1. Introduction
1. À la suite d’une initiative
lancée en mai 2019 par la Présidence française du Conseil de l’Europe,
les Délégués des Ministres et le Secrétariat du Conseil de l’Europe
(Direction de la participation démocratique, Service de l’Éducation)
ont commencé à travailler à la création d’un Observatoire de l’enseignement
de l’histoire en Europe. La proposition de résolution
à l’origine du présent rapport fait
référence à cette initiative et insiste sur le fait que l’enseignement
de l’histoire a une importance déterminante pour renforcer les valeurs communes
et favoriser une histoire qui rapproche les peuples au lieu de les
diviser. Elle appelle en outre l’Assemblée parlementaire à «apporter
sa contribution à la réflexion sur la configuration de cet observatoire, [à]
en suivre et [à] en évaluer la mise en œuvre, et [à] proposer des
orientations à privilégier».
2. Lors de la Conférence informelle des ministres de l’Éducation
qui s’est tenue le 26 novembre 2019 à Paris, 23 États membres du
Conseil de l’Europe ont signé la Déclaration de Paris
et ont ainsi approuvé la proposition
visant à créer l’Observatoire. Depuis mars 2020, à la suite de consultations
avec le Comité directeur pour la politique et les pratiques en matière
d’éducation du Conseil de l'Europe, le Groupe de rapporteurs sur
l'éducation, la culture, le sport et l'environnement du Comité des
Ministres a préparé le projet de statut afin de lancer l'Observatoire
pendant la présidence grecque du Conseil de l'Europe.
3. Le 12 novembre 2020, le Comité des Ministres a institué l’Accord
partiel élargi sur l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire
en Europe. Son objectif principal consiste à élaborer des rapports
réguliers (tous les 3-4 ans) sur la manière dont l’histoire est
enseignée dans les États membres participants, à publier des rapports
thématiques sur des sujets spécifiques et à organiser des conférences
et des événements annuels. Il offre ainsi aux experts, aux responsables
politiques et aux professionnels de l’enseignement de l’histoire
une plateforme d’échange des connaissances.
4. L’Observatoire est dirigé par le Comité de direction, composé
de 17 représentants désignés par les gouvernements des États membres
participants, qui détermine le programme d’activités et contrôle
sa mise en œuvre. Il est conseillé par le Conseil scientifique consultatif,
composé de 11 experts indépendants hautement qualifiés dans le domaine
de l’enseignement de l’histoire. Le Comité de direction s’est réuni
pour la première fois les 18 et 19 février 2021 et conçoit actuellement
le premier programme à moyen terme de l’Observatoire. Il prévoit
de publier le premier rapport thématique d’ici l’automne 2022 et
le premier rapport régulier d’ici l’automne 2023.
5. L’Assemblée parlementaire devrait contribuer à ce processus
en ouvrant un débat sur l’enseignement de l’histoire, notamment
dans le but de promouvoir les principes directeurs pour un enseignement
de l’histoire de qualité au XXIe siècle,
élaborés par le Conseil de l’Europe
, et de donner une dimension concrète
à ces principes et lignes directrices en présentant des exemples
de bonnes pratiques appliquées dans différentes régions d’Europe.
6. Au-delà du soutien qu’elle apporte à la création de l’Observatoire,
l’Assemblée devrait encourager les États membres qui nourrissent
encore des doutes à adhérer à l’accord partiel en les sensibilisant
à la valeur ajoutée que l’Observatoire est destiné à produire.
2. Les défis liés à l’enseignement de
l’histoire dans un contexte plus large de citoyenneté démocratique
7. Le XXIe siècle
a été le théâtre de profonds changements sociétaux en lien avec
les technologies de l’information, l’accroissement de la mobilité
et des mouvements migratoires ainsi que l’augmentation de la diversité
culturelle et religieuse. Le défi qui se pose aujourd’hui consiste
à définir les moyens multiples donnés aux individus, en particulier
aux jeunes, d’acquérir les connaissances et les compétences nécessaires
pour agir en tant que citoyens démocratiques dans des sociétés diverses
et en mutation rapide. Cela implique de résoudre les confrontations
résultant de visions du monde divergentes par l’acquisition de connaissances
sur les différences, le respect, le dialogue et l’empathie, sans
succomber à la haine ou à la violence. Cela suppose aussi de trouver
un terrain d’entente en se fondant sur des valeurs communes, tout
en appréciant et en valorisant la diversité.
8. Je souhaite donc aborder l’enseignement de l’histoire dans
ce contexte plus large de la citoyenneté démocratique. Au cours
des dernières années, le Conseil de l’Europe a mis au point un ensemble
de modèles et de méthodes pour aider les enseignants à transmettre
en classe les compétences permettant d’acquérir une culture de la
démocratie. Elles sont réparties autour de quatre thèmes: valeurs,
attitudes, aptitudes et connaissance et compréhension critique.
Pour de plus amples informations au sujet de ces compétences nécessaires
à une culture de la démocratie (CCD), je vous invite à vous reporter
à page web dédiée sur le site du Conseil de l’Europe
.
9. À mon avis, l’enseignement de l’histoire est particulièrement
pertinent pour l’acquisition des compétences appartenant à la catégorie
«connaissance et compréhension critique». Le fait d’encourager l’analyse
et le débat historiques – en utilisant différentes sources primaires
et secondaires, en les comparant et en les confrontant pour examiner
les événements sous des angles différents – aide à développer une
lecture critique du passé dans toute sa complexité et permet de
fournir des réponses pour appréhender le présent avec un esprit
critique.
10. En outre, les méthodes utilisées pour l’enseignement de l’histoire
et l’analyse historique en classe peuvent aussi aider les jeunes
à cultiver un esprit d’ouverture à la différence culturelle, de
respect et de responsabilité ainsi qu’à développer des aptitudes
particulières, telle que l’apprentissage en autonomie, la réflexion
analytique, le dialogue et l’argumentation, notamment la capacité
à résoudre les conflits, qui recoupent clairement les compétences
relatives à l’exercice d’une citoyenneté démocratique en dehors
de l’école.
3. Orientations
pour un enseignement de l’histoire de qualité promouvant la diversité,
la multiperspectivité et la tolérance
11. Ce chapitre renvoie au rapport
d’expert
rédigé par Mme Maria Luisa de Bivar Black,
professeure d’histoire à l’université et formatrice de professeur·e·s
d’histoire, Portugal, et consultante pour l’Unité d’enseignement
de l’histoire du Conseil de l’Europe. Il aborde dix thèmes que nous
considérons comme essentiels et qui doivent être pris en compte
par les responsables politiques.
3.1. Concevoir
des curriculums souples pour l’enseignement de l’histoire
3.1.1. Concepts
structurant les curriculums
12. Le curriculum renvoie à tout
ce qui est enseigné, et appris, que ce soit intentionnellement ou
non, dans un contexte éducatif. Il englobe le curriculum
officiel, qui donne des orientations plus ou moins rigides
et précise généralement le contenu de chaque matière, le temps d’enseignement
qui lui est alloué, les objectifs d’apprentissage, les méthodes
pédagogiques possibles et l’évaluation. Les enseignants interprètent
le curriculum officiel pour adapter et planifier leurs propres cours;
c’est pourquoi le curriculum vécu ou
appris diffère du curriculum officiel. Ce dernier, à ses différents
niveaux de mise en œuvre, n’est pas neutre,
et il constitue l’un des principaux moyens de maintenir la répartition
existante du pouvoir dans la société. La mise en œuvre des décisions
relatives au curriculum affecte le contexte dans lequel l’apprentissage
a lieu, c’est-à-dire la salle de classe, celles-ci portant sur les
comportements encouragés et les valeurs à transmettre par l’intermédiaire
de l’autorité de l’enseignant, les matériels didactiques sélectionnés,
les règles régissant les différentes relations, etc.
