1. Introduction:
le rôle des États dans la stabilisation de la situation socio-économique
face à la pandémie
1. L’onde de choc provoquée par
la covid-19 domine la vie des gens partout dans le monde depuis
son apparition fin 2019 et continuera d’occuper les responsables
politiques ces prochaines années, alors que tous nos pays sont aux
prises avec les répercussions de la pandémie. Malgré les avertissements
précoces et les injonctions de l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) et de l’Assemblée parlementaire
, aucun pays n’était prêt à
affronter une pandémie d’une telle ampleur. Les mesures d’austérité
prises par de nombreux pays pour faire face à la précédente crise
financière et économique des années 2008-2010 – ou imposées à certains pays
par des « sauveurs » extérieurs – ont fragilisé encore davantage
la résilience des sociétés et de l’État, notamment du secteur de
la santé, avant que la pandémie ne frappe, touchant directement
les catégories les plus défavorisées et vulnérables de la population
.
2. Les confinements massifs décrétés au printemps 2020 dans la
plupart des régions du monde ont entraîné un tel ralentissement
de l’activité économique que les analystes ont vu poindre une récession, donnant
lieu à de fortes baisses de revenus des entreprises et de nombreux
travailleurs ainsi que des recettes fiscales de l’État. Tous les
États membres du Conseil de l’Europe ont été contraints de mettre
en place des programmes d’aide d’urgence en faveur des entreprises
et des personnes vulnérables. Les États ont été appelés à la rescousse
et ont relevé le défi consistant à stabiliser la situation socio-économique
grâce à des plans de sauvetage d’une ampleur sans précédent, malgré
le recul des rentrées fiscales. Il leur faut désormais veiller à
une utilisation juste, efficiente et transparente de ces fonds,
ainsi qu’évaluer si ces fonds et les mesures économiques sont suffisants
pour faire face à la crise économique actuelle. La Banque centrale européenne
note que, en moyenne, les pays européens concernés ont déployé un
soutien fiscal de 4 % du PIB par rapport au 9 % de la réponse fiscale
immédiate des États-Unis.
3. L’automne 2020 et le printemps 2021 ont été marqués par de
nouvelles vagues d’infections, d’hospitalisations et de décès liés
à la covid-19, ainsi que par de nouvelles formes de restrictions
ou de confinement qui ont eu des répercussions sur la vie économique
et sociale de plusieurs États membres. La situation s’est encore
aggravée au début de l’année 2021 avec l’augmentation du nombre
des infections et la propagation en Europe de nouveaux variants
du coronavirus (détectés pour la première fois au Royaume-Uni, en
Afrique du Sud et au Brésil), ce qui a exacerbé la pandémie et mis
encore plus à mal les finances publiques, ainsi que celles des entreprises
et des particuliers. Le lancement des campagnes de vaccination a
été perçu comme un signe d’espoir, laissant entrevoir un retour
à la vie normale – lentement, mais sûrement. Toutefois, compte tenu
des difficultés d’approvisionnement en vaccin(s) et des problèmes
d’organisation de la vaccination dans certains États, les effets
positifs sur le terrain ont mis du temps à se faire sentir.
4. Dans sa
Résolution 2361
(2021) « Vaccins contre la covid-19: considérations éthiques,
juridiques et pratiques » adoptée en janvier 2021, l’Assemblée appelait
à faire des vaccins contre la covid-19 « un bien public mondial
[…] accessible à toutes et tous, partout ». Elle exhortait les États
membres et l’Union européenne à « surmonter les obstacles et les
restrictions découlant des brevets et des droits de propriété intellectuelle,
afin d’assurer la production et la distribution à grande échelle
de vaccins dans tous les pays et pour tous les citoyens.» De même,
une coalition large de plus de 100 États menée par l’Inde et l’Afrique
du Sud appelait à activer une dérogation d’urgence à l’Accord sur
les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au
commerce de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) afin de lever
les droits de propriété intellectuelle pour les vaccins covid-19.
Le fait de ne pas agir en conséquence a contribué aux pénuries observées
dans l’approvisionnement en vaccins et a non seulement coûté des
vies, mais a également ralenti le chemin vers la normalité, ce qui
affecte énormément le développement économique et social.
5. Nos États ont-ils su tirer les enseignements de la crise précédente
survenue il y a une décennie ? Comment éviter de répéter les erreurs
du passé et s’attaquer au défi d’une croissance durable afin de surmonter
la crise socio-économique déclenchée par la pandémie de covid-19 ?
Comment protéger au mieux les droits sociaux et éviter un nouveau
creusement des inégalités ? Voici quelques-unes des questions dont nous
avons débattu avec des experts lors de l’audition organisée le 7 octobre 2020
, donnant lieu au
dépôt d’une proposition sur ce sujet (
Doc. 15145). À la suite de la décision de l’Assemblée le 12 octobre
2020, de renvoyer la question pour rapport à la commission des questions
sociales, de la santé et du développement durable, j’ai été nommé
rapporteur le 21 octobre 2020. En mai 2021, l’Assemblée a également
décidé de renvoyer à la commission deux autres propositions pour
être prises en compte dans le cadre de ce rapport, à savoir: « Pour
un avenir plus juste: tirer les leçons de la pandémie de covid-19
pour promouvoir l’égalité en Europe » (
Doc. 15246) et « Impact de la covid-19 sur le tourisme mondial
et l’industrie aéronautique, et relance de ces secteurs en toute
sécurité » (
Doc. 15254).
