétique ayant stoppé l’élan démocratique
de la Pologne après la guerre, demeure une question très sensible
et parfois chargée d’émotions pour de nombreux citoyens. Nous sommes toutefois
conscients que la tentative de lien entre les faiblesses du système
judiciaire et l’époque révolue du communisme a nettement – et à
nos yeux, inutilement – ravivé les émotions et durci le discours
politique. La polarisation accrue du climat politique polonais et,
dans une mesure croissante, de la société polonaise en tant que
telle, a un impact négatif sur le processus de consolidation démocratique
de la Pologne et suscite donc des préoccupations dans le cadre de
ce rapport.
18. Par ailleurs, en affirmant explicitement que l’un des objectifs
des réformes judiciaires consiste à supprimer l’héritage communiste
du système judiciaire et à exiger des « juges qui étaient directement
et honteusement impliqués dans le système communiste »
qu’ils rendent des comptes, les autorités
ont clairement affirmé que les réformes judiciaires constituaient
également de facto un mécanisme de lustration. Les réformes devraient,
selon nous, respecter pleinement les normes élevées qu’exige un
processus de lustration. Dans son avis intérimaire de 2014 relatif
à la loi de lustration de l’Ukraine
, la Commission de Venise propose
une excellente description des normes applicables à un processus
de lustration. L’avis intérimaire traite également de la question
des mesures de lustration concernant les anciens responsables communistes
très longtemps après le début du processus de démocratisation d’un
pays et ses décisions sont donc pertinentes, à ce titre, pour les
réformes de la justice polonaise. Comme l’indique la Commission
de Venise dans l’avis mentionné ci-dessus, la lustration est un
instrument de la justice de transition, utilisé pour protéger « les
nouveaux États démocratiques contre les menaces posées par ceux
qui sont étroitement liés aux précédents régimes totalitaires et
pour prévenir la résurgence de tels régimes »
. La lustration ne constitue donc pas en soi
en une violation des droits de l’homme dans la mesure où elle est
nécessaire dans une société démocratique et où elle respecte strictement
l'État de droit et les droits de l’homme. Parmi les critères clefs
énumérés par la Commission de Venise, figure le principe selon lequel
« la lustration doit être strictement limitée dans le temps, ce
qui vaut aussi bien pour la période d’application que pour la période
à examiner »
. En ce qui concerne la Loi de lustration
de l’Ukraine, et en référence à ses précédents avis sur les lois
de lustration de l’Albanie et de la Macédoine du Nord, la Commission
de Venise note qu’on peut donc s’interroger sur la nécessité de
se défendre contre ceux qui ont été liés au régime communiste soviétique,
plus de deux décennies après la chute de ce régime, ce qui, selon
la Commission de Venise, peut semer le doute quant au véritable
objectif des mesures de lustration. Selon nous, ces observations
s’appliquent également à la situation de la Pologne. Il convient
cependant de noter qu’un processus de lustration relatif aux juges
de la Cour suprême a été mis en œuvre après la chute du régime communiste,
comme en atteste le fait que l’âge moyen d’un juge polonais est
actuellement de 42 ans et ne dépassait donc pas 12 ans en moyenne
à l’époque de l’effondrement du communisme. Nous ne pouvons donc
pas considérer la nécessité d’une lustration comme un argument légitime
ou une démarche à observer pour les réformes du système judiciaire
en Pologne.
19. Le contexte politique de la Pologne est resté tendu et polarisé
jusqu’à la date de rédaction du présent rapport. Il est regrettable
que cette polarisation ne se limite pas au contexte politique, mais
affecte également de nombreux aspects de la société polonaise. Malgré
les critiques nationales et internationales de ses réformes et politiques,
la majorité au pouvoir conserve sa popularité auprès de la population
polonaise. Dans le même temps, l’opposition polonaise reste divisée
et semble incapable de constituer une alternative commune à la majorité
actuellement au pouvoir.
20. Ce fait est apparu nettement lors des élections européennes
de 2019, considérées comme la répétition générale des élections
législatives du 13 octobre 2019 en Pologne. Surmontant leurs divisions,
les partis de l’opposition actuels se sont rassemblés au sein d’une
coalition électorale pour les élections européennes de 2019. Si
certains sondages réalisés pendant la période préélectorale montraient
une opposition unifiée dont la popularité était proche de la coalition
au pouvoir, ces prévisions ne se sont pas concrétisées le jour des élections,
qui ont été remportées confortablement par le PiS avec 45,4 % des
voix, contre 38,5 % pour l’opposition unifiée de la Coalition européenne.
21. Aux élections législatives du 13 octobre 2019, les partis
de l’opposition se sont à nouveau divisés en plusieurs blocs. La
campagne électorale a été tendue et a mis en lumière les profondes
divisions de la société polonaise et la poursuite de la polarisation
du climat politique. Il est regrettables que ces divisions se soient exprimées
dans les échanges de la campagne qui ont été dominés par des discours
d’intolérance
, le parti au pouvoir ayant pris
pour thème de campagne le fait que les droits des LGBTI menaceraient
l’identité polonaise et ses valeurs
. Les
résultats de l’élection témoignent de ces divisions, et il est à
craindre qu’ils ne les aggravent. Les élections ont été remportées
par le PiS avec 43,6 % des suffrages
, ce qui lui
permet d’obtenir 235 sièges sur 460 au Sejm et, par conséquent,
la majorité absolue. Par rapport aux élections de 2015, il gagne
4 sièges. Le principal parti d’opposition, la Coalition civique,
a obtenu 27,4 % des suffrages, soit 134 sièges. Les partis de gauche
font leur retour au parlement, avec l’Alliance de la gauche démocratique
(La Gauche) qui remporte 12,6 % des suffrages, soit 49 sièges et
la Coalition polonaise, comprenant le Parti paysan polonais, Kukiz' 15
et quelques autres petits partis, qui obtient 8,6 % des suffrages,
soit 30 sièges. Une nouvelle coalition d’extrême droite et de partis
ultranationalistes appelée la Confédération a participé pour la première
fois aux élections législatives et a obtenu 6,8 % des suffrages,
soit 11 sièges au Sejm. Aucun autre parti n’a franchi le seuil fixé
à 5 % pour entrer au parlement. Le taux de participation à ces élections
a atteint 61,7 %. Les principaux partis d’opposition étaient parvenus
à un accord électoral en vertu duquel dans la plupart des 100 circonscriptions
à mandat unique du Sénat polonais, ils soutiendraient un candidat
unique contre le candidat du parti au pouvoir. Cette stratégie a
incontestablement permis de faire perdre au PiS sa majorité au Sénat.
Il a remporté 48 sièges tandis que les trois principaux partis d’opposition
obtenaient un nombre égal de sièges. Quatre sièges ont été remportés
par des candidats indépendants, dont l’un d’entre eux s’est déclaré
favorable au gouvernement. De ce fait, la majorité au Sénat dépend
donc des trois autres sénateurs indépendants. Si les pouvoirs du
Sénat sont plus restreints que ceux du Sejm, ce dernier pouvant passer
outre les décisions du Sénat à la majorité absolue, la perte de
la majorité au Sénat ne permettrait pas au PiS de faire adopter
des lois aussi facilement qu’au cours des quatre dernières années.
En outre, le Sénat participe à la nomination des représentants de
plusieurs institutions et organes de réglementation importants, ce
qui compliquerait les efforts à déployer par le PiS pour atteindre
son objectif de mainmise sur le cadre institutionnel polonais.
22. Le 21 octobre 2019, le PiS a demandé un recomptage des voix
des élections sénatoriales dans six circonscriptions dont il contestait
les résultats très serrés et dans lesquelles il y avait eu, selon
lui, un nombre élevé de bulletins nuls. Le lendemain, pour diverses
raisons, l’opposition a demandé un recomptage des résultats dans
trois autres circonscriptions. Le parti au pouvoir étant privé de
la majorité au Sénat à une voix près, les demandes de recomptage
ont été largement perçues comme une tentative de remise en question
des résultats électoraux par l’intermédiaire des tribunaux. Ces
demandes sont soumises à la Chambre de contrôle extraordinaire et
des affaires publiques de la Cour suprême, qui est chargée de statuer
sur les recours relatifs aux élections. Comme nous le mentionnons
plus loin dans ce rapport, il y a lieu de s’interroger sur l’indépendance
de cette institution et sa vulnérabilité aux ingérences et aux pressions
politiques. En conséquence, elle ne dispose pas de la confiance
nécessaire de toutes les parties prenantes à titre d’arbitre impartiale
dans les contestations électorales
.
Le 24 octobre 2019, nous avons donc fait une déclaration
appelant les
autorités et la Cour suprême à faire preuve de la plus grande transparence
et impartialité dans le traitement des appels. Le 13 novembre 2019,
la Chambre spéciale de la Cour suprême a rejeté les 6 appels formés
par le PiS. Parmi les recours formés par l'opposition, un a été
rejeté, un autre a été jugé recevable et fondé, mais cela n'a pas
changé le résultat des élections dans cette course. Au moment de
la rédaction de ce rapport, l'autre appel était encore à l'examen.
3. Réforme
de la justice et du système judiciaire
23. Dans les sections suivantes,
nous décrirons et analyserons les principaux éléments de la réforme
du système judiciaire et de la justice mis en œuvre par les autorités
polonaises depuis 2015. Dans cette section, nous examinerons également
les développements directement liés à cette réforme, comme la tendance croissante
à prendre des mesures disciplinaires contre les juges qui auraient
prononcé des verdicts opposés aux intérêts des autorités, ainsi
que la crise de contrôle de la Cour constitutionnelle qui est l’une
des raisons de la proposition de résolution à l’origine de ce rapport.
24. Nous tenons à clarifier dès le départ un point relatif à notre
analyse de ces réformes. À plusieurs reprises, nous avons entendu
l’argument selon lequel certains aspects de cette réforme existeraient
également dans d’autres pays, ce qui signifierait qu’ils sont donc
automatiquement conformes aux normes européennes en matière d'État
de droit. Toutefois, même si certaines dispositions de la nouvelle
législation sont parfaitement identiques à celles d’autres pays,
cela ne dispense pas de les analyser dans le contexte du corps législatif complet
et selon la réalité du pays concerné. En outre, cela pourrait être
perçu comme ce que le Président de la Commission de Venise qualifie
à juste titre de « frankensteinisation de la législation », situation
dans laquelle la législation serait fondée sur une combinaison de
« mauvaises pratiques » en vigueur dans d’autres pays, ce qui, nous
en sommes convaincus, n’a jamais été l’objectif de nos interlocuteurs
en Pologne.
3.1. Réforme
de la Cour constitutionnelle
25. Comme il a été dit précédemment,
le fait que la majorité au pouvoir perçoive la Cour constitutionnelle comme
un obstacle à son programme de réforme a été renforcé par le fait
que l’ancienne majorité avait modifié la loi régissant la nomination
des juges constitutionnels. Cette disposition avait permis à la
majorité précédente de pourvoir les cinq postes de juges à la Cour
constitutionnelle qui deviendraient vacants en 2015, y compris ceux,
au nombre de deux, dont le mandat arrivait à terme après la tenue
des élections. Pour les nouvelles autorités, l’ancienne majorité,
sachant qu’elle ne serait plus aux commandes des institutions du
pouvoir, a clairement voulu assurer ses arrières au Tribunal afin
de protéger ses intérêts après les élections. Immédiatement après
les élections, la nouvelle majorité a entrepris de remédier à cette
situation inacceptable et de placer ses propres sympathisants à
la Cour constitutionnelle, ce qui a provoqué rapidement une crise constitutionnelle
qui a entravé le fonctionnement indépendant de cette institution.
26. Le Tribunal constitutionnel polonais se compose de 15 juges
élus par le Sejm à la majorité simple pour un mandat non renouvelable
de neuf ans. Les mandats de trois juges expiraient le 6 novembre
2015 et les mandats de deux autres les 2 et 8 décembre 2015. Le
25 juin 2015, soit trois mois avant les élections législatives,
le Sejm alors contrôlé par la précédente majorité conduite par la
Plateforme civique (7e législature) a
adopté une loi relative au Tribunal constitutionnel qui permettait
à la législature sortante du Sejm de pourvoir les postes de tous
les juges constitutionnels dont les mandats devaient prendre fin
en 2015. Par la suite, le 8 octobre 2015, juste avant les élections,
le Sejm sortant a élu cinq nouveaux juges au Tribunal constitutionnel. Avant
de prendre leur fonction, les juges nouvellement élus doivent prêter
serment devant le Président, conformément à l’article 21 (1) de
la loi relative au Tribunal constitutionnel. Le Président Duda,
membre du Parti Droit et Justice, a toutefois refusé de recevoir
le serment des cinq juges nouvellement élus.
27. La loi relative au Tribunal constitutionnel (adoptée le 25
juin 2015) a été contestée devant le Tribunal constitutionnel par
un groupe de députés du Sejm. Le 3 décembre 2015, le Tribunal constitutionnel
a jugé l’article 137 de cette loi inconstitutionnel dans la mesure
où il permettait à l’ancien Sejm d’élire deux juges dont les mandats
n’arriveraient à échéance qu’après la première session du Sejm nouvellement
constitué, soit en décembre 2015. L’élection par l’ancien Sejm des
trois juges dont les mandats expiraient le 6 novembre a été jugée
constitutionnelle. Le Tribunal a également considéré qu’en vertu
de l’article 21 (1), le Président est tenu d’accepter le serment
des nouveaux juges élus et que toute autre interprétation de cette
disposition serait contraire à la Constitution.
28. Le 19 novembre et le 22 décembre 2015, le Sejm a adopté une
série d’amendements controversés à la loi relative au Tribunal constitutionnel
dont l’effet cumulé visait, comme l’a également indiqué la Commission de
Venise dans son avis sur ces amendements
, à rendre impossible le fonctionnement
du Tribunal constitutionnel dans sa composition légale, bien que
politiquement contestable. En outre, le 25 novembre, le Sejm a adopté
une résolution qui annulait les cinq nominations des juges au Tribunal
constitutionnel du 8 octobre 2015 et qui en nommait cinq autres,
dont le Président Duda a entendu la prestation de serment dans la
nuit, à 1h30 du matin (!)
