1. Introduction
1. Ces dernières années, d’intenses
débats ont eu lieu sur les politiques de migration et d’asile de
l’Union européenne. Les évènements de 2015, qui ont vu augmenter
le nombre de personnes demandeuses de protection internationale
au sein de l’Union européenne, et la réponse divisée de ses États
membres de fournir cette protection, ont augmenté les appels pour
une révision de la politique de l’Union européenne qui répondrait
mieux aux défis actuels. Comme l’ont montré les récents événements
en Afghanistan, un nombre important de réfugiés continuent de nécessiter
une protection internationale en 2021, dont certains seront potentiellement
accueillis par des États membres de l’Union européenne et du Conseil
de l’Europe. L’urgence d’une approche globale de la migration et
de l’asile qui soit pleinement compatible avec les obligations en matière
de droits humains se manifeste à travers la situation actuelle à
la frontière entre la Lituanie et le Bélarus
. Ces tensions géopolitiques permanentes
à la frontière orientale de l’Union européenne font aussi partie
du contexte qui entoure l’élaboration du Pacte de l’Union européenne
sur la migration et l’asile et la nécessité pour les États membres
du Conseil de l’Europe de s’engager dans son développement.
2. Au niveau international, en 2018, à l’issue d’un processus
de négociations intergouvernementales de deux ans visant à atteindre
un consensus sur une approche contemporaine des migrations
, nombre d’États – dont la plupart
des États membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe
– ont confirmé leur engagement à défendre les droits humains des
migrants et des réfugiés par le biais du Pacte mondial pour les réfugiés
(PMR) et du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et
régulières (PMM)
, les deux instruments
pertinents des Nations Unies. Ils se sont engagés à protéger, promouvoir
et remplir ces obligations telles qu’elles découlent des traités
internationaux et régionaux antérieurs relatifs aux droits humains
et ont réaffirmé leur volonté de gérer leurs frontières dans le
plein respect de leurs responsabilités en matière de protection
desdits droits. Les Pactes exposent de manière très détaillée la
portée et le contenu matériel des obligations antérieures en matière
de droits humains et leur confèrent une dimension, spécifique aux
migrants, reflétant les défis particuliers liés à la migration.
Ces deux Pactes sont ancrés dans des obligations antérieures en
matière de protection des droits humains des réfugiés, telles qu’elles
découlent de la Convention des Nations Unies sur les réfugiés et,
concernant les migrants, des principaux traités onusiens relatifs
aux droits humains et autres instruments régionaux. Leurs principes
directeurs incluent la non-discrimination et la non-régression.
3. Le Service européen pour l’action extérieure et la Commission
européenne se sont pleinement engagés en novembre 2020 dans l’examen
de la mise en œuvre des Pactes mondiaux au sein de l’Union européenne, lequel
a débouché sur un rapport détaillé. Ceci témoigne de l’engagement
des institutions de l’Union européenne en faveur de la réalisation
des objectifs desdits Pactes. L’Assemblée parlementaire a également adopté
ces Pactes et souligné le rôle de la coopération internationale
dans leur mise en œuvre en tant qu’instruments visant à renforcer
la protection des droits humains de tous les migrants et réfugiés.
Elle a appelé les parlements nationaux de tous les États membres
du Conseil de l’Europe à prendre des mesures en vue de l’adoption
et de la mise en œuvre des Pactes, ainsi qu’à proposer des actions
spécifiques visant à protéger et promouvoir les droits humains de
toutes les personnes en déplacement, conformément aux normes internationales
en matière de protection des droits humains, de démocratie et de
prééminence du droit
.
4. En septembre 2020, la Commission européenne, consciente que
«le système actuel [d’asile et de migration de l’Union européenne]
ne fonctionne plus» et qu’il est nécessaire de «proposer des solutions européennes
communes pour relever un défi européen»
, a publié sa proposition d’un nouveau
Pacte sur la migration et l’asile (le Pacte), lequel contient:
5. Même si les propositions du Pacte s’adressent avant tout à
l’Union européenne et à ses 27 États membres, sa conceptualisation
de la gestion de la migration régionale pourrait inspirer l’ensemble
des membres du Conseil de l’Europe. En effet, non seulement les
membres de ce dernier partagent des frontières avec des États de
l’Union européenne, mais en outre le Conseil de l’Europe compte
parmi ses valeurs essentielles le respect des droits humains de
toute personne, y compris les migrants et réfugiés, se trouvant sur
le continent européen. Face à des défis mondiaux, y compris l’impact
récent de la pandémie de covid-19, l’Assemblée a invité l’Union
européenne à promouvoir la solidarité parmi ses membres, à préserver
l’accès à la procédure d’asile et à élargir et améliorer les voies
de migration régulière
.
Comme il est souligné dans le mandat du Représentant spécial du
Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés, la réalité
des réfugiés et des migrants dans la région européenne nécessite
un dialogue et une assistance continus entre États
. L’ensemble des 47 États membres
du Conseil de l’Europe, y compris des juridictions non-membres de
l’Union européenne, restent parfaitement à même de coopérer et de
dialoguer avec l’Union européenne sur les questions liées aux migrations
. Cette coopération pourrait
porter ses fruits dans le cadre de discussions sur la solidarité,
portant notamment sur celles relatives à la relocalisation et la
réinstallation, et sur des mécanismes de gestion des migrations
pleinement conformes à toutes les normes internationales et régionales
pertinentes en matière de droits humains. À cet égard, la communication
de la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à
la Commission européenne a mis en évidence les principaux sujets de
préoccupation relatifs à la protection des droits des migrants,
y compris les réfugiés et les demandeurs d’asile, lesquels comprennent
les refoulements et le refus d’accès à l’asile dans l’Union européenne
et les autres États membres du Conseil de l’Europe
. Ce texte souligne également la
volonté de la Commissaire de travailler en partenariat avec la Commission
pour soutenir les efforts de solidarité auxquels participent les
États membres du Conseil de l’Europe.
6. Le Pacte introduit une procédure intégrée aux frontières extérieures
(filtrage préalable à l’entrée menant à une procédure d’asile et/ou
à une décision rapide de retour rapide). Une attention particulière
est accordée au traitement des groupes vulnérables, notamment celui
des enfants migrants. Le Pacte établit également un système européen
commun de retour afin d’améliorer les procédures d’expulsion, ainsi
qu’un nouveau mécanisme de solidarité obligatoire. La Commission
a demandé aux 27 États membres de l'Union européenne d'approuver
rapidement l'ensemble des mesures. Toutefois, en septembre 2021,
un accord provisoire n'avait été trouvé que sur deux mesures: une
révision de la directive «carte bleue» sur l'admission des travailleurs hautement
qualifiés (qui élargit légèrement les voies légales de l'immigration
régulière) et la transformation du Bureau européen d'appui en matière
d'asile en une Agence de l'Union européenne pour l'asile dotée d'un mandat
renforcé, notamment en matière de renforcement des capacités dans
les pays tiers (dont beaucoup seront des États du Conseil de l'Europe).
Les principaux éléments du Pacte, notamment le règlement sur le filtrage,
les modifications apportées aux procédures communes et le règlement
sur la gestion (qui contient le nouveau mécanisme de «solidarité»
pour la responsabilité des États membres à l'égard des demandeurs d'asile)
sont loin de faire l'objet d'un consensus
. Les États membres ne sont pas convaincus
que le nouveau mécanisme de solidarité soit réalisable ou souhaitable;
les États qui se considèrent en première ligne des arrivées ne sont
pas satisfaits des propositions très complexes
.
