1. Introduction
1. Afin de se prémunir contre
la crise climatique, la communauté internationale s’est fixé des
engagements forts en approuvant en septembre 2015 les Objectifs
de développement durable (ODD) et en signant l’Accord de Paris en
décembre de la même année. Le Secrétaire général des Nations Unies,
M. António Guterres, a placé le développement durable parmi les
trois priorités stratégiques de son mandat. L’Accord de Paris engage 196 pays
et territoires reconnus par les Nations Unies pour amorcer une longue
transition et relever le défi du réchauffement climatique. Les États-Unis
ont rejoint à nouveau l’Accord en février 2021. En Europe, la Turquie demeure
le dernier État à ne pas l’avoir ratifié.
2. Avec la pandémie de covid-19, la planète affronte la pire
catastrophe sanitaire depuis la grippe espagnole de 1918. Compte
tenu de la situation, les organisateurs de la conférence des Nations
Unies sur le changement climatique (COP26)
ont préféré reporter d’un an la réunion
initialement prévue en décembre 2020, à Glasgow. Leur objectif est
de tenir une réunion plus ambitieuse, de laisser le temps aux délégués
de préciser leurs objectifs et de revoir à la hausse les « contributions
nationales déterminées ». À l’occasion des célébrations du 5ème anniversaire
de l’Accord de Paris, António Guterres a appelé l’ensemble des parties prenantes
à afficher les ambitions les plus élevées lors de la prochaine COP26
. Dans leur rapport annuel 2018 sur
l’environnement, les Nations Unies regrettaient déjà que la « faible
application des lois (soit) une tendance mondiale qui exacerbe les
menaces environnementales, malgré la multiplication par 38 du nombre
de lois environnementales depuis 1972 ».
3. L’éventualité d’un scénario noir causé par le réchauffement
climatique représente un véritable défi. Comme le suggère le quotidien
britannique
The Guardian,
il est plus approprié de parler de « crise climatique » que de « changement
climatique » afin d’en apprécier la juste valeur. Le président de
la COP21 Laurent Fabius
préfère la dénomination de
« bouleversement climatique » puisque la situation est sans précédent
et qu’il n’est pas question de revenir à la situation antérieure.
De nombreuses villes
ont
déclaré l’urgence climatique en Europe
. Elles ont été suivies par les
Parlements écossais, gallois et britannique dans une résolution
non contraignante en mai 2019. Le pape François a déclaré l’état
d’urgence climatique en juin 2019 et appelé à des réformes profondes.
Le Parlement européen a adopté, en novembre 2019, une résolution
déclarant l’urgence climatique et environnementale en Europe et
dans le monde.
4. Même si le pire – un réchauffement de l'atmosphère au-delà
de 1,5-2 °C – peut encore être évité (ce qui n’est pas sûr), c’est
un changement profond de nos sociétés qui est amorcé. Dans l’Arctique,
par exemple, le Groenland connait une fonte des glaces sans précédent,
responsable de la hausse du niveau des océans
. La communauté scientifique prévient
que les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent être
réduites de moitié d’ici à 2030 et compensées d’ici à 2050. La décennie
qui s’ouvre cette année sera déterminante. Nous sommes face à un
péril systémique. Il met à l’épreuve nos institutions et interroge
leur capacité à développer une « résilience climatique », capable
d’armer nos sociétés contre des risques et vulnérabilités, dont
nous n’avons pas pu ou voulu ressentir l’urgence.
5. Selon les Nations Unies, l’État de droit implique: la suprématie
du droit, l’égalité devant la loi, la responsabilité devant la loi,
l’équité dans l’application de la loi, la séparation des pouvoirs,
la participation à la prise de décision, la stabilité des normes
juridiques, le rejet de l’arbitraire, la transparence procédurale
et légale
. Pour l’écrivain et avocat français
François Sureau, « l’État de droit, dans ses principes et dans ses organes,
a été conçu pour que ni les désirs du gouvernement ni les craintes
du peuple n’emportent sur leur passage les fondements de l’ordre
public, et d’abord la liberté
». Avec les droits humains et la
démocratie, il constitue la résilience d’une société face aux chocs
et menaces, qu’ils soient externes ou internes, et un pilier fondamental
des valeurs qui unissent les États membres du Conseil de l’Europe.
6. En matière environnementale, l’État de droit « sert à combler
l’écart existant entre les différents droits de l’environnement,
en théorie comme en pratique, et est essentiel à la réalisation
des Objectifs de développement durable
». Après une mesure des menaces
et vulnérabilités, ce rapport décrit les outils déjà existants qui
arment notre conception de l’État de droit
. Dans un dernier temps, il
dresse un panorama des pistes que le Conseil de l’Europe devrait
explorer pour soutenir ses États membres et les autres pays.
7. En décembre 2020, le Secrétaire général des Nations Unies
appelait à un sursaut et à déclarer l’état d’urgence climatique
jusqu’à ce que la neutralité carbone soit atteinte. L’Assemblée
a déjà eu l’occasion de s’exprimer sur les lois d’exception dans
sa
Résolution 2209 (2018) «État d’urgence: questions de proportionnalité relatives
à la dérogation prévue à l’article 15 de la Convention européenne
des droits de l’homme». Dans cette crise, le Conseil de l’Europe
demeure une vigie. Les pires catastrophes environnementales ont
été à l’origine des outils juridiques les plus efficaces ; il est
fort probable que des innovations s’imposeront pour relever les
défis de la crise climatique. La situation n’est actuellement pas favorable
à l’environnement. Pourtant, la pandémie de covid-19 démontre qu’une
rupture est possible et que nous pouvons interroger nos comportements
individuels. Elle nous rappelle que même si nos générations ont été
passablement épargnées par l’histoire, nous sommes face à une situation
sans précédent et savons qu’il faudra être à la hauteur des défis
que l’on sait, sans douter, devant nous. Il est encore possible
de surmonter ces défis, même si la hausse des températures pourrait
faire plus de victimes, que l’ensemble des épidémies actives
.