29. Un recours contre ces deux séries d’amendements a été déposé
devant la Cour constitutionnelle, qui a rendu ses décisions les
9 décembre 2015 et 9 mars 2016 et a déclaré les amendements du 19
novembre et du 22 décembre en grande partie inconstitutionnels.
Le 19 décembre 2015, elle a également jugé que le Sejm ne pouvait
nommer que deux juges le 25 novembre et non pas cinq, trois juges
ayant été élus constitutionnellement par le Sejm précédent.
30. En vertu de l’article 190 de la Constitution, les arrêts du
Tribunal constitutionnel sont obligatoires et définitifs, et doivent
être publiés sans délai dans le journal officiel dans lequel le
texte normatif initial a été publié. Dans les deux cas mentionnés
au paragraphe précédent, le cabinet du Premier ministre a toutefois refusé
de publier ces arrêts
. Nous tenons
à indiquer que la non-publication des arrêts de la Cour constitutionnelle
ou un retard délibéré et injustifié de la publication, constitue
une violation de la Constitution polonaise et est contraire aux
règles et normes internationales de l'État de droit.
31. Le 23 décembre 2015, le ministre des Affaires étrangères de
la Pologne a demandé à la Commission de Venise de rendre un avis
sur les amendements à la loi relative à la Cour constitutionnelle.
Dans son avis, adopté en session plénière en mars 2016
, la Commission de Venise soulignait
notamment que, dans une démocratie fondée sur l'État de droit, les
autorités ont l’obligation d’exécuter intégralement les décisions
des tribunaux et en particulier de la Cour constitutionnelle. La
Commission de Venise a donc appelé les autorités polonaises à respecter
leurs obligations internationales en matière de démocratie et d'État
de droit et à publier et respecter les décisions de la Cour constitutionnelle.
32. Le 22 juillet 2016, le Sejm a adopté une nouvelle loi relative
à la Cour constitutionnelle. Le 11 août 2016, le Tribunal constitutionnel
a rendu un arrêt concluant à l’inconstitutionnalité de plusieurs
dispositions de la loi et les a annulées. Cet arrêt n’a pas été
publié par les autorités. À la demande du Secrétaire général du
Conseil de l’Europe, la Commission de Venise a adopté un avis sur
la Loi relative au Tribunal constitutionnel, lors de sa session
plénière des 14 et 15 octobre 2016
.
33. Dans son avis, la Commission de Venise a accueilli favorablement
le fait qu’il ait été tenu compte de certaines recommandations formulées
sur les amendements du mois de décembre. Elle a cependant conclu qu’il
était regrettable que de nombreuses autres questions importantes
ne soient pas prises en compte.
34. La nouvelle loi ramène le quorum de la formation plénière
de 13 à 11 juges
et
supprime la majorité qualifiée des deux tiers pour les décisions,
autant d’éléments qui, conjugués, constituent de sérieux obstacles au
bon fonctionnement de la Cour constitutionnelle. Par ailleurs, elle
prévoit toujours que trois juges peuvent renvoyer une affaire devant
la formation plénière. Selon ces dispositions, le Président de la
Cour peut décider du caractère particulièrement complexe d’une affaire,
ce qui implique qu’une affaire soit examinée en formation plénière,
sans possibilité pour les juges de rejeter une telle demande. Ces
dispositions sont problématiques et violent la constitution polonaise
. Comme le fait remarquer la
Commission de Venise dans son avis, « dès lors que les autres juges
n’ont pas la possibilité de rejeter une demande de renvoi, il existe
un risque de politisation du fonctionnement du Tribunal [constitutionnel]
et d’entrave à son efficacité
».
35. Il est encourageant de constater que la nouvelle loi supprime
la disposition très critiquée conférant au Président polonais ou
au ministre de la Justice la faculté d’engager une procédure disciplinaire
à l’encontre des juges constitutionnels.
36. Par ailleurs, en vertu de la loi, le président du Tribunal
est choisi par le Président de la République parmi trois candidats
proposés par l’Assemblée générale des juges, chaque juge n’ayant
qu’une seule voix. Concrètement, cela signifie qu’un groupe de trois
juges peut présenter un candidat. Le Président polonais jouit d’un
pouvoir discrétionnaire considérable dans la procédure de nomination
et un président du Tribunal peut être nommé sans avoir le soutien
de la majorité des juges. En outre, la loi dispose que la présence
du Procureur général est obligatoire dans toutes les affaires examinées
en formation plénière. En son absence, l’affaire en question ne
peut pas être examinée, le Procureur général peut donc bloquer la
procédure en ne paraissant pas à l’audience. Il convient de faire
observer à ce propos que, selon la législation polonaise, la fonction
de procureur général est exercée par le ministre de la Justice (voir
ci-après). Compte tenu du fait que les affaires complexes et les
affaires de contrôle a priori des projets de loi doivent être examinées
en formation plénière, cela autorise théoriquement le ministre de
la Justice, en qualité de procureur général, à bloquer l’examen
d’une loi élaborée par son ministère. La possibilité pour le Tribunal
d’examiner des affaires en cas d’absence répétée du Procureur général
et/ou de remplacement de ce dernier par un procureur adjoint doit être
autorisée par la loi.
37. La nouvelle loi introduit toute une série d’exceptions à la
règle selon laquelle les affaires doivent être examinées dans l’ordre
chronologique de leur enregistrement, et confère au Président du
Tribunal le droit de modifier l’ordre des affaires dans des circonstances
exceptionnelles pour protéger les libertés individuelles des citoyens,
la sécurité nationale ou l’ordre constitutionnel. Bien que cette
amélioration par rapport à la loi précédente soit encourageante,
il devrait appartenir au Tribunal de décider lui-même de l’ordre
des affaires à examiner. Un recours contre cette disposition a été
déposé devant la Cour constitutionnelle, qui l’a jugée contraire
au principe de la séparation des pouvoirs et donc inconstitutionnelle.
38. En vertu de la nouvelle loi, le président du Tribunal « demande »
la publication des arrêts au journal officiel pour qu’ils puissent
entrer en vigueur – il ne l’« ordonne » plus, comme c’était le cas
dans la loi précédente. La différence a son importance alors que
les autorités ont refusé de publier les décisions de la Cour constitutionnelle
lorsqu’elles n’étaient pas de leur goût. Comme cela a été mentionné,
la possibilité de refuser arbitrairement la publication d’une décision
est contraire aux obligations de la Pologne en matière de prééminence
du droit. Cette disposition devrait donc être modifiée.
39. Le 16 août 2016, le gouvernement a publié 21 arrêts de la
Cour constitutionnelle, mais pas les décisions des 9 mars et 11
août 2016. Le 5 juin 2018, à la suite d’une loi du Parlement, le
gouvernement a publié les trois derniers arrêts de la Cour jusqu’alors
jamais publiés. Ces arrêts ont été finalement publiés non pas sous la
forme d’arrêt « wyroki » comme requis par la loi, mais à titre de
conclusions « rozstrzygnięcia ». Ils étaient accompagnés d’une note
stipulant que, selon les autorités, ces décisions avaient été prises
illégalement et qu’elles n’étaient donc pas reconnues. À notre avis,
l’idée qu’un parlement puisse décider de publier et d’appliquer
ou non les décisions de la Cour constitutionnelle est inacceptable.
Il est également révoltant et contraire aux principes mêmes de l'État
de droit que les autorités contestent la légalité des décisions individuelles
des tribunaux et décident arbitrairement de les exécuter ou non.
40. Il convient de noter que de nombreuses dispositions de la
Loi relative à la Cour constitutionnelle que la Commission de Venise
a jugées non conformes aux normes européennes, ont été en réalité
annulées par une décision de la Cour constitutionnelle du 11 août
2016. Le fait de ne pas publier ni exécuter les décisions de la Cour
constitutionnelle n’en est que plus déplorable.
41. Le mandat du Président de la Cour constitutionnelle a pris
fin le 19 décembre 2016. À la suite d’une procédure controversée
et douteuse sur le plan juridique
, le 21 décembre
2016, l’un des nouveaux juges nommés, qui est considéré comme favorable
aux nouvelles autorités, a été nommé Président du tribunal par le
Président de la Pologne.
42. Il nous est apparu clairement lors de notre visite que la
crise constitutionnelle résultant des développements relatifs à
la Cour constitutionnelle, n’est pas encore réglée. Elle aura un
impact durable sur le système juridique et le respect de l'État
de droit en Pologne. La Cour constitutionnelle semble être fermement
contrôlée par les autorités au pouvoir et cela la rend impuissante
en tant qu’arbitre impartial et indépendant de la constitutionnalité
et de l'État de droit en Pologne. En outre, l’exécution sélective
et arbitraire des décisions de la Cour constitutionnelle par les
autorités viole l’un des grands principes de l'État de droit et établit
un dangereux précédent, notamment pour les futurs gouvernements.
43. L’un des problèmes majeurs tient au fait que la question de
la composition du Tribunal n’a pas encore été résolue. De ce fait,
trois juges dont la nomination, le 2 décembre, a été déclarée illégale
sur décision de la Cour constitutionnelle, participent aux travaux
de ce même Tribunal, ce qui soulève des questions quant à la légalité
des arrêts auxquels ces juges ont participé et porte atteinte au
principe de la sécurité juridique. La requête
Xero
Flor w Polsce sp. z o.o. v. Pologne ,
communiquée par les autorités polonaises le 2 septembre 2019, montre
clairement l’étendue du problème. Dans cette requête, la société
requérante allègue que la composition du comité de cinq juges de
la Cour constitutionnelle qui a examiné son affaire viole ses droits (droits
à un procès équitable) en vertu de l’article 6, § 1, et ajoute « en
particulier, que le juge M.M. a été élu par le Sejm (chambre basse
du Parlement) alors que le poste avait déjà été attribué à un autre
juge qui avait été élu par le Sejm précédent »
. Nous réservons nos conclusions
tant que le Tribunal n’a pas rendu sa décision dans cette affaire,
mais l’impact potentiel sur le nombre d’affaires soumises au Tribunal
est clair, et soutient notre argument selon lequel les réformes
de la justice en Pologne ne peuvent pas être considérées comme relevant
des affaires intérieures, mais ont un impact direct sur le système
judiciaire international et les mécanismes de protection des droits
de l’homme.
44. En vertu du droit constitutionnel polonais, les juges des
tribunaux de droit commun peuvent statuer sur la constitutionnalité
d’une loi dans des affaires individuelles, ce qui permet dans une
certaine mesure de vérifier en permanence la constitutionnalité
des lois et des décisions gouvernementales, quoique par des tribunaux
de droit commun. L’importance de la Cour suprême en est renforcée
en tant que plus haute juridiction d’appel, y compris pour l’uniformité
du droit en relation avec les décisions sur la constitutionnalité
des textes législatifs et des décisions gouvernementales contestés.
Le gouvernement s’oppose fermement à la possibilité d’examen concret
des actes législatifs par les tribunaux de droit commun et, d’après
nos informations, le ministre de la Justice a menacé les juges de
procédures disciplinaires s’ils tentaient d’appliquer la Constitution
directement dans des affaires individuelles
.
3.2. Réforme
du ministère public
45. Le 24 décembre 2015, un groupe
de membres individuels de la majorité au pouvoir a présenté un nouveau
projet de loi sur le ministère public en Pologne. Cette loi étant
présentée par des membres individuels et non pas par le gouvernement
lui-même, un processus formel de consultation publique sur le projet
de loi n’a pas été requis, ce qui est regrettable compte tenu de
l’importance de cette loi et du sujet qu’elle aborde. Dans le cadre
d’une procédure relativement accélérée, ne reflétant pas l’importance
de son contenu, la loi a été adoptée par le Sejm en dernière lecture,
le 28 janvier 2016, et par le Sénat, le 30 janvier 2016. Elle a
été promulguée par le Président de la République le 12 février 2016
et est entrée en vigueur le 4 mars 2016.
46. À la suite du rétablissement de la démocratie en Pologne en
1989, le ministère public a perdu son indépendance
de droit antérieure
et a été subordonné au pouvoir exécutif, en particulier au ministre
de la Justice. Selon nos informations, cette situation a amené les
ministres successifs de la Justice à intervenir de manière répétée
et pour des motifs inavoués dans certaines affaires pénales, en
violation des normes européennes
. La réforme majeure et attendue
du ministère public en 2009 a changé cette situation et les fonctions
de procureur général et de ministre de la Justice ont été clairement
séparées. L’un des objectifs déclarés de cette séparation des fonctions
consistait à exclure toute influence politique sur le ministère
public et toute ingérence dans ce dernier. Cela a été également
mis en évidence par la limitation à six ans du mandat non reconductible
du procureur général et par les garanties juridiques mises en place
pour préserver cette indépendance et cette protection contre toute
« révocation abusive »
.
47. Si la subordination du ministère public au pouvoir exécutif
n’est pas en soi contraire aux normes européennes, on observe une
tendance générale à un ministère public plus indépendant de l’exécutif.
La réforme du ministère public polonais de 2009 est donc citée en
exemple d’une tendance générale par la Commission de Venise dans
son rapport de 2010 sur l’indépendance du système judiciaire
. Il est donc très difficile de comprendre
pourquoi la Pologne s’écarte de cette évolutions générale en Europe,
en particulier lorsque cela va clairement, comme nous l’indiquons
dans la suite de ce rapport, à l’encontre de l’impartialité et de
l’indépendance, réelles ou apparentes, du ministère public.