6. Dans ce contexte, je tiens à rappeler qu’en 2020, j’ai eu
l’honneur de préparer et de présenter le rapport de notre commission
intitulé « Enseignements pour l’avenir d’une réponse efficace et
fondée sur les droits à la pandémie de covid-19 » (
Doc. 15115), qui contient des chapitres consacrés à la préservation
du système économique et à la défense des droits sociaux et de la
cohésion sociale. À l’issue d’un débat, l’Assemblée a fait part
de ses préoccupations quant aux « dommages potentiellement durables
pour nos systèmes politiques, démocratiques, sociaux, financiers
et économiques »
que
pourrait causer une réponse inadéquate à la pandémie. Elle a en
outre recommandé que les États membres « veillent, dans leurs plans
de relance et de sauvegarde économiques, à ne pas créer les conditions
de futures dégradations des écosystèmes susceptibles de générer
d’autres épidémies de nature zoonotique et, pour cela, conditionnent
les aides mises en place à des critères environnementaux et sociaux
ambitieux, en phase avec les objectifs de développement durable
des Nations Unies ».
7. Le présent rapport s’efforce d’examiner les tendances socio-économiques
et les mesures politiques dans le contexte de la crise actuelle
engendrée par la pandémie en Europe ainsi que les mesures prises
pour l’endiguer. Nous nous attacherons plus particulièrement au
rôle de l’État dans le recours aux divers instruments et mesures
d’intervention pour réparer les dommages subis par le tissu socio-économique
et inciter les acteurs économiques à favoriser un développement
social et environnemental équilibré. C’est là une occasion unique
pour l’Europe de développer la solidarité entre les pays grâce à
la mise en commun des ressources, des savoir-faire et d’une vision
à long terme partagée en vue de reconquérir des secteurs économiques
et de la société, notamment le système de santé, stratégiquement
importants pour la prospérité future et l’équité sociale, et d’y
réinvestir. En examinant les résultats de recherche disponibles
les plus fiables et les conseils politiques prodigués par les principales
autorités macroéconomiques, nous chercherons à formuler des recommandations
politiques appropriées à l’intention de nos États membres.
2. Les effets multidimensionnels de la
crise socio-économique suite à la pandémie
8. Nous avons assisté au cours
de l’été 2020 à un assouplissement progressif des limitations de déplacement
des personnes, puis à la mise en œuvre à l’automne 2020 et début 2021
d’une nouvelle série de mesures restrictives dans toute l’Europe.
Cependant, contrairement au printemps 2020, nous avons observé à
l’automne dernier l’exaspération générale qui gagne la population
(qualifiée de « lassitude face à la pandémie » ou encore de « fatigue
pandémique »), voire même une véritable révolte sociale dans certains
pays alors que commençait à déferler la deuxième vague de la pandémie.
Pendant la troisième vague, les décisions des autorités ont encore
été mises à mal par des rassemblements non autorisés (tels que des
fêtes ou l’ouverture de restaurants et de magasins clandestins).
9. Nous ne sommes à l’évidence pas tous égaux devant la pandémie
et ses effets. Les inégalités sociales (pré) existantes
se sont traduites
par une inégalité d’accès aux soins de santé, des conditions disparates
pour suivre un enseignement à domicile, un état de santé général
plus fragile pour faire face à la maladie (lié notamment à des carences
nutritionnelles, au manque d’exercice physique et à la pauvreté),
des conséquences psychologiques graves (en particulier pour les
personnes déjà vulnérables, qui vivent souvent dans des logements
exigus et/ou surpeuplés) ainsi qu’une protection sociale inégale.
Cette dernière inégalité est particulièrement problématique pour
« ceux qui sortent précocement de la vie active et du système éducatif»
ou
qui n’y ont pas du tout accès.
10. La dégradation des indicateurs économiques témoigne du ralentissement
de l’activité économique en Europe et dans le monde. L’Organisation
internationale du travail (OIT) en souligne les effets sur les marchés du
travail, notamment une baisse au niveau mondial de 8,3 % des revenus
du travail avant la prise en compte des mesures de soutien aux revenus,
ce qui représente 4,4 % du produit intérieur brut
. Quelque 8,8 % des heures de travail
au niveau mondial ont été perdues, ce qui équivaut à 255 millions
d’emplois à temps plein, soit environ quatre fois plus que pendant
la crise financière de 2008/09
; certains
comparent la situation à celle de 1929. À l’échelle mondiale, plus
de 80 millions de personnes ont quitté la vie active en 2020 en
raison de l’inactivité due à la pandémie ; beaucoup d’entre elles
pourraient se retrouver au chômage si les emplois disparaissent
avec la fermeture des entreprises ou la réduction des activités
– et venir grossir les rangs des plus de 33 millions qui ont perdu
leur emploi en 2020. Selon l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE), en l’absence d’une aide substantielle aux secteurs
les plus touchés, il existe un risque supplémentaire de multiplication
des faillites post-covid et, partant, de hausse du chômage. La Banque
mondiale estime que l’augmentation de la pauvreté au niveau mondial
sera sans précédent, avec le nombre de « nouveaux pauvres » à cause
de la pandémie qui pourrait augmenter d’environ 119 à 124 millions
.