7. La publication du Pacte a suscité de nombreux commentaires.
Certaines organisations internationales ont salué le Pacte comme
une «nouvelle occasion de faire respecter les droits de l'homme
dans la gouvernance des migrations»
. L'Agence des Nations Unies pour
les réfugiés (HCR) a salué certains éléments spécifiques, notamment
ceux relatifs à l'identification rapide des personnes ayant besoin
de protection, à la solidarité au sein de l'Union européenne, au
renforcement du soutien aux groupes vulnérables et aux enfants,
et à l'engagement en faveur d'un partage global des responsabilités.
Dans ses recommandations visant à éclairer les négociations, le
HCR a réaffirmé le rôle des obligations juridiques existantes, y
compris le droit d'asile, en tant que normes clés qui restent applicables,
indépendamment de certains éléments des propositions
. Tout en approuvant avec prudence
certains éléments du Pacte, notamment la proposition de mécanisme
de contrôle indépendant contenue dans la proposition de règlement de
filtrage, une déclaration conjointe d'ONG internationales et nationales
de premier plan a mis en évidence des préoccupations importantes
en matière de droits de l'homme. La société civile a salué les références
du Pacte aux migrations comme étant positives pour l'Europe, et
comme un recadrage nécessaire, étant donné un paysage dominé, comme
l'Assemblée l'avait précédemment noté, par une rhétorique particulièrement négative
autour des migrations
. Pourtant, la
société civile a conclu que cette vision positive des migrations n'était
pas confirmée par les propositions. Au contraire, ces organisations
notent que «le Pacte risque d'exacerber l'accent mis sur l'externalisation,
la dissuasion, le confinement et le retour»
. L'analyse article par article des
instruments par le Conseil européen sur les réfugiés et les exilés
(CERE) illustre les limites du Pacte et leur impact délétère probable
sur les niveaux de protection des droits de l'homme
.
2. Normes internationales pertinentes
8. Le cadre du droit international
des droits humains décrit les droits civils, politiques, sociaux, économiques
et culturels reconnus à tout être humain, quel que soit son statut
migratoire
. Les réfugiés
sont protégés par un traité spécifique – la Convention des Nations
unies sur les réfugiés – qui les protège contre le retour dans des
États où ils risquent d’être persécutés en raison de leur identité
ou de leurs convictions et qui établit leurs droits dans un certain
nombre de domaines, notamment le séjour, l’éducation et l’accès
au marché du travail. D'autres traités des Nations Unies relatifs
aux droits de l'homme traitent des droits de groupes spécifiques,
tels que les enfants, les femmes et les jeunes filles ou les personnes
handicapées
. Ces instruments reflètent
la manière dont les États peuvent être amenés à assumer des obligations
accrues à l’égard des personnes en situation de vulnérabilité, y
compris des obligations de soutien, afin de garantir la mise en
place de droits de manière concrète et effective – plutôt que théorique
et illusoire. Ces engagements ont été pleinement réaffirmés en décembre
2018 dans le cadre de l’adoption des Pactes mondiaux qui ajoutent trois
obligations importantes en matière de réalisation des droits des
migrants et des réfugiés: la pleine adhésion aux normes relatives
aux droits humains, la pleine application du principe de non-discrimination
et le respect de la règle de non-régression. Compte tenu de cet
engagement, le Pacte de l'Union européenne doit également être examiné
en se posant la question de savoir s’il entraînera une diminution
des droits des migrants et des réfugiés par rapport à la situation
actuelle. Si tel était le cas, ses propositions ne seraient pas conformes
à l’obligation de non-régression énoncée dans les Pactes mondiaux.
9. Dans le contexte européen, la Cour européenne des droits de
l’homme a affirmé à plusieurs reprises que la Convention européenne
des droits de l’homme (STE n° 5) protège également les droits humains
des migrants et des réfugiés. Lorsqu’elle examine le traitement
réservé par les États membres à cette population, la Cour réaffirme
systématiquement l’importance pour les États en cause d’exercer
leurs politiques de migration et d’asile conformément à leurs obligations
en matière de protection desdits droits et condamne l’invocation
par les juridictions en cause de crises – financières ou administratives
– pour justifier le non-respect de leurs obligations
.
L’interprétation judiciaire de l’interdiction du refoulement conforte
le caractère absolu de l’obligation pour les États de ne pas expulser
des individus lorsqu’une telle mesure exposerait les intéressés
à un risque réel de torture ou de peines ou traitements inhumains
ou dégradants
. La Cour a également souligné
le rôle des États dans la fabrication et l’exacerbation de la vulnérabilité
des migrants et des réfugiés, en démontrant comment des lois, politiques
ou pratiques restrictives peuvent empêcher ces personnes de jouir effectivement
de leurs droits
.
10. Le droit européen prévoit également que le contrôle de l’immigration
ne peut être exercé que dans le respect des obligations en matière
de droits fondamentaux. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
(la Charte de l’Union européenne) énumère les droits qui engagent
les États membres de l’Union lorsqu’ils agissent dans le cadre du
droit communautaire, y compris leur traitement des migrants et des réfugiés,
et intègre les droits énoncés dans la Convention. En ce qui concerne
l’asile, le Régime d’asile européen commun (RAEC) est censé respecter
intégralement la Convention sur les réfugiés, l’obligation de non-refoulement
et les «autres traités pertinents» au sein desquels la Convention
occupe une place essentielle. Le RAEC est axé sur le respect des
droits fondamentaux parmi lesquels les obligations imposées par
le droit international des droits humains et plus particulièrement
celles découlant de la Convention
. Le RAEC établit des normes communes
en ce qui concerne l’éligibilité à la protection internationale
et le contenu de cette protection, les conditions d’accueil des
personnes demandant une protection internationale, la répartition
des responsabilités entre les États membres de l’Union européenne
en matière d’examen desdites demandes et les procédures à suivre
pour rendre une décision au cas par cas
.
11. Dans ce cadre, la Commission européenne joue un rôle spécifique
dans la promotion de la conformité des États membres au RAEC et
aux obligations en matière de droits humains. En tant que «gardienne»
du droit communautaire, la Commission a le pouvoir de prendre des
mesures légales contre des États membres dans des circonstances
spécifiques; elle doit le faire si elle estime qu’un État membre
n’a pas rempli une obligation en vertu des traités de l’Union européenne
. Compte tenu des lacunes largement
reconnues qui existent entre la mise en œuvre des obligations découlant
du RAEC et la situation dans les États membres
, la Commission peut mettre en place
des procédures d’infraction contre les États membres concernés
. Ce pouvoir a été exercé à plusieurs
reprises dans le domaine de la migration et de l’asile
. Cela a conduit la Cour de justice
de l’Union européenne (CJUE) à estimer que certaines législations,
politiques et pratiques nationales étaient incompatibles avec les
obligations des États membres vis-à-vis des réfugiés
. Ainsi, avant
même la négociation et l’adoption des propositions du Pacte, la
Commission continue de jouer un rôle important pour tenir les États
membres pour responsables et garantir que les droits humains des
réfugiés et des migrants seront respectés grâce à la mise en œuvre
des obligations existantes en matière de droits fondamentaux.
3. Principales
préoccupations en matière de droits de l'homme soulevées par le
Pacte
12. Ce rapport examine cinq domaines
thématiques à la lumière du cadre global des droits de l'homme et considère
que le Pacte proposé soulève des questions importantes pour la protection
des droits de l'homme des migrants et des réfugiés: Il s'agit du
filtrage, de la détention et de l'expulsion des immigrants, des procédures
d'asile, de la solidarité et des groupes vulnérables.