48. La nouvelle loi sur le ministère public annule donc totalement
les amendements de 2009 et fusionne les fonctions de ministre de
la Justice et de procureur général pour les confier à une seule
personne, le ministre de la Justice. Le Commissaire aux droits de
l’homme de la Pologne (Ombudsman) a contesté la nouvelle loi devant
la Cour constitutionnelle. La légalité du comité de juges de la
Cour constitutionnelle qui a examiné cette affaire a été cependant
remise en question, car il comprenait des juges nommés illégalement
et l’Ombudsman a donc décidé de retirer sa requête. Compte tenu
des inquiétudes suscitées par cette loi, notamment en ce qui concerne
l’indépendance du système judiciaire, question également soulevée
dans le cadre de l’adoption de la nouvelle loi sur les tribunaux
de droit commun (voir ci-après) et le risque de politisation du
ministère public, la commission de suivi a décidé, le 27 avril 2017,
de demander un avis sur la Loi relative au ministère public, telle
que modifiée. La Commission de Venise a ensuite adopté cet avis
sur la loi lors de sa session plénière des
8 et 9 décembre 2017.
49. Comme nous l’avons indiqué, l’aspect le plus controversé de
la nouvelle loi relative au ministère public est la fusion de la
fonction de procureur général et de la fonction de ministre de la
Justice. Selon les autorités, cette fusion est une tradition juridique
en Pologne et renforce l’obligation de rendre compte et l’efficacité
du ministère public. D’après les autorités, dans la réalité, l’indépendance
du ministère public conférée par les amendements de 2009 n’était
en réalité qu’illusion et ne se traduisait pas dans les faits. Selon
elles, la nouvelle loi ne fait qu’entériner une situation de fait.
Les autorités polonaises ont également affirmé que d’autres États membres
du Conseil de l’Europe ont également mis en place des systèmes similaires
de subordination du ministère public. Cette affirmation n’est cependant
pas recevable. Si la subordination du ministère public à l’exécutif
n’est pas en soi contraire aux normes européennes et si ce type
de subordination a déjà été mis en place, sous diverses formes,
dans quelques États membres du Conseil de l’Europe, le système polonais
est unique dans la mesure où il fusionne totalement les deux fonctions
et que le ministre de la Justice devient de droit et de fait le
procureur général. Par ailleurs, dans les pays où le ministère public
est subordonné à l’exécutif, des dispositions légales ont été adoptées
afin d’interdire toute ingérence directe dans des affaires individuelles.
De telles dispositions sont non seulement inexistantes en Pologne,
mais la nouvelle loi relative au ministère public confère explicitement
au ministre de la Justice de nouveaux pouvoirs précis qui lui permettent
d’intervenir directement dans des affaires individuelles, en violation
des normes européennes.
50. L’avis de la Commission de Venise, auquel nous renvoyons,
donne une analyse plus approfondie de la loi. Nous souhaitons, dans
ce rapport, aborder les questions les plus préoccupantes décrites
dans l’avis de la Commission de Venise, qui sont sources de préoccupations
relatives au respect du principe de prééminence du droit et au risque
de politisation du ministère public.
51. En vertu de la nouvelle loi, le ministre de la Justice, un
responsable politique, devient en qualité de procureur général,
le chef du ministère public de la Pologne. Les protections importantes
qui existaient auparavant afin de préserver l’indépendance fonctionnelle
du ministère public et d’éviter sa politisation, notamment la limitation
de la durée des mandats, des procédures strictes de révocation du
procureur général et l’interdiction au procureur général d’exercer
une fonction publique, sont donc devenues obsolètes, car le ministre
de la Justice est un représentant politique qui doit rendre des
comptes au Premier ministre, au Parlement et à son parti. En outre,
la fusion des fonctions de procureur général et de ministre de la
Justice semble aller à l’encontre de la Constitution polonaise,
qui stipule qu’un procureur ne peut pas exercer le mandat de député
. Cela semble être confirmé par la
loi relative au ministère public qui établit qu’un « procureur en
fonction ne peut pas être affilié à un parti politique, ni participer
à une quelconque activité politique »
. Il est
clair que cela est incompatible avec la fusion des fonctions de
procureur général et de ministre de la Justice, qui est actuellement
aussi député au Sejm.
52. La nouvelle loi confère au procureur général, et par conséquent
au ministre de la Justice, de vastes pouvoirs discrétionnaires permettant
au ministre de la Justice d’intervenir directement dans les affaires.
En vertu de la loi, les procureurs sont tenus d’appliquer les directives
et ordres d’un procureur supérieur hiérarchiquement
, ce dernier ayant le droit de modifier
ou de révoquer une décision d’un procureur subordonné ou de prendre
en charge directement la gestion d’une affaire
.
En outre, le procureur général peut demander à ce que des organes
dûment habilités engagent des activités opérationnelles et exploratoires,
à condition que celles-ci soient directement pertinentes pour les
procédures, et inspecter les matériels recueillis dans le cadre
de ces activités. Ces dispositions donnent au ministre de la Justice
un accès complet à tous les dossiers de poursuites constitués dans
le pays et le pouvoir de donner des instructions directes à leur
sujet
. Par ailleurs, les garanties
mises en place pour préserver la transparence du fonctionnement
du ministère public et protéger celui-ci contre toute influence
politique font défaut ou sont très insuffisantes dans la nouvelle
loi
.
53. Comme l’indique la Commission de Venise, conférer des pouvoirs
étendus à un responsable politique qui occupe le poste de ministre
de la Justice « crée un risque réel d’abus ». Lors de nos visites,
nous avons entendu de nombreuses allégations, parfois crédibles,
selon lesquelles des abus se seraient en effet produits. Quelle
que soit la véracité de ces allégations, le simple fait que le ministère
public soit exposé à un risque d’abus politique contre lequel la
loi ne prévoit pas de garanties, met en péril l'État de droit en
Pologne et suscite de graves inquiétudes. Le ministère public, et
le système judiciaire en général, doivent être non seulement indépendants
et impartiaux, mais aussi être perçus comme tels.
54. En outre, la loi confère des pouvoirs considérables au procureur
général, et par conséquent au ministre de la Justice, dans le cadre
de la nomination et de la promotion des procureurs ainsi que des
actions disciplinaires prises à leur encontre (y compris la révocation)
.
Les procureurs sont nommés par le procureur général, sur proposition
du procureur national (substitut du procureur général qui est également
un représentant politique). Si le procureur général peut solliciter
l’avis d’un conseil de procureurs, il n’est pas tenu de le respecter.
Par ailleurs, il peut, « dans des cas particulièrement justifiés »,
nommer le candidat proposé par le procureur national sans passer
par un concours. Après la première nomination, aucun concours n’est
prévu et les promotions sont décidées par la hiérarchie. En ce qui
concerne les procédures disciplinaires, le procureur général a notamment
le droit d’inspecter les activités des juridictions disciplinaires
(composées des procureurs subordonnés au procureur général), de
réprouver les transgressions constatées, d’exiger des explications
ainsi que la réparation des effets des transgressions.
55. La combinaison de ces pouvoirs confère au procureur un contrôle
total sur les carrières des procureurs individuels et du service
public en tant que tel. Le fait que le procureur national, qui est
le substitut du procureur général, soit chargé au quotidien de la
gestion du ministère public n’apaise pas nos inquiétudes à cet égard, car
le procureur national est un élu politique qui est normalement nommé
par la même majorité au pouvoir que celle dont dépend le ministre
de la Justice. Par ailleurs, la loi confère explicitement de vastes
pouvoirs discrétionnaires au ministre de la Justice, en qualité
de Procureur général, pour intervenir dans des affaires individuelles.
56. Lors de notre visite, nous avons été informés qu’à la suite
de l’adoption de la loi, 114 procureurs ont été déplacés du parquet
général et des parquets régionaux vers des postes de rang inférieur.
Il y avait apparemment parmi eux des procureurs qui avaient travaillé
sur des dossiers sensibles impliquant l’intérêt de membres ou de
sympathisants du parti au pouvoir. Dans le même temps, on assiste
visiblement à une recrudescence de détachements ou de « procureurs
délégués », un processus qui contourne les procédures de nomination
et de transfert en vigueur. Par ailleurs, le parquet national et
ses parquets régionaux sont, semble-t-il, composés principalement
de détachements, ce qui laisse supposer que ces postes seraient « attribués »
à titre de « récompenses ».
57. À ces préoccupations s'ajoutent les pouvoirs de révocation
et de remplacement des présidents de juridiction que la Loi sur
l’organisation des tribunaux de droit commun (voir ci-après) confère
au ministre de la Justice.
58. La concentration de tous ces pouvoirs (excessifs) entre les
mains du ministre de la Justice expose le système aux abus, compromet
l’indépendance de la justice et va à l’encontre du principe de respect
de l'État de droit. Le simple fait que le ministère public soit
exposé à un risque d’abus doit susciter de graves inquiétudes pour
les autorités et les législateurs et il est nécessaire d’y remédier
d’urgence dans la législation.
3.3. Réforme
du Conseil national de la magistrature
59. Un volet majeur des réformes
de la justice entreprises par les autorités polonaises concerne
la réforme du Conseil national de la magistrature (CNM) qui – aux
dires des autorités – n’était pas représentatif de l’ensemble du
système judiciaire, était sujet au corporatisme judiciaire et agissait
principalement dans son propre intérêt.
60. Selon la Constitution polonaise
, le Conseil national de la magistrature,
également connu sous son abréviation polonaise KRS, est un organe
autonome du système judiciaire créé pour préserver l’indépendance de
la justice. Il est notamment responsable du choix des candidats
pour les tribunaux de première instance et d’appel ainsi que pour
la Cour suprême
. En outre, il a le pouvoir
d’introduire un recours contre des lois affectant les tribunaux
et les juges devant le Tribunal constitutionnel et de formuler des
avis sur les projets de loi concernant le système judiciaire.
61. Selon l’article 187 de la Constitution polonaise, le KRS est
composé de 25 membres, dont quinze sont élus parmi les juges. Par
ailleurs, quatre membres sont élus par le Sejm parmi les députés,
deux membres sont élus par le Sénat parmi les sénateurs et un membre
doit être nommé par le Président de la République de la Pologne.
Le Conseil dispose de trois membres de droit: le premier président
de la Cour suprême, le président de la Haute Cour administrative
et le ministre de la Justice.
62. La Constitution ne précise pas de quelle manière les 15 juges
membres doivent être choisis, mais jusqu’en 2017, il était entendu
que ces membres étaient des juges élus par leurs pairs, conformément
aux recommandations des normes européennes
.
63. En février 2017, le gouvernement a annoncé son plan de réforme
du Conseil national de la magistrature. Les projets de loi initiaux
portant modification de la loi sur le Conseil national de la magistrature
et d’autres lois polonaises proposaient notamment que les membres
juges soient désormais élus par le Sejm (en plus de son propre quota
constitutionnel). Le Conseil serait divisé en deux chambres: l’une
composée de membres juges et l’autre de représentants politiques.
Les deux chambres devraient s'entendre sur chaque nomination et
les représentants politiques pourraient de facto s’opposer aux décisions
prises par les membres magistrats. En outre, les amendements proposés
précisaient que les mandats de tous les membres juges prendraient
fin dans les 90 jours suivant l’adoption de la nouvelle loi.
64. Ces projets d’amendements ont fait l’objet de vives critiques
de la part des parties prenantes nationales et internationales,
qui craignaient un risque de politisation de la nomination des juges
et d’anéantissement de l’indépendance de la justice. Les projets
d’amendements ont été examinés par l’OSCE/BIDDH. Dans son avis, l’OSCE/BIDDH
a noté que les amendements proposés auraient pour effet que « la
législature et non le judiciaire désigne les 15 représentants des
juges… » au Conseil national de la magistrature (KRS), permettant ainsi
au pouvoir législatif et au pouvoir exécutif d’exercer « une influence
décisive sur la sélection des juges ». Par conséquent, selon l’avis
de l’OSCE/BIDDH, les amendements proposés « suscitaient de graves préoccupations
en ce qui concerne des principes démocratiques essentiels, en particulier
la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice ». Il
a conclu que s’ils étaient adoptés, « les amendements saperaient les
fondements mêmes d’une société démocratique régie par l’État de
droit ». Dans ce contexte, l’OSCE/BIDDH a recommandé aux autorités
polonaises de revoir entièrement les amendements et de ne pas les adopter
.
Mais malgré ces vives critiques, ces projets d’amendements ont été
adoptés par le Parlement en juillet 2017. Le 24 juillet 2017, le
Président de la République a opposé son veto à la loi relative au
Conseil national de la magistrature et à la loi relative à la Cour
suprême.
65. Le 26 septembre 2017, le Président a soumis deux nouveaux
projets de loi: l’un sur le Conseil national de la magistrature
et l’autre sur la Cour suprême. Si le projet proposé par le Président
contenait quelques dispositions bienvenues pour remédier à certaines
critiques formulées, sa version ne différait pas fondamentalement
du projet de loi adopté par le parlement. Ce projet a donc fait
l’objet de sévères critiques à l’intérieur comme à l’extérieur du
pays
. Fait
positif, la proposition présidentielle renonçait à la division du Conseil
national de la magistrature en deux chambres et adoptait la majorité
des trois cinquièmes pour l’élection des membres juges par le Sejm.
Le maintien de l’élection des membres juges par le Sejm et non pas par
leurs pairs est toutefois regrettable. À la suite de l’adoption
de la Résolution 2188 (2017) intitulée « Nouvelles menaces contre
la primauté du droit dans les États membres du Conseil de l’Europe »,
le Président de l’Assemblée parlementaire a sollicité l’avis de
la Commission de Venise sur le projet de loi portant modification
de la loi sur le Conseil national de la magistrature et sur le projet
de loi portant modification de la loi sur la Cour suprême. L’avis
concerne également la Loi sur l’organisation des tribunaux de droit
commun, adoptée par le Parlement polonais en juillet 2017. La Commission
de Venise a adopté cet avis
sur les lois lors de sa session
plénière des 8 et 9 décembre 2017. Les deux projets de loi ont cependant
été adoptés, sans amendement, par le Sejm et le Sénat respectivement
le 8 décembre 2017 et le 15 décembre 2017. Le 20 décembre 2017,
soit cinq jours plus tard, le Président a promulgué les deux lois.
66. Dans son avis, la Commission de Venise souligne que, selon
les normes européennes, les membres du Conseil national de la magistrature
devraient être pour moitié au moins des juges élus par leurs pairs.
