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Rapport | Doc. 15367 | 13 septembre 2021

Ancrer le droit à un environnement sain: la nécessité d'une action renforcée du Conseil de l'Europe

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Simon MOUTQUIN, Belgique, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15068 et Doc. 15108, Renvoi 4516 du 26 juin 2020. 2021 - Quatrième partie de session

Résumé

La vitesse et l’ampleur de la dégradation de l’environnement, de la perte de la biodiversité et de la crise climatique qui affectent directement la santé, la dignité et la vie humaine, sont des développements qui sont hautement préoccupants. En tant que première organisation de défense des droits humains et de l’État de droit du continent européen, le Conseil de l‘Europe devrait rester proactif et adapter son cadre juridique en conséquence pour garantir le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable.

À cet effet, l’Assemblée parlementaire devrait recommander au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe d’élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5), ainsi qu’un protocole additionnel à la Charte sociale européenne (STE nos 35 et 163), sur le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable. De plus, les travaux préparatoires à une étude de faisabilité pour une convention de type «5P» sur les menaces pour l’environnement et les risques technologiques pour la santé, la dignité et la vie humaine devraient être entamés, et la Recommandation CM/Rec(2016)3 sur les droits de l’homme et les entreprises révisée dans le but de renforcer la responsabilité environnementale des entreprises.

Les parlements nationaux devraient plaider en faveur d’une protection adaptée du droit à un environnement sûr, propre, sain et durable, légiférer sur ces questions et mettre en chantier les instruments juridiques nécessaires pour parachever la portée globale de ce droit et contrôler l’application effective de ces lois et instruments.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 9 septembre 2021.

