1. Introduction
1.1. Procédure
1. La commission m’a nommé rapporteur
le 9 novembre 2020 et a décidé d’adresser un questionnaire aux délégations
nationales, par l’intermédiaire du Centre européen de recherche
et de documentation parlementaires (CERDP). Les réponses à ce questionnaire
sont résumées en annexe du présent rapport. Lors de sa réunion du
19 janvier 2021, la commission a procédé à l’audition de Mme Sibel
Kulaksiz, économiste principale et cheffe du Groupe de travail,
Banque mondiale; Mme Marta Torre-Schaub,
directrice de recherche, Institut des sciences juridique et philosophique
de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne; et M. Jesper
Hjortenberg, président du Comité européen pour les problèmes criminels
(CDPC) du Conseil de l’Europe.
1.2. Impact
économique du changement climatique et le coût de l’inaction
2. Le changement climatique une
menace grave pour l’économie, notamment le développement mondial et
la prospérité partagée. Il présente des risques élevés pour le développement
à long terme, la croissance économique et la stabilité des pays.
Les sécheresses, les vagues de chaleur, les inondations et d'autres événements
extrêmes causent d'énormes dégâts, annulant souvent les gains de
développement durement acquis. À moyen et long terme, le changement
climatique a des conséquences cruciales sur le niveau de vie, la
sécurité alimentaire, la santé, la productivité et la qualité de
vie.
3. Les changements climatiques amplifieront les défis actuels
posés par la pauvreté, la faiblesse des institutions gouvernementales,
les conditions de vie défavorables, la forte dépendance à l'agriculture
et aux ressources naturelles, la croissance démographique rapide
et une capacité globale limitée à faire face à la variabilité et
aux changements du climat.
4. Le coût de l'inaction est élevé. Les efforts mondiaux actuels
ne donnent pas de résultats assez rapidement. Si les mesures correctives
se poursuivent au rythme actuel, les effets du changement climatique pousseront
100 millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté d'ici
2030. En outre, le changement climatique forcera 140 millions de
personnes à migrer d'ici 2050. À ce jour, seules 26 Parties, représentant 40 pays,
ont adopté un objectif net zéro. Cela ne représente que 14,4% des
émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) (selon Climate
Watch Net-Zero Tracker). Près de 90% des stocks de poissons marins
sont exploités (selon l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture
des Nations Unies), mettant en danger les 3 milliards de personnes
qui dépendent de l'océan pour leur subsistance (selon le Programme
pour le développement des Nations Unies).
5. Une augmentation persistante de la température mondiale moyenne
de 0,04°C par an, en l'absence de politiques d'atténuation, réduira
le produit intérieur brut mondial réel par habitant de 7% d'ici
2100. D'ici 2050, les dommages cumulatifs dus au changement climatique
pourraient atteindre 8.000 milliards de dollars américains. Déjà,
en 2019, le changement climatique a contribué à des événements météorologiques extrêmes
causant 100 milliards de dollars américains de dommages. L'agriculture
sera le secteur le plus touché. Plus de la moitié du PIB mondial
– environ 44 billions de dollars américains – dépend fortement ou modérément
de la nature (selon le Forum économique mondial).
6. Assurer une transition réussie vers une économie à faibles
émissions de carbone peut permettre une croissance économique durable
tout en créant des emplois. Une étude a révélé que 23 billions de
dollars américains créent des opportunités d'investissement pour
financer les engagements nationaux en matière d'action climatique
de 21 marchés émergents, y compris des investissements dans des
infrastructures résilientes en Asie du Sud (selon le rapport annuel
de 2016 de la Société financière internationale – International
Finance Corporation). L'action climatique pourrait également débloquer
26 billions de dollars américains en investissements dans le monde
et créer 65 millions d'emplois supplémentaires d'ici 2030 (selon un
rapport de la Commission mondiale sur l'économie et le climat –
Global Commission on the Economy and Climate – de 2018).
1.3. Questions
en jeu
7. Bien que le climat de la Terre
ait toujours fluctué, il est désormais scientifiquement incontesté
que les émissions de GES d’origine humaine contribuent à ces fluctuations
et sont déjà la cause d’un réchauffement de la planète d’environ
1°C par rapport à la période préindustrielle. Le changement climatique
est donc devenu une préoccupation mondiale. Il provoque, entre autres,
des catastrophes naturelles et des phénomènes météorologiques extrêmes
de plus en plus fréquents, tels que l’élévation du niveau de la
mer, les vagues de chaleur, les sécheresses, la pénurie d’eau, la
propagation accrue des maladies et une perte de la biodiversité. D’après
les projections, ces impacts négatifs devraient s’accentuer dans
un futur proche
. Une hausse continue des températures
serait catastrophique et pourrait avoir des effets directs, comme
le caractère inhabitable de certaines régions ou la perte de bétail
et d’approvisionnement alimentaire, et des effets indirects, comme
la disparition des moyens d’existence et des services essentiels,
l’aggravation des inégalités ou l’intensification des flux migratoires
massifs. Les vagues de chaleur sont une conséquence particulièrement problématique
du changement climatique. Selon une analyse de la Commission européenne,
on estime qu’une augmentation de la température de plus de 2 degrés
d’ici 2100 pourrait causer 132 000 décès supplémentaires dus à des
vagues de chaleur au sein de l’Union européenne, contre seulement
58 000 si la température augmente de moins de 2°C
.
L’augmentation de la résistance aux antimicrobiens, c’est-à-dire
la résistance des bactéries aux antibiotiques, est une conséquence
moins connue de la hausse des températures. La résistance aux antimicrobiens
tue 33 000 personnes en Europe chaque année; l’inaction face au
changement climatique devrait alourdir encore ce bilan
.
En outre, une expansion des aires protégées en Antarctique avec
un niveau de protection écologique élevé semble être une question
centrale pour la planète entière et également pour l'Europe, malgré
la distance géographique considérable; cette région est cruciale
pour le climat mondial et la préservation de la biodiversité. L'Antarctique
et l'ensemble de l'océan Austral constituent un écosystème extrêmement
riche en biodiversité mais aussi fragile, qui subit une pression
économique croissante. En même temps, l'écosystème antarctique souffre
du réchauffement climatique mondial; il est donc très important d'améliorer
la résilience climatique. Le changement climatique fait clairement
peser de graves menaces sur l’exercice des droits humains, notamment
le droit à la vie et le droit au respect de la vie privée et familiale, consacrés
par les articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de
l’homme (STE no 5, «la Convention»)
.
8. Un environnement sain et durable est en fin de compte une
condition préalable non seulement de la prospérité et du bien-être
mais aussi de la pleine jouissance de tous les droits humains. Les
violations des droits humains causées par le changement climatique
placent l’humanité face à des défis urgents dont les organes du
Conseil de l’Europe doivent se saisir. Cependant, l’engagement du
Conseil de l’Europe en faveur de la protection de l’environnement
n’est pas nouveau. Diverses normes juridiques internationales ont
été élaborées et ont influencé les progrès réalisés dans le traitement
des problèmes environnementaux
. L’Assemblée
elle-même a adopté de nombreuses recommandations relatives à la
protection de l’environnement par le droit des droits humains
.
