1. Introduction
1.1. Rappel
du contexte procédural
1. Le Monténégro est devenu membre
du Conseil de l’Europe en 2007. Il a été soumis à la procédure de suivi
générale jusqu’en 2015. En juin 2012, dans la
Résolution 1890 (2012), l’Assemblée parlementaire a identifié cinq «domaines
prioritaires» sur lesquels le Monténégro a été encouragé à faire
des progrès, à savoir l’indépendance du pouvoir judiciaire, la situation
des médias, la lutte contre la corruption et la criminalité organisée,
les droits des minorités et la lutte contre les discriminations,
ainsi que la situation des réfugiés et des personnes déplacées à
l’intérieur du pays.
2. Au vu des progrès réalisés dans ces domaines, l’Assemblée
a décidé dans sa
Résolution
2030 (2015) sur le respect des obligations et engagements du Monténégro
de clore la procédure de suivi et d’engager un dialogue postsuivi.
Elle a indiqué que ce dialogue pourrait s’achever fin 2017 si le
Monténégro remplissait quatre conditions, dont trois déjà mentionnées
en 2012: l’indépendance du pouvoir judiciaire, la confiance dans le
processus électoral, la situation des médias et la lutte contre
la corruption. La résolution a souligné l’importance de «la confiance
dans le processus électoral», considérée comme «plus nécessaire
encore, pour garantir la stabilité politique et la tenue d’élections
libres […] après les controverses liées aux élections législatives
de 2012 et à l’élection présidentielle de 2013»
. En outre, s’agissant des
droits des minorités et de la lutte contre la discrimination, ainsi
que de la situation des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du
pays, l’Assemblée a indiqué dans sa
Résolution 2030 (2015) qu’elle «suivra[it] attentivement la manière dont les
autorités du Monténégro appliqueront la législation adoptée»
. Enfin, l’Assemblée a
conclu qu’«en cas de non-respect des engagements susmentionnés de
la part des autorités monténégrines d’ici à la fin 2017, l’Assemblée
attend de sa commission de suivi qu’elle examine l’opportunité de
rouvrir la procédure de suivi générale pour le Monténégro»
.
3. Depuis 2015, deux missions d’information ont été effectuées
à Podgorica: en 2017 et en 2019. La première a été suivie de la
présentation à la commission d’une note d’information écrite
.
4. Le présent rapport a été préparé sous les mandats de rapporteur
de M. Anne Mulder et M. Emanuelis Zingeris
.
Il a été rédigé avant l’éruption de la pandémie de covid-19. Si
des faits nouveaux concernant les obligations et engagements du
Monténégro devaient se produire, ils feraient l’objet d’un addendum.
5. L’Assemblée a observé les élections législatives de 2016 et
l’élection présidentielle de 2018. Les rapports respectifs des commissions
ad hoc du Bureau ont été présentés devant l’Assemblée et débattus
par celle-ci.
1.2. Notre
perspective en tant que corapporteurs
6. En notre qualité de corapporteurs,
nous sommes parfaitement conscients du fait que les autorités monténégrines
pouvaient légitimement attendre qu’une décision soit prise quant
à l’avenir de la procédure de postsuivi à la fin de l’année 2017.
Toutefois, cela n’a pas été possible. La tenue des élections législatives
de 2016 et les changements de corapporteurs (en 2015, puis en 2017)
ont en effet retardé l’organisation d’une visite, ainsi que l’élaboration
d’un rapport. Aussi regrettable que cela ait pu être, nous estimons
qu’il n’aurait pas été des plus opportuns de soumettre un rapport
à l’Assemblée en 2017, compte tenu de la situation politique résultant
des élections de 2016 qui a été marquée par le boycott du parlement
par l’opposition. Entre septembre 2017 et septembre 2019, une grande
partie de l’opposition est revenue au parlement. Celui-ci a cherché
à trouver un accord entre la majorité et l’opposition quant à l’établissement
du cadre juridique jugé nécessaire avant la tenue des élections
législatives de 2020. Le temps était donc venu pour que nous soumettions
un avant-projet de rapport à la commission de suivi dans les mois
suivant la visite à Podgorica, afin de disposer d’un rapport prêt
à être débattu par l’Assemblée en avril 2020, avant que la partie
de session ne soit annulée.
7. Concernant l’avenir du dialogue postsuivi avec le Monténégro,
la lecture combinée du paragraphe 13 de la
Résolution 2030 (2015) et du paragraphe 13 du mandat de la commission de l’Assemblée
pour le respect des obligations et engagements des États membres
du Conseil de l’Europe indique trois possibilités : mettre fin au
dialogue postsuivi, soumettre de nouveau le Monténégro à une procédure
générale de suivi ou fixer des délais concrets pour l’exécution
des engagements restants
.
8. La proposition que nous avons choisi de faire dans les conclusions
du rapport s’est exclusivement fondée sur les progrès réalisés par
le Monténégro dans les quatre domaines prioritaires identifiés par
la
Résolution 2030 (2015), et sur le suivi de ceux liés à la lutte contre la discrimination
et la situation des réfugiés. Aucune autre préoccupation de la plus
haute importance n’a été portée à notre attention. Enfin et surtout,
nous partageons pleinement l’avis de l’Assemblée selon lequel «le
Monténégro a continué de jouer un rôle positif dans la stabilisation
de la région et [qu’]il reste un partenaire fiable et constructif,
impliqué dans plusieurs initiatives régionales et multilatérales»
et que «les autorités monténégrines ont établi une excellente coopération
avec le Conseil de l’Europe». Ces citations de 2015 sont encore
valables aujourd’hui. Il suffit d’examiner le nombre important d’avis
demandés par les autorités monténégrines à la Commission de Venise ou
aux experts du Conseil de l’Europe concernant les projets de législation.
L’attitude positive du Monténégro se reflète par ailleurs dans la
manière dont il prend ces avis en considération, ou la manière dont
il exécute les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de
l’homme. Il convient également de noter que la qualité des remarques
formulées par la délégation monténégrine au sujet de l’avant-projet
de rapport témoigne également de cette attitude très constructive.
9. Cela étant, nos constatations dans les quatre domaines prioritaires
sont plutôt mitigées. Dans la plupart d’entre eux, on observe des
tendances contradictoires. Nous sommes convaincus que, lorsque la
volonté politique est incontestable, les résultats sont évidents.
Lorsque la volonté politique semble manquer, peu de progrès sont
réalisés, et des reculs peuvent parfois être constatés. De plus,
il est apparu que dans certains domaines, il ne s’agit pas tant
de réformer le cadre juridique que de modifier la pratique, c’est-à-dire
mettre en œuvre une autre manière de procéder.
2. Développements politiques depuis la
dernière visite des corapporteurs au Monténégro en 2017
10. Depuis la dernière visite des
rapporteurs en octobre 2017, la vie politique monténégrine a été
dominée par les événements suivants: l’élection présidentielle qui
a eu lieu en avril 2018 et a vu la victoire du Président Đjukanović;
le boycott partiel du parlement par l’opposition qui a bloqué la
réforme électorale; une affaire judiciaire de corruption appelée
«l’affaire de l’enveloppe» qui s’est transformée en scandale politique;
le dépôt d’un projet de loi sur la liberté de religion; et l’évaluation
annuelle critique de la mise en œuvre des réformes au Monténégro,
publiée en mai 2019 par la Commission européenne, et ses conséquences.
2.1. Élection
présidentielle
11. Le 15 avril 2018, M. Milo Đjukanović
a remporté l’élection présidentielle avec 53,90 % des voix. M. Đjukanović
a occupé le poste de Premier ministre pendant 17 ans et celui de
Président du Monténégro pendant près de cinq ans, de janvier 1998
à novembre 2002 (ce qui fait de lui l’un des plus anciens dirigeants en
exercice d’Europe depuis la chute du communisme). Son principal
opposant, M. Malden Bojanić a comptabilisé 33,40 % des voix.
12. La commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée qui a été invitée
à observer l’élection a conclu «au respect des libertés fondamentales
[…] et que les électeurs ont fait leur choix parmi un large éventail
de candidats, même si le candidat et chef du parti au pouvoir [M.
Đjukanović] a bénéficié d’avantages institutionnels consolidés pendant
les 27 années d’exercice du pouvoir de son parti»
.
13. Elle a toutefois fait remarquer plusieurs failles au sein
du cadre électoral auxquelles il faut remédier. Elle a constaté
que la campagne électorale a été pacifique et que les libertés fondamentales,
notamment les libertés de réunion, de circulation et d’association,
avaient été respectées. Il convient de noter que le débat sur l’OTAN,
à laquelle le Monténégro a adhéré le 5 juin 2017, et, plus largement,
sur l’alignement international du pays, qui avait polarisé la scène
politique au milieu de l’année 2017, s’est poursuivi pendant l’élection
et n’a pas dérapé en actes de violence. La commission ad hoc a néanmoins
mentionné que «des allégations crédibles d’achat de voix, de recrutement
d’agents publics en période électorale et de pressions exercées
sur les électeurs, des caractéristiques malheureusement récurrentes
des élections au Monténégro, ont ébranlé la confiance des électeurs
dans le processus électoral»
.
14. Avec un taux de participation de 63,92 % et une victoire au
premier tour, la légitimité de M. Đjukanović n’a pas été contestée
par l’opposition, qui prépare désormais les élections générales
qui doivent avoir lieu en 2020.
2.2. La
fragmentation et la polarisation de la scène politique
15. Depuis 2016, le Parti démocratique
socialiste du Monténégro (PDS) a formé une coalition avec des partis
des minorités ethniques (le Parti bosniaque, Forca, organisation
politique albanaise, et l’Initiative civique croate), le Parti libéral
(PL) et les sociaux-démocrates (SD). Ils occupent 42 sièges sur
81. Le Front démocratique (FD) est le premier parti d’opposition
avec 17 sièges, suivi par Monténégro Démocratique (DCG) avec 8 sièges,
For the Benefit of All (DSI) avec 7 sièges, le Parti social-démocrate
du Monténégro (SDP) avec 4 sièges, l’Alliance démocratique (Demos)
avec 2 sièges et l’Action unie pour la réforme (URA) avec 1 siège.
16. Les élections générales d’octobre 2016 se sont soldées par
une victoire écrasante du PDS et ont été suivies par le refus de
l’ensemble du bloc de l’opposition de prendre part aux travaux du
parlement. Cette impasse semblait avoir été surmontée en mai 2018,
date à laquelle la plupart des partis d’opposition ont recommencé
à participer aux travaux du parlement. Mais le boycott n’a pas été
sans coût sur le plan législatif.
17. Après octobre 2016, l’opposition a dénoncé ce qu’elle a qualifié
de fraude électorale, déclaré que les élections n’avaient pas été
libres et équitables et exigé une enquête immédiate et complète
sur les abus allégués en même temps que sur ce qui a été appelé
la tentative de «coup d’état» qui a eu lieu le jour de l’élection
. Le gouvernement a exhorté l’opposition
à revenir au parlement. L’Union européenne ainsi que le Conseil
de l’Europe ont toujours souligné qu’il était important que l’opposition
fasse entendre sa voix au parlement ainsi qu’à l’occasion du processus
législatif, non seulement parce que le parlement est l’arène où les
politiques sont débattues, mais aussi parce que l’absence d’opposition
a entravé la poursuite des réformes. Plusieurs textes législatifs
ont été adoptés hâtivement et, d’après la société civile, n’ont
pas fait l’objet d’un débat public ce qui constitue une violation
grave des principes de transparence et d’inclusion. Les ONG ont évoqué
notamment les modifications apportées en 2017 à la loi sur le libre
accès à l’information, qui ont limité le droit d’accès aux registres
publics. Les autorités monténégrines ont laissé entendre que le
projet de loi avait fait l’objet d’un débat public de 40 jours.
Le boycott a également eu une influence sur les désignations de plusieurs
hauts responsables, tels que des membres du Conseil de la magistrature
ou le procureur général, pour lesquels une majorité qualifiée est
requise. Les autorités ont alors mis en place des mécanismes antiblocage
qui ont permis aux institutions de fonctionner. L’une des conséquences
les plus graves du boycott a été le blocage de la réforme électorale,
pour laquelle les voix de l’opposition étaient et sont encore nécessaires
pour l’adoption d’une loi modificative.
18. Entre décembre 2017 et mai 2018, presque tous les partis de
l’opposition sont revenus au Pparlement, et seules deux formations,
le Monténégro Démocratique (DCG – huit sièges au parlement) et l’Action
unie pour la réforme (URA – un siège) ont poursuivi le boycott.
Le 30 octobre 2018, le parlement a pu officiellement établir une
commission sous le nom de «commission intérimaire pour la poursuite
de la réforme de la législation électorale et autre» («commission
électorale») avec un mandat d’un an. Toutes les forces politiques y
étaient représentées, à l’exception du DCG et de l’URA.
19. Cette évolution positive s’est immédiatement inversée, après
le retrait du parlement du principal parti d’opposition, le FD,
en décembre 2018, à la suite de l’arrestation de deux de ses principaux
dirigeants et membres du parlement, M. Nebošja Medojević et M. Milan Knežević.
L’arrestation par les forces de police et la détention de M. Medojević
ont eu lieu sans que son immunité ne soit levée en amont
.
20. Le retour du FD au parlement était assez incertain après le
jugement du 9 mai 2019 sur le «coup d’état» de 2016. La Haute Cour
monténégrine de Podgorica a reconnu les 14 accusés coupables de
complot contre l’État. Les dirigeants politiques du FD, M. Mandic Andrija
et M. Milan Knežević, ont été condamnés à cinq ans d’emprisonnement
.
Le FD a cependant repris sa participation aux activités parlementaires.
Après une consultation approfondie avec le Chef de la délégation
de l’Union Européenne au Monténégro, l’ambassadeur Aivo Orav, le
deuxième groupe de l’opposition au parlement, Monténégro démocratique
(DCG), a accepté de rejoindre la commission électorale. Sa participation
à d’autres activités parlementaires est demeurée incertaine, car
le DCG a déclaré qu’il poursuivait son boycott.
21. Au cours de nos rencontres avec les groupes parlementaires,
nous avons rappelé à l’ensemble d’entre eux que le parlement était
l’arène où la concurrence politique devrait s’exercer et que boycotter
son travail n’était pas la manière européenne de participer à cette
compétition.
22. Jusqu’à présent, compte tenu de la fragmentation du paysage
politique - qui s’explique en partie par une tendance générale des
partis politiques à se scinder - et des divisions au sein de l’opposition,
le système électoral monténégrin n’a pas connu d’alternance politique
au niveau national. La situation est différente au niveau local,
où la concurrence pour les mairies est très vive et a abouti à des
changements de majorités. La majorité a par exemple changé dans
les municipalités de Budva, Kotor, Herceg Novi et Tuzi respectivement en 2016,
2017 et 2019.
23. Outre ces développements, «l’affaire de l’enveloppe» a eu
des incidences significatives sur le paysage politique.
2.3. L’affaire
de l’enveloppe
24. En janvier 2019, M. Duško Knežević,
propriétaire du groupe Atlas Banka, qui a fait l’objet d’une enquête pour
blanchiment d’argent, a commencé à révéler des détails sur d’éventuelles
activités douteuses impliquant de hauts fonctionnaires du parti
au pouvoir, dont le Président Đjukanović
. La révélation la plus
marquante, appuyée par une vidéo de 2016, montrait M. Duško Knežević
remettant à M. Slavoljub Stijepović, alors maire de Podgorica, une
enveloppe qui contenait 97 000 dollars pour financer la campagne
électorale du PDS, d’après ce qu’a déclaré plus tard M. Knežević.
Ce don ne figurait pas dans les registres financiers du parti.
25. Ces révélations ont déclenché des protestations (dont certaines
de grande ampleur) le 17 février 2019 dans plusieurs villes du Monténégro,
parmi lesquelles Podgorica, Budva et Herceg-Novi. Les manifestations ont
duré jusqu’en juin 2019. Les manifestants ont utilisé le slogan
«97 000 Résiste» en référence à l’argent qui aurait été donné au
PDS. Les manifestations étaient dirigées par des militants de la
société civile sans affiliation politique, qui demandaient un suivi
et une enquête approfondis dans «l’affaire de l’enveloppe», ainsi que
la démission du Président Đjukanović et d’autres responsables (Premier
ministre, procureur général et procureur spécial).
26. Les organisateurs des manifestations ont engagé un dialogue
avec les dirigeants de l’opposition qui a abouti à l’«Accord pour
l’avenir». Cette plateforme politique a été signée par les 39 parlementaires
de l’opposition en avril 2019. Parmi les priorités mentionnées figuraient
une demande de gouvernement d’unité civique et le boycott de toutes
les élections jusqu’à ce que les demandes détaillées dans l’Accord
soient satisfaites. Cette plateforme politique n’a jusqu’à présent
pas conduit à un accord de coopération avec l’objectif de remporter
les prochaines élections législatives. Le mouvement a présenté le
programme aux représentants diplomatiques. Mais il semble que les
divisions entre les militants de la société civile et les groupes
de l’opposition, ainsi qu’entre les partis de l’opposition, surtout
après le changement d’alliances entre les partis de l’opposition
dans la ville de Kotor, aient ralenti le processus.