(open)
1. La vision globale de la protection contemporaine des droits humains a nettement évolué ces dix dernières années. Si la notion de développement durable a mis du temps à s’imposer dans l’élaboration des politiques à l’échelle mondiale, notre perception de l’environnement comme facteur essentiel du développement et des droits humains a entraîné l’apparition de nouveaux défis de nature juridique pour les États membres du Conseil de l’Europe. La pollution de l’environnement, la perte de la biodiversité et la crise climatique nuisent à la planète et à l’humanité en provoquant des décès prématurés parmi la génération actuelle et en privant les générations futures d’un espace vital viable.
2. Ces nouvelles menaces pour la vie humaine, le bien-être et la santé ne procèdent plus uniquement de l’incapacité des pouvoirs publics à faire respecter les droits civils et politiques  mais aussi de leur inaction pour prévenir l’effet cumulatif des atteintes aux personnes résultant de la dégradation de l’environnement en raison de l’exploitation commerciale de la nature. La situation actuelle donne de plus en plus fréquemment lieu à des violations des droits fondamentaux et à des contentieux juridiques.
3. L’Assemblée parlementaire note que la Déclaration de Stockholm adoptée à l’issue de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement établissait explicitement, dès 1972, le lien entre protection de l’environnement et droits humains de première génération, renvoyant indirectement au droit à un environnement sain. Depuis, près de la moitié des pays du monde ont inscrit le droit à un environnement sain dans leur constitution, dont 32 États membres du Conseil de l’Europe. Le droit à un environnement sain est également reconnu mondialement par divers accords et dispositifs régionaux – sauf dans la région européenne.
4. L’Assemblée estime que la vision européenne contemporaine de la protection des droits humains pourrait néanmoins devenir un cadre de référence pour les droits humains écologiques au XXIème siècle, à condition d’agir immédiatement. Jusqu’à présent, cette vision s’est limitée aux droits civils et politiques consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme et ses protocoles (STE no 5, ci après «la Convention») et aux droits économiques et sociaux reconnus par la Charte sociale européenne (STE nos 35 et 163, ci-après «la Charte»).
5. L’Assemblée observe que la Convention ne mentionne pas expressément la protection de l’environnement et que la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après «la Cour») ne peut donc pas statuer de manière suffisamment efficace sur ce droit humain de nouvelle génération. L’appel à l’action de l’Assemblée, notamment dans sa Recommandation 1885 (2009) «Élaboration d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à un environnement sain», n’a malheureusement pas été entendu par le Comité des Ministres.
6. La jurisprudence de la Cour consacre une protection par ricochet d’un droit à l’environnement en se cantonnant à ne sanctionner que des atteintes à l’environnement qui entraînent simultanément une atteinte à d’autres droits humains déjà reconnus dans la Convention. La Cour privilégie de ce fait une approche anthropocentrée et utilitariste de l’environnement qui empêche toute protection per se des éléments naturels. L’Assemblée encourage le Conseil de l’Europe à reconnaître, à terme, la valeur intrinsèque de la Nature et des écosystèmes au nom de l’interdépendance des sociétés humaines avec la Nature.
7. L’Assemblée est convaincue que le Conseil de l’Europe, en tant que première organisation de défense des droits humains et de l’État de droit du continent européen, devrait rester proactif en ce qui concerne l’évolution des droits humains et adapter son cadre juridique en conséquence. Un instrument juridiquement contraignant et opposable, comme un protocole additionnel à la Convention, fournirait finalement une base incontestable à la Cour pour statuer sur les atteintes aux droits humains découlant des effets environnementaux néfastes pour la santé, la dignité et la vie humaine.
8. L’Assemblée considère qu’une reconnaissance explicite du droit à un environnement sain et viable ouvrirait la voie à l’adoption de législations environnementales plus fortes dans les différents pays et inciterait la Cour à adopter une approche plus protectrice. La reconnaissance de ce droit permettrait aux victimes de déposer plus facilement des requêtes en réparation et agirait comme un mécanisme de prévention, qui viendrait s’ajouter à la jurisprudence de la Cour, qui intervient plutôt en réaction.
9. Reconnaître un droit autonome à un environnement sain présenterait l’avantage de pouvoir conclure à une infraction indépendamment de l’atteinte à un autre droit, ce qui lui donnerait une place plus importante. Dans ce contexte, l’Assemblée observe que les Nations Unies mentionnent essentiellement, dans leurs études et résolutions sur les droits humains et l’environnement, les obligations découlant des droits humains relatives à la jouissance d’un « environnement sûr, propre, sain et durable ». Le Conseil de l’Europe devrait être encouragé à reprendre cette terminologie dans ses propres instruments juridiques, sans que cela l’empêche pour autant d’aller plus loin et de garantir le droit à un environnement «décent» ou «écologiquement viable».
10. L’Assemblée soutient également l’élaboration d’un protocole additionnel à la Charte sur le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable. La Charte et la Convention sont deux systèmes complémentaires et interdépendants avec leurs spécificités propres, d’où l’importance d’élaborer un protocole additionnel pour chaque traité.
11. L’Assemblée considère en outre qu’il est de plus en plus nécessaire d’assurer un partage des responsabilités entre les acteurs étatiques et non étatiques, y compris les entreprises, pour la prévention et la réduction des dommages à l’environnement. L’autoréglementation du secteur privé n’allant pas toujours dans le sens de l’intérêt commun, l’État a un rôle majeur à jouer en la matière. Les États devraient donc renforcer la responsabilité environnementale des entreprises, notamment en révisant la Recommandation CM/Rec(2016)3 du Comité des Ministres sur les droits de l’homme et les entreprises et en s’associant aux travaux du « Groupe de travail intergouvernemental des Nations Unies à composition non limitée sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme chargé d’élaborer un instrument juridiquement contraignant sur les activités commerciales et les droits de l’homme ».
12. L’Assemblée reconnaît également la responsabilité particulière des générations présentes envers les générations futures. Les dommages irréversibles à l’encontre de la nature et les effets à court et long terme de la crise climatique impacteront négativement les générations futures qui doivent être protégées en conséquence. Afin de consacrer le principe de responsabilité, d’équité et de solidarité transgénérationnelles, de nouveaux droits et devoirs s’imposent. Ainsi, l’Assemblée soutient la reconnaissance d’un droit des générations futures à un environnement sain et de devoirs de l’humanité envers le vivant. Parmi ces devoirs, celui de non-régression répond à l’exigence d’équité transgénérationnelle en constituant un obstacle à la dégradation croissante de l’environnement et en garantissant une sécurité juridique au droit de l’environnement.
13. Alors que les menaces liées à la dégradation de l’environnement et au changement climatique font partie des défis les plus importants auxquels l’humanité est aujourd’hui confrontée, l’Assemblée estime que l’usage illimité de certaines nouvelles technologies (comme l’intelligence artificielle, les nanotechnologies et le génie génétique) pose problème au regard des droits humains. Elle considère en conséquence que le Conseil de l’Europe devrait élaborer une convention relative aux menaces qui pèsent sur l’environnement et aux risques pour la santé, la dignité et la vie humaine s’inspirant de l’approche des «5P», dans l’esprit de la Déclaration de Stockholm: grâce à la prévention et à la poursuite des atteintes au droit à un environnement sûr, propre, sain et durable et à la protection des victimes, les États contractants adopteraient et appliqueraient sur tout leur territoire des «politiques intégrées» efficaces et offriraient une réponse globale aux menaces pour l’environnement et aux risques technologiques, les parlements étant chargés de demander des comptes aux gouvernements quant à la mise en œuvre effective de politiques en faveur des droits humains qui soient respectueuses de l’environnement.
14. À la lumière des considérations qui précèdent, l’Assemblée recommande aux États membres du Conseil de l’Europe:
14.1. d’établir et de consolider un cadre juridique, au niveau national et européen, pour ancrer le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable, en s’appuyant sur les orientations des Nations Unies en la matière;
14.2. de soutenir les efforts multilatéraux en vue de la reconnaissance expresse et de la protection du droit à un environnement sûr, propre, sain et durable par le droit international et européen;
14.3. de participer, sous les auspices du Conseil de l’Europe, à un processus politique visant à élaborer des instruments juridiquement contraignants et opposables, sous la forme d’un protocole additionnel à la Convention et d’un protocole additionnel à la Charte, pour protéger plus efficacement le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable; ainsi qu’une convention fondée sur les «5P» relative aux menaces pour l’environnement et aux risques technologiques pour la santé, la dignité et la vie humaine;
14.4. de renforcer la responsabilité environnementale des entreprises exerçant sur leur territoire en établissant un cadre juridique dédié contraignant qui définisse la responsabilité des entreprises à l’égard de la protection de la vie humaine, du droit à un environnement sûr, propre, sain et durable et de l’intégrité de l’environnement et en les amenant à réduire l’empreinte dommageable de leurs activités sur l’environnement;
14.5. de contribuer à la révision de la Recommandation CM/Rec(2016)3 du Comité des Ministres sur les droits de l’homme et les entreprises afin de définir et d’y intégrer les obligations relatives à la responsabilité environnementale des entreprises.
15. L’Assemblée invite instamment les parlements nationaux à plaider en faveur d’une protection adaptée du droit à un environnement sûr, propre, sain et durable aux niveaux national, européen et mondial. Il les invite à organiser de grandes consultations publiques à ce sujet, à légiférer sur ces questions et à mettre en chantier les instruments juridiques nécessaires pour parachever la portée globale de ce droit et à contrôler l’application effective de ces lois et instruments.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté par la commission le 9 septembre 2021.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution … (2021) «Ancrer le droit à un environnement sain: la nécessité d’une action renforcée du Conseil de l’Europe», et réaffirme qu’il est nécessaire que le Conseil de l’Europe modernise son activité normative afin d’y inclure les droits humains de nouvelle génération. L’Assemblée est vivement préoccupée par la vitesse et l’ampleur de la dégradation de l’environnement, de la perte de la biodiversité et de la crise climatique qui affecte directement la santé, la dignité et la vie humaine. Elle considère qu’il est grand temps que le Conseil de l’Europe fasse preuve d’ambition et d’une vision stratégique pour l’avenir en se montrant à la hauteur de ce défi majeur porteur de transformations pour les droits humains et en veillant à renforcer la protection de ces droits à l’heure où des menaces environnementales systémiques pèsent sur les générations actuelles et futures.
2. L’Assemblée constate que les dommages environnementaux font de plus en plus obstacle à la réalisation des droits humains de première et de deuxième génération sur le plan individuel et sur celui de la société dans son ensemble, mettant ainsi à mal les valeurs communes que le Conseil de l’Europe est chargé de défendre. Ces dommages sont reconnus dans le cadre des procédures contentieuses de niveau national en matière environnementale, aussi bien en Europe qu’au-delà. Ils constituent un motif impérieux pour renforcer et actualiser l’arsenal juridique du Conseil de l’Europe et pour établir un lien entre les actions de niveau national et les engagements pris au titre des traités internationaux pertinents, comme la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et l’Accord de Paris.
3. À cet effet, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
3.1. d’élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, ci-après «la Convention») sur le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable, s’appuyant sur la terminologie utilisée par les Nations Unies et le texte reproduit ci-dessous, qui fait partie intégrante de la présente recommandation; l’inclusion de ce droit dans la Convention établirait clairement que les États membres ont la responsabilité de maintenir l’environnement dans un bon état, qui permette de vivre dans la dignité et en bonne santé et d’exercer pleinement d’autres droits fondamentaux; elle favoriserait aussi une protection beaucoup plus efficace d’un environnement sûr, propre, sain et durable au niveau national y compris pour les générations futures;
3.2. d’élaborer un protocole additionnel à la Charte sociale européenne (STE nos 35 et 163, ci-après «la Charte») sur le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable; l’inclusion de ce droit dans la Charte permettrait de reconnaître l’interdépendance entre la protection des droits sociaux et la protection de l’environnement; elle permettrait également aux organisations non-gouvernementales d’effectuer des réclamations collectives en matière environnementale;
3.3. d’entamer les travaux préparatoires à une étude de faisabilité pour une convention de type «5P» sur les menaces pour l’environnement et les risques technologiques pour la santé, la dignité et la vie humaine; l’établissement d’une telle convention permettrait d’y inscrire les principes de prévention, de précaution et de non-régression, nécessaires pour assurer l’effectivité de la protection du droit de l’humanité à un environnement sain; la convention pourrait également intégrer un mécanisme supranational de contrôle à l’instar des comités d’experts indépendants comme le Groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) et le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO);
3.4. de réviser la Recommandation CM/Rec(2016)3 sur les droits de l’homme et les entreprises dans le but de renforcer la responsabilité environnementale des entreprises afin de protéger de manière adéquate le droit humain à un environnement sûr, propre, sain et durable.
4. Texte de la proposition pour un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à un environnement sûr, propre, sain et durable
4.1. Préambule
  • Les États membres du Conseil de l’Europe et les autres Hautes Parties contractantes à la Convention européenne des droits de l’homme, signataires du présent protocole,
  • Considérant l’urgence de la crise environnementale et ses conséquences sur la biodiversité, sur les écosystèmes et sur les générations présentes et futures;
  • Reconnaissant l’interdépendance entre la protection de l’environnement et les droits humains;
  • Prenant en compte la valeur intrinsèque de la Nature et le caractère primordial des devoirs et obligations des générations présentes à l’égard de l’environnement et des générations futures;
  • Rappelant que chaque être humain «a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être» et qu’il a «le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures» (Principe 1 de la Déclaration de Stockholm de 1972);
  • Notant que le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable nécessite de dépasser l’approche par les droits individuels seuls;
  • Résolus à définir le droit à un environnement sain comme un droit de l’humanité autonome;
  • Sont convenus de ce qui suit:
4.2. Titre I – Définition
4.2.1. Article 1
  • Aux fins du présent Protocole additionnel, on entend par «droit à un environnement sûr, propre, sain et durable» le droit des générations actuelles et futures de vivre dans un environnement non-dégradé, viable et décent, propre à assurer leur santé, développement et bien-être.
4.3. Titre 2 – Principes généraux
4.3.1. Article 2: Principe de responsabilité, d’équité et de solidarité transgénérationnelles
  • Toute génération a le devoir de protéger l’environnement et la biodiversité et d’empêcher toute atteinte irréparable et irréversible à la vie sur Terre, pour assurer aux générations suivantes le droit de vivre dans un environnement sûr, propre et sain.
  • Toute génération veille à utiliser et gérer de manière écologiquement durable les ressources naturelles, et à faire en sorte que les progrès scientifique et technologique dans tous les domaines ne nuise pas à la vie sur Terre.
  • Toute génération est responsable de la protection de l’environnement et se doit:
    a. de prévenir les dommages environnementaux;
    b. de réparer les dommages environnementaux.
4.3.2. Article 3: Principe de non-discrimination environnementale
a. Nul ne peut faire l’objet d’une discrimination à raison de son appartenance à une génération.
b. Toute Haute Partie contractante veille à interdire la discrimination et à garantir une protection égale et efficace contre la discrimination pour permettre à tout individu, groupe et peuple de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable.
c. Toute Haute Partie contractante veille à prendre des mesures supplémentaires pour protéger les droits des personnes plus vulnérables face aux dommages environnementaux ou qui sont particulièrement menacées par ceux-ci.
4.3.3. Article 4: Principes de prévention, de précaution, de non-régression et in dubio pro natura
  • En cas de risque avéré d’atteinte à l’environnement et à la biodiversité, des mesures d’action préventive et de correction, par priorité à la source, doivent être mises en place pour éviter la survenance de dommages environnementaux.
  • En cas de risque de dommage sérieux sur l’environnement ou la santé humaine, animale ou végétale, l’absence de certitude scientifique ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement et de la biodiversité.
  • .
    a. Tout retour en arrière en matière de protection juridique de l’environnement ou de l’accès à la justice environnementale est interdite.
    b. Les dispositions nationales et internationales relatives à l’environnement, ne peuvent faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et technologiques du moment.
  • En cas de doute, toutes les questions soumises aux tribunaux, organismes administratifs et autres décideurs doivent être résolues de la manière la plus favorable à la protection et conservation de la nature, en privilégiant les alternatives les moins nocives pour l’environnement.
4.4. Titre 3 – Droit matériel
4.4.1. Article 6: Droit à un environnement sûr, propre, sain et durable
  • Toute personne a droit à un environnement sûr, propre, sain et durable.
4.4.2. Article 7: Droits procéduraux
a. Toute personne a droit à l’accès à l’information détenue par les autorités publiques en matière d’environnement, sans qu’elle soit obligée de faire valoir un intérêt..
b. Si un projet, un programme ou une politique a une incidence sur l’environnement et la biodiversité, toute personne a droit a une consultation préalable afin d’être entendue par les instances décisionnelles concernant son autorisation et élaboration
c. Toute personne a droit d’accès à la justice en matière d’environnement.
d. Toute personne, dont les droits reconnus dans le présent Protocole ont été violés, a droit à un recours effectif.
4.5. Titre 4 – Conditions de mise en œuvre du protocole
4.5.1. Article 8
  • Dans l’interprétation du droit reconnu à l’article 6 du présent Protocole, il sera fait application des principes du droit international et européen de l’environnement.
  • L'exercice des droits énoncés dans ce Protocole ne peut être soumis qu'à des formalités, conditions, et restrictions prévues par la loi et nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
4.6. Titre 5 – Clauses finales
4.6.1. Article 9
  • Aucune dérogation au titre de l'article 15 de la Convention n'est autorisée aux dispositions du présent Protocole, à l'exception de l'article 7 b. de celui-ci.
4.6.2. Article 10
  • Aucune réserve n'est admise aux dispositions du présent Protocole au titre de l'article 57 de la Convention, à l'exception de l'article 7 b. de celui-ci.
4.6.3. Article 11
  • Le présent Protocole est ouvert à la signature des États membres du Conseil de l'Europe et les autres Hautes Parties contractantes à la Convention européenne des droits de l’homme. Il sera soumis à ratification, acceptation ou approbation. Les instruments de ratification, d'acceptation ou d'approbation seront déposés près le.la Secrétaire Général.e du Conseil de l'Europe
4.6.4. Article 12
  • .
    a. Le présent Protocole entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit la date à laquelle cinq États membres du Conseil de l'Europe auront exprimé leur consentement à être liés par le Protocole conformément aux dispositions de l'article 18.
    b. Pour toute Haute Partie contractante qui exprimera ultérieurement son consentement à être lié par le Protocole, celui-ci entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit la date du dépôt de l'instrument de ratification, d'acceptation ou d'approbation.
  • Le.la Secrétaire Général.e du Conseil de l’Europe notifiera aux États membres:
    a. toute signature;
    b. le dépôt de tout instrument de ratification, d’acceptation ou d’approbation;
    c. la date d’entrée en vigueur du présent Protocole;
    d. tout autre acte, notification ou communication ayant trait au présent Protocole.
  • En foi de quoi, les soussignés, dûment autorisés à cet effet, ont signé le présent Protocole.
  • Fait à Strasbourg, le [date], en anglais et en français, les deux textes faisant également foi, en un seul exemplaire qui sera déposé dans les archives du Conseil de l’Europe. Le.la Secrétaire Général.e du Conseil de l’Europe en communiquera copie certifiée conforme à chacun des États membres du Conseil de l’Europe.

