1. Introduction
1.1. Questions
en jeu
1. Les disparitions forcées restent
une pratique criminelle courante encore aujourd’hui dans l’espace géographique
couvert par le Conseil de l’Europe, que ce soit sur le territoire
des États membres ou sur celui des États observateurs. Des milliers
de personnes sont encore portées disparues en Ukraine par suite
des conflits armés dans le Donbass et de l’occupation russe de la
Crimée, de même qu’en Tchétchénie et dans d’autres sujets de la
Fédération de Russie dans la région du Caucase du nord, sur le territoire
de l’ex-Yougoslavie depuis les conflits survenus en Croatie, au
Kosovo*
et en Bosnie-Herzégovine,
ainsi qu’à Chypre, avant mais surtout après l’intervention militaire
turque en 1974. Enfin, les quatre cas de disparitions au Bélarus
examinés par notre ancien collègue et spécialiste des disparitions
forcées, Christos Pourgourides
, restent
toujours impunis.
2. L’incertitude dans laquelle vivent la famille et les proches
des disparus a un impact social, juridique et économique néfaste
sur les proches ainsi que sur l’ensemble des communautés auxquelles
ils appartiennent. Ceci menace la stabilité et empêche une réconciliation
durable entre les parties au conflit, même quand celui-ci a cessé
depuis longtemps.
3. Malgré les efforts de la communauté internationale et de certains
acteurs locaux, force est de constater un manque de coordination
et de coopération entre les pays concernés. De plus, les enquêtes
au niveau national sont souvent closes ou inactives depuis longtemps
. Le passage du temps rend plus difficile,
mais pas impossible l’identification des corps, comme l’ont expliqué
les experts archéologues légistes invités par notre collègue Frank
Schwabe (Allemagne, SOC) dans le cadre de son rapport en préparation
sur la situation dans le Caucase du nord.
4. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme, intégrée dans les Lignes Directrices adoptées par le Comité
des Ministres en 2011
, les États ont une obligation inconditionnelle d’enquêter
sur toutes les allégations sérieuses de violations des articles
2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n°
5) et de sanctionner de telles violations. Or, le rapport du 22
février 2017 du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’Europe met en lumière l’exécution lente et incomplète des nombreux
arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme constatant des
violations «procédurales» de l’article 2 sous forme d’absence d’enquête
sérieuse dans des cas de disparitions forcées dans plusieurs États et
notamment dans la région du Caucase du nord, en Fédération de Russie
.
5. Un nouvel enjeu dans ce domaine est la «disparition» de personnes
vivant dans un État membre du Conseil de l’Europe, souvent bénéficiant
du statut de réfugié politique et qui sont kidnappées par les services spéciaux
d’un État étranger, souvent extra-européen, avec ou sans la collusion
des services du pays hôte. De tels enlèvements (ou «extraditions
extrajudiciaires» en cas de collusion) sont évidemment illégaux
et violent les droits humains. Il conviendra d’évaluer l’ampleur
de ce phénomène et de réfléchir à des propositions visant à éradiquer
de telles pratiques. Ce sera la tâche de notre collègue Christopher
Chope (Royaume-Uni, CE/AD), rapporteur nouvellement élu sur le sujet
de «La répression transnationale, une menace croissante pour l'État de
droit et les droits de l'homme».
6. Depuis les grandes vagues migratoires, en particulier depuis
2015, un autre type de disparition a pris une ampleur inquiétante
– celle de migrants, et notamment de migrants mineurs non accompagnés
par leurs parents. Ces jeunes, souvent envoyés sur des routes difficiles
et dangereuses par leurs familles qui espèrent pouvoir les rejoindre
une fois qu’ils sont accueillis dans les systèmes d’aide aux mineurs
en détresse des États européens, sont une proie facile des trafiquants
d’êtres humains. Nombre d’entre eux disparaissent dans des réseaux
d’esclavage, d’exploitation sexuelle ou même de trafic d’organes.
Sur la base de deux rapports de la commission des migrations, des
réfugiés et des personnes déplacées, l’Assemblée parlementaire s’est
déjà prononcée à ce sujet en 2020, dans sa
Résolution
2324 et sa
Recommandation
2172 (2020) «Disparitions d’enfants réfugiés ou migrants en Europe»
ainsi que dans sa
Résolution
2354 (2020) «Une tutelle efficace pour les enfants migrants non
accompagnés et séparés».
1.2. Travaux
antérieurs de l’Assemblée
7. L’Assemblée a toujours fortement
condamné la disparition forcée, considérant que celle-ci est «une violation
très grave des droits humains, au même titre que la torture et le
meurtre»
. A de nombreuses reprises, elle s’est
montrée extrêmement préoccupée par le nombre élevé de personnes
portées disparues notamment dans certaines régions
. La
Recommandation
1056 (1987) «Réfugiés nationaux et personnes disparues à Chypre»
constate que de nombreux cas de disparitions ayant suivi l’intervention
turque en 1974 n’étaient pas encore résolus. C’est d’ailleurs toujours
le cas, malgré plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits
de l’homme (ci-après «la Cour»)
et
quelques progrès depuis la création du Comité des personnes disparues (CMP)
. La
Résolution
1553 (2007) «Personnes disparues en Arménie, en Azerbaïdjan et en
Géorgie, dans les confits touchant les régions du Haut-Karabakh,
d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud» se penche sur les aspects humanitaires
des disparitions forcées dans les zones de conflit et leur effet
néfaste sur les perspectives de réconciliation durable. En 2013,
l’Assemblée s’est saisie à nouveau de cette question, toujours d’une
triste actualité, dans sa
Résolution
1956 (2013) «Les personnes portées disparues dans les conflits européens:
le long chemin pour trouver des réponses humanitaires». Dans ce
texte, l’Assemblée a formulé cinq priorités pour résoudre le problème
des personnes portées disparues au cours de conflits: (i) placer
les familles concernées au centre de toutes les actions, (ii) développer
une législation nationale appropriée, (iii) obtenir le soutien des mécanismes
nationaux et régionaux, (iv) rendre accessible l’information sur
les personnes disparues, et (v) utiliser des moyens techniques de
pointe pour localiser et identifier les dépouilles humaines des
personnes disparues et enregistrer leurs identités. La
Résolution
2067 (2015) «Les personnes portées disparues pendant le conflit
en Ukraine» s’est alarmée du nombre élevé, et encore croissant,
de disparitions signalées dans les zones d’opérations militaires
de certaines parties des régions ukrainiennes de Donetsk et Lougansk
et dans la Crimée occupée.
8. En plus de ces résolutions centrées surtout sur certaines
aires géographiques, l’Assemblée s’est aussi engagée pour le renforcement
du cadre juridique de la lutte contre les disparations forcées,
tant au niveau international qu’au niveau national. Dans sa
Résolution
1463 (2005) et la
Recommandation
1719 (2005) «Disparitions forcées», l’Assemblée définit la «disparition
forcée» comme recouvrant «la privation de liberté, le refus de reconnaître
cette privation de liberté ou de révéler le sort réservé à la personne
disparue et le lieu où elle se trouve, et la soustraction de la
personne à la protection de la loi.» La définition doit aussi prendre
en compte de tels actes lorsqu’ils sont «commis par des acteurs
non étatiques comme des groupes paramilitaires, des escadrons de
la mort, des combattants rebelles ou des bandes criminelles organisées.»
L’Assemblée considère que la lutte contre les disparitions forcées
relève d’abord et avant tout de la responsabilité des États concernés.