8. La crise climatique menace tous les progrès accomplis depuis
la Seconde Guerre mondiale. À travers ce rapport, je désire mobiliser
mes collègues parlementaires quant à l’ampleur des efforts et changements
de mentalité et attitudes nécessaires. Il s’agit non seulement de
faire face à la crise climatique et respecter les engagements internationaux
pris par les États membres, mais surtout de démontrer que nous nous
soucions des générations à venir et préparons l’avenir dans le temps
imparti par nos mandats électoraux respectifs. Surtout, il faut
garder l’espoir, car les initiatives fleurissent chaque jour pour
lutter contre la surchauffe. Plus que jamais, le Conseil de l’Europe
sera appelé à poursuivre sa mission afin d’assurer la défense non seulement
de l’État de droit, mais aussi des droits humains et de la démocratie.
Il doit, aux côtés des États membres, appuyer les capacités des
institutions à résister aux menaces et anticiper une société profondément transformée,
sans recul des droits. Fort de son histoire longue de plus de 70 ans
pendant laquelle il a accompagné de profonds changements de mentalités
et attitudes, le Conseil de l’Europe a un rôle à jouer pour participer
à la création des nouveaux instruments de la résilience climatique
tout en assurant la protection des plus faibles.
9. Dans le cadre de mes travaux de rapporteure, une audition
publique a été organisée par la commission des questions sociales,
de la santé et du développement durable le 6 juillet 2020. Les experts
entendus étaient M. Robert Vautard, membre du Groupe d’experts intergouvernemental
sur l’évolution du climat (GIEC) et directeur de l’Institut Pierre-Simon
Laplace rattaché à l’Université de Versailles Saint-Quentin, et
M. Paweł Wargan, coordinateur de la coalition de partis politiques
« New Green Deal pour l’Europe»
.
2. Des menaces en cascade sur l’État de
droit
10. En Europe, les villes comme
les campagnes subiront le réchauffement climatique: à savoir la
montée du niveau de la mer, la hausse des températures et le stress
hydrique. Selon un classement des villes menacées par la montée
des océans, publié par Nestpick
, parmi
les dix villes les plus menacées dans le monde, on compte Amsterdam
et Cardiff en Europe. Au Sommet de la Terre, en 2002, Jacques Chirac
proclamait déjà que « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».
En janvier 2020, 175 000 habitants de Djakarta ont été déplacés
à cause de pluies torrentielles ravageant la capitale de l’Indonésie
. Un milliard d’humains pourraient
subir des températures invivables d’ici à 50 ans
et les incendies géants dévorent
chaque année par milliers des habitats naturels à travers la planète,
notamment en Australie, Brésil et Californie. Les événements climatiques
exceptionnels se répètent plus fréquemment. Leurs effets frapperont
riches et pauvres, mais seront d’abord ressentis par les plus fragiles
et les plus pauvres.
11. La chute temporaire des émissions mondiales de gaz à effet
de serre causée par l’arrêt brusque des activités humaines provoquée
par la covid-19 ne doit pas nous détourner de cette haute priorité.
La situation actuelle n’est pas favorable à l’environnement même
si elle offre un semblant de répit
. Des retours en arrière sur la réglementation
environnementale ont été entérinés. Aux États-Unis, la précédente
administration avait décidé de suspendre les réglementations susceptibles
de gêner la reprise de l’économie
: toutes les poursuites pour infraction
fédérale contre l’environnement furent annulées. Des appels dans
ce sens ont été entendus en Europe.
12. Les prises de parole des experts du Groupe d’experts intergouvernemental
sur l’évolution du climat (GIEC) sont éloquentes. Fort d’une expérience
de 30 ans, le GIEC s’est imposé, grâce à ses méthodes, comme la
référence en matière de réchauffement climatique. Il fut lauréat,
en 2007, du Prix Nobel de la paix pour ses travaux, aux côtés de
l’ancien vice-président américain Al Gore.
13. Nous savons désormais que des changements irréversibles ont
été opérés sous l’influence humaine. Les scénarios avancés par la
communauté scientifique s’orientent vers des stratégies visant à
en limiter les effets. La quantité de gaz à effets de serre déjà
présente dans l’atmosphère provoque un inexorable et peut-être irréversible
réchauffement de l’atmosphère. L’influence humaine est à l’origine
de migrations, mais aussi de possibles extinctions d’espèces animales
et végétales
. Le GIEC a entamé son sixième cycle
d’évaluation qui devrait s’achever mi-2022 au moment où l’Accord
de Paris prévoit son premier inventaire des efforts menés par les
différents pays. Ce dernier devrait inclure un aperçu du suivi de
la mise en œuvre des ODD par les États parties
.
14. Entrée en vigueur il y a 26 ans, la Convention-cadre des Nations
Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) fixe le cadre juridique
de la coopération internationale en matière environnementale et
organise les Sommets de la Terre. Elle fournit, selon le président
de la COP24 Michał Kurtika, « un cadre bien conçu pour l’action
climatique mondiale pour tous, qui respecte la souveraineté nationale
tout en étant capable d’intensifier les ambitions à l’échelle de
la planète
. » Elle établit une interface entre
les membres de la communauté scientifique (représentée par le GIEC),
et les États, à travers la conférence des parties (COP). C’est à
son Organe subsidiaire de mise en œuvre (OSMO) qu’il reviendra d’évaluer
les contributions nationales déterminées (CND), c’est-à-dire les
efforts individuels des parties de se limiter à une augmentation
de 2 °C ou de tendre vers l’objectif privilégié de 1,5 °C. La société
civile sera appelée à jouer un rôle déterminant pour faire pression
sur les États.
15. L’objectif des travaux du GIEC, en 2022, est d’agréger les
informations recueillies auprès de chaque pays pour évaluer si l’ensemble
des efforts correspond aux objectifs décidés. Les objectifs actuels,
décidés au moment de la signature de l’Accord de Paris, anticipent
un réchauffement de 3,5 °C d’ici à 2100
. La récente annonce de la Chine (22 septembre
2020) d’atteindre la neutralité carbone « avant 2060 » réduit la
hausse attendue de 0,3 °C à 3,2 °C
. Toutefois, cela représente toujours
un degré dangereux de réchauffement climatique. Jusqu’à présent,
la Terre s’est, en moyenne, réchauffée de 1,1 °C depuis le XIXème siècle.