3.1. Le
filtrage
13. La proposition de règlement
introduit une phase de filtrage pour les ressortissants de pays
tiers à la frontière extérieure de l'Union européenne (et sur le
territoire de l'Union européenne lorsque la personne n'est pas en
mesure d'établir une entrée régulière). Elle présente le filtrage
comme «une simple étape de collecte d'informations qui prolonge
ou complète les vérifications au point de passage de la frontière
extérieure et qui n'entraîne aucune décision affectant les droits
de la personne»
. En conséquence, en
lieu et place d’un droit de recours contre un filtrage incorrect,
la proposition introduit une innovation par rapport au RAEC – le
devoir pour les États membres de mettre en place un organisme national
de suivi indépendant pour veiller au respect des droits fondamentaux.
Ce mécanisme de suivi a été accueilli avec prudence par un certain
nombre d’acteurs, dont des organisations internationales
et d’autres, qui ont émis des réserves
quant à sa portée
. La Cour européenne des droits de
l’homme prend fréquemment en compte les rapports des mécanismes
de suivi indépendants lorsqu’elle examine la situation dans un pays
où une allégation de violations des droits de l’homme a eu lieu.
Mais
elle a aussi toujours estimé que le droit à un recours effectif
inscrit à l’article 13 de la Convention doit être respecté et qu’il
s’agit d’un droit individuel. À moins qu’un mécanisme de suivi ne
soit doté des pouvoirs et attributs d’un tribunal ou d’une cour,
il ne sera pas en mesure de proposer une voie de recours au sens
de l’article 13 de la Convention.
14. Les erreurs de filtrage peuvent aboutir à de graves préjudices
pour les individus. Ainsi, un enfant considéré comme un adulte à
l’issue d’une erreur de filtrage peut être placé en rétention avec
des adultes et ne bénéficiera pas des garanties supplémentaires
ni de l’assistance applicables aux enfants. Si l’enfant n’est pas
en mesure de formuler clairement une demande de protection internationale,
il risque d’être orienté vers une procédure de retour accélérée
et d’être refoulé. Un autre exemple est celui d’une femme afghane considérée
à tort comme pakistanaise après le filtrage, car elle était née
dans un camp de réfugiés afghans au Pakistan (ce qui ne lui confère
pas la nationalité pakistanaise). Elle risque d’être soumise à une
procédure tronquée concernant le pays d’origine sûr en raison d’une
décision de filtrage incorrecte. Des problèmes similaires à ces
exemples ont fréquemment été rencontrés en 2015-2016 lorsque la
Commission a demandé à la Grèce et à l’Italie de mettre en place
des
hotspots où un filtrage
avait lieu avant l’accès à une procédure de protection. Des universitaires
ont rassemblé les preuves de nombreux problèmes et erreurs de filtrage
qui se sont produits et des préjudices causés aux individus en raison
de l’absence de procédures de recours
.
3.2. Rétention
et expulsion
15. Le recours probablement accru
à la rétention des migrants envisagé dans le Pacte est discutable
au regard du droit à la liberté tel qu’il est protégé par le droit
international et européen des droits humains
. Les effets délétères
de la rétention des migrants ne sont plus à démontrer. La rétention
affecte de manière significative la jouissance d’autres droits par
les migrants et les réfugiés et elle a un impact documenté sur la santé
mentale
. Elle porte préjudice à la capacité
des individus à accéder à une assistance juridique, à s'engager
dans les procédures d'immigration et d'asile, et exacerbe les vulnérabilités
existantes
.
16. Néanmoins, la rétention des migrants est mentionnée implicitement
ou explicitement dans bon nombre de dispositions du Pacte. Cette
expansion probable du recours à la détention semble incompatible
avec les obligations en matière de droits de l'homme et avec l'évolution
du droit international des droits de l’homme vers un recours à la
détention en dernier ressort. Le flou entourant la rétention dans
les propositions risque de banaliser la rétention des migrants au
point que cette pratique pourrait devenir la règle plutôt que l’exception
. Pourtant, comme l'affirment les
Pactes mondiaux, la communauté internationale s'est engagée à réduire
le recours à la rétention des immigrants; la détention ne devrait
être utilisée qu'en dernier recours, les alternatives à la rétention
poursuivies avec diligence.
17. Les préoccupations relatives à l'utilisation de la rétention
sont évidentes dans les procédures de pré-entrée envisagées dans
le Pacte. Bien que le règlement de filtrage proposé ne sanctionne
pas explicitement la rétention, son utilisation est implicite tout
au long de la procédure, d'un point de vue logistique, il est probable qu'une
certaine forme de rétention – en droit ou en fait – sera utilisée.
L'analyse d'impact horizontale de substitution sur les propositions,
commandée par le Parlement européen, conclut que «les procédures
de pré-entrée peuvent impliquer un recours excessif à la rétention»
. Par exemple, la proposition
fait référence à l'obligation faite aux personnes soumises à la
procédure de filtrage de «rester dans les locaux désignés pendant
toute la durée de la procédure» (article 9.1.b). Pour les personnes
orientées vers une procédure d’asile à la frontière, la proposition
modifiée de Règlement instituant une procédure commune en matière
de protection internationale prévoit que ces personnes doivent également
rester à la frontière extérieure ou dans des zones de transit ou
à proximité de ces endroits en attendant qu’il soit statué sur leur
demande d’asile ou leur retour (article 41.13)
. Bien que ces dispositifs ne soient
pas définis, les observateurs soulignent le «risque élevé» de «détention
de facto, les détenus étant privés des garanties qui s'appliquent
dans les régimes de détention formels»
. Le risque de régimes de
détention informels qui restreignent le droit à la liberté et ont des
effets néfastes en cascade sur la jouissance d'autres droits est
important.
18. Le recours à la rétention est étroitement lié à l’expulsion.
La Communication 2020 de la Commission européenne souligne l’importance
«d’[u]n système européen de retour efficace et commun»
.
L’exposé des motifs du Règlement instituant une procédure commune
en matière de protection internationale dans l’Union souligne la
nécessité «d’établir une continuité entre les procédures d’asile
et de retour afin d’accroître l’efficacité globale et la cohérence
du système d’asile et de migration»
.
Cependant, la conception d’une procédure intégrée d’asile et de
retour – qui semble subordonner le respect des obligations des États
en matière de protection à la focalisation sur le retour – soulève
des problèmes considérables en matière de droits fondamentaux, notamment
ceux liés au droit d’asile (article 18 de la Charte de l’Union européenne)
et aux obligations de non-refoulement (articles 4 et 19 de la Charte
de l’Union européenne, article 3 de la Convention).
19. Pour exemple, une procédure de retour à la frontière est envisagée
sous proposition du Règlement et s’applique aux personnes retenues
à la frontière pendant la procédure d’asile qui n’ont plus le droit
de rester et ne sont pas autorisées à rester. La poursuite de la
rétention de ces personnes est possible afin d’empêcher leur entrée
sur le territoire de l’État membre, de préparer leur retour ou d’exécuter
la procédure d’éloignement (article 41a,
paragraphe 5). Cependant, cette disposition ne fournit pas de motifs
clairs et spécifiques de rétention. Il n'y a pas non plus de référence
à l'utilisation de la détention comme dernier recours après une évaluation
préalable de la nécessité et de la proportionnalité, conformément
aux obligations du droit international et européen. Des questions
similaires se posent en ce qui concerne le recours à la rétention
dans le cadre du «parrainage du retour», qui est l'une des modalités
de solidarité entre les États membres proposées dans le Pacte. La
proposition de régulation sur l'asile et la gestion des migrations
prévoit que ces demandeurs peuvent être détenus jusqu'à huit mois.
