1. Introduction
1. L'idée principale sur laquelle
se fonde le présent rapport est que les médias sont de puissants
agents qui contribuent au développement pacifique et à l'allocation
équitable des savoirs, des opportunités et des ressources dans le
contexte en constante évolution d'une société démocratique. Les
fonctions publiques des médias – les médias d'information en particulier
– consistent à informer le citoyen et à lui fournir un soutien et des
conseils culturels et politiques pour qu’il puisse faire des choix
concernant ces opportunités et ces ressources. Ce rôle des médias
consiste à recueillir et à partager un éventail représentatif de
points de vue sur un problème et ses solutions, afin d'aider les
institutions à prendre des décisions finales susceptibles d'être
raisonnées, comprises et soutenues
par une grande partie de la population, c'est-à-dire
délibérées. L’aspect délibératif
est essentiel dans les processus démocratiques importants, et les
médias en sont le principal garant
.
2. Cette contribution des médias aux processus démocratiques
devient particulièrement difficile et complexe pendant les crises
actuelles, en raison de divers facteurs et dynamiques.
3. Premièrement, les médias et les plateformes d'information
ont tendance à structurer l'information autour des nouveaux besoins
et ressentis des citoyens qui participent activement à l’univers
numérique au lieu de couvrir les contextes, la variété des points
de vue disponibles et de faire la distinction entre les opinions
et les informations validées. Les plateformes numériques à vocation
commerciale permettent aux publics de s'exprimer, et la dynamique
algorithmique surexpose le citoyen à des contenus qui reflètent
ses propres opinions. Le métier de journaliste est de plus en plus
un emploi sous-payé, précaire et polyvalent dans un secteur au statut
transitoire. Il est, pour ces raisons, de moins en moins en mesure
de prendre en compte les besoins démocratiques et sociétaux.
4. Deuxièmement, les incertitudes et les craintes déclenchées
par les crises limitent la prédisposition des individus à de longs
échanges délibératifs et éducatifs. Les craintes s'emparent rapidement
des espaces de médias sociaux, où les opinions directes et individuelles
deviennent dominantes. Dès qu’elles sont diffusées sur ces plateformes
«démocratisantes», les orientations institutionnelles et scientifiques
deviennent aussi contestées que les opinions individuelles.
5. Troisièmement, le journalisme a une relation compliquée avec
la science, qui devrait éclairer le travail des institutions en
période de crise. La complexité de la science et les processus chronophages
entrent en conflit avec la philosophie journalistique de la vérité
et des «faits» clairs et nets, tandis que la simplification de la
science par les médias peut susciter de nouvelles craintes et limiter
davantage la prédisposition aux échanges délibératifs. Pendant les
crises, tous ces facteurs et dynamiques peuvent être exploités plus facilement
par des agents partisans et des déterminants technologiques, ce
qui nourrit davantage les craintes et les frustrations des citoyens.
6. Cette combinaison de dynamiques structurelles, médiatiques
et sociales exerce une pression sur les relations qui sont à la
base de la matrice responsable de la formation démocratique de l'opinion
publique. Il s’agit de la matrice composée d’institutions, de services,
d’experts, de citoyens et d’agents d’information (journalistes,
médias d’information, plateformes de médias numériques, autres médias),
qui s'emploient à façonner les débats publics et les solutions aux
problèmes. Les crises mondiales et régionales mettent dangereusement
à l'épreuve certains des piliers fondamentaux du processus démocratique,
tels que la fourniture globale d'informations cohérentes, leur recherche
et leur interprétation aisées, et la capacité d’anticiper de manière
rationnelle les nouveaux besoins, points de vue et craintes et d’y
répondre. La confiance des citoyens dans les institutions et la
science est mise sous pression, et de nouvelles contraintes de communication
affectent la gestion des crises.
7. Toutefois, si les délibérations démocratiques sont plus difficiles
en période de crise, elles sont aussi plus importantes qu’en temps
normal, lorsque le débat démocratique dispose de canaux stables
pour examiner et évaluer le changement. Je recommande dans ce rapport
une approche globale et longitudinale, dans laquelle les principales
fonctions des médias en période de crise s'inscrivent dans une approche
plus large. Cette approche s'étend au-delà de la durée de la crise
et implique la collaboration des institutions, des experts, des services,
des médias et du public pour consolider un réseau de communication
cohérent et flexible pour la gestion du débat dans l'intérêt public.
8. Mon analyse prend appui sur l’excellent rapport d’expert de
Mme Giuliana Tiripelli
, que je remercie chaleureusement pour
son travail remarquable. J’ai aussi pris en compte les contributions
d’autres experts
et de plusieurs membres
de la commission.
2. Les fonctions essentielles des médias
en temps de crise
9. Les périodes de crise sont
des moments où les liens entre la vie sociale et la vie individuelle
sont mis en évidence et où le «contrat social» est mis à l'épreuve.
Idéalement, les médias devraient aider le public à donner un sens
au changement et à comprendre les nouveaux choix à faire au niveau
individuel et social, afin de favoriser une transition pacifique
et équitable vers une nouvelle organisation – temporaire ou permanente –
de la vie sociale, minimisant ainsi les dommages potentiels causés
par la crise. Les médias devraient donc fournir tous les éléments
nécessaires pour que les individus comprennent non seulement l'ensemble
des choix qui s'offrent à chacun d’eux dans le nouveau contexte,
mais aussi pourquoi certains besoins sociaux doivent avoir la priorité
sur d'autres, et comment ils doivent être hiérarchisés.
10. La nouvelle visibilité que les besoins sociaux acquièrent
pendant une crise crée deux tensions importantes au sein de la communauté.
La première tension est due à la nécessité de concilier les libertés
et les idéologies de l'individu avec les nouveaux besoins et priorités
de la société. Cette conciliation des besoins est plus difficile
dans les communautés dont les piliers culturels reposent sur des
principes de libertés individuelles et non sur des principes collectifs.
La deuxième tension est causée par le rythme rapide qu'une crise
impose au débat, ce qui rend plus difficile le développement de
processus délibératifs efficaces et approfondis en faveur des nouvelles
priorités sociales. Ce rythme effréné implique que les médias numériques restent
généralement les seuls «espaces» capables de faire circuler rapidement
les nouvelles informations, notamment les «informations interprétatives»,
suivis par les médias d’information
.
Les médias numériques peuvent ainsi dicter l'ordre du jour et soumettre
les interprétations à débattre à partir de dynamiques technologiques
et discursives qui ne reposent pas sur des structures et des principes
transparents. Les institutions ont du mal à évaluer et à intégrer
rapidement les points de vue du public dans les politiques, et le public
a du mal à comprendre la valeur des nouvelles contributions issues
des institutions.