Mais vu «l’incapacité, et dans de rares cas l’absence de volonté,
de certains États d’assurer une protection efficace contre la disparition
forcée, il est en outre de la plus haute importance d’établir un
cadre juridique international clairement défini»
. Pour cette
raison, l’Assemblée a invité instamment tous les États membres du
Conseil de l’Europe à soutenir l’adoption, au sein des Nations Unies,
d’un d’instrument juridique contraignant – la Convention internationale
pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées,
alors en préparation (voir ci-dessous titre 2.1.). Dans la même
résolution, l’Assemblée a énuméré les éléments suivants, à prendre
en compte dans le futur instrument juridique contraignant de lutte
contre les disparition forcées: (i) une définition précise de la
disparition forcée, suffisamment large pour viser également les
acteurs non étatiques; (ii) la reconnaissance des proches de la
personne disparue comme des victimes à part entière et l’affirmation
de leur «droit à la vérité»; (iii) des mesures efficaces contre
l’impunité des auteurs de disparitions forcées; (iv) des mesures
préventives appropriées; (v) un droit complet à la réparation, y compris
la restitution (enquêtes efficace visant à retrouver la victime
ou ses dépouilles), la réadaptation des victimes survivantes, la
satisfaction équitable pour les dommages immatériels et l’indemnisation
complète des ayant-droits pour toutes les conséquences économiques
de la disparition; et (vi) un mécanisme international de suivi efficace,
y compris une procédure d’intervention d’urgence.
9. Dans sa
Résolution
1868 (2012) «La Convention internationale pour la protection de
toutes les personnes contre les disparitions forcées» (ci-après
CED), l’Assemblée s’est félicitée de l’entrée en vigueur de cette
convention, intervenue le 23 décembre 2010 et a constaté que celle-ci
représentait des avancées notables. Elle a donc invité les États
membres du Conseil de l’Europe qui ne l’ont pas encore fait à signer
et à ratifier cet instrument et à reconnaître la compétence du Comité
des disparitions forcées à examiner les communications de particuliers
qui affirment être victimes de violations de cette convention, en
suivant l’exemple de la Belgique, de l’Espagne, de la France, du
Monténégro, des Pays-Bas et de la Serbie. L’Assemblée a néanmoins
regretté que certaines des recommandations formulées dans sa
Résolution
1463 (2005) n’aient pas été prises en compte dans cette convention,
notamment parce qu’elle (i) n’inclut pas pleinement dans la définition
des disparitions forcées qui sont de la responsabilité des acteurs
non étatiques; (ii) reste muette sur la nécessité d’établir un élément
intentionnel subjectif constitutif du crime de disparition forcée,
(iii) s’abstient de limiter les amnisties ou les immunités de juridiction
et autres; et (iv) limite fortement la compétence temporelle du
Comité des disparitions forcées. Par conséquent, l’Assemblée a invité
le Comité des Ministres à envisager l’engagement d’un processus
de préparation de négociations, dans le cadre du Conseil de l’Europe,
d’une convention européenne pour la protection de toutes les personnes
contre les disparitions forcées (
Recommandation
1995 (2012))
. Le Comité des Ministres,
dans sa réponse à l’Assemblée
, a jugé cette
invitation prématurée, tout en s’engageant à suivre de près le fonctionnement
dans la pratique de la convention internationale.
2. Mécanismes internationaux et législations
nationales concernant les personnes victimes de disparitions forcées
2.1. La
Convention internationale pour la protection de toutes les personnes
contre les disparitions forcées
10. La pièce maîtresse des instruments
juridiques internationaux en la matière est la
Convention internationale
pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions
forcées. Elle est le résultat d’efforts de longue haleine déployés
au sein des Nations Unies par des organisations non gouvernementales, et
un certain nombre d’États, en particulier la France. La convention
est un instrument contraignant, pour tous les États parties, de
lutte contre les disparitions forcées. Elle oblige les États, entre
autres, à ériger la disparition forcée en un crime spécifique dans
leur droit pénal national (articles 4 et 6) et à prescrire des «peines appropriées»
qui tiennent compte de «l’extrême gravité» de ce crime (article
7); et elle stipule que «[a]ucun ordre ou instruction émanant d'une
autorité publique, civile, militaire ou autre, ne peut être invoqué
pour justifier un crime de disparition forcée» (article 6.2).
11. Le crime de disparition forcée y est défini comme «l’arrestation,
la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de
liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes
de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement
de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de
liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue
ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de
la loi» (article 2). Cette définition inclut donc aussi les acteurs
non-étatiques comme les «escadrons de la mort» à condition que leurs
activités soient tolérées de facto par
l’État concerné, mais pas les organisations criminelles «ordinaires»
(par exemple mafieuses).
12. Les États parties doivent aussi prendre un certain nombre
de mesures de prévention, notamment l’interdiction de toute détention
secrète
; la création d’un cadre juridique
clair pour toute privation de liberté, y compris la désignation
des autorités habilitées à priver des personnes de leur liberté
et la création d’un registre des lieux de privation de liberté qui
doivent être officiellement reconnus et contrôlés; la garantie pour
toute personne privée de sa liberté de pouvoir communiquer avec
sa famille, son conseil ou toute autre personne de son choix et
à recevoir leur visite; un droit de recours efficace contre la privation
de liberté; et la création d’un registre officiel des personnes
détenues avec toutes les données nécessaires pour suivre leur état
de santé et pour les localiser, y compris, le cas échéant, l'heure
de la libération ou du transfert vers un autre lieu de détention,
la destination et l'autorité chargée du transfert (article 18).
13. La convention régit en outre le droit de la victime d’obtenir
réparation et le droit des familles affectées de savoir la vérité
(article 24, alinéa 2). L’État a l’obligation d’ouvrir rapidement
une enquête approfondie et impartiale dès qu’il y a des indications
sérieuses qu’une disparition forcée a eu lieu (article 12). La convention reconnaît
aussi expressément le caractère continu du crime de disparition
forcée, de sorte que le délai de prescription ne commence à courir
que lorsque cesse le crime (article 8).
14. La plus grande innovation apportée par la CED est la création
du
Comité
des disparitions forcées (article 26) chargé de mettre en œuvre les dispositions
de la convention. Ce comité est composé de dix experts de haute
moralité, possédant une compétence reconnue dans le domaine des
droits humains, indépendants, siégeant à titre personnel et agissant
en toute impartialité. Parmi les membres actuels, quatre sont européens (avec
date d’expiration de leurs mandats):
15. Ce comité a des pouvoirs inédits
au niveau du droit international (à l’exception du système de la Convention
européenne des droits de l’homme). Il dispose notamment, dans le
cadre de la procédure dite d’urgence, d’un véritable pouvoir d’injonction,
qui n’est pas facultatif
, donc non soumis à l’acceptation expresse
par l’État partie comme c’est le cas du pouvoir de recevoir des
«communications» (plaintes) de particuliers contre un État (voir
l’article 30 sur la procédure d’urgence et les articles 31 et 32
sur les communications de particuliers ou par un autre État partie
concernant un autre). La procédure d’urgence, permettant de signaler
rapidement, dans les 48 heures, une disparition forcée présumée
et d’obtenir des réponses des autorités du pays concerné, est une
vraie avancée. En revanche, pour que des communications de particuliers
(ou par un autre État) soient recevables, il faut que l’État concerné
ait fait une déclaration pour reconnaître la compétence du comité
pour traiter de tels cas.