11. Les pertes d’emplois ont été principalement enregistrées dans
les secteurs les plus touchés, tels que le tourisme/les voyages
et les activités de restauration, les arts et spectacles, le commerce
de détail et la construction ; dans le même temps, certains secteurs
– notamment de l’information, de la communication, de la vente en
ligne, de la livraison, des services financiers et d’assurance –
sont parvenus à intensifier leurs activités. Dans l’ensemble, les
pertes d’emplois ont été plus élevées chez les femmes (5 %) que
chez les hommes, et chez les jeunes travailleurs (8,7 %), par rapport
aux travailleurs plus âgés, étant donné qu’ils étaient déjà sur-représentés
dans les postes à court terme et l’emploi informel et n’étaient
pas correctement couverts par les systèmes de protection sociale
même en temps « normal ». Dans un tel contexte, comme l’a fait valoir
le professeur Karamessini lors de l’audition de la commission tenue
le 7 octobre 2020, du point de vue politique, les difficultés à
long terme sont les suivantes: 1) le poids des tâches domestiques
(non rémunérées) principalement effectuées par les femmes ; 2) les
lacunes de prise en charge par le secteur public des personnes âgées
et vulnérables ; 3) les formes d’emploi précaires entraînant une
moins bonne protection sociale des femmes, des migrants et des personnes
nées à l’étranger travaillant dans le secteur des services à la
personne. Une protection sociale renforcée s’impose également pour
les jeunes en transition vers l’autonomie et la vie professionnelle.
De plus, les travailleurs et les travailleuses les mieux qualifié·e·s
dans les emplois mieux rémunérés ont été moins affecté. e. s par
la crise que ceux et celles dans les emplois plus précaires et moins
bien rémunérés. Parallèlement, le risque d’infection varie selon
les secteurs économiques, avec des conditions de travail moins sûres
pour les travailleurs et les travailleuses les moins bien rémunéré·e·s.
12. Le volume des échanges mondiaux de biens et de services a
chuté brutalement au cours du premier semestre 2020 (enregistrant
une baisse de 17,2 % en glissement annuel), la pandémie ayant perturbé
à la fois la production et la consommation, et a eu du mal à se
rétablir au second semestre. Dans ce contexte, les plus fortes contractions
ont été enregistrées en Europe où les exportations ont chuté de
24 % et les importations de 22 % au cours du premier semestre 2020 ;
toutefois, le rebond au second semestre a été spectaculaire, la baisse
totale s’établissant pour 2020 à 2 % (exportations) et 3 % (importations)
en glissement annuel. L’OMC (Organisation mondiale du commerce)
prévoit que la baisse de 5,3 % du volume du commerce mondial des marchandises
pour 2020 sera suivie d’une hausse de 8 % en 2021 ; le commerce
des services a connu une évolution similaire, mais les données officielles
sont encore insuffisantes pour compléter le tableau. La relance des
chaînes de valeur mondiales par le commerce est essentielle non
seulement pour le développement, mais aussi pour enrayer l’épidémie:
comme le rappelle l’un des principaux producteurs de vaccins, quelque 280 composants
fournis par 19 pays entrent dans la fabrication d’un vaccin contre
la covid-19
.
13. Le PIB mondial a reculé de 4,4 % en 2020 selon la Banque mondiale
et de 4,8 % selon l’OMC, avec des
disparités énormes d’une région à l’autre, l’Europe enregistrant
une baisse de la croissance de 4,7 %. La Banque européenne pour
la reconstruction et le développement (BERD) prévoit une contraction
globale de 3,9 % en 2020 dans l’ensemble de sa région des économies
émergentes
. Mais la chute la plus spectaculaire concerne
les investissements directs étrangers mondiaux qui, selon la Conférence
des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED),
se sont effondrés en 2020 – ils ont chuté de 42 % au niveau mondial
(à 859 milliards de dollars contre 1 500 milliards de dollars en
2019) et les perspectives pour 2021 sont sombres (sauf pour les
secteurs de la technologie et de la santé). S’agissant de l’Europe,
les flux d’investissements étrangers directs se sont complètement
taris (de 344 milliards de dollars en 2019 à un solde négatif de
4 milliards de dollars en 2020)
. Là encore, ces indicateurs témoignent
d’un déclin économique plus marqué que lors de la crise financière
de 2008-2009.
14. En Europe, les répercussions économiques varient en fonction
des spécialisations sectorielles et de l’exposition aux secteurs
de biens ou de services échangeables. À cet égard, les pays de l’Europe
du Sud sont particulièrement tributaires du secteur du tourisme
et comptent parmi les plus durement touchés par la première vague
de la pandémie au printemps 2020. Le secteur des services le plus
affecté reste celui des voyages, dont les recettes en 2020 ont chuté
de 68 % au niveau mondial et de 55 % en Europe par rapport à 2019.
Au niveau mondial, selon l’Organisation mondiale du tourisme des
Nations Unies, « le recul du tourisme international en 2020 équivaut
à 1 milliard d’arrivées en moins environ et à une perte de recettes
touristiques internationales de quelque 1 100 milliards de dollars »,
tandis que le trafic international de passagers s’est contracté
de 60 % selon l’Organisation de l’aviation civile internationale,
mettant en péril des millions d’emplois
.
15. En revanche, les marchés financiers ont très rapidement repris
le cours normal de leurs activités après la première vague de la
pandémie. Les indices boursiers du monde entier ont atteint des
niveaux record et les revenus du capital sont restés relativement
stables en 2020, grâce à la mise sur le marché des vaccins contre la
covid-19, aux taux d’intérêt extrêmement bas, aux dépenses publiques
généreuses ou aux plans de relance et, pour l’Europe, au divorce
réussi même si incomplet entre le Royaume-Uni et l’Union européenne
dans le cadre d’un accord de libre-échange post-Brexit. Malgré la
pandémie, le nombre de millionnaires a augmenté de 5 632 000 en
2020 dans le monde, dont les deux tiers résident aux États-Unis,
en Chine et en Suisse
. Les entreprises de logiciels et
de haute technologie, celles qui proposent la vente de licences
de visioconférence, les plateformes de
streaming,
le secteur de la livraison, ainsi que les échanges financiers sont les
grands gagnants de cette année 2020 marquée par la pandémie. Il
semble que les entreprises qui profitent de la crise tirent parti
des lacunes de la fiscalité de l’économie numérique au plan mondial
ou des contrats de travail précaires (comme dans les services de
livraison).