13. Le
curriculum caché,
quant à lui, désigne l’ensemble des cours, valeurs, comportements
et perspectives non écrits et non officiels que les apprenants acquièrent
de façon non intentionnelle à l’école, et qui les influencent au-delà
du curriculum officiel et des activités pédagogiques. Il existe
un troisième type de curriculum, le
curriculum
nul, qui renvoie à ce qui
n’est
pas enseigné en classe, intentionnellement ou non; de fait,
il n’est pas possible de tout enseigner à l’école. Le curriculum
nul est plus évident que le curriculum caché; il sous-tend, par
exemple, la récente adoption, par le Comité des Ministres du Conseil
de l’Europe, de la toute première Recommandation
appelant les 47 États membres de
l’Organisation à inclure l’enseignement de l’histoire des Roms et/ou
des Gens du voyage dans les curriculums scolaires et les matériels
pédagogiques.
14. Un curriculum implique nécessairement une sélection, celle-ci
devant néanmoins être pertinente pour les expériences éducatives
et sociales des apprenants. En excluant certaines choses du curriculum,
on envoie implicitement deux messages aux apprenants: un qui montre
ce qui n’est pas important, et l’autre, qui montre ce qui doit être
valorisé.
3.1.2. La
spécificité de l’histoire en tant que discipline
15. Il n’existe pas de consensus
européen sur la manière dont les programmes d’histoire devraient
être structurés, aussi plusieurs cadres de programmes d’études sont-ils
en vigueur. Quels que soient les critères sur lesquels se fonde
le programme, il est souvent surchargé. Il en va de même pour ce
qui est du nombre d’heures allouées à l’enseignement de l’histoire,
des approches pédagogiques, de l’utilisation – rare ou excessive
– des manuels scolaires et du degré d’autonomie ou de la confiance
accordés aux enseignants. La surcharge des programmes empêche d’aborder
en profondeur certains sujets et, en particulier, entrave la pleine
acquisition de compétences de réflexion analytique et critique,
la multiperspectivité, etc.
16. Cela étant, les décisions relatives au contenu du curriculum
d’histoire découlent de la répartition du pouvoir dans la société
– une structure complexe, dynamique et hétérogène
. L’examen du contenu que
les apprenants se voient proposer à l’école (
quels éléments de l’histoire, et l’histoire
de qui?) confirme ce qui a été sélectionné
et inclus dans le curriculum, ces éléments variant en fonction des
événements définis comme
d’importance historique – par exemple, les faits
considérés comme fondateurs d’une nation, ou ceux qui ont entraîné
des changements importants et durables pour de nombreuses personnes.
La nature des événements d’importance historique retenus a changé:
si, autrefois, on se concentrait sur des récits unilatéraux des prouesses
politiques, militaires et économiques d’une nation, qui venaient
alimenter les grands récits historiques, aujourd’hui, la sélection
s’est élargie à une meilleure compréhension des actions individuelles
ou collectives passées qui ont apporté un changement dans le monde,
comme l’action de groupes particuliers dans l’abolition de l’esclavage,
l’émancipation des femmes ou l’élargissement du droit de vote. Telles
sont les caractéristiques générales des curriculums d’histoire,
néanmoins marqués par des variations et par une certaine opposition,
que ce soit la part des éducateurs, des parents, des enseignants
ou des acteurs politiques, dont les médias, et plus particulièrement,
les réseaux sociaux, se sont largement fait l’écho.
17. L’histoire en tant que discipline n’est pas comparable aux
mathématiques, aux sciences ou aux langues étant donné qu’il n’existe
pas de plan d’apprentissage clairement défini pour cette matière.
Toutefois, il existe des modèles de progression pour l’apprentissage
de l’histoire, et la familiarisation avec les différents modèles et
l’examen de ces derniers devraient faire partie de la formation
professionnelle des enseignants d’histoire.
18. De nos jours, l’apprentissage de l’histoire est considéré
comme une tâche complexe, plus difficile que ce que l’on pensait
auparavant. Il implique l’acquisition et l’utilisation d’un ensemble
de stratégies cognitives spécifiques à ce domaine, qui permettent
d’apprendre et de comprendre le passé – un processus appelé
pensée historique, fondé sur l’idée
que l’histoire est essentiellement une
discipline
interprétative. S’il est généralement admis que les apprenants
étudient l’histoire pour découvrir et comprendre le monde dans lequel ils
vivent, ainsi que les forces, mouvements et événements qui l’ont
façonné, l’enseignement de cette matière à l’école ne les aide pas
toujours à comprendre les processus du changement dans le temps
et
la manière dont ils se rapportent
à eux .
19. À l’heure actuelle, grâce aux travaux menés par des associations
d’enseignants d’histoire, notamment EuroClio, et à la diffusion
rapide de l’information permise par les technologies numériques,
l’enseignement de l’histoire repose dans de nombreux instituts de
formation des enseignants et établissements scolaires européens
sur une approche solide, conçue dans le cadre du
Projet de la pensée historique . Ce projet, qui a une influence
considérable en Europe, offre aux enseignants une base conceptuelle
commune. Il reste néanmoins encore beaucoup à faire pour parvenir
à un ensemble cohérent, qui profiterait tant aux apprenants qu’aux
enseignants, notamment en ce qui concerne la formation continue
(la génération actuelle d’enseignants avançant en âge), la révision
des curriculums trop chargés et les méthodes d’évaluation.
20. Le Projet de la pensée historique a été conçu dans le but
de proposer une nouvelle approche de l’enseignement de l'histoire,
qui aurait le potentiel de transformer la façon dont les enseignants
enseignent et les élèves apprennent, et ce, en tenant compte des
résultats des recherches internationales les plus récentes sur l’apprentissage
de l’histoire. L’approche ainsi conçue repose sur l’idée que la
pensée historique est essentielle à l’enseignement de l’histoire,
tout comme la pensée scientifique est au cœur de l’enseignement des
sciences et la pensée mathématique au cœur de l’enseignement des
mathématiques, et que les élèves devraient devenir de meilleurs
penseurs historiques à mesure qu’ils progressent dans leur scolarité.
21. Le projet a notamment consisté à élaborer un cadre conceptuel
permettant de communiquer des idées complexes à un public aussi
vaste que diversifié d’utilisateurs potentiels. Six principes de
la pensée historique ont ainsi été définis, à savoir: établir la
pertinence historique; utiliser des sources primaires; définir la
continuité et le changement; analyser les causes et les conséquences;
adopter une perspective historique; comprendre la dimension éthique
des interprétations historiques.
22. Ensemble, ces principes relient la «pensée historique» à des
compétences associées à la «connaissance historique». Dans ce cas,
on entend par «connaissance historique» l’acquisition d’une compréhension
plus approfondie des événements et des processus historiques grâce
à une étude active des textes.
23. Lorsque l’on a une bonne connaissance de l’histoire, on sait
comment évaluer la légitimité de diverses affirmations, telles que «l’Holocauste
n’a pas eu lieu», ou «l’esclavage n’a pas eu les conséquences néfastes que
l’on dit pour les Afro-Américains». On détient les outils nécessaires
pour participer à ces débats. On peut interroger les sources historiques.
On sait qu’un film historique peut sembler «réaliste», sans être
exact. La pertinence de l’histoire implique un jugement éthique.
Les leçons que nous tirons du passé peuvent nous aider à faire face
aux enjeux éthiques d’aujourd’hui.
24. Apprendre à réfléchir historiquement en utilisant ces concepts
n’est pas chose aisée, car les mystères du passé sont difficiles
à percer depuis le présent, les éléments de preuve sont souvent
rares et toute tentative de construire une succession d’événements
repose sur un lien nécessaire entre une réalité ancienne et des interprétations
actuelles de cette réalité. Toutefois, ce lien est contestable parce
qu’il n’existe aucune méthode permettant de rejouer cette ancienne
réalité pour établir pleinement l’exactitude d’une interprétation contemporaine.