9. Bien que la Convention ne garantisse pas expressément le droit
à un environnement sain, la Cour européenne des droits de l’homme
(«la Cour») a développé une jurisprudence étendue sur le sujet
, principalement en s’appuyant
sur la notion d’obligation positive qui découle de l’article 2 (droit
à la vie) et de l’article 8 (droit au respect de la vie privée)
de la Convention. Cependant, les violations d’autres articles de
la Convention, tels que les articles 6, 10 et l’article 1 du Protocole
no 1, peuvent également être pertinentes. L’applicabilité
de la Convention aux questions environnementales a toutefois ses
limites. Dans une affaire ayant opposé Greenpeace et d’autres à
l’Allemagne, les requérants, dont les locaux étaient situés à proximité d’axes
routiers très passants, estimaient que l’État allemand n’avait pas
pris suffisamment de mesures pour réduire les effets néfastes des
émissions des véhicules à moteur diesel sur l’environnement et que
cela constituait une violation de leurs droits garantis par l’article 8.
La Cour a néanmoins estimé que l’affaire était manifestement mal
fondée. Elle a rappelé que le «droit à un environnement sain et
calme» n’était pas expressément reconnu et a observé que les autorités
avaient pris des mesures pour réduire les émissions de diesel des
véhicules et que les États disposaient d’une vaste marge d’appréciation
quant à la manière dont ils souhaitent traiter les questions environnementales
.
10. Dans l’affaire
Boudaïeva et autres
c. Russie, la Cour a conclu à une violation de l’article
2 de la Convention du fait de l’insuffisance des mesures prises
pour protéger la vie des requérants face à une coulée de boue qui
a dévasté Tyrnyauz, une ville située dans la zone montagneuse proche
du Mont Elbrouz
.
Une question similaire a été soulevée dans l’affaire
Murillo Saldias et autres c. Espagne ,
dans laquelle une inondation torrentielle avait dévasté un camping
espagnol en août 1996, faisant 96 morts. Les requérants affirmaient
que les autorités espagnoles n’avaient pas pris suffisamment de
mesures de prévention pour protéger la vie des campeurs. La Cour
a toutefois conclu à l’irrecevabilité de la requête aux motifs de
l’absence de la qualité de victime (pour le premier requérant) et
du non-épuisement des voies de recours internes (pour les autres
requérants). Pour autant, les problèmes engendrés par les conditions
et les phénomènes climatiques extrêmes seront de plus en plus présents
dans les affaires liées au changement climatique et, tôt ou tard,
la Cour rendra des arrêts sur ces questions.
11. Le 3 septembre 2020, six enfants et jeunes adultes portugais
ont introduit une requête devant la Cour contre 33 États parties
à la Convention. Ils affirment que l’impact du changement climatique
présumé résulter du non-respect par les États de leurs engagements
au titre de l’Accord de Paris de 2015 (dont l’objectif est de limiter
le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2, de préférence
à 1,5°C, par rapport au niveau préindustriel) a violé leurs droits
garantis par les articles 2, 8 et 14 de la Convention (interdiction
de toute discrimination), et demandent qu’une décision de justice
ordonne à ces 33 gouvernements «de prendre les mesures urgentes
qui s’imposent pour mettre fin à la crise du climat»
. À la fin du mois d’octobre 2020, une requête
similaire a été déposée devant la Cour par un groupe de femmes âgées
suisses
. Les requérantes affirment que l’intensification
des vagues de chaleur due au changement climatique représente une
menace pour leur santé. Elles demandent aussi aux autorités fédérales
suisses de modifier leur politique en matière de climat afin d’atteindre
les objectifs climatiques
. Une autre requête a été récemment
introduite devant la Cour par un Autrichien atteint d’une forme
de sclérose en plaques sensible à la température, qui affirme que
le changement climatique et l’inaction des autorités autrichiennes
ont gravement affecté sa vie quotidienne, sa dignité et son bien-être
.
12. La reconnaissance de la responsabilité juridique en matière
de changement climatique aux niveaux national, européen et international
apparaît dès 1992, avec la signature de la Convention-cadre des
Nations Unies sur les changements climatiques
,
et varie fortement d’un État à l’autre. Si le droit relatif aux
droits humains est essentiel pour garantir la protection de l’environnement –
et de plus en plus souvent invoqué pour lutter contre le changement
climatique –, il importe de ne pas négliger d’autres domaines du
droit. Le droit administratif, le droit des sociétés, le droit de
la responsabilité délictuelle, le droit constitutionnel et le droit
pénal (international) sont tout aussi importants dans la lutte contre
le changement climatique. Bien que l’efficacité de leurs mécanismes
juridiques varie considérablement et qu’ils soient utilisés de manière
inégale, ils sont de plus en plus utilisés et le contentieux climatique
joue un rôle de plus en plus crucial.
13. Conformément au titre du document renvoyé en commission, mon
rapport porte sur les aspects de la responsabilité pénale et civile
dans le contexte du changement climatique. Le Conseil de l’Europe
a adopté deux conventions dans ce domaine: la Convention de 1998
sur la protection de l’environnement par le droit pénal (STE n°
172) et la Convention de Lugano de 1993 sur la responsabilité civile
des dommages résultant d’activités dangereuses pour l’environnement
(STE n° 150). Ces conventions visent à améliorer la protection de
l’environnement au niveau européen, respectivement en recourant
au droit pénal pour dissuader et prévenir les comportements susceptibles
de nuire à l’environnement, et en assurant une réparation adéquate
des dommages résultant d’activités dangereuses pour l’environnement.
Toutefois, peu d’États ont ratifié ces deux conventions depuis leur
ouverture à la signature, ce qui signifie qu’il n’existe pas encore
de régime européen de responsabilité pour les effets néfastes sur
le climat.
14. Alors que les poursuites judiciaires relatives au changement
climatique sont devenues monnaie courante au XXIe siècle
et que le rôle central de la réglementation pour faire face au changement
climatique a été reconnu, la question de la responsabilité doit
être abordée au niveau européen, dans le cadre des normes juridiques
communes du Conseil de l’Europe. Les États membres du Conseil de
l’Europe doivent non seulement prendre d’urgence des mesures ambitieuses –
et coordonnées – pour minimiser leur impact sur le changement climatique,
mais aussi élaborer des normes internationales cohérentes et une
réglementation efficace pour mettre les organismes publics et privés
face à leurs propres responsabilités. La responsabilité peut servir
d’outil à la fois pour prévenir et réparer les dommages causés par
le changement climatique. Toutefois, la nature mondiale du changement
climatique oppose un argument juridique non négligeable au «contentieux
climatique»: le changement climatique nuit à tous, mais à personne
en particulier. Cela signifie que les victimes et les responsables
des dommages doivent être nommés et que les dispositions relatives
à la responsabilité pénale et civile doivent être invoquées.
2. Les questions de responsabilité pénale
et civile
2.1. Généralités
15. La manière d’aborder les atteintes
à l’environnement dans le droit interne a fondamentalement changé au
cours des trente dernières années. Dans les années 1970, lorsque
le droit pénal de l’environnement est apparu dans de nombreux États
membres du Conseil de l’Europe, il avait un caractère essentiellement administratif.
