1. Introduction
1. En mai 2020, la commission
des questions sociales, de la santé et du développement durable
a déposé une proposition de résolution intitulée «Ancrer le droit
à un environnement sain: la nécessité d’une action renforcée du
Conseil de l’Europe»
. Tandis que la dégradation de l’environnement
s’aggrave, les données scientifiques qui en montrent les effets
préjudiciables sur la santé des Européens s’accumulent. Pourtant,
la reconnaissance expresse du droit à un environnement sain, qui
permettrait une action plus déterminée au niveau européen comme
à l’échelon national, n’est toujours pas acquise. Face à ces préoccupations,
la proposition de résolution souligne qu’il est important d’appeler
à une action plus ambitieuse du Conseil de l’Europe dans ce domaine.
Cette proposition a été transmise à notre commission pour rapport
et j’ai été nommé rapporteur le 6 juillet 2020 (une autre proposition
de résolution sur l’intelligence artificielle et le changement climatique
a par la suite été transmise à notre
commission afin d’être prise en compte dans ce contexte).
2. En réponse aux menaces qui pèsent sur le climat et la biodiversité,
la présidence géorgienne du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe
(27 novembre 2019 – 15 mai 2020) a fait de la question des droits humains
et de la protection de l’environnement sa priorité absolue. Cet
objectif a continué de figurer en bonne place dans les priorités
des présidences de la Grèce et de l’Allemagne. Pour sa part, le
Président de l’Assemblée parlementaire, M. Rik Daems, en a fait
une priorité pour l’Assemblée dès son élection, en janvier 2020.
L’élan suscité par cette forte volonté politique est donc une occasion
unique de lancer des travaux préparatoires en vue de l’élaboration
d’un instrument juridiquement contraignant visant à protéger le
droit des êtres humains à un environnement sain. Cette initiative
européenne pourrait poser les jalons d’un consensus mondial quant
à la nécessité d’une coopération internationale renforcée dans le
domaine de la protection de l’environnement et des droits humains
« verts ». L’Europe doit rester le porte-étendard des droits fondamentaux intégrant
une « dimension verte ».
3. En février 2020, la présidence géorgienne a organisé à Strasbourg
une conférence à haut niveau sur la protection de l’environnement
du point de vue des droits humains
.
Les participants ont examiné les possibilités d’actions du Conseil
de l’Europe dans le domaine des droits humains pour faire face à
l’urgence environnementale et déterminer comment aider les gouvernements
européens à relever ce défi. Le rapport introductif à cette conférence
invite le Conseil de l’Europe à jouer
un rôle de leader en matière de protection des droits fondamentaux,
faute de quoi des initiatives éclatées seront adoptées au niveau
national et la légitimité de l’Organisation s’en trouvera fortement
affectée
.
4. La vision européenne contemporaine de la protection des droits
humains pourrait devenir un cadre de référence pour les droits humains
écologiques au XXIème siècle. Dans ce
contexte, nous nous sentons très encouragés par l’arrêt historique
concernant le climat rendu par la Cour suprême des Pays-Bas dans
l’affaire Urgenda, qui a confirmé un jugement antérieur contre le
gouvernement néerlandais et exige de celui-ci une action beaucoup
plus forte pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. La
Cour suprême a notamment fait référence aux obligations incombant
directement aux différents États en vertu des articles 2 et 8 de
la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5, ci-après
«la Convention») concernant le droit à la vie et le droit à la vie
privée et familiale
.
5. Au cours des dernières décennies, l’Assemblée a publié de
nombreuses recommandations sur des questions relatives au droit
à un environnement sain. Elle a notamment souligné que chaque être
humain a le droit fondamental à un environnement et à des conditions
de vie propres à favoriser sa bonne santé, son bien-être et le plein
épanouissement de sa personnalité. Dès 2003, l’Assemblée indiquait
que l’heure était venue, au vu de l’évolution du droit international,
tant en matière d’environnement que de droits humains, et au vu
de la jurisprudence européenne (notamment celle de la Cour européenne
des droits de l’homme), d’envisager les modalités juridiques qui
permettraient au système de protection des droits humains de contribuer
à la protection de l’environnement
.
6. En 2009, l’Assemblée recommandait aux Comité des Ministres
d’élaborer un protocole additionnel à la Convention qui reconnaisse
expressément «le droit à un environnement sain et viable»
en s’inspirant d’initiatives analogues
menées dans le passé. Dans cette recommandation, l’Assemblée réaffirmait
son attachement aux questions relatives à l’environnement et considérait
que « vivre dans un environnement sain est non seulement un droit
fondamental des citoyens, mais [aussi] que la société dans son ensemble
et chaque individu en particulier se doivent [...] de transmettre
aux générations futures un environnement sain et viable». Dans cette
optique, l’Assemblée n’a cessé d’appeler les États membres à renforcer
leur action afin de relever les défis du changement climatique,
des risques sanitaires liés à l’environnement et des migrations
liées à l’environnement
.