16. La pandémie a également renforcé les inégalités économiques
déjà existantes. La situation a largement profité aux grandes multinationales
comme Amazon au détriment des petits commerces locaux, et la richesse du
centile supérieur s’est encore accrue, tandis que les groupes vulnérables
de la population et certaines catégories de travailleurs ont été
les plus durement touchés (notamment les travailleurs indépendants,
les femmes occupant des emplois de courte durée, à temps partiel
ou relevant de l’économie à la tâche, les travailleurs du secteur
informel, les personnes dans l’impossibilité de télétravailler depuis
leur domicile, celles soumises à une réduction du temps de travail
ou au chômage temporaire, et les personnes qui ont perdu leur emploi)
. Pendant les périodes de confinement,
beaucoup de femmes, en particulier des mères de famille, ont dû
faire face à une double charge, en assumant à la fois un travail
de soins supplémentaire (non rémunéré) et l’enseignement à domicile,
tout en étant sur-représentées dans les emplois mal rémunérés (comme
dans le secteur des soins de santé, les maisons de retraite et le
système éducatif). Selon l’OCDE, les femmes sont également confrontées
à une plus grande insécurité de revenu et au risque de chômage.
Par ailleurs, les femmes et les enfants sont exposés à une menace
accrue de violence domestique. Les familles monoparentales ont souffert
de manière disproportionnée de la fermeture des écoles et des structures
de garde d’enfants. Aucun autre groupe de la société ne présente
un risque de pauvreté aussi élevé que les parents isolés, et celui-ci
s’est encore accru.
17. Comme l’a souligné M. Boček, vice-gouverneur de la Banque
de développement du Conseil de l’Europe (CEB), lors de l’audition
de la commission le 7 octobre 2020, les disparités ont augmenté
non seulement en termes de revenu, mais aussi en ce qui concerne
l’égalité des chances d’accès à l’emploi, à l’éducation, au logement
et aux services de santé. En Europe, un ménage à faible revenu sur
trois parmi les 25 % les plus pauvres a rencontré des problèmes
pour disposer d’une connexion internet fiable ou d’un ordinateur
personnel pour l’enseignement à distance et les services de télémédecine
pendant la pandémie. De même, les inégalités d’accès à l’éducation
posaient déjà problème avant la pandémie. En effet, les établissements
des quartiers défavorisés disposent souvent d’un nombre limité d’enseignants
qualifiés et manquent de matériel pour offrir un environnement d’apprentissage
efficace. La fermeture récurrente et prolongée des établissements scolaires
et d’enseignement en raison des mesures de confinement liées à la
pandémie a causé un autre dommage collatéral durable. Comme la situation
des enfants dépend en grande partie du milieu socioéconomique de
leur famille, les écarts existants et les disparités croissantes
ont anéanti bon nombre des efforts déployés en faveur de l’équité
dans l’éducation
.
18. À cela vient s’ajouter le clivage ville-campagne dû à la pénurie
d’infrastructures après des années de sous-investissement et d’austérité
budgétaire. Comme le révèle l’étude « The impact of Covid-19 on
people experiencing poverty and vulnerability – re-building Europe
with a social heart » (« L’impact de la covid-19 sur les personnes
en situation de pauvreté et de vulnérabilité – reconstruire une
Europe à dimension sociale ») réalisée par le Réseau européen des
associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale
(EAPN)
, déjà avant la pandémie, 21 des
25 pays européens examinés rencontraient des difficultés à garantir
des services publics suffisants et de qualité pour tous, notamment
pour les groupes pauvres et vulnérables. Les dispositifs de revenu
minimum étaient largement insuffisants, et les systèmes de protection
sociale ne disposaient pas de ressources adéquates dans la moitié
des pays objets de l’étude. L’endettement, le manque d’économies
et la précarité de l’emploi, ainsi que les maladies courantes et
les handicaps, la mauvaise santé physique et mentale, les logements
précaires ou le sans-abrisme et la discrimination dont font l’objet
certaines minorités, les Roms et les immigrés, amplifient encore
les vulnérabilités sociales des ménages européens.
19. Dans toute l’Europe, les jeunes sont également fortement touchés
par la pandémie. Compte tenu de la fermeture des établissements
d’enseignement et de la forte restriction de leurs activités, le
taux de chômage des jeunes a augmenté dans de nombreux États membres
du Conseil de l’Europe: il est passé d’environ 15 % fin 2019 à près
de 18 % fin 2020 dans les pays de l’Union européenne
. Si
la situation de l’emploi des jeunes en 2019, notamment en Europe
du sud et de l’est, avait presque atteint le niveau d’avant la crise
financière de 2008/09, l’année 2020, marquée par la pandémie, a
réduit à néant l’amélioration obtenue au cours de la dernière décennie.
De manière générale, le taux de chômage des jeunes est supérieur
à celui des adultes et il est à craindre que la crise actuelle liée
à la covid aggrave le degré de déconnexion du marché du travail
qui touche les jeunes, avec un risque plus que jamais réel d’une
génération perdue qui quittera la vie active et désertera le marché
du travail.
20. Dans l’ensemble, presque tous les États membres du Conseil
de l’Europe ont enregistré une augmentation du chômage en 2020
. Le net ralentissement
de l’activité économique continue de mettre en péril de nombreux
emplois, en particulier dans les secteurs faiblement rémunérés,
comme le tourisme, la restauration ou l’industrie du spectacle.