27. Cette affaire peut avoir contribué à la perte de la ville
de Tuzi par le PDS, théâtre d’une nouvelle coalition formée par
les partis albanais au terme d’un scrutin local tenu en mars 2019.
28. Aucune commission d’enquête n’a été créée au sein du parlement
afin d’enquêter sur «l’affaire de l’enveloppe». Le Bureau spécial
du ministère public enquête actuellement sur l’ancien maire de Podgorica. L’Agence
de prévention de la corruption (APC) a demandé au DPS de restituer
47 500 euros au budget de l’État et de payer 20 000 euros pour violation
de la loi sur le financement des entités politiques pendant la campagne
de 2016. Le Président Đjukanović a poursuivi M. Knežević en justice
pour fausses déclarations à son égard et a demandé 500 000 euros
pour diffamation. La procédure judiciaire est toujours en cours.
2.4. La
loi sur la liberté de religion
29. En mai 2019, les autorités
monténégrines ont demandé à la Commission de Venise un avis sur
le projet de loi relatif à la liberté de religion ou de conviction
et au statut juridique des communautés religieuses. Les autorités
avaient déjà fait une demande similaire en 2015, mais avaient abandonné
la procédure législative après que la Commission de Venise a rendu
un avis très critique sur le projet transmis. La Commission de Venise
a publié son avis sur le nouveau projet de loi le 24 juin 2019
. Elle a salué plusieurs améliorations
par rapport au cadre juridique de 1977, mais est restée prudente
sur les dispositions controversées relatives aux biens appartenant
aux communautés religieuses.
30. En vertu de ces dispositions, l’Église orthodoxe serbe, qui
représente 70 % de la population orthodoxe d’après les médias locaux
, doit fournir des éléments
pour prouver la propriété de tous les édifices et terrains qui ont
été construits ou obtenus grâce aux recettes publiques de l’État
ou qui ont appartenu à l’État jusqu’au 1er décembre 1918
(date correspondant à la création du royaume de Yougoslavie et à
la fin du royaume de Monténégro). Ces dispositions ne s’appliqueraient
qu’aux biens du patrimoine culturel, d’après les autorités monténégrines,
qui ont assuré à la Commission de Venise que le transfert de propriété
n’aurait en principe pas de répercussion sur l’usage qui en est
fait par la communauté religieuse concernée.
31. Selon l’Église orthodoxe serbe, ces dispositions pourraient
viser à renforcer l’Église orthodoxe monténégrine par un transfert
de propriété. L’Église orthodoxe monténégrine est enregistrée en
tant qu’ONG depuis 2001 et n’est pas canoniquement reconnue par
les autres églises orthodoxes orientales. Il est en effet fort possible
que les dispositions aient été introduites pour développer une église
nationale et autocéphale, qui serait séparée de l’Église orthodoxe
serbe, le Gouvernement monténégrin jugeant cette dernière proche
des autorités serbes
. Il y aurait donc une similarité
entre ce schéma et ce qui s’est passé récemment en Ukraine. Une
interview donnée par le Président Đjukanović à l’agence de presse
l’AFP le 10 février 2020 est venue étayer les dires de l’Église
orthodoxe serbe. Le Président Đjukanović a en effet déclaré que
les Monténégrins sont «mus par le besoin incontestable de parfaire
les infrastructures spirituelles, sociales et celles de l’État afin de
renforcer la conscience des citoyens de leur propre identité», ajoutant
qu’il faudrait «une Église orthodoxe autonome au Monténégro qui
unirait tous les fidèles orthodoxes, ceux d’appartenance nationale
serbe comme ceux d’appartenance nationale monténégrine»
.
32. En septembre 2019, les autorités monténégrines ont lancé des
consultations avec toutes les communautés religieuses sur le projet
de loi. Le 27 décembre 2019, le parlement a adopté la loi sur la
liberté de religion grâce aux voix de la majorité et du Parti social-démocrate,
qui appartient à l’opposition. Le vote s’est déroulé dans un climat
de violence au sein du parlement, entraînant l’intervention des
forces de police et l’arrestation de plusieurs députés du Front
démocratique, qui ont tous été rapidement libérés. Signée le 28 décembre 2019,
la loi est entrée en vigueur le 8 janvier 2020.
33. L’adoption de la loi a suscité de vives tensions au Monténégro
et dans la région.
34. Le Métropolite du Monténégro et du littoral et chef de l’Église
orthodoxe serbe du Monténégro, M. Radović Amfilohije, était fortement
opposé à la loi. À la suite de son adoption, le clergé orthodoxe
a organisé dans plusieurs villes des manifestations qui avaient
encore lieu deux fois par semaine au moment de l’élaboration du
présent rapport. Ces manifestations ont apparemment été d’une ampleur
considérable dans un pays qui compte moins de 630 000 habitants.
À titre d’exemple, celle organisée par l’Église orthodoxe serbe,
avant l’adoption de ce texte législatif, le 21 décembre 2019 dans
la ville de Nikšić, a réuni selon la police quelque 6 000 personnes;
un média indépendant a également fait savoir que des dizaines de
milliers de personnes se sont rassemblées à Podgorica et dans d’autres
villes le 12 janvier 2020
. Le Front démocratique a appelé
ses partisans à prendre part à ces mouvements de protestation. Par
ailleurs, des affrontements sporadiques avec les forces de l’ordre
ont été signalés juste après l’adoption de la loi. Depuis le Noël
orthodoxe (célébré le 7 janvier au Monténégro), les manifestations
semblent se dérouler de manière pacifique, malgré un durcissement
du ton qui a été observé.
35. Appelant au retrait de la loi, le Métropolite Amfilohije a
dissuadé les citoyens de voter pour des responsables politiques
qui la soutiennent
. Le Président Đjukanović a mis en
garde les membres de son parti, le DPS, d’une possible exclusion
s’ils venaient à participer à ces manifestations, tandis que le
chef de l’armée du Monténégro, le général Dragutin Dakić, a déclaré
que les militaires risquaient d’être expulsés des forces armées
dans pareils cas
.
L’Église orthodoxe serbe et le Front démocratique ont vivement critiqué
un documentaire consacré au Métropolite Amfilohije diffusé par le
service public de radiodiffusion, le RTCG, lui reprochant de l’avoir
présenté comme «l’envoyé d’une Église étrangère» et «un partisan
fanatique du projet de Grande Serbie» et accusant le RTCG d’être
motivé par des considérations politiques
.
36. Vu le niveau de tension au Monténégro, les autorités ont jugé
bon de recourir à l’article 398 du Code pénal, qui sanctionne toute
personne qui transmet «de fausses informations ou allégations» et,
ce faisant, déclenche «la panique ou un trouble grave à l’ordre
public». Trois journalistes ont été arrêtés sur la base de cet article
et détenus pendant plusieurs heures. L’un d’entre eux, la rédactrice
en chef du site d’information local, FOS, avait publié un article
qui prétendait que le Gouvernement monténégrin envisageait de demander de
l’aide en matière de sécurité au Kosovo
afin de réprimer
les manifestations le jour de Noël. Le Gouvernement monténégrin
a nié les allégations et FOS s’est rétracté, a publié des excuses
et licencié sa rédactrice en chef pour «faute professionnelle grave»,
selon les médias
.
37. La loi a suscité des tensions dans la région entre le Monténégro
et les dirigeants serbes de Serbie et de Republika Srpska, l’une
des deux entités de Bosnie-Herzégovine. Les dirigeants serbes ont
essentiellement axé leurs critiques de la loi sur deux arguments:
premièrement, celle-ci ne viserait que les Serbes, qui selon eux
représentent 28 % de la population monténégrine, et serait ainsi
discriminatoire
. Cette discrimination ne ferait
que s’ajouter aux nombreuses autres infligées aux Serbes au Monténégro
mais aussi dans d’autres pays voisins
.
Deuxièmement, en s’en prenant à l’Église orthodoxe serbe, les autorités
monténégrines s’attaqueraient à l’une des «valeurs fondamentales
de l’identité du peuple serbe», les autres valeurs étant l’alphabet
et la langue
.
38. Les autorités monténégrines ont souligné que la loi était
conforme à l’avis formulé par la Commission de Venise, qu’elle avait
été adoptée par le parlement de manière démocratique, au terme d’une
vaste consultation, et que son retrait constituerait une violation
du processus démocratique. Elles ont fait remarquer que les manifestations
n’étaient pas dirigées contre la loi, mais contre l’État monténégrin
et ses institutions
. Par ailleurs, elles ont dénoncé
l’influence exercée par la Serbie au Monténégro par l’intermédiaire
de l’Église orthodoxe serbe
et
la campagne de désinformation qui serait orchestrée par «le voisinage»
. Une pétition en ligne, intitulée
«Recours contre les menaces que fait peser Belgrade sur la paix
au Monténégro et dans la région», et signée par quelque 120 responsables
publics, universitaires et éminentes personnalités du monde de la
culture dans les Balkans, souligne que le Monténégro est la cible
d’une tentative de déstabilisation par la violence et que la paix
est menacée, non seulement au Monténégro, mais aussi dans toute
la région
.
39. Dans une déclaration publiée le 19 décembre 2019, le porte-parole
de l’Union européenne a précisé que la réglementation des communautés
religieuses relève de la compétence nationale, mais qu’elle doit
se faire de manière inclusive et dans le respect des normes internationales
et européennes pertinentes, en particulier de toutes les recommandations
de la Commission de Venise. Alors qu’il était à Podgorica le 7 février
2020, le commissaire européen chargé du voisinage et de l’élargissement,
M. Olivér Várhelyi, a également appelé toutes les parties au Monténégro
à engager un dialogue sur la loi relative à la liberté de religion
et à trouver une solution qui soit acceptable pour tous.
40. Au moment de la rédaction du présent rapport, le Premier ministre
Marković, qui avait déclaré que la loi pourrait toujours faire l’objet
de modifications en suivant une procédure parlementaire régulière
et être contestée devant la Cour constitutionnelle, a rencontré
le 14 février 2020 le Métropolite Amfilohije qui a semble-t-il proposé
plusieurs amendements à la loi
.
41. Conformément au paragraphe 10.2 de sa
Résolution
2030 (2015) l’Assemblée «s’attend à ce que la loi sur les communautés
religieuses soi[t] adopté[e]». Elle a en outre indiqué qu’elle suivrait
attentivement la manière dont les autorités appliqueront cette législation.
Nous avons par conséquent discuté de manière approfondie de cette
question au cours de notre mission d’information, trois mois avant
l’adoption de la loi et les développements susmentionnés.
42. Si, lors de notre mission, les autorités monténégrines ne
nous ont pas donné d’explication claire sur le concept de «patrimoine
culturel» qu’elles ont utilisé pour justifier la «reprise» possible
de propriétés à l’Église orthodoxe serbe, elles nous ont fourni
par la suite les informations suivantes: selon le ministère des
Droits de l’homme et des Minorités, la plupart des biens sacrés
d’avant 1918 font partie du patrimoine culturel du Monténégro. La
portée du concept est par conséquent assez large. Le ministère a
également déclaré que le fait que ces monuments culturels appartiennent
à l’État permet d’en assurer une meilleure protection, car certains
d’entre eux auraient été «sérieusement endommagés lorsqu’ils étaient
la propriété de communautés religieuses».
43. Un point de vue intéressant nous a été exposé lors de notre
mission: étant donné que la Commission de Venise a considéré la
majorité des dispositions du projet de loi d’alors comme très positives,
si les dispositions relatives aux propriétés des communautés religieuses
continuent d’être considérées comme controversées, une solution
consisterait à diviser le projet de lois en deux textes distincts,
afin de ne pas retarder l’application des dispositions portant sur
le statut des communautés religieuses.
44. En tant que corapporteurs, il nous faut rappeler que la réglementation
des communautés religieuses relève de la souveraineté nationale,
dont l’exercice doit se faire sans aucune ingérence étrangère. Cependant, nous
comprenons les craintes que suscitent les dispositions relatives
aux droits de propriété ainsi que le sentiment des membres de l’Église
orthodoxe serbe d’être particulièrement visés. Nous regrettons profondément
que cette loi, qui semble, pour l’essentiel, constituer un réel
progrès par rapport à la législation précédente, ait accentué la
polarisation au sein de la société monténégrine. La division de
ce texte en deux parties, l’adoption de la plupart de ses dispositions
et la poursuite des discussions sur celles relatives à la question
des droits de propriété auraient peut-être été un moyen de limiter
les tensions créées.
45. Le 5 janvier 2020, le ministre serbe des Affaires étrangères,
M. Ivica Dačić, a montré du doigt les citoyens serbes d’origine
monténégrine. Il a insisté sur leur devoir moral de ne pas se taire
à propos de la loi sur la liberté de religion, et, pour ceux qui
soutenaient les autorités du Monténégro, il s’est interrogé sur
la pertinence de les priver de leur citoyenneté serbe
. Il a précisé par la suite sa position
en expliquant qu’il ne se référait pas «aux citoyens ordinaires
ou à ceux qui sont en Serbie depuis des générations», mais à ceux qui
possèdent des «empires commerciaux» et «travaillent pour des agents
Monténégrins»
. Nous condamnons fermement
le langage utilisé pour pointer du doigt les citoyens serbes d’origine
monténégrine. Non seulement, il pourrait être perçu comme discriminatoire,
mais, en outre, il ne va pas sans rappeler une rhétorique nationaliste
datant des années 1990, avec des références à un prétendu «ennemi
de l’intérieur». À cet égard, nous déplorons aussi vivement les
propos tenus par le ministre serbe de la Santé, M. Zlatibor Lončar,
qui, alors qu’il était invité à s’exprimer sur les développements
liés à la loi sur la liberté de religion au Monténégro, a déclaré
refuser au sein de son administration tout Monténégrin ne parlant
pas le serbe. En effet, comme l’a déjà souligné la Commissaire serbe
à l’égalité, Mme Brankica Janković
, ces propos sont discriminatoires
et offensants; de plus, ils rappellent dangereusement le passé,
lorsque la question de la langue était employée à mauvais escient
de manière à semer la division.
46. Nous avons constaté avec satisfaction que, malgré les tensions,
le dialogue entre le Premier ministre Marković et le Métropolite
Amfilohije n’a jamais cessé. Nous les invitons instamment à trouver
une solution respectueuse de la démocratie et de l’État de droit,
ce qui suppose le respect du processus législatif et le recours
aux juridictions compétentes, y compris la Cour européenne des droits
de l’homme, le cas échéant, pour défendre les droits conférés par
la loi. Nous comptons également sur le fait que le sens de la responsabilité
politique des dirigeants du Monténégro et de l’étranger les empêchera
d’utiliser les discussions sur cette loi, afin soit de détourner
l’attention de la population d’autres sujets, soit de créer un climat
nationaliste en appelant à faire corps derrière le drapeau.
47. En tant que corapporteurs, nous suivrons attentivement la
mise en œuvre de la loi sur la liberté de religion pour vérifier
sa conformité avec les normes européennes, et notamment avec l’article
1 du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits
de l’homme et libertés fondamentales (STE no 9) (Protection
de la propriété), ainsi que le respect des recommandations de la
Commission de Venise, s’agissant en particulier des éléments de
preuve à fournir pour attester des droits de propriété. Nous vérifierons également
que le transfert de propriété n’aura pas de répercussion sur l’usage
qui en est fait par la communauté religieuse, comme l’ont assuré
les autorités monténégrines à la Commission de Venise. Le cas échéant,
nous solliciterons l’avis de la Commission de Venise sur la mise
en œuvre de cette loi.
2.5. L’évaluation
annuelle de l’Union européenne
48. Le Monténégro a obtenu le statut
de pays candidat officiel à l’adhésion à l’Union Européenne en décembre 2010
et les négociations d’adhésion ont été ouvertes en juin 2012. La
Stratégie de la Commission européenne «
Une
perspective d’élargissement crédible ainsi qu’un engagement de l’Union
européenne renforcé pour les Balkans occidentaux» adoptée en février 2018
, a fixé une perspective d’adhésion
à l’Union Européenne en 2025, si une série de mesures était prise
et plusieurs conditions satisfaites. En mars 2019, 32 chapitres
de négociation ont été ouverts, quatre de plus par rapport au moment
de la dernière visite des corapporteurs en 2017, dont trois ont
été provisoirement clôturés, ce qui représente une situation inchangée sur
ce point par rapport à 2017. Les chapitres 23 (pouvoir judiciaire
et droits fondamentaux) et 24 (justice, liberté et sécurité), qui
présentent un intérêt particulier pour le Conseil de l’Europe étant
donné leur contenu, sont encore en négociation.