7. Pourtant, malgré les initiatives politiques et juridiques
prises aux niveaux national et international, la protection de l’environnement
est encore très mal assurée à ce jour. Le contre-argument le plus
fréquemment opposé à l’époque était l’incertitude quant à l’existence
effective d’un droit conféré aux individus, ou, à tout le moins,
la définition insuffisante de ce droit. Les menaces environnementales
qui pèsent sur la jouissance pleine et entière des droits humains
n’en sont pas moins graves pour les individus ; la question porte
plutôt sur la définition des termes et l’élaboration minutieuse
d’un instrument juridique qui reconnaisse ces droits.
8. Un environnement «sain» peut être décrit comme un environnement
«de qualité». Le droit à un environnement « de qualité » doit se
comprendre comme englobant, entre autres, le droit de vivre dans
un environnement non pollué, en réponse directe au chiffre alarmant
de plus d’un demi-million de décès imputables chaque année, rien
qu’en Europe, à la mauvaise qualité de l’air
. Par conséquent, on peut estimer que
le droit à un air pur est tout aussi légitime que le droit à l’eau
potable, car l’un et l’autre sont essentiels à la vie, à la santé,
à la dignité et au bien-être
. Dans son rapport, la professeur
Élisabeth Lambert insiste sur la nécessité de reconnaître un droit
subjectivé – tant individuel que collectif – à un environnement
« décent » ou « écologiquement viable », notion plus large que celle
du droit à un « environnement sain », afin d’embrasser une vision
éco-centrée et une approche intergénérationnelle. Selon elle, l’expression
« droit à un environnement sain » est restrictive et ne couvre que
les atteintes environnementales ayant une incidence sur la santé
ou le bien-être humains. Or, par droit à un environnement « décent »,
tel que l’a reconnu aussi le Comité des Ministres en 2004
, il s’agit de comprendre le lien
entre les droits fondamentaux, notre environnement et le développement
durable, et de viser aussi la protection de l’environnement naturel conformément
à la vision écologique qui prime aujourd’hui.
9. Le degré de reconnaissance des droits humains environnementaux
a de multiples conséquences pratiques. L’inscription explicite de
ce droit – qu’il vise un environnement « de qualité », « viable »
ou « sain » – aura eu, au minimum, pour effet positif de renforcer
l’arsenal législatif et judiciaire au niveau national dans près de
la moitié des pays du monde qui ont inscrit le droit à un environnement
sain dans leur constitution, dont 32 États membres du Conseil de
l’Europe
. En
l’état, le droit à un environnement sain est reconnu dans le monde
par divers accords et dispositifs régionaux
.
10. Il convient de prendre note que les Nations Unies font principalement
référence, dans leurs études et résolutions sur les droits humains
et l’environnement, aux obligations en matière de droits humains
se rapportant aux moyens de bénéficier d’un « environnement sûr,
propre, sain et durable ». Les commissions de cette Assemblée veilleront
donc à utiliser cette terminologie. Dans le cadre de l’élaboration
du présent rapport, la commission a également tenu une audition
en ligne, le 1er décembre 2020, avec
M. David R. Boyd, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les
droits de l’homme et l’environnement, Mme Catherine
Le Bris, chercheuse au CNRS (Centre national de la recherche scientifique,
France) et spécialiste du droit international sur les droits humains
et l’environnement, ainsi qu’avec de jeunes militants français et
azerbaïdjanais
.
11. Le présent rapport examine les différentes options qui se
présentent pour l’adoption de nouveaux instruments juridiques du
Conseil de l’Europe consacrant le droit à un environnement sain.
On ne saurait insister assez sur l’urgence du problème: diverses
formes de dégradation environnementale entraînent des violations
de droits humains substantiels de première génération – comme le
droit à la vie, le droit au respect de la vie privée et familiale,
l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants et le droit
de jouir paisiblement de son domicile, qui sont expressément consacrés
par la Convention – ainsi que la violation du droit à la santé,
droit de deuxième génération inscrit dans la Charte sociale européenne
(STE nos 35 et 163, ci-après «la Charte»).
Le Conseil de l’Europe, en tant que première organisation de défense
des droits humains et de l’État de droit du continent européen,
devrait rester proactif en ce qui concerne l’évolution des droits
humains et adapter son cadre juridique en conséquence. Un instrument
juridiquement contraignant et opposable, par exemple un protocole
additionnel à la Convention, donnerait enfin à la Cour une base essentielle
pour statuer sur ces questions.
12. De plus, au vu des éléments figurant dans la proposition de
résolution « Intelligence artificielle et changement climatique »
, le présent rapport examine également
la menace que représente le changement climatique, étant donné qu’il
s’agit du plus grand défi que l’humanité aura à relever, les nouvelles
technologies telles que l’intelligence artificielle constituant
tout à la fois un facteur important d’aggravation du problème et une
possible solution. Le présent rapport examine ces questions et formule
des propositions de solutions émanant du contexte national et européen,
notamment l’élaboration d’une convention de type «5P»
.
La commission des questions juridiques et des droits de l’homme
de l’Assemblée examine dans un rapport distinct la question de la
« responsabilité civile et pénale dans le contexte du changement
climatique » et la possibilité que le Conseil de l’Europe adopte
une nouvelle convention pénale sur les dommages causés à l’environnement
et à la santé humaine
.