16. Malheureusement, la CED ne s’applique qu’aux disparitions
forcées survenues après son entrée en vigueur, ou après sa ratification
par l’État concerné.
17. En fin de compte, la convention inclut la plupart des propositions
développées par l’Assemblée dans ses résolutions précitées. Il est
donc urgent de faire en sorte que tous les États membres du Conseil
de l’Europe, ainsi que les États observateurs ou ceux dont les parlements
bénéficient d’un statut spécial auprès de l’Assemblée, signent et
ratifient cette convention et acceptent la juridiction du Comité
des disparitions forcées pour les communications individuelles et
inter-étatiques.
18. Voici la liste des États membres du Conseil de l’Europe qui
ont signé et/ou ratifié la convention et accepté la compétence du
Comité des disparitions forcées pour les communications individuelles
et inter-étatiques (articles 31 et 32); les États parties à la Convention
en gras:
Pays
|
signature
|
ratification
|
déclaration
|
Albanie
|
+
|
+
|
31, 32
|
Armenie
|
+
|
+
|
-
|
Autriche
|
+
|
+
|
31, 32
|
Azerbaïdjan
|
+
|
-
|
-
|
Belgique
|
+
|
+
|
31, 32
|
Bosnie
et Herzégovine
|
+
|
+
|
31, 32
|
Bulgarie
|
+
|
-
|
-
|
Croatie
|
+
|
-
|
-
|
Chypre
|
+
|
-
|
-
|
République
Tchèque
|
+
|
+
|
31, 32
|
Danemark
|
+
|
-
|
-
|
Finlande
|
+
|
-
|
-
|
France
|
+
|
+
|
31, 32
|
Allemagne
|
+
|
+
|
31, 32
|
Grèce
|
+
|
+
|
-
|
Islande
|
+
|
-
|
-
|
Irlande
|
+
|
-
|
-
|
Italie
|
+
|
+
|
-
|
Liechtenstein
|
+
|
-
|
-
|
Lituanie
|
+
|
+
|
31, 32
|
Luxembourg
|
+
|
-
|
-
|
Malte
|
+
|
+
|
-
|
Monaco
|
+
|
-
|
-
|
Montenegro
|
+
|
+
|
31, 32
|
Pays-Bas
|
+
|
+
|
31, 32
|
Macédoine du Nord
|
+
|
-
|
-
|
Norvège
|
+
|
+
|
-
|
Pologne
|
+
|
-
|
-
|
Portugal
|
+
|
+
|
31, 32
|
Moldova
|
+
|
-
|
-
|
Roumanie
|
+
|
-
|
-
|
Serbie
|
+
|
+
|
31, 32
|
Slovaquie
|
+
|
+
|
31, 32
|
Slovénie
|
+
|
-
|
-
|
Espagne
|
+
|
+
|
31, 32
|
Suède
|
+
|
-
|
-
|
Suisse
|
+
|
+
|
31,32
|
Ukraine
|
+
|
+
|
31, 32
|
19. Si 11 États membres du Conseil
de l’Europe sont parties à la Convention, il reste malheureusement
26 États membres qui ne l’ont ni signée ni ratifiée. Dix-sept autres
ont signé la CED mais ne l’ont pas encore ratifiée. Parmi les États
parties européens, 5 (Arménie, Grèce, Italie, Malte, Norvège) n’ont
pas encore fait la déclaration prévue aux articles 31 et 32. Il
est donc urgent d’appeler tous ces États membres à procéder rapidement
à la signature ou la ratification de la convention, ou à déposer
les déclarations permettant au Comité des disparitions forcées de
recevoir des communications individuelles et inter-étatiques.
2.2. Le
Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires
20. Le Groupe de travail sur les
disparitions forcées ou involontaires (WGEID) a été créé en 1980
par la Commission des droits de l’homme (remplacée entre-temps par
le Conseil des droits de l’homme), organe intergouvernemental du
système des Nations Unies. Le WGEID est composé de cinq membres
élus à titre personnel par la Commission et par la suite par le
Conseil des droits de l’homme. Il a pour mandat d’aider les familles
des personnes disparues à découvrir ce qui est arrivé à leurs proches.
A cette fin, le WGEID reçoit et examine des communications qui émanent
des familles des personnes disparues ou d’organisations de défense
des droits humains agissant en leur nom. Le Groupe de travail transmet
ces cas individuels aux gouvernements concernés en leur demandant
de procéder à des enquêtes et de l’informer ensuite des résultats.
Le WGEID s’occupe des affaires qui lui sont signalées sur une base
purement humanitaire, que les gouvernements aient ratifié ou non
les instruments juridiques en vigueur prévoyant une procédure pour
le dépôt de plaintes individuelles.
21. L’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies de la
Déclaration
sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions
forcées a marqué un progrès indéniable, expression d’un consensus
de la communauté internationale contre les disparitions forcées.
La déclaration condamne sans équivoque les disparitions forcées
et résume de manière assez complète les obligations qui incombent
aux États pour prévenir et sanctionner les auteurs de disparitions
forcées et pour venir en aide aux victimes et à leurs proches. La
déclaration ne comporte cependant aucun mécanisme de mise en œuvre
et de contrôle. Le WGEID a assumé partiellement ce rôle en évaluant
les progrès réalisés par les États dans l’exercice de leurs obligations découlant
de la déclaration et en assistant les gouvernements dans leur mise
en œuvre. A ce titre, le groupe de travail joue un rôle de prévention,
puisqu’il aide les États à surmonter les obstacles à la réalisation
de la déclaration. Il peut effectuer des visites dans les pays et
offrir, sur demande, des services consultatifs.
22. Depuis l’entrée en vigueur, le 23 décembre 2010, de la CED
et l’établissement du
Comité
sur les disparitions forcées, le comité basé sur la CED d’un côté et le WGEID de
l’autre coexistent et s'efforcent de collaborer et de coordonner
leurs activités dans le but commun de prévenir et à éliminer les
disparitions forcées.
2.3. La
Commission internationale pour les personnes disparues
23. La Commission internationale
pour les personnes disparues (ICMP) travaille avec des gouvernements, des
organisations de la société civile, des institutions judiciaires,
des organisations internationales et d'autres acteurs à travers
le monde pour traiter la question des personnes disparues à la suite
d'un conflit armé, de violations des droits humains, de catastrophes
naturelles, du crime organisé, de la migration irrégulière et d'autres
causes. Elle est la seule organisation internationale exclusivement
chargée de cette problématique. Parmi les États européens, seuls
la Belgique, Chypre, Luxembourg, les Pays-Bas, la Serbie, la Suède
et le Royaume-Uni sont membres à part entière et la République tchèque,
le Danemark, l’Allemagne, l’Irlande, la Norvège et la Suisse ont
un statut d’observateur, de même que certains organismes internationaux
comme l’Union européenne, la Cour Pénale Internationale, Interpol
et l’Organisation Internationale des Migrations.
24. L’ICMP soutient le développement des capacités des institutions
compétentes et fournit une expertise technique pour localiser et
identifier les personnes disparues. Elle aide les gouvernements
à développer une législation appropriée pour sauvegarder les droits
des familles des disparus et propose des programmes de formation
et d'éducation.
25. L’ICMP a participé à l'excavation de plus de 3 000 tombes
collectives et clandestines et a promu avec succès l'application
de techniques médico-légales avancées pour localiser et retrouver
des personnes disparues. L’organisation dispose d'un centre de recherche
en ligne (Online Inquiry Center – OIC) et d'un système de gestion
des données d'identification (Identification Data Management System
– iDMS) qui gèrent toutes les données relatives à son processus
de recherche de personnes disparues. Elle exploite le premier système
d'identification humaine par ADN à haut débit au monde. À ce jour,
plus de 20 000 personnes disparues dans le monde ont été identifiées
grâce à l'ADN avec l'aide de l'ICMP.