C. Exposé des motifs par M. Simon Moutquin, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. En mai 2020, la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable a déposé une proposition de résolution intitulée «Ancrer le droit à un environnement sain: la nécessité d’une action renforcée du Conseil de l’Europe» 
			(3) 
			Voir Doc. 15108.. Tandis que la dégradation de l’environnement s’aggrave, les données scientifiques qui en montrent les effets préjudiciables sur la santé des Européens s’accumulent. Pourtant, la reconnaissance expresse du droit à un environnement sain, qui permettrait une action plus déterminée au niveau européen comme à l’échelon national, n’est toujours pas acquise. Face à ces préoccupations, la proposition de résolution souligne qu’il est important d’appeler à une action plus ambitieuse du Conseil de l’Europe dans ce domaine. Cette proposition a été transmise à notre commission pour rapport et j’ai été nommé rapporteur le 6 juillet 2020 (une autre proposition de résolution sur l’intelligence artificielle et le changement climatique 
			(4) 
			Voir Doc. 15068. a par la suite été transmise à notre commission afin d’être prise en compte dans ce contexte).
2. En réponse aux menaces qui pèsent sur le climat et la biodiversité, la présidence géorgienne du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (27 novembre 2019 – 15 mai 2020) a fait de la question des droits humains et de la protection de l’environnement sa priorité absolue. Cet objectif a continué de figurer en bonne place dans les priorités des présidences de la Grèce et de l’Allemagne. Pour sa part, le Président de l’Assemblée parlementaire, M. Rik Daems, en a fait une priorité pour l’Assemblée dès son élection, en janvier 2020. L’élan suscité par cette forte volonté politique est donc une occasion unique de lancer des travaux préparatoires en vue de l’élaboration d’un instrument juridiquement contraignant visant à protéger le droit des êtres humains à un environnement sain. Cette initiative européenne pourrait poser les jalons d’un consensus mondial quant à la nécessité d’une coopération internationale renforcée dans le domaine de la protection de l’environnement et des droits humains « verts ». L’Europe doit rester le porte-étendard des droits fondamentaux intégrant une « dimension verte ».
3. En février 2020, la présidence géorgienne a organisé à Strasbourg une conférence à haut niveau sur la protection de l’environnement du point de vue des droits humains 
			(5) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/human-rights-rule-of-law/human-rights-and-the-environment'>Conférence
de haut niveau sur la protection de l’environnement et les droits
de l’homme</a>, tenue le 27 février 2020 à Strasbourg.. Les participants ont examiné les possibilités d’actions du Conseil de l’Europe dans le domaine des droits humains pour faire face à l’urgence environnementale et déterminer comment aider les gouvernements européens à relever ce défi. Le rapport introductif à cette conférence 
			(6) 
			<a href='https://rm.coe.int/rapport-e-lambert-fr/16809c8281'>Élisabeth
Lambert, Rapport introductif à la Conférence de haut niveau «Protection
environnementale et droits de l’homme».</a> invite le Conseil de l’Europe à jouer un rôle de leader en matière de protection des droits fondamentaux, faute de quoi des initiatives éclatées seront adoptées au niveau national et la légitimité de l’Organisation s’en trouvera fortement affectée 
			(7) 
			Idem,
p. 33..
4. La vision européenne contemporaine de la protection des droits humains pourrait devenir un cadre de référence pour les droits humains écologiques au XXIème siècle. Dans ce contexte, nous nous sentons très encouragés par l’arrêt historique concernant le climat rendu par la Cour suprême des Pays-Bas dans l’affaire Urgenda, qui a confirmé un jugement antérieur contre le gouvernement néerlandais et exige de celui-ci une action beaucoup plus forte pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. La Cour suprême a notamment fait référence aux obligations incombant directement aux différents États en vertu des articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5, ci-après «la Convention») concernant le droit à la vie et le droit à la vie privée et familiale 
			(8) 
			<a href='https://www.urgenda.nl/en/themas/climate-case/'></a> Voir <a href='https://www.urgenda.nl/en/themas/climate-case/'>www.urgenda.nl/en/themas/climate-case/</a> et «<a href='www.urgenda.nl/en/themas/climate-case/Dutch supreme court upholds landmark ruling demanding climate action'>Dutch
supreme court upholds landmark ruling demanding climate action</a>», The Guardian,
20 décembre 2019..
5. Au cours des dernières décennies, l’Assemblée a publié de nombreuses recommandations sur des questions relatives au droit à un environnement sain. Elle a notamment souligné que chaque être humain a le droit fondamental à un environnement et à des conditions de vie propres à favoriser sa bonne santé, son bien-être et le plein épanouissement de sa personnalité. Dès 2003, l’Assemblée indiquait que l’heure était venue, au vu de l’évolution du droit international, tant en matière d’environnement que de droits humains, et au vu de la jurisprudence européenne (notamment celle de la Cour européenne des droits de l’homme), d’envisager les modalités juridiques qui permettraient au système de protection des droits humains de contribuer à la protection de l’environnement 
			(9) 
			Recommandation 1614 (2003) «Environnement et
droits de l’homme»..
6. En 2009, l’Assemblée recommandait aux Comité des Ministres d’élaborer un protocole additionnel à la Convention qui reconnaisse expressément «le droit à un environnement sain et viable» 
			(10) 
			Recommandation 1885 (2009) «Élaboration d’un
protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme
relatif au droit à un environnement sain» . en s’inspirant d’initiatives analogues menées dans le passé. Dans cette recommandation, l’Assemblée réaffirmait son attachement aux questions relatives à l’environnement et considérait que « vivre dans un environnement sain est non seulement un droit fondamental des citoyens, mais [aussi] que la société dans son ensemble et chaque individu en particulier se doivent [...] de transmettre aux générations futures un environnement sain et viable». Dans cette optique, l’Assemblée n’a cessé d’appeler les États membres à renforcer leur action afin de relever les défis du changement climatique, des risques sanitaires liés à l’environnement et des migrations liées à l’environnement 
			(11) 
			Notamment
par la Recommandation
1863 (2009) « Environnement et santé: mieux prévenir les risques
sanitaires liés à l’environnement »,  la Résolution 1976 (2014) « Le changement climatique: un cadre pour un accord
mondial en 2015 »,  la Résolution
2210 (2018) « Changement climatique et mise en œuvre de l’Accord
de Paris », et la Résolution
2307 (2019) « Un statut juridique pour les “réfugiés climatiques” »..
7. Pourtant, malgré les initiatives politiques et juridiques prises aux niveaux national et international, la protection de l’environnement est encore très mal assurée à ce jour. Le contre-argument le plus fréquemment opposé à l’époque était l’incertitude quant à l’existence effective d’un droit conféré aux individus, ou, à tout le moins, la définition insuffisante de ce droit. Les menaces environnementales qui pèsent sur la jouissance pleine et entière des droits humains n’en sont pas moins graves pour les individus ; la question porte plutôt sur la définition des termes et l’élaboration minutieuse d’un instrument juridique qui reconnaisse ces droits.
8. Un environnement «sain» peut être décrit comme un environnement «de qualité». Le droit à un environnement « de qualité » doit se comprendre comme englobant, entre autres, le droit de vivre dans un environnement non pollué, en réponse directe au chiffre alarmant de plus d’un demi-million de décès imputables chaque année, rien qu’en Europe, à la mauvaise qualité de l’air 
			(12) 
			Résolution 2286 (2019) «Pollution atmosphérique:
un défi pour la santé publique en Europe» .. Par conséquent, on peut estimer que le droit à un air pur est tout aussi légitime que le droit à l’eau potable, car l’un et l’autre sont essentiels à la vie, à la santé, à la dignité et au bien-être 
			(13) 
			<a href='https://rm.coe.int/rapport-e-lambert-fr/16809c8281'>Élisabeth
Lambert, op. cit.</a>, p. 19.. Dans son rapport, la professeur Élisabeth Lambert insiste sur la nécessité de reconnaître un droit subjectivé – tant individuel que collectif – à un environnement « décent » ou « écologiquement viable », notion plus large que celle du droit à un « environnement sain », afin d’embrasser une vision éco-centrée et une approche intergénérationnelle. Selon elle, l’expression « droit à un environnement sain » est restrictive et ne couvre que les atteintes environnementales ayant une incidence sur la santé ou le bien-être humains. Or, par droit à un environnement « décent », tel que l’a reconnu aussi le Comité des Ministres en 2004 
			(14) 
			«Environnement et droits
de l’homme», réponse à la Recommandation
1614 (2003) de l’Assemblée, voir Doc. 10041., il s’agit de comprendre le lien entre les droits fondamentaux, notre environnement et le développement durable, et de viser aussi la protection de l’environnement naturel conformément à la vision écologique qui prime aujourd’hui.
9. Le degré de reconnaissance des droits humains environnementaux a de multiples conséquences pratiques. L’inscription explicite de ce droit – qu’il vise un environnement « de qualité », « viable » ou « sain » – aura eu, au minimum, pour effet positif de renforcer l’arsenal législatif et judiciaire au niveau national dans près de la moitié des pays du monde qui ont inscrit le droit à un environnement sain dans leur constitution, dont 32 États membres du Conseil de l’Europe 
			(15) 
			Afrique
du Sud, Albanie, Andorre, Angola, Argentine, Arménie, Azerbaïdjan,
Bangladesh, Bélarus, Belgique, Bénin, Bolivie, Brésil, Bulgarie,
Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Cap Vert, Chili, Colombie, Comores,
Congo (République démocratique), Corée (du Sud), Costa Rica, Côte
d’Ivoire, Croatie, Cuba, Égypte, El Salvador, Équateur, Espagne, Estonie,
Éthiopie, Fidji, Finlande, France, Gabon, Géorgie, Grèce, Grenade,
Guatemala, Guinée, Guyane, Honduras, Hongrie, Islande, Inde, Indonésie,
Iran, Irak, Israël, Italie, Jamaïque, Kenya, Kirghizstan, Lettonie,
Macédoine du Nord, Madagascar, Malaisie, Malawi, Maldives, Mali,
Maroc, Mauritanie, Mexique, Mongolie, Monténégro, Mozambique, Népal, Nicaragua,
Niger, Nigéria, Norvège, Ouganda, Pakistan, Panama, Paraguay, Pays-Bas,
Pérou, Philippines, Pologne, Portugal, République centrafricaine,
République dominicaine, République de Moldova, République slovaque,
République tchèque, Roumanie, Russie, Rwanda, Sao Tomé-et-Principe,
Sénégal, Serbie, Seychelles, Slovénie, Somalie, Soudan, Soudan du
Sud, Sri Lanka, Tanzanie, Tchad, Thaïlande, Timor oriental, Togo,
Tunisie, Turkménistan, Turquie, Ukraine, Uruguay, Venezuela, Vietnam,
Zambie, Zimbabwe. (Source: Nations Unies).. En l’état, le droit à un environnement sain est reconnu dans le monde par divers accords et dispositifs régionaux 
			(16) 
			En font notamment partie
la Charte africaine sur les droits de l’homme et des peuples de
1981 (53 États membres); le Protocole additionnel à la Convention
américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux
et culturels (Protocole de San Salvador, art. 11, para. 38) qui
lie 16 États partie; la Charte arabe des droits de l’homme de 2004
(art. 38) qui lie 13 États parties ; la Convention de 1998 sur l’accès
à l’information, la participation du public au processus décisionnel
et l’accès à la justice en matière d’environnement (Convention d’Aarhus,
art. 1) qui regroupe 46 États parties et l’Union européenne ; l’Accord
régional sur l’accès à l’information, la participation publique
et l’accès à la justice à propos des questions environnementales
en Amérique latine et dans les Caraïbes (Accord d’Escazú, art. 4)
ouvert à la signature en septembre 2018, dont 16 États sont déjà
signataires (pas encore entré en vigueur) ; la Déclaration des droits
de l’homme adoptée par dix États de l’Association des Nations d’Asie
du Sud-Est en 2012 (para. 28 (f)). (Source: Nations Unies)..
10. Il convient de prendre note que les Nations Unies font principalement référence, dans leurs études et résolutions sur les droits humains et l’environnement, aux obligations en matière de droits humains se rapportant aux moyens de bénéficier d’un « environnement sûr, propre, sain et durable ». Les commissions de cette Assemblée veilleront donc à utiliser cette terminologie. Dans le cadre de l’élaboration du présent rapport, la commission a également tenu une audition en ligne, le 1er décembre 2020, avec M. David R. Boyd, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme et l’environnement, Mme Catherine Le Bris, chercheuse au CNRS (Centre national de la recherche scientifique, France) et spécialiste du droit international sur les droits humains et l’environnement, ainsi qu’avec de jeunes militants français et azerbaïdjanais 
			(17) 
			Voir
le procès-verbal déclassifié de l’audition publique – document <a href='https://assembly.coe.int/LifeRay/SOC/Pdf/DocsAndDecs/2020/AS-SOC-2020-PV-09-ADD2-FR.pdf'>AS/Soc
(2020) PV 09add2</a>..
11. Le présent rapport examine les différentes options qui se présentent pour l’adoption de nouveaux instruments juridiques du Conseil de l’Europe consacrant le droit à un environnement sain. On ne saurait insister assez sur l’urgence du problème: diverses formes de dégradation environnementale entraînent des violations de droits humains substantiels de première génération – comme le droit à la vie, le droit au respect de la vie privée et familiale, l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants et le droit de jouir paisiblement de son domicile, qui sont expressément consacrés par la Convention – ainsi que la violation du droit à la santé, droit de deuxième génération inscrit dans la Charte sociale européenne (STE nos 35 et 163, ci-après «la Charte»). Le Conseil de l’Europe, en tant que première organisation de défense des droits humains et de l’État de droit du continent européen, devrait rester proactif en ce qui concerne l’évolution des droits humains et adapter son cadre juridique en conséquence. Un instrument juridiquement contraignant et opposable, par exemple un protocole additionnel à la Convention, donnerait enfin à la Cour une base essentielle pour statuer sur ces questions.
12. De plus, au vu des éléments figurant dans la proposition de résolution « Intelligence artificielle et changement climatique » 
			(18) 
			Doc. 15068., le présent rapport examine également la menace que représente le changement climatique, étant donné qu’il s’agit du plus grand défi que l’humanité aura à relever, les nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle constituant tout à la fois un facteur important d’aggravation du problème et une possible solution. Le présent rapport examine ces questions et formule des propositions de solutions émanant du contexte national et européen, notamment l’élaboration d’une convention de type «5P» 
			(19) 
			Les « P » désignent
la prévention, les poursuites, la protection (des victimes), les politiques (intégrées) et la dimension parlementaire.. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée examine dans un rapport distinct la question de la « responsabilité civile et pénale dans le contexte du changement climatique » et la possibilité que le Conseil de l’Europe adopte une nouvelle convention pénale sur les dommages causés à l’environnement et à la santé humaine 
			(20) 
			Voir Doc. 15362..