16. Il convient de noter que les changements de température ne
sont pas répartis uniformément. Ainsi, l’hémisphère Nord s’est réchauffé
plus vite que le Sud. Les températures sur terre ont augmenté plus
vite que dans les océans. Les changements observés les plus importants
sont situés dans les hautes latitudes en raison de la fonte des
glaces et de l’absorption de la chaleur par les océans. Alors que
la moyenne mondiale est de 1,1 °C, l’Europe s’est réchauffée de
2,3 °C
et l’Arctique de 3 °C
. Si l’Arctique se réchauffe davantage,
il y a un risque de libération du carbone et du méthane enfermés
dans le pergélisol, qui entrainerait de nouvelles hausses de température.
Le fond marin arctique a des quantités incalculables de méthane, prisonnier
sous forme de clathrates
. S’il est relâché, alors le réchauffement
climatique sera irréversible et ce sera la fin pour la civilisation
humaine. Le pessimisme commence à pénétrer la pensée du GIEC.
17. Pour Robert Vautard
, climatologue et membre du GIEC,
il faut s’habituer aux fortes chaleurs qui vont encore s’accentuer
. Les conclusions
du GIEC sont alarmistes à l’horizon 2100, voire dès 2070. Elles évoquent
un réchauffement atteignant 6 à 7 °C dans l’hypothèse où les émissions
de gaz à effet de serre ne seraient pas réduites. Dans cette hypothèse,
l’Europe serait ravagée par des vagues de chaleur, des cyclones et
des tempêtes de poussières. «Seul l’un des scénarios socio-économiques
([…] marqué par une forte coopération internationale et donnant
priorité au développement durable) [permettrait] de rester sous
l’objectif des 2 °C de réchauffement, au prix d’efforts d’atténuation
très importants et d’un dépassement temporaire de cet objectif au
cours du siècle
». Le rapport souligne le fait que
tout retard pris dans la mise en œuvre des mesures rend hypothétiques
les scénarios les plus ambitieux.
18. Il ne faut pas sous-estimer les efforts nécessaires pour remplir
les engagements pris. Les politiques publiques devront atténuer
et prévenir les effets de la crise climatique, mais aussi permettre
à la société de s’adapter. Derrière l’objectif d’atteindre la neutralité
carbone en 2050, ce sont un changement profond et une réinvention
de nos sociétés, de nos villes, de nos littoraux et de nos campagnes
qui sont amorcés. Rien que pour le CO2, nous
devrons, en Europe, diviser par huit nos émissions et doubler nos
capacités d’absorption. La tâche est encore plus complexe puisqu’il
faut intervenir sur l’ensemble des gaz à effet de serre et leurs sources,
en considérant l’impact de toujours plus de secteurs de l’activité
humaine à l’origine des pollutions.
19. Dans son rapport de 2018, le GIEC précise que pour limiter
le réchauffement planétaire au-dessous ou proche de 1,5 °C, il faudrait
diminuer les émissions nettes d’environ 45 % d’ici à 2030 et atteindre
0 % en 2050. Pour limiter le réchauffement climatique à 2 °C, les
émissions de CO2 devraient même chuter de
25 % d’ici 2030 et de 100 % d’ici 2075. Le GIEC poursuit ses travaux
et a publié son premier rapport spécial, en août 2019, sur les liens
entre le changement atmosphérique, la désertification, la dégradation
des terres, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire,
et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres. Le
bouleversement environnemental exige la recherche d’un nouvel équilibre
à inventer.
20. L’approche sur les risques doit figurer au cœur des politiques
publiques. Nous sommes confrontées à des menaces, nées non seulement
de l’effet cumulatif, combiné ou en cascade des effets directs du réchauffement
atmosphérique rapide, mais aussi des implications issues des solutions
envisagées. Il s’agit de dangers longtemps sous-évalués. Il est
probable que la colonisation de sanctuaires naturels soit à l’origine
de la transmission de la covid-19 à l’espèce humaine comme l’ont
démontré les études sur d’autres zoonoses (maladie à virus Ébola,
VIH, anthrax, peste, etc.). La fonte du pergélisol en Sibérie pourrait
libérer d’autres agents pathogènes.
21. La réflexion sur la crise climatique a permis l’émergence
du concept de « coûts évités », qui permet, sur la base d’analyses
d’impact, de prévenir les différents effets directs et indirects,
tout en recherchant des remparts au réchauffement atmosphérique.
Ce concept a ravivé celui « d’aménité » ou de « naturalité » (
wilderness) qui renvoient aux œuvres
du poète John Muir et à la création aux États-Unis du Système de gestion
national des zones de nature sauvage (
National
Wilderness Preservation System). La conservation de la
nature sera déterminante dans la lutte contre le réchauffement atmosphérique.
Les zones protégées couvrent déjà 15 % de la surface de la Terre,
sans compter l’Antarctique
et elles continuent de s’étendre. C’est
déjà l’équivalent de 30 parcs de Yellowstone qui devrait être créé
d’ici à 2030, rien qu’en Europe.
22. Le « réensauvagement » (
rewilding)
fait partie des nouvelles ressources
susceptibles d’alimenter les stratégies de sauvegarde de la biodiversité
. Elle autorise de spectaculaires
signes d’espoir et illustre comment l’humanité et la vie sauvage
peuvent coexister à travers des techniques très variées, allant
de la réintroduction d’espèces jusqu’au lâcher-prise total. Son
objectif est de rendre à la nature sa libre évolution malgré la
présence humaine. Au-delà de la conservation, c’est le retour d’espèces
sauvages oubliées dans les campagnes et de la nature au cœur des
villes pour le bénéfice général. C’est une chance de repenser, comme le
proposa John Muir en son temps, notre relation à la nature. António
Guterres parle de « faire la paix avec la nature
. » Évidemment, tout ceci n’est possible
qu’à la condition de favoriser l’échange d’expérience et le partage
de bonnes pratiques.
23. C’est bien toute la diversité et l’habitat naturel qui sont
en péril. Une récente étude, publiée dans
Nature, dévoile
que le déclin abrupt, massif et inquiétant des populations d’espèces
de vertébrés marins atteindrait 70 % depuis 1970
. Le changement climatique, combiné
à la destruction d’habitats et l’introduction d’espèces invasives,
a décuplé le nombre d’espèces menacées d’extinction: c’est ce que
la journaliste Elizabeth Kolbert a appelé la « sixième extinction »
.