11. Il est donc important que les médias adoptent des approches
qui contrebalancent ces deux tensions avant et pendant les crises.
La capacité des médias à mettre en évidence les liens entre la vie
sociale et la vie individuelle ainsi que les avantages de l'appartenance
à une communauté, ce qui implique des responsabilités, des rôles
et des libertés, devient cruciale avant et pendant une crise. La
capacité à continuer à offrir des moyens de délibération efficaces
et sains, où une variété de points de vue nouveaux et anciens sont
non seulement exprimés, mais aussi examinés et remodelés collectivement
pendant les périodes frénétiques, est une autre fonction essentielle
des médias pendant les crises.
12. Les médias, en particulier le journalisme, ont également la
capacité en temps de crise à rendre compte des débats et des évolutions
concernant des «faits» incertains et non tangibles d'une manière
claire et acceptable pour le public. Les débats sur les crises,
y compris les idées proposées par les experts scientifiques et les
institutions, sont généralement caractérisés par l’accent mis sur
le risque, la gestion du risque, l'incertitude des résultats et
les dynamiques sociales nouvelles mais invisibles. Il est essentiel
que les médias soient équipés de manière à couvrir ces «faits» intangibles
et néanmoins puissants, ainsi que les zones d'ombre, d'une manière
qui puisse être pleinement comprise par le public, afin d'éviter
que des explications causales inexactes et simplistes ne viennent
pallier les manques de compréhension.
13. Les crises entraînent souvent une perte d’infrastructures
essentielles, et le choix de combiner divers moyens de communication,
notamment des médias traditionnels et numériques, peut sauver des
vies
. Par conséquent, il est important
que les institutions, les services, les experts, les journalistes
et la société civile soient profondément enracinés, visibles et
actifs dans les médias en ligne, et qu'ils appliquent des plans d'urgence
et coordonnés leur permettant de diffuser des messages publics sur
différents médias. Il est particulièrement important de développer
une approche mixte forte dans tous les secteurs où les médias numériques
sont des outils et non des partenaires, pour désactiver la polarisation
et la désinformation alimentées par les conglomérats numériques
et les récits exclusifs, qui priveront d’espace les délibérations démocratiques.
14. Pour développer des fonctions médiatiques efficaces, il est
essentiel que la perte d'infrastructures essentielles soit comprise
symboliquement et contextuellement, ainsi que matériellement. Les
crises remettent en question les dynamiques culturelles et discursives,
qui sont au moins aussi importantes que les infrastructures matérielles
de la communication, et ce de diverses manières. Lorsqu’une crise
menace les valeurs sociales et culturelles partagées d’une communauté
spécifique, la tendance dans une communauté est de se rassembler
autour du drapeau
. C'est particulièrement vrai lors
d'attaques terroristes, de guerres ou de paniques morales, lorsque
les médias peuvent jouer un rôle crucial en facilitant le dialogue
et la compréhension multiculturelle et en prévenant ou en minimisant
l'oppression et les conflits. Cependant, lorsqu’une crise menace
les conceptions dominantes des libertés individuelles, les débats
ont tendance à polariser et à fragmenter la communauté elle-même.
Ces crises polarisantes risquent d'être les crises de l'avenir,
et leur impact sur les débats publics exige une approche médiatique
globale pour informer et mobiliser efficacement le public.
2.1. Informer
le public
2.1.1. Informer
le public des mesures prises par les autorités
15. Informer le public des mesures
prises par les autorités est la première étape du développement
d'un rôle fort des médias dans la gestion d'une crise. Les principales
limites de la communication d’informations dans ce contexte ne sont
pas seulement dues au manque de qualité ou d’accès aux informations
fournies aux médias par les autorités et les experts; elles concernent
également les exigences journalistiques intrinsèques et la qualité
des débats «post-globaux» actuels.
16. Dans les contextes numériques, le journalisme d’investigation
de qualité peut être mal interprété et peut en conséquence renforcer
les opinions polarisées et le manque de confiance dans les institutions.
Offrir des indices pour interpréter et expliquer les processus complexes
qui sont encore en cours d'élaboration et qui doivent encore être
découverts est un élément clé de la recherche et des enquêtes critiques,
qui vise à dévoiler les actions partiales et malavisées des autorités
et des entreprises puissantes, telles que la corruption et l'abus de
pouvoir. En tant que tel, ce type de journalisme devrait toujours
être soutenu.
17. Cependant, dans un environnement marqué par une pratique numérique
solitaire et dans une situation marquée par l'incertitude et la
peur, les individus ne délibèrent pas vraiment sur ce contenu et
ont plutôt tendance à utiliser ces indices pour confirmer des interprétations
simplistes.
18. Cet exemple montre que, s'il est laissé seul dans un piège
à clics où de nombreux citoyens cherchent une confirmation de leurs
opinions, même le meilleur journalisme d'investigation peut contribuer
à dénigrer la qualité de l'information et à nourrir des interprétations
simplistes, incendiaires et polarisantes. Le danger est celui d'une
prophétie auto-réalisatrice: les discours des institutions et des
experts sont recadrés pour répondre aux besoins journalistiques,
mais les audiences ne retiennent que ce qui leur est nécessaire
pour confirmer leurs croyances. Certes le public comprend qu'on
lui promet des solutions rapides et univoques mais il reste incapable
de jeter un regard critique sur les zones d'ombre et l'incertitude
de la science et peut donc plus facilement considérer qu’il est
en droit de résister aux demandes de changement rapide de comportement. Lorsque
les croyances sont confirmées, le fait de s’opposer au changement
exigé par les institutions peut aisément être compris comme un moyen
de participer à la lutte pour la nature démocratique de la société
et de se libérer de l'oppression.
19. Les cadres locaux et nationalistes sont un autre élément important
qui conditionne l'efficacité d'une information de qualité sur les
mesures prises par les autorités pendant les crises. En effet, les
crises confèrent «une nouvelle signification aux actions normales
qui sont un moyen d'exprimer son identité nationale et de calibrer
les solidarités nationales»
. Dans le cas de la pandémie de covid-19,
le nationalisme a été lié à de nouvelles évaluations de l’achat
panique et du port de masques, ainsi qu'à des théories de conspiration circulant
sur les médias sociaux
.
Contrairement aux catastrophes internationales précédentes de l'époque postérieure
à la guerre froide, comme Fukushima, le discours médiatique sur
la covid-19 est apparu fortement axé sur la nation et souvent excessivement
critique envers les institutions internationales.