Pour apprendre à utiliser les stratégies de la pensée historique
qui permettent de comprendre le passé, il est nécessaire de cultiver
un certain nombre de processus cognitifs qui vont à l’encontre de
nos intuitions
. C’est pour cette même raison que
l’enseignement de l’histoire englobe l’acquisition de la tolérance de
l’ambiguïté, et notamment de l’idée qu’il n’est pas possible d’établir
des faits historiques de façon absolument certaine, et de compétences
de réflexion analytique et critique face aux sources historiques,
ainsi qu’une compréhension plus approfondie des termes et concepts
difficiles tels que la post-vérité, les faits alternatifs ou les
réalités parallèles, afin de renforcer la résistance à la désinformation.
25. L’enseignement de l’histoire apporte les réponses nécessaires
pour comprendre le présent en faisant preuve d’esprit critique,
dans la mesure où il attire l’attention sur le fait que tout événement
du passé doit être interprété dans son contexte historique et que
l’interprétation du passé est sujette à débat. Les processus de réflexion
et les compétences acquis grâce à l’étude de l’histoire constituent
un socle de raisonnement réutilisable dans toutes les autres matières.
Ils reposent sur des faits avérés et intègrent une dimension éthique:
les apprenants sont censés tirer des leçons du passé, qui les aident
à faire face aux enjeux éthiques d’aujourd’hui. Qui plus est, l’enseignement
de l’histoire leur confère un sentiment de citoyenneté et leur rappelle
les questions qu’il convient de se poser, en particulier à l’égard
des preuves. Ainsi, la connaissance de l’histoire et la compréhension
critique des systèmes politiques, sociaux, culturels et économiques
rejoignent la culture de la démocratie nécessaire à une citoyenneté
active et préparent les apprenants à la démocratie, c’est-à-dire
à participer à une société démocratique, y compris dans les domaines
de la politique, des médias, de la société civile, de l’économie
et du droit. Ainsi, l’enseignement de l’histoire et l’éducation
à la citoyenneté démocratique sont deux matières étroitement liées,
mais pas interchangeables. Tandis que l’enseignement de l’histoire
à l’école peut contribuer à l’éducation à la citoyenneté, l’éducation
à la citoyenneté ne repose pas nécessairement sur les normes, processus
ou raisonnements appliqués en histoire, ou ne contribue pas nécessairement
à les renforcer
. En fait, les
méthodes mises en œuvre dans l’enseignement de l’histoire permettent
aux apprenants de relever les défis politiques, culturels et sociaux
d’aujourd’hui, car elles renforcent la capacité à interroger des
récits différents, voire contradictoires, en exigeant que les arguments
soient étayés par des preuves et en reconnaissant que tant les interprétations
des historiens que les leurs peuvent évoluer à la lumière de nouveaux
éléments de preuve.
3.1.3. Des
curriculums d’histoire souples
26. Dans la mesure où son contenu
est déterminé et où il encourage l’adoption d’une approche pédagogique
centrée sur l’apprenant, l’enseignement de l’histoire contribue
considérablement à favoriser l’inclusion et la cohésion sociales
– une dimension qui doit être prise en compte.
27. Un curriculum d’histoire souple doit avant tout chercher à
éviter la surcharge et l’obsolescence des programmes, à répondre
aux besoins des apprenants et à revoir l’approche pédagogique utilisée
en histoire. L’apprentissage souple est centré sur l’apprenant;
il favorise l’indépendance et l’autonomie des apprenants et les
prépare à vivre dans une société en mutation rapide. Il a pour but
de leur permettre de se prendre en charge en leur confiant davantage
les rênes de leur apprentissage – en d’autres termes, de favoriser
la réussite et les progrès des apprenants, plutôt que de les limiter.
Un curriculum souple est un curriculum fondé sur les compétences.
28. Toutefois, ce type de curriculum doit également prévoir les
questions relatives à l’évaluation. C’est là une tâche complexe,
les systèmes éducatifs établissant généralement un lien entre apprentissage
de l’histoire et performance. Ce qu’il est généralement demandé
aux enseignants de mesurer lorsqu’ils notent les apprenants, c’est
la performance de ces derniers, mais la performance est-elle automatiquement
synonyme d’apprentissage? Qu’est-ce que la performance en cours
d’histoire? Renvoie-t-elle à la capacité de mémorisation d’un apprenant?
Un apprentissage considérable peut s’opérer sans nécessairement
donner lieu à des changements perceptibles dans la performance;
à l’inverse, on peut constater une amélioration de la performance
sans résultats en termes d’apprentissage
. L’apprentissage peut toutefois se
déduire de la performance, de manière indirecte. C’est pourquoi
les modèles de progression sont des outils importants pour faciliter
les déductions des enseignants sur la progression des apprenants
d’histoire.
29. L’introduction récente de curriculums souples au Portugal,
évaluée positivement par l’OCDE
, a permis d’établir que (a) le fait
de donner davantage d’autonomie, de responsabilités et de possibilités
de faire des choix aux apprenants, aux enseignants et aux chefs
d’établissements scolaires favorise le changement, tant dans les
états d’esprit que dans les comportements, ainsi que la prise en
compte de la diversité, l’innovation et la personnalisation, éliminant
ainsi les obstacles à l’accès à l’éducation; (b) le fait de permettre
aux écoles et aux enseignants d’adopter des approches interdisciplinaires
et de créer des opportunités d’apprentissage améliore la qualité
des expériences pour les apprenants et rend l’apprentissage plus
accessible et plus pertinent pour un plus grand nombre d’entre eux,
donnant ainsi naissance à des écoles plus inclusives; et (c) que
le fait d’accorder aux établissements scolaires une autonomie pouvant
représenter jusqu’à 25% du volume horaire hebdomadaire prévu par
le curriculum leur permet de décider de la meilleure façon d’organiser
le temps d’enseignement en fonction de leur contexte et des plans
stratégiques élaborés pour répondre aux besoins et aspirations des
apprenants.
30. Ces vingt dernières années, les systèmes éducatifs européens
ont largement adopté des approches fondées sur les compétences,
se détournant des très traditionnels curriculums fondés sur les
connaissances (connaissances déclaratives). Parallèlement, le Conseil
de l’Europe a mis au point un
Cadre
de référence des compétences pour une culture de la démocratie, qui repose sur les principes communs aux sociétés démocratiques
et qui s’applique à tous les domaines et niveaux de l’éducation,
définissant 20 compétences regroupées sous quatre piliers (les valeurs,
les attitudes, les aptitudes et la connaissance et la compréhension critique).
Ce Cadre encourage le développement de sociétés ouvertes, tolérantes,
et plurielles, et l’enseignement de l’histoire a un rôle important
à jouer pour atteindre cet objectif si le contenu de l’enseignement
(quelle histoire, et celle de qui), la manière dont ce contenu est
dispensé et la qualité des ressources disponibles le permettent.
31. Le Cadre conçoit le curriculum comme un plan d’apprentissage,
au centre duquel se trouvent l’apprenant et l’apprentissage. Par
conséquent, l’importance et la valeur de curriculums d’histoire
souples résident dans leur potentiel à inclure et à reconnaître
les différences culturelles et à intégrer et comprendre les changements
systémiques de la société, pour permettre aux apprenants de développer
un sentiment d’appartenance à leur communauté scolaire
et
d’apporter à leur tour une contribution positive à cette même communauté,
et, plus tard, aux sociétés démocratiques dans lesquelles ils vivront.
32. Les curriculums souples et les approches pédagogiques interactives
tenant compte de la diversité socio-culturelle permettent aux jeunes
d’identifier leurs points forts et leurs centres d’intérêts et d’acquérir
les perspectives interdisciplinaires nécessaires pour faire face
aux divers problèmes qui se posent dans la société, tels que les
stéréotypes fondés sur le genre, l’appartenance ethnique, la langue
ou le statut social. En fait, un curriculum qui ne reflète que l’histoire
et la culture du groupe dominant dans la société oblige les apprenants issus
des groupes minoritaires à suivre un curriculum qui peut leur sembler
non pertinent pour eux, voire offensant; c’est pourquoi il est important
de réfléchir aux pratiques et messages implicites du curriculum. Soulignons
que ce type de curriculum prive également les apprenants issus du
groupe majoritaire de la possibilité de découvrir l’histoire et
la culture d’autres groupes.