2.4. Le
cadre juridique national dans les États membres
26. Le Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe a organisé, les 30 juin et 1 juillet
2016 une table ronde sur le sujet des disparitions forcées en Europe,
se concentrant sur les droits des victimes et la législation existante.
Un rapport publié le 22 février 2017 souligne le manque d’efficacité
de la législation de certains pays, notamment la codification inadéquate
du crime de disparition forcée. Début 2017, seuls 15 États membres
du Conseil de l’Europe avaient reconnu la compétence du Comité des
disparitions forcées créé par la CED pour l’examen de plaintes individuelles
.
27. Un participant de la table ronde a suggéré qu'il serait peut-être
préférable d'inclure des dispositions légales concernant les personnes
disparues et leurs proches dans différents textes législatifs, plutôt
que de disposer d'une loi unique qui risquerait de ne pas être appliquée
dans son ensemble. En fait, un cadre juridique efficace, complet
et harmonisé pour traiter les disparitions forcées exige que des
dispositions soient adoptées au moins en droit pénal, civil, administratif
et en droit de la famille
. Selon les participants, des considérations politiques,
le manque de moyens et la coopération insuffisante avec les acteurs
de la société civile, y compris les défenseurs des droits humains
et les associations spécialisées, ont pesé sur l'efficacité du travail
des organismes nationaux compétents en matière de disparition
.
Le rapport réitère la nécessité de codifier la disparition forcée
en tant qu'infraction pénale distincte et continue dans le droit
pénal national. Le caractère continu du crime est d’une importance
particulière pour freiner la prescription et sauvegarder les droits
des proches dans la durée. Le rapport recommande aussi la création
d’un système de notification de cas de disparation au niveau national
et de délivrance d’un certificat officiel d’absence de la personne
disparue aux familles affectées pour les aider à régulariser leur
situation juridique
.
3. Exemples de disparitions forcées:
vue d’ensemble de la situation en Europe
28. L’
Ukraine figure
parmi les États membres du Conseil de l’Europe qui ont ratifié la
CED dès 2015 et accepté la compétence du Comité des disparitions
forcées. Mais ce dernier, dans son rapport du 20 juin 2018
,
rappelle qu’au cours des trois années précédentes, la convention
n’avait toujours pas été transposée en droit ukrainien. En 2015,
l’Assemblée s’est montrée préoccupée par la situation dans ce pays
du fait des nombreux conflits armés
.
La situation des personnes disparues est particulièrement inquiétante.
Entre 2014 et 2017, 2 727 personnes – soldats et civils – ont été
portées disparues. Un rapport d'enquête diffusé par la chaîne de
télévision indépendante ukrainienne Hromadske le 15 mars 2016, a
fait état de la détention secrète de plusieurs personnes par le
SBU (Service de Sécurité d’Ukraine) à Kharkiv. En juillet 2016,
Human Rights Watch et Amnesty International ont publié un rapport
conjoint faisant état de neuf cas de détention arbitraire et prolongée
de civils par les autorités ukrainiennes, y compris des disparitions
forcées. Les deux organisations ont également répertorié neuf cas
de détention arbitraire et prolongée de civils par des groupes armés soutenus
par la Russie
.
Selon un rapport du Kharkiv Human Rights Protection Group, 1 148
personnes étaient toujours portées disparues en mai 2018, dont 998
civils
.
29. En 2018 également, la délégation du Comité International de
la Croix-Rouge (CICR) en Ukraine a estimé que plus de 1 500 personnes
étaient portées disparues en raison du conflit dans l’est de l’Ukraine
. En Crimée, depuis son annexion illégale
par la Russie en 2014, de nombreux cas de disparitions suspectes, notamment
d’activistes tatars et d’autres groupes loyaux à l’Ukraine, ont
été signalés
.
Selon l’ONG CrimeaSOS, 44 personnes ont été victimes de disparitions
forcées depuis l’annexion de la Crimée. Le sort de 15 d’entre elles
reste inconnu
.
30. Depuis 2014, et avec l’aide de l’ICMP, l’Ukraine a pris des
mesures positives importantes en ce qui concerne les personnes disparues.
Un centre inter-agences a été créé dès septembre 2014 pour venir
en aide aux familles et dresser une liste unifiée des personnes
disparues. Une loi sur le statut juridique des personnes disparues
est entrée en vigueur en août 2018, suivie de deux décrets d’application,
dont un porte création d’une Commission des personnes disparues.
Le 2 juillet 2021, cette commission et l’ICMP ont signé un protocole
d’accord visant à renforcer la commission et à établir les registres
centraux préconisés par la CED.
31. S’agissant de la
Fédération de
Russie, la Cour Européenne des droits de l’homme a rendu,
depuis 2017, plus de 150 arrêts concernant des violations des droits
humains dans le Caucase du nord, la plupart en Tchétchénie, dont
60% sont liés à des disparitions forcées
.
Dans ce contexte, la Cour a jugé la Fédération de Russie responsable
de violations des article 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de
la torture) 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et 13 (droit à
un recours effectif)
. Dans son rapport sur la situation des droits
humains dans le Caucase du nord,
l’Assemblée constate
que le processus de mise en œuvre de ces arrêts n’a pas mis fin
au climat d’impunité des auteurs de disparitions forcées dans cette
région
. Ceci est d’autant plus incompréhensible
que selon la pratique établie du Comité des Ministres, qui contrôle
l’exécution des arrêts de la Cour, les mesures d’exécution requises
en cas de violation «procédurale» des articles 2 et 3 (violation
sous forme d’absence d’enquête effective) incluent le «rattrapage»
des enquêtes non effectuées. Malgré le grand nombre de disparitions
forcées en Tchétchénie (les estimations vont de 3 000 à 5 000 personnes
disparues pendant et après les deux conflits armés)
,
la Tchétchénie ne disposerait même pas d’un laboratoire de médecine
légale capable d’identifier les dépouilles humaines à l’aide de
l’ADN.
32. Un rapport de l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE)
note
que la pratique des disparitions forcées continue de sévir en Tchétchénie,
sous forme de détentions illégales suivies soit par une «légalisation»
de la détention grâce à des «aveux» obtenus sous la torture, soit
par des exécutions extrajudiciaires, comme dans «l’affaire des 27»
en janvier 2017. Le rapporteur de l’OSCE ajoute que des extraditions
de réfugiés tchétchènes vers la Russie ont contribué à des persécutions
en Tchétchénie, y compris des disparitions.
33. L’Assemblée, dans sa
Résolution
2157 (2017) et sa
Recommandation
2099 (2017) «Les droits humains dans le Caucase du nord: quelles
suites donner à la
Résolution
1738 (2010)?» a observé que l’exécution des 247 arrêts du groupe
d’affaires concernant les diverses violations des droits humains
dues aux agissements des forces de sécurité dans le Caucase du nord
(groupe d’affaires
Khashiyev et Akayeva) est
«extrêmement insatisfaisante» et «que la situation de la protection
des droits humains et du respect de l’État de droit au Caucase du
nord demeure l’une des plus graves de l’ensemble de l’espace géographique
du Conseil de l’Europe». Dans sa
Recommandation
2099 (2017), l’Assemblée avait invité le Comité des Ministres à «continuer
à accorder la plus grande attention à l’évolution de la situation
des droits humains» dans cette région et, concernant l’exécution
des arrêts susvisés, l’a encouragé à «continuer de mettre l’accent
sur les mesures individuelles et générales destinées à mettre un
terme au climat d’impunité, et en particulier à continuer de résister
aux tentatives des autorités russes, qui cherchent à profiter de
la prescription et des lois d’amnistie pour assurer une impunité
complète aux auteurs des violations des droits humains même les
plus flagrantes». Je suis navré que nous soyons obligés d’adresser
à nouveau une recommandation dans ce sens au Comité des Ministres.