49. La Communication de la Commission européenne sur la politique
d’élargissement de l’UE publiée en mai 2019
et les Conclusions sur l’élargissement
et le processus de stabilisation et d’association adoptées par le
Conseil en juin 2019
, qui ont aussi été
approuvées par le Conseil européen, étaient moins positives et plus
pressantes que celles des années précédentes. La Commission, ainsi
que le Conseil, ont clairement indiqué que le temps était venu d’obtenir
des résultats plus tangibles en matière d’État de droit et que le Monténégro
devrait se montrer plus proactif dans ses efforts de réforme dans
les domaines suivants : la liberté des médias, la lutte contre la
corruption et la traite des êtres humains. La Commission a par ailleurs
noté que le Monténégro devrait faire la preuve d’une volonté politique
claire dans le cadre de la lutte contre la corruption et la criminalité
organisée. Elle a en outre souligné que la réforme électorale demeurait
essentielle à la restauration de la confiance électorale. En d’autres
termes, les préoccupations de l’Union Européenne semblent correspondre
aux quatre sujets prioritaires sélectionnés par l’Assemblée pour
être examinés au cours du dialogue postsuivi, sauf en ce qui concerne
la traite des êtres humains.
50. L’évaluation annuelle de l’Union Européenne a été accueillie
de manière diverse: l’opposition et certains militants de la société
civile ont dénoncé l’absence de progrès en matière de démocratie,
d’État de droit et de droits de l’homme ; la majorité a considéré
qu’il était normal que l’Union Européenne soit plus sévère avec
le Monténégro, au fur et à mesure que le pays se rapprochait de
l’adhésion à l’Union.
51. En novembre 2019, la Commission européenne a publié son document
non officiel sur l’état d’avancement des négociations concernant
les chapitres 23 et 24 pour le Monténégro, que le gouvernement a
rendu public
. Ce document couvre le premier semestre
de l’année 2019. Il ne montre pas de changements notables par rapport
à la situation décrite dans la Communication de mai 2019. Il souligne
toutefois l’importance pour le Monténégro de ne pas réduire à néant
les progrès accomplis précédemment sur le plan de la réforme judiciaire,
de consolider encore les résultats obtenus dans la lutte contre
la corruption, d’assurer la réelle indépendance de l’APC et de donner
suite aux récentes allégations de corruption et de financement illégal
des partis politiques. Le document met également en avant les opérations
fructueuses menées contre les organisations criminelles monténégrines
grâce à une participation accrue à la coopération policière internationale,
malgré les lacunes systémiques qui continuent d’entraver le système
de justice pénale.
52. En février 2020, sous l’intitulé «Alliance pour l’Europe»,
le gouvernement a engagé un dialogue approfondi sur des questions
susceptibles d’aider à surmonter les divisions et de contribuer
à l’avancement du processus d’intégration du pays dans l’Union Européenne
et du processus de réforme en général, notamment dans le domaine
électoral. Les partis politiques de l’opposition, des ONG de premier
plan, des représentants de la presse et des universitaires ont été
invités à rencontrer le Premier ministre, et les consultations ont commencé
à la mi-février 2020.
3. Indépendance
du pouvoir judiciaire
3.1. Conditions
fixées par la Résolution
2030 (2015) et faits nouveaux intervenus dans ce domaine
53. La
Résolution 2030 (2015) de l’Assemblée énumère trois conditions en ce qui concerne
l’indépendance du pouvoir judiciaire: pleinement mettre en œuvre
les amendements constitutionnels relatifs au système judiciaire,
assurer la formation professionnelle continue des personnels du
ministère public, de la police et du système judiciaire, et renforcer
le statut et les moyens du procureur général suprême.
«13.1.1
pleinement mettre en œuvre les amendements constitutionnels relatifs
au système judiciaire adoptés en juillet 2013 et adopter les lois
sur les tribunaux, les droits et les obligations des juges, le Conseil
de la magistrature, la Cour constitutionnelle et le ministère public,
en prenant pleinement en considération les recommandations pertinentes
de la Commission de Venise en la matière adoptées en décembre 2014 ;
54. Le processus législatif qui a suivi les amendements à la Constitution
adoptés en 2013 s’est poursuivi. Les différentes lois qui régissent
les tribunaux, le ministère public, son organisation interne ou
la formation des magistrats ont été adoptées en 2014 et 2015. Certaines
d’entre elles ont été modifiées depuis, comme la loi sur le Conseil
de la magistrature et les juges, modifiée en 2018. La loi sur les
tribunaux a, entre autres, créé les tribunaux correctionnels. La
loi sur le Conseil de la magistrature et les juges a établi un nouveau
système pour l’élection des juges, leur promotion, l’évaluation
de leur travail, leur mobilité et leur responsabilité disciplinaire.
La loi sur le ministère public a apporté des changements similaires
pour les procureurs. La loi sur le Bureau spécial du ministère public
a donné au procureur un mandat précis concernant des infractions pénales
spécifiques: criminalité organisée, corruption à haut niveau, blanchiment
d’argent, terrorisme et crimes de guerre. La loi sur la Cour constitutionnelle
du Monténégro et la loi sur le Centre de formation des juges et des
procureurs sont aussi entrées en vigueur en 2015.
55. Pour chacune de ces lois, à l’exception de celle sur le Centre
de formation des juges et des procureurs, les autorités monténégrines
ont sollicité l’avis de la Commission de Venise et globalement mis
en œuvre les recommandations qu’elle a formulées. Depuis le dernier
rapport des corapporteurs, un cadre juridique a été établi et il
est opérationnel.
56. Malgré des tendances positives, en matière de formation ou
d’efficacité, le système judiciaire monténégrin est encore considéré
comme vulnérable à l’influence politique. Selon la Commission européenne, les
progrès semblent assez lents sur les plans de la transparence, de
la responsabilité et du respect de la déontologie.
57. Il convient de noter que la plupart des recommandations formulées
par les corapporteurs dans leur rapport de 2015 et dans leur note
d’information de 2017 ont été confirmées par le diagnostic présenté
par la Commission européenne dans son rapport de 2019, ce qui laisse
penser que la situation n’a guère évolué dans l’intervalle. Dans
son évaluation, la Commission européenne est assez sévère, puisqu’elle
estime que le système judiciaire monténégrin n’est que «modérément
préparé à l’adhésion».
58. L’une des principales réformes du système judiciaire engagées
en 2014-2015 consistait à refondre ce qui allait devenir le Conseil
de la magistrature et le Conseil des procureurs, deux organes qui
concentrent l’essentiel des pouvoirs en matière d’organisation des
tribunaux et des parquets. Nous leur avons donc accordé une attention
particulière.
59. Concernant le Conseil de la magistrature, le Groupe d’États
contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe a constaté que
le Monténégro n’avait pas mis en œuvre sa recommandation v.consistant
à exclure la participation ex officio du ministre de la Justice
au Conseil et à établir des critères de sélection objectifs et mesurables
pour les membres non judiciaires du Conseil
de manière à assurer leurs qualités professionnelles
et l’impartialité
. Lors de nos entretiens francs et
ouverts avec le président du Conseil de la magistrature et avec
un représentant du ministère de la Justice, ceux-ci nous ont expliqué
que le GRECO avait formulé cette recommandation après que la Commission
de Venise eut émis son avis sur la composition du Conseil de la
magistrature sans critiquer la participation du ministre de la Justice.
En outre, ils ont attiré notre attention sur le fait que la Commission
de Venise et le GRECO avaient des points de vue opposés sur la présidence
du Conseil de la magistrature: la Commission de Venise étant en
faveur d’un président qui n’exerce pas de fonctions judiciaires,
le GRECO préconisant le contraire
.
60. Au sujet de la participation du ministre de la Justice au
Conseil de la magistrature, nous reconnaissons, en tant que corapporteurs,
que les normes du GRECO semblent plus strictes que celles de la
Commission de Venise. Nous sommes aussi pleinement conscients de
la difficulté de modifier la composition du Conseil de la magistrature,
qui est déterminée par la Constitution, si l’opposition parlementaire
refuse de participer au processus d’amendement de la Constitution,
ce qui a été le cas dans le passé. Enfin, nous savons que, selon la
Constitution, le ministre de la Justice ne peut pas être élu président
du Conseil de la magistrature, ce qui représente une forme de garde-fou,
puisque la voix du président du Conseil de la magistrature est prépondérante
en cas d’égalité des voix. Toutefois, lorsque le système judiciaire
est perçu comme vulnérable à l’influence politique, comme l’a indiqué
la Commission européenne, il peut être sage de ne pas inclure le ministre
de la Justice dans la composition du Conseil de la magistrature.
Cela dit, nous ne pensons pas que cet aspect soit le plus important
en matière d’indépendance du pouvoir judiciaire.
61. Au sujet de la présidence du Conseil de la magistrature, nous
estimons que la recommandation du GRECO ne doit pas être envisagée
séparément des autres recommandations concernant le Conseil de la magistrature.
En effet, lorsque le GRECO a appelé les autorités monténégrines
à «prendre des mesures supplémentaires pour renforcer l’indépendance
du Conseil de la magistrature - réelle et perçue - contre l’influence
politique indue», il a recommandé trois types de mesures. Deux d’entre
elles méritent d’être mentionnées: établir des critères de sélection
objectifs et mesurables pour les membres non judiciaires ; et mettre
en place des dispositions opérationnelles pour éviter une concentration
excessive des pouvoirs dans les mêmes mains par rapport aux différentes
fonctions à remplir par les membres du Conseil de la magistrature
.
D’après nous, si ces deux types de mesures avaient été mises en
œuvre, la question de la présidence du Conseil de la magistrature
aurait peut-être été moins importante pour le GRECO. Or, tel n’a
pas été le cas, même si le président du Conseil de la magistrature
a reconnu que les conditions d’élection à un poste de membre non
judiciaire devaient être clarifiées et renforcées. Cette question
pourrait être traitée au moyen d’une simple loi et nous serions
favorables à une telle initiative.
62. Dans un rapport détaillé sur la nomination et la promotion
des juges et des procureurs au Monténégro (2016-2019)
, l’ONG Human Rights Action (HRA)
a préconisé d’appliquer à tous les candidats au Conseil de la magistrature
et au Conseil des procureurs les mêmes critères qu’aux candidats
au conseil d’administration de l’APC, du RTCG ou de l’AME. L’ONG
ne voyait pas pourquoi la prévention des risques de conflit d’intérêts serait
moins importante pour un juge ou un procureur. Lorsque nous avons
soulevé cette question, nos interlocuteurs nous ont répondu que
la loi qui régit les conflits d’intérêts était la même pour toute
personne considérée comme agent public, mais que les règlements
relatifs aux organismes susmentionnés étaient peut-être plus stricts.
63. Concernant le Conseil des procureurs, la Commission de Venise,
dans son avis final de 2015 concernant le projet de loi révisé sur
le ministère public du Monténégro, a estimé qu’un certain nombre
de questions soulevées par la Commission n’avaient pas été traitées.
Parmi ces questions figuraient : les procédures d’élection au Conseil
des procureurs; la nécessité d’assurer une représentation équitable
et proportionnelle des parquets de premier degré au sein du Conseil;
le fait que la décision de révoquer un membre ne devrait être prise
que par les autres membres du Conseil, sans que des organes extérieurs
ne participent à la procédure; et la nécessité de clarifier certains
critères de nomination des procureurs
.
64. Concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire, des magistrats
du tribunal de première instance de Podgorica et le président du
Conseil de la magistrature nous ont indiqué que le système d’information judiciaire,
PRIS, était très efficace. Ce système a été conçu spécialement pour
répartir les affaires de manière aléatoire, afin d’éviter une répartition
motivée par des considérations autres que la bonne administration
de la justice. Le système avait été critiqué par les juges avant
d’être pleinement opérationnel, selon le rapport de 2015 des corapporteurs.
Dans son rapport annuel de 2019, la Commission européenne regrette
que, faute de critères précis, la pratique consistant à répartir
une nouvelle fois de grandes quantités d’affaires entre les tribunaux
pour réduire l’arriéré compromette le principe de l’attribution
aléatoire des affaires.
65. Pour ce qui est du Conseil de la magistrature comme du Conseil
des procureurs, mais aussi en matière de nomination des juges et
de promotion des magistrats, la question de la transparence préoccupe
depuis longtemps les corapporteurs. La Commission européenne a confirmé
qu’il était nécessaire d’améliorer concrètement la transparence
des activités des deux conseils, notamment en publiant des décisions pleinement
motivées lorsqu’elles sont relatives aux promotions, aux nominations
et aux procédures disciplinaires. Dans son rapport susmentionné,
l’ONG HRA regrettait vivement que la politique de nomination des
juges appliquée par le Conseil de la magistrature ne tienne pas
compte des programmes visant à pourvoir les postes judiciaires.
L’ONG a aussi critiqué une décision, prise en juin 2018, de nommer
10 juges dans les tribunaux de première instance. Cette décision
a été contestée devant une juridiction administrative à cause d’allégations
graves concernant les agissements des membres du Conseil de la magistrature
en lien avec les examens et les entretiens. En octobre 2019, le
tribunal administratif a rejeté le recours intenté par le requérant. À
la suite de ce rejet, l’ONG HRA a fait part de ses doutes quant
à l’impartialité de la procédure. Après avoir été examinée par un
tribunal administratif en première instance, l’affaire sera jugée
par la Cour suprême en deuxième instance. Cela signifie que les
deux juridictions auront pris part à la décision litigieuse concernant
la nomination des juges dans les tribunaux de première instance.
HRA a de ce fait invoqué la possibilité d’intenter un recours devant
la Cour constitutionnelle au lieu de la Cour suprême. En tant que
corapporteurs, nous sommes disposés à examiner cette proposition,
en fonction de la décision que rendra la Cour suprême. Trois ONG
(HRA, MANS et Institute Alternative) ont également porté plainte
contre les membres du Conseil de la magistrature, auxquels elles
reprochaient de graves irrégularités dans le processus de sélection
des 10 candidats et qu’elles accusaient des infractions pénales
suivantes: abus de fonctions, malversations, trafic d’influence,
contrefaçon de documents et atteinte au principe d’égalité. Ces
accusations ont été rejetées par le procureur spécial le 15 octobre 2019.
66. Lors de notre entrevue, le président du Conseil de la magistrature
a démenti toutes les allégations faites par ces ONG. Ce Conseil
semblait toutefois avoir tiré certains enseignements de cette expérience,
l’ONG HRA l’ayant félicité ultérieurement pour sa conduite des entretiens
avec les candidats à la présidence d’un autre tribunal de première
instance, le 7 février 2020. D’après l’ONG, les entretiens avaient
parfaitement respecté les règles établies. Malheureusement, l’issue
de la procédure de sélection a confirmé nos inquiétudes, présentées
ci-après.
67. Dans son rapport, l’ONG HRA soulignait aussi que les décisions
du Conseil des procureurs sur les nominations des procureurs n’étaient
pas assez motivées.
68. Les faits intervenus en 2019 et 2020 ont montré combien la
question des nominations de certains juges est sensible au Monténégro.
En mai 2019, le Conseil de la magistrature a reconduit Mme Vesna
Medenica dans ses fonctions de présidente de la Cour suprême pour
un nouveau mandat
. Le Conseil
de la magistrature a aussi validé les candidatures de cinq présidents
sortants de tribunaux de première instance qui se présentaient une
nouvelle fois à la présidence bien qu’ils eussent déjà exercé cette
fonction pendant au moins deux mandats. Selon la version modifiée
de l’article 124 de la Constitution monténégrine, entré en vigueur
le 31 juillet 2013, une même personne ne peut pas être élue plus
de deux fois à la présidence de la Cour suprême. Selon la version
modifiée de la loi sur le Conseil de la magistrature et les juges,
entrée en vigueur le 1er janvier 2016,
personne ne peut être élu plus de deux fois à la présidence d’une
même juridiction. Le 31 mai 2019, 11 ONG se sont adressées au Conseil
de la magistrature pour contester la nomination et la décision sur
les candidatures, au motif qu’elles étaient contraires à la Constitution.
Le Conseil de la magistrature a répondu que le principe de non-rétroactivité
de la loi, inscrit dans la Constitution, l’avait conduit à prendre
ces décisions.
69. En tant que corapporteurs, nous regrettons la manière dont
ces reconductions ont eu lieu car elles montrent que, malgré de
réels progrès sur le plan de la réforme judiciaire et la mise en
place de garanties, des pratiques contraires à l’esprit de la réforme
se perpétuent. Le président du Conseil de la magistrature nous a expliqué
la procédure qui avait été suivie concernant Mme Medenica. Un organe
de la Cour suprême composé de 18 de ses membres a présenté sa candidature,
et uniquement celle-ci, au Conseil de la magistrature, qui a décidé
de la reconduire dans ses fonctions, même si le président du Conseil
de la magistrature aurait préféré que le Conseil de la magistrature
pût choisir entre plusieurs candidats. La limite de deux mandats,
introduite dans la Constitution en 2013, ne pouvait pas s’appliquer
à Mme Medenica, puisque les amendements à la Constitution ne comportaient
aucune disposition précisant comment cette limite s’appliquerait
aux présidents de juridiction déjà en exercice. Face à une situation
analogue, la Serbie et la Croatie ont décidé, selon le Président
du Conseil, de mettre en œuvre des dispositions transitoires, ce
que le Monténégro n’a pas fait. En conséquence, la limite de deux
mandats ne pouvait s’appliquer ni à Mme Medenica ni aux cinq présidents
de tribunaux de première instance, quel que fût le nombre de mandats
de président qu’ils avaient déjà exercés avant la réforme constitutionnelle
de 2013.