3.2. Préparer
les apprenants à la démocratie en leur enseignant son histoire complexe
33. L’enseignement de l’histoire
permet aux apprenants de comprendre et d’acquérir les valeurs démocratiques
en favorisant l’analyse et la compréhension critique des luttes
historiques pour la démocratie et la liberté, ou de la construction
des institutions et valeurs démocratiques. En outre, l’enseignement
et l’apprentissage de l’histoire se déroulent dans une salle de
classe où les élèves participent à la prise de décision, pratiquent
l’apprentissage collaboratif, expriment leurs points de vue et interprétations,
écoutent des prises de position différentes, énoncées de manière
argumentée et respectueuse, et apprennent à participer aux discussions
de la classe – en d’autres termes, ils apprennent par le biais de
la démocratie, acquérant des comportements conformes aux valeurs
et attitudes démocratiques. Ainsi, l’enseignement de l’histoire
joue un rôle fondamental dans la mesure où il prépare les apprenants
à la démocratie en leur donnant les moyens de participer de façon
autonome à cette dernière et au dialogue interculturel.
34. La préparation à la démocratie dans le cadre des cours d’histoire
suppose de reconnaître le fait que les curriculums monoculturels
faisaient partie d’un modèle culturel dominant qui considérait la
différence comme dangereuse et source de clivages. L’enseignement
de l’histoire ne devrait pas faire abstraction de la diversité existante
de toute société, ni se limiter au récit national qui coïncide avec
l’histoire de la communauté linguistique et culturelle dominante,
ou la plus importante en taille. Il convient d’aider tous les apprenants
à comprendre les différentes façons dont les gens issus de diverses
cultures et communautés ont contribué au progrès dans le passé,
aux niveaux local, national et mondial.
3.3. Identifier
des thèmes historiques communs en Europe, depuis des perspectives
similaires ou différentes
«De
plus en plus d’individus, en particulier parmi les jeunes générations,
ont plusieurs affiliations culturelles à exploiter, mais aussi à
gérer, au quotidien. Leur «identité composite» ne peut plus être limitée
à une «identité collective» liée à un groupe ethnique ou religieux
particulier.»
35. Il semble de plus en plus difficile
d’identifier des thèmes historiques communs en Europe à inclure
dans le curriculum d’histoire de tous les États membres du Conseil
de l’Europe. En 2014, à l’occasion du 60e anniversaire de la Convention
culturelle européenne, le Conseil de l’Europe a publié un livre
électronique intitulé
Histoires partagées
pour une Europe sans clivages , produit final d’un projet intergouvernemental
de quatre ans qui était axé sur des événements de l’histoire européenne
ayant marqué de leur empreinte toute la région européenne
.
Cet ouvrage met l’accent sur les expériences partagées, explorant
l’idée que «votre histoire est aussi notre histoire, tout comme
notre histoire est aussi celle de l’autre
.»
L’approche adoptée a permis de déconstruire les stéréotypes, les
mythes autour de l’identité et les visions négatives de l’autre,
ainsi que d’aborder l’histoire dans toute sa complexité, prenant
en compte toutes les dimensions des événements historiques, toutes
les interférences, les convergences et les conflits, et en favorisant
une interaction dialectique entre tous les éléments entrant en jeu
dans un événement historique donné.
36. Plutôt que de tenter de traiter l’histoire de façon exhaustive,
il peut être plus utile de se concentrer sur une sélection de thèmes
susceptibles de concerner le plus grand nombre possible d’États
membres et de répondre aux besoins des jeunes de comprendre le monde
dans lequel ils vivent, ainsi que les forces, mouvements et événements
qui l’ont façonné – comme l’impact de la révolution industrielle,
l’évolution de l’éducation, l’histoire complexe de la démocratie,
les droits de l’homme dans l’histoire de l’art, l’Europe et le monde,
qui sont des thèmes développés dans le projet Histoires partagées,
ou d’autres thèmes, tels que la Guerre froide, la décolonisation
et les sociétés post-coloniales, les révolutions, la démocratie,
le genre, les migrations, etc. Il est essentiel de comprendre que
l’apprentissage de l’histoire, dans la mesure où il fait appel à
des compétences de réflexion analytique et critique, offre une base
d’apprentissage unique, stimulante et interdisciplinaire, fournissant
aux apprenants des outils qui serviront tout au long de leur vie
pour évoluer au sein des sociétés démocratiques contemporaines.
37. L’un des principaux obstacles qui s’opposent à une utilisation
plus généralisée des publications et outils mis au point par le
Conseil de l’Europe est la langue. Si les pratiques et études motivantes
étaient disponibles dans plusieurs langues, elles auraient davantage
d’impact. Naturellement, chaque enseignant y puise des éléments
différents: certains recherchent plutôt des sources, d’autres, des
méthodes d’enseignement et d’apprentissage différentes. Toutefois,
les possibilités sont souvent limitées par le temps prévu dans le curriculum,
tant pour l’enseignement que pour la préparation de cours adaptés
aux méthodes d’évaluation.
38. Les histoires partagées peuvent être abordées depuis des perspectives
différentes ou similaires, selon que les apprenants examinent des
ressources, mentalités ou géographies différentes ou similaires
en lien avec le thème partagé pour penser historiquement, parvenir
à des interprétations et partager leurs conclusions. Les histoires
partagées tiennent compte des identités plurielles des jeunes d’aujourd’hui
et se prêtent à la fois aux approches interdisciplinaires et à l’apprentissage
par projets.
39. L’apprentissage interdisciplinaire désigne le fait d’étudier
un contenu ou de résoudre un problème en associant au moins deux
disciplines et en s’appuyant sur des informations issues de différents
domaines. Il s’inscrit dans une approche holistique qui aide les
jeunes à avoir une vision globale et nécessite une collaboration
étroite entre les enseignants pour créer une meilleure expérience
d’apprentissage, plus intégrée, pour les apprenants. L’apprentissage
interdisciplinaire est adapté aux curriculums souples.
40. Le travail fondé sur des projets, ou l’apprentissage par projets,
est une approche pédagogique particulièrement propice au développement
de compétences en histoire et de compétences pour une culture de
la démocratie en ce qu’elle favorise l’acquisition d’un ensemble
d’attitudes, de compétences, de connaissances et d’une réflexion
critique, et qu’elle contribue au développement de certaines valeurs.
Ce type d’apprentissage peut être utilisé non seulement pour étudier
un thème spécifique en histoire, mais aussi dans le cadre d’une
approche interdisciplinaire.
3.4. Évaluation
des sources historiques
«La
question la plus importante à laquelle les jeunes sont confrontés
aujourd’hui, ce n’est pas de savoir comment trouver l’information.
Google a fait un travail remarquable à cet égard. Nous sommes bombardés
par tout un fatras d’informations. La véritable question qui se
pose, c’est de savoir si, une fois trouvée, l’information doit être
considérée comme crédible. Selon certaines études récentes, les jeunes
ne s’en sortent pas si bien que ça dans ce domaine. La première
chose que nous apprend l’étude de l’histoire, c’est qu’il n’existe
pas d’information libre de toute attache, hors-sol. L’information
vient de quelque part.»
41. Les événements passés ont eu
lieu dans le passé et ne se répéteront pas. De ces événements, il
reste bon nombre de documents historiques, dont seuls quelques-uns
nous sont révélés par les travaux des historiens. L’histoire écrite,
ou historiographie, ne couvre qu’une très petite fraction du passé.
42. Les êtres humains sont doués de la capacité à penser vers
le passé et vers l’avenir; «la conscience historique est définie
comme étant la compréhension de la temporalité de l’expérience historique,
c’est-à-dire que le passé, le présent et l’avenir sont pensés comme
étant reliés entre eux de manière à produire une connaissance historique
.» Ce dialogue permanent entre les
trois dimensions du temps repose sur l’apport de nombreuses sources
et, généralement, «fait référence à la fois à la façon dont les
gens s’orientent dans le temps et à la manière dont ils sont liés
par les contextes historiques et culturels qui façonnent leur sens
de la temporalité et la mémoire collective.