2. Évolution de la compréhension des droits
humains
13. Élaborée en 1950, la Convention
européenne des droits de l’homme est entrée en vigueur en 1953.
Elle a été conçue après la Seconde Guerre mondiale, alors que le
monde faisait front commun pour convenir de normes minimales de
dignité à reconnaître à tous les êtres humains et accordait ainsi
la protection des libertés civiles individuelles contre les violations
commises par l’État. La Convention énonce en détail les droits civils et
politiques, parmi lesquels l’interdiction de la torture et le droit
à un procès équitable. Selon la typologie le plus couramment utilisée
pour les droits humains, ces droits, qui répondent pour l’essentiel
à des préoccupations politiques, constituent la catégorie des droits
humains de première génération. Les droits économiques, sociaux
et culturels ont souvent été qualifiés à tort d’« avantages », ce
qui revient à dire que les individus n’avaient pas fondamentalement
droit à la satisfaction de besoins essentiels tels que la nourriture
et le logement.
14. Cela étant, pendant la guerre froide, les normes européennes
et mondiales (via les pactes des Nations Unies) en matière de droits
humains ont évolué en phase avec leur temps. Les droits socio-économiques
ont progressivement fait l’objet d’une reconnaissance internationale.
Des exigences et des idées nouvelles quant à la signification d’une
vie digne sont apparues, les peuples réalisant que la dignité humaine
exigeait davantage que la prescription minimale d’absence d’ingérence
de l’État (telle que garantie par les droits civils et politiques).
La Charte sociale européenne a été ouverte à la signature en 1961
et est entrée en vigueur en 1965. Elle a été conçue pour appuyer
la Convention et élargir la portée des droits fondamentaux faisant
l’objet d’une protection en y intégrant les droits sociaux et économiques,
que l’on appelle « droits humains de deuxième génération ».
15. Lorsque la Convention a été rédigée, l’état du monde était
très différent de ce qu’il est aujourd’hui. Diverses conjonctures
comme l’extrême pauvreté, les guerres et les catastrophes écologiques
et naturelles ont eu pour effet de limiter considérablement les
progrès en matière de droits humains dans de nombreuses régions
du monde. L’idée de solidarité constitue la base de la troisième
génération des droits humains, qui englobe également les droits
collectifs de la société ou des peuples. Le droit à un environnement
sain en fait partie; il répond à l’intérêt des générations présentes
et futures.
16. Au-delà des dimensions intergénérationnelles de ces droits,
les générations actuelles sont d’ores et déjà confrontées à de graves
crises sociales et environnementales, d’où le caractère très réel
des menaces que les problèmes environnementaux font peser sur la
jouissance des droits humains. D’après l’Organisation mondiale de
la Santé (OMS), 24 % des décès dans le monde sont liés à l’environnement,
ce qui représente environ 13,7 millions de morts par an
. Les rapporteurs spéciaux des Nations
Unies et des experts indépendants alertent sur le fait que le réchauffement
climatique mondial « entraînera des effets néfastes pour les droits humains,
notamment pour le droit à la vie, à la santé, à l’alimentation et
à l’eau »
; il rendra de nombreuses zones inhabitables,
multipliera les conflits violents et pourrait causer jusqu’à 200
millions de réfugiés climatiques d’ici 2050. En Europe, la pollution
atmosphérique est responsable à elle seule d’au moins 753 000 décès
prématurés par an et nuit gravement à la santé publique, y compris
à celle des générations futures
. Ce sont les enfants qui sont le
plus exposés aux risques générés par des causes environnementales
comme la pollution ; en effet, une exposition, même minime, à des
substances chimiques
in utero ou
pendant la petite enfance peut être à l’origine de maladies de longue
durée, d’une invalidité, d’un décès prématuré ou encore d’une diminution
des capacités d’apprentissage et de revenus
. De plus, la destruction massive
des habitats naturels entraîne une proximité de plus en plus étroite
entre espèces sauvages et êtres humains, qui s’accompagne d’un risque
croissant de zoonoses et de pandémies. La reconnaissance de cette
nouvelle génération de droits humains est nécessaire et urgente.
En effet, si les sociétés ne jouissent pas des conditions appropriées,
différents types d’obstacles continueront d’entraver la réalisation
des droits humains de première et deuxième génération déjà pleinement
reconnus.
17. La Déclaration et la Conférence de Stockholm de 1972 sur l’environnement
humain et la Déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le
développement contiennent un aspect essentiel de la reconnaissance juridique
de l’interaction entre droits humains et environnement
. Outre le lien établi entre la qualité
de l’environnement et les droits humains de première génération,
la déclaration de 1972 renvoie indirectement au droit à un environnement
sain: «L’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité
et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement
dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être.
Il a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement
pour les générations présentes et futures. […] Les deux éléments
de son environnement, l’élément naturel et celui qu’il a lui-même
créé, sont indispensables à son bien-être et à la pleine jouissance
de ses droits fondamentaux, y compris le droit à la vie même.»