2. Évolution de la compréhension des droits humains

13. Élaborée en 1950, la Convention européenne des droits de l’homme est entrée en vigueur en 1953. Elle a été conçue après la Seconde Guerre mondiale, alors que le monde faisait front commun pour convenir de normes minimales de dignité à reconnaître à tous les êtres humains et accordait ainsi la protection des libertés civiles individuelles contre les violations commises par l’État. La Convention énonce en détail les droits civils et politiques, parmi lesquels l’interdiction de la torture et le droit à un procès équitable. Selon la typologie le plus couramment utilisée pour les droits humains, ces droits, qui répondent pour l’essentiel à des préoccupations politiques, constituent la catégorie des droits humains de première génération. Les droits économiques, sociaux et culturels ont souvent été qualifiés à tort d’« avantages », ce qui revient à dire que les individus n’avaient pas fondamentalement droit à la satisfaction de besoins essentiels tels que la nourriture et le logement.
14. Cela étant, pendant la guerre froide, les normes européennes et mondiales (via les pactes des Nations Unies) en matière de droits humains ont évolué en phase avec leur temps. Les droits socio-économiques ont progressivement fait l’objet d’une reconnaissance internationale. Des exigences et des idées nouvelles quant à la signification d’une vie digne sont apparues, les peuples réalisant que la dignité humaine exigeait davantage que la prescription minimale d’absence d’ingérence de l’État (telle que garantie par les droits civils et politiques). La Charte sociale européenne a été ouverte à la signature en 1961 et est entrée en vigueur en 1965. Elle a été conçue pour appuyer la Convention et élargir la portée des droits fondamentaux faisant l’objet d’une protection en y intégrant les droits sociaux et économiques, que l’on appelle « droits humains de deuxième génération ».
15. Lorsque la Convention a été rédigée, l’état du monde était très différent de ce qu’il est aujourd’hui. Diverses conjonctures comme l’extrême pauvreté, les guerres et les catastrophes écologiques et naturelles ont eu pour effet de limiter considérablement les progrès en matière de droits humains dans de nombreuses régions du monde. L’idée de solidarité constitue la base de la troisième génération des droits humains, qui englobe également les droits collectifs de la société ou des peuples. Le droit à un environnement sain en fait partie; il répond à l’intérêt des générations présentes et futures.
16. Au-delà des dimensions intergénérationnelles de ces droits, les générations actuelles sont d’ores et déjà confrontées à de graves crises sociales et environnementales, d’où le caractère très réel des menaces que les problèmes environnementaux font peser sur la jouissance des droits humains. D’après l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), 24 % des décès dans le monde sont liés à l’environnement, ce qui représente environ 13,7 millions de morts par an 
			(21) 
			<a href='https://www.who.int/publications/i/item/9789241565196'>OMS
(2018): «Preventing disease through healthy environments: a global
assessment of the burden of disease from environmental risks».</a>. Les rapporteurs spéciaux des Nations Unies et des experts indépendants alertent sur le fait que le réchauffement climatique mondial « entraînera des effets néfastes pour les droits humains, notamment pour le droit à la vie, à la santé, à l’alimentation et à l’eau » 
			(22) 
			<a href='https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=16049&LangID=E'>www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=16049&LangID=E.</a> ; il rendra de nombreuses zones inhabitables, multipliera les conflits violents et pourrait causer jusqu’à 200 millions de réfugiés climatiques d’ici 2050. En Europe, la pollution atmosphérique est responsable à elle seule d’au moins 753 000 décès prématurés par an et nuit gravement à la santé publique, y compris à celle des générations futures 
			(23) 
			Voir la Résolution 2286 (2019) de l’Assemblée et le rapport (Doc. 14888) «Pollution atmosphérique: un défi pour la santé publique
en Europe».. Ce sont les enfants qui sont le plus exposés aux risques générés par des causes environnementales comme la pollution ; en effet, une exposition, même minime, à des substances chimiques in utero ou pendant la petite enfance peut être à l’origine de maladies de longue durée, d’une invalidité, d’un décès prématuré ou encore d’une diminution des capacités d’apprentissage et de revenus 
			(24) 
			<a href='http://srenvironment.org/sites/default/files/2018-10/pollution-health.pdf'>Graphique
de l’OMS.</a>. De plus, la destruction massive des habitats naturels entraîne une proximité de plus en plus étroite entre espèces sauvages et êtres humains, qui s’accompagne d’un risque croissant de zoonoses et de pandémies. La reconnaissance de cette nouvelle génération de droits humains est nécessaire et urgente. En effet, si les sociétés ne jouissent pas des conditions appropriées, différents types d’obstacles continueront d’entraver la réalisation des droits humains de première et deuxième génération déjà pleinement reconnus.
17. La Déclaration et la Conférence de Stockholm de 1972 sur l’environnement humain et la Déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le développement contiennent un aspect essentiel de la reconnaissance juridique de l’interaction entre droits humains et environnement 
			(25) 
			Déclaration de la Conférence
des Nations Unies sur l’environnement humain, Stockholm, 16 juin
1972, et Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement,
Rio de Janeiro, 14 juin 1992. 
			(25) 
			Voir <a href='https://legal.un.org/avl/ha/dunche/dunche.html'>https://legal.un.org/avl/ha/dunche/dunche.html</a>.. Outre le lien établi entre la qualité de l’environnement et les droits humains de première génération, la déclaration de 1972 renvoie indirectement au droit à un environnement sain: «L’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures. […] Les deux éléments de son environnement, l’élément naturel et celui qu’il a lui-même créé, sont indispensables à son bien-être et à la pleine jouissance de ses droits fondamentaux, y compris le droit à la vie même.»
18. Bien qu’il y ait un lien clairement établi entre dignité humaine et protection de l’environnement, ni la Convention ni la Charte ne sont conçues pour offrir une protection générale de l’environnement en tant que telle et ne garantissent expressément un droit à un environnement sain. La Convention et la Charte assurent indirectement un certain niveau de protection en matière environnementale grâce à la jurisprudence élaborée par la Cour européenne des droits de l’homme et à la reconnaissance du droit à la santé par la Charte 
			(26) 
			Manuel sur les droits
de l’homme et l’environnement, 3ème édition, Conseil de l’Europe,
juin 2021. Les grands instruments juridiques du Conseil de l’Europe
et la jurisprudence de la Cour reconnaissent indirectement que les
États membres ont l’obligation et la responsabilité de défendre
le droit à la vie contre les préjudices environnementaux. La Cour a
indiqué avoir dû développer sa jurisprudence lorsque des problèmes
environnementaux compromettent l’exercice des droits consacrés par
la Convention, notamment le droit à la vie (article 2), l’interdiction
des traitements inhumains ou dégradants (article 3), le droit à
la liberté et à la sûreté (article 5), le droit à un procès équitable
(article 6), le droit au respect de la vie privée et familiale et
du domicile (article 8), la liberté d’expression (article 10), la
liberté de réunion et d’association (article 11), le droit à un
recours effectif (article 13) et la protection de la propriété (Protocole
no 1)..
19. Cela dit, la Convention ne faisant pas expressément référence à la protection de l’environnement, la Cour ne peut pas traiter efficacement de plusieurs droits humains dits de nouvelle génération, notamment du droit à un environnement sain. La Cour devrait pouvoir s’appuyer sur une base plus claire lorsqu’elle statue en se fondant sur un lien entre les droits humains et les questions environnementales. Comme indiqué dans la partie précédente, le droit à un environnement sain est déjà reconnu expressément dans des conventions de niveau international et régional et plus d’une centaine de pays, dont la plupart des États membres du Conseil de l’Europe, reconnaissent maintenant un droit constitutionnel à jouir d’un environnement sain. L’intégration du droit à un environnement sain dans la législation et la constitution de ces pays témoigne de leur volonté d’assurer une plus grande reconnaissance juridique aux droits environnementaux.

