1. Introduction
1. Le 27 janvier 2020, avec le
soutien de plus de 30 membres de l’Assemblée parlementaire présents
dans la salle des séances et appartenant à cinq délégations nationales
au moins, M. Emmanuelis Zingeris (Lituanie, PPE/DC) a contesté les
pouvoirs non encore ratifiés de la délégation russe pour des raisons
substantielles sur le fondement de l’article 8 du Règlement de l’Assemblée
parlementaire. Par la suite, Mme Marija
Golubeva (Lettonie, ADLE) a contesté les pouvoirs de la délégation
russe pour des raisons formelles sur le fondement de l’article 7
du Règlement, avec le soutien de plus de 10 membres présents dans
la salle des séances et appartenant à cinq délégations nationales
au moins.
2. Les raisons substantielles pour lesquelles les pouvoirs ont
été contestés tiennent au processus législatif en cours en Fédération
de Russie concernant la proposition de révision constitutionnelle
et ses conséquences éventuelles sur le respect par la Fédération
de Russie de ses engagements et obligations à l’égard du Conseil de
l’Europe et des recommandations figurant dans la
Résolution 1990 (2014), la
Résolution
2034 (2015), la
Résolution
2063 (2015) et la
Résolution
2292 (2019) de l’Assemblée.
3. Conformément à l’article 8.3 du Règlement, la commission pour
le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil
de l’Europe (commission de suivi) a été saisie pour rapport pour des
raisons substantielles et la commission du Règlement, des immunités
et des affaires institutionnelles a été saisie pour avis sur ce
point et pour un rapport distinct pour des raisons formelles.
4. Lors de sa réunion du 27 janvier 2020, la commission de suivi
m’a nommé rapporteur pour le présent rapport.
2. Contexte
5. En juin 2019, l’Assemblée a
adopté
la Résolution 2292
(2019) sur la contestation, pour des raisons substantielles,
des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation parlementaire
de la Fédération de Russie, par laquelle elle décidait de ratifier
les pouvoirs de la délégation russe. Elle s’y déclarait favorable
à un dialogue politique sérieux et y exprimait l’espoir que son
offre sans équivoque de dialogue serait réciproque et aboutirait à
des résultats concrets. Elle invitait la commission de suivi à présenter
un rapport sur le respect des engagements et obligations de la Fédération
de Russie dans les meilleurs délais et en tout état de cause avant avril
2020.
6. La commission de suivi a immédiatement repris ses travaux
concernant la Fédération de Russie. Lors de sa réunion du 10 septembre
2019, qui s’est déroulée après les élections locales à la Douma municipale
de Moscou, elle a tenu un échange de vues avec M. Jakob Wienen,
corapporteur de la commission de suivi du Congrès des pouvoirs locaux
et régionaux du Conseil de l’Europe sur la démocratie locale et régionale
en Fédération de Russie. Le 1er octobre
2019, elle a organisé une audition sur la société civile et la participation
démocratique en Fédération de Russie, avec la participation de M. Vladimir
Kara-Murza, Président de la Fondation Boris Nemtsov pour la liberté,
Mme Emiliya Slabunova, Présidente du
Parti Yabloko, M. Leonid Volkov, chef de Campagne de M. Alexei Navalny
et Mme Tatiana Glushkova, représentante
de Mémorial. Elle a également tenu un échange de vues avec M. Fredrik
Sundberg, chef du Service de l’exécution des arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme, au sujet de l’application des décisions de
la Cour par la Fédération de Russie.
7. En l’absence de membres de la délégation russe au sein de
la commission de suivi en 2019 et conformément au Règlement, des
représentants de la majorité et de l’opposition au Parlement russe
ont été invités aux discussions sur tous les événements susmentionnés
et y ont participé activement.
8. Malheureusement, aucune visite de suivi n’a pu être organisée
car les corapporteurs de l’époque n’étaient pas disponibles. Il
convient toutefois de préciser que le président de la délégation
russe avait indiqué clairement, au cours de l’une des réunions que
les corapporteurs seraient bien accueillis s’ils exprimaient le souhait
d’effectuer une visite. Il faut espérer que les nouveaux corapporteurs
arrêteront les dates de leur visite le plus tôt possible.