De nombreux pays sont parvenus à limiter la hausse du chômage dans la
mesure de leur capacité fiscale, grâce notamment à un large recours
au chômage partiel, mais aussi à des mesures de relance économique.
Cependant, les possibilités de mise en œuvre de mesures de relance économique
ambitieuses varient considérablement d’un État européen à l’autre,
tout comme la capacité budgétaire souveraine de chacun.
3. Mesures
d’urgence prises pour lutter contre les « dommages collatéraux »
21. Face à la dégradation rapide
de la situation socio-économique, tous les États membres du Conseil
de l’Europe ont pris des mesures d’urgence plus ou moins importantes
visant à compenser les pertes de salaire, ce qui a permis à la fois
d’amortir les effets sociaux de la crise, de soutenir les entreprises
en fonction des besoins et de contribuer à la stabilisation macroéconomique.
Comme il ressort de l’étude réalisée par l’EAPN, de nombreux gouvernements
européens ont renforcé leurs aides au revenu en étendant les prestations
de chômage, les allocations sociales et la protection du logement
pour les populations vulnérables et mis en place des paiements directs
et des moratoires sur les taxes, les cotisations sociales et les
loyers pour certaines catégories d’entreprises. Dans le secteur
de l’éducation, la plupart des pays ont essayé de mettre en œuvre des
dispositifs d’enseignement à distance, avec des résultats mitigés.
L’étude met en avant des exemples positifs d’actions urgentes entreprises,
dont l’adaptation rapide des systèmes de santé nationaux (par exemple pour
un dépistage et un traçage efficaces du coronavirus gérés par les
pouvoirs publics, l’isolement précoce des personnes infectées et
le libre accès aux soins de santé pour les immigrés) et des programmes
de maintien dans l’emploi (y compris en exonérant les entreprises
des cotisations de sécurité sociale afin d’éviter les faillites,
en encourageant le télétravail, en recourant à des dispositifs de
chômage partiel et à une interdiction temporaire des licenciements).
22. Il est à noter que la Commission européenne a levé les règles
en matière d’aides d’État et suspendu les limites concernant les
emprunts publics (fixées dans le Pacte de stabilité et de croissance).
Par ailleurs, l’Union européenne a su trouver la volonté politique
nécessaire pour mettre en œuvre des programmes de financement commun
afin non seulement de fournir un soutien social (comme au travers
du programme SURE), mais aussi de lancer un plan d’investissement
massif (NextGenerationEU)
avec une approche de « Green deal ». Ce programme d’investissement
bénéficie d’une enveloppe de 750 milliards d’euros. Approuvée en
février 2021, la Facilité européenne pour la reprise et la résilience
(pièce maîtresse de NextGenerationEU)
est dotée de 672,5 milliards d’euros sous forme de prêts et de subventions
destinés à soutenir les réformes et les investissements entrepris
par les États membres.
23. Toutefois, les États membres de l’Union européenne sont toujours
face à un cadre juridique rigide: les règles concernant la gestion
des déficits budgétaires selon le Pacte de stabilité et de croissance
et les règles en matière d’aides d’État ont été suspendues temporairement.
Si la gouvernance financière et économique de l’Union européenne
redevient comme avant, sans réformes majeures, elle pourrait étouffer
les premiers signes de la reprise socio-économique encore très modeste.
En même temps, les décaissements de la Facilité européenne pour
la reprise et la résilience sont liés à la mise en œuvre des recommandations
spécifiques aux pays dans le cadre du semestre européen ; celles-ci
mettent en avant certaines conditions de réformes qui pourraient
s’avérer potentiellement nuisibles aux marchés du travail et les
systèmes de retraite. La récente déclaration du Commissaire de l’Union
européenne, P. Gentiloni, est un signal d’alerte sur le rôle du
dialogue social dans le futur: il prévient que sans l’implication
étroite des syndicats dans la préparation des plans nationaux de
reprise, les réformes souhaitées des marchés du travail et des systèmes
de pension pourraient devenir inapplicables
.
24. Pour l’avenir, ensemble avec le cadre financier pluriannuel
de l’Union européenne pour 2021-2027 quelque 1 800 milliards d’euros
devraient être mobilisés pour « reconstruire l’Europe de l’après-covid-19,
une Europe plus verte, plus numérique, plus résiliente et mieux
adaptée aux défis actuels et à venir ». De fait, 30 % des fonds
de l’Union européenne, tant au titre du budget à long terme que
de
NextGenerationEU, – soit
la part du budget de l’Union européenne la plus élevée jamais enregistrée
– seront consacrés à la lutte contre le changement climatique et
à une meilleure protection de la biodiversité. Par ailleurs, une
plus grande attention sera également accordée à l’égalité hommes-femmes.
Si ces chiffres ont de quoi impressionner à première vue, ils sont
plutôt maigres en comparaison avec des efforts déployés par les
États-Unis, où le plan de relance global destiné aux entreprises
et aux ménages s’élève à 4 800 milliards de dollars pour la période 2020-2021
. Les différences sensibles entre
les modèles socio-économiques européen et américain expliquent pourquoi
l’aide des pays européens est plus ciblée, fondée sur les besoins
et souvent assortie de conditions, à l’opposé de la politique de
l’
helicopter money adoptée par les États-Unis.