34. Dans les pays du
Caucase du Sud
(Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie), des actes de guerre
ont eu un impact dévastateur sur la population civile, avec de nombreuses
violations des droits humains, y compris des disparitions forcées.
Les régions du Haut Karabakh, de l’Ossétie du sud et de l’Abkhasie,
notamment, ressemblent à des «trous noirs» où les mécanismes de
suivi du Conseil de l’Europe n’ont qu’un accès très limité. Dès
2007, l’Assemblée avait mis en lumière dans la
Résolution
1553 (2007) sa préoccupation quant aux allégations de détention
secrète de personnes portées disparues dans ces trois régions du
Caucase du sud. Le conflit armé survenu en 2008 entre la Géorgie
et la Fédération de Russie a causé une véritable crise humanitaire,
y compris des disparitions forcées
. En 2013, l’Assemblée
constatait le manque de progrès dans la résolution du problème des
disparitions forcées. Notamment dans la région de Haut-Karabakh,
près de 5 000 personnes étaient toujours portées disparues depuis
le premier conflit .
35. Lors du deuxième conflit dans cette région meurtrie, en automne
2020
, au cours duquel l’Azerbaïdjan a
reconquis une partie des territoires perdus lors du premier conflit,
d’autres cas de disparition ont été signalés. Il s’agit notamment
de prisonniers de guerre qui auraient dû être libérés selon l’accord
de cessez-le-feu. En février 2021, les mandataires des procédures
spéciales onusiennes compétents
ont
appelé conjointement à la libération rapide des prisonniers de guerre
et autres captifs du récent conflit et au retour des corps auprès des
familles:
«Toute personne privée
de liberté pour des raisons liées au conflit doit être renvoyée
chez elle et les proches des personnes tuées doivent pouvoir recevoir
la dépouille mortelle de leurs proches, conformément à l'accord
de cessez-le-feu signé le 9 novembre 2020 […] Le fait de ne pas
divulguer les informations sur le sort et la localisation des personnes
disparues et le refus de remettre la dépouille d’un défunt peut
constituer une disparition forcée, que l'Azerbaïdjan et l'Arménie
se sont engagées à empêcher.»
36. Concernant la
Turquie et
Chypre, l’Assemblée s’est félicitée
dans sa
Résolution 1628
(2008) des efforts accomplis par le Comité des personnes disparues
à Chypre
. Le
problème des personnes disparues date des affrontements intercommunautaires
dans les années 1960 ayant entraîné une intervention militaire turque
en 1974. En tout, 1 510 Chypriotes grecs et 492 Chypriotes turcs
sont portés disparus. Le Comité des personnes disparues (CMP) établi
en 1981 sous l’égide des Nations Unies a lancé un projet bi-communautaire portant
sur l’exhumation, l’identification et la restitution des dépouilles
des personnes disparues. Selon son mandat, il ne cherche pas à établir
la responsabilité du décès des personnes disparues et ne se prononce
pas sur la cause des décès. Au 31 octobre 2021, le CMP a retrouvé
les dépouilles de 1 180 personnes et identifié 1 020 personnes appartenant
aux deux communautés (729 Chypriotes grecs sur les 1 510 disparus
de cette communauté; et 291 Chypriotes turcs sur les 492 disparus
de cette communauté)
.
37. Le Comité des Ministres examine la question des personnes
portées disparues après l’intervention militaire turque en 1974,
dans le cadre de l’examen de la mise en œuvre des arrêts Chypre c. Turquie et des affaires
du groupe Varnava et autres c. Turquie.
Lors du dernier examen de cette question en mars 2021 (1398e réunion
(DH), les 9-11 mars 2021), le Comité des Ministres a de nouveau
appelé les autorités turques à donner au CMP, toute l'assistance
nécessaire afin qu'il puisse continuer à obtenir des résultats tangibles
dans les plus brefs délais. Il souligne que le CMP devrait avoir
accès à toutes les zones pouvant contenir les dépouilles de personnes
disparues, en particulier aux zones militaires, et que, vu le temps
qui passe, il a un besoin urgent de preuves documentaires pour pouvoir
continuer à identifier d'éventuels lieux d’inhumation. Ainsi, les
autorités turques ont été invitées à fournir au CMP toutes les informations,
émanant de toutes les archives pertinentes en leur possession, y
compris des archives militaires, sur les lieux d’inhumation et sur
tout autre endroit où des dépouilles pourraient être trouvées. Le
Comité des Ministres a également noté avec intérêt les informations
fournies par les autorités turques sur l'état d'avancement des enquêtes
menées par l'Unité des Personnes Disparues (MPU), et sur la finalisation
de l’enquête concernant l'une des personnes disparues dans l'affaire Varnava et autres. Il a de nouveau
demandé aux autorités turques de garantir l'effectivité des enquêtes
de la MPU, ainsi que leur achèvement rapide.
38. Malgré quelques progrès récents, je suis choqué par le fait
que l’arrêt de la Cour, qui date de 2001 et porte sur des faits
de 1974 et qui constituent des violations extrêmement graves des
droits humains comme le sont les disparitions forcées massives,
ne soit toujours pas pleinement exécuté, en 2021.
39. Pour sa part, le WGEID a également constaté que la Turquie
n’a pas pris les mesures nécessaires pour traiter les disparitions
et que de nombreuses familles ne connaissent toujours pas la vérité
sur le sort de leurs proches
. Il note que le nombre de personnes
disparues en Turquie a encore augmenté du fait de la crise migratoire,
notamment depuis 2015. Le WGEID se soucie de la disparition d’enfants
et de femmes dans les réseaux de trafic
et
critique la Turquie pour n’avoir pas érigé en infraction pénale
autonome les disparitions forcées, ces dernières étant traitées
comme de simples éléments d’autres infractions criminelles
.
40. Dans les Balkans, des milliers de personnes ont disparu au
cours des conflits armés ayant suivi la dissolution de l’ancienne
Yougoslavie. Des progrès sur l’identification des personnes disparues
ont été enregistrés en
Serbie,
selon un rapport du WGEID après sa visite en Serbie et au Kosovo
. Environ 6 600 personnes disparues
sur 8 100 au total ont été identifiées, grâce à leur ADN
. En 2006, le Gouvernement serbe a
établi un Département pour la recherche des personnes disparues,
qui a constaté le défaut d’enregistrement de certains citoyens sur
les listes des personnes disparues. La disparition forcée ne figurant pas
dans le Code Pénal de 2011, il n’y a pas de mécanismes d’indemnisation
pour les familles affectées. Dans le même rapport, le WGEID a pointé
du doigt la difficulté d’accéder à l’information et à l’identification
des personnes disparues au
Kosovo , en
citant des raisons politiques, le problème ayant des conséquences sérieuses
pour le maintien de la paix dans la région
. La représentation
des Nations Unies au Kosovo a pris des mesures actives pour engager
le dialogue avec le WGEID. La Commission pour les personnes disparues au
Kosovo a déclaré qu’il était extrêmement difficile de travailler
sur ce sujet étant donné la faible documentation fournie par les
autorités
et
le manque de coopération des autorités albanaises. Néanmoins, en
2015, le WGEID a pris note des efforts déployés par la Commission
pour les personnes disparues au Kosovo. Le WGEID a été informé que
le principe de non-discrimination serait appliqué, la commission
visant à garantir les droits de toutes les familles des personnes
disparues, indépendamment de leur origine ethnique, de leur religion
ou de leur état civil
. De plus, dans le rapport de 2018,
le WGEID se félicitait des efforts déployés par les autorités locales
qui avaient élaboré un programme de travail pour résoudre le problème
des personnes disparues. Il constatait en outre que les autorités
avaient mis en place un groupe de travail chargé de modifier le
cadre juridique pour fournir une réparation adéquate à toutes les
victimes
. Un autre projet salué par le WGEID
est une initiative régionale (avec la participation de la Croatie,
du Kosovo et du Monténégro) visant à créer une base de données qui
pourra comptabiliser les cas actifs de personnes disparues
.