9. La commission a suivi avec une attention particulière l’évolution
de la situation en ce qui concerne la mise en œuvre des recommandations
adressées à la Fédération de Russie dans
la Résolution 2292 (2019) et il faut reconnaître que certains progrès peuvent
être constatés.
10. Le 7 septembre 2019, les 24 marins capturés illégalement par
la Fédération de Russie dans le détroit de Kertch, en Crimée, ont
été remis à l’Ukraine dans le cadre d’un échange de prisonniers
plus vaste, qui portait sur 35 prisonniers de part et d’autre. Le
18 novembre 2019, les navires capturés ont été rendus à l’Ukraine.
11. Plus généralement, des progrès ont été réalisés dans la mise
en œuvre des accords de Minsk avec la Russie à la suite de l’élection
du Président Volodymyr Zelensky en Ukraine.
12. L’échange de prisonniers mentionné ci-dessus, dans lequel
était également inclus le réalisateur ukrainien Boris Sentsov, a
été largement perçu comme une faveur dans la perspective du sommet
du groupe dit «de Normandie» (France, Allemagne, Ukraine et Fédération
de Russie), qui a eu lieu le 9 décembre 2019 à Paris.
13. Lors du sommet du Groupe de Minsk, les dirigeants ont convenu
de stabiliser la situation dans la zone de conflit et de prendre
des mesures pour mettre en œuvre les accords de Minsk. Dans le cadre
de cet accord, le président Zelensky s’est entendu avec la Russie
et avec les rebelles soutenus par la Russie sur l’organisation d’élections
locales dans la région du Donbass, à condition notamment que ces
élections soient organisées en vertu de la législation ukrainienne,
avec la participation de tous les partis politiques ukrainiens, et
après que l’Ukraine aura repris le contrôle total de ses frontières
avec la Russie.
14. Lors de la préparation des élections, les autorités ukrainiennes
et les forces rebelles soutenues par la Russie ont convenu d’un
désengagement initial dans les deux régions de Louhansk et de Donetsk
avant fin 2019, processus qui a été suivi par l’OSCE. Il avait également
été convenu que le désengagement serait mené à terme d’ici mars
2020 dans trois régions supplémentaires. Bien que ces désengagements
aient atténué les tensions aux abords des territoires concernés,
les organes de suivi de l’OSCE recensent encore de part et d’autre
des violations fréquentes et quotidiennes du cessez-le-feu.
15. Par ailleurs, lors du sommet du groupe de Normandie, le président
Poutine et le président Zelensky ont convenu d’un échange total
de prisonniers entre les autorités ukrainiennes et les autorités
de fait soutenues par la Russie dans les régions de Louhansk et
de Donetsk qui ne sont pas sous le contrôle de Kiev. Cet échange,
qui a eu lieu le 29 décembre, a concerné 200 prisonniers, soit 74 libérés
par les forces rebelles pro-russes et 124 libérés par les autorités
de Kiev.
16. Pour ce qui est des obligations financières à l’égard du Conseil
de l’Europe, la Fédération de Russie a versé toutes les contributions
dues au titre du budget ordinaire et des accords partiels pour le
second semestre de 2017, pour 2018 et pour 2019. À l’heure actuelle,
le seul paiement encore dû concerne les intérêts impayés, qui s’élèvent
à 8,8 millions d’euros. La Fédération de Russie a bloqué leur remboursement
à la suite d’un contentieux au sein du Comité des Ministres du Conseil
de l’Europe sur leur statut et leur affectation.
17. S’agissant des autres recommandations, les corapporteurs de
la commission de suivi pour la Russie travaillent actuellement à
l’élaboration de leur rapport, dont les observations et les conclusions
devraient être soumises à l’Assemblée dans le courant de l’année.
3. Autres
évènements survenus depuis l’adoption de la Résolution 2292 (2019)
18. Le 15 janvier 2020, il y a
eu un nouvel événement: le président Vladimir Poutine a annoncé
dans son discours annuel sur l’état de la nation son intention de
proposer des modifications à la Constitution. Dès le 20 janvier
2020, il a soumis un projet de révision à la Douma d’État.