25. Dans ce contexte, nous devrions nous féliciter des projets
de l’Union européenne visant à proposer la mobilisation de nouvelles
ressources par le biais d’une taxe sur les transactions financières
et d’une contribution financière liée au secteur des entreprises
ou d’une nouvelle assiette commune pour l’impôt sur les sociétés,
en s’appuyant sur les développements récents en faveur de la coopération
renforcée en matière fiscale (les propositions correspondantes devraient
être présentées d’ici juin 2024). Je tiens à rappeler que la présente
Assemblée a proposé le lancement d’une taxe européenne sur les transactions
financières dans sa
Résolution 1905
(2012) « Un retour à la justice sociale grâce à une taxe sur
les transactions financières », préconisant qu’une part substantielle
des recettes générées par une telle taxe soit consacrée notamment
à financer « à titre prioritaire des mesures en faveur du développement
durable, de la création d’emplois, des besoins sociaux et des actions
de solidarité internationale ». Espérons qu’après la sortie du Royaume-Uni
de l’Union européenne, moins d’obstacles s’opposeront à l’instauration
de cette taxe au niveau de l’Union européenne avant 2024. Les inégalités
béantes ont, dans certains pays, déclenché un débat sur la question de
savoir si un prélèvement sur le capital pourrait contribuer à prévenir
une inégalité de richesses extrême au sein de la population. Un
tel prélèvement sur le capital pourrait être considéré comme un
instrument supplémentaire pour mobiliser de nouvelles ressources
fiscales.
26. Plus que jamais, les pays européens doivent rééquilibrer leurs
politiques de développement socio-économique, afin de consolider
l’économie réelle et les systèmes de protection sociale, d’assurer
une gestion saine de la dette souveraine, tout en mobilisant des
ressources pour un développement plus durable et davantage centré
sur l’humain, et de viser plus de convergence économique en développant
une stratégie commune de politique industrielle. Nous devrions donc
saluer les efforts de l’OCDE pour négocier un accord mondial sur
la taxation de l’économie numérique et l’établissement d’un taux
d’imposition mondial minimum sur les sociétés d’ici l’échéance de
la réunion des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales
du G20 prévue mi-2021
.
27. Cependant, les États n’ont de toute évidence pas tous les
mêmes capacités financières pour affronter les vagues successives
de la pandémie et la charge de morbidité persistante qui en résulte.
L’enquête réalisée par la BERD
confirme que
l’impact économique de la crise de la covid-19 sur la vie des citoyens
a été plus marqué dans les régions de la BERD que dans les pays
européens avancés où les mesures de relance ont été habituellement
plus importantes. De nombreux pays restent tributaires des marchés
financiers (en particulier ceux extérieurs à l’Union européenne),
la hausse des taux d’intérêt limitant leur champ d’action ou mettant
même en péril leur stabilité financière. Sur le plan macroéconomique,
les pays européens sont confrontés à une récession économique, à
une perte de recettes publiques et à une forte augmentation de la dette
souveraine, indépendamment de la mise en place ou non de mesures
de confinement obligatoires strictes ou légères, précoces ou tardives.
À plus long terme, le risque de futurs déséquilibres économiques
et sociaux est réel dès lors que les pays les plus solides sont
en mesure de soutenir leur économie, tandis que d’autres souffrent
davantage du ralentissement de l’activité économique. À cet égard,
il convient de féliciter la Banque de développement du Conseil de
l’Europe pour l’aide précieuse qu’elle a apportée en temps utile
aux gouvernements et aux collectivités locales de 15 pays afin de
soutenir les services de santé publique et d’atténuer les répercussions
de la pandémie sur l’économie
.
4. Faire
un usage juste, efficient et transparent des plans de sauvetage
pour investir dans « l’avenir que nous voulons »
28. Comme l’a expliqué le vice-gouverneur
de la CEB lors de l’audition tenue le 7 octobre 2020, la voie à suivre
est double. D’une part, des solutions à court terme sont nécessaires
pour répondre aux urgences de la crise ; elles incluent les mesures
nationales d’aide au revenu et un accès facilité aux services médicaux,
ainsi qu’un soutien ciblé au secteur des entreprises afin de prévenir
les perturbations massives de l’activité économique et les faillites
en chaîne qui en découleraient. Par ailleurs, des stratégies d’investissement
à long terme s’imposent pour améliorer les systèmes publics de santé
et les rendre plus adaptables afin de permettre des réponses rapides
à l’avenir, en réorientant les systèmes de soins de santé vers la
prévention des maladies et la promotion de la santé, en associant
les services de santé et les services sociaux pour mieux accompagner les
groupes vulnérables, en particulier les personnes âgées, et en attirant
un plus grand nombre de médecins et de prestataires de soins dans
les zones défavorisées. Les États devraient investir davantage dans
la mise à jour et l’adaptation de leurs systèmes d’enseignement,
dans le renforcement des capacités, de la qualité, de l’efficacité
et de l’accessibilité, notamment tarifaire, des services publics,
ainsi que dans l’amélioration de l’accès des familles à faible revenu
aux logements sociaux et aux zones vertes grâce à des stratégies
de création de logements intégrées, et dans l’intégration des objectifs
de développement durable dans les secteurs public et privé. En outre,
une stratégie de croissance économique associée à des politiques
sociales est nécessaire afin de se concentrer sur la modification
de la composition de la production tout en stabilisant l’économie
et en atteignant l’objectif d’amélioration du bien-être.
29. La formulation de recommandations politiques à l’intention
d’États aux capacités très différentes pour faire face à la pandémie
et aux difficultés socio-économiques est loin d’être une tâche aisée.