3. Adoption d’une nouvelle génération de droits humains: les enseignements à tirer des contentieux environnementaux

20. Comme cela a été souligné lors de l’audition de la commission « Pour une action renforcée sur le changement climatique », qui s’est tenue le 1er décembre 2020 
			(27) 
			Voir <a href='https://assembly.coe.int/LifeRay/SOC/Pdf/DocsAndDecs/2020/AS-SOC-2020-PV-09-ADD2-FR.pdf'>AS/Soc
(2020) PV 09add2</a>, op. cit., la dégradation de l’environnement porte toujours plus atteinte aux droits fondamentaux et fait l’objet de contentieux juridiques, y compris en matière de climat ; beaucoup de gens sont déjà confrontés à ses impacts directs (notamment les agriculteurs et les réfugiés climatiques). Le procès Urgenda (2015-2019) intenté à l’initiative de la société civile néerlandaise a une portée symbolique: il s’agit de la première affaire au monde dans laquelle les citoyens sont parvenus à faire établir que l’État a une obligation légale de prévenir les changements climatiques dangereux 
			(28) 
			Voir <a href='https://www.urgenda.nl/en/themas/climate-case/'>www.urgenda.nl/en/themas/climate-case/</a>.. Mme Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a salué cette décision et souligné que l’État néerlandais et, par conséquent, les autres États, sont tenus par des obligations juridiquement contraignantes fondées sur le droit international relatif aux droits humains et doivent, à ce titre, procéder à des réductions drastiques de leurs émissions de gaz à effet de serre. L’arrêt Urgenda établit clairement la voie à suivre pour que les individus concernés en Europe – et dans le monde entier – engagent des procédures contentieuses climatiques pour protéger les droits humains.
21. Encouragés par le succès de l’affaire climatique Urgenda, des citoyens ont formé des recours en justice similaires en Irlande, en Belgique, au Canada, en France, en Colombie, en Allemagne, en Inde, au Mexique, en Nouvelle-Zélande, au Pakistan, au Pérou, en République de Corée, en Suisse, au Royaume-Uni, aux États-Unis et dans l’Union européenne 
			(29) 
			Impliquant
des familles du Portugal, d’Allemagne, de France, d’Italie, de Roumanie,
du Kenya, des Fidji et de Suède. 
			(30) 
			À ce jour, pour ce
qui concerne les pays européens, outre l’affaire Urgenda aux Pays-Bas,
des jugements ont été rendus en Belgique, en France et en Allemagne.. Dans bon nombre de ces affaires, des enfants et des jeunes affirment leurs droits constitutionnels à la vie, à la santé, à un environnement sain, à l’égalité et à la non-discrimination en invoquant le principe de justice intergénérationnelle. Certaines de ces affaires renvoient aux obligations des États au regard de la Convention (articles 2 et 8) et des accords climatiques internationaux. En novembre 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré recevable la requête de jeunes militants à l’encontre de 33 États (les pays membres de l’Union européenne plus la Norvège, la Fédération de Russie, la Suisse, le Royaume-Uni, la Turquie et l’Ukraine).
22. La pression exercée sur les pouvoirs publics européens afin qu’ils prennent des mesures face à la crise climatique et à la dégradation continue de l’environnement est de plus en plus forte, tout comme celle exercée sur le Conseil de l’Europe et ses États membres pour qu’ils reconnaissent expressément la nouvelle génération de droits humains, notamment le droit à un « environnement sûr, propre, sain et durable », non seulement au moyen de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, mais aussi en l’intégrant dans le corps de la convention elle-même, par le biais d’un protocole additionnel. Les nouvelles menaces pour la vie humaine, le bien-être et la santé ne découlent plus uniquement du non-respect par les pouvoirs publics des droits civils et politiques ; elles sont également dues à leur absence d’intervention pour prévenir l’effet cumulatif des atteintes aux personnes résultant de la dégradation de l’environnement en raison de l’exploitation commerciale de la nature.
23. Il faut appeler un chat un chat: la pollution environnementale, la perte de la biodiversité et la crise climatique sont responsables des maux de notre planète, provoquant inéluctablement des décès prématurés dans la génération actuelle et privant les générations futures d’un espace vital viable. Comme l’a souligné David R. Boyd lors de l’audition du 1er décembre 2020, l’Europe est désormais à la traîne par rapport aux autres régions, car elle est la dernière à ne pas avoir intégré la protection du droit à un environnement sain dans un instrument juridique supranational comme la Convention européenne des droits de l’homme.
24. Toutefois, comme l’a fait observer Catherine Le Bris lors de cette même audition, le simple fait de mieux protéger les droits individuels ne suffirait pas à relever les défis collectifs et intergénérationnels de la crise climatique. De nombreux juristes s’accordent en effet sur le fait que certains principes, tels que l’écocentrisme, le subjectivisme, la nature collective et transgénérationnelle de certains droits, ainsi que les principes de précaution, de non-régression du droit et de l’inversion de la charge de la preuve, sont essentiels pour consacrer le droit à un environnement sain au moyen de nouveaux instruments. L’annexe présente un aperçu des mécanismes juridiques internationaux permettant de reconnaître le lien entre les droits humains et la protection environnementale.

4. Vers de nouveaux instruments juridiques reconnaissant le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable

25. S’il était déjà indiscutable en 2009 qu’un environnement propre et sain est indispensable à l’exercice des droits humains, notamment du droit à la vie, à la santé, à la nourriture et à un niveau de vie décent, c’est encore plus vrai aujourd’hui. Le changement climatique a une incidence considérable sur l’exercice des droits humains par les individus et les communautés à travers le monde. Ni la Charte sociale européenne ni la Convention ne reconnaissent expressément le droit à un environnement sain; en conséquence, les instruments européens en matière de droits humains sont moins satisfaisants que l’ensemble des autres instruments régionaux 
			(31) 
			<a href='https://rm.coe.int/rapport-e-lambert-fr/16809c8281'>Élisabeth
Lambert, op. cit.</a>. La reconnaissance explicite d’un droit à un environnement sain inciterait les pays à adopter des législations environnementales plus fortes et la Cour à avoir une approche plus protectrice, ce qui faciliterait les recours pour les victimes et aurait un effet préventif (tandis que la jurisprudence intervient a posteriori). L’avantage d’un droit autonome à un environnement sain serait qu’il serait dès lors possible de conclure à une infraction indépendamment de l’atteinte à un autre droit, ce qui lui donnerait une place plus importante.