70. Nous ne contestons pas la position juridique du Conseil de
la magistrature ni son interprétation du principe de non-rétroactivité.
Cependant, nous notons que, dans le cas de Mme Medenica, le Conseil
de la magistrature aurait pu suspendre sa décision de la nommer
et aurait pu demander aux 18 juges de la Cour suprême de présenter
plusieurs candidatures, ce qu’il n’a pas fait. Mais plus fondamentalement,
nous observons que la réforme constitutionnelle de 2013 visait précisément
à éviter que des présidents de juridiction (y compris le président
de la Cour suprême) continuent d’occuper leurs fonctions après deux
mandats. Or, c’est exactement ce qui s’est passé. Le Conseil de
la magistrature aurait envoyé un signal beaucoup plus positif s’il avait
été en mesure de procéder aux nominations dans l’esprit des amendements
constitutionnels de 2013.
71. Comme nous l’avons fait avec le président du Conseil de la
magistrature, la Commission européenne et le GRECO ont tous deux
exprimé leur vif mécontentement et leurs profondes préoccupations
concernant ces reconductions
.
Le 7 février, le Conseil de la magistrature a reconduit dans ses
fonctions le président du tribunal de première instance de Žabljak
pour un cinquième mandat, faisant ainsi fi de tous les avertissements précédents.
72. En tant que corapporteurs, nous constatons là une faille systémique
dans le pouvoir judiciaire pour ce qui est de renforcer sa propre
indépendance et de respecter l’État de droit
. Dans ce contexte, le mouvement de
protestation initié en février 2020 par six ONG contre la nomination
d’un «juge président» de la Cour constitutionnelle qui avait déjà
exercé les fonctions de président de cette juridiction ne peut que
susciter de profondes inquiétudes.
73. En 2019, la Commission européenne a fait le même constat que
celui que les corapporteurs avaient déjà fait en 2015 et 2017 au
sujet de l’obligation, pour les magistrats, de rendre compte de
leur action : elle a observé que «la mise en œuvre du code de déontologie
et de la responsabilité disciplinaire des juges et des procureurs
ne se manifestait encore que de manière très limitée». L’ONG HRA
a notamment recommandé de modifier la loi et les règlements concernant
l’évaluation du travail des juges et des présidents de juridiction
pour faire en sorte que toutes les infractions au code de déontologie
qui ont été constatées soient dûment prises en compte, en fonction
de leur gravité, lors de l’examen des demandes de promotion. En
tant que corapporteurs, nous approuvons d’autant plus cette proposition
que le GRECO, dans son Deuxième Rapport de Conformité du Quatrième
Cycle d’Évaluation, a déploré l’absence de progrès en ce qui concerne
la révision du cadre disciplinaire applicable aux juges.
«13.1.2.
assurer la formation professionnelle continue des personnels du
ministère public, de la police et du système judiciaire, et améliorer
leur coordination, de manière à garantir une justice efficace et
professionnelle»
74. Concernant la formation des professions judiciaires, nous
avons l’impression que de réels progrès ont été réalisés. La loi
sur le Centre de formation des juges et des procureurs (CFPJ) avait
pour but de transformer l’ancien Centre de formation des juges en
une entité juridique autonome et autosuffisante, dont les activités seraient
étendues pour englober la formation des procureurs, de leurs adjoints
et des conseillers travaillant dans les parquets. Bien qu’il soit
indépendant, le CFJP est une unité organisationnelle de la Cour
suprême. En 2019, son budget a légèrement diminué : il s’est établi
à 619 000 euros, contre 624 240 euros en 2018. Sur les 20 postes
prévus, seuls 14 sont pourvus.
75. Il est ressorti de notre discussion avec des magistrats et
avec la directrice du CFJP que des dispositions étaient apparemment
prises pour répondre aux réserves formulées par la Commission européenne
dans son rapport d’évaluation annuel de 2019 au sujet de la nécessité,
pour le CFJP, de se montrer plus proactif en matière de formation,
de promotion de la formation et de renforcement de la coopération
avec le Conseil de la magistrature et avec le Conseil des procureurs.
Le CFJP a établi un très vaste réseau de coopération internationale
qui va au-delà des nombreux programmes de l’Union européenne et
du Conseil de l’Europe. Il nous a été indiqué que l’accent avait
été mis sur la jurisprudence relative à plusieurs articles de la
Convention européenne des droits de l’homme, notamment : l’article
3 (interdiction de la torture), l’article 5 (droit à la liberté),
l’article 6 (droit à un procès équitable), l’article 10 (liberté
d’expression) et l’article 13 (droit à un recours effectif). Ces
informations sont confirmées par le rapport annuel du CFJP pour
2018. Il nous a aussi été indiqué que les personnels en formation
s’intéressaient de plus en plus aux questions d’éthique et aux questions concernant
l’évaluation du travail des juges et des procureurs et leur nomination.
Cet intérêt peut laisser penser que les jeunes magistrats sont plus
désireux de connaître leurs droits et les limites imposées par la déontologie,
ce qui augure bien de l’avenir. Le rapport annuel du CFJP pour 2018
fait état d’une très forte participation des juges et des procureurs
aux formations.
76. Lors de notre entretien avec la directrice du CFJP, nous lui
avons demandé si la formation sur le droit humanitaire serait renforcée.
Dans l’édition 2019 de son rapport annuel, la Commission européenne
notait que, concernant les crimes commis à l’occasion des conflits
qu’a connus l’ancienne Yougoslavie, les décisions judiciaires rendues
dans le passé comportaient des erreurs juridiques et révélaient
des insuffisances en matière d’application du droit international
humanitaire. La directrice nous a répondu que le CFJP était informé de
ce constat et étudiait la question.
77. Selon certains juges que nous avons rencontrés, grâce aux
efforts déployés pour améliorer la formation des magistrats, le
niveau de professionnalisme des nouveaux juges et procureurs est
bien plus élevé aujourd’hui qu’il y a 10 ans. En outre, il convient
de noter que, s’agissant de l’exécution des arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme, aucune affaire monténégrine ne fait l’objet
d’une procédure de surveillance soutenue.
78. Concernant l’efficacité du système judiciaire, en 2018, le
nombre d’affaires en souffrance a diminué de 4,5 %, pour s’établir
à 38 970, tandis que le nombre d’affaires pendantes depuis plus
de trois ans a baissé de 4 %, pour s’établir à 3 081. C’est une
tendance continue qui mérite d’être saluée. L’intervalle moyen entre
le dépôt d’une demande et la décision de justice a aussi enregistré
une baisse encourageante : 178 jours pour une procédure civile en
première instance en 2018, contre 295 jours en 2017.
79. Nous avons discuté de la fonction d’huissier de justice, qui
a été introduite récemment au Monténégro, étant donné que l’Union
européenne a souligné que l’exécution des décisions judiciaires
reste problématique. Les autorités monténégrines sont bien conscientes
des insuffisances du système actuel mais ont rappelé qu’elles avaient
dû l’élaborer en partant pratiquement de zéro. Elles travaillent
maintenant sur la question de la responsabilité de cette profession,
en coopération avec l’Union européenne. Dans son document non officiel de
novembre 2019, la Commission européenne s’est félicitée des inspections
conjointes des études d’huissiers de justice, qui se sont révélées
satisfaisantes.
«13.1.3. renforcer le statut et les moyens
du procureur général suprême nouvellement élu, qui doit être tenu
responsable de la présentation au tribunal d’affaires motivées par
des actes d’accusation solides et argumentés»
80. Nous n’avons malheureusement pas pu rencontrer le procureur
général suprême. Aucune information ne nous a conduits à penser
que son statut et ses moyens n’auraient pas été renforcés, comme
cela est préconisé au paragraphe 13.1.3. de la
Résolution 2030 (2015). Notre attention a cependant été attirée sur le fait
que «l’affaire de l’enveloppe» avait des répercussions sur le parquet
général suprême (PGS) : le 8 octobre 2019, le Conseil des procureurs
a décidé de maintenir provisoirement M. Ivica Stanković à son poste après
l’expiration de son mandat, en tant que procureur général suprême
par intérim, jusqu’à l’élection de son successeur. Un membre du
Conseil des procureurs a également annoncé qu’une enquête serait
menée sur les allégations faites par M. Duško Knežević, qui a affirmé
avoir versé des pots-de-vin au PGS pour que celui-ci cesse d’enquêter
sur des clients étrangers de la banque Atlas, dont M. Knežević était
propriétaire
.
81. Concernant une autre question, liée à la transmission de documents
par le PGS à la commission de suivi des actions des autorités compétentes
dans l’instruction des affaires de menaces et de violences envers
des journalistes, d’assassinats de journalistes et de dégradation
de biens appartenant à des médias, nous avons appris que le PGS
avait attendu neuf mois avant de répondre aux demandes répétées
de cette commission dans l’affaire de la journaliste Mme Olivera
Lakić, ce qui constitue un précédent regrettable.
3.2. Position
des corapporteurs et conclusions à propos de l’indépendance du pouvoir
judiciaire
82. De manière générale, nous estimons
que le Monténégro a fait de réels progrès et qu’il est désormais mieux
préparé à affronter l’avenir. Ses magistrats sont mieux formés et
le cadre juridique mis en place en coopération avec la Commission
de Venise après l’adoption des amendements constitutionnels de 2013 semble
relativement conforme aux normes européennes. Cela dit, une marge
de progression est encore possible
,
afin que les recommandations de la Commission de Venise puissent
être prises en compte. Les autorités monténégrines le reconnaissent
d’ailleurs elles-mêmes. En particulier, les règles concernant les «membres
non judiciaires» du Conseil de la magistrature pourraient être améliorées.
83. Dans le cadre de certains litiges, l’État de droit prévaut.
Cela semble avoir été le cas en décembre 2018, par exemple, lorsque
la Cour constitutionnelle a annulé des mandats d’arrêt émis contre
deux membres du Parlement monténégrin, M. Medojević et M. Knežević,
qui avaient été arrêtés sans que leur immunité parlementaire eût
été levée; la Cour constitutionnelle ne s’est cependant pas prononcée
sur la question de l’immunité parlementaire. Le principe de la prééminence
du droit semble aussi avoir été respecté en 2018, lorsque des tribunaux
de première instance et la Haute cour de Podgorica ont osé annuler
des décisions très sensibles prises par le parlement, qui concernaient
la révocation de membres du conseil d’administration du RTCG et
de son ancien président; les décisions de ces juridictions ont toutefois
été annulées par la Cour suprême en juin 2019. L’on pourrait également
dire que la Cour d’appel de Podgorica a montré que le Monténégro
est un État de droit lorsqu’elle a annulé, en octobre 2019, le jugement
de première instance qui avait condamné M. Jovo Martinović, un journaliste
d’investigation qui travaillait sur le trafic d’armes, à 18 mois d’emprisonnement
pour trafic de drogue et participation à une association de malfaiteurs.
84. En revanche, des signaux négatifs concernant la transparence
des procédures de recrutement et de nomination des juges ont récemment
été envoyés dans une société où le système judiciaire est perçu
comme vulnérable à l’influence politique et où la taille réduite
des professions judiciaires peut être considérée comme favorisant
l’esprit de corps.
85. Ainsi que la Commission européenne l’a souligné dans son rapport
annuel de 2019, avec 51 juges et 17 procureurs pour 100 000 habitants,
le Monténégro se situe bien au-dessus de la moyenne européenne (qui est
de 21 juges et de 11 procureurs). Le pays ne manque donc pas de
magistrats. Par conséquent, il faudrait se concentrer sur le changement
de culture, qui suppose l’instauration de nouvelles procédures et
une réelle volonté de soutenir le processus de réforme. Il s’agirait
notamment :
- de respecter l’esprit
des changements constitutionnels concernant la limite des deux mandats
pour les présidents de juridiction,
- d’augmenter la transparence des procédures de recrutement
et de nomination des magistrats,
- d’améliorer la mise en œuvre du code de déontologie et
de la responsabilité disciplinaire des magistrats.
4. La
confiance dans le processus électoral
86. Compte tenu des tensions politiques
actuelles au Monténégro et du déroulement des dernières élections générales,
avec un prétendu coup d’état le jour du scrutin, il est primordial
que les prochaines élections générales prévues en 2020 soient considérées
comme libres et équitables et que leurs résultats soient incontestables
pour la plupart, voire la totalité, des acteurs politiques. Par
conséquent, la manière dont les élections vont se tenir est probablement
aussi importante que le contenu de la réforme électorale elle-même.
87. Le Conseil de l’Europe, et notamment les corapporteurs de
l’Assemblée, ainsi que l’Union européenne, n’ont cessé de plaider
pour qu’une révision complète et inclusive du cadre juridique électoral
intervienne suffisamment en amont des prochaines élections. Malheureusement,
le boycott du parlement par certains partis de l’opposition a rendu
difficile l’amélioration de la législation en la matière au niveau
attendu.
4.1. Conditions
fixées par la Résolution
2030 (2015) et faits nouveaux intervenus dans ce domaine
88. La
Résolution 2030 (2015) énumère cinq conditions en matière de confiance dans
le processus électoral. Elles concernent le financement des campagnes
électorales et l’utilisation des ressources administratives durant
ces campagnes, les listes électorales informatisées, le processus
électoral au niveau local, la reconnaissance de la nationalité monténégrine
et les recommandations du Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l’homme de l’OSCE (BIDDH) et de la Commission de
Venise.
«13.2.1.
mettre en œuvre la loi relative au financement des entités politiques
et des campagnes électorales, y compris les réglementations sur
l’utilisation des ressources administratives lors des campagnes
électorales»
89. Comme l’a démontré «l’affaire de l’enveloppe», la loi relative
au financement des entités politiques et des campagnes électorales,
qui a été modifiée en profondeur en 2014 et pour la dernière fois
en 2017, a eu un effet limité sur la prévention et la répression
des dons illicites. Le rôle et les compétences de l’APC créée en
2016, qui est chargée de contrôler les fonds et les dépenses de
l’ensemble des partis, ont été mis en cause par la commission ad
hoc du Bureau de l’Assemblée pour l’observation des élections législatives
en 2016, car cette instance «n’est pas parvenue à garantir suffisamment
de transparence pour les activités préélectorales et les dépenses
des partis»
. Ces doutes ont été exprimés
une nouvelle fois par la commission ad hoc du Bureau pour l’observation
de l’élection présidentielle en 2018: «Le système de financement
des partis politiques et des candidats à la présidentielle semble
très généreux comparé aux salaires et aux pensions financés par
le budget d’État du Monténégro. Comme ce fut le cas lors des élections
précédentes, les candidats ont généralement omis de déclarer les
dons en nature et l’APC n’a pas réagi de manière appropriée et efficace
à ce manquement aux règles. De nombreux interlocuteurs de la commission
ad hoc ont mis en doute l’impartialité de l’Agence et émis des critiques
concernant son fonctionnement et sa transparence ainsi que sa réticence
à coopérer avec les organisations de la société civile en ne publiant,
ou en ne leur communiquant, aucune information»
.
90. L’absence d’efficacité du cadre juridique qui régit le financement
semble d’autant plus préjudiciable que les candidats qui ne sont
pas membres du parti au pouvoir ont apparemment disposé de ressources
limitées pendant la campagne présidentielle de 2018
. En outre, il ne permet
pas de conjurer l’utilisation abusive des ressources administratives
à laquelle le parti au pouvoir qui a gouverné pendant 20 ans a parfaitement
pu se livrer. Dans son rapport consacré à l’élection présidentielle
de 2018, la commission ad hoc a fait remarquer que «des allégations
crédibles d’achat de voix, de recrutement d’agents publics en période
électorale et de pressions exercées sur les électeurs, des caractéristiques
malheureusement récurrentes des élections au Monténégro, ont ébranlé
la confiance des électeurs dans le processus électoral»
. En 2016, la Commission de
Venise et le BIDDH de l’OSCE ont publié des Lignes directrices conjointes
visant à prévenir et à répondre à l’utilisation abusive de ressources
administratives pendant les processus électoraux, qui pourraient
être utiles aux autorités monténégrines.
«13.2.2. mener à bien la
constitution de listes électorales informatisées et veiller à leur
bonne utilisation lors des scrutins à venir»
91. La constitution de listes électorales électroniques a été
réalisée et leur mise à jour est assurée par le ministère de l’Intérieur.