20. À la prochaine crise, nous pourrions assister à un comportement
moins responsable si les médias se concentrent sur ces cadres nationalistes
«organiques». En effet, ces cadres sont plus courants parmi les groupes
populistes, et les études ont démontré que la protection de l'environnement
soutenue par les groupes populistes ne coïncide pas avec les changements
requis par les défis posés par le changement climatique
. Des spécialistes critiques des
médias s'inquiètent également du «danger de l'idéologie nationaliste
dans un état d'exception et d'une crise de l'humanité», à savoir
«que des personnages autoritaires comme Trump soient enclins à recourir
à des violences qui peuvent conduire à la guerre», etc.
2.1.2. Expliquer
les nouvelles mesures pour faire face à une crise
21. Le journalisme scientifique
et la communication scientifique devraient jouer un rôle majeur
en cas de crise, car lorsqu'elle survient, on attend des experts
scientifiques qu'ils expliquent les solutions et justifient les nouvelles
mesures. Ce qui peut les empêcher de jouer ce rôle tient au fait
qu'ils se concentrent actuellement sur la science dure, la recherche
quantitative et l'innovation (notamment les nouvelles découvertes
dans le domaine de la médecine et de la santé). Les informations
et les programmes scientifiques sont rares et souvent dramatisés,
et n'expliquent pas la complexité des travaux de recherche. La production
d'informations scientifiques tend à suivre les normes journalistiques
traditionnelles en ne montrant que les résultats de processus complexes,
tandis que la formation au journalisme scientifique reste discutable
et fluide
.
22. Cette focalisation sur l'innovation et les sciences dures
limite fortement la fonction des médias pendant les crises, car
elle occulte la nature sociale des changements et des responsabilités
impliqués dans la gestion et la résolution de l'urgence. Une crise
telle que la pandémie de covid-19 affecte et perturbe des facteurs
et des processus qui ne sont pas seulement médicaux, mais aussi,
et surtout, sociaux. De même, l'accent mis sur les quantités masque
les répercussions qualitatives des crises, et si les chiffres sont
censés être objectifs, des faits récents ont montré qu’ils ne sont
pas objectivement interprétés par les citoyens (voir, par exemple, les
réactions aux informations sur les thromboses dues au vaccin AstraZeneca).
23. Les sciences douces, notamment les sciences sociales, peuvent
mettre en évidence les conséquences qualitatives et sociales des
crises et permettre ainsi aux citoyens de comprendre comment leur
comportement pratique peut avoir une incidence sur leur communauté.
Contrairement aux sciences dures, les sciences douces sont capables
de montrer ce qui lie un individu à sa communauté, d'expliquer les
qualités des phénomènes et la manière dont les systèmes invisibles
façonnent son existence, offrant ainsi des explications aux phénomènes
de peur et de frustrations qui dépassent le cadre des idées préconçues
sur des «élites puissantes» ou des «politiciens corrompus». Ces
notions qualitatives créent ainsi de nouvelles obligations qui peuvent
être pleinement assimilées par les citoyens. Malheureusement, il
est rare que les sciences douces reçoivent une couverture médiatique
qui les met en valeur
.
24. Le manque d'attention portée aux processus et aux incertitudes
de la recherche (tant en sciences dures qu'en sciences douces) peut
renforcer les attentes du public et des citoyens en matière de solutions
rapides aux crises. Ces attentes peuvent nourrir les frustrations
et la méfiance à l'égard des experts et de leurs savoirs lorsque
ces solutions rapides n'arrivent pas aussi vite que prévu, ou si
des problèmes sont rencontrés
.
Cette absence de couverture du fonctionnement concret de la science,
de sa nature collégiale et de la manière dont les résultats obtenus
dans un domaine peuvent enrichir d'autres disciplines est principalement
le sous-produit des normes journalistiques, notamment la tendance
à produire une couverture qui se concentre sur un «fait» clairement
défini, qui s'adapte à l'espace et au format disponibles pour le
journaliste et qui nécessite peu d'informations contextuelles.
25. Enfin, la formation au journalisme scientifique est encore
instable et fluide. Les anciens chercheurs, en particulier ceux
qui sont issus des sciences dures, peuvent se recycler en journalistes
scientifiques compétents capables de travailler sur des plateformes
novatrices, de vérifier les faits et de proposer un point de vue positiviste
qui caractérise les sciences dures. Cependant, la communication
liée aux sciences dures et douces n'est toujours pas une profession
clairement distincte, tandis que le rôle traditionnel du journaliste
permanent et professionnel chargé des phénomènes scientifiques pour
un organe d'information spécifique disparaît lentement.
26. Dans le même temps, les chercheurs de diverses disciplines
sont invités depuis des années à tester et à améliorer leurs compétences
médiatiques et à présenter leurs travaux aux médias, ce qu'ils ont
fait assez rapidement lors de la crise due à la covid-19. La culture
médiatisée et la transformation du chercheur en «expert des médias»
ont accru la charge de travail de ces experts et poussé certains
centres et institutions de recherche à donner une image de marque
aux messages scientifiques pour en améliorer la visibilité. L'accent mis
sur des chercheurs (qui ne sont pas des experts en communication!)
ayant «personnalisé» leurs connaissances a permis à certaines sommités
d'apparaître dans des journaux télévisés et des émissions en direct.
27. D’où une cacophonie de voix, une absence de rôles clairs et
de chaînes d'autorité visibles dans l'élaboration de connaissances
précises. En Italie, par exemple, la surexposition médiatique des
opinions des experts scientifiques a été perçue progressivement
davantage comme une source de confusion que comme une source de
clarification
. L'accent mis par les médias sur
un chercheur en particulier a plusieurs conséquences: 1) le citoyen
actif réagira à la confusion des savoirs en se rapprochant d’informations
qui simplifient les processus complexes, 2) il produira sa propre
couverture «scientifique» en ligne ou 3) il choisira l'«expert»
qui fournit l'hypothèse qu'il veut entendre.
2.1.3. La
qualité de l’information comme remède contre la désinformation
28. Expliquer le changement ne
consiste pas uniquement à vérifier les faits ou à lutter contre
les fausses informations
, et les tentatives des institutions
et des chercheurs de répondre à la perte de contrôle en matière d’information
et de compréhension du public peuvent avoir des effets plus dommageables
que bénéfiques si elles ne s’inscrivent pas dans une approche plus
large. Les plus grandes menaces qui pèsent sur les sociétés démocratiques
confrontées aux crises modernes sont bien plus liées au manque de
confiance des citoyens dans les institutions et les experts qu'à
la disponibilité d'informations exactes et vérifiées, ou aux dangers
que pourrait produire une restriction de l'information de qualité.