Si le retour n'a pas lieu pendant cette période, la personne est
transférée vers l'État membre responsable, mais il n'est pas précisé
si, et pour combien de temps, la détention se poursuivra après le
transfert.
3.3. Procédures
d'asile
20. Les modalités d’accès à la
procédure d’asile constituent l’une des questions les plus contestées
du Pacte
. Elles incluent des recommandations
pour une plus grande coopération avec les États tiers afin d’empêcher
l’arrivée irrégulière de personnes dans l’Union européenne (par
exemple, sur de petites embarcations peu sûres). Cette inclusion
découle de la proposition du Pacte de réglementer les activités
de recherche et de sauvetage du secteur privé (ONG) suscitées par
l’inefficacité de l’action des États en la matière. L’accent mis
sur la prévention de l’arrivée semble prendre le pas sur le droit
au non-refoulement. Cette orientation se traduit par un recours
accru à des procédures d’asile raccourcies, ce qui soulève de sérieuses inquiétudes
quant à la compatibilité de ces dernières avec les obligations de
non-refoulement des États. Les procédures accélérées limitent la
capacité des demandeurs à étayer leur demande de protection et ont
un effet négatif sur les survivants d’actes de torture et les personnes
présentant des besoins de soutien supplémentaires, lesquelles devraient
bénéficier d’un examen attentif de leur demande. Le recours accru
aux dérogations à la procédure d’asile, qui permet de faire l’impasse
sur les principales garanties procédurales en temps de crise, est
particulièrement problématique.
21. Parmi les questions les plus difficiles pour les pays du Conseil
de l'Europe figure l'externalisation des procédures d'asile. Ces
derniers devront donc travailler de concert avec les pays voisins
pour éviter que des demandeurs d’asile désireux d’arriver dans l’Union
européenne restent bloqués dans un pays limitrophe (souvent membre
du Conseil de l’Europe). Les problèmes découlant de cette situation
ont été examinés dans un rapport de l’Assemblée datant de 2007
. À l’époque, l’Assemblée avait noté
les conséquences négatives d’une telle externalisation sur les droits
humains, révélées par les expériences menées par les États-Unis
à Guantanamo, Cuba et par l’Australie en Papouasie-Nouvelle-Guinée
(et à Nauru). En 2018, l’Assemblée avait relevé que la réduction
du nombre de migrants entrant en Europe à la suite des politiques
d’externalisation de l’Union européenne impliquant des pays tiers
dans la gestion des migrations avait été obtenue au détriment des
droits des demandeurs d’asile
. Le 3 juin
2021, le Parlement danois a voté le transfert de ses demandeurs d’asile
et l’externalisation des demandes d’asile pour qu’elles soient traitées
en dehors du Danemark, mais vers une destination restant à déterminer
. Pourtant, dans le même temps, l’Australie
– qui a été l’un des principaux architectes et partisans de cette
délocalisation des demandeurs d’asile (et qui, à ce titre, s’était attirée
les foudres des défenseurs des droits humains)
– serait sur le point
d’abandonner son dispositif
.
22. La Commission européenne a proposé en 2016 des changements
aux procédures d’asile, lesquels n’ont pas encore été approuvés
par ses États membres. Le Pacte comprend des modifications de cette
proposition visant à renforcer les liens entre les procédures d’asile
et la procédure de retour européenne (qui comprend les retours à
la frontière et les retours au titre de la Directive pertinente).
Toutes ces propositions vont dans le sens d’une accélération des
procédures d’asile, d’un lien avec le retour et d’une limitation
des droits de recours. Elles ont des implications sur le non-refoulement
et l’application correcte des articles 3 et 13 de la Convention (interdiction
du retour vers un État où l’individu en cause risque la torture
ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants et droit à
un recours effectif). La justification de ces changements défavorables
aux demandeurs d’asile est qu’en moyenne 370 000 demandes d’asile
sont rejetées chaque année et que les personnes en cause doivent
être transférées dans le cadre de procédures de retour (COM(2020)611,
page 2). Pourtant, selon l’Office statistique de l’Union européenne,
Eurostat, 521 000 décisions sur des demandes d’asile ont été rendues
en première instance dans les États membres de l’Union européenne
et 232 800 autres décisions définitives ont été rendues à la suite
d’un appel ou d’un réexamen. Les décisions rendues en première instance
ont abouti à l’octroi du statut de protection à 211 800 personnes,
tandis que 69 200 autres n’ont obtenu ce même statut qu’à l’issue
d’un appel ou d’une demande de révision de leur cas
. En d’autres termes, parmi les demandeurs
reconnus comme ayant besoin d’une protection internationale dans
l’Union européenne, environ un tiers a vu sa demande rejetée en
première instance. S’ils n’avaient pas eu accès à une procédure
assortie d’un droit d’appel suspensif, ces demandeurs auraient été
renvoyés vers une juridiction où ils risquent la torture ou des
peines ou traitements inhumains ou dégradants, en violation des
obligations de non-refoulement de l’Union européenne. En 2020, des
procédures d’asile équitables assorties d’un droit de recours suspensif
ont par conséquent constitué une question de vie ou de mort pour
près de 70 000 personnes dans l’Union européenne (soit près d’un
tiers du total des personnes ayant obtenu une protection internationale).
23. Pourtant, ce sont exactement ces droits de recours suspensifs
qui sont compromis dans le Pacte. Entre l’absence totale de droit
de recours dans la procédure de filtrage et des procédures d’asile
à la frontière raccourcies et accélérées – l’accès à une procédure
équitable est menacé, malgré la déclaration du Pacte selon laquelle
«toutes les garanties nécessaires sont toutefois en place pour veiller
à ce que personne ne passe entre les mailles du filet et à ce que
le droit d’asile soit toujours garanti.» (page 7) et que «[l]e droit
à un recours effectif est garanti de manière adéquate, puisque ce
n’est que dans des cas dûment justifiés énoncés dans le présent
règlement, dans lesquels sa demande est susceptible d’être infondée,
que le demandeur n’est pas automatiquement autorisé à séjourner
dans l’Union européenne pour les besoins de son recours» (page 12).
Les droits d'appel existent mais n'ont pas d'effet suspensif, la
personne peut être renvoyée dans le pays d'où elle a déclaré craindre
avec raison d'être persécutée ou torturée.
24. En outre, le Pacte propose un nouveau motif d’application
d’une procédure accélérée, lequel se fonde sur le taux de réussite
des précédents demandeurs du même pays (qui doit dépasser le seuil
de 20 %). Ledit critère a été fortement critiqué par le HCR qui
le juge à la fois arbitraire et injuste. Arbitraire parce que les
taux de reconnaissance des demandeurs d’asile d’un même pays varient
considérablement d’un État membre de l’Union européenne à l’autre
(par exemple, un taux de reconnaissance de 1 % pour les réfugiés
syriens dans un État et un taux de 95 % dans un autre) et injuste
parce qu’il fait reposer les chances d’une procédure d’asile équitable
et complète sur un chiffre statistique relatif aux demandes antérieures
et non sur les circonstances individuelles de la personne en quête
de protection.
25. Le nombre de personnes qui se noient en Méditerranée en tentant
d’atteindre l’Union européenne est également un sujet de préoccupation
pour le Pacte, d’autant plus qu’une grande partie des intéressés,
s’ils en avaient eu la possibilité, aurait demandé une protection
internationale. Le défi de la recherche, du sauvetage et du débarquement
en Méditerranée orientale, en particulier, préoccupe gravement la
communauté internationale. L’Assemblée a dénoncé à plusieurs reprises
les pertes de vie en mer des migrants et réfugiés qui tentent de
gagner les côtes européennes. Elle a appelé les États membres de
l’Union européenne et du Conseil de l’Europe à agir conformément
aux obligations légales et a qualifié le sauvetage des personnes
en danger de condition préalable à la mise en œuvre du respect de
la vie humaine et de l’assistance aux personnes en danger de mort
.