4.1. Responsabilité des entreprises à l’égard des dommages à l’environnement

26. Les dommages à l’environnement causés par de grandes entreprises multinationales sont devenus un problème majeur, lourd de conséquences néfastes. Ces entreprises peuvent même, du fait de leur puissance financière considérable, mettre en échec les capacités monétaires de certains pays 
			(32) 
			Si l’on compare les
bénéfices de grandes multinationales avec le PIB des différents
pays tel que publié par le Fonds Monétaire International (FMI),
des entreprises comme Walmart et Google ont des revenus supérieurs
à ceux de nombreux pays, dont plusieurs pays membres du Conseil
de l’Europe comme la Belgique, Malte et la Bosnie-Herzégovine.. Il est nécessaire d’élaborer un instrument contraignant pour les États et les entreprises au moyen d’un mécanisme européen de conformité ou de suivi et de droits que les particuliers puissent faire valoir devant les tribunaux. De nombreux gouvernements et entreprises proposent actuellement des stratégies de protection environnementale et de croissance économique dans le cadre d’initiatives conjointes. Les partenariats public-privé en faveur du développement durable qui sont opérationnels depuis plusieurs dizaines d’années, du niveau local à l’échelle internationale, gagnent en importance avec la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et la réalisation des Objectifs de développement durable. Cependant, l’écoblanchiment reste un phénomène trop répandu autour de nous et il n’y a pas de véritable coresponsabilité en matière de prévention et d’atténuation des dommages environnementaux.
27. Pour que le droit à un environnement sain soit effectif, il serait souhaitable que les règles du jeu ne soient pas fixées par le marché libre, par l’autoréglementation des entreprises ou par des recommandations souples, voire des lignes directrices de portée générale. Ces droits devraient être contraignants et opposables. Des études ont jeté le doute sur l’efficacité de l’autoréglementation en matière environnementale car elles ont fait apparaître que ceux qui s’y plient ne font pas nécessairement mieux que ceux qui la refusent 
			(33) 
			Alex
Marx (2019), “Public-Private Partnerships for Sustainable Development:
exploring their design and its impact on effectiveness”; Nicole
Darnall Stephen Sides (2008), “Assessing the Performance of Voluntary
Environmental Programs: Does Certification Matter?”. L’autoréglementation n’allant, à elle seule, pas toujours dans le sens de l’intérêt commun, l’État a un rôle central à jouer. Les États doivent donc renforcer la responsabilité environnementale des entreprises, notamment en révisant la Recommandation CM/Rec(2016)3 du Comité des Ministres sur les droits de l’homme et les entreprises et en participant aux travaux du « Groupe de travail intergouvernemental des Nations Unies à composition non limitée sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme chargé d’élaborer un instrument juridiquement contraignant sur les activités commerciales et les droits de l’homme » 
			(34) 
			Voir
la Résolution 2311 de l’Assemblée et la Recommandation 2166 (2019) «Droits de l’homme et entreprises: quelles suites donner
à la Recommandation CM/Rec(2016)3 du Comité des Ministres?»..
28. Ces dernières années, plusieurs entreprises se sont retrouvées devant la justice pour des affaires concernant le climat. Aux États-Unis, par exemple, plus d’une dizaine de villes, comtés et États ont engagé des poursuites contre Exxon, Chevron, BP, Royal Dutch Shell et d’autres géants de l’énergie afin d’obtenir le remboursement, au nom des contribuables, du coût de mesures d’adaptation au changement climatique (comme la construction de brise-lames, la réparation des dommages provoqués par les tempêtes ou les plans d’abandon progressif des combustibles fossiles et de déplacement plus à l’intérieur des terres de populations exposées). Cela dit, les plaintes de la ville de New York et de San Francisco ont été rejetées en appel 
			(35) 
			Voir <a href='https://www.energyvoice.com/oilandgas/312073/oil-giants-win-climate-suit-as-judges-push-for-political-fix/'>www.energyvoice.com/oilandgas/312073/oil-giants-win-climate-suit-as-judges-push-for-political-fix/</a>.. En Europe, le géant Total, tenu pour responsable de 1% des émissions mondiales de CO2, est poursuivi par 14 villes et associations pour «inaction climatique» dans ce qui est le premier procès du climat en France. Cette entreprise est également poursuivie en Ouganda pour destruction de l’environnement 
			(36) 
			Voir <a href='https://www.euractiv.fr/section/climat/news/la-premiere-plainte-climatique-en-france-vise-total/?_ga=2.69284690.35592749.1627310632-414244742.1627310632'>www.euractiv.fr/section/climat/news/la-premiere-plainte-climatique-en-france-vise-total/?_ga=2.69284690.35592749.1627310632-414244742.1627310632</a>.. De leur côté, des grandes compagnies d’énergie ont, elles aussi, intenté des poursuites contre des États (dont l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas) en vertu d’un accord international, le Traité sur la charte de l’énergie, et réclament un dédommagement pour les investissements déjà réalisés ou programmés en raison de l’impact sur leur activité des actions en faveur du climat encouragées par ces États 
			(37) 
			“<a href='http://priceofoil.org/2021/02/23/secretive-treaty-allows-big-oil-to-sue-for-hundreds-of-billions-to-stop-fossil-fuel-phase-out/'>Secretive
Treaty allows Big Oil to sue for hundreds of billions to stop fossil
fuel phase out</a>”, Andy Rowel, 23 février 2021. Environ 60 % des procédures
se concluraient en faveur des investisseurs (situation début 2021)..
29. Avec l’expansion de l’économie numérique, les entreprises de haute technologie sont critiquées pour la consommation massive et croissante d’énergie utilisée pour faire fonctionner leurs infrastructures informatiques. Même si certaines de ces entreprises ont amélioré l’efficacité de leurs centres de données et veillent à ce qu’ils soient alimentés, au moins en partie, en énergie renouvelable, la puissance de calcul requise pour l’intelligence artificielle a été multipliée par environ 300 000 entre 2012 et 2018. Comme de plus en plus d’entreprises et d’institutions se mettent à utiliser l’intelligence artificielle, il est de plus en plus évident que cette technologie va aggraver la crise climatique. Les décideurs politiques doivent prendre cette tendance en compte dans des instruments réglementaires aux niveaux national, européen et international.

4.2. Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme

30. L’élaboration d’un protocole additionnel à la Convention est probablement la meilleure solution pour défendre une action plus ambitieuse du Conseil de l’Europe dans le domaine des droits humains environnementaux. Cette solution serait conforme aux précédentes recommandations de l’Assemblée et aux récentes propositions de la Commissaire aux droits de l’homme et de l’actuel Président de l’Assemblée. Le protocole additionnel pourrait prendre comme point de départ la notion d’environnement « sain », « de qualité », « décent » et/ou « viable », et se fixer comme objectif de protéger la santé, la dignité et les droits humains face aux diverses menaces environnementales. Ce type d’instrument viendrait compléter les conditions relatives au droit à un environnement « sûr, propre, sain et durable » et s’inspirerait par exemple des principes-cadres des Nations Unies relatifs aux droits humains et à l’environnement 
			(38) 
			<a href='https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwjiv72S_YDyAhUAgf0HHVDuAEoQFjACegQICRAD&url=https%3A%2F%2Fwww.ohchr.org%2FDocuments%2FIssues%2FEnvironment%2FSREnvironment%2FFP_ReportFrench.PDF&usg=AOvVaw0PvZo4cM41OtrwQLPogGl7'>Principes-cadres
relatifs aux droits de l’homme et à l’environnement, Nations Unies,
2018</a>.. Il rendrait le droit à un environnement sain contraignant pour les États et susceptible d’un recours judiciaire, y compris par les particuliers.
31. Ainsi que l’a déjà fait remarquer l’Assemblée en 2009 
			(39) 
			Voir la Recommandation 1885 (2009) et le rapport (Doc. 12003) «Élaboration d’un protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l’homme relatif au droit à un environnement
sain»., la Convention ne mentionne pas l’environnement, ni le droit à un environnement sain. La jurisprudence de la Cour, qui se fonde sur l’interprétation des articles 2, 5 et 8 (les plus fréquemment invoqués), ne permet qu’une protection environnementale indirecte et incomplète lorsqu’il est établi qu’un autre droit expressément mentionné dans la Convention a été violé. Il est difficile d’avoir accès à cette protection indirecte assurée par la jurisprudence et de la comprendre pleinement ; elle est tributaire de la réceptivité et du bon vouloir des juges et des juristes de la Cour. Cela dit, la jurisprudence de la Cour prouve que des atteintes à l’environnement ont des conséquences directes sur des droits humains déjà consacrés par la Convention.
32. Des normes implicites, qui interviennent plutôt a posteriori, n’offrent pas de solutions ni de protection adaptée pour les individus ou pour l’environnement. L’adoption d’un droit humain à un environnement sain, expressément reconnu et proactif, se fait attendre depuis vraiment trop longtemps en Europe. Elle permettrait une approche préventive axée sur l’élimination des problèmes avant même qu’ils ne se présentent. Une approche proactive du droit à un environnement sain consisterait à promouvoir ce qui est souhaitable et à encourager les bons comportements – en termes d’obligations positives des États dans le cadre de la Convention – tout en ayant un caractère préventif, puisqu’elle empêcherait la concrétisation des risques juridiques.
33. Comme l’a affirmé Robert Spano, Président de la Cour européenne des droits de l’homme, lors de la Conférence « Droits de l’Homme pour la planète » (tenue le 5 octobre 2020), la Convention ne saurait s’interpréter dans le vide, mais en relation organique avec d’autres instruments et évolutions des États membres, la jurisprudence étant un bon point de départ. Nous devons désormais progresser sur la voie que la société européenne appelle de ses vœux et rattraper notre retard par rapport à d’autres régions du monde. Notre action bénéficie d’une forte dynamique, et du soutien croissant des différents organes du Conseil de l’Europe et de ses États membres, pour progresser vers la reconnaissance d’un droit humain à un environnement sûr, propre, sain et durable. Nous le devons aux citoyens européens. En leur accordant expressément ce droit, nous rendrions leurs gouvernements plus responsables.
34. Je pense que l’heure est venue de réexaminer sérieusement la nécessité d’élaborer un protocole additionnel à la Convention afin d’y inscrire clairement le lien entre l’environnement et les droits humains. En tant qu’Assemblée, nous pouvons proposer de partir des initiatives antérieures de ce type. Un modèle de protocole additionnel tel que décrit dans la Recommandation 1201 (1993) de l’Assemblée, « Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme sur les droits des minorités », pourrait servir de référence pour développer la proposition de l’Assemblée.
35. Dans le modèle de protocole additionnel proposé, j’ai tenté de prendre en compte les principes juridiques les plus avancés reconnus dans nombre des constitutions de nos États membres. Je les ai regroupés sous un titre distinct (le titre «Principes généraux», qui contient les articles 2 à 4), en suivant la structure du projet de protocole figurant dans la Recommandation 1201 (1993). Il s’agit des principes suivants: le principe de responsabilité, d’équité et de solidarité transgénérationnelles, le principe de non-discrimination environnementale, et les principes de prévention, de précaution, de non-régression et in dubio pro natura. Le modèle que je propose prévoit la consécration d’un droit matériel unique, à savoir le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable (article 6), accompagné de quatre droits de nature procédurale (article 7), dont un seul – le droit à la consultation – pourrait faire l’objet de réserves ou de dérogations.
36. Je suis bien conscient de l’excellente qualité des propositions faites par des universitaires sur la question du contenu d’un protocole additionnel à la Convention 
			(40) 
			«Ce
projet prend en compte la dimension tant individuelle que collective
du droit à l’environnement, protège l’environnement per se et pas seulement pour des
atteintes conférant le statut de victimes à des requérants, note l’importance
des devoirs et retient des spécificités que justifie le contentieux
environnemental, y compris devant la Cour de Strasbourg.». Article
d’Élisabeth Lambert, «Comment concilier protection de la nature
et approche par les droits fondamentaux dans le cadre du Conseil
de l’Europe?», à paraître dans la Revue Juridique de L’Environnement
en septembre 2021, numéro spécial.. Cependant, dans mon modèle, j’ai retenu uniquement les dispositions qui s’inscrivent dans le cadre actuel de la Convention et de la Cour. En effet, j’estime que nous avons besoin, non pas d’un seul instrument, mais d’une panoplie d’instruments juridiques qui se complètent mutuellement (voir ci-dessous); à mon avis, nous ne devrions pas essayer de faire entrer l’ensemble des dispositions dans un protocole additionnel à la Convention, où elles n’ont pas toutes leur place.