Il s’agissait, par exemple, d’imposer aux exploitants qu’ils demandent
une autorisation et mènent leurs activités dans les conditions prévues
par cette autorisation. Les dispositions pénales visaient uniquement à
imposer des sanctions pénales à ceux qui enfreignaient ces obligations
administratives. C’est ce que l’on a appelé la «dépendance administrative
du droit pénal de l’environnement»
. Ainsi,
à leurs débuts, les infractions environnementales ne tenaient pas
compte de la véritable nature du danger pour l’environnement que
revêtait un acte ou un comportement en particulier. On considérait
que l’environnement devait uniquement être géré sur le plan administratif
et, comme le droit administratif n’était pas prioritaire, les infractions environnementales
restaient souvent impunies.
16. Aujourd’hui, les États membres du Conseil de l’Europe envisagent
les atteintes à l’environnement sous un autre angle. Au lieu d’être
ajoutées au droit administratif de l’environnement, les dispositions
pénales font désormais souvent partie du droit pénal matériel, sous
forme de dispositions autonomes. Cette technique législative permet
de mieux protéger l’environnement. Les États membres privilégient
davantage la mise en danger et les atteintes portées à l’environnement
ou à l’intégrité physique des individus, et moins les infractions administratives.
La responsabilité pénale ne résulte donc plus d’une violation des
obligations administratives. Si certains États membres du Conseil
de l’Europe ont codifié les infractions environnementales dans des
codes spéciaux de l’environnement
, d’autres les ont intégrées
dans leur code pénal général
.
17. On observe par ailleurs une tendance à considérer les infractions
environnementales comme une composante d’une «boîte à outils», où
le droit pénal n’est qu’un instrument coercitif parmi d’autres.
Ainsi, la mise en danger et les atteintes à l’environnement sont
traitées par le biais de sanctions civiles et administratives, tandis
que le droit pénal s’applique aux cas les plus graves et est donc
utilisé en dernier ressort (
ultima ratio)
.
2.2. La
Convention sur la protection de l’environnement par le droit pénal
de 1998
18. Le recours au droit pénal en
dernier ressort afin de dissuader et de prévenir les comportements
les plus préjudiciables pour l’environnement n’est pas une nouveauté
au niveau européen. Le 4 novembre 1998, la Convention sur la protection
de l’environnement par le droit pénal (ci-après la «Convention no 172»)
a été ouverte à la signature. Son préambule souligne «qu’il est
nécessaire de protéger la vie et la santé des êtres humains, le
milieu naturel ainsi que la flore et la faune par tous les moyens
possibles». Il s’agissait de la première convention internationale
contraignante consacrée à l’harmonisation du droit pénal en matière d’environnement.
Elle visait à instaurer un cadre pour sanctionner les infractions
environnementales aux niveaux mondial, régional et national, un
objectif important puisque la pollution de l’environnement ne connaît pas
de frontières. Elle cherchait à améliorer la protection de l’environnement
en harmonisant les législations nationales dans le domaine des infractions
environnementales pour, à terme, renforcer et faciliter la coopération
internationale. Cette convention oblige ainsi les États contractants
à introduire des dispositions spécifiques dans leur droit pénal
ou à modifier les dispositions existantes (article 5). Elle est
ouverte à l’adhésion des États tiers. Alors qu’il suffirait de seulement
trois ratifications pour qu’elle entre en vigueur, l’Estonie est
à ce jour le seul État à l’avoir ratifiée (en 2002); 13 autres États
membres du Conseil de l’Europe l’ont signée (l’Ukraine étant la
dernière signataire, en 2006), mais pas encore ratifiée
. Néanmoins, cette convention a été
qualifiée d’un des «acquis les plus remarquables du Conseil de l’Europe»
en
matière de protection de l’environnement.
19. La Convention no 172 crée des obligations
législatives en matière de droit pénal matériel et procédural. En
ce qui concerne le droit matériel, elle érige tout d’abord en infraction
pénale un certain nombre d’actes commis aux niveaux national et
transnational, intentionnellement ou par négligence, causant ou
susceptibles de causer des dommages durables à la qualité de l’air,
du sol, des eaux, à des animaux ou à des végétaux, ou entraînant
la mort de personnes ou de graves lésions à celles-ci (articles
2 à 4). Elle sanctionne la mise en danger abstraite et concrète
de l’environnement, tout en prévoyant une infraction distincte en
cas de pollution ayant des conséquences graves (article 2). Cette
orientation rejoint l’idée susmentionnée de boîte à outils et le
principe de dernier ressort (également évoqué dans le préambule).
En outre, les comportements illégaux qui ne sont pas couverts par
les articles 2 et 3 de la convention sont passibles de sanctions
ou d’autres mesures en tant qu’infractions pénales ou administratives
(article 4). La convention définit la notion de responsabilité pénale
des personnes physiques et morales et fait de la responsabilité
(pénale ou administrative) des entreprises une mesure non obligatoire
(article 9). Les sanctions possibles comprennent l’emprisonnement
et les sanctions pécuniaires (article 6) et peuvent inclure la remise
en l’état de l’environnement (articles 6 et 8), une disposition
facultative mais révolutionnaire pour l’époque. La convention précise
en outre les mesures que les États contractants peuvent adopter,
en cas d’infraction pénale, pour confisquer les instruments et les produits
ou les biens dont la valeur correspond à ces produits (article 7).
Elle favorise la participation des groupes, des fondations et des
associations aux procédures pénales, par le biais de l’
actio popularis (article 11) et
encourage la coopération judiciaire internationale (article 12)
.
20. Bien que la Convention no 172 ait
intégré des approches jugées novatrices au moment de son adoption, on
lui a reproché plus récemment d’être trop vague, d’avoir omis des
questions importantes, telles que la récidive internationale, les
infractions environnementales transnationales et le changement climatique,
et de ne pas avoir mis en place de mécanisme de suivi. L’établissement
de la responsabilité des entreprises devrait être rendu obligatoire
pour permettre la sanction des entreprises qui contribuent à la
dégradation de l’environnement. Le faible taux de ratification montre
par ailleurs que la convention a besoin d’être révisée ou remplacée
par un autre instrument juridique actualisé.
21. Le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) a publié
récemment un document de travail sur la protection de l’environnement
par le droit pénal (ci-après «document de travail du CDPC»), dans
lequel il indique envisager la rédaction du texte d’une nouvelle
convention
.
Il décrit les principales difficultés auxquelles se heurte la convention
existante, son orientation et ses principes généraux, ainsi que
le travail mené par l’Union européenne autour de la protection de
l’environnement par le droit.
22. Comme le souligne le document de travail du CDPC, l’une des
principales difficultés qui se pose du point de vue du droit de
l’environnement est l’existence en droit national et international
d’une multitude de règles contraignantes mais désordonnées, souvent
dénuées de dispositions pénales précises et éparses à différents niveaux.
Depuis la seconde moitié du XXe siècle,
le droit de l’environnement connaît une véritable inflation des textes
juridiques internationaux et européens. On dénombre aujourd’hui
plus de 300 traités internationaux multilatéraux portant sur des
problèmes qui concernent des régions entières, sinon toute la planète,
et plus de 900 traités internationaux bilatéraux relatifs aux pollutions
transfrontières
. En outre, une autre
série de dispositions a été élaborée au niveau de l’Union européenne.
23. Le document de travail du CDPC reconnaît donc que le droit
pénal de l’environnement apparaît vaste et complexe, et surtout
difficile à transposer pénalement en droit national et à unifier.
Du fait de ses particularités, la problématique environnementale
s’accorde difficilement avec les principes universels du droit pénal.