Si le Pacte comporte une nouvelle Recommandation (2020/1365) relative
à la coopération entre les États membres en ce qui concerne les
opérations effectuées par des bateaux détenus ou exploités par des
entités privées aux fins d’activités de recherche et de sauvetage,
aucune action concrète n’est prévue pour éviter de nouvelles pertes
en vies humaines. Au contraire, ladite Recommandation établit un lien
entre les efforts courageux des acteurs humanitaires pour mener
des opérations de recherche et de sauvetage en mer (comblant ainsi
les carences des autorités étatiques ayant manqué à leurs obligations
en la matière) et la lutte contre le trafic illicite de migrants
et les organisations criminelles de passeurs. Si la lutte contre
le trafic illicite et la traite des êtres humains constitue un objectif
important du Conseil de l’Europe, ternir la réputation des acteurs
humanitaires européens qui risquent leur vie pour effectuer des
opérations de recherche et de sauvetage en mer en les assimilant
à des complices de ces gangs est indigne d’une institution européenne.
Il incomberait plutôt aux États de l’Union européenne, au lieu de
recommander une coopération entre États pour réglementer le secteur
humanitaire de lancer – dans l’esprit de la protection des droits humains
et conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme
–
des actions de recherche et de sauvetage comparables à l’opération
«Mare Nostrum» menée par l’Italie (laquelle a débuté en 2013 et
s’est poursuivie pendant un an)
. La suggestion selon laquelle la
solution consistant à confier la recherche et le sauvetage aux garde-côtes
libyens à charge pour eux de débarquer les personnes secourues en
Libye serait conforme aux normes européennes ou internationales
en matière de droits humains a été catégoriquement réfutée par le
HCR sur la base de la situation concrète des migrants et des réfugiés
en Libye
.
26. L’accent mis sur la nécessité de prévenir les arrivées, d’accorder
la priorité au retour et de répartir les demandeurs d’asile entre
les États membres de l’Union européenne néglige les autres moyens
par lesquels le Pacte aurait pu aborder la réalité d’un espace européen
envisageant des dispositifs complémentaires d’accès à la migration.
Les migrations économiques dans l’Union européenne sont une réalité
qui s’accommode mal des acquis juridiques de l’Union européenne
dans son espace de liberté, de sécurité et de justice. En 2019, selon
Eurostat, les États membres de l’Union européenne ont délivré près
de 3 millions de permis de premier séjour à des migrants
. Bien plus d’un million de ces permis
concernaient des migrations à des fins économiques, la majorité
d’entre eux ayant été délivrés par les autorités polonaises à des
ressortissants ukrainiens (plus de 750 000). Parmi ces permis de
séjour liés à l’emploi, rares sont ceux qui ont été délivrés sur
la base du droit communautaire, la plupart se fondant sur la législation
nationale
. Il existe donc de toute évidence
un fossé juridique et politique entre les réalités des migrations
économiques dans l’Union européenne et la législation de l’Union
européenne en la matière. Cette dernière n’est pas adaptée à l’objectif recherché.
Au lieu de continuer à adopter des législations qui ne créent pas
de voies d’accès à la migration régulière dans la pratique, l’Union
européenne devrait étudier la réponse polonaise aux pressions migratoires économiques
en provenance d’Ukraine et la manière concrète et efficace dont
elles ont été traitées.
3.4. La
solidarité
27. La proposition de règlement
relatif à la gestion de l’asile et de la migration établit de nouveaux mécanismes
censés renforcer la solidarité entre États membres dans le domaine
de l’asile et des migrations. Elle vise à remplacer l'actuel règlement
Dublin III, qui répartit entre les États membres de l'Union européenne la
responsabilité de l'examen des demandes de protection
.
Le mécanisme de solidarité ne concerne que les demandeurs d’asile
et les personnes traitées comme étant en situation irrégulière dans
l’Union européenne et se compose de deux volets. Le premier passe
par la relocalisation de personnes depuis les États d’accueil (les États
de la ligne de front) vers d’autres États lorsqu’il existe une pression
ou un risque de pression excédant les capacités nationales d’asile
et de retour. Le second est le mécanisme de parrainage du retour
dans le cadre duquel un État membre peut «parrainer» l’expulsion
d’une personne présente dans un autre (surchargé) avec l’aide de
Frontex, l’Agence européenne des frontières, ou, à défaut, la relocalisation
de la personne dans l’État de parrainage le temps que les procédures
soient achevées. L’aspect le plus frappant de cette proposition
tient à sa complexité. Les efforts déployés jusqu’à présent par
l’Union européenne pour parvenir à la relocalisation des demandeurs
d’asile des États de la ligne de front vers d’autres moins surchargés
se sont pour la plupart révélés infructueux
. Le problème de relocalisation a
été examiné plus en détail dans le rapport de l’Assemblée sur la
«Relocalisation volontaire des migrants ayant besoin d'une protection
humanitaire et réinstallation volontaire des réfugiés»
.
Ce manque de succès des projets de relocalisation des demandeurs d’asile
initiés par les États s’explique sans aucun doute par la complexité
des mesures mises en place. En réalité, des demandeurs d’asile se
sont eux-mêmes «auto-relocalisés» depuis les États de la ligne de
front (où les conditions d’accueil sont souvent inadéquates) vers
d’autres États. Selon le règlement Dublin III, en théorie, une telle
relocalisation ne devrait pas être autorisée et le demandeur d’asile
devrait être renvoyé dans le premier État membre d’arrivée. En pratique,
seuls 3 % environ des demandeurs d’asile font l’objet d’un «retour
Dublin»
.
28. Le Pacte envisage le parrainage de retour comme une forme
de solidarité, par laquelle un État membre s'engage à renvoyer des
migrants irréguliers n'ayant aucun droit de séjour dans l'Union
européenne au nom d'un autre État membre et à le faire directement
depuis le territoire du premier État membre. Là encore, les détails
de cette proposition sont très complexes et la date butoir est longue;
si l'expulsion n'a pas lieu dans les huit mois, la personne sera
physiquement transférée dans l'État qui la parraine. Les questions
relatives aux droits de l'homme qui se posent dans le cadre de cette
proposition sont principalement de deux ordres: la garantie de non-refoulement
et le droit à un droit d'appel suspensif pour toute personne invoquant
un besoin de protection. En pratique, la question de l'expulsion
de l'Union européenne est anormale. Selon Frontex, en 2019, les
États membres ont pris un total de 289 190 décisions de retour
. La même année, ils ont entrepris 71
163 retours forcés (il y a également eu 67 656 retours volontaires).
L'écart entre les deux chiffres – prise d'une décision de retour
et sa mise en œuvre – est constant au cours des cinq dernières années
au moins. L'une des questions qui se pose dans le cadre de la recherche
juridique universitaire sur les retours est celle de la qualité
des décisions de retour – dans quelle mesure les décisions de retour
sont-elles prises comme un moyen pour les fonctionnaires de clore
des dossiers compliqués ou de remplir les quotas fixés par leurs supérieurs?
Un meilleur investissement institutionnel dans la qualité des décisions
de retour pourrait permettre de réduire l'écart bien plus efficacement
que la création d'un système complexe dans lequel les fonctionnaires prenant
les décisions de retour sont de plus en plus isolés des conséquences
d'une mauvaise prise de décision, qui peut aboutir au refoulement.