En 2015, les corapporteurs ont indiqué que 25 000 citoyens ne possédaient
pas de pièce d’identité biométrique, alors même que celle-ci était
indispensable pour pouvoir voter
. Cette question semble
avoir été réglée.
92. En 2016, la commission ad hoc du Bureau a été impressionnée
par l’efficacité du nouveau système d’identification électronique
des électeurs (Système de reconnaissance automatique des empreintes
digitales – AFSIS), dont elle a recommandé l’adoption par les autres
États membres. Toutefois, quelques petites améliorations proposées
par les ONG, le Centre pour le suivi et la recherche (Cemi) et le
Centre pour des élections démocratiques (CDT), pourraient lui être
apportées.
93. Le registre électoral reste une source de préoccupation pour
plusieurs ONG et partis d’opposition. En 2016, le ministre de l’Intérieur
de l’époque, qui appartenait à l’opposition, a refusé de signer
le registre électoral car il le jugeait inexact. En 2016 et 2018,
les commissions ad hoc du Bureau et du BIDDH de l’OSCE ont mentionné
les allégations formulées par les ONG et l’opposition, qui affirmaient
que le registre électoral comportait des électeurs décédés et des
électeurs qui vivaient à l’étranger. La commission ad hoc du Bureau a
indiqué en 2018 que le corps électoral représentait plus de 80 %
de la population, chiffre relativement élevé
. Dans son rapport final
sur l’observation de l’élection présidentielle de 2018, le BIDDH
de l’OSCE faisait remarquer que, malgré les efforts déployés par
le ministère de l’Intérieur pour renforcer la transparence du registre
électoral en procédant à des vérifications croisées, en publiant
les données en ligne et en adressant des messages aux citoyens pour
les informer de la vérification des listes électorales et de l’emplacement
des bureaux de vote, l’exactitude du registre électoral a été remise
en cause par les ONG et l’opposition. Mais aucun élément de preuve
n’a été remis au BIDDH et aucune plainte n’a été déposée.
94. Nous avons évoqué cette question avec les représentants de
la société civile, qui ont confirmé que le registre électoral avait
été véritablement amélioré et qu’il était mis à jour par le ministère
de l’Intérieur de manière professionnelle. Ils ont toutefois souligné
que ce registre était établi sur la base d’autres registres, notamment
le registre de résidence qui était le plus préoccupant
. En
2014, l’ONG «Centre pour la transition démocratique» a proposé de
vérifier ce registre. Cette proposition a été rejetée par le parti
d’opposition Front démocratique et par le PDS.
95. En notre qualité de corapporteurs, nous estimons que cette
vérification ne pourrait que contribuer à restaurer la confiance
dans le processus électoral et à compléter les indéniables progrès
réalisés dans ce domaine.
«13.2.3. prendre des mesures pour associer
pleinement les collectivités locales et les responsables politiques
locaux à l’instauration de la confiance vis-à-vis du processus électoral au
niveau local»
96. Au Monténégro, les élections locales n’ont pas toutes lieu
au cours d’un même jour de scrutin, mais par roulement. En 2018,
les élections locales ont été organisées dans 13 communes. Selon
nous, deux mesures pourraient être prises pour que le Monténégro
se conforme à ses obligations en la matière.
97. Premièrement, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
du Conseil de l’Europe n’a jamais été invité à observer une élection
locale au Monténégro. Il pourrait sans aucun doute être invité à
le faire.
98. Deuxièmement, la réforme électorale devrait inclure les élections
locales, en respectant les recommandations du Congrès. Dans une
situation similaire qui se présentait en Arménie, le Congrès avait déclaré
dans son rapport d’observation que l’éparpillement des scrutins
locaux partiels était peu pratique, contribuait à réduire l’attention
accordée à chaque scrutin, était source de confusion pour les électeurs
et, de manière générale, nuisait à l’attention accordée par le public
aux élections locales. Il proposait que les élections locales aient
lieu le même jour et au moins à six mois de distance des élections
législatives, afin de sensibiliser l’opinion publique aux questions
qui présentent une importance sur le plan local
.
99. Nous sommes convaincus que les élections locales pourraient
contribuer à rétablir la confiance dans le processus électoral,
car, comme nous l’avons déjà indiqué, il existe une véritable compétition
politique à ce niveau. En outre, les partis membres de l’opposition
parlementaire dirigent plusieurs villes importantes et sont membres
de coalitions locales. Il importe donc de ne pas oublier le niveau
local.
«13.2.4.
adopter une loi qui facilite la reconnaissance de la citoyenneté
monténégrine conformément à la Résolution 1989 (2014) de l’Assemblée
sur l’accès à la nationalité et la mise en œuvre effective de la
Convention européenne sur la nationalité»
100. Cette exigence ne figurait pas dans le projet de résolution
présenté devant l’Assemblée en 2015, mais a été ajoutée au moyen
d’un amendement, qui a ensuite fait l’objet d’un sous-amendement
dans l’hémicycle. La commission de suivi y était favorable. Au départ,
l’amendement ne devait pas faire partie de la feuille de route du
Monténégro, mais il y a été intégré par le biais du sous-amendement.
101. Le lien entre ce paragraphe et la confiance dans les élections
n’est cependant pas totalement évident et plus indirect que les
autres. Le Monténégro est l’un des rares États membres à avoir signé
et ratifié la Convention européenne sur la nationalité (
STE
n°166) en 2010. Il l’a fait en formulant une réserve à propos
de l’article 16 (Conservation de la nationalité précédente), qui
stipule: «Un État Partie ne doit pas faire de la renonciation ou
de la perte d’une autre nationalité une condition pour l’acquisition
ou le maintien de sa nationalité lorsque cette renonciation ou cette
perte n’est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée».
Il est vrai que le paragraphe 7 de la
Résolution 1989 (2014) précise que «(…) l’abandon de la nationalité d’origine
ne devrait pas être une condition préalable indispensable à l’acquisition
de la nationalité du pays d’accueil».
102. Nous avons évoqué cette question avec le président de la commission
permanente des droits de l’homme du parlement et nous lui avons
demandé, en soulignant le faible impact électoral de cette mesure,
si le Monténégro envisageait de procéder au retrait de sa réserve
sur l’article 16. Le président nous a répondu qu’il n’avait pas
connaissance d’une initiative prise par le gouvernement en ce sens
.
«13.2.5.
régler les problèmes en suspens soulignés dans les recommandations
du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme
de l’OSCE et de la Commission de Venise, notamment la question de
ramener de deux ans à six mois, comme pour les élections locales, l’exigence
constitutionnelle de résidence pour qu’un ressortissant puisse obtenir
le droit de vote»
103. Les recommandations suivantes sont les quatre recommandations
prioritaires les plus fréquemment formulées par les rapports du
BIDDH de l’OSCE
et
de la commission ad hoc du Bureau.
La condition de deux ans de résidence
n’est pas conforme aux normes européennes
104. Selon le BIDDH, la Constitution
monténégrine garantit aux citoyens le droit de vote s’ils ont résidé
dans le pays deux ans avant le jour du scrutin. La législation électorale
restreint encore le droit de vote aux seuls résidents pendant les
deux ans qui ont immédiatement précédé le jour du scrutin et n’autorise
pas le vote à l’étranger. L’inscription d’un candidat est soumise
à cette même condition de résidence. Le BIDDH de l’OSCE, les commissions
ad hoc du Bureau de l’Assemblée et la Commission de Venise ont constamment
critiqué cette condition. Elle est en particulier contraire aux
principes énoncés par le Code de bonne conduite en matière électorale
de la Commission de Venise, qui indique que la condition de durée
de résidence peut uniquement être imposée aux ressortissants nationaux
pour les élections locales ou régionales
.
Absence de date clairement définie
de début de la campagne électorale
105. La législation ne précise pas
quand débute officiellement la campagne électorale. Elle indique uniquement
que le droit à un temps d’antenne gratuit sur le radiodiffuseur
public commence à compter de l’enregistrement du candidat par la
Commission électorale nationale (CEN). Cette imprécision est source
de confusion pour la date d’applicabilité de la réglementation relative
à la campagne et brouille le calendrier du contrôle du financement
de la campagne, des restrictions imposées aux responsables publics
en matière de campagne électorale ou de l’égal accès des candidats
à l’acquisition d’espaces publicitaires dans les médias privés.
En outre, d’après le BIDDH, l’absence de mécanisme de sanction permet
de faire campagne plus tôt.
L’impartialité et l’obligation
de rendre des comptes de la CEN devraient être renforcées
106. Il convient d’y procéder avant
tout en autorisant l’accès des médias aux réunions de la CEN, ce
qui n’est pas le cas. Il serait également utile d’imposer à la CEN
de publier tous les documents pertinents en temps utile, y compris
ses décisions, surtout lorsqu’elles comblent le vide de la réglementation
électorale.
Favoriser l’indépendance du RTCG
et de l’AME
107. Le radiodiffuseur public (RTCG),
qui est financé par le budget national, gère trois chaînes de télévision et
deux stations de radio. Malgré l’existence de garanties légales
d’indépendance, le radiodiffuseur public n’échappe pas à l’influence
politique, selon le BIDDH. Fin 2017, le parlement a pris la décision
controversée de remplacer plusieurs membres du Conseil du RTCG et
un membre du régulateur des médias, l’AME, en raison de conflits
d’intérêts constatés par l’APC. Le 20 mars 2018, soit avant l’élection
présidentielle du mois d’avril, le nouveau Conseil du RCTG a remplacé
sa présidente. Le BIDDH considère que ces révocations anticipées
remettent directement en cause l’autonomie et l’indépendance du
RTCG et de l’AME. Il importe donc que la réforme électorale tienne
compte des moyens de protéger les membres du conseil d’administration de
ces instances de toute influence indue de la part des responsables
politiques et que les révocations prématurées soient uniquement
autorisées dans un nombre limité de situations.
4.2. Comment
procéder à la réforme électorale: la question de la commission parlementaire
ad hoc
108. Le 30 octobre 2018 a été créée,
au sein du parlement, la Commission provisoire pour la poursuite
de la réforme de la législation électorale et autre. Le deuxième
groupe politique le plus important de l’opposition parlementaire,
le DCG, a uniquement commencé à prendre part à ses travaux en septembre 2019,
pendant notre visite d’information, alors que les autres groupes
de l’opposition y participaient déjà auparavant. En juillet 2019,
le parlement a décidé d’étendre le mandat de cette commission, qu’il
a rebaptisée «Commission pour la réforme générale de la législation
électorale et autre» (ci-après «Commission de la réforme générale»). Ses
sept groupes de travail ont couvert la quasi-totalité des questions
prioritaires examinées dans le présent rapport, à l’exception de
la lutte contre la corruption. Par exemple, le groupe de travail
no 1 était en charge des élections locales,
le groupe de travail no 2 portait sur
le registre électoral, le groupe de travail no 4
traitait de la loi relative aux médias et de la loi relative au
RTCG, tandis que le groupe de travail no 5
s’occupait de la législation relative au financement des entités
politiques et des campagnes électorales. L’objectif était de permettre
à la Commission de la réforme générale de proposer des projets de
loi qui devaient être adoptés avant les élections générales de 2020.
Son mandat a été prolongé jusqu’au 18 décembre 2019.
109. Afin de garantir davantage le caractère inclusif du processus,
le PDS a accepté le 29 juillet 2019 que les amendements proposés
par la Commission de la réforme générale soient adoptés à la majorité
des quatre cinquièmes, au lieu de la majorité précédente des deux
tiers. Cet engagement et l’intervention de l’ambassadeur européen
ont facilité la participation du DCG, qui boycottait le parlement
depuis le mois d’octobre 2016.
110. Malheureusement, le 10 décembre 2019, le DCG a quitté la Commission
de la réforme générale et demandé au gouvernement de retirer le
projet de loi d’alors sur la liberté de religion. Sans la participation
du DCG, le quorum n’a pas été atteint et la Commission de la réforme
générale n’a pas été en mesure d’accomplir sa mission avant la fin
de son mandat fixée au 18 décembre. Le parlement a toutefois adopté
des amendements, qui n’exigeaient pas une majorité des deux tiers,
portant modification de quatre lois : la loi sur le financement
des entités politiques et des campagnes électorales, la loi sur
le Code pénal, la loi sur l’organisation territoriale et la loi
sur les listes électorales. Le 9 janvier 2020, le PDS a appelé l’opposition
à relancer le dialogue sur la réforme électorale, mais les groupes
de l’opposition, à savoir le FD, le DCG et le SDP, ont rétorqué
que les amendements avaient été adoptés après qu’ils avaient décidé
de quitter la Commission de la réforme générale. Au moment de la
rédaction du présent rapport, les amendements aux quatre lois n’avaient
pas fait l’objet d’un examen formel, ni par le Conseil de l’Europe,
ni par l’OSCE.
111. D’autre part, le PDS a répété qu’il ne saurait être question
de constituer un gouvernement technique. Cette déclaration revêt
une grande importance, puisqu’il s’agissait du moyen choisi pour
organiser les précédentes élections générales en 2016. En avril 2016,
les partis politiques représentés au parlement avaient signé un
Accord de création des conditions propices à des élections libres
et équitables, qui a été appliqué comme une loi et autorisait la
formation d’un gouvernement de transition chargé de préparer les
élections. L’accord appelait également à la démission du directeur
et des rédacteurs en chef du radiodiffuseur public, ainsi qu’à l’entrée
de membres de l’opposition au gouvernement, à des postes ministériels
comme le ministère de l’Intérieur et le ministère des Finances.
Cet effort louable d’atténuer la confrontation directe entre la
majorité au pouvoir et l’opposition et de renforcer la confiance
des citoyens dans les résultats des élections a été ruiné par les
allégations de fraude électorale avancées par l’opposition, le refus
de cette dernière de reconnaître le résultat des élections, ainsi
que par la tentative de coup d’état intervenue le jour du scrutin.
112. Au cours de notre visite, les représentants de la majorité
ont réitéré leur opposition à la constitution d’un gouvernement
technique avant les élections générales, considérant qu’ils y avaient
déjà consenti en 2016, ce qui n’avait pas empêché l’ensemble de
l’opposition de refuser les résultats des élections et de boycotter
le parlement. Les représentants de l’opposition nous ont tous assuré
que la constitution d’un gouvernement technique était un préalable
indispensable pour qu’ils prennent part aux prochaines élections
générales.
113. Le Monténégro a déjà connu plusieurs tentatives de révision
de son cadre électoral conformément aux recommandations du BIDDH
de l’OSCE, en 2014 et 2017. À chaque fois, une commission parlementaire
ad hoc avait été créée et la présence de l’opposition était exigée.
Mais dans les deux cas, faute de la majorité requise en raison du
boycott du parlement par l’opposition, les propositions établies
n’ont été examinées ou adoptées qu’en partie seulement, voire pas
du tout. Le cadre juridique risque également de ne pas être révisé pour
les élections générales de 2020. Cette situation serait surtout
préjudiciable à la confiance des citoyens dans le système électoral.
En revanche, la majorité et l’opposition pourraient choisir de maintenir
le cadre actuel, qui reste très perfectible ; la majorité affirmant
que la réforme est bloquée par l’opposition, cette dernière se plaignant
de l’impossibilité de la tenue d’élections libres et équitables.
114. C’est précisément ce qu’il convient d’éviter et la raison
pour laquelle nous avons indiqué dans la déclaration que nous avons
publiée à l’issue de notre mission que « pour le Conseil de l’Europe
et la communauté internationale, ce processus [de réforme électorale]
fournira également une indication du degré de maturité du dialogue
politique au Monténégro. L’occasion est donnée à la coalition au
pouvoir et à l’ensemble de l’opposition de démontrer qu’elles sont
capables de négocier dans le cadre parlementaire, qui représente
la tribune adéquate du dialogue politique, indépendamment des graves
dissensions qui existent entre les parties prenantes ».
4.3. Position
des corapporteurs et conclusions à propos de la confiance dans le
processus électoral
115. En dehors des listes électorales,
aucun progrès n’a été réalisé dans la mise en œuvre des conditions fixées
par la
Résolution 2030
(2015), depuis 2015. En l’absence d’une évaluation satisfaisante
des modifications apportées aux quatre lois et vu qu’il est probable
que la Commission de la réforme générale ne reprenne pas ses travaux
en mars 2020, il nous apparaît clairement que la manière dont les
prochaines élections générales vont se dérouler constituera un élément
essentiel qui déterminera l’avenir du dialogue postsuivi avec le
Monténégro.
5. La
lutte contre la corruption
116. Dans sa
Résolution 2030 (2015), l’Assemblée faisait remarquer que, malgré les nombreuses
politiques appliquées pour éradiquer la corruption, cette dernière
demeurait très largement répandue et qu’il convenait de lutter davantage
contre celle-ci. Dans leur note d’information de 2017, les rapporteurs
soulignaient le faible bilan des enquêtes, des poursuites et des
condamnations définitives dans le domaine de la lutte contre la corruption.