18. Bien qu’il y ait un lien clairement établi entre dignité humaine
et protection de l’environnement, ni la Convention ni la Charte
ne sont conçues pour offrir une protection générale de l’environnement
en tant que telle et ne garantissent expressément un droit à un
environnement sain. La Convention et la Charte assurent indirectement
un certain niveau de protection en matière environnementale grâce
à la jurisprudence élaborée par la Cour européenne des droits de
l’homme et à la reconnaissance du droit à la santé par la Charte
.
19. Cela dit, la Convention ne faisant pas expressément référence
à la protection de l’environnement, la Cour ne peut pas traiter
efficacement de plusieurs droits humains dits de nouvelle génération,
notamment du droit à un environnement sain. La Cour devrait pouvoir
s’appuyer sur une base plus claire lorsqu’elle statue en se fondant
sur un lien entre les droits humains et les questions environnementales.
Comme indiqué dans la partie précédente, le droit à un environnement
sain est déjà reconnu expressément dans des conventions de niveau
international et régional et plus d’une centaine de pays, dont la
plupart des États membres du Conseil de l’Europe, reconnaissent
maintenant un droit constitutionnel à jouir d’un environnement sain.
L’intégration du droit à un environnement sain dans la législation
et la constitution de ces pays témoigne de leur volonté d’assurer
une plus grande reconnaissance juridique aux droits environnementaux.
3. Adoption
d’une nouvelle génération de droits humains: les enseignements à
tirer des contentieux environnementaux
20. Comme cela a été souligné lors
de l’audition de la commission « Pour une action renforcée sur le changement
climatique », qui s’est tenue le 1er décembre
2020
, la dégradation de l’environnement
porte toujours plus atteinte aux droits fondamentaux et fait l’objet
de contentieux juridiques, y compris en matière de climat ; beaucoup
de gens sont déjà confrontés à ses impacts directs (notamment les
agriculteurs et les réfugiés climatiques). Le procès Urgenda (2015-2019)
intenté à l’initiative de la société civile néerlandaise a une portée
symbolique: il s’agit de la première affaire au monde dans laquelle
les citoyens sont parvenus à faire établir que l’État a une obligation
légale de prévenir les changements climatiques dangereux
. Mme Michelle
Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme,
a salué cette décision et souligné que l’État néerlandais et, par
conséquent, les autres États, sont tenus par des obligations juridiquement
contraignantes fondées sur le droit international relatif aux droits
humains et doivent, à ce titre, procéder à des réductions drastiques
de leurs émissions de gaz à effet de serre. L’arrêt Urgenda établit clairement
la voie à suivre pour que les individus concernés en Europe – et
dans le monde entier – engagent des procédures contentieuses climatiques
pour protéger les droits humains.
21. Encouragés par le succès de l’affaire climatique Urgenda,
des citoyens ont formé des recours en justice similaires en Irlande,
en Belgique, au Canada, en France, en Colombie, en Allemagne, en
Inde, au Mexique, en Nouvelle-Zélande, au Pakistan, au Pérou, en
République de Corée, en Suisse, au Royaume-Uni, aux États-Unis et
dans l’Union européenne
.
Dans bon nombre de ces affaires, des enfants et des jeunes affirment leurs
droits constitutionnels à la vie, à la santé, à un environnement
sain, à l’égalité et à la non-discrimination en invoquant le principe
de justice intergénérationnelle. Certaines de ces affaires renvoient
aux obligations des États au regard de la Convention (articles 2
et 8) et des accords climatiques internationaux. En novembre 2020,
la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré recevable la
requête de jeunes militants à l’encontre de 33 États (les pays membres
de l’Union européenne plus la Norvège, la Fédération de Russie,
la Suisse, le Royaume-Uni, la Turquie et l’Ukraine).
22. La pression exercée sur les pouvoirs publics européens afin
qu’ils prennent des mesures face à la crise climatique et à la dégradation
continue de l’environnement est de plus en plus forte, tout comme
celle exercée sur le Conseil de l’Europe et ses États membres pour
qu’ils reconnaissent expressément la nouvelle génération de droits
humains, notamment le droit à un « environnement sûr, propre, sain
et durable », non seulement au moyen de la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme, mais aussi en l’intégrant dans
le corps de la convention elle-même, par le biais d’un protocole
additionnel. Les nouvelles menaces pour la vie humaine, le bien-être
et la santé ne découlent plus uniquement du non-respect par les pouvoirs
publics des droits civils et politiques ; elles sont également dues
à leur absence d’intervention pour prévenir l’effet cumulatif des
atteintes aux personnes résultant de la dégradation de l’environnement
en raison de l’exploitation commerciale de la nature.
23. Il faut appeler un chat un chat: la pollution environnementale,
la perte de la biodiversité et la crise climatique sont responsables
des maux de notre planète, provoquant inéluctablement des décès
prématurés dans la génération actuelle et privant les générations
futures d’un espace vital viable. Comme l’a souligné David R. Boyd
lors de l’audition du 1er décembre 2020,
l’Europe est désormais à la traîne par rapport aux autres régions,
car elle est la dernière à ne pas avoir intégré la protection du
droit à un environnement sain dans un instrument juridique supranational
comme la Convention européenne des droits de l’homme.