29. Ces propositions illustrent à quel point la question de la
solidarité est considérée comme réservée à la solidarité entre les
États membres de l'Union européenne, avec une prise en compte minime,
voire inexistante, de la solidarité envers les personnes ayant besoin
d'une protection internationale ou les autres États du Conseil de
l'Europe. À titre d’exemple, le mécanisme de solidarité par la relocalisation
n’intègre aucune prise en considération des préférences personnelles
du demandeur dans le processus. Cette approche ne reflète absolument
pas les résultats de recherches documentées selon lesquelles les
perspectives d’intégration sont considérablement améliorées lorsqu’un
individu possède un lien avec l’État de transfert, qu’il s’agisse
d’une langue commune, d’un contexte culturel familier ou de liens
familiaux dépassant les critères reconnus comme pertinents aux fins
du transfert. Ceci souligne la conceptualisation sous-jacente de
la proposition qui considère le migrant comme une marchandise censée
être négociée et transférée sur ordre des États, sans aucune prise en
considération des préférences personnelles des intéressés ni aucune
participation de ces derniers aux décisions qui les concernent.
Pareil déni de capacité, illustré par la procédure de relocalisation,
a notamment pour effet, comme indiqué ci-dessous, de créer ou exacerber
la vulnérabilité des personnes en cause. Il est susceptible de figer
des handicaps préexistants et va à l’encontre de la dimension participative
des Pactes mondiaux qui soulignent le rôle des réfugiés dans les
décisions les concernant. Même si cette participation ne garantit
en rien aux demandeurs le dernier mot sur le lieu de leur réinstallation,
il n’en reste pas moins que des systèmes n’accordant aucun poids
aux préférences des intéressés sont inacceptables. Dans le cas des enfants,
l’une des obligations sous-jacentes de la Convention des Nations
Unies relative aux droits de l’enfant est qu’il doit être tenu compte
de l’opinion de celui-ci dans toutes les décisions le concernant,
les États étant tenus d’adapter des systèmes afin de garantir cette
prise en considération.
3.5. Les
personnes vulnérables
30. Le risque de violation des
droits fondamentaux découlant du Pacte est susceptible d'affecter
de manière disproportionnée les personnes en situation de vulnérabilité.
Les États ont des obligations accrues de soutien envers les personnes
ayant des besoins spécifiques, par exemple envers les personnes
handicapées auxquelles ils doivent des aménagements raisonnables.
Pourtant, l'accent mis sur l'identification des «personnes vulnérables»
dans les propositions n'est pas explicitement lié à des obligations
claires de soutien global. Par exemple, si l'on peut se féliciter
qu'un soutien adéquat et en temps utile en matière de santé physique
et mentale doive découler de la constatation d'indicateurs de vulnérabilité
(article 9.2, du règlement relatif au filtrage), le contenu du soutien
à apporter n'est pas défini. Le Pacte n'aborde pas non plus la question de
savoir dans quelle mesure c'est la procédure ou le cadre juridique
qui place les migrants et les réfugiés dans une situation de vulnérabilité.
L'absence de soutien aux groupes spécifiques et l'absence d'obligation
explicite de fournir des aménagements raisonnables risquent d'entraîner
une mise en œuvre contraire aux obligations internationales et européennes.
31. La proposition de règlement sur le filtrage fait référence
à des «contrôles de vulnérabilité» dans le cadre du processus de
filtrage; ceux-ci sont censés garantir l'identification précoce
des personnes ayant des «besoins particuliers» afin que «tout besoin
particulier en matière d'accueil et de procédure soit pleinement
pris en compte dans la détermination et la mise en œuvre des besoins»
(considérant 9). Or, comme l'a souligné le CERE dans ses commentaires,
la proposition prévoit que ces contrôles ne sont effectués que «le
cas échéant» pour les personnes soumises à un contrôle aux frontières
extérieures et qui font l'objet d'un contrôle médical, afin de déterminer
si elles «se trouvent dans une situation vulnérable, sont victimes
de torture ou ont des besoins particuliers en matière d'accueil
ou de procédure» (article 9)
. Cette formulation
exclut les personnes qui sont soumises à la procédure de filtrage
mais qui se trouvaient déjà dans l'État membre de l'Union européenne
et exclut la possibilité d'un filtrage systémique de la vulnérabilité.
32. La même proposition établit un lien entre les personnes à
identifier au moyen de contrôles de vulnérabilité et celles qui
sont considérées comme des personnes vulnérables aux fins de la
directive sur les conditions d'accueil (DCR). Cette liste comprend
les personnes handicapées, les personnes atteintes de maladies graves
et les personnes souffrant de troubles mentaux (article 21 de la
DCR). Pourtant, le passage du préambule du Pacte mentionnant le
niveau de vie garanti à ces personnes définit celles-ci comme «des personnes
présentant une déficience physique ou psychique immédiatement identifiable
[et des] personnes ayant manifestement subi un traumatisme psychologique
ou physique» (considérant 27), ce qui pose problème. Si l’on peut
admettre que la période prévue pour le dépistage ne saurait suffire
à identifier des formes complexes de traumatismes ou de handicaps
invisibles, la catégorisation des personnes handicapées est incompatible
avec les obligations à l’égard des personnes handicapées qui n’admettent
pas de telles distinctions, comme le prévoit la Convention relative
aux droits des personnes handicapées (CDPH). Il est préoccupant
de constater que lorsque les propositions font référence aux personnes
handicapées, elles adoptent une approche qui va à l'encontre de
l'approche inclusive de la CDPH à l'égard de toutes les personnes
handicapées, qui a été ratifiée par l'Union européenne et tous ses
États membres.
33. Certains éléments du Pacte, tels que le recours probablement
accru à la détention, risquent de placer des personnes ne faisant
pas partie des catégories spécifiées dans des situations qui génèrent
une vulnérabilité supplémentaire. La proposition de règlement relatif
à la gestion de l’asile et de la migration est un exemple de moyens
supplémentaires par lesquels le Pacte pourrait contribuer à la vulnérabilité
ou la générer. L’article 10 de cette proposition de règlement limiterait
le droit aux conditions matérielles dans l’État membre de l’Union
européenne où le demandeur a l’obligation de se trouver dès sa notification
d’une décision de le transférer vers l’État membre responsable.
Comme l’explique clairement l’exposé des motifs de la Commission,
ceci vise à empêcher les «mouvements non autorisés»
.
Cette disposition est censée s’appliquer sans préjudice de la nécessité
pour les États membres «d’assurer un niveau de vie conforme au droit
de l’Union» conformément aux obligations découlant du droit européen
et international. Pourtant, les éléments constitutifs de ce niveau
de vie conforme aux droits fondamentaux ne sont pas précisés ; la proposition
ne définit pas la forme ou le degré du niveau de vie censé être
assuré. Cette situation est aggravée par l’absence de recours juridictionnel
permettant aux personnes de contester le niveau de vie qui pourrait
leur être proposé dans la pratique ; ce faisant, elle infirme la
jurisprudence antérieure de la CJUE
.
Compte tenu de la jurisprudence et de la documentation volumineuses
consacrées à la manière dont les États membres omettent régulièrement
d’offrir des conditions d’accueil conformes aux obligations existantes
en matière de droits fondamentaux
, l’absence de
détails sur les conditions d’accueil appropriées semble susceptible
de créer et d’exacerber des violations. Il s’agit notamment du droit
à la dignité (article 1 de la Convention) et du droit de ne pas
subir de traitements inhumains et dégradants (article 4 de la Charte
de l’Union européenne et article 3 de la Convention). Des propositions
telles que celle-ci risquent de placer les individus dans des situations
de précarité où ils ne sont pas en mesure de satisfaire leurs besoins
essentiels et de mener une vie digne.