Les espèces animales sauvages représentent maintenant moins de 5 % de
tous les mammifères terrestres
.
Actuellement, plus de la moitié des amphibiens, un tiers des coraux
de récifs, mollusques et requins d’eau douce, un quart des mammifères,
un cinquième des reptiles et un sixième des oiseaux sont en voie
d’extinction critique. Une étude internationale du Royal Botanical
Garden à Kew a révélé que 40 % des espèces végétales sont menacées
.
24. En 2019, le Rapporteur spécial des Nations Unies en charge
de l’extrême pauvreté et les droits humains, Philip Alston, lançait
un avertissement contre le « risque d’
apartheid climatique,
où les riches payent pour échapper à la chaleur et à la faim causées
par une crise climatique de plus en plus grave quand le reste du monde
souffre
». La pandémie de covid-19 a semé
l’effroi dans des services publics et révélé les faiblesses du modèle
économique prévalant. La tentation d’une relance économique basée
sur l’austérité, à l’instar de celle qui suivit la crise financière
de 2008, aurait des effets désastreux sur les ambitions nécessaires
pour répondre à la crise climatique. La prise de conscience qu’une
part non négligeable de la population n’avait pas profité des fruits
de la mondialisation a dévoilé une forme sous-estimée de vulnérabilité:
la vulnérabilité climatique. Il existe déjà 50 à 60 millions de
« précaires énergétiques » dans l’Union européenne. Alertée, la Commission
européenne a lancé en 2018 l’Observatoire européen de la précarité
énergétique
.
25. Le bouleversement atmosphérique offre un nouveau regard sur
les inégalités et la protection par le droit. En raison de sa transversalité,
elle interroge sur le choc inévitable entre des secteurs du droit
développés de façon autonome. En 2012, quand l’ouragan
Sandy frappa la ville de New York,
la banque Goldman Sachs acheta plusieurs dizaines de milliers de
sacs de sable pour protéger son siège et ses employés alors que
les habitants des quartiers les plus modestes étaient exposés aux
éléments
.
Plus récemment, le mouvement des gilets jaunes en France est né
de revendications contre des mesures environnementales entraînant
la hausse du prix des carburants. Le slogan « Fin du monde, fin
du mois » illustre un impossible dilemme. Ce mouvement spontané
interpelle en raison du conflit apparent entre des droits en apparence
contradictoires. Il a permis à une population périphérique de témoigner
de ses difficultés (chômage, précarité, déserts médicaux, judiciaires
et culturels) en raison de l’éloignement de centres urbains moteurs
de l’activité économique et commerciale. La mondialisation a renforcé
des inégalités devenues insupportables. La
Résolution 2307 (2019) «Un statut juridique pour les ‘réfugiés climatiques’»
de l’Assemblée appelait entre autres à prendre des mesures spécifiques
pour élever le seuil de résilience des communautés locales, dans
un contexte de renouvellement de la question des migrations en Europe
avec l’émergence de « réfugiés climatiques. » Ces chocs entre des
droits exigent de s’interroger à nouveau sur la place des droits
humains de deuxième et troisième générations.
3. Trouver
la résilience climatique dans les outils existants du Conseil de
l’Europe
26. La résilience climatique des
États membres du Conseil de l’Europe trouve ses marques dans les engagements
pris au niveau mondial. Les États membres et l’Organisation se sont
engagés en faveur des ODD, et au premier chef à combattre les changements
climatiques (ODD 13); mais on retrouve des éléments de politique
écologique dans d’autres objectifs comme dans l’ODD 6 (l’accès de
tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés
de façon durable) et l’ODD 7 (l’accès de tous à des services énergétiques
fiables, durables et modernes, à un coût abordable). Le cœur de
l’engagement des États sur le climat figure cependant dans l’Accord
de Paris, qui prévoit la mise à jour, fin 2020, des CND et prépare
la transition vers 2030 puis 2050, afin de limiter la hausse des
températures à un niveau de 2°C. Il est regrettable que la Turquie
soit le dernier État membre du Conseil de l’Europe à ne pas avoir
ratifié l’Accord de 2015.
27. Le Conseil de l’Europe s’est doté d’outils forts participant
à la résilience climatique depuis la Déclaration de Stockholm en
1972 et ses 26 principes
. Déjà en 1994, il avait produit une
« loi-modèle sur la protection de l’environnement » afin d’accompagner
les pays dans la préparation de leur législation environnementale.
Le premier outil fourni par le Conseil de l’Europe demeure la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour » ci-après),
qui offre une large palette d’affaires ayant une incidence sur la
politique environnementale des États membres. La Cour a publié un
« manuel sur les droits de l’homme et l’environnement»
. La Convention européenne des droits
de l’homme (STE n° 5, “la Convention”) intervient justement lorsque
des droits sont en conflit, c’est un outil vivant en perpétuelle
adaptation. La Cour pourrait être amenée à statuer sur les débats
lancés par la société civile contestant les stratégies nationales environnementales
qui ne respecteraient pas les objectifs précisés dans l’Accord de
Paris. Lors de la conférence de haut niveau sur la protection environnementale
et les droits de l’homme du 27 février 2020 à Strasbourg, le président
de la Cour Linos-Alexandre Sicilianos insistait sur la nécessité
de partager cette charge et donnait comme exemple de bonne pratique
la décision du Conseil constitutionnel français qui a dégagé un
« objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement,
patrimoine commun des êtres humains
».
28. Le Conseil de l’Europe est à l’origine de conventions sur
la préservation de l’environnement avec des destins variés. Il a
inauguré la question de la pénalisation des crimes environnementaux
ou « Écocides » avec la Convention sur la protection de l’environnement
par le droit pénal (STE n° 172). Cette protection s’est avérée peu
effective, puisque la convention n’est jamais entrée en vigueur.
De son côté, l’Union européenne n’a pas non plus réussi à proposer
une protection efficace de l’environnement par le droit pénal, malgré
les ambitions inscrites dans le tableau de bord de Tampere (1999)
visant la mise en place d’un « espace de libertés, de sécurité et
de justice ». Il y a, de nos jours, toujours peu de plaintes en
matière environnementale et peu de condamnations dans les tribunaux
domestiques et à la Cour internationale de justice. La Convention
sur la responsabilité civile des dommages résultant d’activités
dangereuses pour l’environnement (STE n° 150) a rencontré les mêmes
problèmes que la convention pénale à l’inverse de la Convention
relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel
de l’Europe (STE n° 104) ou la Convention européenne du paysage
(STE n° 176) qui sont deux succès. Il conviendrait de comprendre
pourquoi certains efforts ont échoué et de réviser ces conventions
pour les rendre efficaces et effectives
.