4.3. Protocole additionnel à la Charte sociale européenne

37. La Charte sociale européenne fournit une protection étendue des droits sociaux et sert même de référence pour le droit de l’Union européenne. Cependant, elle n’intègre ni ne reconnaît le droit de l’humanité à un environnement sûr, propre, sain et durable, pourtant profondément lié aux droits sociaux. L’Assemblée a déjà appelé le Comité des Ministres à élaborer un nouveau protocole à la Charte sociale européenne révisée sur le droit à la santé, y compris le droit à un environnement sain, dans sa Recommandation 1976 (2011) «Le rôle des parlements dans la consolidation et le développement des droits sociaux en Europe».
38. Le lien profond entre les droits sociaux et la protection de l’environnement doit être reconnu au sein de la Charte. Jusqu’à présent, l’interprétation dynamique du Comité européen des Droits sociaux de l’article 11 de la Charte, sur le droit à la santé, a permis de reconnaître un certain degré de protection en matière d’environnement. De plus, je salue également l’interprétation dynamique des articles 2 (le droit à des conditions de travail équitables), 3 (le droit à la sécurité et l’hygiène dans le travail) et et 31 (le droit au logement. C’est cette interprétation qui a permis une reconnaissance par ricochet d’un droit à un environnement sain.
39. Néanmoins, cela reste insuffisant au regard de la crise écologique actuelle. La reconnaissance d’un droit de l’humanité à un environnement sain au sein de la Charte favoriserait une meilleure protection de l’environnement, en permettant à certaines organisations non-gouvernementales, spécialisées dans la défense de l’environnement, d’effectuer des réclamations collectives à l’égard des 16 pays qui ont accepté le système de réclamations collectives prévu par le Protocole additionnel à la Charte (STE n° 158). Cette procédure de réclamations collectives représente un système de protection en partie complémentaire à la protection juridictionnelle assurée dans le cadre de la Convention.

4.4. Le choix d’une convention de type « 5P » sur les dangers environnementaux et les risques technologiques pour la santé, la dignité et la vie humaine

40. Certains juristes considèrent que les droits « verts » n’obéissent pas à la même logique que les droits civils et politiques d’une part et que les droits économiques et sociaux d’autre part. De ce fait, la reconnaissance des droits écologiques/environnementaux devrait se présenter sous la forme d’un instrument spécifique. D’un point de vue écocentrique, tel qu’expliqué ci-dessus, la reconnaissance de ce droit devrait être assortie de la mention des principes spécifiques à cette question, comme le principe de prévention, les mesures de précaution (Principe no 15 de la Déclaration de Rio) et le principe du « pollueur-payeur », qui sont tous étroitement liés au concept de justice environnementale 
			(41) 
			Pedersen O. W. (2010),
«Environmental principles and environmental justice», Environmental Law Review, Vol. 12, No. 1,
pp. 26-49.. En vertu du principe no 15, « en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ». Ceci va à l’encontre d’arguments exigeant des éléments probants particulièrement solides et un lien de causalité avec une atteinte à l’environnement lorsque le droit à un environnement sain est violé.
41. Compte tenu de la complexité et de l’interdépendance des menaces que les dommages environnementaux font peser sur les droits humains, l’instrument juridique traitant de ces questions devrait procéder selon une approche globale. C’est pourquoi, en complément de l’élaboration d’un protocole additionnel à la Convention, et d’un protocole additionnel à la Charte, une convention de type «5P» devrait être envisagée. Grâce à la prévention et à la poursuite des atteintes au droit à un environnement sûr, propre, sain et durable et à la protection des victimes, les États contractants adopteraient et appliqueraient sur tout leur territoire des «politiques intégrées» efficaces et offriraient une réponse globale aux menaces pour l’environnement et aux risques technologiques, les parlements étant chargés de demander des comptes aux gouvernements quant à la mise en œuvre effective de politiques en faveur des droits humains qui soient respectueuses de l’environnement.
42. L’adoption d’une convention de type «5P» constituerait un instrument juridique international pertinent de vocation globale qui permettrait de compléter l’élaboration des protocoles additionnels, notamment par la promotion de la coopération internationale dans le domaine environnemental et la mise en place d’un mécanisme de suivi spécifique comme un groupe d’experts indépendants. En adoptant une approche globale, une convention de type 5P pourrait examiner non seulement la question de l’environnement sain, mais aussi d’autres problématiques qui échappent au contrôle des individus et reviennent en définitive à s’intéresser au droit à la vie et à la dignité humaine. Ces problématiques peuvent être liées, par exemple, aux menaces résultant de l’intelligence artificielle, des manipulations génétiques et des nanotechnologies.

5. Conclusions: la feuille de route proposée

43. Dans le monde entier, de plus en plus de données scientifiques démontrent l’ampleur des effets néfastes de la dégradation de l’environnement sur la santé, la dignité et le bien-être des individus et sur la stabilité des écosystèmes. Cette situation résulte de l’effet boomerang des activités économiques humaines qui ont une empreinte excessive et toxique sur l’environnement. Le Conseil de l’Europe a joué un rôle de précurseur en matière de renforcement de la protection des droits humains dans un certain nombre de domaines comme celui de la bioéthique. L’heure est maintenant venue pour lui de s’atteler à un défi majeur, porteur de transformations pour les droits humains, en garantissant la protection renforcée de ces droits à l’heure où des menaces environnementales systémiques pèsent sur les générations actuelles et futures. Il faut pour cela que soit expressément reconnu un droit humain à un environnement sûr, propre, sain et durable dans l’action publique et dans des instruments juridiques, y compris de nature contraignante et opposable, au niveau du Conseil de l’Europe 
			(42) 
			Mémoire (amicus brief)
du Centre international de droit comparé de l’environnement (CIDCE)
et de la Chaire d’excellence Normandie pour la Paix, Paul Baumann,
Moustapha Fall, Émilie Gaillard, Michel Prieur, Marie Rota, 3 décembre
2020..
44. Les effets nocifs pour l’environnement influent de plus en plus sur l’exercice des droits humains de première et de deuxième génération par les individus et la société dans son ensemble et portent atteinte aux valeurs communes que le Conseil de l’Europe a pour devoir de défendre. Ces dommages sont de plus en plus reconnus dans le cadre de procédures contentieuses de niveau national en matière environnementale, aussi bien en Europe qu’au-delà. Ils constituent un motif impérieux pour renforcer et actualiser l’arsenal juridique du Conseil de l’Europe et pour établir un lien entre les actions de niveau national et les engagements pris au titre des traités internationaux pertinents, comme la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et l’Accord de Paris. Cette action est également nécessaire pour donner des signaux clairs aux acteurs non étatiques (tels que les entreprises) sur l’orientation des politiques publiques à l’échelon national, européen et international.
45. À cet effet, je recommande que l’Assemblée réaffirme qu’il est nécessaire que le Conseil de l’Europe élabore sans plus tarder un protocole additionnel à la Convention afin de reconnaître expressément le droit humain à « un environnement sûr, propre, sain et durable » pour reprendre la terminologie utilisée par les Nations Unies. J’aimerais également proposer l’élaboration d’un protocole additionnel à la Charte afin de consacrer le lien profond entre les droits sociaux et le droit de l’humanité à un environnement sain. Enfin, je soutiens l’ouverture des préparatifs d’une convention de type« 5P » relative aux risques environnementaux et technologiques qui représentent une menace pour la santé, la dignité et la vie humaine, parallèlement aux travaux menés pour réviser la Recommandation CM/Rec(2016)3 du Comité des Ministres sur les droits de l’homme et les entreprises en ce qui a trait à la responsabilité des acteurs non étatiques en matière de prévention de la dégradation de l’environnement et des violations du droit humain à un « environnement sûr, propre, sain et durable ».
46. Pour finir, j’aimerais insister sur la nécessité d’élaborer parallèlement ces trois instruments juridiques qui sont indispensables pour consacrer le droit de l’humanité à un environnement sûr, propre, sain et durable. La nature de ces instruments varie et entraîne ainsi une mise en œuvre spécifique et des effets différents. Ces derniers sont complémentaires et disposent de systèmes de protection et de contrôle propres qui permettraient de faire face au défi écologique actuel, en garantissant un droit de l’humanité à un environnement sûr, propre, sain et durable.

Annexe  

(open)

Instruments juridiques de la communauté internationale pour une meilleure protection du droit à un environnement sain

La Déclaration de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain tenue en 1972 à Stockholm reconnaît expressément le lien entre la protection de l’environnement et les droits humains. Selon le Principe no 1 de la Déclaration, « l’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être », tandis que le préambule proclame que «les deux éléments de son environnement, l’élément naturel et celui qu’il a lui-même créé, sont indispensables à son bien-être et à la pleine jouissance de ses droits fondamentaux, y compris le droit à la vie même ». Outre le lien créé entre la qualité de l’environnement et les droits humains « conventionnels », la déclaration reconnaît indirectement le droit à un environnement sain.