29. En effet, la peur joue un rôle majeur au début d'une nouvelle
crise, et les «faits» ne peuvent pas faire grand-chose contre la
peur. En outre, le citoyen n’a pas les capacités du chercheur pour
comprendre les tenants et les aboutissants d’une crise. La fragmentation
actuelle des structures sociales et des communautés d'appartenance
fait que l’individu éprouve plus de difficultés à trouver des explications
communes et complètes aux menaces soudaines du présent. L'économie
politique du web (par exemple, la personnalisation des informations)
cloisonne encore davantage son point de vue.
30. On pourrait dès lors affirmer que tout citoyen qui doute de
l'efficacité et de la sécurité des nouvelles mesures anti-crise,
comme les vaccins anti-covid, n’est pas un ignorant, son niveau
d’éducation générale n’a peut-être pas grand-chose à voir avec son
attitude à l'égard de la science. En fait, il n’est tout simplement
pas expert dans ce domaine.
31. S'il est crucial que les autorités protègent la démocratie
sans restreindre la liberté d'expression, il est tout aussi essentiel
qu'elles protègent le débat délibératif contre l’exploitation intéressée
des discours médiatiques afin qu'il soit en mesure de contrer les
dynamiques du débat populiste et polarisant. Les utilisations partisanes
des discours médiatiques exploitent avec succès les idées et les
identités existantes et peuvent priver le débat de sa substance
délibérative et compromettre le soutien à de nouvelles mesures garantissant
la sécurité tant individuelle que sociale. Une couverture âpre et
sensationnaliste, ainsi qu’une nouvelle personnalisation numérique,
peuvent renforcer le soutien aux discours populistes et polarisants
qui représentent les autorités comme une «élite» qui agit contre
le bien public et qui est un ennemi des citoyens. Il s'agit de toutes
les formes de désinformation qui tirent néanmoins profit de dynamiques
sociales et de communication plus larges.
2.1.4. Le
rôle spécifique des médias de service public
32. Les médias de service public
ont un rôle crucial à jouer car ils peuvent garantir la présence
de canaux délibératifs stables et la circulation de discours cohérents
et faisant autorité face aux dynamiques de communication déstabilisatrices
déclenchées par les crises.
33. Les médias de service public fournissent des informations
qui vont dans le sens de l'intérêt public. D’autres médias, quant
à eux, fournissent davantage d'informations qui intéressent le public.
La fourniture d'informations claires qui respectent la science est
le rôle principal des premiers, lesquels font partie des institutions
qui font autorité et qui diffusent avec succès des messages cohérents
avant et pendant les crises. L'autre rôle crucial des médias de
service public est de veiller à la manière dont les institutions
politiques protègent l'intérêt général et le bien public.
34. Les relations entre la politique et les médias publics devraient
faire l'objet d'un suivi attentif afin que les services de médias
puissent soumettre l’action gouvernementale à un examen minutieux.
Dans le même temps, la flexibilité des médias publics devrait être
protégée et renforcée afin de soutenir l'éducation en période de
crise
.
35. Les changements de comportement qui sont nécessaires pour
agir de manière responsable pendant une crise dans une société démocratique
sont mieux acceptés lorsqu'ils ont une importance pour les citoyens. Les
médias de service public jouent un rôle crucial lorsqu’ils préparent
le public à imaginer, visualiser et s’approprier la réalité future
des crises à venir, en particulier la crise liée au changement climatique.
Ce rôle pourrait réduire la tendance à croire aux théories du complot
afin d'expliquer des événements inattendus. Dans le contexte particulier
des crises, les médias de service public devraient encourager les
citoyens à développer leur esprit critique et leur capacité à comparer
différentes sources d'information. Enfin, les médias publics devraient
offrir aux citoyens des espaces virtuels permettant de garantir
le déroulement des processus délibératifs en période de crise.
2.1.5. La
diffusion d’informations sur les médias sociaux: risques et avantages
36. Les médias sociaux représentent
«une communication bidirectionnelle entre les organisations des services
d'urgence et les populations touchées
». Les services et les institutions
peuvent utiliser les médias sociaux pour fournir mais aussi pour
surveiller et collecter des informations pendant les crises. Les
citoyens, quant à eux, s’en servent pour demander des informations
ou fournir celles qu'ils produisent. En outre, les médias traditionnels
tirent et rédigent des articles d'information à partir de contenus
générés par les utilisateurs au lieu de produire leurs propres articles.
Ils ont d’ailleurs mis au point des procédures de vérification qui
leur permettent de jouer un nouveau rôle: celui de vérifier l'exactitude
des informations générées par les utilisateurs.
37. Pour les institutions, les experts et les services, le fait
d'utiliser des médias sociaux pendant une crise présente un certain
nombre de risques et de possibilités qui sont nombreux et largement
examinés dans les ouvrages spécialisés, mais l’un d’eux est particulièrement
pertinent dans cette discussion. Il s’agit du moment et des ressources
qui sont nécessaires pour gérer, vérifier et répondre aux nouvelles
dynamiques du débat en ligne, et de l'énorme quantité d'informations
déclenchées par une crise. Les experts en communication avaient déjà
élaboré des plans visant à gérer une crise pandémique
, mais rares ont été
les tentatives de mettre en œuvre une approche permettant de contrer
la covid-19 en s’appuyant sur les médias sociaux
.
38. Dans le même temps, les chercheurs ont alerté les institutions
sur les dangers de déléguer trop de pouvoirs aux plateformes de
médias sociaux. «Compte tenu du pouvoir énorme que les médias sociaux peuvent
avoir sur l’opinion, [...] le fait que certaines plateformes de
médias sociaux se transforment en lieu central de la gouvernance
de la communication en ligne et en responsables de l'application
de valeur publiques normatives, non seulement augmente leur responsabilité
publique, mais renforce également leur emprise sur le processus
même de formation de l'opinion démocratique». Par conséquent, «il
est essentiel de déconcentrer les pouvoirs exercés sur l’opinion
et de créer des contre-pouvoirs pour empêcher certaines plateformes
de médias sociaux de devenir des quasi-gouvernements du discours
en ligne, tout en veillant à ce que chacune continue de faire partie
des nombreuses plateformes qui nous permettent d'engager un débat
public
».
Dans ce contexte, les médias sociaux devraient être encouragés à
développer davantage leurs capacités de vérification des faits,
afin de s'assurer que les intérêts commerciaux n'éclipsent pas la
nécessité de respecter les principes éthiques de toute publication
en ligne. Les médias sociaux et les plateformes numériques sont d'excellents
promoteurs du débat. Le problème est qu’ils donnent aussi une illusion
de liberté alors qu’en réalité, ils déterminent la nature des engagements
des citoyens. Lorsqu'ils ne sont pas encadrés, l’accent qu’ils mettent
sur l’utilisateur et sa capacité à alimenter le débat numérique
peut empêcher le public de bien comprendre l'importance des processus
délibératifs.