29. Le Conseil de l’Europe a adopté, dans ses activités de contrôle,
mais aussi dans son assistance technique, une approche basée sur
les risques en lien avec les ODD. D’une façon générale, la définition
des indicateurs ne devrait plus se limiter à des données économiques
ou financières. La méthode de travail du Conseil de l’Europe établie
par les pairs a permis une prise de conscience des vulnérabilités
et leur recul objectif. À ce titre, elle est un modèle alors que
l’Union européenne étudie l’élargissement de ses indicateurs dans
la préparation du Semestre européen. En février 2020, la Cour des
comptes de l’Union européenne a demandé le “verdissement” des indicateurs
en vue de la préparation de la réforme de la Politique agricole commune
(PAC). Il convient de poser la crise climatique comme une question
transversale des activités du Conseil de l’Europe.
30. La Charte sociale européenne (STE n° 35) précise une série
de droits particulièrement exposés aux risques et menaces de la
crise climatique. Du fait des effets directs et indirects de la
surchauffe planétaire, ces droits pourraient être encore plus éprouvés.
De récents mouvements contestataires, souvent menés par des jeunes,
sont apparus au nom de droits qui figurent dans la Charte. La surchauffe
interroge sur le sort des populations vulnérables. Dans un contexte
de changements profonds de la société, pour prendre en compte les
engagements environnementaux, il convient de renforcer le système
de protection des droits de deuxième génération
.
31. Dans sa
Recommandation 1431
(1999) « l’Action future du Conseil de l’Europe en matière
de protection de l’environnement », l’Assemblée évoquait déjà la
nécessité d’un amendement ou d’un protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l’homme, concernant les droits de l’individu
à un environnement sain et viable. Elle l’a rappelée dans sa
Recommandation 1885 (2009) « l’Élaboration d’un protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l’homme relatif au droit à un environnement
sain »
. En juin 2019, la Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, à son tour,
évoquait cette idée en rappelant les 16 Principes-cadres relatifs
aux droits de l’homme et à l’environnement défendus par David R. Boyd,
Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme et
l’environnement, à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement
intitulée « Vivre dans un environnement sain»
.
32. Le Conseil de l’Europe accompagne le changement des mentalités
depuis plus de 70 ans. Au-delà du secteur public, il lui appartient
désormais aussi d’accompagner le secteur privé en mettant en avant
la responsabilité sociale et environnementale. Le Conseil de l’Europe
est encore au début de ses échanges avec le secteur privé après
avoir coopéré avec des professions réglementées (avocats, experts-comptables, journalistes,
etc.). Il a contribué à établir la protection continentale des lanceurs
d’alerte des droits humains alors que les États doivent se plier
à l’exercice de l’audit régulier dans des domaines tels que la lutte
contre la corruption ou la lutte contre le blanchiment d’argent
et le financement du terrorisme. Un tel exercice est concevable
en matière de lutte contre le réchauffement atmosphérique et le
Conseil de l’Europe pourrait guider les acteurs de la vie économique
dans l’élaboration de leur stratégie de la responsabilité sociale
de l’entreprise y compris dans le domaine environnemental.
33. Des villes, à travers le monde, ont entamé une transformation
profonde pour appliquer l’Accord de Paris. D’après l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), la pollution atmosphérique nuit à la
santé dans les villes, où vit la majorité de la population européenne.
Elle est responsable d’au moins 753 000 décès par an en Europe
. Le dernier rapport de l’Agence européenne
pour l’environnement (AEE) révèle que les microparticules de pollution
sont à l’origine de 374 000 décès prématurés en 2016. Bien qu’une
législation nationale soit nécessaire pour décourager l’usage des
véhicules thermiques à énergie fossile et encourager l’utilisation
de véhicules à ultra-basses émissions, l’échelon local sera aussi
un niveau pertinent de réglementation et d’intervention. À travers
ses organes de contrôle, le Conseil de l’Europe assure la promotion de
bonnes pratiques à tous les niveaux, en lien avec les ODD. Son Congrès
des pouvoirs locaux et régionaux surveille la gouvernance locale
en matière de conduite responsable des affaires publiques et de
gestion des ressources publiques, à savoir la participation citoyenne,
l’éthique, l’État de droit, la transparence, la bonne gestion financière
et la responsabilité. La préservation de l’environnement y est abordée
par l’entremise des ODD même si elle ne figure pas dans la Charte
européenne de l’autonomie locale. Le Congrès doit veiller à la mise
en œuvre des engagements liés à l’Accord de Paris. Pour Harald Bergmann
, porte-parole du Congrès pour les
droits de l’homme et maire de Middelburg (Pays-Bas), qui s’exprimait
lors de la conférence de haut niveau sur la protection environnementale
et les droits de l’homme du 27 février 2020, « les élus locaux et régionaux
sont dans une position unique pour faire face à l’urgence climatique
et promouvoir le développement durable en modelant des politiques
adaptées aux besoins locaux. » Il ajoutait « l’acquisition et l’utilisation
de connaissances locales permettront de responsabiliser les citoyens
et de recevoir en retour des indications plus concrètes sur ce que
nous devons faire pour être vraiment durables ». Il reviendra aux
membres du Congrès de décider s’il faut un nouveau protocole à la
Charte.
4. Le
Green New Deal, une innovation pour trouver un nouvel équilibre
34. L’Europe est face à son plus
grand défi comme l’a nommé l’Agence européenne pour l’environnement, à
l’occasion de la parution de son rapport « L’environnement en Europe
– état et perspectives 2020 », en février 2020. Elle indique clairement
que « l’Europe ne réalisera pas ses objectifs pour 2030 sans une
action urgente au cours des dix prochaines années pour répondre
au rythme alarmant d’appauvrissement de la biodiversité, aux effets
de plus en plus marqués du changement climatique et à la surconsommation
des ressources naturelles. » Pour l’Agence, il ne s’agit pas seulement
d’en faire plus, mais de faire différemment. Sous l’impulsion du
Premier ministre António Costa, le Portugal a ainsi été le premier
pays européen à revendiquer pouvoir atteindre la neutralité carbone
en 2050
.