En 1992, la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, également connue sous le nom de Sommet de la Terre, a abouti à la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, également appelée Déclaration de Rio. Cette déclaration contient 27 principes destinés à guider les pays sur la voie du développement durable ; plus de 175 pays en sont signataires.

La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) a été élaborée au cours de la même année afin de réduire les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. Elle a été complétée par le Protocole de Kyoto, adopté en 1997 et entré en vigueur en 2005.

En 1998, la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement de la CEE-ONU (Commission économique des Nations unies pour l’Europe), généralement connue sous le nom de Convention d’Aarhus, a été adoptée lors de la quatrième Conférence ministérielle « Un environnement pour l’Europe ». La Convention d’Aarhus énonce de nombreux droits du public (personnes physiques et associations) en matière d’environnement. Les parties à la Convention (qui incluent tous les États membres du Conseil de l’Europe) sont tenues de prendre les mesures nécessaires pour que les autorités publiques (nationales, régionales et locales) contribuent à rendre ces droits effectifs. Cette convention prévoit l’accès à l’information sur l’environnement (le droit d’accès de chacun à l’information environnementale détenue par des autorités publiques), la participation du public à la prise de décisions et l’accès à la justice (droit d’engager des procédures pour contester des décisions publiques allant à l’encontre des deux droits visés aux paragraphes précédents ou du droit de l’environnement en général) 
			(43) 
			<a href='https://ec.europa.eu/environment/aarhus/index.htm'>https://ec.europa.eu/environment/aarhus/index.htm.</a>, qui sont les trois piliers proclamés par le Principe no 10 de la Déclaration de Rio 
			(44) 
			<a href='https://rm.coe.int/rapport-e-lambert-fr/16809c8281'>Élisabeth
Lambert, op. cit.</a>, p. 27.. La Convention d’Aarhus adopte une démarche fondée sur les droits: le public, dans l’intérêt des générations présentes et futures, a le droit de connaître et de vivre dans un environnement sain 
			(45) 
			<a href='https://www.unece.org/env/pp/contentofaarhus.html'>www.unece.org/env/pp/contentofaarhus.html.</a>.

En ce qui concerne le Conseil de l’Europe, le droit d’accès à certaines informations environnementales (concernant les risques pour la vie, la santé et le bien-être) a été reconnu par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans certains cas, mais le droit d’accès à l’information environnementale au sens large n’est pas reconnu expressément. Les droits de participation du public au processus décisionnel ont aussi été reconnus dans certains cas mais, là encore, dans la limite où les activités peuvent avoir de lourdes conséquences sur la santé ou la vie humaine. Le droit d’accès à la justice se voit également limité, par les restrictions de l’article 6(1), aux « droits et obligations de caractère civil » 
			(46) 
			<a href='https://rm.coe.int/rapport-e-lambert-fr/16809c8281'>Élisabeth
Lambert, op. cit.</a>, p. 28.

La Conférence des Nations Unies sur le changement climatique de 2010 a représenté une avancée importante en mettant en évidence les plans visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à aider les pays en développement à se protéger contre les conséquences du climat et à se construire un avenir durable. Les Accords de Cancún, qui concrétisent les résultats de la Conférence, regroupent un ensemble de décisions importantes de la communauté internationale pour relever les défis du changement climatique à long terme par une action concertée et globale durable et prendre des mesures concrètes pour accélérer l’action à engager dans le monde 
			(47) 
			<a href='https://unfccc.int/tools/cancun/index.html'>https://unfccc.int/tools/cancun/index.html</a>.

En mars 2012, le Conseil des droits de l’homme a décidé de créer un mandat sur les droits de l’homme et l’environnement, qui vise notamment à examiner les obligations en matière de droits humains se rapportant à la jouissance d’un environnement sûr, propre, sain et durable et promeut les bonnes pratiques relatives à l’utilisation des droits humains dans l’élaboration de politiques environnementales. En août 2012, M. John Knox a été nommé aux fonctions d’expert indépendant, puis de rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’environnement. La portée de ce mandat a été étendue en mars 2018 par le Conseil des droits de l’homme et M. David. R. Boyd a été nommé Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’environnement à compter du mois d’août 2018 
			(48) 
			<a href='http://srenvironment.org/un-mandate'>http://srenvironment.org/un-mandate.</a>. Cette initiative reposait sur l’idée sous-jacente que tous les êtres humains sont tributaires de l’environnement dans lequel ils vivent. Un environnement sûr, propre, sain et durable est indispensable à la pleine jouissance d’un grand nombre de droits humains, notamment les droits à la vie, à la santé, à l’alimentation, à l’eau et à l’assainissement. Sans un environnement sain, nous ne pouvons pas satisfaire nos aspirations ni même, parfois, respecter les normes minimales de dignité humaine.

En 2015, l’Assemblée générale des Nations Unies a établi les Objectifs de développement durable (ODD) adoptés par tous les États membres de l’ONU dans le cadre du Programme de développement durable à l’horizon 2030, qui définit un plan d’action pour atteindre les Objectifs sur une durée de 15 ans. Les ODD sont un appel universel à l’action pour mettre fin à la pauvreté, protéger la planète et améliorer le quotidien de toutes les personnes partout dans le monde, tout en leur ouvrant des perspectives 
			(49) 
			Voir <a href='https://www.unep.org/fr/explore-topics/environmental-rights-and-governance/what-we-do/etat-de-droit-environnemental'>www.unep.org/fr/explore-topics/environmental-rights-and-governance/what-we-do/etat-de-droit-environnemental</a>.. Ils sont étroitement liés à de nombreux droits humains menacés du fait des atteintes à l’environnement.

En 2015, l’Accord de Paris a été adopté dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Cet accord traite de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, de l’adaptation au changement climatique et du financement de l’objectif consistant à contenir l’élévation de la température moyenne à long terme nettement en dessous de 2 °C (3,6 °F) par rapport aux niveaux préindustriels et à poursuivre l'action menée pour limiter l'élévation de la température à 1,5 °C (2,7 °F), étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques. L’Accord de Paris est la première convention climatique à intégrer la mention des droits humains 
			(50) 
			<a href='https://www.benoitmayer.com/files/Human rights in the Paris Agreement.pdf'>B.
Mayer (2016): «Human Rights in the Paris Agreement».</a>. Le préambule de l’Accord de Paris inclut la reconnaissance que « les changements climatiques sont un sujet de préoccupation pour l’humanité » et que les « lorsqu’elles prennent des mesures face à ces changements, les Parties devraient respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant les droits de l’Homme ». Cette dernière affirmation, en particulier, est sans équivalent dans la CCNUCC ou dans le protocole de Kyoto.

L’Assemblée générale des Nations Unies a adopté en mai 2018 une résolution en vue de l’adoption à l’horizon 2022 d’un Pacte mondial pour l’environnement (ou d’une Déclaration politique). En préambule de ce projet de pacte mondial, les parties prenantes se disent conscientes de « l’aggravation des menaces qui pèsent sur l’environnement et de la nécessité d’agir de manière ambitieuse et concertée au niveau mondial pour en assurer une meilleure protection » 
			(51) 
			<a href='https://rm.coe.int/rapport-e-lambert-fr/16809c8281'>Élisabeth
Lambert, op. cit.</a>, p. 5..

Le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), organisme intergouvernemental des Nations Unies, fournit au monde entier des informations scientifiques objectives afin de comprendre le risque du changement climatique induit par l’homme. En 2018, le GIEC a publié un Rapport spécial sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C qui comprend plus de 6 000 références scientifiques et a été élaboré par 91 auteurs de 40 pays. Sa principale conclusion est que la réalisation d’un objectif de 1,5 °C (2,7 °F) est possible, mais nécessiterait de « fortes réductions des émissions » et des « mutations rapides, profondes et inédites de tous les aspects de la société ». En outre, selon ce rapport, la « limitation du réchauffement climatique mondial à 1,5 °C au lieu de 2 °C réduirait les effets néfastes sur les écosystèmes, la santé humaine et le bien-être » 
			(52) 
			<a href='https://www.ipcc.ch/sr15/'>www.ipcc.ch/sr15/.</a>. Depuis, les échanges de vues et processus décisionnels en matière de changement climatique s’appuient, dans une large mesure, sur ce rapport.

Le rapport intitulé « 10 points clés à retenir de 2020 sur les sciences du climat », qui a été préparé par un groupe de 57 chercheurs originaires de 21 pays membres de l’ONU et présenté le 27 janvier 2021, recense les points clés pour les décideurs politiques, notamment les conséquences profondes du changement climatique sur la santé mentale, la stabilité des écosystèmes et les dangers liés à la fonte du permafrost. Il précise également que « aller au tribunal pour défendre les droits de l’homme peut être une action essentielle en matière de climat » 
			(53) 
			Voir <a href='https://unfccc.int/fr/news/10-points-cles-a-retenir-de-2020-sur-les-sciences-du-climat'>https://unfccc.int/fr/news/10-points-cles-a-retenir-de-2020-sur-les-sciences-du-climat</a>..

Enfin, le 9 août 2021, le premier volet du sixième rapport du GIEC, prévu pour l’automne 2022, a été rendu public. Les premières conclusions de ce rapport confirment l’aspect global du changement climatique en avançant des preuves irréfutables de la gravité de la situation. En plus de réaffirmer l’influence humaine dans le réchauffement planétaire, les scientifiques du GIEC associent désormais certains évènements extrêmes, comme les canicules ou les fortes précipitations, aux activités humaines. La fréquence des évènements extrêmes va augmenter tout comme leurs intensités. Dans le résumé pour les décideurs établi par le groupe d’experts, différents points de basculements sont identifiés comme l’instabilité de la calotte glaciaire en Antarctique, la déstabilisation de la circulation méridienne de retournement Atlantique, ou encore le dépérissement des forêts qui perdent leur capacité d’absorption du CO2. De plus, le réchauffement de la planète de 1,5°C et 2°C sera dépassé au cours du XXIème siècle, à moins de réduire considérablement les émissions de CO2 et d'autres gaz à effet de serre au cours des prochaines décennies.