Pour ce qui est de l’
Albanie,
le WGEID se félicite de la codification de la disparition forcée
en tant qu'infraction pénale distincte, conformément à la CED, et
passible de sanctions appropriées. Mais le WGEID a aussi souligné
que ce pays n’a pas encore élaboré de stratégie claire pour faire
face à son passé totalitaire. Par conséquence, aucun progrès n'a
été signalé en ce qui concerne l'exhumation des restes d'environ 6 000 personnes
disparues entre 1944 et 1991
.
Selon l’ICMP, en juillet 2021, la base de données régionale des
cas actifs de personnes disparues lors des conflits sur le territoire
de l’ex-Yougoslavie, qui comprend les dossiers soumis par la Bosnie-Herzégovine,
la Croatie, le Kosovo, le Monténégro et la Serbie, comptait 11 684 personnes.
Environ 18 000 personnes ont été retrouvées par les autorités sur
la base des analyses d’ADN de l’ICMP et grâce à l’assistance de
l’ICMP dans la localisation et l’exhumation des fosses communes
. Ces 18 000 cas résolus
sont peut-être un premier résultat du «Sommet des Balkans occidentaux»
qui s’est tenu à Londres en juillet 2018 et lors duquel les premiers
ministres de ces pays se sont engagés à garantir des enquêtes impartiales
et efficaces sur les cas de personnes disparues, à résoudre autant
de cas que possible au cours des cinq années suivantes, à faire
participer activement les familles au processus et à s’abstenir
de politiser la question des personnes disparues. En novembre 2018,
ces pays ont signé un plan-cadre avec l’ICMP et ont formé le Groupe
des personnes disparues (MPG) pour mettre en œuvre ce plan – qui
définit des actions concrètes pour rendre compte des cas restants
de personnes disparues
.
41. Concernant le
Belarus,
un rapporteur de l’Assemblée, Christos Pourgourides (Chypre, PPE/DC)
avait enquêté sur une série de disparitions d’opposants dans ce
pays, constatant que des hauts représentants du gouvernement, dont
le procureur général et ancien chef de l’administration présidentielle,
M. Sheyman, l’ancien ministre de l’Intérieur, M. Sivakov, et un
officier des forces spéciales (SOBR), le Colonel Pavlichenko étaient
fortement suspectés d’avoir été impliqués dans ces affaires
. Dans sa
Résolution 1371 (2004), l’Assemblée avait endossé les conclusions du rapporteur
et exigé que les suspects nommés soient poursuivis par les autorités
nationales compétentes. Dans sa
Résolution 1671 (2009), l’Assemblée constatait que les enquêtes sur ces disparitions
n’avaient toujours pas progressé, malgré les éléments fournis qu’elle
avait fournis
. L’Union européenne a inclus les
quatre personnes mises en cause par l’Assemblée dans sa liste des «sanctions
ciblées»
. L’affaire a connu un rebondissement
spectaculaire en 2019, quand un ancien membre du SOBR, M. Garavski,
s’est dit prêt à témoigner contre M. Pavlichenko
.
Deutsche
Welle a publié un documentaire d’enquête sur cette affaire,
dans lequel M. Pourgourides et moi-même, en tant que rapporteurs compétents
de l’Assemblée, figurons. Ce documentaire a recueilli une très forte
audience, notamment au Bélarus
.
42. En septembre 2021, j’ai été informé qu’un témoin clé vivant
en exil en Allemagne avait reçu des menaces de mort émanant du Bélarus
jugées «crédibles» par les autorités allemandes. Il s’agit de M. Alkayev, ancien
directeur de la prison centrale de Minsk. M. Alkayev avait sonné
l’alarme quand le pistolet utilisé pour l’exécution de la peine
capitale au Bélarus, conservé sous sa responsabilité, avait été
emprunté par le ministre de l’Intérieur au moment des disparitions
en question, comme M. Pourgourides l’a expliqué dans son rapport
. Après avoir partagé ses soupçons
avec les enquêteurs du parquet, M. Alkayev a quitté son pays pour l’Allemagne,
en emportant certains éléments de preuve. Il a pris peur quand le
procureur général s’est enfui du Bélarus et a été remplacé par l’un
des principaux suspects, M. Sheyman.
4. Bref rappel de la jurisprudence de
la Cour européenne des droits de l’homme en matière de disparition
forcée
43. La Convention européenne des
droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour restent une source essentielle
de protection contre les disparitions forcées. La Cour a rendu sa
première décision dans une affaire de disparition forcée en 1998,
Kurt c. Turquie .
Depuis lors, le nombre de plaintes à ce sujet a considérablement
augmenté. La grande majorité des affaires de la première décennie
concerne la Turquie, il s’agit en majorité de Kurdes «disparus»
dans la lutte des autorités turques contre le PKK. Depuis, la grande majorité
des affaires concerne la Fédération de Russie, notamment la Tchétchénie,
résultant d’abord des deux conflits armés, et ensuite des méthodes
particulièrement dures des forces de sécurité régionales, soutenues par
les autorités fédérales, dans la lutte contre le terrorisme islamiste.
44. La Cour examine généralement les affaires de disparition forcée
à la lumière des articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de
la torture), 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et 13 (droit
à un recours effectif) de la Convention. Dans certains cas, la
Cour a également conclu à une violation de l’article 8 (droit au
respect de la vie privée et familiale). Dans toutes les affaires
de disparition forcée jugées jusqu’à présent, la Cour a aussi constaté
une violation de l’article 5 de la Convention
.
45. C’est en principe aux requérants d’apporter la preuve que
ce sont bien les autorités de l’État défendeur qui sont responsables
d’une disparition. Mais depuis l’affaire
Kurt
v. Turquie, la Cour, sous certaines conditions, applique
une «présomption de fait» selon laquelle l’État est responsable
d’une disparition si le requérant peut prouver que la victime a
bien été sous la garde des autorités avant de disparaître. C’est
alors à l’État défendeur de présenter une autre explication plausible
du sort de la victime
. C’est aussi dans
des cas de disparitions forcées que la Cour applique fréquemment
sa doctrine de la violation dite «procédurale» des articles 2 et
3 de la Convention. Même si la responsabilité de l’État défendeur
ne peut pas être prouvée, ni présumée, une violation de ces articles
est constatée lorsque l’État n’a pas rempli son obligation positive
de procéder à une enquête impartiale et efficace quand il y a de
sérieuses indications de meurtre, de disparition forcée ou de torture.