39. Tout cela exige une approche globale et structurelle du développement
et de la gestion d'un réseau flexible de communication sur les médias
sociaux, où les principaux nœuds sont représentés par des institutions,
des experts (notamment des experts en communication et des thèmes
connexes), des services, la société civile et les comptes des médias
publics. Ce réseau peut rapidement s'adapter et gérer avec souplesse
les flux d'informations avant et après une crise. Grâce à lui, la
dynamique organique de l'information en ligne peut être étudiée,
soutenue ou contrecarrée, à travers les plateformes et au-delà des
frontières sectorielles et nationales.
2.1.6. Suivi
de la compréhension du public
40. La capacité des institutions
à écouter les citoyens est un élément essentiel de la formation
délibérative d'un soutien démocratique aux politiques. Une partie
de cette écoute institutionnelle passe par les assemblées civiques
et des canaux préexistants de collecte de retours d’information.
Une autre partie, très importante, passe également par le suivi
et l’analyse de la façon dont le public comprend les nouvelles crises
et les politiques qui y sont liées. Cette analyse peut être appuyée
par des outils d'analyse numérique contemporains.
41. L'affaire Cambridge Analytica démontre que les analyses numériques
peuvent être très efficaces pour saisir l'évolution des ressentis
et des opinions au sein d'une population spécifique. En l’espèce,
cette efficacité a été utilisée pour promouvoir des résultats partisans
et des données ont été obtenues dans le cadre de violations de l’éthique
et du droit. Ce type d’analyse ne peut pas être laissée aux médias
sociaux et privés ou aux entreprises de relations publiques. De
même, les représentants politiques ne devraient pas être associés à
la production et à l'utilisation de ces analyses.
42. Il est néanmoins possible d’analyser les ressentis et les
opinions de manière parfaitement légale et responsable. Avant et
pendant les crises, les institutions et les médias devraient analyser
le ressenti, le «vécu» et les opinions des citoyens dans le cadre
d'un processus plus large et multidirectionnel qui éclaire les nouvelles
politiques. Par exemple, l'analyse de Pulsar sur le ressenti des
citoyens à l’égard du vaccin contre la covid montre clairement des
tendances et des attitudes qui peuvent être examinées et contextualisées
.
43. L’analyse du ressenti et de l'opinion doit constituer une
première étape dans l'élaboration des politiques car elle permet
de cartographier les récits et la dynamique des discours des groupes
sociaux concernés, et d'identifier les leaders culturels capables
d’encourager l’instauration d'un débat cohésif et effectif pour
des groupes spécifiques. Ses résultats devraient éclairer le processus
d'élaboration, de diffusion et de cadencement de messages institutionnels
sur des nouvelles politiques, ciblant des groupes spécifiques du public
citoyen de différentes manières. Une phase de test devrait être
prévue avant le développement de la crise. Les médias de service
public devraient jouer un rôle de premier plan dans l’analyse des
audiences numériques, en collaboration avec des universités et institutions.
Les résultats de cette analyse devraient faciliter la traduction
des messages institutionnels sur les nouvelles politiques en contenus
que le public citoyen peut aisément comprendre et s’approprier.
2.2. Associer
le public
2.2.1. Laisser
une place aux doutes et au questionnement
44. Un message stable, qui distingue
clairement les dangers imaginaires des dangers réels, serait idéal
pour inciter le citoyen à prendre des mesures responsables face
à une crise. Il peut néanmoins être dangereux de supprimer les incertitudes
et les «zones d'ombre» du débat scientifique afin de produire des
informations compréhensibles et de réduire les craintes au minimum.
En effet, les connaissances scientifiques et les mesures d’urgence
n'ont pas de stabilité intrinsèque. Dans ce contexte, un message
de «certitude» peut gravement nuire à la confiance dans les institutions
et les experts dès que de nouvelles incertitudes ou découvertes
apparaissent, ce qui est très probable lors d’une crise majeure.
45. Ce problème a été mis en évidence dans le débat actuel et
les réactions aux nouveaux contrôles de précaution concernant l'un
des vaccins contre la covid-19
. Or dès que le débat s'inscrit dans
un cadre polarisé et binaire de type «sûr ou dangereux», les médias
et les institutions ont toutes les peines du monde à le recadrer.
En effet, les médias d'information ont tendance à couvrir des questions
qui sont déjà très médiatisées. Cependant, le citoyen et le scientifique
n’interprètent pas de la même façon des termes tels que «sûr» ou
«dangereux»: la compréhension du risque par un scientifique (par
exemple, un effet secondaire important se produit dans un cas sur
10 000) est différente de celle d'un profane, pour qui un cas sur
10 000 (effet secondaire important) est une confirmation qu'il peut
être la victime d’effets secondaires
.
46. Les études sociologiques et numériques, existantes et nouvelles,
devraient être utilisées pour suivre et examiner la façon dont la
compréhension des crises et de la science évolue. Les médias d'information devraient
être encouragés à fournir des récits et des statistiques contextualisés
et comparatifs (par exemple, les effets indésirables graves des
vaccins par rapport aux accidents de voiture, ou autres) afin que
le citoyen puisse comprendre les incertitudes de la science sans
paniquer. Leur objectif devrait être de diffuser des messages que
le citoyen peut s’approprier afin de réfléchir à ses propres choix
et traverser une crise de manière responsable.
47. Enfin, les médias et les institutions publiques devraient
coopérer pour offrir des espaces permanents permettant aux citoyens
d'accéder aux processus scientifiques, d’y réfléchir en commun de
manière transparente et d'apprécier l'évolution constante des savoirs
experts. Les doutes et les interrogations devraient être formulés
dans le cadre de débats médiatiques qui font grandir les sociétés
démocratiques. Les médias sociaux peuvent être un outil essentiel
à cet effet et s’inscrire dans un réseau plus large et flexible
de communicateurs, où experts, citoyens, leaders culturels et institutions
analysent en commun et avec souplesse les questions et les réponses
de manière constructive. Cette approche contribuera à transformer
la cacophonie des voix d'experts en un élément significatif et stabilisateur
du processus délibératif propre à lutter contre l'instabilité des
messages populistes et antidémocratiques.
2.2.2. Stimuler
le débat d’experts sur les crises et les changements
48. Les communautés d'experts peuvent
jouer un rôle important en stimulant les débats constructifs et éclairants
sur les crises et le changement. Les réseaux scientifiques internationaux
peuvent recueillir divers points de vue sur le même problème et
utiliser leur connaissance des échanges scientifiques pour transmettre sans
risque des savoirs multidisciplinaires à d'autres experts et citoyens.