35. En novembre 2018, le membre du directoire de la Banque centrale
européenne Benoît Cœuré exprimait un constat simple: « Plus longtemps
nous ignorons les risques liés au changement environnemental, plus
les risques d’événements catastrophiques, entrainant des conséquences
irréversibles sur l’économie, sont élevés »
. La crise climatique est sans précédent.
Il convient d’explorer toutes les solutions possibles. Le Green
New Deal (GND, en français «nouvelle donne verte» ou «pacte vert»)
est une option à parcourir. Ce n’est pas une idée neuve. Discuté
dès 2003 aux États-Unis où il puise dans les travaux de l’essayiste
Murray Bookchin
,
il figurait dans le programme du groupe des Verts aux élections
européennes de 2009
. Il a été remis au goût du jour,
aux États-Unis, par la parlementaire Alexandria Ocasio-Cortez qui
l’a placé au cœur de son projet politique. Le GND a pour ambition
non seulement de répondre au changement environnemental, mais aussi
d’éliminer la pauvreté et de créer des millions d’emplois. Au Parlement
européen, il est porté par un groupe mené par Aurore Lalucq
.
36. Le GND est une occasion d’aborder avec sérénité les enjeux
de la crise climatique malgré des changements massifs et radicaux.
Lors du lancement du New Deal, le Président américain Roosevelt prévenait:
« Il est évident de choisir une méthode et de l’appliquer. Si elle
échoue, reconnaissez-le, changez-en et essayez encore, encore et
encore. Par-dessus tout, faites quelque chose !
». Actifs des deux côtés de l’océan
Atlantique, les promoteurs du GND
y ont vu, tout d’abord un
moyen de répondre aux enjeux de la crise climatique et ensuite l’occasion
de profondément transformer les États-Unis et l’Europe comme le Président
Roosevelt, qui cherchait à doter son pays de grands investissements
afin de tourner définitivement la page de la crise économique de
1929.
37. Le GND est évoqué en Europe pour répondre à trois crises liées
entre elles: une crise sociale et économique (aux effets décuplés
par la pandémie de covid-19); une crise climatique et environnementale
et une crise démocratique et politique. L’investissement dans le
GND vise à réorienter les économies européennes de l’accumulation
de richesse privée vers la soutenabilité environnementale en créant
des emplois. Le GND présente l’avantage de rétablir le lien démocratique
entre les citoyens, les élus, les autorités locales et nationales.
Il propose des travaux publics verts accompagnant la transformation
du continent à travers un plan d’investissements; un programme législatif
permettant d’aligner la politique européenne avec le consensus scientifique;
et la constitution d’un organe, la Commission pour la justice environnementale, fournissant
des capacités de recherche et d’évaluation pour une transition verte
équitable et juste.
38. Le GND n’est pas une campagne: c’est un mouvement politique,
social et économique ouvrant la voie de l’action civique et favorisant
le dialogue avec les décideurs. Le GND appelle à réunir des assemblées citoyennes
aux niveaux local, régional, national et européen. Les villes de
Bruxelles et Luxembourg ont déjà constitué leurs assemblées citoyennes
dévouées à la préservation de l’environnement. Les promoteurs du GND
proposent la mise en place d’un cadre contraignant visant à prévenir
et lutter contre la « corruption climatique ». Ils proposent la
mise en place d’une plate-forme publique assurant le contrôle des
dépenses liées au plan d’investissement massif, mais aussi suivant
la mise en œuvre des projets. Ils proposent aussi l’installation
d’une autorité publique pour l’intégrité dotée de capacités d’enquête
et de poursuites des auteurs de délits et crimes nuisant à l’application
du GND. Lors de l’audition d’experts par la commission, Paweł Wargan,
coordinateur de l’alliance de partis politiques au sein de Green New Deal for Europe, a évoqué
le risque révolutionnaire si aucune réponse n’était apportée aux
trois crises citées plus haut.
39. L’Union européenne se veut déjà le « leader mondial en matière
de mesures climatiques et environnementales ». Les enjeux sont intégrés
aux objectifs des différentes politiques de l’Union européenne. Elle
veut aller plus loin et a proposé un nouveau « Pacte vert » inspiré
par le mouvement du Green New Deal. Ce
plan a reçu le soutien de 17 ministres de l’environnement de l’Union
européenne: il vise à entrainer les institutions et les modes de
vie pour atteindre un épanouissement durable. La présidente de la
Commission Ursula von der Leyen a fait le vœu en lançant le Pacte
européen pour l’environnement (EU Green
Deal) de faire de l’Europe le « premier continent neutre
pour le climat ».
40. Responsable de la mise en œuvre, le premier vice-président
de la Commission européenne, Frans Timmermans, affiche l’ambition
que personne ne reste derrière. La Commission porte une attention
particulière aux personnes en situation de précarité et aux groupes
de populations les plus vulnérables. Pour relever ce défi, elle
a peu de marge. Son budget est dérisoire en comparaison des besoins
et il n’est pas question de déshabiller les politiques existantes
pour atteindre ces objectifs. La Cour des comptes de l’Union européenne a
estimé les besoins financiers pour couvrir le coût collectif de
la transition écologique pour l’ensemble des États membres à 1 115 milliards
d’euros entre 2021 et 2030
. C’est approximativement la somme
calculée par la Commission européenne. Les projections de l’Institut
Bruegel estiment cependant que le coût serait plutôt de 2 000 milliards
d’euros
. Ce coût est hors de portée pour
l’Union européenne au regard des traités. Le Conseil européen a
néanmoins trouvé, lors de sa réunion du 17 au 21 juillet 2020, un
consensus concernant un ensemble complet de mesures en réponse à
la pandémie de covid-19 d’un montant de 1 824,3 milliards d’euros
associant le cadre financier pluriannuel et un effort de relance
extraordinaire dans le cadre de l’instrument
Next
Generation EU. L’instrument budgétaire comprend un plan
de solidarité sans précédent et s’appuie sur les principes généraux
inscrits dans les traités de l’Union, en particulier les valeurs
énoncées à l’article 2 du Traité de l’Union européenne.