»
43. L’enseignement de l’histoire permet d’organiser différentes
informations et de les traiter de manière systématique, de préparer
les apprenants à comprendre la nature de la connaissance historique,
le fait que cette dernière résulte d’une construction, ainsi que
les transformations que cette connaissance subit sous l’action de
générations successives instaurant différents dialogues avec les
trois dimensions du temps. Les jeunes apprennent également à distinguer
les faits des souvenirs, des interprétations ou des perspectives
et, surtout, à détecter la propagande. L’enseignement de l’histoire
contribue de ce fait à la citoyenneté démocratique. En posant des
questions fondamentales, l’enseignement de l’histoire présente aux
apprenants des modèles de citoyenneté positive et responsable, facilite
l’apprentissage à partir des erreurs commises par d’autres et améliore
la compréhension critique du changement et de l’évolution de la
société.
44. Le développement rapide des technologies de l’information
et de la communication a mondialisé l’information, la communication
et les connaissances, et l’essor des réseaux sociaux a considérablement
accru la quantité d’informations numériques disponibles. Les plateformes
médiatiques en ligne et les réseaux sociaux, en particulier, façonnent
la perception de la réalité et la vision du monde des apprenants:
les jeunes constituent l’un des groupes les plus vulnérables, car
ils sont touchés de manière disproportionnée par les nouvelles technologies.
45. Si les conséquences historiques des rumeurs et des contenus
forgés de toutes pièces sont bien documentées, nous sommes aujourd’hui
confrontés à des phénomènes nouveaux, tels que la pollution de l’information
à l’échelle mondiale, l’existence d’un ensemble complexe de motivations
entraînant la création, la diffusion et la consommation de ces messages
pollués, l’émergence d’une multitude de types de contenus et de
techniques permettant de les amplifier, l’apparition d’innombrables
plateformes hébergeant et reproduisant ces contenus, et des vitesses
de communication fulgurantes entre des internautes partageant les
mêmes idées
. Soulignons que
les images sont des formes de communication parfois bien plus convaincantes
que d’autres, ce qui peut en faire des vecteurs de désinformation
et d’information malveillante beaucoup plus puissants. Il est donc
important d’aider les apprenants à comprendre de façon critique
et à déconstruire les messages véhiculés par les ressources visuelles,
ainsi que la force de conviction et de manipulation de ces images.
La façon dont les jeunes comprennent les images est fondamentalement
différente de celles dont ils perçoivent un texte.
46. Pour bien naviguer parmi les océans des documents numériques
visuels et écrits, les apprenants font appel à la boîte à outils
de l’historien. Ils utilisent leur capacité d’analyse et leur esprit
critique afin d’évaluer et d’interpréter les sources et de trouver,
comprendre, sélectionner et utiliser des informations historiques importantes,
avant de se forger une opinion éclairée:
- si les apprenants sont capables d’apprécier l’intention,
l’utilité, la fiabilité et la crédibilité des informations, ils
sont moins influençables et moins aisément manipulables lorsqu’ils
examinent des sources et des interprétations historiques;
- l’utilisation de sources diverses et contradictoires montre
que les interprétations historiques ne sont pas définitives et sont
susceptibles d’être revues, ce qui constitue une garantie essentielle
contre le détournement de l’histoire. Cela permet de ne pas accepter
trop rapidement les récits qui cherchent à promouvoir des idées
caractérisées par l’intolérance, ultranationalistes, xénophobes
ou racistes;
- du fait de l’accessibilité plus importante des sources
visuelles, il est particulièrement nécessaire que les apprenants
soient capables d’exercer un esprit critique lorsqu’ils décryptent
une photographie, un documentaire ou une vidéo, afin de faire la
part des choses entre l’aspect explicite et l’aspect implicite du
contenu – ce que montre(nt) l’image (les images), et le message
que souhaite faire passer l’auteur;
- les apprenants portent des jugements, en distinguant la
dimension historique (qu’est-ce que cela nous dit sur la réalité
des faits?) de la dimension éthique (est-ce là une avancée positive?).
3.5. La
multiperspectivité dans l’enseignement de l’histoire
47. Dans le contexte de l’enseignement
de l’histoire, la notion de multiperspectivité fait épistémologiquement
référence au concept
d’histoire interprétative
et subjective, caractérisé moins par une représentation
objective de l’histoire dans un unique récit «fermé» que par la
coexistence de récits multiples portant sur des événements historiques
particuliers
. Une telle approche interprétative
de l’enseignement de l’histoire devrait aller au-delà du relativisme,
en apprenant aux jeunes à évaluer et comparer la validité de récits de
différentes natures à l’aide de critères propres à la discipline.
À mesure que les sociétés accroissent leur diversité ethnique et
culturelle, la prise en compte de différentes perspectives est un
moyen précieux et nécessaire offert aux apprenants pour accéder
à une compréhension mutuelle des différentes cultures et devenir
des citoyens responsables dans une société démocratique
.
48. La multiperspectivité, tout comme l’analyse des sources, est
un aspect essentiel de la compréhension de la dimension historique
de tout événement. Les récits historiques sont tous provisoires;
il est très exceptionnel de disposer d’une version unique et exacte
d’un événement historique. Ainsi, la multiperspectivité suppose
également d’établir une distinction entre faits et opinions et de
comprendre qu’il n’existe pas de vérité historique universelle,
mais qu’un événement donné se prête au contraire à une diversité
d’interprétations. Un même événement historique peut se décrire
et s’expliquer de différentes manières, en fonction des points de vue,
tels celui de l’historien, de l’homme politique, du journaliste,
du producteur de télévision, du témoin oculaire, etc.
49. Bien que l’on attire de plus en plus l’attention sur le caractère
essentiel de la multiperspectivité, des études montrent que la coexistence
de perspectives multiples n’a rien de simple pour de nombreux enseignants
d’histoire
.
De fait, ils doivent avoir une fine connaissance de leur discipline,
mais disposent d’un accès aux ressources et d’un temps limités,
doivent composer avec des curriculums surchargés et préparer les
apprenants aux examens. Il est toutefois important qu’ils intègrent
une approche fondée sur la multiplicité des perspectives, propre
à donner aux apprenants les moyens de se confronter à des points
de vue différents pour mieux comprendre les problèmes, d’aiguiser
leur esprit critique et de ressentir de l’empathie pour les contemporains
de l’époque étudiée. Pour leur faire travailler l’empathie, ils
peuvent par exemple demander aux jeunes de comparer et de faire
contraster deux ou plusieurs perspectives par rapport à un événement historique
donné, et les inviter à identifier les raisons probables qui sous-tendent
les points de vue présentés dans les différentes sources. Il est
essentiel que les apprenants expliquent et justifient leurs décisions:
ils doivent être en mesure d’exposer leur raisonnement historique
sur les liens de cause à effet et les motifs.
3.6. Faut-il
inclure les aspects difficiles de l’histoire dans les curriculums?
50. Même si les questions sensibles
sont absentes du curriculum, la controverse peut surgir inopinément lors
d’un cours. Lorsque les apprenants ont l’habitude d’appliquer la
méthode de l’enquête historique, la controverse est la bienvenue,
car elle est de nature à favoriser leur capacité à aborder le passé
ou toute autre question de manière objective. Dans la mesure où
elle est mobilisatrice et stimulante, les jeunes apprennent en débattant
activement et en s’efforçant de formuler de manière intelligible
leurs questions et leurs doutes à propos du sujet étudié.
51. L’inclusion de questions controversées et sensibles dans les
cours d’histoire renforce la culture de la démocratie, car la compréhension
critique de la controverse favorise le respect de la pluralité des
opinions, tandis que l’acceptation du désaccord crée des conditions
propices à la tolérance de l’ambiguïté et confirme que l’hétérogénéité
fait partie intégrante du monde dans lequel nous vivons.