34. Des obstacles supplémentaires à la reconnaissance des besoins
de protection peuvent également aggraver la vulnérabilité. La création
du processus de filtrage implique une procédure supplémentaire qui retarde
l’accès de la personne aux procédures d’asile et risque, par voie
de conséquence, de différer l’accès aux droits qui suivent l’enregistrement
d’une demande. En vertu de la Directive sur les conditions d’accueil,
les États membres de l’Union européenne doivent veiller à ce que
des conditions d’accueil matérielles soient mises à la disposition
des demandeurs dès qu’ils présentent leur demande de protection
internationale (article 17). Le Règlement proposé ne précise pas
si l’accès à ces conditions d’accueil matérielles suit l’expression
par la personne de son désir d’être reconnue comme bénéficiaire
d’une protection internationale, ce qui augmente la probabilité
que l’intéressé accède avec retard à la jouissance de droits fondamentaux.
35. Le flou entourant la question de savoir si les demandeurs
d’asile en situation vulnérable doivent être exemptés des procédures
à la frontière pose problème
. L’accent mis sur les délais risque
de porter atteinte aux garanties des droits fondamentaux. Bien que
les délais de traitement des demandes d’asile soient importants
pour assurer la reconnaissance rapide des réfugiés et l’accès concomitant
aux droits, leur raccourcissement excessif contribue à une identification
déficiente des besoins de protection. Cette situation, déjà problématique
pour tous les demandeurs de protection internationale, affecte de
manière disproportionnée les personnes en situation vulnérable ayant
besoin d’un soutien supplémentaire en vue d’exercer leur droit d’asile.
Il est ainsi de notoriété publique que les personnes ayant survécu
à des actes de tortures et des traumatismes pourraient avoir besoin
de plus de temps pour participer efficacement au processus d’évaluation
de leur demande d’asile. De même, les réfugiés dont la demande est
fondée sur l’orientation sexuelle peuvent avoir besoin de plus de
temps avant de se sentir suffisamment à l’aise pour révéler les
raisons les incitant à demander à être reconnus comme réfugiés.
En l’absence de garanties procédurales concrètes qui tiennent compte
des spécificités des demandeurs se trouvant déjà dans une situation
«vulnérable» en raison de leur statut de demandeur d’asile, les
délais raccourcis proposés – appliqués sans exemptions explicites
au profit des personnes désignées comme ayant besoin d’un soutien supplémentaire
– peuvent exclure les personnes qu’ils sont censés protéger.
3.6. Enfants
36. À première vue, le Pacte semble
accorder une grande attention aux groupes vulnérables, les enfants étant
les premiers bénéficiaires. Cette attention traduit l’importance
constamment reconnue par l’Assemblée à l’adoption de mesures concrètes
visant à protéger les enfants migrants
.
Dans les Pactes mondiaux, les États se sont engagés à traiter et
réduire les vulnérabilités en matière de migration et à considérer
l’intérêt supérieur de l’enfant comme méritant la plus grande attention
chaque fois qu’un mineur est en cause. Le PMM explique comment cette
obligation englobe «l’établissement de procédures spéciales permettant
de les identifier, de les aiguiller, de les accompagner et d’assurer
leur regroupement familial, et donner accès aux services de santé, y
compris de santé mentale, à l’éducation, à l’assistance juridique
et au droit à ce que leur cause soit entendue dans les procédures
administratives et judiciaires, notamment en désignant rapidement
un tuteur légal compétent et impartial»
.
En cas de rétention migratoire, ladite obligation doit se traduire
par des mesures «privilégiant les mesures non privatives de liberté
et la prise en charge communautaire … [et mettant] fin à la pratique
de la rétention d’enfants dans le contexte des migrations internationales»
.
37. Pourtant, il semble y avoir une contradiction dans les termes
entre la reconnaissance par le Pacte de l’obligation des États membres
de l’Union européenne de veiller à ce que l’intérêt supérieur de
l’enfant soit une considération primordiale dans toutes les affaires
les concernant d’une part, et le cadre que cet instrument propose
d’autre part. Il convient de saluer le fait que le Pacte voie le
principe de l’intérêt supérieur comme une considération primordiale
dans toutes les procédures. Cette approche reflète la jurisprudence
établie selon laquelle la vulnérabilité d’un enfant s’accroît lorsque
celui-ci demande l’asile
. Cette attention portée à l’intérêt supérieur
de l’enfant ne se reflète pas toujours dans les dispositions de
fond proposées comme l'ont souligné de nombreuses organisations
de la société civile axées sur les droits de l'enfant
.
Si les enfants non accompagnés et ceux âgés de moins de douze ans
accompagnés par des membres de leur famille sont généralement exemptés
des procédures à la frontière (article 41, paragraphes 3 et 5, de
la proposition modifiée de Règlement instituant une procédure commune
en matière de protection internationale), cette exemption ne s’applique
pas aux mineurs de plus de douze ans
. L’abaissement des normes
de protection pour les enfants de plus de douze ans est incompatible
avec la protection envisagée par les normes du Conseil de l’Europe,
la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant
et la législation européenne sur les droits fondamentaux. La Convention
relative aux droits de l’enfant ne catégorise pas la jouissance
de leurs droits par les enfants en fonction de leur âge, mais considère
que tous les mineurs de dix-huit ans sont des enfants
.
Pourtant, les propositions permettraient qu’un enfant de plus de
douze ans soit soumis à la procédure à la frontière, avec tous les
risques que cela comporte.
38. Cet abaissement des normes de protection existantes à l’égard
des enfants se traduit également par la proposition selon laquelle
la responsabilité d’une demande de protection internationale introduite
par un enfant non accompagné sans aucun membre de sa famille dans
un autre État membre incombe au premier État membre dans lequel
l’intéressé a introduit sa demande (article 15 de la proposition
de règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration).
La disposition générale prévoit le transfert des enfants non accompagnés vers
le premier État membre dans lequel ils ont introduit leur demande.
Pareille proposition renverse la situation actuelle dans laquelle
la responsabilité de l’examen de la demande incombe à l’État membre
où l’enfant est présent et a demandé une protection en dernier lieu.
L’exposé des motifs de la Commission note que cette règle permet
à la cohorte en cause d’avoir «un accès rapide à la procédure» et
permet de déterminer sans délai l’État membre responsable. Pourtant,
on ne voit pas bien en quoi un transfert supplémentaire de l’enfant
en cause accélérerait les procédures plutôt que de les prolonger
.
En outre, malgré la déclaration selon laquelle le transfert ne semble
généralement pas aller à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant,
il convient de souligner que la disposition pertinente actuelle
du Règlement Dublin III a été codifiée à la suite d’un arrêt de
la CJUE réaffirmant que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être
une considération primordiale dans toutes les décisions adoptées
par un État membre et que pareille approche impose que l’État membre
où l’enfant est présent et a demandé l’asile en dernier lieu examine
cette demande
. La proposition
actuelle risque de placer les mineurs dans une situation où ils
doivent se soumettre à une énième procédure qui retarde leur accès
à la protection, créant ainsi un niveau de complexité supplémentaire
générateur de retards inutiles et d’une aggravation des vulnérabilités.