Même avec l’adoption de la majorité des trois cinquièmes pour l’élection
des membres par le Sejm, l’élection des membres juges s’écarte toujours
des normes européennes, car «les membres juges ne sont pas élus
par leurs pairs, mais reçoivent leur mandat du Parlement ». Sachant
que six autres membres élus sont des parlementaires du Sénat ou
du Sejm, cela signifie que « les candidats nommés par la classe
politique » dominent au sein du Conseil
, ce qui peut entraîner sa politisation.
Le fait que le Sejm ne soit pas tenu de nommer les membres qui sont
proposés par les juges eux-mêmes ne fait qu’aggraver la situation.
En vertu de la loi, la candidature d’un juge peut être proposée
par un groupe de 25 juges ou par 2 000 citoyens. Chaque groupe politique
choisit alors librement neuf candidats parmi ces propositions qui
seront ensuite présentées pour une élection au Sejm. À aucun moment,
le Parlement n’est tenu de retenir un nombre minimal de candidats
proposés par les juges eux-mêmes, ce qui est contraire aux normes
et règles européennes.
67. Selon les autorités polonaises, l’une des raisons du changement
de mode d’élection est que les juges des tribunaux d’instance sont
sous-représentés au sein du Conseil national de la magistrature.
Bien qu’il s’agisse d’un objectif légitime, nous sommes convenus
avec la Commission de Venise qu’il existe des mécanismes nettement
mieux adaptés pour garantir une meilleure représentation des juges
des tribunaux d’instance au Conseil national de la magistrature,
qui n’aille pas à l’encontre des normes et règles européennes
.
68. Outre le changement de la procédure de nomination des membres
juges au Conseil national de la magistrature, la loi a également
prévu la révocation anticipée des mandats de tous les membres du
Conseil national de la magistrature. Cette mesure répondait visiblement
à l’arrêt de la Cour constitutionnelle concluant en particulier
que les membres juges du Conseil national de la magistrature doivent
tous avoir la même mandature. Selon l’avis d’autres interlocuteurs,
le changement du système de nomination et la révocation anticipée
du mandat de tous les membres juges actuels reviennent à une mainmise
sur le Conseil en vue de le placer sous le contrôle strict des autorités.
En outre, l’effet cumulé de ces deux changements menace l’indépendance
et favorise la politisation de cette institution importante, ce
qui, à son tour, compromet l’indépendance de la justice.
69. Dans ce contexte, il convient de noter que la Cour constitutionnelle
a appelé tous les membres du Conseil national de la magistrature
à avoir la même mandature. Dans la loi, il est question d’une « mandature commune »,
ce qui signifie que tous les membres commencent et terminent simultanément
leur mandat. Nous savons que le bien-fondé de cette interprétation
est remis en question. Par ailleurs, comme l’a fait observer la Commission
de Venise, le principe d’une mandature commune à tous les membres
prête à la critique, car cela nuit à la continuité institutionnelle
du Conseil national de la magistrature
.
70. À la suite de la décision de la Cour de justice de l’Union
européenne (CJUE) concernant l’âge de départ à la retraite des juges
de la Cour suprême, les juges qui ont été contraints de prendre
leur retraite anticipée avant la décision de la CJUE ont présenté
un recours pour départ forcé à la retraite devant la Cour suprême. La
Cour suprême s’est cependant demandé si la Chambre de contrôle extraordinaire
créée récemment pouvait être considérée comme indépendante. Elle
a noté que les juges de la chambre du contrôle sont nommés par le
Président sur proposition du Conseil national de la magistrature.
Dans ce contexte, la Cour suprême a remarqué qu’il y a lieu de s’interroger
sur l’indépendance du Conseil national de la magistrature, à la
suite de sa récente réforme qui a abouti à la nomination de 15 membres
juges désormais choisis par le Parlement. Compte tenu de ces éléments,
la Cour suprême a décidé de soumettre cette question à la Cour de
justice de l’Union européenne. Le 26 novembre 2018, la Cour a accepté
la requête de la Cour suprême polonaise et a décidé d’examiner cette
affaire dans le cadre de la procédure accélérée.
71. Le 27 juin 2019, dans ses conclusions sur cette question présentées
devant la Cour, l’avocat général de l’Union européenne a considéré
que le mode de nomination des membres du Conseil national de la magistrature
compromettait l’indépendance des pouvoirs législatif et exécutif.
De ce fait, il y a lieu de douter légitimement de l’indépendance
de la chambre de contrôle de la Cour suprême. En conséquence, selon
lui, la chambre de contrôlée créée récemment ne respecte pas les
exigences d’indépendance de la justice établies par le droit de
l’Union européenne
. À l’heure où ce rapport
est rédigé, la Cour de justice de l’Union européenne n’a pas encore
rendu sa décision, mais nous notons qu’elle respecte généralement
les conclusions de l’avocat général. Si cette question n’est pas
réglée immédiatement, les répercussions sur le système judiciaire
seraient désastreuses. Compte tenu des interrogations manifestes
soulevées à propos de l’indépendance du Conseil national de la magistrature,
nous ne pouvons qu’exhorter les autorités à repenser rapidement
les réformes de cette institution importante.
3.4. Réforme
des tribunaux de droit commun
72. La loi sur l’organisation des
tribunaux de droit commun a été modifiée par le Parlement polonais
en mars et juillet 2017. Malgré les vives critiques suscitées par
ces amendements dans le pays et dans le monde, le Président de la
Pologne les a promulgués le 25 juillet 2017
. À la suite d’une procédure
d’infraction engagée par l’Union européenne au motif que l’introduction
d’un âge de départ à la retraite différent pour les femmes et les
hommes magistrats constitue une violation de la législation anti-discrimination
de l’Union européenne, le Parlement a adopté d’autres amendements
à la loi. Ces amendements avaient pour but de remédier, comme le
démontrera partiellement l’exposé ci-après, à certaines critiques
formulées sur la loi.
73. Dans la version précédente de la loi, le ministre de la Justice
disposait déjà de pouvoirs étendus, et excessifs à nos yeux
,
sur le système judiciaire polonais, notamment au regard de la nomination
et de la révocation des présidents de juridictions, des procédures
disciplinaires à l’encontre des juges et de l’organisation interne
des tribunaux. Ces pouvoirs et compétences, qui étaient déjà étendus,
ont été considérablement renforcés par les amendements à la loi
sur l’organisation des tribunaux de droit commun.
74. À l’issue de son adoption, la loi autorisait une période transitoire
de six mois au cours de laquelle le ministre de la Justice pouvait
nommer et révoquer les présidents et vice-présidents de juridiction
à son entière discrétion, sans possibilité de recours concernant
ces décisions. Selon nos informations, plus de 160 présidents et
vice-présidents de juridictions – soit 20 % de l’ensemble de ces
postes – ont été révoqués et remplacés de manière arbitraire par
le ministre. Même à l’issue de cette période, le ministre de la
Justice a conservé un pouvoir discrétionnaire quasi total sur la
nomination des présidents de juridiction. Comme l’ont mentionné
la Commission de Venise et le CCJE, la magistrature doit avoir une
influence sur ces nominations. Celle-ci devrait normalement s’exercer
par l’intermédiaire du Conseil national de la magistrature. Néanmoins, après
les changements apportés à la procédure de nomination (qui ne permet
pas d’avoir une influence décisive sur la magistrature), les conditions
ne suffisent plus à garantir que la nomination et le processus respectent
les normes européennes.
75. À l’issue de la période de six mois, le ministre de la Justice
doit justifier une révocation par des motifs fondés. Les motifs
de révocation prévus par la loi sont cependant formulés de manière
très vague et laissent un pouvoir discrétionnaire considérable au
ministre. Les motifs légaux d’une révocation peuvent être les suivants:
« une incapacité grave ou persistante à s’acquitter de ses fonctions
officielles », « une gestion particulièrement inefficace » de la
juridiction et « d’autres raisons [qui] rendent le maintien en fonction incompatible
avec la bonne administration de la justice ». Depuis les amendements
adoptés en avril 2018, le ministre doit demander l’avis du collège
du tribunal dont le président ou vice-président est concerné par
la révocation. En cas de refus du collège de donner son accord,
il doit solliciter l’avis du Conseil national de la magistrature
qui peut s’opposer au renvoi par l’adoption d’une décision à la
majorité des deux tiers de ses membres
. Du point de vue de nos préoccupations
relatives à la composition du Conseil national de la magistrature,
nous nous demandons si l’obligation de majorité des deux tiers du
Conseil national de la magistrature pour bloquer la révocation d’un
président (vice-président) de juridiction constitue un garde-fou efficace
contre un éventuel abus de pouvoir du ministre de la Justice. Il
y a lieu également de s’inquiéter du fait qu’une décision de révocation
d’un président (vice-président) de tribunal ne puisse pas faire
l’objet d’un recours, ce qui semble incompatible avec les conclusions
de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire
Baka c. Hongrie .
76. La Loi sur l’organisation des tribunaux de droit commun a
élargi et renforcé le rôle du ministre de la Justice dans les procédures
disciplinaires à l’encontre des juges. Elle prévoit la possibilité
pour le président d’une juridiction supérieure, ou le ministre de
la Justice, de faire des reproches
au
président/vice-président de la juridiction inférieure concernant
sa mauvaise gestion présumée. Le président/vice-président de la juridiction
inférieure peut saisir le ministre de la Justice qui a le dernier
mot. Ces reproches peuvent entraîner une diminution de 50 % de l’indemnité
de fonctions pendant une période maximale de six mois. En outre,
les présidents de tribunaux doivent faire rapport tous les ans au
ministre de la Justice. Si ces rapports ne posent pas de problèmes
en soi, le ministre de la Justice peut s’en servir comme base pour
réduire ou augmenter une indemnité de fonctions. Ces décisions du
ministre ne sont pas susceptibles de recours. Le recours à ces dispositifs
disciplinaires indirects suscite des inquiétudes. Comme le mentionne
la Commission de Venise, ils créent de facto une pyramide hiérarchique,
dominée par le ministre de la Justice, qui est dangereuse pour l’indépendance
tant interne qu’externe du pouvoir judiciaire
. Ces pouvoirs disciplinaires
ne devraient pas être octroyés au ministre de la Justice et aux
présidents de tribunaux à leur gré, en particulier sans possibilité
de recours juridique par les personnes concernées.
77. Par ailleurs, la nouvelle loi renforce considérablement les
pouvoirs du ministre de la Justice dans le cadre des procédures
disciplinaires à l’encontre des juges, ce qui est source de préoccupation.
Les juges des chambres de contrôle de première instance et des juridictions
d’appel sont désormais sélectionnés par le ministre après consultation
du Conseil national de la magistrature
.
Comme nous l’avons indiqué dans une section précédente, le ministre
peut nommer un responsable disciplinaire parmi les juges ou, en
cas d’affaires pénales, parmi le ministère public. Le fait que le
ministre de la Justice et le procureur général soient une seule et
même personne, qui peut engager des procédures disciplinaires et
intervenir dans ces dernières, aggrave la situation.
78. La Loi sur l’organisation des tribunaux de droit commun initiale
a abaissé l’âge de départ à la retraite des juges de 67 à 65 ans
pour les hommes et à 60 pour les femmes. La Commission européenne
a considéré que cette différence d’âge de départ à la retraite entre
les femmes et les hommes était contraire à la législation anti-discrimination
de l’Union européenne. Elle a donc introduit un recours en manquement
et a porté l’affaire devant la Cour de justice de l’Union européenne.
En réponse, les amendements du 12 avril 2018 ont introduit le même
âge de départ à la retraite pour les hommes et les femmes, fixé
à 65 ans, mais les femmes peuvent partir à 60 ans, si elles en font
la demande. L’application du nouvel âge de départ à la retraite
a pris effet immédiatement sur les juges en exercice. Il est possible
de prolonger la durée du mandat des juges jusqu’à l’âge de 70 ans,
en cas de nécessité liée à la charge de travail du tribunal concerné.
Au départ, il s’agissait d’une prérogative du ministre de la Justice,
mais depuis les amendements du 12 avril 2018, c’est le Conseil national
de la magistrature qui prend la décision de poursuite de l’activité
après l’âge de départ à la retraite. Le GRECO a signalé qu’en mai
2018, malgré les 600 postes de magistrats vacants, seules 32 prolongations
de contrat ont été accordées sur les 130 demandes
.
79. Le 5 novembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne
a rendu un arrêt
concernant l’abaissement de l’âge
de la retraite des juges et magistrats du parquet des juridictions
ordinaires. Dans son arrêt, la Cour a jugé que l’instauration par
la Pologne d’un âge de départ à la retraite différent pour les femmes et
les hommes appartenant à la magistrature, et d’autre part, l’abaissement
de l’âge du départ à la retraite des juges des juridictions de droit
commun, tout en conférant au ministre de la Justice le pouvoir de
prolonger la période d’activité de ces juges, constituent un manquement
au droit de l’Union européenne. Selon la Cour, l’effet conjugué
de l’abaissement de l’âge du départ à la retraite et du pouvoir
discrétionnaire conféré au ministre de la Justice d’autoriser la
poursuite de l’exercice des fonctions des juges viole le principe d’inamovibilité
des juges. À la suite de cet arrêt, les autorités polonaises ont
affirmé que les amendements du 12 avril 2018 tiennent déjà compte
des conclusions de cet arrêt. Il n’est cependant pas précisé de
quelle manière cet arrêt affectera les 98 juges qui ont été contraints
de partir à la retraite et dont la durée du mandat n’a pas été prolongée
avant l’adoption des amendements du 12 avril 2018.
80. Il est encourageant de constater que la nouvelle loi a introduit
l’attribution aléatoire des affaires aux juges. Toutefois, d’après
les règles de procédure des tribunaux de droit commun
, le ministre de la Justice conserve
des compétences considérables dans l’attribution des affaires
. Les présidents de juridiction
restent habilités à modifier la composition des collèges, y compris
à remplacer un juge saisi d’une affaire par un autre juge dans l’intérêt
de l’efficacité de la procédure
.