2.2.3. Stimuler
le soutien aux mesures de lutte contre la crise
49. L'accès aisé aux informations
scientifiques et la confiance qu’elles inspirent ne sont pas automatiques pour
de nombreux citoyens. En outre, il ne suffit pas que ces informations
soient de qualité pour améliorer la compréhension et faire changer
les comportements
, surtout pendant les phases les
plus tendues d'une crise (telle que la covid-19) qui touchent les
conceptions subjectives de la liberté individuelle. Des informations exactes
et une compréhension appropriée ne résoudront pas les problèmes
de déni
. Il existe de nombreux autres
obstacles que le citoyen doit surmonter s'il veut s’approprier et
utiliser les informations de qualité disponibles afin de changer
de comportement. Ces obstacles sont d’abord structurels et sociaux
avant d’être techniques et éducatifs.
50. Il est donc nécessaire, pour stimuler le soutien aux mesures
de lutte contre la crise, d’investir dans le pouvoir culturel. Alors
que les messages généraux produits par des experts peuvent avoir
des résultats polarisants, les leaders culturels produisent des
messages que des groupes sociaux s'approprient pour donner un sens
à ce qui se passe. Les personnes qui s'identifient au groupe correspondant
peuvent ainsi plus facilement faire le lien entre les informations
communiquées et leur propre vécu.
2.2.4. Accroître
la participation des citoyens pendant des changements et des mesures
extraordinaires
51. En cas de mesures extraordinaires,
les médias peuvent jouer d’autres rôles que la diffusion des informations,
ainsi que cela ressort des études réalisées sur les urgences et
les crises
.
52. Par exemple, le rôle qu’ils jouent dans le soutien à la santé
mentale et à l'interaction sociale des citoyens pendant les périodes
de mesures extraordinaires, notamment les confinements, est un domaine
qui a été négligé jusqu’à présent. Premièrement, les médias peuvent
offrir des formes de divertissement qui peuvent remplacer d'autres
activités de loisirs qui ne sont pas disponibles pendant une crise.
Deuxièmement, ils peuvent fournir des conseils et donner davantage
de visibilité, et donc une certaine normalité, aux questions de
santé mentale. Troisièmement, les nouveaux médias ont réussi à rapprocher
les individus lorsque les interactions interpersonnelles n’étaient
plus possibles (par exemple, Zoom). Ces formes de socialisation
en ligne pourraient se prolonger après la période de crise et être
adaptées à la résolution d'autres problèmes (tels que les handicaps,
le contrôle de la circulation). Pour réaliser tout le potentiel
offert dans ce domaine, il est impératif que tous les États membres
garantissent une couverture wi-fi permanente et ultrarapide à chaque foyer
et mettent à leur disposition les outils techniques nécessaires.
Il s’agit là d’un besoin primaire à satisfaire et d’un droit fondamental
dont doit bénéficier chaque individu.
53. Les médias grand public ont un rôle particulier à jouer pour
aider le citoyen à faire face à un changement extraordinaire. Outre
leurs contributions générales examinées plus haut dans ce rapport,
ces médias sont également particulièrement bien adaptés pour établir
une grille commune de différentes activités au cours de la journée,
notamment en programmant stratégiquement des contenus adaptés à
chacun de ses moments importants. Cette grille peut aider les personnes
confinées à bien répartir le temps consacré au travail, aux loisirs
et à la famille, lorsque l'absence d'interactions structurées et
extérieures ne permet pas de préserver de saines habitudes.
54. Dans le même temps, la crise sanitaire de covid-19 a montré
que les plateformes de médias sociaux existantes peuvent déjà jouer
un rôle crucial dans la reformulation constructive des messages
et des débats sans intervention, ou presque, des institutions. Tant
les journalistes que les institutions locales ont naturellement
besoin de temps pour fournir de nouvelles informations précises
et apporter leur soutien au citoyen dans des circonstances extraordinaires
ou inattendues. C'est pourquoi, lors du premier confinement imposé
lors de la pandémie de covid-19, l'absence d'informations ciblées
localement et de soutien interactionnel a souvent été compensée
par la formation spontanée de groupes d'entraide sanitaire sur les médias
sociaux, qui ont répondu au besoin d'informations pratiques et de
réconfort du public local.
55. Cet exemple démontre que les citoyens ont vraiment besoin
de «délibérer» pendant les crises car ils peuvent ainsi reprendre
le contrôle de leur existence et lui redonner un sens, et que les
institutions locales doivent être prêtes à s'adapter rapidement
et à remodeler les dynamiques médiatiques spontanées en espaces
délibératifs, où de nouvelles idées de la vie communautaire sont
partagées et réorganisées. Ceci pourrait aussi aider à sensibiliser
le public et à élargir ses connaissances sur la nature à la fois
technique et sociale des changements et les responsabilités associées
à la gestion et à la recherche de solutions face à l’urgence.
2.2.5. Faciliter
la participation des citoyens aux débats sur les changements à long
terme
56. Sans possibilité d’évaluer
l'importance de la science (sciences douces ou sciences dures) dans
la société, le citoyen peut avoir du mal à s'engager de manière
délibérée dans un dialogue sur les effets et les politiques à long
terme. Il ne dispose pas toujours en effet des outils nécessaires
pour comprendre l'impact de ses choix sur la communauté, aujourd'hui
et à l'avenir, et ce qu'il peut faire pour améliorer la vie actuelle
et future de la collectivité. Le citoyen peut se sentir investi
à l'idée d'aider sa propre communauté si les liens qui l’unissent
à elle, et les avantages qu’il en retire en tant que membre, sont
réels et clairement démontrés, et si les options sont expliquées.
57. Les écoles devraient être associées à tous les niveaux afin
d'expliquer les liens qui existent entre les sciences douces et
les sciences dures et les conséquences intergénérationnelles des
choix individuels actuels. Les sciences dures et douces devraient
être présentées au citoyen de manière plus informelle.
3. Collaboration
entre les médias et les experts, les autorités publiques, les services
et le public
3.1. Les
médias en tant que lien essentiel entre les experts, les autorités
publiques, les services et le public
58. Les approches de la communication
médiatisée pour la gestion et la résolution des crises doivent s'appuyer
sur les études et recherches existantes menées par des experts en
communication scientifique, en communication de crise et en dynamique
de la communication culturelle et sociale. Les travaux précédents soulignaient
déjà la nécessité d'une communication claire et ouverte capable
de stimuler et de renforcer les comportements responsables au lieu
de susciter la méfiance envers les institutions et d’encourager
un paternalisme institutionnel
.
Dans les démocraties, il est crucial que les citoyens soient, et
aient le sentiment d'être, traités comme des partenaires égaux,
contribuant à la gestion et à la résolution des crises. La communication
médiatisée ne devrait donc pas uniquement servir à illustrer ou
à justifier les décisions et les analyses institutionnelles, mais
aussi à montrer que les comportements et les choix des citoyens
sont décisifs en cas de crise.