52. En fait,
la façon d’organiser
l’expérience d’apprentissage que permet l’étude de ces questions
est un facteur essentiel de la réussite de cette expérience. L’apprentissage
n’est pas une activité passive: lorsqu’un jeune apprend, il établit
un lien entre la nouvelle information et ses acquis. L’adoption
d’approches méthodologiques promouvant la distanciation pour aborder
les questions controversées donne à chaque élève la possibilité
de prendre individuellement part à la discussion, et à la classe
de parvenir collectivement à une nouvelle compréhension du sujet
du débat; il s’agit d’un processus holistique complexe, qui consiste
à faire surgir de la discussion une interprétation individuelle
et collective et qui développe les dimensions
cognitive, émotionnelle
et sociale de l’apprentissage
.
53. Cette forme d’apprentissage revêt une importance toute particulière
pour l’étude du passé le plus récent et sa mise en relation avec
des événements actuels et des préoccupations contemporaines, car
elle donne aux apprenants l’occasion de réfléchir à leurs propres
appartenances, à leurs intérêts et identités multiples, de reconnaître
qu’il est possible à la fois de faire partie et de ne pas faire
partie de quelque chose et que leurs propres convictions sont susceptibles
d’être contradictoires et d’évoluer. La prise de conscience de préjugés et
stéréotypes personnels, de leur ancrage possible dans les schémas
de pensée et de leur transmission d’une génération à l’autre contribue
à l’identification par l’apprenant des mythes et partis pris, et
favorise la tolérance au sein de la classe.
54. Les compétences et l’état d’esprit nécessaires à la fois pour
comprendre l’histoire et s’engager, à l’avenir, dans une démocratie
participative ne peuvent s’acquérir par le biais d’approches pédagogiques
qui cantonnent l’apprenant à un simple rôle de récepteur passif
de connaissances. Cet apprentissage requiert des stratégies plus
dynamiques, qui soient indépendantes, actives et interactives, qui
fassent participer les apprenants et qui les invitent à réfléchir
à ce qu’ils sont en train de faire.
55. Il est fondamental que les discussions se déroulent dans des
environnements favorables . Le traitement
de questions sensibles et controversées nécessite le maintien d’un
climat dans lequel tous les apprenants, même ceux qui appartiennent
à des groupes minoritaires, se sentent en confiance et en sécurité pour
exprimer leur point de vue. La discussion doit être gérée de manière
à promouvoir un dialogue contrôlé et éclairé, et une interaction
respectueuse.
3.7. Enseignant·e
d’histoire: un métier dangereux?
56. L’histoire est une discipline
riche, pleine de rebondissements, qui peut susciter une réflexion
profonde et complexe, et qui, par conséquent, ne peut se résumer
à l’apprentissage d’une suite de dates et de faits. Elle a pour
objectif d’amener les apprenants à acquérir un esprit critique et
à se forger une culture qui leur est propre en étudiant l’évolution
de l’homme dans le temps – car on ne peut comprendre le présent
et concevoir l’avenir que si l’on a une compréhension critique des
événements du passé. Cette dimension souligne l’importance de l’histoire
en tant que discipline et que source
de construction de connaissances pour toutes les autres disciplines.
57. S’il est nécessaire d’apprendre les faits historiques pour
pouvoir participer à des débats sur l’histoire, l’enseignement de
cette matière ne se limite pas à un récit unique, en excluant toute
autre interprétation des événements. Le fait de découvrir et d’analyser
différentes perspectives sur des événements passés favorise l’ouverture
à l’altérité culturelle, à d’autres croyances, visions du monde
et pratiques, ainsi que le développement d’un esprit critique, et,
à long terme, l’existence de sociétés plus tolérantes et égalitaires. Toutefois,
même si on ne suit – consciemment ou inconsciemment – aucun programme,
les apprenants se voient souvent présenter des informations historiques
(trop) simplifiées, en raison du temps limité alloué à l’enseignement
de l’histoire, des capacités intellectuelles limitées et/ou liées
à l’âge des apprenants, des connaissances limitées de nombreux enseignants,
et de la croyance encore très ancrée parfois que le rôle des enseignants
consiste essentiellement à préparer les apprenants aux examens.
Il est en outre important de souligner que la conscience non exprimée du fait que le contexte
dans lequel se déroule l’enseignement n’est pas toujours propice
à l’étude de sujets sensibles joue un rôle important dans la détermination
du contenu de l’enseignement, et de la façon dont il est dispensé.
58. Lorsque l’histoire est utilisée à mauvais escient et est présentée
de façon partielle, fallacieuse ou sert d’outil de propagande, elle
ne met pas le passé en valeur, et ne contribue pas non plus au développement
de compétences de réflexion critique et analytique. Cela dit, on
constate dans certaines écoles d’Europe, une ingérence de la part
de la direction de l’école ou des parents, qui remettent en question
le contenu d’un cours, ou les ressources ou méthodes d’apprentissage
choisies par l’enseignant.
59. L’histoire en tant que discipline est particulièrement surveillée,
et, aujourd’hui, les enseignants s’interrogent sur la liberté dont
ils disposent, ou les risques qu’ils courent, lorsqu’ils emploient
certaines méthodes ou sélectionnent certaines sources
.
La situation actuelle est due à un ensemble de choses, à commencer
par le fait que les parents ne comprennent pas la dimension actuelle
de la discipline; ils défendent la
véracité
incontestable de la version partiale qui leur a été enseignée
et exercent une pression sur le conseil d’établissement, ces ingérences
ayant lieu, de façon plus générale, dans une société davantage marquée
par les clivages et la violence, au sein de laquelle les enseignants
deviennent des cibles, que l’on accuse et rend responsables de tout
ce qui va mal.
60. La
Recommandation
1880 (2009) de l’Assemblée «L’enseignement de l’histoire dans les
zones de conflit et de post-conflit» mentionne la nécessité de «soutenir
le changement dans la manière dont ‘l’autre’ est présenté dans les
cours d’histoire. Il intervient dans les questions relatives au
contenu de l’enseignement de l’histoire et à la manière dont elle
est enseignée. Il faut continuer d’investir considérablement dans
le développement des compétences des enseignants, actuels et futurs,
pour les encourager à adopter un programme d’un nouveau style et
de nouvelles façons d’enseigner. Ce processus étant évolutif, il
a des retombées sur les formations initiale et continue des enseignants.»
EuroClio a également travaillé avec les associations locales d’enseignants
d’histoire sur un ensemble de recommandations pour un enseignement responsable
des guerres qui ont fait rage en Yougoslavie et dans les États qui
lui ont succédé
. Cette initiative partant de la base
a été lancée pour renforcer l’enseignement de l’histoire qui vise
à favoriser une compréhension critique des guerres en cultivant
la pensée historique, considérée comme essentielle pour lutter contre
la manipulation et les mythes, ainsi que contre les préjugés et
les stéréotypes qui en découlent. EuroClio (l'Association européenne
des enseignants d’histoire) estime que l’enseignement de l’histoire
doit permettre de changer les choses. Par ailleurs, il convient
de souligner que le Bureau du Haut-Commissaire pour les minorités
nationales de l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe [OSCE/HCNM] reconnaît l’histoire et la mémoire comme une
source potentielle de conflit
.
61. L’enseignement de l’histoire a incontestablement un rôle majeur
à jouer pour faire changer les choses en contribuant à la construction
de sociétés démocratiques durables et résilientes, ainsi qu’à la
réhabilitation des sociétés d’après-conflit. Aussi est-il important
que les enseignants bénéficient de véritables opportunités de formation
professionnelle initiale et continue, car des enseignants performants
sont les ressources les plus précieuses qu’un système éducatif puisse
avoir. Acteurs clés du processus d’apprentissage, ils ont également besoin
de temps et de ressources pour étudier, réfléchir et mettre au point
leurs pratiques.
62. Le fait d’étudier l’histoire spécifique d’un peuple, d’un
pays ou d’un groupe culturel/ethnique ou international est une nécessité
absolue pour le développement cognitif et social des jeunes. Le
contenu des cours d’histoire et les méthodes et matériels pédagogiques
utilisés dans cette matière à l’école ont sérieusement besoin d’être
dépoussiérés pour faire renaître l’intérêt pour cette discipline,
au risque, peut-être de susciter un certain mécontentement.