81. Nous tenons à souligner que plusieurs faiblesses mentionnées
ci-dessus étaient déjà présentes dans la loi avant qu’elle ne soit
amendée par le Parlement actuel. Les amendements adoptés en 2017
et 2018 ont non seulement été incapables de pallier (totalement)
ces insuffisances, mais les ont aussi – nettement – aggravées dans
certains cas.
3.5. Réforme
de la Cour suprême
82. Comme indiqué ci-dessus, malgré
de sévères critiques à l’intérieur comme à l’extérieur du pays,
le Sejm et le Sénat ont adopté, respectivement le 8 décembre 2017
et le 15 décembre 2017, la nouvelle loi sur la Cour suprême, proposée
par le Président de la République. Le 20 décembre 2017, soit cinq
jours plus tard, le Président a promulgué les deux lois. Les dispositions
principales les plus sujettes à controverses comprennent la création
de deux nouvelles chambres de la Cour suprême: l’une connaît des
affaires disciplinaires concernant les juges de la Cour suprême,
et l’autre des recours extraordinaires et des litiges électoraux
et autres de droit public. La nouvelle loi prévoit que des membres
non professionnels siègent dans ces deux chambres. En outre, elle
abaisse l’âge de la retraite des juges de la Cour suprême, y compris
des magistrats en exercice, de 70 à 65 ans, mais laisse au Président
de la République un large pouvoir discrétionnaire pour maintenir
certains juges en fonction après l’âge de départ à la retraite.
83. La loi prévoit la création, à la Cour suprême, de deux nouvelles
chambres qui ont des pouvoirs spéciaux les plaçant de facto au-dessus
des autres chambres de la Cour. En vertu de cette loi, les arrêts
de ces deux chambres seront rendus avec la participation de membres
non professionnels
, qui sont élus
par le Sénat polonais pour une durée de quatre ans. La loi n’impose
à ces membres non professionnels aucune exigence en matière de connaissances
juridiques
et
de formation – pas même une éducation secondaire. En outre, le Premier
président de la Cour suprême est habilité à nommer à sa discrétion
les membres non professionnels dans les collèges de juges statuant
sur les affaires disciplinaires et les affaires de contrôle extraordinaire.
La participation de membres non professionnels, telle qu’elle est
prévue par la loi, est problématique. Les deux chambres traitent
d’affaires très complexes sur le plan juridique et sensibles, et
comme l’indique la Commission de Venise, l’introduction de membres
non professionnels, sans connaissances juridiques, menace dangereusement
l’efficacité et la qualité de la justice
. Les autres juges de
ces chambres sont sélectionnés par le CNM dont l’indépendance est
douteuse compte tenu de la procédure de nomination de ses propres
membres
. Le mode de sélection des
membres non professionnels par le Sénat, combiné à la sélection
des juges par le CNM et au pouvoir discrétionnaire conféré au Premier
président de la Cour suprême pour les nommer dans les différents
collèges, expose les procédures à un risque d’abus politique. La
référence à la justice sociale dans les dispositions relatives au
contrôle extraordinaire (voir ci-après) ne fait que renforcer cette
préoccupation. Lors de notre visite à Varsovie en septembre 2019,
la Professeur Gersdorf, actuelle Première présidente de la Cour
Suprême s’est dite sérieusement préoccupée par la création de la
chambre des recours extraordinaires qui fonctionne de facto comme
une cour au sein de la cour, dont les membres ne sont pas égaux
aux autres juges de la Cour suprême. Leurs revenus plus élevés en
témoignent.
84. La loi sur la Cour suprême introduit la possibilité de contrôle
extraordinaire ou de recours extraordinaire pour réviser des décisions
exécutoires d’autres tribunaux, y compris des autres chambres de
la Cour suprême elle-même. Ces recours extraordinaires peuvent être
formés par l’ombudsman et par le ministre de la Justice en qualité
de procureur général. Tous deux disposent de pouvoirs discrétionnaires
étendus concernant les motifs de recours extraordinaire
, qui prévoient qu’une décision
peut être annulée « dans l’intérêt de la justice sociale ». Si le
principe de réouverture d’anciennes affaires dans des circonstances
et selon des critères très précis ne pose pas de problème en soit,
l’instrument prévu par la loi pour les recours extraordinaires suscite de
graves inquiétudes, car il viole les principes de la sécurité juridique
et de la chose jugée. Les délais extrêmement longs prévus pour former
un tel recours ne font qu’aggraver les choses. Dans les procédures pénales,
dans lesquelles l’annulation est au détriment de l’accusé, le recours
doit être déposé dans les six mois suivant la date de décision définitive.
Dans tous les autres litiges, le délai est de cinq ans et, à titre
de mesure transitoire, pendant une période de trois ans après l’adoption
de la loi, les recours pourront être formés pour rouvrir toute affaire
réglée après le 17 octobre 1997. Qui plus est, les décisions de
la Cour adoptées après la réouverture pourront aussi faire l’objet
d’un contrôle extraordinaire. Comme le conclut la Commission de Venise
à juste titre: « il n’y aura plus de décisions définitives dans
la justice polonaise »
. Le système du « contrôle
extraordinaire » que décrit le projet de loi «compromet la stabilité
de l’ordre juridique polonais»
,
et devrait être abandonné.
85. Selon nos informations, à ce jour, seul l’Ombusdsman a fait
usage de son droit de former un recours extraordinaire bien qu’il
ait publiquement émis des réserves quant à la légalité de cette
nouvelle procédure juridique. Interrogé sur cette contradiction,
il nous a informés que le public lui avait adressé plus de 4 000 demandes
de recours extraordinaires. Le fait de refuser catégoriquement d’employer
ce mécanisme à sa disposition l’exposerait lui-même à des accusations
d’abus de pouvoir. Par conséquent, s’il maintient ses réserves relatives
au principe juridique du recours extraordinaire, il a déposé un
petit nombre de recours, qu’il jugeait aptes à remédier éventuellement
à de graves injustices sociales actuelles.
86. La nouvelle chambre du contrôle extraordinaire et des affaires
publiques de la Cour suprême est chargée de statuer sur tous les
recours relatifs aux élections, y compris celles du Parlement européen.
Comme nous l’avons mentionné précédemment
,
en raison du mode de nomination de ses membres, il y a lieu de s’interroger
sur l’indépendance et l’impartialité de cette nouvelle chambre,
qui est exposée aux ingérences et pressions politiques. Elle n’est
donc pas perçue par toutes les parties prenantes comme un arbitre
indépendant et impartial dans les litiges relatifs aux élections,
ce qui est crucial dans un processus électoral démocratique. Compte
tenu de son rôle dans les décisions de recours liés aux élections
au Parlement européen, les interrogations relatives à son impartialité
et son indépendance affectent donc potentiellement
tous les États membres
de l’Union européenne.
87. Il existe, selon nous, un risque sérieux que l’introduction
du recours extraordinaire en Pologne augmente considérablement le
nombre de requêtes déposées contre la Pologne auprès de la Cour
européenne des droits de l’homme à Strasbourg. Cette opinion était
partagée par bon nombre de nos interlocuteurs à Varsovie. Cela renforce
nos craintes qu’à la suite des réformes de la justice en Pologne,
les organes juridiques européens comme la Cour européenne des droits
de l’homme et la CJUE, deviennent de facto des juridictions de dernier
ressort pour les citoyens polonais, ce qui est préoccupant.
88. L’un des aspects qui ont visiblement suscité de vives polémiques
a trait à la disposition de la loi qui abaisse l’âge de départ à
la retraite des membres de la Cour suprême de 70 à 65 ans. Cette
disposition s’applique également avec effet rétroactif aux membres
en exercice. Selon nos informations, elle a concerné 27 juges, dont
le Premier président de la Cour suprême. Elle a donc été largement
perçue comme une tentative ouverte des autorités pour nommer à la
Cour suprême des sympathisants du parti et pour la placer sous le contrôle
de la majorité au pouvoir. L’un des arguments avancés par les autorités
pour justifier l’abaissement de l’âge de la retraite était la nécessité
de supprimer l’héritage communiste de la Cour suprême. Dans l’introduction
de ce rapport, nous avons déjà exprimé nos préoccupations concernant
les aspects de la réforme s’apparentant à un processus de lustration.
Nous ne les reprendrons pas ici. Nous tenons cependant à souligner
qu’un principe fondamental de la lustration consiste à démontrer
la culpabilité individuelle des personnes concernées par ce processus.
L’abaissement de l’âge de la retraite de tous les juges pour éliminer quelques
individus revient à infliger une sanction collective, en violation
des normes du Conseil de l’Europe. Dans ce contexte, il convient
de noter qu’un processus de lustration a été engagé en Pologne en
1990 et qu’à cette époque 80 % des juges de la Cour suprême ont
été relevés de leurs fonctions. Le nouvel âge de départ à la retraite
n’a, selon nos informations, concerné qu’un juge ayant exercé à
l’époque communiste, ce qui conduit à s’interroger sur cet objectif
annoncé
.
89. À titre de mesure transitoire, la loi autorise les juges actuellement
en fonction à la Cour suprême, qui ont atteint l’âge de 65 ans avant
l’entrée en vigueur de la loi ou au plus tard le 3 juillet 2018,
à demander au Président de la République une prolongation de leur
mandat jusqu’à 70 ans. La loi laisse au Président tout pouvoir discrétionnaire
pour accepter ou refuser cette demande ou même s’abstenir. Dans
ce dernier cas, le juge concerné part automatiquement à la retraite.
Il n’existe aucune possibilité de recours juridique contre la décision
du Président. Ces dispositions confèrent au Président de la République
une influence excessive sur les juges qui atteignent l’âge de la
retraite. À notre connaissance
,
avant le blocage de ces dispositions par des mesures temporaires
prises par la CJUE, 12 juges de la Cour suprême ont demandé une
prolongation de leur mandat. Sur ce nombre, le Président n’a accepté
que cinq demandes
.
90. Comme indiqué, l’abaissement de l’âge de la retraite des juges
de la Cour suprême avec effet rétroactif a été controversé et décrié
dans le pays et sur la scène internationale. La professeur Malgorzata
Gersdorf, Première présidente de la Cour suprême, prenant note du
fait que sa mandature est fixée par la Constitution et ne peut pas
être modifiée par une législation ordinaire, a refusé toute idée
de retraite anticipée et a continué à travailler. Le 3 octobre 2018,
la Commission européenne a saisi la Cour de justice de l’Union européenne
à Luxembourg d’un recours aux motifs qu’un départ contraint et anticipé
à la retraite combiné au mécanisme discrétionnaire autorisant le
Président de la Pologne à octroyer de manière sélective une prolongation
de mandat, porte atteinte au principe de l’inamovibilité des juges.
Selon la Commission, ces dispositions compromettent l’indépendance
de la justice et enfreignent le droit de l’Union européenne. La
Commission a demandé à la Cour d’ordonner aux autorités polonaises
d’adopter les mesures provisoires suivantes: suspendre l’application
des dispositions nationales relatives à l’abaissement de l’âge de
départ à la retraite des juges de la Cour suprême ; s’assurer que
les juges de la Cour suprême puissent conserver le même poste, tout en
jouissant des mêmes droits et conditions d’exercice de leurs obligations ;
s’abstenir d’adopter toute mesure visant à remplacer les juges de
la Cour suprême concernés par l’abaissement avec effet rétroactif
de l’âge de départ à la retraite. En attendant la décision finale
de la Cour, sa vice-présidente a provisoirement fait droit à la
demande de mesures provisoires de la Commission européenne. Cela
a été confirmé le 17 décembre 2018 lorsque la Cour a décidé d’accorder
toutes les mesures provisoires sollicitées et a ordonné à la Pologne
de suspendre l’application des dispositions nationales relatives
à l’abaissement de l’âge de départ à la retraite des juges de la
Cour suprême
.
91. Le 21 novembre 2018, à la suite de la notification des mesures
provisoires, le Parlement polonais a adopté les modifications requises
à la loi afin d’annuler les dispositions de la loi relatives à la
retraite anticipée des juges de la Cour suprême. Cette loi a été
promulguée par le Président Duda le 17 décembre 2018, après que
la Cour a rendu sa décision.
92. Le 24 juin 2019, la Cour de justice de l’Union européenne
a rendu sa décision finale dans l’affaire C-619/18 de la Commission
contre la Pologne concernant l’abaissement de l’âge de la retraite
des juges de la Cour suprême polonaise. Dans son arrêt
, la Cour a constaté
que l’abaissement de l’âge du départ à la retraite des juges de
la Cour suprême n’est pas justifié par un objectif légitime et porte
atteinte au principe d’inamovibilité des juges qui est inhérent
à leur indépendance. En outre, elle a considéré que la procédure
autorisant le Président à prolonger l’âge du départ à la retraite
revêt un caractère discrétionnaire et pourrait entraîner des pressions
extérieures et une influence sur les juges, également susceptibles
de compromettre leur indépendance. La Cour a donc conclu que la
législation polonaise relative à l’abaissement de l’âge de départ à
la retraite de juges de la Cour suprême est contraire au droit de
l’Union européenne.
93. La Loi sur la Cour suprême dispose que le Président de la
Pologne choisit le Premier président de la Cour suprême sur une
liste de cinq candidats élus par l’Assemblée générale de la Cour
suprême. Dans la loi antérieure, le Président ne choisissait qu’entre
deux candidats proposés. La nouvelle loi confère donc au Président
un pouvoir discrétionnaire considérablement renforcé. Elle octroie
également de vastes pouvoirs discrétionnaires au Premier président
de la Cour suprême, y compris à l’égard des procédures disciplinaires et
de la composition des collèges. En outre, comme nous l’avons indiqué
précédemment, le Premier président de la Cour suprême est habilité
à nommer à sa discrétion les membres non professionnels dans les
collèges de la chambre des affaires disciplinaires et de la chambre
des recours extraordinaires. Si, de manière isolée, ces pouvoirs
discrétionnaires ne posent pas de problème en soi, leur effet cumulé
expose la Cour à un risque d’abus politique. Ce point est particulièrement
préoccupant compte tenu des tentatives de politisation de la Cour
auxquelles nous assistons actuellement.