19. Ce projet de révision porte sur 14 articles de la Constitution
et inclut, entre autres, des dispositions sur la prééminence de
la Constitution russe sur le droit international, les pouvoirs accrus
de la Douma d’État dans la procédure de nomination du Premier ministre,
des vice-premiers ministres et des ministres fédéraux, l’incompatibilité
d’une nationalité étrangère ou d’un permis de séjour avec la possibilité
d’être candidat à des hautes fonctions de l’État (président, ministres,
juges, gouverneurs de région), le rôle accru du Conseil de la Fédération
dans la procédure de révocation et de renvoi des juges et dans la
nomination des directeurs des services de maintien de l’ordre, la
consolidation du statut et du rôle du Conseil d’État (à l’heure
actuelle, ce n’est qu’un organe consultatif qui n’est pas mentionné
dans la Constitution), la suppression de la clause de «mandats consécutifs»
de l’article réglementant le nombre maximal de mandats présidentiels,
le salaire minimum, l’indexation régulière des pensions de retraite.
20. Comme la révision de la Constitution ne nécessite pas de référendum,
le président a annoncé que l’ensemble des modifications serait soumis
à un «vote consultatif de tous les Russes», prévu par la loi constitutionnelle
fédérale sur le référendum, afin de bénéficier d’une plus grande
légitimité. Contrairement à ce qui se passerait avec un référendum,
les électeurs devront répondre à la question de savoir s’ils approuvent la
constitution révisée dans son ensemble, au lieu d’approuver chaque
modification séparément. La date exacte du vote n’a pas encore été
annoncée, mais on sait qu’il aura lieu avant le 1er mai.
21. La Douma d’État a examiné les modifications proposées en première
lecture et les a approuvées à l’unanimité le 23 janvier, soit moins
de dix jours après la première annonce du projet de révision constitutionnelle.
Tout le système étatique russe subit des transformations à une vitesse
sans précédent sans qu’aucune consultation ni aucun débat public
et sérieux n’ait eu lieu jusqu’à présent.
22. Il serait certainement prématuré et inapproprié que j’évalue
les conséquences des changements constitutionnels en termes de normes
pour le fonctionnement des institutions démocratiques, mais je peux assurément
exprimer ma préoccupation à propos de la modification relative à
la primauté de la Constitution russe sur le droit international,
qui remet potentiellement en cause l’obligation de chaque État membre
du Conseil de l’Europe de se conformer aux arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme.
23. Pour cette raison, la commission de suivi devrait assurément
suivre de près toute nouvelle évolution et envisager de saisir la
Commission de Venise pour avis à propos de cette révision constitutionnelle.
4. Conclusions
24. En juin 2019, lorsque l’Assemblée
a adopté la
Résolution
2287 (2019), «Renforcer le processus décisionnel de l’Assemblée
parlementaire concernant les pouvoirs et le vote», qui a ouvert
la voie au retour de la délégation russe au sein de l’Assemblée,
son intention était claire. La raison pour laquelle la majorité
des membres ont voté en faveur de ce texte puis, après la contestation
des pouvoirs de la délégation russe, en faveur de la
Résolution 2292 (2019), était de relancer un dialogue politique constructif.
25. Le dialogue a été relancé; nous pouvons le constater à tous
les niveaux de l’Assemblée, et bien sûr à la commission de suivi,
où les représentants russes sont très actifs. Il est à mon avis
trop tôt pour évaluer dans quelle mesure ce dialogue sera constructif
et s’il aboutira à des progrès dans le respect des obligations et
des engagements.
26. Je pense que la commission de suivi devrait poursuivre son
travail concernant la Fédération de Russie. Les corapporteurs pourraient
effectuer une visite d’information et préparer un rapport substantiel
dans les meilleurs délais. Nous devrions suivre attentivement les
évolutions en Fédération de Russie en vue d’examiner si les nouvelles
modifications constitutionnelles sont conformes aux normes démocratiques
et aux engagements et obligations de la Fédération de Russie.
27. Je propose donc que l’Assemblée ratifie les pouvoirs de la
Fédération de Russie et reprenne l’examen des progrès accomplis
lors de la présentation du rapport de suivi dans le courant de cette
année.