Dans son évaluation annuelle de 2019, la Commission européenne déclarait
que, dans l’ensemble, la corruption régnait dans de nombreux domaines,
qu’elle demeurait un sujet de préoccupation, qu’une volonté politique
résolue était indispensable pour lutter efficacement contre ce fléau
et que la justice pénale devait réprimer vigoureusement la corruption
à haut niveau.
5.1. Conditions fixées par la Résolution 2030 (2015) et faits nouveaux intervenus dans ce domaine
117. La
Résolution 2030 (2015) énumère quatre conditions relatives au cadre juridique
de la prévention de la corruption, au procureur spécial pour la
corruption (ou «procureur spécial»), à l’établissement d’une liste
des affaires de haut niveau et aux recommandations du GRECO.
«13.3.1.
mettre en œuvre la loi sur la prévention de la corruption et la
loi sur la prévention des conflits d’intérêts; confier à la future
agence pour la prévention de la corruption la mise en œuvre de politiques
de prévention efficaces et lui accorder tous les moyens nécessaires
pour contrôler efficacement le financement des partis politiques
et des campagnes électorales» ;
118. Depuis 2016, l’Agence de prévention de la corruption (APC)
est en charge du recensement et de la prévention des conflits d’intérêts
dans l’exercice des fonctions publiques, de la protection des donneurs d’alerte,
du contrôle du financement des entités politiques et des campagnes
électorales et de la régulation du lobbying. Elle compte 45 agents.
119. En dehors des critiques formulées par plusieurs ONG au sujet
de la manière dont l’APC a réagi lors de «l’affaire de l’enveloppe»,
cette instance n’a traité aucune affaire relative à l’abus de ressources
publiques par les partis et lors des campagnes électorales au cours
de trois années d’une intense période de scrutins (élections générales,
élection présidentielle et plusieurs élections locales). L’APC semble
pouvoir se targuer de peu de résultats dans l’ensemble de ses domaines
d’activité, à l’exception de ceux relatifs aux incompatibilités
de fonctions et aux conflits d’intérêts.
120. Mais c’est précisément dans sa gestion des conflits d’intérêts
que l’APC a fait l’objet de vives critiques, pour avoir offert la
possibilité au parlement de voter la destitution de membres et de
la présidente du RTCG en 2017. En juin 2018, l’APC a été une nouvelle
fois critiquée pour avoir proposé que le parlement soit saisi des allégations
de conflit d’intérêts qui visaient l’un des membres de son conseil
d’administration, Mme Vanja Ćalović Marković, issue de la société
civile et directrice exécutive de l’ONG MANS.
121. Bien que 95 % des agents publics aient remis leurs déclarations
de revenus et de patrimoine de 2017-2018 en temps utile, seuls 10
membres du gouvernement ont volontairement consenti à ce que l’APC
accède à leur compte bancaire pour vérifier les informations fournies
dans leurs déclarations de revenus et de patrimoine.
122. En 2018, l’APC a ouvert 30 procédures d’enrichissement sans
cause, sans constater d’irrégularités dans 28 d’entre elles.
123. Un grave problème d’accès à l’information s’est posé en 2018 :
les organismes publics, et notamment l’APC, classent de plus en
plus les documents qui leur sont demandés comme confidentiels, afin
de restreindre l’accès aux informations qu’ils contiennent. Cette
attitude est particulièrement préjudiciable dans les domaines propices
à la corruption et dans les secteurs où d’importantes parts du budget
national ou du domaine public sont allouées. Cette tendance à restreindre
l’accès aux documents publics se manifeste également à l’occasion
des campagnes électorales: l’ONG MANS a critiqué le fait que l’Agence
ait indiqué que les contrats, les factures et les relevés bancaires
qui lui avaient été remis par les entités politiques à l’issue des
élections relevaient du secret des affaires; elle a également prétendu
que l’APC aurait même déclaré secrète sa propre décision, dans laquelle
elle concluait que le PDS avait enfreint la loi à l’occasion de
« l’affaire de l’enveloppe »
.
L’ONG a également reproché à l’Agence pour la protection des données
à caractère personnel et le libre accès à l’information d’avoir
rendu en avril 2018, lors de la campagne de l’élection présidentielle,
une décision concluant que les partis politiques n’étaient pas tenus
de donner suite aux demandes de libre accès à l’information, ce
qui limitait la portée du contrôle public du financement de la campagne
.
124. Nous avons abordé ces questions avec les représentants de
l’APC. Ils ont attiré notre attention sur le fait que l’APC n’était
pas une instance répressive, mais préventive. Cette nature est conforme
au choix fait par le législateur en 2016, qui aurait fort bien pu
être différent. Selon eux, les statistiques révèlent que les agents publics
doivent encore prendre conscience de la législation relative au
conflit d’intérêts. Pour ce qui est de «l’affaire de l’enveloppe»,
ils nous ont indiqué que l’APC avait déjà proposé des modifications
à apporter à la loi relative au financement des organismes publics
(42 recommandations), et qu’un certain nombre de ces recommandations
ont été prises en compte dans le projet de loi relative au financement
des entités politiques et des campagnes électorales, préparé par
la Commission de la réforme générale de la législation électorale et
autre. Les représentants de l’APC ont souligné que la sanction qu’elle
a infligée au PDS – restituer 47 500 euros au budget national et
s’acquitter d’une amende de 20 000 EUR – était la sanction maximale
autorisée par la loi et que les documents n’avaient pas été rendus
publics parce que cette affaire faisait partie d’une procédure pénale
et était en conséquence couverte par le secret qui régit ce type
de procédure.
125. Enfin, l’APC a clairement fait savoir que dans le cas du RTCG,
la procédure a été engagée par le parlement, qu’elle a mené son
enquête à l’égard de tous les membres du conseil d’administration
du radiodiffuseur public, et a conclu à une violation du règlement
relatif aux conflits d’intérêts pour sept des neuf membres. L’APC
a également précisé que lorsqu’elle établit un tel manquement, c’est
au parlement et non à elle qu’il appartient de décider d’appliquer
des sanctions administratives et, si tel est le cas, de les fixer.
126. Dans son document non officiel de novembre 2019, la Commission
européenne a souligné un fait nouveau intervenu en juillet 2019.
Le parlement a nommé les cinq membres qui composent le nouveau Conseil de
l’APC, dont deux issus de la société civile. L’interprétation des
critères d’éligibilité pour les membres du Conseil aurait conduit
à «exclure certains candidats compétents appartenant à des organisations
de la société civile».
«13.3.2. adopter la loi relative au procureur
spécial pour la corruption et le crime organisé, donner à cette
instance les ressources humaines et financières nécessaires, et
garantir la coordination avec les autres instances actives dans
le domaine de la corruption, de manière à ce que les affaires de
corruption soient dûment examinées dans les meilleurs délais»
127. Par rapport à 2015 et à la dernière visite effectuée par les
rapporteurs en 2017, les moyens alloués au Bureau spécial du ministère
public et à l’Unité spécialisée de la police ont été renforcés.
Le Bureau spécial du ministère public compte désormais 12 procureurs,
auxquels s’ajoutent deux autres procureurs provisoirement détachés.
34 postes sur les 37 prévus ont été pourvus. Pour ce qui est de
l’Unité spécialisée de la police, 32 postes ont été pourvus, contre
20 en 2017; le procureur spécial avait indiqué en 2017 aux corapporteurs qu’il
fallait un effectif de 50 fonctionnaires de police pour couvrir
l’ensemble du territoire.
128. En 2017, le procureur spécial s’était plaint de l’étendue
excessive de son mandat, en affirmant qu’il avait en charge l’engagement
de poursuites à l’encontre des auteurs de la criminalité organisée,
de la corruption à haut niveau, de blanchiment de capitaux, d’actes
terroristes et de crimes de guerre. Comme il s’y attendait, ses compétences
ont finalement été étendues aux infractions liées à la tentative
de coup d’état de 2016, qui a fait l’objet d’une enquête pour acte
terroriste. Il nous a indiqué qu’il était toujours favorable à une
définition plus étroite de la «corruption à haut niveau», de manière
à concentrer les moyens des services spécialisés du ministère public
sur la lutte contre la corruption des hauts fonctionnaires.
129. S’agissant de la coordination avec d’autres instances dans
le domaine de la corruption, la Commission européenne a insisté
sur le fait qu’à l’instar des années précédentes, la police et les
autres institutions de l’État continuaient à ne soumettre qu’un
petit nombre d’affaires au ministère public, tandis que celui-ci
n’avait été pratiquement saisi d’aucune affaire à l’issue d’enquêtes
officielles ou de la part d’instances de contrôle. Le Bureau spécial
du ministère public semble demeurer l’acteur clé de la lutte contre
la corruption.
130. En 2015, dans son Avis final concernant le projet de loi révisé
sur le Bureau spécial du ministère public, la Commission de Venise
regrettait que ses conclusions précédentes au sujet du projet de
loi n’aient pas été prises en compte dans les rapports entre le
procureur spécial et la police (l’Unité spécialisée de la police)
. En particulier, le fait
que l’engagement de procédures disciplinaires, en cas de non-exécution
de l’ordre donné par le procureur spécial, continue de relever du
chef de la police et non du procureur «fait douter de l’efficacité de
ces procédures»
. Dans son Avis intérimaire,
la Commission de Venise recommandait de détacher des fonctionnaires
de l’Unité spécialisée de la police auprès du Bureau spécial du
ministère public et qu’ils exercent dans ce cadre leurs activités
en tant qu’unité de police judiciaire sous l’autorité exclusive
du procureur spécial en chef
. Nous avons eu confirmation
du fait qu’il n’existait aucun projet de détachement des agents
de l’Unité spécialisée de la police, mais le procureur spécial en
chef nous a assuré que les agents de cette unité exerçaient véritablement
leurs activités sous son étroit contrôle. Dans son document non
officiel de novembre 2019, la Commission européenne a laissé entendre
qu’à la suite d’une restructuration importante de la Direction de
la police, le procureur spécial a conservé le droit de nommer le
chef de l’Unité spécialisée de la police, mais qu’il ne désigne
pas son supérieur. Elle conclut que ce niveau hiérarchique nouveau
entre le Bureau spécial du ministère public et l’Unité spécialisée
de la police introduit un risque de contrôle de fait accru du pouvoir
exécutif dans les enquêtes sur les affaires de criminalité organisée.
131. Bien que les ressources humaines du Bureau spécial du ministère
public aient été renforcées, la Commission européenne précise dans
son document que les faibles conditions salariales des experts qui assistent
les procureurs n’ont pas été revues, ajoutant que les locaux abritant
le Bureau sont toujours en piteux état.
«13.3.3. établir une liste
des affaires de haut niveau, veiller à la pleine application de
la loi et permettre aux tribunaux de prononcer des décisions définitives»
132. En 2019, la Commission européenne a indiqué qu’un bilan initial
des enquêtes, des poursuites et des condamnations définitives dans
les affaires de corruption avait été établi, mais que des mesures
résolues devaient encore être prises pour en consolider les résultats.
Les ONG se sont montrées plus critiques. Dans une étude consacrée
aux affaires de corruption jugées de 2013 à 2018, MANS critique
les statistiques officielles de la lutte contre la corruption, qu’elle
juge peu fiables; elle signale que seules deux condamnations définitives
pour corruption ont été prononcées à l’automne 2018, que de rares
poursuites ont été engagées à l’encontre d’agents publics et que
la proportion d’agents publics poursuivis est de loin la plus faible
de toutes les poursuites engagées pour corruption
.
133. Le procureur spécial et le représentant du ministère de la
Justice sont en désaccord avec l’évaluation faite par l’Union européenne.
Le procureur spécial nous a présenté un rapport complet sur ses
activités et a souligné qu’il devait traiter des affaires de criminalité
internationale. Le représentant du ministère de la Justice a également
regretté que l’affaire des «Frères Šarić»
ait
fait passer le «bilan initial» des services spécialisés du ministère
public au second plan. Cette affaire est régulièrement citée par
plusieurs ONG comme exemple de l’échec de la lutte contre la corruption.
Selon les autorités monténégrines, depuis 2015 les affaires de corruption
relèvent de la compétence de la Haute Cour de Podgorica. Fin 2017,
la Cour avait rendu 40 arrêts dans des affaires de corruption de
haut niveau, dont 31 étaient définitifs. En 2018, 20 affaires pénales
de corruption de haut niveau ont été résolues, parmi lesquelles
huit ont fait l’objet d’un jugement, dont quatre devenus définitifs.
Sur ces quatre jugements, la juridiction compétente a prononcé trois
acquittements et une condamnation a été obtenue par la procédure
de plaider-coupable.
134. Les corapporteurs estiment que l’évaluation de la condition
fixée par le paragraphe 13.3.3. de la
Résolution 2030 (2015) est plus difficile que celle des autres conditions.
Alors que les recommandations adressées par MONEYVAL ou le GRECO
consistent principalement à adopter une législation ou une réglementation
et à en contrôler la mise en œuvre, ce qui est assez facile à vérifier,
l’évaluation de l’établissement d’une liste des affaires de haut
niveau est plus difficile. Elle suppose de choisir et de définir
des critères pertinents (nombre d’affaires, nombre de condamnations,
types de condamnation, volume des avoirs gelés, par exemple), ainsi
que de parvenir à vérifier la liste officielle présentée par les
autorités nationales, qui concerne souvent des affaires complexes.
Les corapporteurs ne sont pas suffisamment armés pour cela. Nous avons
cependant constaté que les services spécialisés du ministère public
ont commencé à exercer leurs activités il y a deux ans à peine.
Nous sommes bien conscients de l’issue de certaines affaires, comme
celles des «Frères Šarić», de «Limenka»
ou «Carine»
,
mais nous avons constaté que plusieurs nouvelles affaires avaient
été ouvertes depuis 2018, comme celle qui concerne la privatisation
des hôtels Avala, à Budva, et Bianka, à Kolasin.
135. Dans son rapport non officiel de novembre 2019, la Commission
européenne a souligné que la participation soutenue du Monténégro
à la coopération policière internationale a permis de mener avec
succès un certain nombre d’opérations. Elle a toutefois déclaré
que «le système de justice pénale semble généralement faire preuve
de clémence, avec des peines, des amendes et des recouvrements des
avoirs disproportionnellement faibles par rapport à la gravité du
crime».
136. Dans son rapport de 2019, la Commission européenne a tenu
compte des critiques récurrentes formulées par les ONG au sujet
du grand nombre d’affaires qui aboutissent à une transaction pénale
selon la procédure du plaider-coupable et à des peines clémentes.
En mai 2019, le procureur spécial a annoncé que les transactions
pénales ne seraient désormais plus conclues. Dans l’affaire du groupe
criminel de Budva, qui a été mentionnée par les rapporteurs en 2015
, MANS a rappelé que les
services spécialisés du ministère public «consentaient le plus souvent
à infliger une peine de six mois d’emprisonnement pour des infractions pénales
passibles d’une peine de 2 à 10 ans d’emprisonnement et dont la
commission avait rapporté un bénéfice de plusieurs millions de dollars»
.
Les représentants de la société civile nous ont expliqué que le recours
extrêmement fréquent à la transaction pénale par les services spécialisés
du ministère public s’expliquait par le fait qu’elle permettait
de procéder à une saisie rapide des produits du crime et qu’elle
offrait parfois le meilleur moyen de surmonter les difficultés de
l’application de la législation relative à la lutte contre le blanchiment
de capitaux, dont la preuve était difficile à apporter.
137. Les autorités monténégrines nous ont indiqué qu’elles étaient
bien conscientes des lacunes de leur système de gel des avoirs et
que celui-ci faisait l’objet d’une évaluation menée par un expert
allemand, qui avait la possibilité de proposer des réformes.
«13.3.4.
poursuivre la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’États
contre la corruption (GRECO) liées aux troisième et quatrième cycles
d’évaluation, qui portent sur la pénalisation, le financement des
partis politiques, les parlementaires et la justice»
138. S’agissant du Troisième Cycle d’Évaluation, qui porte sur
les incriminations et la transparence du financement des partis
politiques, le GRECO a conclu dans son Deuxième Rapport de Conformité
publié le 19 janvier 2015
que 12 des 14 recommandations avaient
été mises en œuvre de façon satisfaisante ou traitées de manière
satisfaisante. Les deux recommandations restantes avaient été partiellement
mises en œuvre. La première (recommandation iv.) préconisait la
mise en place de dispositions et instructions claires sur l’utilisation
des ressources publiques pour les activités des partis et les campagnes
électorales. Le GRECO a souligné que les dispositions n’avaient
pas été suffisamment assorties de dispositifs d’application précis,
tant sur le plan des autorités compétentes que des sanctions prévues.
La deuxième (recommandation vi.) prévoyait de conférer à un organe
l’indépendance adéquate et les moyens nécessaires au contrôle du
financement des partis politiques et des campagnes électorales.