59. Le rapport 2012 du Centre européen de prévention et de contrôle
des maladies (CEPCM) intitulé «Communication sur la vaccination
– instaurer la confiance»
indique clairement que l'instauration
de la confiance et de la transparence est à la base d'une approche
réussie de la communication. Les étapes de l'élaboration et de la
mise en œuvre d'un programme de communication (sur la vaccination
ou d'autres sujets) contenues dans le rapport 2012 du CEPCM indiquaient
déjà une voie à suivre, qui devrait inclure d’une part une relation
bénéfique entre les médias, et d’autre part les experts, les autorités
publiques, les services et le public. Cette approche par étapes,
qui peut s’appliquer à diverses crises, prône la création de liens
avec les parties prenantes, notamment les médias, qui soient cohérents
avec les recommandations proposées dans ce rapport.
60. Les médias sont un nœud crucial dans le réseau plus large
de la communication, qui comprend les experts, les autorités publiques,
les services et le public. Par conséquent, les mesures qui visent
à stabiliser des liens de communication souples, mais faisant autorité,
entre tous ces acteurs, et à renforcer l'opinion des citoyens sur
leur rôle dans la société, sont des éléments essentiels de la communication
avant, pendant et après les crises.
3.2. Renforcer
la légitimité des décisions prises par les dirigeants politiques
et les institutions
61. Les citoyens ne saisissent
pas systématiquement l'importance des décisions prises par les dirigeants politiques,
même lorsque ces décisions reposent sur des bases scientifiques
et même si elles représentent un effort équilibré visant à satisfaire
divers besoins au profit du bien social. Cela est dû à une série
de facteurs culturels, principalement à long terme, étroitement
liés à l'évolution structurelle des possibilités de chaque individu
dans la société, ce que le présent rapport a examiné. Ce manque
de compréhension peut affaiblir le soutien du public aux politiques
de prévention, de gestion et d'atténuation des crises.
62. Les démocraties connaissent des crises similaires à celles
des pays non démocratiques, et les mesures que les unes et les autres
doivent prendre pour protéger leurs collectivités impliquent une
certaine limitation de la liberté individuelle. La difficulté pour
un pays démocratique, qui est fondé sur le principe de la liberté individuelle,
est d'amener les citoyens à faire des choix qui aident la société
sans pour autant leur imposer. Ces choix peuvent être privilégiés
et défendus par les individus s'ils les considèrent comme des mesures
qui leur permettent de remplir le rôle qu'ils estiment être le leur
au sein de la société.
63. Un réseau intersectoriel et communicatif d'experts, d'autorités
publiques, de services et du public peut renforcer la légitimité
des décisions prises par les dirigeants politiques dans ces situations.
Un tel réseau peut diffuser des contenus précis et constructifs
dans le débat public en utilisant des médias de manière souple mais
cohérente. Son objectif général doit être de renforcer les messages
sur la capacité de l'individu à contribuer au bien-être de la société,
avant, pendant et après la crise, parallèlement au travail effectué
par les institutions, les experts et les services.
3.3. Renforcer
le soutien public aux services
64. En général, le citoyen soutient
largement le travail effectué par les services (tels que les services d'urgence
ou de santé) pour prévenir et gérer les crises ou y répondre. Mais
il comprend moins bien, parce qu’elle est moins visible, la complexité
de ces services ainsi que la quantité de travail et de ressources nécessaires
pour planifier et agir de manière cohérente pendant une crise. Ce
manque de visibilité peut affaiblir le soutien à l'allocation des
ressources nécessaires et nuire à la compréhension des efforts et
des difficultés des travailleurs essentiels et des structures d'urgence,
et donc déboucher sur d’autres représentations erronées du rôle
des services et de leurs processus.
65. Un réseau intersectoriel et d’échanges entre des experts,
des autorités publiques, des services et le public peut faire pression
sur les médias pour que ces services, et leurs processus de travail,
soient plus visibles dans les produits culturels qui façonnent les
opinions d'une communauté. C'est notamment le cas des produits de
divertissement (par exemple, les séries Netflix), où des rôles et
des problèmes représentatifs sont popularisés dans des histoires
fictives destinées au grand public.
3.4. Renforcer
le rôle des données scientifiques et des experts dans les débats
publics
66. La crise due à la covid-19
a clairement mis en évidence une faiblesse majeure dans la communication médiatique
de l'information scientifique lors d'une crise. Les institutions
mondiales, qui devraient représenter les orientations et les actions
engagées au niveau international, ont souvent été critiquées dans
les discours populaires, et leurs messages sont restés inaudibles.
Les messages scientifiques, qui sont par nature transfrontières,
ont souvent été lus à travers un prisme nationaliste ou polarisé.
67. Il est possible de déterminer trois points d'action généraux.
Le premier est la nécessité de soutenir systématiquement les chercheurs
qui étudient les facteurs et les processus liés à la crise (par
exemple, les chercheurs spécialisés dans la médecine ou le changement
climatique), en veillant à ce qu'ils soient protégés des interférences
politiques et partisanes ou des besoins de marketing des institutions
qui les emploient. Le deuxième consiste à appuyer et rendre visible
la recherche scientifique sur les communautés en proie au changement
et à l'incertitude, sachant que la recherche scientifique sur les
virus et autres faits «concrets» est également soutenue dans le
discours public
.
Le troisième est la nécessité de faciliter le passage d'une communication
scientifique personnalisée à une communication collective, soit
une communication qui repose manifestement sur la communauté internationale
des chercheurs et leurs travaux en cours.
68. Deux grands types d'«informations personnalisées» sont apparus
en ligne pendant la pandémie de covid-19. Dans les deux cas, ces
«informations personnalisées» ne faisaient pas partie d'un effort
coordonné de collaboration avec les médias et de nouer le dialogue
avec le public pendant la pandémie de covid-19. Le premier type
de personnalisation est celui des véritables experts en communication
qui ont décidé de s'engager spontanément dans le débat par sens
des responsabilités et
en l’absence de canaux
stabilisés à cet effet au sein d'un réseau global-local préétabli
. Ces agents
de communication constituent déjà une grande partie du réseau global-local
qui est nécessaire pour gérer la communication médiatisée pendant
une crise: il suffit de les inclure et de les reconnaître comme
nœuds pertinents du réseau.
69. Le deuxième type de personnalisation relève d'experts qui
sont spécialisés non pas dans la communication mais dans les problèmes
provoqués par une crise (par exemple, des virologues pour la connaissance
des virus) et qui s'engagent directement dans le débat sur la crise.