3.7. L'intégration
de la dimension de genre
39. Les propositions ne semblent
pas intégrer les considérations de genre. Cette attitude contraste
avec les engagements pris dans le cadre des Pactes mondiaux qui
appellent à l’intégration de cette perspective dans toutes les politiques
migratoires et à la mise en place de procédures et de services qui
permettent de faire face aux obstacles liés au genre
. L’impact différencié
du processus de migration sur les femmes est largement documenté.
Les femmes qui voyagent se trouvent souvent dans des situations
de grande vulnérabilité, car elles sont davantage exposées à la
violence sexiste, y compris à la traite et à l’exploitation. Elles
sont plus susceptibles d’être confrontées à la pauvreté, à un accès
limité aux services de base et à d’autres situations de discrimination,
avec les risques concomitants que cela comporte pour leur bien-être
physique et mental. La discrimination fondée sur l’identité de genre
et l’orientation sexuelle sévit également beaucoup
. Le Pacte s’inscrit dans le cadre
des politiques de l’Union européenne censées se conformer à l’obligation
de promouvoir l’égalité entre les sexes (articles 2 et 3, paragraphe 3,
du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne) et à l’interdiction
de toute discrimination fondée sur le sexe et l’orientation sexuelle
énoncée dans la Charte de l’Union européenne (article 21). Ses propositions
doivent donc être conçues de manière à inclure des considérations
relatives à l’intégration de la dimension de genre et prévenir la
création de nouvelles inégalités. Dans la mesure où la promotion
de l’égalité hommes-femmes implique l’intégration de cette perspective
«dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement
impliqués dans la mise en place des politiques»
, lesdites inégalités doivent être
abordées dès le départ. Le Plan d’action pour l’intégration et l’inclusion 2021-2027
publié par la Commission européenne en novembre 2020 a été salué
pour sa prise en compte des besoins spécifiques des femmes migrantes
, notamment sous la forme d’une reconnaissance des
défis liés à l’affaiblissement des liens sociaux et à l’augmentation
des responsabilités familiales s’agissant surtout de l’éducation
des enfants.
En revanche, les propositions du
Pacte omettent de s'engager de manière approfondie sur les discriminations
multiples et intersectionnelles fondées sur le sexe et le genre
à laquelle sont confrontés les migrants, les réfugiés et les demandeurs
d’asile. En fait, la mention des femmes parmi les personnes vulnérables
identifiées dans les propositions se limite aux femmes enceintes
et à celles isolées avec enfants. Cette lacune occulte toutefois
les situations de vulnérabilité dans lesquelles se trouvent les femmes
et toutes les personnes victimes de discriminations fondées sur
le sexe en raison des propositions elles-mêmes. Le fait que le Pacte
s’abstienne d’évaluer, de prendre en compte et de traiter explicitement l’impact
de mesures telles que les procédures de filtrage obligatoires ou
le recours accru à la rétention et la relocalisation forcée de personnes
se trouvant déjà en situation de vulnérabilité (et qui sont exclues
d’un accès égal et effectif à la protection) est un facteur aggravant
la vulnérabilité des intéressés aux violations de leurs droits fondamentaux.
4. Conclusions
et recommandations
40. Il convient de saluer l’engagement
de l’Union européenne à mettre pleinement en œuvre les droits humains
européens dans toutes ses politiques en matière de migration et
d’asile. La proposition de Pacte européen sur les migrations et
l’asile doit refléter pleinement cet objectif, que la majorité des
États de l’Union européenne ont réaffirmé en 2018 en votant en faveur
des Pactes mondiaux des Nations Unies pour les réfugiés et les migrations.
Avant d’entamer la négociation des mesures constitutives du Pacte,
il conviendrait de procéder à une vérification intégrale de la conformité
de cet instrument aux droits humains notamment en évaluant minutieusement
la compatibilité de chaque mesure avec la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme. Le Pacte devrait être l'occasion
de promouvoir la coopération et la solidarité, où les États du Conseil
de l'Europe peuvent jouer un rôle clé. Le rôle de l’Union européenne
et de ses États membres en tant que champions de la protection des
droits humains dans la région, en particulier en ce qui concerne
les réfugiés et les migrants, ne doit en effet pas être compromis
par de telles propositions.
a. Le
règlement sur le filtrage proposé dans le Pacte devrait être modifié
pour inclure un recours suspensif effectif contre une catégorisation
incorrecte du filtrage, qui respecte pleinement les obligations
découlant du droit à un recours effectif (article 13 de la Convention).
b. L'Union européenne doit veiller à ce que chaque demandeur
d'asile à la frontière de l'Union ou relevant de sa juridiction
reçoive une évaluation juste et efficace de sa demande de protection
internationale, dans le respect des obligations de non-refoulement,
et comme identifié par cette Assemblée. L’illusion juridique que
constitue la «non-entrée» devrait être supprimée afin de garantir
l’accès à une procédure équitable pour tous.
c. Les dispositions relatives aux restrictions et à la privation
de liberté doivent être précises, suffisamment claires et non ambiguës
pour protéger les migrants et les réfugiés de toute rétention illégale
et garantir leur conformité avec les obligations découlant du droit
à la liberté (article 5 de la Convention). Les propositions du Pacte
devraient inclure des références explicites à l’utilisation de la
rétention comme mesure de dernier recours, ainsi que des références
claires à l’obligation d’œuvrer en faveur d’alternatives à la rétention.
d. La réglementation de l’Union européenne relative aux migrations
économiques doit de toute urgence être revue pour mieux rendre compte
des réalités de ce type de migrations et répondre aux mouvements de
population légitimes. Le cas de la législation polonaise s’appliquant
aux travailleurs migrants ukrainiens peut être utilisé comme exemple
à propos du recours à des dispositifs complémentaires d’accès à
la migration dans l’Union européenne.
e. Tous les enfants de moins de 18 ans devraient être exemptés
de procédures aux frontières, quel que soit leur âge, conformément
au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et aux obligations
vis-à-vis des enfants, comme cela est souligné dans la Convention
relative aux droits de l’enfant et dans les résolutions de l’Assemblée.
f. Les procédures spéciales pour la protection des personnes
en situation vulnérable doivent répondre aux besoins de ces personnes
et intégrer les devoirs accrus de soutien qui découlent des obligations
en matière de droits de l'homme. Il s'agit notamment d'intégrer
des considérations liées au handicap, à l'âge et au sexe dans tous
les processus de migration et d'asile.
g. Les propositions du Pacte devraient clarifier le soutien
qui doit être apporté aux personnes identifiées comme étant en situation
de vulnérabilité. Elles devraient inclure un soutien complet répondant
aux besoins élémentaires en matière de santé et de protection sociale
et prendre en compte les vulnérabilités spécifiques.
h. L’Union européenne devrait entreprendre une évaluation
transversale des répercussions de ces propositions sur les femmes
et les filles en situation de vulnérabilité. Cette évaluation devrait
identifier l’impact différentiel des propositions en tenant compte
des inconvénients préexistants et s’accompagner d’initiatives visant
à combler ces inégalités.
i. Un bilan transversal de ces propositions doit être effectué
pour en déterminer la conformité avec les obligations envers les
personnes handicapées, conformément aux obligations découlant de
la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes
handicapées. En particulier, le devoir des États de fournir des
aménagements raisonnables aux personnes handicapées devrait être explicitement
mentionné comme étant une obligation.
j. La Commission européenne devrait continuer à tenir les
États membres de l’Union européenne pour responsables de la manière
dont ils traitent les migrants et les réfugiés en exerçant pleinement
les pouvoirs qui lui sont conférés par le droit communautaire d’engager
des procédures d’infraction dès lors que des États membres ne respectent
pas leurs obligations en matière de droits humains.