Je souhaiterais plaider en faveur d’un changement de paradigme afin
d’éviter de reproduire les erreurs commises, s’agissant des réponses
apportées aux précédentes crises économiques et financières fondées
sur des mesures d’austérité massives et des coupes dans les dépenses
publiques. Il est encourageant de noter que les principales organisations
et les institutions internationales (telles que l’OCDE et la Banque
mondiale) demandent aux États d’investir et de coordonner leurs
politiques plutôt que de procéder à des compressions budgétaires.
En effet, comme le soulignent les 189 pays membres du Groupe de
la Banque mondiale et du Fonds monétaire international dans une
déclaration commune (publiée lors des Réunions de printemps 2021), « une
coordination internationale efficace s’impose de toute urgence pour
circonscrire les effets de la pandémie, relancer les dynamiques
de progrès des pays et poser les bases du développement vert, résilient et
inclusif » car « pour s’engager sur la voie d’une reprise mondiale,
il faudra mobiliser une aide financière et technique soutenue, différenciée
et ciblée à l’appui des gouvernements et du secteur privé »
.
30. Je suis d’avis que nous devrions donner suite aux recommandations
clés adressées récemment par l’Assemblée aux États membres afin
de contribuer à protéger les personnes et les entreprises les plus vulnérables
à l’aide de politiques sociales et économiques expansionnistes ;
à endiguer toute résurgence de l’épidémie, en prenant des mesures
de santé publique efficaces, testées et autant que possible basées
sur les preuves d’efficience, mises en œuvre dans le respect des
droits humains (comme recommandé dans la
Résolution 2329 (2020) de l’Assemblée) ; et à limiter les dommages pour le
système économique tout en donnant la priorité aux populations et
à la planète. À mon sens, cela suppose avant tout de ne pas assortir
le soutien multilatéral financier aux États membres de conditionnalités
punitives telles que les mesures d’austérité qui nuiraient aux systèmes
de protection sociale, systèmes de santé ou les droits humains définis par
la Charte sociale européenne révisée et la Convention européenne
des droits de l’homme (ETS n° 5). Dans le même temps, le soutien
apporté aux entreprises au niveau national devrait favoriser la
réalisation d’objectifs sociaux et environnementaux dans le cadre
de l’intérêt général à poursuivre le développement durable. Le programme
de relance autrichien, par exemple, place hors-la-loi la réduction
d’effectifs par les entreprises qui bénéficient du soutien gouvernemental.
D’une façon générale, il paraît anormal que les entreprises paient
les dividendes aux actionnaires et licencient tout en bénéficiant
du soutien de l’État.
31. Dans une Déclaration sur la covid-19 et les droits sociaux
du 22 avril 2021, le Comité européen des droits sociaux (CEDS) a
instamment demandé aux États d’investir dans « les droits sociaux
et leur mise en œuvre – dans le respect de l’utilisation du maximum
des ressources disponibles », considérant que la Charte sociale
européenne offre un cadre qui « atténuera l’impact négatif de la
crise et accélérera la reprise sociale et économique post-pandémie ».
Le Comité demande également aux États d’évaluer si leurs cadres
juridiques et politiques existants sont adéquats pour « assurer
une réponse conforme à la Charte aux défis engendrés par la Covid-19 »
.
32. Nous devrions demander instamment aux États membres d’adopter
une approche concertée en faveur d’une reprise économique solide
et équitable, fondée sur le renforcement de la cohésion sociale,
mais aussi de la qualité des performances économiques, afin de conforter
ainsi la légitimité démocratique du processus
. Les
États membres devraient évaluer les mesures prises pour endiguer
la pandémie à l’aune de leurs effets sur la propagation du Sars-CoV-2
(efficacité) et des incidences négatives sur l’économie et la société (dommages
collatéraux). La pandémie hors contrôle infligerait des dommages
collatéraux à l’économie et à la société, et, vu les inégalités
existantes, nous mènerait au scénario du darwinisme social en laissant
les groupes les plus vulnérables les plus exposés aux dangers de
la pandémie et à ses conséquences à long terme. Parallèlement, c’est
une responsabilité des décideurs politiques de s’assurer que le
remède ne soit jamais plus nocif que la maladie, car toute suppression
prématurée des mesures restrictives risquerait de provoquer une
nouvelle vague d’infections et de nouvelles restrictions, avec des
conséquences sévères pour les groupes les plus fragiles.
33. Si les États doivent agir pour freiner la propagation du virus,
le principe de proportionnalité doit être à tout moment garanti.
En particulier, les mesures de confinement devraient systématiquement
être examinées, évaluées et ajustées en fonction de leur efficience
et effets inégaux sur la population, et des mesures de soutien devraient
être proposées aux catégories de personnes les plus touchées. En
outre, nos États devraient œuvrer de concert à la mise en place
de mécanismes permettant de découpler les finances publiques de
la volatilité des marchés.
34. Comme l’a souligné la représentante de l’EAPN lors de l’audition
du 7 octobre 2020, les dispositifs de revenu minimum sont insuffisants
ou inadéquats et les systèmes de protection sociale ne disposent
pas de ressources adéquates dans la moitié des pays objets de l’étude.
Dans ce contexte, une membre de la commission a fait valoir qu’au
lieu de s’intéresser à la discipline budgétaire, il faudrait réfléchir
à la nature de l’expansion budgétaire, qui sera axée sur les défis
en matière de droits et le rôle de l’État dans la fourniture de services
publics de base, et qui s’accompagnera d’une fiscalité progressive.