Les principaux obstacles sont la définition en des termes clairs
et précis de ce qui constitue une atteinte à l’environnement (principe
de légalité des délits et des peines), du degré à partir duquel
elle devient grave et sérieuse (principe de nécessité de la peine)
et du «prix» de la nature (principe de proportionnalité de la peine). Les
systèmes nationaux de droit pénal sont très divers et utilisent
des notions juridiques différentes. Par ailleurs, il ne faut pas
oublier que le droit pénal est intrinsèquement régalien et que la
protection de l’environnement est également garantie par des sanctions
administratives et civiles.
24. Le document de travail du CDPC précise aussi que l’éventuelle
future convention devrait combiner les principes fondamentaux du
droit pénal et du droit de l’environnement. Ainsi, du point de vue
du droit pénal, les incriminations et les peines retenues doivent
être soumises au principe de légalité – et doivent donc être rédigées
en des termes clairs et précis – et les sanctions doivent être nécessaires
et proportionnées. La solidarité des États et l’existence de règles
communes pour développer une coopération pénale internationale sont
indispensables à la mise en place d’un dispositif répressif harmonisé,
en raison notamment de la dimension transnationale des infractions
environnementales. Du point de vue spécifique de l’environnement, la
reconnaissance de l’intérêt général lié à la protection de l’environnement
est le principe fondateur. Face aux défis actuels, les États sont
invités à rénover les bases juridiques de la coopération internationale
dans ce domaine, en particulier pour garantir la sûreté de la planète,
l’équilibre de la biosphère, la sauvegarde de la biodiversité et
des écosystèmes, et à établir des règles minimales pour une protection
plus efficace de l’environnement. Par conséquent, «[…] le dispositif
pénal doit s’inscrire dans une approche à la fois sectorielle et
systémique afin d’englober l’ensemble des comportements et activités
portant ou susceptibles de porter les atteintes les plus graves
à l’environnement»
. En ce qui concerne
la définition des incriminations, le CDPC recommande de définir
des infractions de non-respect de règles spéciales préétablies –
de nature législative ou administrative – qui renvoient à des actes
«illicites» spécifiques (concernant l’eau, l’air, la faune, la flore,
les déchets, la pollution, etc.), et des «infractions plus générales
de mise en danger de l’environnement» qui recouvrent les atteintes
massives, les plus graves, à l’environnement et qui, pour l’heure,
ne connaissent pas de sanctions suffisamment dissuasives (par exemple
la déforestation des forêts tropicales, la pollution des sols et
des eaux liée aux forages de puits de pétrole ou encore le risque
environnemental créé par des cargos transportant des matières dangereuses
et qui pénètrent dans des aires marines protégées)
.
25. Le CDPC a créé un Groupe de travail sur l’environnement et
le droit pénal (CDPC-EC), composé d’experts représentant les États
membres du Conseil de l’Europe et d’un expert scientifique, afin
de discuter de la possibilité de réaliser des progrès plus concrets
en matière de protection de l’environnement par le droit pénal et
d’évaluer l’opportunité de procéder à une révision de la Convention
no 172 ou à l’élaboration d’un nouvel
instrument du Conseil de l’Europe
. Sa mission consistera, entre autres,
à analyser les raisons de l’échec de la Convention no 172,
à identifier les défis/risques environnementaux actuels et futurs
auxquels les États sont confrontés et à mener une analyse de droit
comparé. Le groupe de travail déterminera les axes majeurs de l’éventuel
nouvel instrument, ou de l’instrument actualisé, à savoir: les concepts
environnementaux à intégrer et à définir; le droit pénal substantiel
et procédural; les mesures de prévention, de protection et de coopération
internationale; et les mécanismes de suivi de la mise en œuvre de
l’instrument. Le CDPC-EC a tenu sa première réunion les 20 et 21
avril 2021, par visioconférence.
2.3. Directive
de l’Union européenne 2008/99/CE
26. Au sein de l’Union européenne,
plus de 250 textes, essentiellement des directives, fixent des normes
et des limites dans le domaine de l’environnement. La Convention
no 172 a largement influencé l’adoption
de certains de ces instruments, notamment la Directive 2008/99/CE
du Parlement européen et du Conseil relative à la protection de
l’environnement par le droit pénal
(«Directive 2008/99/CE»)
et la Directive 2009/123/CE relative à la pollution causée par les
navires
.
27. A cet égard, la Directive 2008/99/CE est particulièrement
importante, car elle fixe les règles minimales que doivent suivre
les États membres de l’Union européenne dans le domaine du droit
pénal de l’environnement. Son objectif: pour «garantir une protection
efficace de l’environnement, il est absolument nécessaire d’instaurer
des sanctions plus dissuasives à l’égard des activités préjudiciables
à l’environnement, qui entraînent généralement ou sont susceptibles
d’entraîner une dégradation substantielle de la qualité de l’air,
y compris la stratosphère, du sol et de l’eau ainsi que de la faune
et de la flore, notamment en termes de conservation des espèces»
. Tout manquement à une obligation
d’agir doit être soumis à des sanctions appropriées et être considéré
comme une infraction pénale dans toute l’Union européenne, qu’il
soit délibéré ou qu’il relève d’une négligence grave
.
L’article 3 de la directive dresse la liste des actes qui constituent
une infraction pénale lorsqu’ils sont illicites (c’est-à-dire lorsqu’ils
enfreignent la législation pertinente de l’Union européenne ou une
loi, une réglementation administrative ou une décision nationale)
et sont commis intentionnellement ou au moins par négligence grave
(par exemple le rejet, l’émission ou l’introduction d’une quantité
de substances ou de radiations ionisantes dans l’atmosphère, le
sol ou les eaux, le traitement et le transfert de déchets, la destruction
d’espèces de la faune et de la flore sauvages protégées, etc.).
Son article 6 précise que les États membres de l’Union européenne
doivent veiller à ce que les personnes morales puissent être tenues
pour responsables de telles infractions. Toutefois, selon le document
de travail du CDPC, le contenu de la directive reste «timide et
léger», en grande partie parce que la définition des infractions pénales
se résume à ajouter des sanctions pénales à des sanctions administratives
et ne reconnaît pas les crimes et délits dits autonomes contre l’environnement
. En outre, elle n’aborde
pas suffisamment les difficultés liées à la participation accrue
de groupes criminels organisés et la nécessité d’encourager davantage la
coopération transfrontalière.
2.4. Écocide
28. Depuis les années 1970, plusieurs
appels ont été lancés en faveur du renforcement de la protection
de l’environnement par le droit pénal international, dont l’un s’est
traduit par l’incorporation d’un cinquième crime dans le Statut
de Rome, à savoir «l’écocide». De nombreux universitaires et professionnels
s’étaient prononcés en faveur de son inclusion et, en avril 2010,
l’avocate britannique Polly Higgins a soumis une proposition à la
Commission juridique des Nations Unies pour modifier le Statut de
Rome. Mme Higgins définit l’écocide comme
«la destruction partielle ou totale d’un écosystème sur un territoire
donné, les dommages massifs générés par l’action humaine ou toute
autre cause, ayant pour effet d’empêcher les habitants du territoire
concerné d’en jouir en toute quiétude»
.