46. Dans l’affaire
Chypre c. Turquie,
la Cour a conclu à la violation continue de l’article 2 de la Convention au
motif que les autorités turques n’ont pas mené́ d’enquête effective
sur différents cas de disparitions forcées. Elle a également constaté
une violation continue de l’article 5 et une violation de l’article
3 à l’égard des familles des disparus, car le silence des autorités
devant les inquiétudes réelles des familles constitue à l’égard
de celles-ci un traitement d’une gravité telle qu’il y a lieu de
le qualifier d’inhumain
. En 2014, la Cour a ordonné à la Turquie
de verser 30 000 000 euros pour le préjudice moral subi par les
familles des disparus. La Cour a rappelé la nécessité de mettre
fin à l'impunité et a souligné l'obligation persistante de mener
une enquête sur la mort certaine ou présumée de personnes dans l’affaire
Varnava et autres c. Turquie, le
manque de preuves résultant d’un long délai dans les investigations
ne soustrayant pas l’État de son obligation d’enquêter
.
47. La Cour a également souligné, dans l’affaire
Aslakhanova et autres c. Russie que
la Fédération de Russie connaît des carences concernant l’investigation
des cas des disparitions forcées, particulièrement ceux qui se sont
produits en Tchétchénie. Parmi les besoins les plus pressants à
cet égard, la Cour a mentionné des «travaux de criminalistique et
des travaux scientifiques à grande échelle sur le terrain, y compris
la localisation et l'exhumation de lieux de sépulture présumés,
ainsi que la collecte, le stockage et l'identification des vestiges
et […] par le biais de banques de données génétiques à jour.»
Bien
que la Cour ne mentionne pas explicitement la restitution des dépouilles
aux familles, elle reconnaît la nécessité de procéder à une exhumation
et à une identification des dépouilles. La Cour a proposé de créer
«un organe unique et d’un niveau suffisamment élevé pour élucider
les cas de disparitions dans la région, organe qui bénéficierait
d’un accès total à l’ensemble des données pertinentes et qui travaillerait
dans une relation de confiance et de partenariat avec les proches
des personnes disparues. Cet organe pourrait compiler et tenir à
jour une base de données unifiée de l’ensemble des disparitions».
Dans l’affaire
Suleymanov c. Russie,
la Cour a conclu que le manque de législation appropriée et l’échec
des investigations constitue aussi une violation de l’Aaticle 3 (traitement
inhumain et dégradant) envers le plaignant, un proche de la personne
disparue dans le cas d’espèce
.
On peut d’ailleurs constater qu’au fil des douzaines d’affaires,
terriblement similaires, et concernant la même région, de disparitions
forcées non suivies d’enquêtes sérieuses, le ton utilisé par la
Cour s’est considérablement durci. Malheureusement, comme l’ont
constaté les rapporteurs successifs qui se sont penchés sur l’exécution
des arrêts de la Cour
, les progrès
en la matière, si progrès il y a, sont extrêmement lents, au point
que la question se pose de savoir si les autorités russes ne jouent
pas la montre, pour assurer l’impunité définitive aux auteurs de
ces crimes
.
5. Faut-il proposer la création d’une
Convention européenne contre les disparitions forcées?
48. Au vu des conclusions du dernier
rapport de l’Assemblée en la matière en 2012 (voir ci-dessus paragraphe
8), il convient de prendre position quant à l’utilité d’élaborer
une Convention européenne contre les disparitions forcées, à la
lumière d’une évaluation du fonctionnement du système onusien désormais
bien établi.
49. Il est vrai que dans le domaine de la prévention de la torture,
un instrument européen (le Comité européen pour la prévention de
la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT)) fonctionne très bien en parallèle avec le SPT (le Sous-comité
pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants) basé sur l’OPCAT (le Protocole
facultatif à la Convention contre la Torture des Nations Unies).
Les deux organismes se coordonnent et se partagent le travail en
vue d’optimiser l’utilisation des ressources, jamais suffisantes
pour éradiquer la torture en Europe et dans le monde.
50. Il est également vrai que les critiques émises dans la
Recommandation 1995 (2012) par rapport à la CED (voir paragraphe 9 ci-dessus) restent
malheureusement d’actualité et que le processus même de la négociation
d’un nouvel instrument européen pourrait contribuer à refaire du
fléau des disparitions forcées une priorité de l’agenda politique
en Europe. C’est pour ces raisons que l’Assemblée, en 2012, avait
invité le Comité des Ministres à se lancer dans un tel processus.
La réponse du Comité des Ministres, à l’époque, était plutôt réticente
et n’a depuis
pas été suivie du lancement d’un processus de négociation.
51. Les experts que nous avons entendus lors de notre audition
devant la commission le 14 septembre 2021 – le professeur Emmanuel
Decaux, éminent juriste international et un des pères spirituels
du système onusien en place, et M. Ewoud Plate, qui nous a présenté
le point de vue d’une large coalition d’organisations non-gouvernementales
spécialisées en la matière
, y compris des associations de familles
de personnes disparues, étaient entièrement d’accord sur ce point:
étant donné les ressources limitées disponibles pour la lutte contre
ce fléau, il convient impérativement d’éviter tout «double emploi»
qui pourrait résulter de la création d’un nouveau mécanisme européen.
La codification, dans un instrument conventionnel, du statu quo
pourrait aussi figer, voire faire reculer l’évolution de la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière. Celle-ci
est en bonne voie de résoudre, au moins pour ce qui est des États
parties à la Convention, les problèmes laissés en suspens par la
CED (voir plus haut, paragraphe 18).
52. Pour faire avancer la lutte contre les disparitions forcées
et la recherche de la vérité, les experts nous ont invité à faire
la promotion, au sein des États membres du Conseil de l’Europe,
de la signature et de la ratification de la CED et nous ont fourni
un large éventail de propositions de mesures concrètes non normatives,
aptes à faire reculer l’impunité et à renforcer la prévention.
53. A mon avis, c’est l’approche à la fois la plus constructive
et la plus réaliste, étant donné la structure normative et institutionnelle
existante dans ce domaine qu’il convient de ne pas affaiblir par
le lancement d’un processus de négociation d’un nouvel instrument
juridique au sein du Conseil de l’Europe.
6. Propositions de mesures non normatives
pour éradiquer le fléau des disparitions forcées en Europe
54. Je tiens ici à remercier en
particulier notre expert, M. Ewoud Plate et la FEMED. Leurs propositions, fruits
d’une expérience de terrain impressionnante, m’ont beaucoup inspiré.
Ces propositions peuvent être regroupées comme suit: premièrement,
celles visant à renforcer les mécanismes internationaux existants; deuxièmement,
celles qui ont pour but d’améliorer les mesures répressives et préventives
au niveau national, et troisièmement, celles qui peuvent aider concrètement
les victimes et notamment les familles des personnes disparues.
6.1. Renforcer les mécanismes internationaux
existants
55. Comme nous l’avons vu, seuls
21 des 47 États membres du Conseil de l’Europe ont ratifié la CED
depuis 2007. Avec un regard cynique, certains n’hésiteraient pas
à dire que ce sont surtout les pays qui en ont le moins besoin.
Il convient donc de faire campagne pour encourager le plus grand
nombre d’États européens à se servir de cet instrument. De même,
seul un tiers des 63 États parties à la CED au niveau mondial a
reconnu la compétence du Comité sur les disparitions forcées à recevoir
des communications individuelles ou interétatiques (23 pour chaque
type de communication, dont 16 États membres du Conseil de l’Europe).