3.6. Effets
cumulés
94. Nous avons examiné les différentes
parties et lois de la réforme judiciaire en Pologne dans des sections distinctes,
mais il convient de garder à l’esprit qu’elles font partie d’une
réforme globale et intégrée de la justice et du système judiciaire.
Ces diverses lois et mesures sont élaborées et appliquées dans une
optique de complémentarité et de renforcements mutuels. Il va donc
de soi que les préoccupations exprimées à propos des différents
volets de la réforme sont amplifiées et aggravées lorsqu’elles se
conjuguent. Si les aspects individuels des différentes lois et politiques
examinées suscitent déjà de graves préoccupations, leurs effets cumulés
« placent le système judiciaire sous le contrôle direct de la majorité
parlementaire et du Président de la République, ce qui est contraire
au principe même de la séparation des pouvoirs »
. Ces lois exposent également
le système judiciaire à des abus politiques et compromettent l’Etat
de droit dans le pays. Ces réformes ne peuvent pas avoir été guidées
par cet objectif et cela est, selon nous, inacceptable. Il convient donc
d’inviter instamment les autorités polonaises à résoudre rapidement
toutes les questions soulevées dans ce rapport et dans ceux de la
Commission de Venise et à mettre en œuvre les recommandations concernées.
4. Procédures
disciplinaires à l’encontre des juges
95. Comme nous l’avons décrit dans
les sections précédentes, l’objectif principal de la réforme entreprise après
les élections législatives de 2015, a consisté à placer le pouvoir
judiciaire sous le contrôle strict de la majorité au pouvoir. Dans
ce contexte, il est extrêmement préoccupant de constater que des
procédures disciplinaires et des campagnes de harcèlement ont été
engagées contre les juges et procureurs perçus comme agissant à
l’encontre des intérêts de la majorité au pouvoir ou ayant critiqué
ouvertement les réformes. Cette inquiétude est d’autant plus vive
depuis les récentes révélations selon lesquelles une campagne de harcèlement
des juges aurait été orchestrée avec la participation de personnalités
de premier plan du ministère de la Justice et du Conseil supérieur
de la magistrature appartenant à la majorité actuelle au pouvoir.
Nous reviendrons ci-après sur l’affaire Pieback
.
96. Dans le cadre de notre examen des lois sur les tribunaux droit
commun, la Cour suprême et le ministère public, nous avons déjà
exprimé notre inquiétude quant au fait que le dispositif disciplinaire
établi par ces lois à l’égard des juges et procureurs soit exposé
à des abus politiques. En outre, comme nous l’avons souligné lors
de l’examen de la Loi sur le Conseil national de la magistrature,
après la nomination initiale d’un juge, les promotions et transferts
(y compris ceux qui peuvent être considérés comme des rétrogradations
de fait) sont une prérogative intégrale du ministre de la Justice.
De même, comme nous l’avons exposé dans le cadre de la loi relative
au ministère public, le ministre de la Justice, en qualité de procureur
général, exerce un contrôle quasi total sur la carrière de chaque
procureur.
97. Comme indiqué à la section consacrée à la réforme du ministère
public, depuis l’adoption de la loi, au moins 114 procureurs ont
été transférés vers d’autres postes dans le cadre de ce qui a été
qualifié par plusieurs interlocuteurs de rétrogradations de nature
politique. Le fait que plusieurs membres de Conseil national de
la magistrature appartenant à l’association de procureurs « Lex
Super Omnia » – qui défend les intérêts des procureurs individuels
et qui a critiqué publiquement les réformes du ministère public
– aient fait l’objet d’une enquête disciplinaire au motif d’une
violation alléguée de la dignité de leur profession, donne un certain
crédit à ces affirmations.
98. En vertu de la Constitution polonaise, les juges ne peuvent
être affiliés à aucun parti politique ni exercer une activité incompatible
avec le principe d'indépendance des tribunaux et des juges. Si les
juges doivent s’abstenir de toute activité politique, la loi ne
définit pas clairement ce qu’on entend par activité politique ni
ce que recouvre le droit à la liberté d’expression
. Si nous approuvons
l’interdiction d’activités en lien avec un parti politique pour
les juges, il n’y a pas lieu pour autant d’interdire aux juges d’exprimer
un avis sur le système juridique et les changements qui l’affecteraient
directement.
99. Il est regrettable que des procédures disciplinaires aient
été engagées à plusieurs reprises contre des juges qui ont émis
des critiques sur les réformes judiciaires et leur effet sur l’indépendance
de la justice. Ces procédures ont été visiblement motivées en premier
lieu par ces critiques. Il est encore plus inquiétant que les procédures
disciplinaires engagées à l’encontre des juges aient porté sur des
décisions qu’ils ont prises lorsqu’ils ont statué sur des affaires
.
Dans ce contexte, il y a lieu de se préoccuper en particulier des procédures
disciplinaires engagées pour « abus de pouvoir judiciaire » à l’encontre
de juges, notamment sept juges de la Cour suprême, qui ont utilisé
le droit qui leur est conféré par la loi pour solliciter un arrêt
préjudiciel de la Cour de justice de l’Union européenne sur la conformité
des dispositions relatives à la responsabilité disciplinaire des
juges au droit de l’Union européenne
.
On ne peut que déplorer que la liste de ces affaires soit longue,
comme l’attestent plusieurs rapports bien informés.
100. Fait particulièrement inquiétant, après que les procureurs
et juges ont été informés par les juges inspecteurs qu’une enquête
disciplinaire est ouverte à leur encontre, ces enquêtes se prolongent
souvent indéfiniment sans qu’aucune accusation disciplinaire formelle
ne soit portée devant les chambres de contrôle concernées. Cela
place les juges et procureurs concernés dans une situation de vide
juridique précaire, dans laquelle ils font l’objet d’une enquête
sans être en mesure de se défendre contre les violations présumées
qui l’ont déclenchée. Le Président du Conseil national de la magistrature
nous a informés qu’au cours des 18 derniers mois, 1 174 enquêtes
disciplinaires ont été engagées
.
Elles n’ont donné lieu à l’ouverture d’affaires disciplinaires que
dans 71 cas. Sur ce nombre, 34 ont été portées devant la Cour, tandis
que les autres ont été classées sans suite. Sur les 34 affaires
portées devant les tribunaux disciplinaires, 19 ont été jugées (en première
ou seconde instance). Dans les cas où le tribunal a constaté une
violation des règles disciplinaires, la sanction la plus fréquente
a été une réprimande officielle ou une notification dans le dossier
de la personne concernée. Le nombre très élevé d’enquêtes disciplinaires
ouvertes associé au nombre très restreint d’affaires disciplinaires
qui en ont résulté suscite de sérieuses interrogations sur les raisons
sous-jacentes de ces enquêtes et les motifs et arguments qui les
ont déclenchées. Indépendamment du faible nombre d’affaires disciplinaires
effectivement engagées, le nombre élevé d’enquêtes entreprises par
des inspecteurs disciplinaires qui relèvent directement du ministre
de la Justice, et le délai nécessaire à la clôture de ces enquêtes
– si tant est qu’elles soient closes – exerce manifestement un effet
paralysant sur les juges et affecte leur indépendance.
101. À l’instar des propos entendus auprès de l’association des
procureurs, certains représentants des associations de juges Iustitia
et Themis et des membres du collège de l’Association du Barreau
polonais, qui assistent les juges soumis à des procédures disciplinaires
nous ont informés qu’ils avaient presque tous fait l’objet d’une
enquête disciplinaire. Selon nos informations, l’enquête est souvent
fondée sur des accusations vagues et subjectives comme le non-respect
de la dignité de la profession juridique.
102. Outre les rapports concernant les procédures disciplinaires,
nous avons également reçu plusieurs rapports relatifs à des affaires
dans lesquelles le ministre de la Justice a utilisé ses vastes pouvoirs
pour transférer des juges vers des postes qui peuvent être considérés
de facto comme une rétrogradation ou autrement, pour prendre des
décisions ayant un impact négatif sur la carrière des juges et des
procureurs, supposés avoir critiqué les réformes de la justice ou
statué dans des affaires particulières d’une manière défavorable
aux autorités. Comme indiqué précédemment, l’examen de ces affaires
individuelles dépasse le champ d’application de ce rapport, mais
cette situation renforce nos craintes que ces dispositions sur les procédures
disciplinaires ainsi que les pouvoirs excessifs du ministre de la
Justice sur le système judiciaire et la justice soient exposés à
des abus politiques.
103. Dans ce contexte, la représentation négative, voire la stigmatisation,
du système judiciaire et des juges et procureurs par les représentants
de haut rang des autorités et de la majorité au pouvoir ainsi que
les médias publics, est préoccupante. Elle altère la confiance du
public dans le système judiciaire, ce qui est contraire aux objectifs
annoncés des réformes engagées par le gouvernement et peut avoir
un effet paralysant sur les juges.
104. Le scandale politique qui a éclaté le 19 août a mis au premier
plan la question des campagnes de dénigrement à des fins politiques
et du harcèlement des juges et procureurs. Ce scandale a impliqué
le vice-ministre de la Justice Lukasz Piebiak, qui était jusqu’alors
l’un des principaux défenseurs de la réforme du système judiciaire.
À cette date, le site d’information Onet a publié des échanges présumés
sur WhatsApp et Facebook entre le vice-ministre de la Justice et
une certaine « Emelia ». Plus tard, d’autres articles de journaux ont
affirmé qu’Emelia était la femme d’un juge de haut rang étroitement
lié au parti au pouvoir. Selon ces échanges, qui ont été largement
diffusés sur Internet, Emelia se serait livrée à une campagne de
dénigrement contre plusieurs juges, à la demande de M. Piebiak,
qui aurait également orchestré la campagne et lui aurait communiqué
des informations personnelles sur ces juges, notamment leurs adresses
privées, ce qui constitue une grave violation des règlements sur
la protection des données à caractère personnel. Outre M. Piebiak, deux
autres juges détachés au ministère de la Justice ainsi que deux
membres et un employé du Conseil national de la magistrature ont
été identifiés comme étant impliqués dans cette campagne de dénigrement
qui visait notamment le président de l’association de juges Iustitia.
Selon Emelia, qui s’est exprimée lors d’entretiens ultérieurs, ses
actions ou celles de ses complices auraient porté préjudice à la
carrière et la vie privée d’au moins 20 juges ».
105. Bien qu’il nie ces accusations et affirme que les échanges
de messages publiés ont été fabriqués, M. Piebiak a démissionné
le 20 août 2019
. Le
Président du Conseil national de la magistrature nous a informés
que le Conseil, s’il condamne cette campagne de dénigrement, n’est
pas parvenu à un accord sur la manière de régler la question des
membres qui seraient impliqués dans ce qui ressemble à une « web-brigade »
pour discréditer des membres de la justice. Pour préserver l’indépendance
des membres du CNM, le seul moyen pour éliminer un membre en exercice
consiste à le révoquer. Cela ne faisait nullement partie des compétences
du CNM. Le président du Conseil national de la magistrature nous
a cependant informés qu’usant de ses prérogatives de Président en
matière de composition des commissions et groupes de travail du
Conseil, il a destitué les deux membres de toute commission traitant
des rémunérations ou d’autres questions de carrière, ainsi que des
questions politiques pendant l’enquête sur ces affaires. La révélation
de l’existence de cette « web-brigade » a déclenché un tollé au
sein du gouvernement, le Premier ministre demandant officiellement
une explication au ministre de la Justice. Ce dernier a nié toute
implication dans cette affaire et a annoncé qu’il demandait au ministère
public de lancer une enquête officielle.
106. Le premier vice-ministre de la Justice et les représentants
ministériels que nous avons rencontrés ont insisté fermement sur
le fait que si ces allégations étaient confirmées, cette campagne
de dénigrement serait le fait d’individus et ne pourrait en aucune
manière être imputée au ministère en tant qu’institution. Ces affirmations
ont été, à leur tour, contestées par un certain nombre d’interlocuteurs
qui ont fait observer que, dans certains messages échangés, M. Piebiak
indiquait que « son patron » serait satisfait des résultats des activités
d’Emilia. Même si elle n’a pas été orchestrée par le ministère –
et malgré les allégations entendues, nous avons des informations
concrètes indiquant que c’est le cas – il est clair que la campagne
de dénigrement présumée a été organisée depuis le ministère, avec
la participation de représentants de haut rang du ministère et du
Conseil national de la magistrature, qui sont responsables des réformes
de la justice et des carrières des juges et procureurs. Cette situation
est à la fois déplorable et gravement préoccupante. Comme indiqué,
le ministre de la Justice a annoncé que le ministère public a entamé
une enquête sur ces allégations. Néanmoins, compte tenu du contrôle
étroit exercé par le ministère de la Justice sur le ministère public,
la confiance des parties prenantes et du public dans l’efficacité
et l’impartialité de ces enquêtes est très faible, voire inexistante. Dans
l’intérêt du ministère de la Justice et du ministère public polonais,
nous appelons donc les autorités à établir, dans les meilleurs délais,
mais au plus tard le 31 mars 2019, une commission d’enquête publique impartiale,
dont la composition et le mandat seront conformes aux normes européennes
établies dans le cadre de ce type d’enquêtes indépendantes.