Il n’existe cependant pas encore de définition juridique universellement
admise de ce crime. Dans sa proposition, Mme Higgins
identifie deux types d’écocide – l’un causé par l’activité humaine,
l’autre survenant de façon naturelle – et demande l’application
des principes de responsabilité supérieure et de responsabilité
objective. La prévention de l’écocide naturel devrait relever de la
compétence des gouvernements, tandis que la prévention de l’écocide
d’origine humaine devrait incomber aux gouvernements et aux entreprises.
Grâce à la mise en place d’un devoir de vigilance (
duty of care), les États seraient
légalement tenus d’agir avant que la destruction massive ne se produise
et d’aider les pays dont l’écosystème menace de s’effondrer. Le
crime d’écocide, en interdisant les dommages massifs et la destruction
des écosystèmes et en imposant une obligation légale de vigilance
aux personnes en position de responsabilité supérieure, pourrait
devenir une mesure préventive qui empêche les grands pollueurs de contribuer
au changement climatique.
29. La mise en œuvre de propositions telles que celle de Mme Higgins
a été examinée à maintes reprises dans le passé, et plusieurs États
ont incorporé l’écocide dans leur code pénal
.
3. Responsabilité
civile
3.1. Généralités
30. Le deuxième régime de responsabilité,
plus courant, est celui de la voie civile. Si la responsabilité
pénale est utilisée comme un outil judiciaire en dernier ressort,
la responsabilité civile est destinée à avoir une portée plus large
et à être plus facilement applicable. Les acteurs privés comme les
acteurs publics peuvent être amenés à rendre des comptes sur la
base de l’engagement de leur responsabilité civile. Les pays de common law et les pays de droit
civil interprètent souvent leur régime de responsabilité civile
différemment, et certains pays européens présentent des différences
avec ces deux cultures juridiques.
31. Il existe deux régimes communs de responsabilité civile: la
responsabilité pour faute et la responsabilité objective. La responsabilité
pour faute implique, comme son nom l’indique, qu’une ou plusieurs
personnes aient agi d’une manière qui ne correspond pas à la norme
de comportement attendu dans une situation donnée. Le non-respect
de cette norme peut survenir de manière volontaire, c’est-à-dire
intentionnelle, ou par négligence, c’est-à-dire en violation du
devoir de vigilance. La responsabilité objective d’une personne
peut être engagée en l’absence de tout comportement volontaire ou
négligent. La notion juridique de responsabilité objective a été
introduite après la révolution industrielle. La diffusion de nouvelles
machines, d’installations industrielles et d’autres technologies
à haut risque a entraîné une augmentation des préjudices auxquels aucune
faute directe ne pouvait être imputée. Les personnes ayant subi
un préjudice à la suite d’accidents industriels devaient néanmoins
être indemnisées. Les entreprises ont largement profité de la révolution industrielle,
qui a accru leur efficacité et leurs revenus, mais il existait un
déséquilibre entre les profits qu’elles réalisaient et leurs effets
néfastes sur la société qui les entourait. La responsabilité objective
a donc été instaurée pour que soit engagée, en cas de préjudice,
la responsabilité de ceux qu’il paraissait le plus raisonnable de
tenir pour responsables.
3.2. Convention
sur la responsabilité civile des dommages résultant d’activités
dangereuses pour l’environnement
32. La Convention de Lugano de
1993 sur la responsabilité civile des dommages résultant d’activités dangereuses
pour l’environnement (ci-après la «Convention no 150»)
vise à assurer une possibilité de réparation adéquate des dommages
résultant des activités dangereuses pour l’environnement (telles
que définies dans son article 2, section 1
) et prévoit également des moyens
de prévention et de remise en l’état. Au sens de cette convention,
les dommages peuvent concerner non seulement «l’altération de l’environnement»,
mais aussi les personnes (décès ou lésions corporelles) et les biens,
et peuvent inclure le coût des mesures prises pour les prévenir.
Les dommages couverts peuvent résulter «d’un fait instantané, d’un fait
continu ou d’une succession de faits»
.
Comme l’indique son préambule, un des éléments essentiels de cette
convention, qui figure dans la plupart des législations environnementales,
est le principe du «pollueur payeur», qui consiste essentiellement
à faire peser la charge économique des dommages sur ceux qui en
sont véritablement responsables.
33. La Convention no 150 applique le
régime de la responsabilité objective aux dommages causés à l’environnement
et prévoit donc une protection plus stricte. Elle prend également
en compte toutes les activités professionnelles dangereuses exercées
par des entités tant publiques que privées
. En
outre, le
locus standi est
élargi pour inclure les associations et fondations de protection
de l’environnement (article 18). En effet, ce sont souvent les ONG
et les fondations de protection de l’environnement qui disposent
des ressources et de la volonté nécessaires pour porter les litiges
relatifs au changement climatique devant une juridiction. Il est donc
essentiel que ces entités aient qualité pour agir lorsque l’on cherche
à imputer la responsabilité des dommages et/ou des dégradations
de l’environnement causés par le changement climatique à des acteurs privés
et/ou publics. La convention traite également de l’accès à l’information
(voir son Chapitre III). Tenir un acteur public ou privé responsable
d’un impact négatif sur le climat impose de présenter des éléments
de preuve scientifiques et techniques solides. Dans un litige relatif
au changement climatique, il est très difficile de déterminer l’ampleur
réelle des dommages, d’identifier ceux qui contrôlaient le ou les
risques et d’établir le lien de causalité. En fournissant un accès
suffisant aux informations sur les détails techniques des acteurs
et exploitants, on atténue, au moins dans une certaine mesure, cette
difficulté.
34. La Convention no 150 est un instrument
juridique qui pourrait servir de cadre efficace aux recours relatifs aux
effets négatifs sur le climat. Elle est ouverte à la ratification
d’États non membres du Conseil de l’Europe, ce qui est important
et nécessaire, compte tenu de la nature transfrontalière des effets
du changement climatique. Toutefois, cette convention a été adoptée
en 1993, à une époque où la conscience environnementale et le changement
climatique n’en étaient qu’à leurs débuts. Elle aurait besoin d’être
mise à jour par rapport aux nouvelles connaissances scientifiques
et à l’évolution des instruments politiques et juridiques pour être
mieux adaptée à l’imputation de la responsabilité civile des effets
négatifs sur le climat. Comme le propose Mme le
Professeur Marta Torre-Schaub, la convention pourrait être élargie
aux questions climatiques, notamment en modifiant la liste des substances
dangereuses (Annexe I) en y ajoutant les gaz à effet de serre, dont
le dioxyde de carbone (CO2)
. Il
importe de rappeler que la Convention no 150
n’a été ratifiée par aucun État membre du Conseil de l’Europe et
qu’elle n’a été signée que par neuf d’entre eux
. Cela s’explique peut-être par le
fait que le principe du «pollueur-payeur» soit au cœur de la Directive
2004/35/CE de l’Union européenne du 21 avril 2004 «sur la responsabilité
environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation
des dommages environnementaux», qui a été mise en œuvre par les
États membres du Conseil de l’Europe qui sont aussi membres de l’Union
européenne (bien que cette directive traite principalement de la
responsabilité administrative des personnes morales). Il semble
évident que la Convention no 150 doit
être révisée et faire l’objet de plus d’attention et de publicité,
ou qu’elle doit être remplacée par un nouvel instrument juridique.