24. Toutefois, comme l’a fait observer Catherine Le Bris lors
de cette même audition, le simple fait de mieux protéger les droits
individuels ne suffirait pas à relever les défis collectifs et intergénérationnels
de la crise climatique. De nombreux juristes s’accordent en effet
sur le fait que certains principes, tels que l’écocentrisme, le
subjectivisme, la nature collective et transgénérationnelle de certains
droits, ainsi que les principes de précaution, de non-régression
du droit et de l’inversion de la charge de la preuve, sont essentiels
pour consacrer le droit à un environnement sain au moyen de nouveaux
instruments. L’annexe présente un aperçu des mécanismes juridiques
internationaux permettant de reconnaître le lien entre les droits
humains et la protection environnementale.
4. Vers
de nouveaux instruments juridiques reconnaissant le droit à un environnement
sûr, propre, sain et durable
25. S’il était déjà indiscutable
en 2009 qu’un environnement propre et sain est indispensable à l’exercice
des droits humains, notamment du droit à la vie, à la santé, à la
nourriture et à un niveau de vie décent, c’est encore plus vrai
aujourd’hui. Le changement climatique a une incidence considérable
sur l’exercice des droits humains par les individus et les communautés
à travers le monde. Ni la Charte sociale européenne ni la Convention
ne reconnaissent expressément le droit à un environnement sain;
en conséquence, les instruments européens en matière de droits humains
sont moins satisfaisants que l’ensemble des autres instruments régionaux
. La reconnaissance explicite d’un
droit à un environnement sain inciterait les pays à adopter des
législations environnementales plus fortes et la Cour à avoir une
approche plus protectrice, ce qui faciliterait les recours pour
les victimes et aurait un effet préventif (tandis que la jurisprudence
intervient a posteriori). L’avantage d’un droit autonome à un environnement
sain serait qu’il serait dès lors possible de conclure à une infraction indépendamment
de l’atteinte à un autre droit, ce qui lui donnerait une place plus
importante.
4.1. Responsabilité
des entreprises à l’égard des dommages à l’environnement
26. Les dommages à l’environnement
causés par de grandes entreprises multinationales sont devenus un problème
majeur, lourd de conséquences néfastes. Ces entreprises peuvent
même, du fait de leur puissance financière considérable, mettre
en échec les capacités monétaires de certains pays
.
Il est nécessaire d’élaborer un instrument contraignant pour les
États et les entreprises au moyen d’un mécanisme européen de conformité
ou de suivi et de droits que les particuliers puissent faire valoir
devant les tribunaux. De nombreux gouvernements et entreprises proposent
actuellement des stratégies de protection environnementale et de
croissance économique dans le cadre d’initiatives conjointes. Les
partenariats public-privé en faveur du développement durable qui
sont opérationnels depuis plusieurs dizaines d’années, du niveau
local à l’échelle internationale, gagnent en importance avec la
mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon
2030 et la réalisation des Objectifs de développement durable. Cependant, l’écoblanchiment
reste un phénomène trop répandu autour de nous et il n’y a pas de
véritable coresponsabilité en matière de prévention et d’atténuation
des dommages environnementaux.
27. Pour que le droit à un environnement sain soit effectif, il
serait souhaitable que les règles du jeu ne soient pas fixées par
le marché libre, par l’autoréglementation des entreprises ou par
des recommandations souples, voire des lignes directrices de portée
générale. Ces droits devraient être contraignants et opposables.
Des études ont jeté le doute sur l’efficacité de l’autoréglementation
en matière environnementale car elles ont fait apparaître que ceux
qui s’y plient ne font pas nécessairement mieux que ceux qui la
refusent
. L’autoréglementation
n’allant, à elle seule, pas toujours dans le sens de l’intérêt commun,
l’État a un rôle central à jouer. Les États doivent donc renforcer
la responsabilité environnementale des entreprises, notamment en
révisant la Recommandation CM/Rec(2016)3 du Comité des Ministres
sur les droits de l’homme et les entreprises et en participant aux
travaux du « Groupe de travail intergouvernemental des Nations Unies à
composition non limitée sur les sociétés transnationales et autres
entreprises et les droits de l’homme chargé d’élaborer un instrument
juridiquement contraignant sur les activités commerciales et les
droits de l’homme »
.
28. Ces dernières années, plusieurs entreprises se sont retrouvées
devant la justice pour des affaires concernant le climat. Aux États-Unis,
par exemple, plus d’une dizaine de villes, comtés et États ont engagé des
poursuites contre Exxon, Chevron, BP, Royal Dutch Shell et d’autres
géants de l’énergie afin d’obtenir le remboursement, au nom des
contribuables, du coût de mesures d’adaptation au changement climatique (comme
la construction de brise-lames, la réparation des dommages provoqués
par les tempêtes ou les plans d’abandon progressif des combustibles
fossiles et de déplacement plus à l’intérieur des terres de populations exposées).