35. Pour certains économistes, les difficultés actuelles en termes
de santé publique, de chômage et de dégradation de l’environnement
constituent une triple crise à laquelle nos États doivent faire
face pour reconstruire une Europe post-covid plus forte
. Compte tenu du rôle central dévolu
à l’État d’assurer la stabilité macroéconomique et l’inclusion sociale,
ainsi que de faciliter la transition structurelle vers un développement
plus équilibré et plus durable dans l’intérêt général, ils proposent
une option politique de garantie européenne d’emploi
. Il
s’agit d’un choix politique selon lequel le secteur public offrirait
des possibilités d’emploi de qualité, fondées sur les besoins économiques
locaux et poursuivant l’objectif d’un travail décent pour tous ;
au fur et à mesure du redressement du secteur privé et de l’économie,
les personnes concernées seraient en mesure de se tourner également
vers des emplois de qualité comparable dans le secteur privé.
36. Dans le même esprit, l’EAPN plaide en faveur de mesures doubles
visant à stimuler l’emploi et à protéger les droits de la population
active (par exemple en garantissant un salaire minimum adéquat à
même de protéger la population de la pauvreté au travail). Les jeunes
bénéficieraient en particulier des programmes publics de stimulation
de l’emploi et auraient également besoin d’une extension des régimes
de protection sociale pour les prémunir contre le risque de pauvreté.
Le CEDS, pour sa part, insiste sur l’obligation des États de maintenir
« un niveau d’emploi élevé et stable en vue de réaliser l’objectif
du plein emploi », notamment « par le biais de programmes publics
pour l’emploi, de travaux publics, de subventions à l’embauche et
de diverses mesures de soutien à la création d’emplois de qualité
assortis de conditions de travail décentes »
. J’apprécie pleinement la position
du CEDS sur la situation des femmes et des travailleurs migrants,
qui sont surreprésentés dans les secteurs les plus touchés par la
pandémie (secteurs des soins, de la construction et des services),
sont très exposés aux risques sanitaires et à la violence, ainsi
qu’à la traite et à l’exploitation dans le cas des travailleurs
migrants, et qui demandent des mesures de protection spécifiques.
37. Dans ce contexte, il convient de souligner un vide juridique
de la Charte sociale européenne: les travailleurs migrants originaires
de pays non liés par ce traité sont exclus de l’application de certaines dispositions
de la Charte. Cette faille, l’une parmi tant d’autres, montre la
nécessité de moderniser la Charte, en reconnaissant de nouveaux
droits pour relever les multiples défis rendus plus visibles par
la pandémie. De plus, du point de vue de la bonne gouvernance démocratique,
l’Assemblée devrait être impliquée dans l’élection des membres du
CEDS, comme prévu par le Protocole de Turin (STE n° 142) de la Charte
sociale européenne. Même si le protocole n’est pas entré en vigueur,
toutes ses clauses ont été mises en œuvre (par le biais de la décision
du Comité des Ministres), à l’exception de l’élection des membres
du CEDS par l’Assemblée.
38. Considérant la crise socio-économique post-covid comme une
occasion de renforcer les fondamentaux économiques dans toute l’Europe,
trois grands instituts de recherche (le Macroeconomic Policy Institute
(IMK) en Allemagne, l’Observatoire français des conjonctures économiques
(OFCE) en France et le Wiener Institut für Internationale Wirtschaftsvergleiche
(WIIW) en Autriche) ont ainsi proposé un programme d’investissement de
2 000 milliards d’euros sur dix ans en faveur de projets européens
concrets axés sur la santé publique, les transports, les infrastructures
énergétiques et les politiques de décarbonisation. Les principaux
objectifs devraient être les suivants: augmenter la productivité
et les niveaux de vie, renforcer la cohésion régionale et favoriser
la transition durable vers une économie plus verte. Le dispositif
d’investissement suggéré repose sur deux piliers: un pilier national
axé sur les pays les plus durement touchés (500 milliards d’euros),
et un pilier européen axé sur le programme « L’UE pour la santé »
(400 milliards d’euros), le projet de réseau de trains ultrarapides
(550 milliards d’euros), le projet d’autoroute électrique (
e-Highway) (260 milliards d’euros)
et le soutien à l’atténuation des effets du changement climatique
(290 milliards d’euros). Toutefois, l’ambition de ce programme d’investissements
se discute: étant donné la sévérité de la pandémie et des crises
économique et climatique en 2020, il est surprenant que cette proposition
n’aille pas au-delà de la proposition du type fonds-Marshall de
2012
.
5. Observations
finales
39. En conclusion, nous pouvons
dire qu’en dépit d’incertitudes considérables, les décideurs politiques
et les macro-économistes montrent un « optimisme prudent » en ce
qui concerne les perspectives de relance socio-économique en 2021
et les années à venir. Une reprise solide est possible, mais il
faut tenir compte de risques importants, notamment une probabilité
élevée de résurgence de la covid-19, l’escalade des niveaux d’endettement
des pouvoirs publics et des entreprises, les défaillances en matière
de contrôle continu, un manque de dimension européenne et les revirements
politiques au plan national. Les parlements et les parlementaires
nationaux devraient défendre une vision et une ambition stratégiques
à long terme en faveur d’une reprise porteuse de changements sur
le continent européen, avec une forte dimension verte et sociale. La
question centrale sur la répartition équitable du fardeau financier
de la crise devrait être débattue dans différents cadres politiques
et juridiques, en impliquant les citoyennes, citoyens, les partenaires
sociaux et les parlements. Le danger omniprésent du retour à l’austérité
avec ses conséquences néfastes sur le plan économique, social et
politique doit être évité ; l’heure est venue d’investir dans la
réparation des dommages causés par l’austérité d’hier et par la
pandémie d’aujourd’hui, en construisant un avenir plus durable et
inclusif.