4. Le
contentieux climatique
4.1. Actions
en justice engagées contre les États
35. Aujourd’hui, les États sont
visés par les poursuites judiciaires engagées contre des politiques
de protection du climat inadéquates et la non-application des conventions
internationales sur le climat. Ces poursuites se fondent principalement
sur le droit relatif aux droits humains et sur le droit public international. Les
plaignants réclament souvent une mobilisation plus anticipatrice
contre le changement climatique, telle qu’un changement de politique
énergétique ou une réduction plus ambitieuse des émissions de GES. Toutefois,
les récentes évolutions montrent que certaines de ces poursuites
se fondent non seulement sur le droit public, mais aussi sur le
droit civil (en particulier le droit de la responsabilité civile).
36. L’affaire néerlandaise Urgenda (Fondation
Urgenda c. Pays-Bas) est connue pour avoir été la première affaire
de contentieux climatique qui ait abouti devant des tribunaux nationaux.
L’affaire avait été introduite au nom de 886 citoyens néerlandais
et se fondait sur la Convention européenne des droits de l’homme,
la Constitution des Pays-Bas et le devoir non écrit de vigilance
(duty of care) qui découlait
du Code civil néerlandais. Elle a été examinée par trois instances.
37. Le 24 juin 2015, le tribunal de première instance de La Haye
a conclu que l’État des Pays-Bas devait limiter, ou faire limiter,
le volume annuel conjoint des émissions de GES des Pays-Bas de 25 %
(au lieu de 17 %) d’ici fin 2020 par rapport à 1990
.Le tribunal a estimé qu’on pouvait
supposer l’existence d’un lien de causalité suffisant entre les
émissions de GES des Pays-Bas, le changement climatique mondial
et leurs effets (actuels et futurs) sur le climat néerlandais. Il
a également conclu que l’État avait agi avec négligence, et donc illégalement,
envers Urgenda en définissant un objectif de réduction inférieur
à 25 % en 2020, par rapport à 1990. Bien que le Gouvernement néerlandais
ait invoqué l’atteinte au principe de séparation des pouvoirs, le tribunal
a conclu que les aspects associés à ce principe de séparation des
trois pouvoirs (
trias politica)
ne faisaient pas obstacle à la recevabilité de la demande. Les requérants
se sont également appuyés sur une interprétation de l’article 2
et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme:
le tribunal de première instance a jugé cet argument convaincant,
mais ne l’a pas expressément invoqué
.
38. Après l’appel interjeté par le gouvernement, la Cour d’appel
de La Haye a confirmé le 9 octobre 2018 le jugement rendu en première
instance, mais en se fondant sur des motifs juridiques différents
.
Le jugement définitif dans cette affaire a été rendu le 20 décembre
2019 par la Cour suprême des Pays-Bas, qui a confirmé l’arrêt de
la Cour d’appel.
39. La Cour d’appel et la Cour suprême ont conclu que les articles
2 et 8 de la Convention imposaient à l’État néerlandais l’obligation
positive de protéger le droit à la vie de ses habitants, ainsi que
leur droit au respect de la vie privée et familiale. Le raisonnement
des deux tribunaux faisait valoir que le changement climatique devait
être considéré comme une menace «réelle et immédiate» pour la génération
qui réside actuellement aux Pays-Bas
.
L’État a l’obligation de protéger le droit à la vie et le droit
au respect de la vie privée et familiale de ses résidents lorsqu’il
existe une menace réelle. Par ailleurs, la Cour d’appel et la Cour suprême
se sont toutes deux écartées de la conclusion du tribunal de première
instance sur l’applicabilité de la décision dans l’espace et dans
le temps. Elles se sont exclusivement concentrées sur la protection
des résidents actuels des Pays-Bas, sans inclure les générations
futures ni les personnes vivant ailleurs. Ces décisions de justice
présentent un autre aspect important, puisqu’elles précisent que
les États ne peuvent pas «se soustraire» à leurs responsabilités
en matière de réduction des émissions de GES, même si les réductions réalisées
à l’échelle d’un pays peuvent sembler minimes à l’échelle de la
planète. Dans le cas contraire, ont fait valoir les juridictions,
aucun État ne serait tenu responsable de la réduction des émissions
des GES. Par conséquent, chaque État doit assumer sa part de responsabilité
.
40. Les médias, les professionnels et les universitaires affirment
aujourd’hui que cette affaire a créé un précédent juridique mondial,
qui pourrait permettre à d’autres affaires relatives au changement
climatique d’aboutir devant la justice en Europe et dans le monde.
D’aucuns s’inquiètent cependant de l’implication désormais trop
politique du pouvoir judiciaire dans l’élaboration des politiques
environnementales, qui bafoue de fait le principe fondamental de
la séparation des pouvoirs. En outre, certains détracteurs pensent
qu’il n’appartient pas à la justice de se prononcer sur un tel sujet,
considérant qu’il est «trop vaste pour faire l’objet d’un procès»
.
41. Cependant, après l’affaire Urgenda, des affaires similaires
ont été portées par des ONG devant la justice dans d’autres pays
européens (notamment en Belgique, en France, en Norvège, au Royaume-Uni
et en Suisse). En Belgique, en 2015, l’ONG Klimaatzaak a saisi le
tribunal civil de première instance de Bruxelles contre l’État fédéral
et les trois régions belges (Flandre, Wallonie et Bruxelles) afin
de contraindre les autorités belges à respecter leurs engagements
internationaux en matière de climat, dont certains découlent de
la Convention relative aux droits de l’enfant. Le procès s’est tenu
du 16 au 26 mars 2021
. Par ailleurs, en 2016, plusieurs
citoyens ont intenté une action en justice contre la région de Bruxelles-Capitale,
dénonçant la mauvaise qualité de l’air.
42. En France, à la suite d’un procès intenté par quatre ONG (Notre
affaire à tous, Greenpeace, Oxfam et la Fondation Nicolas Hulot)
contre l’inaction de l’État au regard de ses obligations découlant
de l’Accord de Paris (carence fautive), un arrêt historique (l’Affaire
du siècle) a été rendu par le tribunal administratif de Paris le
3 février 2021
, qui a reconnu la responsabilité
de l’État français dans son inaction face au changement climatique.
Le tribunal a conclu que l’État n’avait pas respecté ses engagements
de réduire les émissions de GES entre 2015 et 2018 et qu’il pouvait
être tenu responsable d’un «préjudice écologique». Il a reporté
de deux mois sa décision d’injonction sur les mesures devant être
ordonnées à l’État, dans l’attente de l’issue d’une affaire similaire
introduite devant le Conseil d’État par la commune de Grande-Synthe
(dans le département du Nord). Au titre de ce «préjudice moral»,
l’État français a été condamné à verser un euro symbolique aux quatre ONG
dont l’action en justice avait été soutenue par 2,3 millions de
personnes à travers le pays.
43. En Norvège, en 2016, plusieurs ONG ont intenté un procès contre
l’État pour contester la validité de la décision d’accorder dix
licences d’exploitation pétrolières en mer de Barents dans le cadre
du 23e tour d’attribution des licences
(
Greenpeace Norvège et Natur og Ungdom
[Nature et Jeunesse] c. Norvège/ministère du Pétrole
et de l’Énergie – également connue comme l’affaire Peuple c. Pétrole
dans l’Arctique). Les requérants ont invoqué la violation de l’article 112
de la Constitution (qui stipule que les citoyens ont droit à un environnement
sûr et sain et que l’État doit mettre en œuvre des mesures pour
garantir ce droit) et des articles 2 et 8 de la Convention européenne
des droits de l’homme. La Cour suprême a rendu son arrêt le 22 décembre
2020
et a rejeté l’appel,
bien qu’une minorité de juges ait estimé que des vices de procédure avaient
entaché l’octroi des licences de forage pétrolier. C’était la première
fois que la Cour suprême se prononçait sur une affaire d’une telle
ampleur au sujet de la nouvelle version de l’article 112 de la Constitution.