Le GRECO a estimé que, compte tenu de l’abus des ressources administratives
constaté lors de l’élection présidentielle de 2013 et des élections
municipales de 2014, il ne pouvait que se montrer prudent au sujet
de l’efficacité des mécanismes de surveillance du financement des
partis politiques. Bien que le cadre législatif ait été amélioré
depuis cette évaluation, le constat est identique aux évaluations
faites plus récemment par les corapporteurs, les commissions ad
hoc du Bureau de l’Assemblée et l’Union européenne. L’APC a élaboré
des lignes directrices concernant l’utilisation des ressources publiques
dans le cadre des campagnes électorales et considère que les deux
autres recommandations du GRECO ont été pleinement mises en œuvre.
139. Pour ce qui est du Quatrième Cycle d’Évaluation sur la prévention
de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs,
le GRECO a conclu dans son Deuxième Rapport de Conformité publié
le 6 février 2020
que 8 des 11 recommandations avaient
été mises en œuvre de façon satisfaisante, qu’1 avait été partiellement
mise en œuvre et que 2 n’avaient pas encore été mises en œuvre.
140. La recommandation i. (partiellement mise en œuvre) visait
à garantir la mise en place, au sein du Parlement monténégrin, d’un
dispositif pour promouvoir le Code de déontologie pour les parlementaires
et sensibiliser ces derniers aux normes attendues d’eux, mais aussi
faire respecter ces normes le cas échéant. Le GRECO a estimé de
ne pas avoir été en mesure d’évaluer l’efficacité du mécanisme de
contrôle du respect des normes déontologiques applicables aux parlementaires.
141. La recommandation v. (non mise en œuvre) qui portait sur le
renforcement de l’indépendance du Conseil de la magistrature a déjà
fait l’objet d’une description détaillée dans la partie 3.1 du présent
rapport.
142. La recommandation vii. (non mise en œuvre) visait à développer
davantage le cadre disciplinaire pour les juges et à accroître la
transparence de la procédure disciplinaire. Le GRECO a été informé
qu’un groupe de travail, composé de juges de la Cour suprême, a
été chargé de préparer des amendements à la loi sur le Conseil de
la magistrature et les juges, qui portent notamment sur la responsabilité
disciplinaire des juges. S’agissant de la transparence, le GRECO
a jugé qu’il convenait de compléter les informations rendues publiques
concernant les décisions relatives au Code de déontologie des juges.
143. Bien que le Deuxième Rapport de Conformité mette fin à la
procédure de conformité du Quatrième Cycle sur le Monténégro, le
GRECO y a indiqué au paragraphe 43 qu’il «est alarmant de constater
qu’aucune amélioration ne peut être observée pour ce qui est de
la composition et de l’indépendance du Conseil de la magistrature
et de la révision du cadre disciplinaire applicable aux juges».
5.2. Position des corapporteurs et conclusion
à propos de la lutte contre la corruption
144. Il apparaît clairement à nos
yeux que les critiques très sévères formulées par les ONG ou l’Union européenne
à propos de l’APC ou de l’établissement d’une liste des affaires
de corruption à haut niveau ne portent pas sur le manque de moyens
ou sur l’inadaptation fonctionnelle du cadre juridique. Une fois
encore, bien que la législation relative au blanchiment de capitaux
ou au gel des avoirs et des biens puisse être améliorée, les conditions
préalables d’une lutte efficace contre la corruption semblent être
en place. Dans un pays où, comme l’indique la Commission européenne
dans son évaluation de 2019, «la corruption règne dans de nombreux
domaines et reste un sujet de préoccupation», s’attaquer à celle-ci
exige une volonté politique résolue et constante. Selon nous, il
importe que les autorités du Monténégro démontrent l’existence de
cette volonté.
6. La situation des médias
145. La situation des médias est
une préoccupation de longue date des différents corapporteurs sur
le Monténégro. En 2015, sur leur recommandation, l’Assemblée a décidé
que ce point resterait un élément essentiel du dialogue postsuivi
compte tenu des fortes améliorations nécessaires dans ce domaine.
146. En 2017, les corapporteurs ont rappelé aux autorités monténégrines
que «la situation en matière de liberté d’expression et des médias
dans le pays n’[avait] guère progressé depuis la dernière visite
des corapporteurs [en 2015]»
. Reprenant cette conclusion
à son compte, le Parlement européen a déclaré en 2018 «[qu’il était]
de plus en plus préoccupé par la situation en matière de liberté
d’expression et de liberté des médias, concernant laquelle trois
rapports successifs de la Commission n’ont constaté «aucun progrès»
.
Et dans son rapport de 2019, la Commission européenne affirmait
à nouveau qu’«aucune évolution n’a été observée au cours de la période
de référence et que certaines recommandations antérieures restent
encore à mettre en œuvre»
.
147. D’après les deux indices qu’utilisent habituellement les ONG
pour évaluer la situation générale des médias dans un pays, le Monténégro
est dans une situation intermédiaire. En 2017, Freedom House jugeait la
situation des médias au Monténégro «partiellement libre», lui attribuant
un score de 44/100, 0 désignant le plus haut degré de liberté, 100
le plus bas. En 2019, le Monténégro se classe 104e sur
180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse de Reporters
Sans Frontières (RSF).
148. Le paysage médiatique est très marqué par les clivages politiques.
Les médias subissent des pressions politiques et économiques.
6.1. Conditions fixées par la Résolution 2030 (2015) et faits nouveaux intervenus dans ce domaine
«13.4.1.
ne tolérer aucun recours abusif à la liberté des médias et à la
liberté d’expression, adopter une législation pour sanctionner les
atteintes à la dignité humaine dans les médias, et veiller à ce
que les décisions judiciaires soient dûment exécutées»
149. Cette condition était directement
liée à la campagne de diffamation menée par le journal
Informer visant Mme Vanja Ćalović
Marković, directrice exécutive de l’ONG MANS, après que cette organisation
a assuré une mission d’observation de 13 élections locales le 25 mai 2014,
signalé des centaines d’irrégularités et annoncé qu’elle déposerait
plus de 130 plaintes au pénal pour des infractions concernant le
droit de vote. En dépit d’une décision judiciaire interdisant toute
nouvelle publication de contenus offensants, le quotidien
Informer a poursuivi sa campagne
de diffamation à l’égard de Mme Ćalović dans le but de porter atteinte
à son intégrité personnelle et professionnelle
.
150. Aucun cas similaire ne nous a depuis été signalé et, ni la
commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée, ni le BIDDH n’ont fait
état de problèmes de ce genre, que ce soit lors des élections générales
de 2016 ou de l’élection présidentielle de 2018. Cette condition
continuera toutefois de s’appliquer si ce genre de situation venait
à se reproduire au moment des prochaines élections générales en
2020 ou des élections locales; nous souscrivons en effet pleinement
à la déclaration faite par les corapporteurs en 2015 selon laquelle
«[cela] s’est produit dans un contexte qui a […] fait la vie dure
aux ONG assurant la surveillance de l’action des pouvoirs publics
et publiant des rapports critiques».
151. Il nous semble par ailleurs évident que cette condition vient
compléter l’une des recommandations prioritaires émise par le BIDDH
dans son rapport sur l’élection présidentielle, selon laquelle,
durant le processus électoral «les autorités devraient condamner
fermement toutes les attaques contre des journalistes et promouvoir
des mesures destinées à protéger les journalistes et à prévenir
l’impunité (…)»
.
«13.4.2. veiller à ce que
la commission de suivi des actions des autorités compétentes dans l’instruction
des affaires de menaces et de violences envers des journalistes,
d’assassinats de journalistes et de dégradation de biens appartenant
à des médias dispose d’un libre accès aux informations, et à ce
que tous les organes publics répondent dans les meilleurs délais
aux demandes d’informations formulées par la commission en vue de
résoudre les dix affaires en cours dont elle a la charge, et qui
concernent des attaques, des menaces ou des assassinats de journalistes»
La commission
152. La violence et les menaces
dont font l’objet les journalistes sont une préoccupation de longue
date au Monténégro. Une autre inquiétude vient du fait que ces phénomènes
surviennent dans un climat qui pourrait s’apparenter à de l’impunité.
La commission de suivi des actions des autorités compétentes dans
l’instruction des affaires de menaces et de violences envers des
journalistes, d’assassinats de journalistes et de dégradation de
biens appartenant à des médias a été créée en 2013; elle a pour
but d’encourager vivement les autorités compétentes à dûment enquêter
en exploitant les données qu’elle met à leur disposition et le rapport
qu’elle publie annuellement.
153. Cette commission relève administrativement du ministère de
l’Intérieur. Elle se compose actuellement de neuf membres représentant
la société civile, le parquet, le syndicat des médias, la police,
l’agence nationale de sécurité, le conseil d’autorégulation des
médias, deux journaux généralement considérés comme très critiques
vis-à-vis du gouvernement et un expert journaliste. Elle est présidée
par M. Nikola Marković, rédacteur en chef adjoint du quotidien Dan.
Elle a publié son dernier rapport en février 2019.
154. Nous saluons les travaux de cet organisme atypique qui s’emploie
à faciliter les relations entre les différentes parties prenantes
et qui est dédié à sa mission et produit des informations utiles.
Nous nous félicitons en particulier du soutien que lui a manifesté
publiquement le gouvernement au moment où le Procureur général a
refusé de lui communiquer les documents relatifs à l’affaire Olivera
Lakić
,
ce qu’il a fini par faire neuf mois plus tard après y avoir été
enjoint. Nous appelons le gouvernement à renouveler son soutien
à la commission en demandant à ses services de faire des retours
détaillés en réponse aux recommandations qu’elle émet, retours qui
d’après elle restent plus que limités à ce jour. Nous saluons la décision
prise par le gouvernement d’instaurer une rémunération mensuelle
pour les travaux de la commission, qu’il verse depuis janvier 2018.
Nous invitons par ailleurs instamment le gouvernement à mettre à
disposition de la commission les ressources nécessaires à l’exécution
de sa mission. Si la commission décide de recruter un expert international
pour certaines de ses affaires, comme ce fut le cas en octobre 2018,
elle doit selon nous avoir les moyens de le faire. Il semble que
le Premier Ministre partage nos vues en la matière, puisque, selon la
délégation monténégrine, il s’est dit d’accord avec M. Marković
sur le fait que la commission devrait recevoir le soutien d’experts
internationaux, lors de leur rencontre le 4 mars 2020.
155. L’un des moyens efficaces d’inciter l’administration publique
à répondre aux demandes de la commission pourrait être d’organiser
un débat public annuel au sein du parlement sur le rapport de la commission.
Nous avons discuté de cette possibilité avec la commission et le
président de la commission permanente des droits de l’homme du parlement,
et ceux-ci semblent y être favorables. À la suite d’un échange de
vues, la commission de suivi de l’Assemblée, lors de sa réunion
tenue à Paris en décembre 2019 en présence de M. Marković, et grâce
à l’intervention du chef de la délégation monténégrine, M. Predrag
Sekulić, la commission de la sécurité et de la défense et la commission
permanente des droits de l’homme et des libertés du Parlement du
Monténégro ont décidé de tenir une audition conjointe avec M. Marković
le 6 mars 2020. Nous saluons cette initiative et espérons qu’elle
marquera la première étape d’une audition publique régulière sur
les rapports de la commission monténégrine de suivi.
Agressions de journalistes
156. Sans même parler de la condition
posée par le paragraphe 13.4.2. de la
Résolution 2030 (2015), nous déplorons vivement que la sécurité des journalistes
ne se soit pas améliorée ces dernières années. Nous avons bien conscience
que les autorités monténégrines coopèrent activement avec la Plateforme
du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme
et la sécurité des journalistes et que leurs actions ont permis
aux partenaires de cette plateforme d’annoncer «l’élucidation» de
deux affaires (M. Vladimir Ostašević et M. Sead Sadiković). Nous
avons également relevé l’avis exprimé dans «l’enquête sur le secteur
des médias au Monténégro», financée par l’Union Européenne et menée
par le Conseil de l’Europe, selon lequel «il est manifeste que le
parquet monténégrin s’efforce clairement de s’attaquer au problème
des agressions de journalistes
si l’on considère les condamnations
prononcées dans les affaires d’agressions de journalistes entre
2004 et 2017. Nous sommes également conscients des développements
judiciaires positifs dans le cas du journaliste d’investigation
M. Tufik Softić, pour lequel la Cour Constitutionnelle a considéré,
en novembre 2017, que son droit à la vie avait été violé du fait
de l’inefficacité de l’enquête menée depuis 2007 sur la tentative
d’homicide qu’il avait alors subie
.
157. Si nous saluons les efforts déployés par les forces de police
pour arrêter les auteurs d’agressions de journalistes et les personnes
suspectées de tels actes
, nous déplorons en revanche que
les commanditaires de ces attaques ne soient pas toujours identifiés,
comme dans l’affaire emblématique de M. Duško Jovanović, rédacteur
en chef du quotidien monténégrin d’opposition
Dan,
qui a été abattu en 2004
.
Nous déplorons en outre que des journalistes d’investigation fassent
encore l’objet de manœuvres d’intimidation, à l’instar de M. Gojko
Raičević, rédacteur en chef du portail d’information
www.in4s.net, victime d’une agression physique puis de menaces de
la police alors qu’il couvrait les manifestations de partis de l’opposition
en 2015. Il a également été interrogé en 2019 par des policiers
au sujet de la publication sur le portail
IN4S de
conversations de l’ancien ambassadeur monténégrin à Moscou
.
158. Si nous nous félicitons vivement de la décision prise en octobre 2019
par la Cour d’appel de Podgorica d’annuler le jugement de première
instance condamnant le journaliste d’investigation M. Jovo Martinović,
nous réprouvons en revanche fermement les quatre années qu’il a
fallu à la justice monténégrine pour rendre cette décision après
l’arrestation de M. Jovo Martinović en 2015 ainsi que les 15 mois
qu’il a passés en détention provisoire
. Dans les deux cas, nous
pourrions considérer que les procédures judiciaires et la détention
sont utilisées comme un moyen de pression sur les journalistes.
«13.4.3.
promouvoir le fonctionnement efficace des organes d’autorégulation
des médias et encourager activement un journalisme éthique et de
meilleures normes professionnelles»
159. Comme le rappelle «l’enquête sur le secteur des médias au
Monténégro», l’autorégulation est un outil essentiel pour préserver
la liberté éditoriale, promouvoir la qualité et assurer la crédibilité
des médias et la réputation des journalistes. Il s’agit en outre
d’un dispositif indispensable pour réduire au minimum l’influence de
l’État sur les médias.
160. En 2017, les rapporteurs ont salué l’adoption de la version
révisée du code de déontologie des journalistes. Malheureusement,
les mécanismes censés assurer sa mise en œuvre ne sont pas uniformisés
et reflètent les clivages politiques qui caractérisent la scène
médiatique. Le Monténégro possédait deux organes d’autorégulation:
le Conseil d’autorégulation des médias et le Conseil d’autorégulation
de la presse locale (qui ne concerne que la presse écrite locale).
En outre, trois organes de presse écrite (Dan, Monitor et Vijesti)
qui détiennent une importante part de marché, ne sont pas membres
des organes susmentionnés mais ont en revanche récemment mis en
place leur propre médiateur interne (un pour le quotidien Dan et un médiateur commun au quotidien Vijesti et à l’hebdomadaire Monitor).
161. Le Conseil d’autorégulation de la presse locale n’a en fait
jamais exercé ses fonctions, n’ayant eu aucune réclamation à traiter;
quant au Conseil d’autorégulation des médias, il a suspendu l’ensemble
de ses activités en septembre 2018, en raison d’une situation financière
difficile. Ces organismes ont expliqué que leurs sollicitations
et demandes d’assistance adressées aux organisations internationales
et au Gouvernement monténégrin étaient restées lettre morte.
162. La délégation de l’Union Européenne a tenté, en vain, de créer
un organisme unique d’autorégulation pour la dernière fois en novembre 2018.
Au vu de la polarisation du paysage médiatique, cet objectif semble hors
de portée et une solution serait vraisemblablement d’augmenter le
niveau de professionnalisme des journalistes. Cela suppose de renforcer
leur formation et d’améliorer nettement leur situation économique. D’après
un rapport publié en 2016 par Freedom House, le revenu mensuel moyen
d’un journaliste est de 400 euros, soit en deçà du revenu national
moyen qui s’élève à 480 euros.
6.2. Autres faits marquants
Ingérences politiques dans les
activités du RTCG et de l’AME
163. Des événements extrêmement
regrettables et répréhensibles se sont produits à la fin 2017 et
à la mi-2018 et ont montré à quel point le RTCG et l’AME, chargée
de la régulation du secteur de la presse en ligne, étaient vulnérables
aux ingérences politiques. L’Accord de création des conditions propices
à des élections libres et équitables conclu en avril 2016 entre
les partis de la majorité et de l’opposition a modifié la structure de
gestion du RTCG et introduit plus de souplesse dans la nomination
des membres de son conseil d’administration qui ne suivent pas fidèlement
la ligne du parti dominant. La composition du conseil d’administration
a par conséquent été renouvelée et une nouvelle directrice générale
a été nommée : Mme Andrijana Kadija qui, d’après «l’enquête sur
les médias au Monténégro», a occupé plusieurs postes importants au
sein desquels elle côtoyait des personnes aux opinions politiques
différentes des siennes. En 2017, le parlement a engagé une procédure
au titre de laquelle l’APC a été chargée d’enquêter sur les risques
de conflits d’intérêts des membres des conseils d’administration
du RTCG et de l’AME. En octobre 2017, l’Agence a conclu au non-respect
des dispositions de la loi sur la prévention des conflits d’intérêts
par trois membres du conseil d’administration du RTCG et un membre
du conseil d’administration de l’AME et au non-respect des dispositions
de la loi sur la prévention de la corruption par quatre autres membres.