Cela dit, les plaintes de la ville de New York et de San Francisco
ont été rejetées en appel
. En Europe, le géant Total, tenu
pour responsable de 1% des émissions mondiales de CO2,
est poursuivi par 14 villes et associations pour «inaction climatique»
dans ce qui est le premier procès du climat en France. Cette entreprise
est également poursuivie en Ouganda pour destruction de l’environnement
. De leur côté, des grandes compagnies
d’énergie ont, elles aussi, intenté des poursuites contre des États
(dont l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas) en vertu d’un accord
international, le Traité sur la charte de l’énergie, et réclament
un dédommagement pour les investissements déjà réalisés ou programmés
en raison de l’impact sur leur activité des actions en faveur du
climat encouragées par ces États
.
29. Avec l’expansion de l’économie numérique, les entreprises
de haute technologie sont critiquées pour la consommation massive
et croissante d’énergie utilisée pour faire fonctionner leurs infrastructures informatiques.
Même si certaines de ces entreprises ont amélioré l’efficacité de
leurs centres de données et veillent à ce qu’ils soient alimentés,
au moins en partie, en énergie renouvelable, la puissance de calcul
requise pour l’intelligence artificielle a été multipliée par environ
300 000 entre 2012 et 2018. Comme de plus en plus d’entreprises
et d’institutions se mettent à utiliser l’intelligence artificielle,
il est de plus en plus évident que cette technologie va aggraver
la crise climatique. Les décideurs politiques doivent prendre cette
tendance en compte dans des instruments réglementaires aux niveaux
national, européen et international.
4.2. Protocole
additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme
30. L’élaboration d’un protocole
additionnel à la Convention est probablement la meilleure solution
pour défendre une action plus ambitieuse du Conseil de l’Europe
dans le domaine des droits humains environnementaux. Cette solution
serait conforme aux précédentes recommandations de l’Assemblée et
aux récentes propositions de la Commissaire aux droits de l’homme
et de l’actuel Président de l’Assemblée. Le protocole additionnel
pourrait prendre comme point de départ la notion d’environnement
« sain », « de qualité », « décent » et/ou « viable », et se fixer
comme objectif de protéger la santé, la dignité et les droits humains
face aux diverses menaces environnementales. Ce type d’instrument
viendrait compléter les conditions relatives au droit à un environnement
« sûr, propre, sain et durable » et s’inspirerait par exemple des
principes-cadres des Nations Unies relatifs aux droits humains et
à l’environnement
. Il rendrait le droit à un environnement
sain contraignant pour les États et susceptible d’un recours judiciaire,
y compris par les particuliers.
31. Ainsi que l’a déjà fait remarquer l’Assemblée en 2009
, la Convention ne mentionne pas l’environnement,
ni le droit à un environnement sain. La jurisprudence de la Cour,
qui se fonde sur l’interprétation des articles 2, 5 et 8 (les plus
fréquemment invoqués), ne permet qu’une protection environnementale
indirecte et incomplète lorsqu’il est établi qu’un autre droit expressément
mentionné dans la Convention a été violé. Il est difficile d’avoir
accès à cette protection indirecte assurée par la jurisprudence
et de la comprendre pleinement ; elle est tributaire de la réceptivité
et du bon vouloir des juges et des juristes de la Cour. Cela dit,
la jurisprudence de la Cour prouve que des atteintes à l’environnement
ont des conséquences directes sur des droits humains déjà consacrés
par la Convention.
32. Des normes implicites, qui interviennent plutôt a posteriori,
n’offrent pas de solutions ni de protection adaptée pour les individus
ou pour l’environnement. L’adoption d’un droit humain à un environnement
sain, expressément reconnu et proactif, se fait attendre depuis
vraiment trop longtemps en Europe. Elle permettrait une approche
préventive axée sur l’élimination des problèmes avant même qu’ils
ne se présentent. Une approche proactive du droit à un environnement
sain consisterait à promouvoir ce qui est souhaitable et à encourager
les bons comportements – en termes d’obligations positives des États
dans le cadre de la Convention – tout en ayant un caractère préventif,
puisqu’elle empêcherait la concrétisation des risques juridiques.
33. Comme l’a affirmé Robert Spano, Président de la Cour européenne
des droits de l’homme, lors de la Conférence « Droits de l’Homme
pour la planète » (tenue le 5 octobre 2020), la Convention ne saurait s’interpréter
dans le vide, mais en relation organique avec d’autres instruments
et évolutions des États membres, la jurisprudence étant un bon point
de départ. Nous devons désormais progresser sur la voie que la société
européenne appelle de ses vœux et rattraper notre retard par rapport
à d’autres régions du monde. Notre action bénéficie d’une forte
dynamique, et du soutien croissant des différents organes du Conseil
de l’Europe et de ses États membres, pour progresser vers la reconnaissance
d’un droit humain à un environnement sûr, propre, sain et durable.
Nous le devons aux citoyens européens. En leur accordant expressément
ce droit, nous rendrions leurs gouvernements plus responsables.