44. En Suisse, en mai 2020, le Tribunal fédéral a rejeté le recours
déposé par l’ONG Aînées pour le climat, représentant un groupe de
femmes âgées, qui demandait au Gouvernement suisse de respecter
ses engagements internationaux découlant de l’Accord de Paris
.
45. Au Royaume-Uni, un certain nombre d’affaires ont été jugées,
ou sont en cours, qui impliquent le Gouvernement britannique à propos
de la compatibilité de ses politiques avec le droit national et international
. En 2018 par exemple, Plan B, un
groupe d’action juridique sur le changement climatique, a intenté
une action en justice contre le ministère des Transports. Il lui
reprochait de ne pas tenir compte de l’Accord de Paris et de l’objectif
de limitation de la hausse des températures à 1,5 °C. Plan B a initialement perdu
son procès devant la Haute Cour, mais la cour d’appel a annulé cette
décision. Finalement, à la suite de l’appel interjeté par Heathrow
Airport Limited, la Cour suprême a estimé en décembre 2020 que le gouvernement
n’avait pas omis de prendre en compte l’Accord de Paris
. De nombreuses autres affaires liées à
l’aménagement du territoire ont été portées devant des juridictions
supérieures pour contester des octrois de permis de construire au
motif qu’ils ne tenaient pas suffisamment compte des politiques
environnementales et des effets du changement climatique. Une de
ces affaires concernait la conversion de la centrale électrique
de Drax, l’une des plus grandes du Royaume-Uni, du charbon au gaz.
Cette conversion avait été autorisée par le secrétaire d’État à
l’Énergie en octobre 2019. L’organisation Client Earth a contesté
cette décision, mais son action a échoué devant la cour d’appel
en janvier 2021. Client Earth estime toutefois que l’affaire a permis d’établir
que «cette décision de justice annule les conclusions de la Haute
Cour selon laquelle les grands projets énergétiques britanniques
ne peuvent être rejetés pour des raisons climatiques»
.
4.2. Responsabilité
des personnes morales
46. Les notions de «responsabilité
sociale des entreprises» et de «droits humains et entreprises» émanent d’une
pression exercée par la société pour tenir les entreprises commerciales
responsables des dommages sociaux et environnementaux que leur activité
commerciale inflige à leur environnement
.
Bien que ces notions aient essentiellement reposé sur des approches
volontaires ces dernières décennies, il est désormais largement
reconnu que les entreprises ont des responsabilités dans ce domaine.
Les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises
et aux droits de l’homme: mise en œuvre du cadre de référence «protéger,
respecter et réparer» approuvés par le Conseil des droits de l’homme
des Nations Unies en 2011 et par la Recommandation CM/Rec(2016)3
du Comité des Ministres sur les droits de l’homme et les entreprises
le 2 mars 2016, ont marqué une avancée considérable à cet égard.
Ils soulignent non seulement la nécessité pour les États de réglementer
le respect des droits humains par les entreprises (notamment par le
respect des lois environnementales pertinentes), mais également
la responsabilité qui incombe aux entreprises de respecter les droits
humains, notamment par la mise en œuvre de procédures relatives
au devoir de vigilance dans ce domaine (et, dans certaines situations,
par des évaluations de l’impact sur l’environnement). Les Principes
directeurs des Nations Unies précisent par ailleurs que les États
doivent prendre des mesures appropriées pour garantir, par le biais
de moyens judiciaires (civils et pénaux), administratifs, législatifs
ou autres, l’accès à un recours effectif en cas d’atteinte commise
par des entreprises (principe 25). Par conséquent, la reconnaissance
de la responsabilité sociale des entreprises en cas d’atteinte aux
droits humains joue un rôle essentiel dans le contentieux environnemental,
car les dommages causés à l’environnement peuvent également entraîner
une violation des droits humains.
47. L’évolution récente en matière de responsabilité sociale des
entreprises est liée aux procès intentés à des entreprises pour
des dommages qu’elles auraient causés au climat. Depuis 2005, des
ONG, des États et des citoyens du monde entier ont intenté plus
de 1 200 actions en justice contre des organisations privées
(principalement
des entreprises d’exploitation de combustibles fossiles
).
Les procès intentés contre des entreprises ont un caractère différent
de ceux intentés contre des États. Dans le premier cas, les requérants réclament
généralement une réparation économique des dommages causés à leurs
cultures, biens immeubles, infrastructures, etc. et imputables au
changement climatique, en cas d’inondation ou de vague de chaleur,
par exemple
, alors que dans les actions intentées
contre des États, fondées sur le droit public, ils demandent le
paiement d’une somme symbolique ou une déclaration publique.
48. La responsabilité des entreprises en matière de changement
climatique peut reposer sur divers régimes juridiques. Le droit
de la responsabilité civile, la fraude, le droit de l’urbanisme
et le droit des sociétés ont tous été invoqués
.
En Europe, les actions engagées par des ONG contre Total en France
et Royal Dutch Shell aux Pays-Bas
ne visent pas une réparation économique. Les requérants cherchent
principalement à obtenir des décisions de justice qui obligeraient
les entreprises du secteur de l’énergie à réduire leurs émissions
de GES, conformément à
l’Accord
de Paris. L’affaire néerlandaise présente des similitudes frappantes
avec l’affaire Urgenda (voir plus haut). La partie demanderesse
fonde son argumentation sur le devoir de vigilance (
duty of care) de Shell, qui découle
du Code civil des Pays-Bas et de la jurisprudence nationale pertinente, ainsi
que des articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de
l’homme
. Par ailleurs, en Allemagne en 2015,
un agriculteur péruvien, Saul Luciano Lliuya, a attaqué en justice
l’opérateur énergétique allemand RWE. M. Lliuya vit dans la ville
de Huaraz, au pied du glacier Palcaraju dont les eaux de fonte alimentent
le lac Palcacocha. Selon lui, les émissions de GES des centrales
électriques au charbon de RWE sont en partie responsables de la
fonte accélérée du glacier, dont les eaux menacent de faire monter
le niveau du lac Palcacocha et d’inonder sa maison. Il estime par
conséquent que RWE doit contribuer financièrement à toutes les mesures
de protection nécessaires. En première instance, la plainte a été
rejetée par le tribunal régional (Landgericht) de Hamm le 15 décembre
2016. M. Lliuya ayant interjeté appel, l’affaire est désormais pendante devant
la Cour d’appel (Oberlandesgericht) de Hamm
.
5. Conclusion
49. Compte tenu de l’urgence de
la crise climatique et de l’importance qu’il y a à tenir les acteurs
privés et publics responsables de leurs contributions au changement
climatique, il convient de privilégier la dissuasion et la justice
corrective pour adopter des instruments qui préviennent, corrigent
et réparent les dommages causés par le changement climatique, même
si les dommages potentiels exacts sont encore inconnus au moment
où les émissions de GES ont lieu. Toutefois, les cadres juridiques
internationaux, européens et nationaux en matière de responsabilité
sont très inégaux et problématiques, en particulier pour déterminer l’obligation
juridique de l’État.