107. Le régime disciplinaire des juges et procureurs inquiète de
plus en plus les partenaires internationaux de la Pologne. Le 9
avril 2019, la Commission européenne a lancé une nouvelle procédure
d’infraction contre la Pologne au motif que son régime disciplinaire
porte atteinte à l'indépendance judiciaire des juges et n'apporte
pas les « garanties nécessaires pour mettre les juges à l'abri de
tout contrôle politique ». Dans sa décision, la Commission a indiqué
en particulier que la loi polonaise permet de soumettre les juges
à des procédures disciplinaires sur la base du contenu de leurs
décisions judiciaires. En outre, la Commission a considéré que le
régime disciplinaire « ne garantit pas l'indépendance et l'impartialité
de la chambre disciplinaire de la Cour suprême, qui est composée
exclusivement de juges sélectionnés par le Conseil national de la
magistrature, lui-même nommé politiquement par le Parlement polonais
(Sejm)
. Les autorités polonaises n’ayant
pas répondu aux préoccupations de la Commission, cette dernière
a décidé, le 10 octobre 2019, de former un recours contre la Pologne
devant la Cour de justice de l’Union européenne. Compte tenu de
l’incidence de cette question sur l'indépendance de la justice et
l'État de droit en Pologne, la Commission a demandé une procédure
accélérée. Le 19 novembre 2019, la CJUE a rendu son arrêt dans les
affaires jointes C-585/18, C-624/18 et C-625/18, relatives à l'indépendance
de la chambre disciplinaire de la Cour suprême. Dans cet arrêt,
la CJUE a estimé que la manière dont cette chambre a été constituée
et dont les membres ont été nommés a suscité des doutes légitimes,
dans l’esprit des sujets de droit, quant à l’imperméabilité de cette juridiction
aux facteurs extérieurs, notamment en ce qui concerne l’influence
directe ou indirecte du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif
et sa neutralité à l’égard des intérêts qui lui sont présentés
. Bien que ne jugeant pas clairement
que cette chambre disciplinaire spéciale de la Cour suprême n’ait
pas l’indépendance requise, il a jugé que la Cour suprême devait
examiner dans chaque cas individuel si cette chambre avait l’indépendance
requise pour connaître de l’affaire considérée. Par conséquent,
dans les affaires relevant du droit de l'Union – y compris les affaires
relatives au départ à la retraite des juges de la Cour suprême -,
la CJUE a décidé de supprimer les dispositions de la législation
nationale qui donnent compétence exclusive à la chambre spéciale
pour entendre les affaires de retraite. Nous espérons que cet arrêt
incitera les autorités polonaises à répondre aux préoccupations
légitimes concernant l'indépendance de la chambre de discipline spéciale.
C'est notamment le cas dans le contexte de plusieurs affaires pendantes
devant la CJUE, dans lesquelles l'indépendance et l'impartialité
de cet organe sont au cœur de celles-ci.
5. Questions
diverses
108. Comme cela a été dit dans l’introduction,
ce rapport est consacré aux réformes de la justice et du système
judiciaire. Au cours de nos travaux, plusieurs autres réformes et
développements portés à notre attention ont suscité quelques interrogations
et préoccupations. Même si nous ne pouvons pas les examiner en détail
dans ce rapport, ces développements méritent l’attention de la Commission
de suivi et de l’Assemblée, y compris pour l’élaboration sans tarder
du rapport d’examen périodique sur la Pologne qui traitera, entre
autres, de ces questions. Nous tenons cependant à aborder brièvement
dans ce rapport plusieurs points soulevés fréquemment.
5.1. Loi
sur les rassemblements
109. En décembre 2016, le Sejm a
adopté une série d’amendements à la loi sur les rassemblements qui prévoient
notamment qu’un rassemblement peut être interdit s’il coïncide avec
un rassemblement « cyclique », qui est défini comme un rassemblement
organisé par un même organisateur au moins quatre fois par an ou chaque
année depuis plus de trois ans. Dans le projet de loi, il avait
été proposé initialement d’interdire toute manifestation en même
temps que les rassemblements officiels organisés par les pouvoirs
publics ou par l’Église. Cette disposition a toutefois été supprimée
par le législateur durant la procédure d’adoption. Le 29 décembre
2016, le Président a renvoyé la loi devant le Tribunal constitutionnel
pour avis sur sa constitutionnalité. Le 17 mars, le Tribunal a jugé
que la loi était conforme aux dispositions de la Constitution et la
loi a été promulguée par le Président Duda.
110. Lors de la première visite des rapporteurs en 2017, la loi
et ses effets ont été examinés avec différentes parties prenantes.
Il est apparu clairement que cette loi avait pour effet principal
d’interdire que des contre-manifestations aient lieu dans un périmètre
de 100 mètres autour des protestations auxquelles elles s’opposent.
Si cela peut limiter les contre-manifestations en certaines occasions,
nous relevons que d’autres États membres, sinon tous, ont adopté
un cadre légal du maintien de l’ordre en vertu duquel les manifestations et
les contre-manifestations se déroulent dans des espaces séparés.
111. À notre connaissance, aucun autre État membre n’a pris des
dispositions similaires relatives aux rassemblements cycliques,
mais cela ne signifie pas qu’elles vont à l’encontre des normes
européennes, sauf si le statut de « rassemblement cyclique » s’applique
uniquement à un groupe ou type restreint d’organisations ou de manifestations.
Alors que, d’après nos informations, le statut cyclique devait initialement
être réservé aux manifestations « historiques » ou « culturelles »,
les autorités nous ont informés que ce n’est pas le cas dans la
pratique et qu’il n’existe aucune restriction. En conséquence, tant
que l’octroi du statut cyclique aux manifestations ne fait pas l’objet
de pratiques discriminatoires, ces dispositions ne suscitent pas
d’inquiétude. En outre, après l’importance accordée initialement
à ces dispositions, l’intérêt du public et des médias pour cette
loi s’est atténué et, fort heureusement, les inquiétudes du départ
ne se sont pas concrétisées.
5.2. Réforme
des médias publics
112. La Pologne dispose d’un environnement
médiatique pluraliste, bien développé, mais aussi très polarisé aux
niveaux national et régional. Le paysage médiatique englobe un large
éventail de médias de la presse écrite ainsi que les stations de
radio et télévision. Comme dans de nombreux pays, les stations de
télévision représentent une source d’information majeure en Pologne,
la télévision du service public jouant un rôle important même si
sa part de marché recule. Internet est devenu une source d’information
de plus en plus importante, 75 % de la population disposant d’un
accès à Internet
. Les médias privés
sont contrôlés principalement par des investisseurs étrangers et
des groupes de médias. Ils ont été une épine dans le pied, notamment
des autorités qui ont appelé à la « repolonisation » du secteur
des médias.
113. La Constitution polonaise garantit la liberté de la presse.
Elle prévoit un Conseil national de la radiodiffusion, également
connu sous son abréviation polonaise KRRiT, qui est « le gardien
de la liberté d'expression, de l’exercice du droit à l'information,
de l'intérêt public dans le domaine de la radiodiffusion et de la
télévision ». Il comprend cinq membres nommés pour une durée de
six ans: deux d’entre eux sont nommés par le Sejm, deux par le président
de la Pologne et un par le Sénat. Jusqu’à l’adoption de la loi appelée
« petite loi sur les médias » en 2016 (voir ci-après), le Conseil
national de la radiodiffusion était chargé de nommer les membres
du Conseil de surveillance et du Directoire des programmes de radiodiffusion
et de télévision publics. Si les membres du KRITT ne peuvent pas
être affiliés à un parti politique, ils n’en demeurent pas moins nommés
par la classe politique et sont donc le reflet de la majorité politique
au parlement.
114. Comme indiqué, le contexte médiatique général est pluraliste,
mais demeure fortement polarisé, les différents organes de presse
privés représentant les préférences politiques de leurs propriétaires.
Il est regrettable que les organismes de radiodiffusion publics
ne constituent pas un contrepoids impartial. À la suite de la procédure
de nomination des membres du KRRiT décrite ci-dessus, la radiodiffusion
publique a toujours penché en faveur du parti ou de la coalition
qui a la majorité au parlement. Bien que plusieurs gouvernements antérieurs
aux couleurs politiques différentes aient engagé des réformes du
Conseil national de la radiodiffusion, aucune d’entre elles ne s’est
attelée au parti pris politique du Conseil national de la radiodiffusion,
en adoptant, par exemple, une composition véritablement technocratique.
115. Bien qu’ils soient favorables à la majorité au pouvoir qui
les a nommés, les mandats du Conseil national de la radiodiffusion
et des conseils de surveillance du radiodiffuseur public sont différents
de ceux du Parlement. À la suite des élections de 2015, la nouvelle
majorité au pouvoir s’est donc trouvée dans une situation dans laquelle
le radiodiffuseur public lui était défavorable, et était perçu comme
tel, ce qu’elle a jugé inacceptable.
116. Le 28 décembre 2015, la majorité au pouvoir a déposé la loi
dite « petite loi sur les médias » au Parlement qui, malgré les
critiques dans le pays et sur la scène internationale, l’a adoptée.
L’objectif déclaré de cette loi était de rationaliser la structure
des radiodiffuseurs publics, de toute évidence trop lourde
.
Une disposition majeure de la loi prévoyait cependant que la nomination
des membres du conseil de surveillance et du directoire des radios
et télévisions publiques serait transférée du Conseil national de
la radiodiffusion au ministère du Trésor et qu’il serait mis fin
aux mandats de tous les membres en exercice de ces organes. La radiodiffusion
du service public a ainsi été placée sous le contrôle strict des
nouvelles autorités.
117. La petite loi sur les médias avait un caractère temporaire.
Le 2 avril 2016, les autorités ont déposé trois nouvelles lois relatives
aux médias de service public, dans le cadre d’un projet dit « grande
loi sur les médias ». Ces projets de loi visaient à transformer
la radio et la télévision du service public en médias nationaux
tenus de relayer les opinions du Président, du Premier ministre
et des présidents du Sejm et du Sénat. Ces lois ont ensuite été
communiquées au Conseil de l’Europe pour avoir l’avis d’experts
qui ont conclu qu’elles constituent un retour à la télévision et
à la radio d'État
.
118. Face au tollé soulevé dans l’opinion publique et aux critiques
dans le pays et dans le monde contre ces trois projets de loi, les
autorités ont décidé de les retirer du programme du parlement. En
remplacement, une loi plus limitée a été adoptée. Elle confie la
nomination des organes de direction et de surveillance des organismes
de radiodiffusion publics non plus au ministère du Trésor, mais
à un Conseil national des médias créé récemment. Le Conseil national
des médias comprend cinq membres: le Sejm en nomme trois et le Président
de la Pologne deux, sur la base des propositions des deux plus grands
groupes politiques au Sejm. S’il est encourageant de constater que
cela garantit la représentation du Conseil, cela ne règle pas la
question de la politisation des organes de contrôle des médias et
de leur subordination aux intérêts des partis politiques.
119. Il est regrettable que l’objectif principal de ces lois de
réforme semble avoir été de transférer, à la nouvelle majorité au
pouvoir, le contrôle exercé par les autorités précédentes sur la
radio et la télévision du service public. Ces réformes n’ont pas
réglé la question du caractère politisé et orienté des organismes
de radiodiffusion du service public. C’est une occasion manquée.
Les autorités doivent être invitées à remédier à cette faiblesse
importante et à garantir l’impartialité et le professionnalisme
véritables du système de radiodiffusion public polonais.
5.3. Société
civile
120. En Pologne, la société civile
est largement représentée et dynamique et elle comprend plus de
120 000 organisations de la société civile (OSC) différentes. Il
est regrettable que le discours politique sur la société civile
se soit durci et que le contexte dans lequel fonctionnent les OSC
se détériore. Plusieurs interlocuteurs des OSC ont fait observer
l’absence croissante de concertation et de dialogue entre les autorités
et la société civile. Pour preuve, nombreux sont les textes législatifs
présentés à titre de projets de loi d’initiative civique, qui ne
sont pas soumis au processus de consultation normalement exigé pour
les projets de loi du gouvernement.
121. Les autorités actuelles ont une vision claire de la société
polonaise et des normes et valeurs qui, selon elles, définissent
l’identité polonaise. Le renforcement et l’ancrage de cette identité
et des normes et valeurs qui la constituent au sein de la société
polonaise sont un objectif et une priorité clairement déclarés du
PiS et de ses partenaires de la coalition. Il est regrettable que
les OSC qui critiquent une politique quelconque des autorités ou
ne partagent pas leur vision du monde soient de plus en plus souvent
dépeintes comme la cinquième colonne de l’opposition actuelle. Il
en résulte un environnement dans lequel le dialogue et la concertation
entre les autorités et les OSC sont sélectifs et limités, et se
fondent sur la proximité idéologique. Ce constat semble corroboré
par le fait que les OSC idéologiquement proches des autorités et
de leurs alliés ne partagent pas cette vision relative à la dégradation
ou à la limitation de l’environnement de travail des OSC. Ce clivage
est une source d’inquiétude, en particulier depuis que nous avons
reçu des informations indiquant qu’il avait des répercussions sur
la répartition du financement public entre les OSC.
122. En septembre 2017, le Parlement polonais a adopté la loi relative
à «l’Institut national de la liberté – Centre pour le développement
de la société civile», qui est notamment responsable de la répartition
du financement public, y compris de l’attribution nationale des
fonds de l’Union Européenne, aux ONG. Les ONG se sont plaintes d’être
minoritaires au Conseil, qui est présidé par un membre du Conseil
des ministres polonais, ce qui limite beaucoup leur influence dans
le processus d’attribution.
123. La loi sur l’Institut de la mémoire nationale touche également
la société civile et renforce certaines de nos préoccupations relatives
à la volonté de la majorité au pouvoir d’instiller sa vision du
monde et ses valeurs fondamentales dans la société polonaise. Cette
loi instaure la responsabilité pénale pour toute déclaration impliquant
la responsabilité de la Pologne et de la nation polonaise dans les
crimes nazis. L’adoption de ce projet de loi a provoqué quelques
remous dans le pays et à l’étranger. De toute évidence, ses dispositions constituent
une entorse à la liberté d’expression et empêchent toute liberté
de débat sur l’histoire récente de la Pologne. Ces développements
ont également concerné le milieu universitaire. En janvier 2017,
une exposition a ouvert ses portes au Musée de la Seconde Guerre
mondiale à Gdansk. Selon nos informations, l’exposition a adopté,
pour présenter les événements survenus entre 1939 et 1945, une approche
inédite qui ne respectait pas la vision plus conventionnelle de
l’histoire de la Pologne que privilégient les autorités actuelles.