41. La mise en œuvre du Pacte vert vise à installer une croissance
verte et des changements profonds. En mars 2018, sur la base des
compétences définies par les traités, la Commission européenne avait
déjà appelé à la mise en place d’une classification européenne des
activités durables
visant à accompagner les investisseurs
et les sociétés privées vers une économie à faible émission de carbone
utilisant de façon optimale les ressources disponibles. Cette démarche
s’appuie sur les normes définies par l’Organisation de coopération
et de développement économiques (OCDE) et les Nations Unies. Les
efforts de l’Union européenne en vue d’intégrer les ODD dans l’économie
européenne rappellent ceux du Conseil de l’Europe autour du triptyque
bien connu « normes, contrôle (
monitoring)
et assistance technique ». Il n’empêche que cette mise en œuvre
sera longue et fastidieuse. Dans le cadre du Pacte vert, la Commission
européenne entend, à son tour, proposer une « loi climat » permettant
à l’Union européenne d’atteindre la neutralité climatique d’ici
à 2050.
42. En tant que vigie de l’Europe, le Conseil de l’Europe devrait
contribuer aux efforts de l’Union européenne de faire en sorte que
les droits humains, la démocratie et l’État de droit demeurent au
cœur du débat et soient pris en compte tout au long de la préparation
et la mise en œuvre du Pacte vert de l’Union européenne, tout en
s’assurant qu’il implique et profite à l’ensemble des personnes
habitant en Europe, en n’oubliant personne. Il est temps que l’Assemblée
se saisisse, à son tour, du GND et du Pacte vert, et porte les efforts
en dehors de l’Union européenne, pour tous ses États membres.
5. Les
autres ressources de la résilience climatique
43. La résilience climatique nous
apprend que la réponse à la crise actuelle viendra non seulement
de la volonté politique, mais surtout de l’adhésion des différents
échelons de l’autorité publique. Elle implique à la fois le partage
d’information et la coopération entre les acteurs aux niveaux local,
régional, national et international. Comme l’explique l’historien
Yuval Noah Harari, de l’université hébraïque de Jérusalem, à propos de
la covid-19, « Dans ce moment de crise, le combat décisif se joue
au sein de l’humanité. Si cette épidémie conduit à une désunion
et à une méfiance accrue entre les hommes, ce sera la plus grande
victoire du virus. À l’inverse, si l’épidémie entraine une coopération
mondiale plus étroite, alors nous n’aurons pas seulement vaincu
le coronavirus, mais tous les agents pathogènes à venir
». Le Forum mondial de la démocratie 2021 est
consacré au sujet qui nous importe « La démocratie au secours de
l’environnement
? » Notre Assemblée a participé à
l’événement du 18 janvier 2021 intitulé « la démocratie représentative
contre la crise climatique»
.
44. Les travaux du GIEC ont démontré que le progrès scientifique
n’apportera aucun miracle pour relever les défis de la surchauffe
de la planète. Il faudra plutôt de nombreuses mesures dans de divers
domaines pour accompagner la décroissance qui s’impose à l’humanité.
Un des risques face à nous serait de n’aborder les solutions que
sous l’angle des restrictions et des interdictions. C’est ce que
certains appellent déjà « l’écologie punitive ». Avec la mission
de répondre à l’ensemble de la société, les pouvoirs publics sont
sur un chemin semé d’embûches afin de guider vers des changements
de comportement durables, souvent très éloignés des comportements
consuméristes qui ont prévalu depuis des années. Il convient de
doter les individus d’une conscience des efforts à fournir avec
empathie, respect et précaution afin de ne pas créer de nouveaux
fronts entre les groupes sociaux. Si l’État de droit a été construit
sur des interdictions, il doit désormais davantage convaincre et
recommander pour accompagner les changements nécessaires en responsabilisant
les individus. Le Programme des Nations Unies pour le développement
(PNUD) a publié
People’s Climate Vote , la plus grande enquête d’opinion
jamais réalisée sur les questions environnementales: 64 % des 1,2 million
de personnes interrogées dans 50 pays voient le changement climatique
comme une urgence mondiale et 59 % disent que tout ce qui est nécessaire
afin de le combattre devrait être mis en œuvre et de façon urgente.
45. Les voies qui s’offrent au Conseil de l’Europe pourraient
aussi s’appuyer sur l’invention et la créativité ou s’inspirer d’initiatives
originales.
- La première voie
est à mettre en perspective avec le droit de la nature. Pour l’ethnologue
Claude Lévi-Strauss, le « malaise de notre civilisation » serait
lié au fait que « l’ordre du rationnel et l’ordre du poétique sont
devenus complètement séparés» . Ce point de vue nous met au défi
d’adopter une approche holistique permettant d’aborder simultanément
les crises économique, sociale et démocratique et sur la relation
à entretenir avec la nature environnante. Une telle approche pose
aussi la responsabilité envers les générations futures. Inspirés
par des coutumes animistes, certains juristes ont proposé de doter
des fleuves et rivières de la personnalité juridique. Cette innovation
se retrouve dans plusieurs pays (Inde, Nouvelle-Zélande, Canada,
etc.). Elle a permis le lancement de poursuites en leur nom et ouvre
un nouveau front face aux pollueurs. L’Équateur a été, en 2008,
le premier pays à inscrire dans sa constitution le droit de la nature
et sa protection. L’article 71 de sa constitution indique: « Chaque personne,
communauté, peuple ou nation pourra exiger des autorités l’application
des droits de la nature. Les principes établis par la Constitution
doivent être observés comme tels pour mettre en œuvre et interpréter
ces droits. L’État doit encourager les personnes naturelles, juridiques
ainsi que les communautés à protéger la nature et de promouvoir
le respect de tous les éléments composant l’écosystème ». Une multitude
d’initiatives fleurit en Europe pour défendre le vivant devant la
justice .
- Dans son encyclique consacrée au changement climatique, Laudato si , le pape François propose une voie
similaire appelant aussi une approche holistique des changements
environnementaux, sociaux et politiques. L’encyclique nous invite
à accepter notre vulnérabilité, revoir notre perception défaillante
de la nature environnante et nous résoudre à reconnaître où nous
a emmenés notre affirmation de toute-puissance sur l’environnement.