50. Du point de vue économique, il est possible de mettre le monde
sur la voie de l'objectif net zéro. Les pays peuvent parvenir à
une économie favorable à la nature en investissant davantage dans
les infrastructures vertes et l'énergie propre. Les autorités peuvent
également augmenter progressivement les prix du carbone. Cela encouragera
le passage aux technologies propres. Les revenus du carbone devraient
être investis dans les personnes afin que les ménages ne soient
pas affectés par la hausse des prix. La transition vers une économie
verte doit être équitable, inclusive et favorable à la croissance.
La reprise verte oblige les gouvernements à agir ensemble de manière
décisive. La Commission européenne pourrait être une force motrice
derrière cela en collaboration avec des organisations internationales
telles que l'ONU, la Banque mondiale, le Fonds Monétaire International
et l'Organisation de coopération et de développement économiques.
51. Pour aller de l'avant, outre les actions économiques, des
mesures juridiques fortes sont nécessaires. Il faut aussi une collaboration
mondiale renforcée pour atteindre les objectifs. Les actions juridiques
et économiques doivent aller de pair pour mettre en œuvre l'agenda.
Les citoyens réclament maintenant des moyens juridiques pour lutter
contre des problèmes de longue date. Engager la responsabilité pénale
et civile sera un changement innovant avant la prochaine étape et
contribuera à la dissuasion. Alors que les dommages environnementaux
entraînent un coût économique élevé, une compensation est nécessaire.
52. En ce qui concerne la responsabilité pénale, il existe dans
les États membres du Conseil de l’Europe une grande diversité de
lois nationales qui régissent l’engagement de responsabilité pour
les dommages causés à l’environnement. Dans la majorité des pays,
la plupart des dispositions (mais pas toutes) qui régissent cette
responsabilité figurent dans les codes pénaux. Elles mentionnent
généralement les dommages environnementaux les plus graves et prévoient
la responsabilité pénale des entreprises, mais ne précisent pas les
types de comportements susceptibles d’avoir un impact sur le changement
climatique. Au niveau international et européen, l’actuel arsenal
conventionnel présente une multitude de textes généraux qui ne comportent
pas en leur sein de dispositif pénal propre à garantir le respect
des normes qu’ils fixent, ce qui hypothèque sérieusement leur efficacité.
Il est nécessaire de repenser l’approche actuelle du droit pénal
de l’environnement et d’en adopter une nouvelle. Compte tenu de
la diversité des législations nationales, il convient d’essayer
d’identifier ce qui existe déjà dans les systèmes pénaux nationaux
et qui pourrait être complété par des éléments répressifs novateurs
afin de répondre plus efficacement aux défis environnementaux actuels
(réchauffement climatique, érosion de la biodiversité, épuisement
des ressources naturelles, multiplication des infractions environnementales,
etc.).
53. En conséquence, il convient de mettre en place un dispositif
pénal unifié pour permettre l’adoption de définitions communes des
infractions pénales et des sanctions correspondantes, y compris
des sanctions financières dissuasives, afin de parvenir à un niveau
minimal d’harmonisation en Europe et d’assurer l’efficacité des
règles. L’élaboration d’une telle d’approche permettrait de répondre
aux préoccupations actuelles et aux critiques exprimées par l’opinion
publique et tiendrait compte des progrès du droit interne et de
la jurisprudence nationale et internationale en matière de protection
de l’environnement. Etant donné que la pollution et les autres actes
ou phénomènes susceptibles d’avoir un impact sur le changement climatique ne
connaissent pas de frontières, la coopération internationale dans
le domaine du droit pénal de l’environnement, y compris la coopération
judiciaire, doit également être renforcée. Les infractions environnementales
les plus graves doivent être punies avec la sévérité qui s’impose.
Les États devraient envisager de reconnaître le principe de compétence
universelle pour ces infractions, notamment dans le Statut de Rome
de la Cour pénale internationale (1998), et d’introduire le crime
d’écocide dans leur droit pénal.
54. C’est au niveau du droit civil que le contentieux climatique
dispose de plusieurs leviers intéressants. À partir du moment où
le changement climatique cause des dommages, des pertes, des risques
et des préjudices aux personnes et aux biens (portant par là même
atteinte aux droits de la propriété individuelle), la responsabilité
civile des différents acteurs peut être engagée, principalement
selon les règles générales du droit de la responsabilité civile
et de la responsabilité pour faute. Dans un petit nombre d’États
membres du Conseil de l’Europe seulement, le droit national contient
des dispositions spécifiques sur la responsabilité civile pour les
dommages causés à l’environnement, y compris sur la responsabilité
objective dans certaines situations. Les derniers développements
des recours introduits dans d’autres pays européens montrent le grand
potentiel du contentieux climatique. L’affaire Urgenda a été particulièrement
novatrice car, en combinant le droit public et le droit civil, elle
a établi le devoir de vigilance de l’État sur la base de la Convention européenne
des droits de l’homme.
55. Cependant, le recours à la responsabilité civile pose plusieurs
problèmes: la difficulté d’établir un lien de causalité entre un
dommage et sa cause, la charge de la preuve, la légitimité de la
victime au procès et la recherche de sanctions pénales significatives.
Il existe plusieurs façons de renforcer la responsabilité civile dans
ce domaine: 1) par un changement de traité (en révisant la Convention
no 150 ou en la remplaçant par un autre
traité); 2) au niveau national – en renforçant le devoir de vigilance
des entreprises pour les obliger à détailler leurs activités ayant
un impact sur l’environnement, et donc sur le changement climatique
(une directive de l’Union européenne sur le devoir de vigilance
et la responsabilité des entreprises entrera bientôt en vigueur
) et/ou en ajoutant à la responsabilité
civile classique une responsabilité pour préjudice écologique, dans
un double objectif de prévention et de sanction (comme dans le Code
civil français).
56. Bien que l’efficacité des mécanismes juridiques existants
varie considérablement et que leur application soit inégale, ils
sont de plus en plus utilisés et jouent un rôle de plus en plus
crucial. L’actualité judiciaire récente de certains pays européens
montre qu’il existe un fort potentiel d’utilisation du contentieux
climatique – fondé sur le droit public et le droit civil – contre
les États et les entreprises commerciales. Il sera donc intéressant
de suivre l’évolution de la jurisprudence nationale dans un avenir
proche. Par ailleurs, afin de mieux explorer les différentes possibilités
de mise en cause de la responsabilité juridique des États et des
entreprises devant les tribunaux, il est important d’étudier les
textes juridiques, le droit coutumier, les grands principes du droit
et la jurisprudence.
57. En conclusion, on ne peut que regretter que les deux conventions
du Conseil de l’Europe – la Convention no 172
et la Convention no 150 – aient obtenu
si peu de ratifications. Les États membres du Conseil de l’Europe
doivent accorder une attention nouvelle à ces traités et déterminer
s’il y a lieu de les réviser ou de les remplacer par de nouveaux
instruments juridiques, mieux adaptés aux défis actuels. De nombreuses conséquences
du changement climatique étant irréversibles, au moins à court et
moyen terme, la révision ou le remplacement de ces traités doit
impérativement être considéré comme une priorité absolue du Conseil
de l’Europe.