34. Je pense que l’heure est venue de réexaminer sérieusement
la nécessité d’élaborer un protocole additionnel à la Convention
afin d’y inscrire clairement le lien entre l’environnement et les
droits humains. En tant qu’Assemblée, nous pouvons proposer de partir
des initiatives antérieures de ce type. Un modèle de protocole additionnel
tel que décrit dans la
Recommandation
1201 (1993) de l’Assemblée, « Protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l’homme sur les droits des minorités »,
pourrait servir de référence pour développer la proposition de l’Assemblée.
35. Dans le modèle de protocole additionnel proposé, j’ai tenté
de prendre en compte les principes juridiques les plus avancés reconnus
dans nombre des constitutions de nos États membres. Je les ai regroupés
sous un titre distinct (le titre «Principes généraux», qui contient
les articles 2 à 4), en suivant la structure du projet de protocole
figurant dans la
Recommandation 1201 (1993). Il s’agit des principes suivants: le principe de responsabilité,
d’équité et de solidarité transgénérationnelles, le principe de
non-discrimination environnementale, et les principes de prévention,
de précaution, de non-régression et
in
dubio pro natura. Le modèle que je propose prévoit la
consécration d’un droit matériel unique, à savoir le droit à un
environnement sûr, propre, sain et durable (article 6), accompagné
de quatre droits de nature procédurale (article 7), dont un seul
– le droit à la consultation – pourrait faire l’objet de réserves
ou de dérogations.
36. Je suis bien conscient de l’excellente qualité des propositions
faites par des universitaires sur la question du contenu d’un protocole
additionnel à la Convention
. Cependant,
dans mon modèle, j’ai retenu uniquement les dispositions qui s’inscrivent
dans le cadre actuel de la Convention et de la Cour. En effet, j’estime
que nous avons besoin, non pas d’un seul instrument, mais d’une
panoplie d’instruments juridiques qui se complètent mutuellement
(voir ci-dessous); à mon avis, nous ne devrions pas essayer de faire
entrer l’ensemble des dispositions dans un protocole additionnel
à la Convention, où elles n’ont pas toutes leur place.
4.3. Protocole
additionnel à la Charte sociale européenne
37. La Charte sociale européenne
fournit une protection étendue des droits sociaux et sert même de référence
pour le droit de l’Union européenne. Cependant, elle n’intègre ni
ne reconnaît le droit de l’humanité à un environnement sûr, propre,
sain et durable, pourtant profondément lié aux droits sociaux. L’Assemblée
a déjà appelé le Comité des Ministres à élaborer un nouveau protocole
à la Charte sociale européenne révisée sur le droit à la santé,
y compris le droit à un environnement sain, dans sa
Recommandation 1976 (2011) «Le rôle des parlements dans la consolidation et le
développement des droits sociaux en Europe».
38. Le lien profond entre les droits sociaux et la protection
de l’environnement doit être reconnu au sein de la Charte. Jusqu’à
présent, l’interprétation dynamique du Comité européen des Droits
sociaux de l’article 11 de la Charte, sur le droit à la santé, a
permis de reconnaître un certain degré de protection en matière d’environnement.
De plus, je salue également l’interprétation dynamique des articles
2 (le droit à des conditions de travail équitables), 3 (le droit
à la sécurité et l’hygiène dans le travail) et et 31 (le droit au logement.
C’est cette interprétation qui a permis une reconnaissance par ricochet
d’un droit à un environnement sain.
39. Néanmoins, cela reste insuffisant au regard de la crise écologique
actuelle. La reconnaissance d’un droit de l’humanité à un environnement
sain au sein de la Charte favoriserait une meilleure protection
de l’environnement, en permettant à certaines organisations non-gouvernementales,
spécialisées dans la défense de l’environnement, d’effectuer des
réclamations collectives à l’égard des 16 pays qui ont accepté le système
de réclamations collectives prévu par le Protocole additionnel à
la Charte (STE n° 158). Cette procédure de réclamations collectives
représente un système de protection en partie complémentaire à la protection
juridictionnelle assurée dans le cadre de la Convention.
4.4. Le
choix d’une convention de type « 5P » sur les dangers environnementaux
et les risques technologiques pour la santé, la dignité et la vie
humaine
40. Certains juristes considèrent
que les droits « verts » n’obéissent pas à la même logique que les
droits civils et politiques d’une part et que les droits économiques
et sociaux d’autre part. De ce fait, la reconnaissance des droits
écologiques/environnementaux devrait se présenter sous la forme
d’un instrument spécifique. D’un point de vue écocentrique, tel
qu’expliqué ci-dessus, la reconnaissance de ce droit devrait être assortie
de la mention des principes spécifiques à cette question, comme
le principe de prévention, les mesures de précaution (Principe no 15
de la Déclaration de Rio) et le principe du « pollueur-payeur »,
qui sont tous étroitement liés au concept de justice environnementale
. En vertu du principe no 15,
« en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence
de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour
remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir
la dégradation de l’environnement ». Ceci va à l’encontre d’arguments
exigeant des éléments probants particulièrement solides et un lien
de causalité avec une atteinte à l’environnement lorsque le droit
à un environnement sain est violé.