- Le Congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation
de la nature (UICN) sur le droit de l’environnement a adopté, sur
le même principe, la Déclaration mondiale sur l’État de droit environnemental . Suivant cette voie, le Conseil de
l’Europe pourrait explorer la possibilité d’un nouvel outil juridique
répondant simultanément aux différentes crises que rencontre le
continent et offrir une meilleure protection de l’environnement.
- Au-delà des questions de décentralisation, de déconcentration
ou de subsidiarité, nous pourrions aussi nous interroger sur la
pertinence de l’intervention publique. La polycentricité est un
concept économique popularisé par Einor Ostrom, lauréate du prix
Nobel d’économie en 2009 pour ses travaux sur l’analyse de la gouvernance
de l’environnement. Elle définit les systèmes polycentriques par
opposition à l’organisation monocentrique qui monopolise tous les
niveaux de décision. Elle promeut une organisation autour de multiples
autorités exerçant leur autorité de façon simultanée et à différentes échelles.
Chaque unité dispose d’une certaine autonomie pour fixer normes
et règles dans un domaine spécifique . Le projet INOGOV (Innovations in Climate Governance)
a pour ambition de proposer la gouvernance climatique comme un système
dynamique polycentrique. Il se base sur le postulat que les États
et les organisations internationales doivent partager leurs responsabilités
avec les villes, les fondations, les compagnies privées, les universités
et les organisations religieuses. Pour répondre à l’urgence climatique,
de nouvelles formes d’engagements ont émergé de façon spontanée,
produisant une intervention dispersée et polycentrique. Le message
essentiel est que, pour éviter le changement environnemental, il
faut des efforts monumentaux de la part de toutes les composantes
de la société, de chaque individu jusqu’aux acteurs de la réglementation
internationale. Ainsi au niveau local, même s’il n’est pas toujours
évident de comprendre les raisons qui amènent un acteur à s’engager
pour la préservation de l’environnement, on peut compter sur l’élan
créatif des initiatives individuelles ou de groupes pour encourager
les collectivités locales, lesquelles feront pression sur les instances nationales,
qui entraîneront les instances internationales.
6. Conclusions
46. Trente ans de rapports du GIEC
ont contribué à établir un large consensus scientifique sur la réalité
de la crise climatique: tout échec ne pourrait être reproché à la
communauté scientifique. La surchauffe est une réalité à laquelle
les États et chaque individu doivent faire face. L’Europe est menacée
au même titre que les autres continents. Cette crise est devenue
le catalyseur qui décuple les effets des autres crises. Sans faire montre
de fatalisme ni d’optimisme excessif, notre premier défi sera de
faire en sorte que les plus faibles ne deviennent pas les premières
victimes de la surchauffe, ou ne souffrent pas injustement des changements
que nous devons opérer. En approuvant les ODD, les États membres
ont intégré cette menace et pris l’engagement d’atteindre les différents
objectifs cibles. Nous devons, collectivement et à l’échelle individuelle, contribuer
à un nouvel équilibre et rechercher un monde stable par la promotion
de l’État de droit, la démocratie et les droits humains, y compris
ceux dits « de troisième génération ».
47. Le Conseil de l’Europe doit poursuivre ses travaux en matière
de préservation de l’environnement. Son expérience et sa méthodologie
de la gestion des risques peuvent accompagner les changements profonds dans
les rapports entre individus, sociétés et autorités. Pour l’adaptation
de ses normes, le Conseil de l’Europe devra faire preuve de créativité
afin d’accompagner l’émergence d’une vision susceptible de répondre simultanément
aux différentes crises – environnementale, sociale et démocratique.
L’approche holistique est plus à même de relever le défi de la crise
climatique tout en proposant un nouvel équilibre. Il est envisageable qu’un
outil juridique inédit soit opportun afin de prendre en compte la
surchauffe et ses conséquences dans l’espace de droit européen tout
en respectant la tradition constitutionnelle des États membres
.
48. Le Conseil de l’Europe doit, en tant qu’institution, intégrer
les enjeux environnementaux de manière transversale à travers toutes
les formes de son action. En partenariat avec l’Union européenne,
il aura un rôle déterminant à jouer afin de relever simultanément
les défis de la crise climatique, des droits humains, de la démocratie
et de l’État de droit. Il est plus qu’urgent que l’Union européenne
accède à la Convention européenne des droits de l’homme afin de
poursuivre la diversification de ses bases juridiques.
49. L’Assemblée doit demeurer un acteur attentif aux efforts des
États membres afin de faire face à leurs engagements en matière
de développement durable. Elle doit contribuer activement à la prochaine
COP26 à Glasgow afin de promouvoir dans ses travaux les valeurs
qui sous-tendent le mandat du Conseil de l’Europe. Je souhaite que
l’Assemblée poursuive sa réflexion sur les réponses à la surchauffe
et la proposition du
Green New Deal, en
créant, en son sein, un réseau parlementaire sous l’égide de notre
commission, dont la mission serait de suivre les actions des autorités
nationales pour le respect des engagements forts pris face à la
crise climatique. Il favoriserait l’enrichissement mutuel des idées
et les échanges d’expériences entre parlementaires
européens, mais aussi au-delà avec les parlementaires des autres
continents. En tant que parlementaires nationaux et membres de cette
assemblée, nous devrons jouer un rôle pivot en faveur du changement.
50. Dans sa
Résolution 1802
(2011) « La nécessité d’un bilan des progrès accomplis dans
l’application de la Convention de Berne », notre Assemblée reprenait
le principe 1 de la Déclaration de Stockholm (Conférence des Nations
Unies sur l’environnement, 1972): « L’homme a un droit fondamental
à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes,
dans un environnement dont la qualité lui permet de vivre dans la
dignité et le bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et
d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures. »
Faisons-en sorte que ce principe nous guide toujours dans notre
action collective contre la crise climatique et de trouver la résilience
nécessaire dans nos institutions. Après la crise sanitaire, nous
ne pourrons pas reprendre la vie d’avant et devrons nous poser les
vraies questions. Dans quel monde voulons-nous vivre et que voulons-nous
laisser aux générations futures ? L’innovation technologique ne
suffira pas, il faudra de la créativité et du ressort dans les autres
domaines, y compris en politique en mettant davantage l’accent sur
le bien-être humain et la responsabilité commune
.