En décembre, le parlement a révoqué un autre membre, M. Goran Djurović,
qui n’était pas concerné par une affaire de conflits d’intérêts. Remanié
avec une nouvelle majorité, le conseil d’administration du RTCG
a révoqué sa directrice générale en juin 2018
.
164. M. Djurović a contesté sa révocation devant les tribunaux.
En février 2019, la décision du parlement de révoquer M. Djurović
a été jugée illégale et annulée en première instance. Mais cette
décision a été annulée par la Haute Cour de Podgorica en juillet 2019
et le tribunal de première instance de Podgorica qui a réexaminé l’affaire
s’est déclaré incompétent en la matière en novembre 2019, comme
l’avait déjà fait le tribunal administratif en janvier 2018. M.
Djurović a déposé une requête devant la Cour européenne des droits
de l’homme, invoquant une violation de ses droits à un procès équitable,
à la liberté d’expression et à un recours effectif et de son droit
de ne pas faire l’objet de discrimination. Sa requête semble avoir
été rejetée au motif qu’il n’avait pas épuisé toutes les voies de
recours internes.
165. En tant que corapporteurs, nous déplorons vivement que deux
ans après sa révocation, aucune juridiction monténégrine ne semble
être compétente pour juger l’affaire de M. Djurović.
166. Plus généralement, nous sommes sérieusement préoccupés par
cette question de compétence juridictionnelle s’agissant des décisions
prises par le parlement pour sanctionner, y compris révoquer, les membres
d’organisations censées être indépendantes, qu’il s’agisse du conseil
d’administration de l’APC, de l’AME, du RTCG ou même de la Banque
centrale du Monténégro
.
Les propositions d’amendements
contestables à la loi relative aux informations classifiées et à
la loi sur le libre accès à l’information
167. Nous avons déjà attiré l’attention,
dans la partie 5, sur la tendance inquiétante des organismes publics à
restreindre l’accès aux documents publics. Cette tendance se reflète
également dans les projets d’amendements à deux lois qui, s’ils
venaient à être adoptés dans leur version actuelle, nuiraient gravement
à la transparence et à la possibilité pour les journalistes de dénoncer
des faits de corruption.
168. En mars 2018, le ministère de la Défense a retiré ses avant-projets
d’amendements à la loi relative aux informations classifiées, après
que 25 ONG monténégrines s’y sont opposées et ont montré de quelle
manière lesdites modifications portaient atteinte à la Constitution.
Ces dernières auraient en effet permis aux organismes publics de
ne pas communiquer certaines informations s’ils estimaient que leur
divulgation nuisait à leur capacité «d’exercer leurs activités».
Les détracteurs de ces amendements arguent que cette rédaction pourrait
donner lieu à une interprétation trop large, permettant au gouvernement
de classifier des informations qui sont d’intérêt public, notamment
celles relatives aux dépenses de l’État.
169. En septembre 2019, le ministère de l’Administration publique
a présenté ses projets d’amendements à la loi sur le libre accès
à l’information. Ceux-ci ont suscité de vives critiques de cinq
ONG (MANS, Institute Alternative, Human Rights Watch, Center for
Monitoring and Research et Center for Civil Liberties) notamment parce
qu’ils introduisaient la notion vague d’ «abus de droit» en matière
d’accès à l’information et donnaient une définition restreinte de
l’«information». La loi a par ailleurs été critiquée parce qu’elle
permettait de déclarer comme «classifié» un nombre illimité de types
d’information ou n’obligeait plus les partis politiques à divulguer des
informations sur leur financement. Le 27 septembre 2019, 44 ONG
ont adressé une lettre ouverte au Premier ministre lui demandant
de retirer les amendements. En septembre 2019, l’ambassadeur de
la délégation de l’Union Européenne au Monténégro, M. Aivo Orav,
a clairement fait savoir que les experts de l’Union Européenne avaient
insisté sur l’importance de ne pas introduire le concept d’ «abus»
de droit à l’information dans la loi sur le libre accès à l’information.
170. Nous sommes pleinement conscients de la nécessité de modifier
la loi sur le libre accès à l’information, comme l’ont déjà demandé
certaines ONG, telles que MANS, en 2017. Nous invitons toutefois
instamment les autorités monténégrines à ne pas réduire à néant
les efforts accomplis jusqu’ici dans le domaine de la transparence
et à procéder en la matière comme elles l’ont fait pour la révision
de la législation sur le RTCG et les médias, autrement dit en coopération
étroite avec les organisations internationales et dans le respect des
normes européennes. Au moment de l’élaboration du présent rapport,
les amendements apportés à la loi sur le libre accès à l’information
avaient, selon les autorités monténégrines, pris en compte les contributions reçues
lors de la phase précédente de consultation et été transmis à la
Commission européenne pour examen.
Un cadre juridique révisé sur les
médias à venir
171. Sur la base de «l’enquête sur
le secteur des médias au Monténégro» réalisée en décembre 2017,
qui se veut une étude approfondie et détaillée de la situation des
médias et des enjeux en la matière aux fins d’une harmonisation
avec les normes du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne,
un ensemble de trois projets de loi est en cours d’élaboration,
en coopération avec le Conseil de l’Europe, à savoir le projet de
loi relative au RTCG, le projet de loi sur les médias et le projet
de loi sur les services des médias audiovisuels. Ces trois projets
ont fait l’objet d’un processus inclusif de consultation, qui a
pris fin à la mi-2019.
172. Lors de notre mission, nous avons recueilli les critiques
de plusieurs ONG au sujet du projet de loi relative au RTCG dont
certaines dispositions constituaient selon elles un retour en arrière
ou maintenaient la possibilité pour le gouvernement d’approuver
le budget du radiodiffuseur public. Nous avons appris que les autorités
monténégrines avaient modifié ce projet de loi lors de consultations
avec le Conseil de l’Europe et que la version finale qu’elles avaient
transmise était conforme aux normes du Conseil de l’Europe.
173. Le gouvernement a adopté le projet de loi sur les médias en
décembre 2019, sans avoir soumis le projet final au Conseil de l’Europe.
Le projet de loi sur les services des médias audiovisuels doit encore
être examiné par ce dernier.
6.3. Position des corapporteurs et conclusions
à propos de la situation des médias
174. Dans un pays où, selon les
propos de la Commission européenne, «la corruption est endémique
dans de nombreux secteurs et reste une source de préoccupation»
et où l’appareil judiciaire est considéré comme vulnérable aux ingérences
politiques, la liberté des médias est essentielle pour promouvoir
la transparence. Dès lors les progrès limités observés dans les
enquêtes sur les agressions de journalistes ou le soutien que le gouvernement
manifeste à la commission chargée du suivi de l’instruction des
affaires de violences envers des journalistes ne suffisent pas à
compenser les tendances extrêmement négatives toujours à l’œuvre
concernant la sécurité des journalistes, l’indépendance du RTCG
et de l’AME ou les menaces qui pèsent sur l’accès à l’information.
Ces trois aspects revêtent une importance capitale si les autorités
monténégrines veulent pouvoir améliorer leur respect des obligations
et des engagements souscrits lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe.
7. Situation concernant d’autres questions
liées aux droits de l’homme
175. Comme il est déjà indiqué dans
la partie 1 du présent rapport, la
Résolution 2030 (2015) évoquait certaines questions qui ne figurent pas au
nombre des quatre domaines prioritaires, mais qui devaient faire l’objet
d’un suivi, selon le paragraphe 12 de la Résolution. Il s’agit des
droits des minorités et de la lutte contre la discrimination (paragraphe
10) et de la situation des réfugiés et des personnes déplacées à
l’intérieur du pays (paragraphe 11).
176. Sur ces questions, nous n’avons pas reçu d’informations qui
pourraient nous amener à penser que la situation s’est détériorée,
ou qui justifierait d’inscrire une ou plusieurs de ces préoccupations
en tant que domaines prioritaires supplémentaires.
177. Le Protecteur des droits de l’homme et des libertés (Ombudsman),
dont la fonction est de constituer le mécanisme de prévention de
la torture et le mécanisme de protection contre la discrimination,
en vertu des deux conventions des Nations Unies depuis 2014, a vu
ses compétences clarifiées en 2017. Pour ce qui est du mécanisme
anti-discrimination, l’Ombudsman couvre désormais les secteurs privé
et public. Il nous a indiqué que ces mécanismes sont pleinement
opérationnels.
178. La loi sur les droits et libertés des minorités, dont « l’adoption
accélérée » était mentionnée par la
Résolution 2030 (2015), a été adoptée le 27 avril 2017. L’avis de la Commission
de Venise a été demandé et le projet de loi final a suivi quatre
des cinq recommandations clés qui y étaient formulées, le secrétariat
de la Commission de Venise relevant que les fonctions, la position
institutionnelle et la supervision du Centre de préservation et
de développement des cultures minoritaires n’avaient pas été clarifiées
. Le 7 mars 2019, le Comité consultatif
de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
(Comité consultatif) du Conseil de l’Europe a émis son troisième
avis sur le Monténégro. Cet avis est globalement très positif, bien qu’il
appelle les autorités à déployer d’urgence «des efforts devant porter
essentiellement sur l’objectif de veiller à ce que les communautés
roms et égyptiennes dans leur ensemble, qu’il s’agisse de Roms et d’Égyptiens
monténégrins ou de personnes déplacées, puissent accéder effectivement
à un logement adéquat, aux soins de santé, à la protection sociale,
à une éducation de grande qualité et à un emploi durable, et puissent
participer effectivement à la vie économique et publique, et veiller
à ce que les personnes dont le statut n’est pas clair voient ce
dernier régularisé». Cet appel devrait être pris en considération
par les autorités monténégrines dans leur Stratégie 2016-2020 pour
l’inclusion sociale des Roms et des Égyptiens au Monténégro.
179. Comme cela a été présenté dans la partie 2 du présent rapport,
la Loi sur les communautés religieuses mentionnée dans la
Résolution 2030 (2015) est en cours de préparation et un projet a été transmis
à la Commission de Venise qui a rendu son avis.
180. Concernant les droits des personnes LGBTI, les autorités monténégrines
ont mis en application la Stratégie 2013-2018 pour améliorer la
qualité de vie des personnes LGBTI au Monténégro et en ont adopté une
nouvelle en mars 2019 pour la période 2019-2023. De 2014 à 2018,
quatre Marches des Fiertés se sont déroulées avec succès, sans incident
et avec un nombre réduit d’officiers de police pour la protection
de ces manifestations publiques. Le 29 octobre 2018, dans une décision
qui a fait jurisprudence, la Cour constitutionnelle a conclu qu’en
maintenant l’interdiction de la marche pour la Gay Pride à Nikšić,
la deuxième plus grande ville du Monténégro, la Cour suprême monténégrine
avait violé le droit à la liberté de réunion pacifique, tel que
garanti par la Constitution du Monténégro, la Convention européenne
des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques
. En tant que corapporteurs, nous
partageons le diagnostic de la Commission européenne, qui a déclaré
en 2018 que le Monténégro donnait un bon exemple à toute la région
en ce qui concerne le niveau de protection accordé aux personnes
LGBTI, même si le parlement n’est pas parvenu en juillet 2019 à
adopter la loi autorisant l’union de deux personnes de même sexe.
Tous les partis des minorités ethniques appartenant à la majorité
ont en effet voté contre le projet de loi du gouvernement.
181. Concernant la situation des réfugiés et des personnes déplacées
à l’intérieur du pays, le Comité consultatif s’est réjoui, dans
son troisième avis sur le Monténégro, que des progrès aient été
faits pour résoudre la question des personnes déplacées, pour l’essentiel
des réfugiés roms et égyptiens arrivés au Monténégro depuis le Kosovo
à la fin des années 1990, ajoutant que la régularisation du statut
juridique de ces personnes est pratiquement terminée, et que la
situation de bon nombre d’entre eux s’est substantiellement améliorée
pour ce qui concerne le logement. Les autorités monténégrines nous
ont informé que, sur la période allant du 7 novembre 2009 au 1er juillet 2019,
les personnes déplacées et celles déplacées dans leur propre pays
ont déposé au total 15 214 demandes de résidence permanente et de
résidence temporaire pouvant aller jusqu’à trois ans. Sur ce total,
12 334 personnes ont vu leur demande acceptée. Nous avons également
été informés qu’entre la date d’entrée en vigueur de la loi sur
la citoyenneté monténégrine, le 1er janvier 2008,
et le 1er juillet 2019, au total, 1 067
personnes déplacées à l’intérieur du territoire de l’ex-République
fédérale socialiste de Yougoslavie se sont vu accorder la nationalité
monténégrine.
8. Conclusions
182. «Quand je regarde mon pays
aujourd’hui et ce qu’il était il y a dix ans, je suis plutôt satisfait»,
a déclaré un haut responsable que nous avons rencontré au cours
de notre mission d’information. En tant que corapporteurs, nous
mesurons le chemin parcouru depuis que le Monténégro est devenu
un État membre du Conseil de l’Europe. Nous reconnaissons également
les progrès substantiels réalisés depuis le dernier rapport sur
le dialogue postsuivi élaboré en 2015. Le Monténégro a mis en place
des législations qui sont conformes aux normes du Conseil de l’Europe
et ont permis de répondre à plusieurs préoccupations formulées par l’Assemblée
et d’autres mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe.
183. Dans les domaines où le Monténégro est en général perçu comme
un partenaire coopératif ou un bon exemple pour la région, autrement
dit dans l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits
de l’homme ou les domaines énumérés dans la partie 7 (droits des
minorités, droits des personnes LGBTI …), la situation a continué
de s’améliorer.
184. Cependant, comme le montre le projet de rapport, les progrès
ont été limités dans les quatre domaines prioritaires identifiés
par la
Résolution 2030
(2015). Même lorsqu’on a pu noter des améliorations, par exemple pour
l’indépendance de la justice ou la situation des médias, ces améliorations
ont vu leur poids contrebalancé par des tendances négatives opposées.
185. Dans les quatre domaines clés, le Monténégro semble avoir
atteint un plafond de verre. Dans chacun d’entre eux, beaucoup d’efforts
ont été déployés pour établir un cadre juridique qui, bien que perfectible,
devrait pouvoir fonctionner pleinement mais qui, en réalité, s’est
avéré non fonctionnel. Nous pensons que le temps est venu pour le
Monténégro de démontrer qu’il existe une réelle volonté politique
de briser ce plafond de verre. Le mandat très large de la Commission
de la réforme générale de la législation électorale et autre montre
que les autorités monténégrines sont conscientes de tout ce qu’il
reste encore à faire.
186. Cependant, les autorités monténégrines ne sont pas les seules
à pouvoir briser ce plafond de verre. Il appartient d’autant plus
à l’opposition de jouer son rôle au sein du parlement que le processus
législatif monténégrin requiert souvent une majorité qualifiée.
Il est par conséquent extrêmement regrettable que, sur la question
de la réforme électorale qui est d’une importance majeure, certains
groupes de l’opposition aient finalement décidé de recommencer à
boycotter le parlement. Ce n’est ni le moyen de renforcer le parlement, ni
le signe de maturité que nous attendions.
187. L’évaluation que nous avons faite, et qui est détaillée dans
le présent rapport ainsi que dans les conclusions rédigées à propos
de chacun des quatre domaines prioritaires, nous amène à recommander
de ne pas clore le dialogue postsuivi. Cependant, nous ne recommanderions
pas non plus la réouverture de la procédure générale de suivi, étant
donné les tendances contradictoires que nous avons mentionnées et
les élections générales à venir. En l’absence d’un cadre électoral
révisé, la manière dont ces élections se dérouleront fera office
de test pour le Monténégro.
188. Les politiques monténégrins ont clairement besoin de démontrer
qu’ils ont la volonté politique de briser ce plafond de verre. C’est
pourquoi nous attendons du parlement qu’il joue pleinement son rôle
de contrôle et qu’il incite le gouvernement à progresser dans les
quatre domaines prioritaires, de même que nous attendons de l’Exécutif,
dont son chef est au pouvoir depuis maintenant trente ans, qu’il
poursuive le processus de réforme
189. Nous proposons donc de poursuivre le dialogue postsuivi et
de réévaluer la situation après les élections générales de 2020.
À ce moment, nous prendrons une décision définitive quant à l’avenir
du dialogue postsuivi avec le Monténégro.