3.8. Utiliser
les technologie de l’information et de la communication dans l’enseignement
de l’histoire
63. Les technologies de l’information
et de la communication peuvent considérablement soutenir le développement
de la pensée historique et de la compréhension de l’histoire chez
les apprenants, d’une façon qui favorise également l’éducation à
la démocratie et à la diversité. Au-delà du contenu, l’apprentissage reposant
sur les technologies offre la possibilité:
- d’étendre les interactions interculturelles en permettant
aux apprenants de communiquer directement avec des pairs étudiant
dans d’autres écoles, vivant dans d’autres pays ou issus de cultures
différentes;
- de construire et de renforcer l’apprentissage coopératif,
notamment la collaboration internationale, en utilisant des outils
tels que le cloud computing,
la visioconférence, les plateformes en ligne interactives, les wikis
et les blogs;
- de recourir à des simulations et à des jeux éducatifs,
permettant ainsi d’aborder des thèmes qu’il serait pratiquement
impossible d’aborder autrement, ou d’étudier des processus historiques
et décisionnels complexes de façon plus dynamique (les «jeux épistémiques», par exemple, qui
consistent à évaluer la mesure dans laquelle les apprenants sont
capables de raisonner et de procéder comme un professionnel – en
l’occurrence, un historien).
3.9. Combler
l’écart entre l’éducation formelle et l’éducation non formelle
64. Un peu partout en Europe, les
apprenants font des sorties dans des musées, ce qui leur donne la possibilité
d’approfondir certains pans de l’histoire qu’ils ont déjà étudiés
en classe ou de découvrir des thèmes spécifiques que le musée met
en avant à travers une sélection d’objets et essaie de replacer
dans un contexte historique plus large. En général, les animateurs
et les enseignants planifient la visite pour mettre l’accent sur des
aspects spécifiques de l’apprentissage. Dans le cadre des cours
d’histoire, les apprenants peuvent aussi se rendre au parlement
pour assister à une session. Mais ce type d’activité n’a de sens
que s’il a été préparé et étudié en classe au préalable. En Europe,
les enseignants d’histoire ont très souvent recours à des films (qu’ils
diffusent en partie ou en intégralité), à des ressources en ligne,
à des podcasts et à des extraits d’émissions de radio pendant les
cours.
65. En complément des sorties scolaires, il arrive également que
des historiens, des auteurs, des acteurs de différents domaines
liés à l’histoire, à l’art ou à la littérature, ou encore des associations
ou ONG de défense des droits humains, soient invités à participer
aux cours d’histoire et à parler de leur expérience aux apprenants.
Le monde extérieur peut en effet transmettre de puissants messages
d’inclusion et de respect de la diversité aux apprenants. L’ouverture
à l’altérité culturelle et à d’autres croyances, visions du monde
et pratiques les aide à donner un sens au monde dans lequel ils
vivent.
66. Toutefois, ce type d’activité dépend en grande partie de l’enseignant
concerné, de la localisation et du projet pédagogique de l’école,
et il est plus facile à organiser en milieu urbain; les établissements
situés dans des régions plus reculées rencontrent davantage de difficultés
à cet égard.
67. Pour sortir du cadre de l’enseignement de l’histoire à l’école
en s’intéressant aussi au rôle novateur joué par d’autres acteurs,
un partenariat entre le Conseil de l’Europe et la branche portugaise
du Conseil international des musées (ICOM) a été instauré dans le
cadre du projet Histoires partagées pour
une Europe sans clivages. L’objectif était de réunir
des enseignants d’histoire et des animateurs de musée afin de leur permettre
de partager des expériences et des pratiques, de reconnaître la
complémentarité de leurs fonctions et d’identifier des possibilités
de coopération.
3.10. Intégrer
les compétences pour une culture de la démocratie (CCD) à la formation
initiale et continue des enseignants
68. La compréhension critique des
phénomènes historiques facilite le processus d’acquisition des compétences
nécessaires à une culture de la démocratie: l’enseignement de l’histoire
et l’éducation à la citoyenneté se recoupent de manière évidente.
La mise en œuvre, en les adaptant si nécessaire, des approches pédagogiques
relatives aux CCD peut favoriser l’enseignement de l’histoire en
instaurant dans la classe un climat permettant aux jeunes d’étudier
activement des questions d’histoire tout en faisant l’expérience
de la démocratie.
69. Les enseignants doivent être conscients de leur propre perception
du passé, de leurs points de vue, préjugés, stéréotypes et partis
pris, et se montrer transparents à ce sujet; ils doivent également
s’efforcer de créer un environnement inclusif, au sein duquel tous
les apprenants se sentent en confiance et osent dire ce qu’ils pensent
et exprimer leurs désaccords en cas de dialogue difficile. Il est
essentiel qu’ils fassent preuve de souplesse et d’adaptabilité.
Les compétences pour une culture de la démocratie et l’éducation
interculturelle devraient être intégrées à la formation initiale
et continue des enseignants pour les sensibiliser à l’inclusion
et à l’altérité et développer
chez eux les compétences nécessaires pour faire face au désintérêt
et aux réponses inadaptées.
70. L’approche des CCD devrait être appliquée de manière transversale
dans la formation initiale et continue des enseignants. En effet,
la bonne inclusion d’activités pédagogiques qui cherchent à prendre
en compte les valeurs d’une culture de la démocratie et à développer
les attitudes, les compétences et connaissances, et l’esprit critique
nécessaires à cette culture dans l’enseignement de l’histoire dépendra,
en fin de compte, de la capacité des enseignants à inclure les CCD
lors de la conception et du développement d’activités éducatives
adaptées aux besoins de leurs apprenants. L’acquisition et le développement
des CCD ne sont pas un processus linéaire, mais un voyage personnel qui dure toute
la vie, les individus (enseignants comme apprenants) étant sans
cesse confrontés à des contextes nouveaux et différents.
71. L’intégration et l’adaptation du Cadre de référence des compétences
pour une culture de la démocratie relèvent de la responsabilité
des décideurs politiques. L’éducation à la démocratie et à la diversité
est forcément une tâche permanente, qui exige de consacrer des ressources
et un investissement intellectuel appropriés aux établissements
scolaires et aux enseignants.
4. Objectifs
et fonctionnement de l’Observatoire
72. Le 12 novembre 2020, 17 États
membres du Conseil de l’Europe
ont décidé de créer l’Observatoire de
l’enseignement de l’histoire en Europe dans le cadre d’un Accord
partiel élargi.
L’Observatoire est ouvert aux
50 États parties à de la Convention culturelle européenne et offre
la possibilité à d’autres États non membres d’adhérer. Ces prochaines
années, la priorité essentielle sera d’élargir sa composition et
de garantir un meilleur équilibre géographique entre les membres
afin de renforcer la pertinence et la valeur ajoutée des travaux
de l’Observatoire.
73. Le Statut de l’Accord partiel élargi
indique que l’Observatoire a pour
but de promouvoir des pratiques encourageant l’enseignement et l’apprentissage
de l’histoire en vue de renforcer et de promouvoir les valeurs du
Conseil de l’Europe consacrées dans son Statut (STE n° 1). L’Observatoire
a pour mission «de collecter, de traiter et de rendre disponibles
des informations factuelles sur les manières dont l’histoire est
enseignée dans tous les pays de l’accord partiel élargi (APE). À
cet effet, l’Observatoire s’attache notamment à assurer que ses
activités reposent sur une base scientifique et universitaire solide,
tiennent dûment compte de la diversité des systèmes éducatifs dans
les États membres de l’APE et assurent la complémentarité avec les travaux
intergouvernementaux du Conseil de l’Europe en matière d’enseignement
de l’histoire. Il ne vise pas à harmoniser les programmes d’études.»