Cela a valu au directeur du musée d’être relevé de ses fonctions
par le ministre de la Culture. Le nouveau directeur a alors profondément
modifié l’exposition afin qu’elle soit conforme à la vision traditionaliste que
prône la majorité au pouvoir
.
5.4. Intolérance et discours de haine
124. Comme indiqué précédemment,
le parti au pouvoir a une idée bien arrêtée de l’identité nationale polonaise
et des valeurs et normes qui, à ses yeux, la sous-tendent. Il est
regrettable que les discours publics des membres de la majorité
présidentielle deviennent de moins en moins tolérants envers les
individus et groupes qui ne se conforment pas à ces valeurs très
rigides ou qui affichent des opinions divergentes sur son programme
social. Ce discours intolérant a créé un climat laxiste et a favorisé
un sentiment d’impunité chez ceux qui propagent des discours de
haine – et même des actions violentes – à l’encontre des minorités
et d’autres groupes vulnérables comme les personnes LGBTI qui sont
décrites comme une menace pour l’identité polonaise
.
125. Ce discours d’intolérance transparaît également dans le débat
sur les droits des femmes, qui est devenu de plus en plus tendu
et polarisé. Selon nos informations
, les attaques
contre les activistes et les organisations de défense des droits
des femmes, qui voient leur financement réduit ou supprimé, se multiplient
.
Dans ce contexte, dans son rapport sur sa visite en Pologne du 11
au 15 mars 2019, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe s’est déclarée préoccupée par le fait que l’arrêt du financement
public central ait contraint les principales organisations de défense
des droits des femmes à limiter leurs activités ces dernières années,
et ait eu un impact négatif sur leur capacité à aider les victimes
de violence domestique
.
6. Conclusions
126. Depuis l’arrivée au pouvoir
de la coalition gouvernementale actuelle en 2015, les autorités
polonaises se sont concentrées sur un programme de grande envergure,
ambitieux et controversé de réforme du système judiciaire et de
la justice. L’objectif de ces réformes consistait à remédier au
mécontentement grandissant de la population polonaise à l’égard
des faiblesses du système judiciaire polonais, principal cheval
de bataille électoral du parti au pouvoir. Le second objectif déclaré
par les autorités était de pallier l’absence de redevabilité et
d’efficacité du système judiciaire polonais en raison de ses structures
de gouvernance considérées comme corrompues, corporatistes et servant
leurs propres intérêts. Par ailleurs, les nouvelles autorités au
pouvoir considéraient le système judiciaire comme le bastion de
leurs prédécesseurs, désormais dans l’opposition, qui risquaient
de l’utiliser pour saboter et contrecarrer le programme de réforme
des autorités nouvellement élues. Il est donc indéniable que, sous
couvert d’une volonté de dépolitisation des institutions publiques,
l’un des principaux objectifs du programme de réforme judiciaire
consistait à placer les magistrats et le système judiciaire sous
le contrôle strict de la nouvelle majorité au pouvoir.
127. Il est évident que la justice et le système judiciaire polonais
ont été et sont encore confrontés à des problèmes et défis systémiques
qui menacent l'État de droit, ayant trait en particulier à l’efficacité
de l’administration de la justice – comme l’a établi la Cour européenne
des droits de l’homme dans ses arrêts contre la Pologne. Il est
clairement établi que la poursuite des réformes du système judiciaire
est nécessaire. En conséquence, l’importance et la priorité accordées
par les autorités à la gestion de ces problèmes systémiques sont
non seulement légitimes, mais elles doivent aussi être saluées.
Par ailleurs, il est essentiel que les réformes mises en œuvre respectent
pleinement les normes et valeurs européennes et renforcent effectivement
l’indépendance de la justice et l'État de droit.
128. De même, tout système d’autonomie de la justice présente un
risque intrinsèque de corporatisme et de défense de ses intérêts
personnels, et le fait de remédier à cette vulnérabilité est un
objectif de réforme légitime. Comme indiqué, ces réformes doivent
être conformes aux normes et valeurs européennes et avoir pour objet
d’améliorer l’autonomie judiciaire, en renforçant sa transparence
et sa redevabilité, tout en respectant son indépendance. Il serait
inacceptable qu’elles reviennent à placer le système judiciaire
sous le contrôle du pouvoir exécutif ou législatif ou, pire, sous
le contrôle politique de la majorité au pouvoir. Cela violerait
le principe de la séparation des pouvoirs, mettrait un terme à l’indépendance
de la justice et minerait l'État de droit.
129. Il est profondément regrettable que ces réformes de la justice
et du système judiciaire en Pologne ne répondent pas à ces deux
critères décisifs. Considérées ensemble ou individuellement, ces
réformes violent de nombreux aspects des normes et valeurs européennes.
Leur effet cumulé porte atteinte et nuit gravement à l’indépendance
de la magistrature et à l'État de droit en Pologne. Ces réformes
placent le système judiciaire sous le contrôle politique de l’exécutif
et de la majorité au pouvoir et remettent en question les principes
mêmes d’un État démocratique régi par l’État de droit.
130. Les préoccupations relatives à l’indépendance de la justice
et du système judiciaire polonais et au respect de la prééminence
du droit par la Pologne affectent tous les États membres de l’Union
européenne, car les tribunaux polonais sont responsables de la défense
du droit de l’Union européenne dans le pays. Les questions relatives
à l’indépendance du système judiciaire et au respect de l'État de
droit ne sont donc pas considérées comme des questions intérieures
pour la Pologne. Compte-tenu des développements observés en Pologne,
les juges des autres pays de l’Union européenne et des États membres
du Conseil de l’Europe devraient, lorsque cela est pertinent, vérifier
dans les affaires pénales – y compris dans les mandats d’arrêt européens
– ainsi que dans les affaires civiles, si une procédure judiciaire
équitable, au sens de l’article 6 de la Convention européenne des
droits de l’homme, peut être garantie aux défendeurs.
131. Sans minimiser pour autant d’autres préoccupations importantes
soulevées par les réformes, nous tenons à souligner deux aspects
qui, selon nous, sont particulièrement préoccupants: l’exposition
du système judiciaire récemment réformé aux abus et manipulations
politiques ; et la centralisation de pouvoirs excessifs sur le système
judiciaire entre les mains du ministre de la Justice et, dans une
moindre mesure, du Président de la Pologne. Si l’un des objectifs
annoncés de la réforme était de dépolitiser les institutions publiques,
ces deux mesures ont produit exactement l’effet contraire.
132. Comme nous l’avons indiqué précédemment, la subordination
du ministère public au ministre de la Justice en personne, et les
pouvoirs excessifs qui lui ont été conférés en tant que procureur
général, ont exposé le ministère public aux abus et à la politisation.
À cela s’ajoutent les pouvoirs excessifs conférés au ministre de
la Justice – et, dans une moindre mesure, au Président de la République
– sur la nomination, les carrières des juges et la gestion des tribunaux.
Le simple fait que le système judiciaire soit exposé à la politisation
et aux abus est inacceptable et aurait dû entraîner une action immédiate
des autorités, ce qui n'est malheureusement pas encore le cas pour
le moment. L’abus de procédures disciplinaires à l’encontre des juges
et des procureurs et les campagnes de dénigrement orchestrées par
des personnalités de haut rang ou des personnes de leur entourage,
dans la majorité au pouvoir, démontrent que cette exposition aux
abus et à la politisation ne sont malheureusement pas de simples
hypothèses. La concentration de pouvoirs excessifs sur le système
judiciaire compromet son indépendance ainsi que l'État de droit
en Pologne et il doit y être remédié sans délai. Il faut pour ce
faire réformer le cadre juridique actuel de la gestion de carrière
et des mécanismes disciplinaires au sein du système judiciaire,
afin de garantir son impartialité et son indépendance totale par
rapport à l’exécutif et aux intérêts extérieurs, qu’ils soient politiques
ou guidés par les intérêts corporatistes du système judiciaire lui-même.
133. La réforme du Conseil national de la magistrature avait placé
cette institution sous le contrôle de l’exécutif, ce qui est incompatible
avec le principe d’indépendance. Il s’ensuit un risque que cette
institution, ainsi que certaines autres dont la composition en dépend,
violent le droit de l’Union Européenne et les autres mécanismes
de l'État de droit et des droits de l’homme, y compris la Convention
européenne des droits de l’homme. Tout en soutenant les efforts
déployés pour améliorer la transparence et la redevabilité du Conseil national
de la magistrature, nous invitons les autorités polonaises à revoir
la réforme du CNM et à remédier à ces préoccupations.
134. L’argument selon lequel les réformes de la justice polonaise
seraient automatiquement conformes aux normes européennes, du seul
fait que certains éléments de ces réformes existeraient dans d’autres
pays, n’est pas légitime et doit être écarté. Même si certaines
dispositions sont similaires à celles en vigueur dans d’autres pays,
il n’est pas possible de les extraire du cadre global et de la tradition
juridique dans lesquels elles s’inscrivent. Il en résulterait en
effet une « frankensteinisation de la législation», qui serait
alors fondée sur une combinaison de « mauvaises pratiques » en vigueur
dans d’autres pays plutôt que sur des bonnes pratiques et normes
européennes communes.
135. Il est apparu clairement lors de notre visite que, pour une
partie de la population polonaise, la transition démocratique négociée
de la Pologne à la suite de la chute du mur de Berlin, si elle a
été un modèle pour beaucoup, n’a pas fait toute la lumière sur les
crimes et excès commis durant l’époque communiste et elle est perçue
comme ayant permis à ceux qui ont profité du régime communiste d’échapper
à la justice à la suite des crimes commis et de préserver leurs
intérêts. La majorité au pouvoir a tenu compte de cet aspect important pour
orienter ses politiques. Il s’agit naturellement d’une question
sensible et chargée d’émotions, mais également susceptible d’être
détournée à des fins de mobilisation et de soutien politiques. Les
autorités polonaises ont affirmé que la «décommunisation» du système
judiciaire a été l’un des objectifs de la réforme de la justice
et du système judiciaire ainsi que sa raison sous-jacente. Néanmoins,
comme nous l’avons indiqué dans notre rapport, en se fondant sur
des motifs objectifs, la nécessité d’une lustration ne peut pas
être considérée comme un argument légitime ou une démarche à observer
pour les réformes du système judiciaire en Pologne.
136. Aucun gouvernement démocratique respectueux de l'État de droit
ne peut ignorer sélectivement les décisions des tribunaux qu’il
désapprouve. Cette règle est particulièrement vraie des arrêts du
Tribunal constitutionnel. La première étape d’une solution à la
crise constitutionnelle du pays consiste à mettre en œuvre les décisions
du Tribunal constitutionnel, en commençant par celles qui concernent
la composition du Tribunal lui-même. La légalité de la composition
du Tribunal constitutionnel doit être rétablie par la destitution de
trois des cinq juges dits du « 8 octobre 2015 ». Les autorités devraient
demander l’avis de la Commission de Venise concernant les modalités
de mise en œuvre. La question de la légalité des arrêts adoptés
par des collèges du Tribunal constitutionnel comprenant des juges
nommés de manière illégale doit être réglée dans le respect des
règles et normes européennes.
137. Si les réformes ont principalement porté sur le contrôle du
système judiciaire, les autres réformes entreprises démontrent que
l’objectif général des autorités consistait à ancrer, y compris
au-delà de leur mandat électoral, leur vision de l’identité polonaise
et ses normes et valeurs dans le cadre institutionnel de la Pologne.
À cet égard, plusieurs autres réformes, comme celle qui concerne
l’environnement médiatique, semblent avoir pour but de placer les
institutions indépendantes et les organes de réglementation sous
le contrôle politique des autorités. Cette situation est préoccupante,
en particulier dans le contexte d’un système judiciaire dont l’indépendance
est de plus en plus compromise et qui est toujours plus exposé aux
pressions et ingérences des autorités.
138. Le discours politique agressif et intolérant de la scène politique
polonaise a donné lieu à un laxisme croissant. Il a également contribué
à créer un sentiment d’impunité chez celles et ceux qui propagent
des discours de haine et une attitude intolérante à l’égard de minorités
et des autres groupes vulnérables. Cette situation est inacceptable
et doit être corrigée.
139. Face à la dégradation de l’indépendance de la justice polonaise
et à l’exposition croissante du système judiciaire aux ingérences
et abus de l’exécutif, les mécanismes européens relatifs à l'État
de droit et aux droits de l’homme, notamment la Cour européenne
des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne,
encourent un risque croissant de devenir de facto des juridictions
ou des arbitrages de dernier ressort pour les institutions et citoyens
polonais. Si, jusqu’ici, la Cour de justice de l’Union européenne
a supporté la charge de ces affaires, il y a lieu de penser que
les requêtes présentées devant la Cour européenne des droits de
l’homme à la suite de ces réformes seront de plus en plus nombreuses.
Il en résulte non seulement une augmentation inacceptable de la
charge de travail de la Cour, mais aussi une violation de l’obligation
faite aux États membres du Conseil de l’Europe de veiller à ce que
l'État de droit et la protection des droits de l’homme soient avant
tout garantis par les structures judiciaires nationales.
140. À la suite de leur victoire aux élections parlementaires en
2019, les autorités ont indiqué que la poursuite de la réforme du
système judiciaire ferait partie des principales priorités du nouveau
gouvernement. Les développements relatifs au système judiciaire
et, en particulier, les menaces pour son indépendance et les risques
d’ingérence politique et de contrôle de l’exécutif suscitent de
graves inquiétudes. Un certain nombre d’autres réformes susceptibles
de limiter l’autonomie des institutions nommément indépendantes
de l'État et les organes de réglementation menacent également l'État
de droit et le fonctionnement des institutions démocratiques en
Pologne. Elles doivent donc faire l’objet d’un suivi attentif de
l’Assemblée et de sa Commission de suivi, qui peut être assuré de
deux façons possibles: par l’intermédiaire d'un rapport de suivi sur
le fonctionnement des institutions démocratiques en Pologne ; ou
par l’élaboration sans tarder du rapport d’examen périodique sur
la Pologne dans le cadre du suivi des obligations inhérentes à l’adhésion
de tous les États membres du Conseil de l’Europe.