41. Compte tenu de la complexité et de l’interdépendance des menaces
que les dommages environnementaux font peser sur les droits humains,
l’instrument juridique traitant de ces questions devrait procéder
selon une approche globale. C’est pourquoi, en complément de l’élaboration
d’un protocole additionnel à la Convention, et d’un protocole additionnel
à la Charte, une convention de type «5P» devrait être envisagée.
Grâce à la prévention et
à la poursuite des atteintes
au droit à un environnement sûr, propre, sain et durable et à la protection des victimes, les États
contractants adopteraient et appliqueraient sur tout leur territoire
des «politiques intégrées»
efficaces et offriraient une réponse globale aux menaces pour l’environnement
et aux risques technologiques, les parlements
étant chargés de demander des comptes aux gouvernements quant à
la mise en œuvre effective de politiques en faveur des droits humains
qui soient respectueuses de l’environnement.
42. L’adoption d’une convention de type «5P» constituerait un
instrument juridique international pertinent de vocation globale
qui permettrait de compléter l’élaboration des protocoles additionnels,
notamment par la promotion de la coopération internationale dans
le domaine environnemental et la mise en place d’un mécanisme de
suivi spécifique comme un groupe d’experts indépendants. En adoptant
une approche globale, une convention de type 5P pourrait examiner
non seulement la question de l’environnement sain, mais aussi d’autres
problématiques qui échappent au contrôle des individus et reviennent
en définitive à s’intéresser au droit à la vie et à la dignité humaine.
Ces problématiques peuvent être liées, par exemple, aux menaces résultant
de l’intelligence artificielle, des manipulations génétiques et
des nanotechnologies.
5. Conclusions:
la feuille de route proposée
43. Dans le monde entier, de plus
en plus de données scientifiques démontrent l’ampleur des effets
néfastes de la dégradation de l’environnement sur la santé, la dignité
et le bien-être des individus et sur la stabilité des écosystèmes.
Cette situation résulte de l’effet boomerang des activités économiques
humaines qui ont une empreinte excessive et toxique sur l’environnement.
Le Conseil de l’Europe a joué un rôle de précurseur en matière de
renforcement de la protection des droits humains dans un certain
nombre de domaines comme celui de la bioéthique. L’heure est maintenant
venue pour lui de s’atteler à un défi majeur, porteur de transformations
pour les droits humains, en garantissant la protection renforcée
de ces droits à l’heure où des menaces environnementales systémiques
pèsent sur les générations actuelles et futures. Il faut pour cela
que soit expressément reconnu un droit humain à un environnement
sûr, propre, sain et durable dans l’action publique et dans des
instruments juridiques, y compris de nature contraignante et opposable,
au niveau du Conseil de l’Europe
.
44. Les effets nocifs pour l’environnement influent de plus en
plus sur l’exercice des droits humains de première et de deuxième
génération par les individus et la société dans son ensemble et
portent atteinte aux valeurs communes que le Conseil de l’Europe
a pour devoir de défendre. Ces dommages sont de plus en plus reconnus
dans le cadre de procédures contentieuses de niveau national en
matière environnementale, aussi bien en Europe qu’au-delà. Ils constituent
un motif impérieux pour renforcer et actualiser l’arsenal juridique
du Conseil de l’Europe et pour établir un lien entre les actions
de niveau national et les engagements pris au titre des traités
internationaux pertinents, comme la Convention cadre des Nations
Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et l’Accord de Paris.
Cette action est également nécessaire pour donner des signaux clairs
aux acteurs non étatiques (tels que les entreprises) sur l’orientation
des politiques publiques à l’échelon national, européen et international.
45. À cet effet, je recommande que l’Assemblée réaffirme qu’il
est nécessaire que le Conseil de l’Europe élabore sans plus tarder
un protocole additionnel à la Convention afin de reconnaître expressément
le droit humain à « un environnement sûr, propre, sain et durable »
pour reprendre la terminologie utilisée par les Nations Unies. J’aimerais
également proposer l’élaboration d’un protocole additionnel à la
Charte afin de consacrer le lien profond entre les droits sociaux
et le droit de l’humanité à un environnement sain. Enfin, je soutiens
l’ouverture des préparatifs d’une convention de type« 5P » relative
aux risques environnementaux et technologiques qui représentent
une menace pour la santé, la dignité et la vie humaine, parallèlement
aux travaux menés pour réviser la Recommandation CM/Rec(2016)3 du
Comité des Ministres sur les droits de l’homme et les entreprises
en ce qui a trait à la responsabilité des acteurs non étatiques
en matière de prévention de la dégradation de l’environnement et
des violations du droit humain à un « environnement sûr, propre,
sain et durable ».
46. Pour finir, j’aimerais insister sur la nécessité d’élaborer
parallèlement ces trois instruments juridiques qui sont indispensables
pour consacrer le droit de l’humanité à un environnement sûr, propre,
sain et durable. La nature de ces instruments varie et entraîne
ainsi une mise en œuvre spécifique et des effets différents. Ces derniers
sont complémentaires et disposent de systèmes de protection et de
contrôle propres qui permettraient de faire face au défi écologique
actuel, en garantissant un droit de l’humanité à un environnement
sûr, propre, sain et durable.