La faible acceptation de cette compétence affaiblit considérablement
le Comité car elle le prive de l’une des mesures de suivi les plus
importantes et les plus efficaces de défense des personnes disparues
et de leurs familles contre les violations des droits protégés par
la Convention. Pour faire progresser les ratifications et les déclarations,
il convient de renforcer le groupe des «amis de la CED» (France,
Argentine, Maroc) par un groupe des «amis européens de la CED» qui
s’engage à encouragerait l’Europe à donner l’exemple. Pour vraiment
relancer le processus, le Conseil de l’Europe devrait organiser
une conférence mondiale sur les disparitions forcées qui pourrait,
pourquoi pas, se tenir à Strasbourg.
56. Le troisième vecteur du renforcement des mécanismes internationaux
passe par la transposition des principes posés par la CED dans le
droit national, comme détaillé ci-après.
6.2. Améliorer les mesures répressives
et préventives au niveau national
57. Il convient d’abord d’identifier,
puis d’éradiquer les causes de l’impunité, qui encourage les auteurs
de futurs crimes du ce type. Les auteurs de crimes de disparition
sont notoirement difficiles à traduire en justice. L’un des obstacles
réside dans le fait que, dans de nombreux pays, la disparition forcée
n’est pas un crime autonome au sein du code pénal, comme cela est
prévu dans la CED. Dans les États parties du Statut de Rome de la
Cour pénale internationale, la disparition forcée est reconnue comme
un crime contre l’humanité, mais uniquement lorsqu’elle fait partie
d’une attaque généralisée contre la population civile. Parmi les
facteurs favorisant l’impunité figurent le nombre élevé de suspects,
la relative faiblesse des moyens humains et financiers, ainsi que
le fait que «des figures du précédent régime conservent souvent
une certaine influence au cours du processus de transition»
. Les lois d’amnistie (comme
celle de 1977 en Espagne) et les règles de prescription qui ne prennent
pas en compte le caractère continu du crime de disparition forcée
(comme en Turquie) font qu’il est «quasiment impossible d’obtenir
justice dans ces deux pays pour des affaires de disparition forcée»
. Mettre fin à l’impunité serait
la plus importante des mesures préventives.
58. La CED crée des obligations à prendre de nombreuses mesures
préventives supplémentaires, notamment un habeas
corpus efficace, des registres de détention centralisés,
des protocoles de libération, l’interdiction de la détention secrète
et des centres de détentions clandestins, le principe de non-refoulement vers
des pays où la personne risque d’être victime de disparition forcée,
la formation appropriée des forces de sécurité, des lois sur l’adoption
permettant d’éviter l’appropriation d’enfants disparus et d’enfants
de personnes disparues, et enfin des protocoles de documentation
des dépouilles humaines non identifiées. Ces mesures peuvent bien
entendu aussi être adoptées en amont de la ratification de la CED.
Nos experts ont souligné le fait qu’il n’y a pas, à ce jour, une
visibilité claire, pays par pays, des mesures préventives effectivement
en place. Une étude à ce sujet pourrait être l’une des tâches du
groupe de travail contre les disparitions forcées dont la FEMED
recommande la création au sein du Conseil de l’Europe. Les résultats
d’une telle étude pourraient alors être traduits en recommandations
concrètes que le Comité des Ministres pourrait adresser aux États
membres concernés. Le Conseil de l’Europe peut et doit jouer un
rôle plus proactif dans l’analyse des lacunes du système de prévention
des disparitions forcées et dans le soutien à ses États membres
pour améliorer le fonctionnement pratique de ce système lorsque
cela est nécessaire.
6.3. Renforcer le travail de mémoire et
de sensibilisation
59. La FEMED, dans son rapport
d’expertise, constate un certain manque de sensibilisation et donc
d’intérêt public pour le sujet des disparitions forcées. Ceci entrave
la campagne de ratification de la CED, menée presque exclusivement
par la France et l’Argentine. Le manque de connaissances spécifiques
affecte les étudiants, même spécialisés en droits humains, et les
psychologues et psychiatres pourtant très sollicités pour l’assistance
psychosociale aux familles des disparus. Dans les médias, le sujet
des disparitions souffre d’un référentiel persistant qui remonte
aux années 1980, et qui fait apparaître les disparitions forcées
comme un problème typiquement latino-américain des dictatures passées.
Nous avons pourtant vu que le problème affecte gravement de nombreuses
sociétés européennes.
60. Il faudra donc renforcer le travail de mémoire et de sensibilisation.
Symboliquement, il convient de donner, au sein du Conseil de l’Europe,
une plus grande attention à la «Journée internationale des victimes
de disparition forcée» (30 août) reconnue par l’ONU. Dans la pratique,
le travail de mémoire passe notamment par la société civile, et
en particulier par les associations des proches des personnes disparues
qui ont grand besoin de soutien moral et financier. Ces associations
répondent à un besoin vital de solidarité et de soutien psychosocial
mutuel et elles sont le principal moteur des campagnes au niveau
national ou dans les organisations internationales pour la clarification
des cas, l’ouverture d’enquêtes pénales, et la mise en place de
mesures préventives et réparatrices. La FEMED nous rappelle que
ces organisations sont la cible d’une répression dans de nombreux
pays, notamment en Turquie (ou leurs dirigeants sont emprisonnés)
et en Russie, où des organisations comme «Memorial», «Russia Justice
Initiative» et les «Mères de Tchétchénie» sont sujettes à des pressions
de plus en plus dures.
7. Conclusions
61. Sans aucun doute, la disparition
forcée est l’une des violations les plus abominables des droits
humains, conçue pour non seulement «faire disparaître» l’un ou l’autre
opposant d’un régime autoritaire, mais aussi pour semer la terreur
dans toute une communauté et dans une société entière
.
62. La trop lente transposition en droit national des dispositions
de la Convention internationale pour la protection de toutes les
victimes des disparitions forcées conformément aux normes internationales,
le manque de coopération des pays concernés et l’écoulement du temps
avant le lancement d’enquêtes efficaces empêchent souvent de mettre
un terme à l’angoisse dans laquelle vivent les victimes de disparitions
forcées, y compris leurs proches. La situation est davantage aggravée
quand les autorités nationales ne soutiennent pas suffisamment les
familles des disparus qui continuent à vivre dans l’incertitude.
63. Les États membres du Conseil de l’Europe devraient montrer
l’exemple en signant, ratifiant et transposant la CED dans leur
droit national et en remplissant leurs obligations positives de
protéger et de défendre tous leurs citoyens contre les disparitions
forcées, y compris contre des acteurs non-gouvernementaux ou extra-européens.
La société civile doit pouvoir apporter son expérience et sa connaissance
du terrain en participant de manière significative aux processus
de consultation et de prise de décisions
.
64. Il ne nous semble pas utile de continuer à revendiquer la
création d’un nouvel instrument normatif en la matière au sein du
Conseil de l’Europe, qui ferait largement double emploi avec les
structures existantes. Il convient plutôt de promouvoir la ratification
universelle de la CED et les déclarations nécessaires pour ouvrir la
voie à des plaintes individuelles auprès du Comité des disparitions
forcées créé par la CED. Le Conseil de l’Europe devrait jouer un
rôle important dans une telle campagne. Dans les projets de résolution
et de recommandation, je formule des propositions constructives
et pragmatiques, dans le sens du renforcement des protections contre
le fléau de la disparition forcée, y compris la lutte contre l’impunité
et le soutien aux associations des familles de disparus.