74. La définition claire du mandat de l’Observatoire, qui exclut
toute volonté d’harmoniser les programmes d’études en Europe, devrait
rassurer les autres États membres du Conseil de l’Europe et les
conduire à reconnaître la valeur ajoutée d’une telle plateforme
d’échange sur les politiques et les méthodologies et à envisager
d’adhérer à l’Accord partiel élargi dans un futur proche. La pertinence
et la crédibilité de l'Observatoire sont assurées par le travail
du Conseil scientifique consultatif qui a été élu pour fournir la
qualité académique, scientifique et méthodologique des travaux de
l'Observatoire. Le Conseil scientifique consultatif garantira que
toutes les informations publiées sont exactes, vérifiées, comparables
et complètes.
75. Le bon fonctionnement de l’Observatoire, initialement créé
pour une période de trois ans, dépendra inévitablement de son budget.
Je soutiens fermement l’argument selon lequel les restrictions budgétaires imposées
dans les États membres en lien avec la pandémie de covid-19 ne devraient
pas ébranler la décision d’assurer le bon fonctionnement de l’Observatoire.
76. Enfin, je pense qu’il serait important de définir plus en
détail la manière exacte dont les activités de l’Observatoire s’articuleront
avec les travaux menés par le Conseil de l’Europe en matière d’enseignement
de l’histoire, auxquels participent 47 États membres, afin de les
renforcer mutuellement. À cet égard, je maintiens fermement que
le budget ordinaire du Conseil de l’Europe devrait permettre de
financer de manière appropriée les activités du Service de l’Éducation
du Conseil de l’Europe relatives à l’enseignement de l’histoire,
afin de garantir la pérennité à long terme du programme intergouvernemental.
5. Participation
de l’Union européenne
77. Il est vraiment encourageant
de voir que l’Union européenne est ouverte et disposée à participer
aux activités de l’Observatoire. Tout en reconnaissant le principe
de subsidiarité et l’indépendance des États membres de l’Union européenne
en ce qui concerne les décisions relatives aux politiques applicables
dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement de l’histoire,
l’Union européenne pourrait jouer un rôle important et inciter ses
États membres à adhérer à l’Accord partiel élargi (Observatoire).
78. L’Union européenne pourrait également contribuer efficacement
aux activités de l’Observatoire et au secteur intergouvernemental
du Conseil de l’Europe; elle pourrait concevoir des dispositifs
appropriés pour le financement de projets de coopération innovants
fondés sur des principes et des lignes directrices établis par le
Conseil de l’Europe.
79. Dans le cadre du programme Erasmus actuel, les étudiants en
histoire (futurs enseignants) pourraient effectuer une partie de
leur formation professionnelle à l’étranger. Je propose également
la création d’un dispositif ad hoc spécifique visant à financer
les échanges professionnels entre les professeurs d’histoire, permettant
également la participation d’enseignants de pays voisins non-membres
de l’Union européenne.
80. Afin de susciter un élan politique, l’Union européenne pourrait
envisager d’introduire dans les critères d’adhésion pour les pays
candidats «La réconciliation mémorielle de l'État candidat avec
ses voisins».
6. Conclusions
81. Contrairement aux mathématiques,
à la science ou aux langues, l’histoire est essentiellement une discipline
interprétative. La pensée historique est
donc au cœur de l’enseignement de l’histoire, qui permet aux élèves
d’acquérir progressivement la capacité d’analyser les faits historiques,
de débattre d’idées complexes sur le passé, et ainsi de mieux comprendre
les enjeux contemporains et de se repérer.
82. En 2018, le Conseil de l’Europe a publié un ensemble de principes
et de lignes directrices pour un enseignement de l’histoire de qualité
au XXIe siècle
, que nous avons poussés plus loin
au chapitre 3 du présent exposé des motifs afin de diffuser ces
dix thèmes essentiels auprès des responsables politiques et de les
inscrire dans le cadre des futurs travaux de l’Observatoire de l’enseignement
de l’histoire en Europe.
83. Premièrement, il semble important d’assouplir les programmes
d’enseignement de l’histoire afin que les enseignants disposent
de plus de temps et d’autonomie et passent progressivement d’un
enseignement fondé sur les connaissances à un enseignement fondé
sur les compétences et centré sur l’apprenant. Selon moi, il est
crucial d’enseigner l’histoire complexe de la démocratie et de développer
les pratiques, les attitudes et les valeurs de la démocratie dans
la classe pour aider les jeunes à les comprendre et à les valoriser
dans leur vie future, lorsqu’ils seront des citoyens actifs. Deuxièmement,
je pense que nous devrions ouvrir une perspective européenne dans
l’enseignement de l’histoire dans nos pays respectifs, en identifiant
des thèmes historiques communs qui pourraient être étudiés sous
des angles similaires ou différents.
84. La multiperspectivité est essentielle pour comprendre les
différents points de vue qui émanent souvent d’un contexte historique
particulier. Lorsqu’ils sont analysés en classe et pris dans leur
ensemble, ils créent une compréhension nuancée et plus profonde
de la dimension historique d’un
événement. Dans nos sociétés de plus en plus diverses, il est indispensable
de connaître la diversité et les interactions culturelles, religieuses et
ethniques afin d’éviter un programme d’études monoculturel. Il est
nécessaire de mettre en place des pédagogies interactives qui reconnaissent
les différences culturelles et les identités multiples des apprenants d’une
classe, afin de créer un environnement sûr et stimulant où les questions
sensibles et controversées peuvent également être abordées. Ces
processus d’apprentissage représentent une première étape vers un dialogue
constructif, le respect et une meilleure compréhension mutuelle
dans le but de dépasser les préjugés et les a priori au sein d’une
société.
85. Les enseignants jouent un rôle majeur dans ces processus.
Ils doivent être soutenus et reconnus au sein des systèmes éducatifs
nationaux. Ils doivent pouvoir bénéficier de possibilités de développement professionnel
et d’échanges (y compris des échanges internationaux), ils doivent
avoir du temps libre et la possibilité d’accéder aux différentes
ressources et orientations pédagogiques, notamment les principes,
les lignes directrices et les méthodologies du Conseil de l’Europe,
qui sont disponibles dans les langues locales. Dans ce contexte,
il est indispensable d’intégrer les compétences pour une culture
de la démocratie dans la formation et le développement professionnel
des enseignants.
86. Afin de soutenir ces nouveaux processus d’apprentissage interactifs,
il convient de renforcer les liens entre l’éducation formelle et
non formelle. Il peut s’agir, par exemple, d’encourager les sorties
scolaires grâce à des partenariats avec les institutions culturelles
(musées, archives, cinémathèque, etc.) et d’inviter des historiens,
des auteurs, des acteurs de différents domaines liés à l’histoire,
à l’art, à la littérature, ou encore des associations ou des ONG
de défense des droits humains, à partager leurs expériences avec
la classe. Les lauréats du prix du Musée du Conseil de l’Europe
et de l’ensemble des Prix Européens
du Musée de l’Année
illustrent la capacité croissante
des musées à créer des programmes de proximité sur mesure avec les
établissements scolaires, à élargir la connaissance et la compréhension
des questions sociétales passées et contemporaines et à explorer
avec les jeunes l’idée de la citoyenneté démocratique.
87. Dans le contexte actuel du virage numérique induit par la
pandémie de covid-19, l’utilisation des technologies de l’information
et de la communication pourrait permettre de consolider l’apprentissage coopératif,
notamment la collaboration internationale avec des jeunes d’autres
établissements scolaires, pays et cultures, grâce à des outils tels
que le cloud computing, la
visioconférence, les plateformes interactives en ligne, les wikis et les blogs.
88. En conclusion, je recommande une coopération plus étroite
avec l’Union européenne en vue de concevoir des programmes adéquats
pour le financement de projets pilotes innovants promouvant un enseignement
de l’histoire de qualité, fondé sur les principes et les lignes
directrices établis par le Conseil de l’Europe. De plus, il convient
de mettre les présentes orientations et les résultats des projets
pilotes à la disposition des professionnels dans les langues locales.
À titre incitatif, je propose également de créer un prix honorifique
ou un label spécial qui pourrait être délivré aux États membres
s’efforçant de mettre en œuvre de telles pratiques innovantes en
matière d’enseignement de l’histoire.