Au cours de leur présence médiatique, ces scientifiques ont montré
leurs forces et leurs faiblesses en tant que communicateurs, au
point qu'ils ont souvent mis en danger leur propre image d'experts
dans leur discipline. À court terme, leurs interventions dans le
débat médiatique ont accentué la personnalisation des informations,
leur sensationnalisme et la polarisation des audiences. À long terme,
cependant, cette participation impromptue et directe du chercheur
pourrait stabiliser et nourrir le débat.
70. Il existe déjà de nombreuses bonnes pratiques qui reposent
sur une approche moins personnalisée et qui pourraient être considérées
comme faisant partie du réseau multisectoriel global-local nécessaire
pour maintenir une communication constructive pendant une crise.
D'un point de vue technique, les podcasts et les plateformes audio
offrent également de grandes possibilités pour la future communication
autour de la science.
71. Étant donné que la formation d'approches et de réseaux collectifs
peut prendre du temps, les établissements d'enseignement supérieur
offrent une plateforme plus souple et déjà disponible pour mobiliser rapidement
les savoirs multidisciplinaires développés par les étudiants dans
le cadre d'activités au service du public menées sous la supervision
d'experts et de personnel actif dans la recherche
.
3.5. Gérer
le développement des crises: permettre aux autorités publiques d'identifier
les difficultés imprévues
72. La crise de la covid-19 a démontré
que les difficultés les plus ardues et imprévues qui surviennent
durant les périodes de crise dans les démocraties concernent la
gestion des relations entre l'opinion publique, la couverture médiatique
et les choix politiques.
73. Les études sociologiques des médias deviennent très importantes
à cet égard, notamment pour soutenir la coordination des débats
intersectoriels avant, pendant et après les crises. Elles peuvent
expliquer comment les domaines médiatique et politique s'influencent
mutuellement, ainsi que les dynamiques qui renforcent les débats
politiques, en mettant particulièrement l'accent sur la dynamique
des messages dont le citoyen dépend. Les études sociologiques peuvent
et doivent éclairer le suivi numérique des débats, et permettre
aux pouvoirs publics de recenser l’éventail des difficultés rencontrées
et des solutions disponibles dans leur approche des médias.
74. En outre, les échanges entre experts peuvent permettre de
recenser des difficultés imprévues pour les autorités et les publics.
Les conférences universitaires sont des espaces où les premiers
résultats de la recherche sont présentés et examinés par une communauté
d'experts. En invitant des journalistes à ces conférences (par exemple,
des conférences sur le rôle des sciences dures et des sciences douces
dans la lutte contre le changement climatique, les vaccinations,
la covid-19, voire des conférences plus générales), ces difficultés
potentielles et imprévues peuvent devenir plus facilement visibles
pour les institutions. Les conférences pourraient prévoir une séance
conjointe journaliste-expert visant à traduire le jargon scientifique en
articles d'actualité précis à l'intention du public des médias et
en rapports ciblés pour des institutions spécifiques.
75. En d'autres termes, le journalisme n'est pas uniquement un
canal pour communiquer avec le citoyen et permettre la formation
de l'opinion publique, mais aussi un canal pour le transfert des
savoirs experts vers les institutions. Les journalistes peuvent
également obliger les experts à communiquer leurs savoirs dans le
cadre de leur communauté et non individuellement, ce qui mettrait
en évidence la vraie nature de la recherche, qui est une œuvre collective,
dans le débat public. Dans le même temps, le fait de renforcer la
présence de journalistes dans le milieu de la recherche leur permettrait
de mieux connaître les processus scientifiques et de mettre au jour
des dynamiques sociologiques invisibles qui perturbent soudainement
la vie sociale pendant les crises
et qu'ils pourraient utiliser pour
contextualiser leurs reportages d'actualité.
3.6. Soutien
des autorités au journalisme d'investigation et constructif en période
de crise
76. Le journalisme, contrairement
à d'autres secteurs producteurs de savoirs (comme la recherche),
est rapide, adaptable et il peut s'ajuster de manière flexible en
cas de crise. Cependant, le journalisme numérique a tendance à contenir
des éléments qui peuvent être des «pièges à clics», et des articles
«critiques» attrayants peuvent parfois alimenter la polarisation
et la fragmentation. La couverture des crises ne doit donc pas se limiter
au journalisme d'investigation et de «surveillance». Les collectivités
ont besoin d'informations qui ne se contentent pas de demander des
comptes aux «puissants». Elles ont également besoin d'informations
qui donnent de la visibilité aux efforts concrets et prévisionnels
déployés pour résoudre une crise, et qui montrent comment une communauté
peut être affectée par une décision individuelle d'adopter un comportement responsable.
77. Les approches variées du journalisme constructif, notamment
le journalisme de paix, le journalisme de solutions et le journalisme
constructif, peuvent rééquilibrer le débat dans ce sens pendant
les crises. Ces modèles sont généralement issus d'études critiques
sur les médias et s'appuient sur des données factuelles claires
et des théories sur les boucles de rétroaction plus larges qui nourrissent
les dynamiques destructrices de la communication. En d'autres termes,
ces modèles peuvent expliquer pourquoi la communication médiatique
polarisante se développe, et quels facteurs politiques et sociaux
y contribuent. Ils doivent donc bénéficier d'un soutien total dans
le cadre de l'enseignement et de la formation professionnelle, et
être inclus dans les analyses et les politiques relatives à la communication
médiatique en temps de crise.
4. Conclusions
78. Les mesures visant à renforcer
le rôle des médias dans les crises devraient concerner les institutions, les
services, les experts et la société civile. Elles devraient viser
à protéger les espaces, le temps, les interventions et les outils
afin de rendre les processus collectifs, institutionnels et scientifiques
visibles et accessibles, ainsi qu'à créer et renforcer la confiance
et le sentiment d'identité, de finalité et d'appartenance. La création
d'une base médiatique résiliente et adaptable de cette nature est
le meilleur moyen de faire face aux crises qui menacent les démocraties,
car elle permet une évaluation efficace des idées et le soutien
d'une philosophie délibérative qui peut préparer les citoyens au
changement. Les efforts des États membres doivent donc se concentrer
sur des politiques et des mesures à long terme qui commencent bien
avant le début d'une crise.
79. La contribution des médias aux processus démocratiques devient
particulièrement difficile et complexe pendant les crises, en raison
de divers facteurs et dynamiques. Les médias et les plateformes
d'information ont tendance à structurer l'information autour des
nouveaux besoins et ressentis des citoyens qui participent activement
à l’univers numérique au lieu de couvrir les contextes, la variété
des points de vue disponibles et de faire la distinction entre les
opinions et les informations validées.
80. Les incertitudes et les craintes déclenchées par les crises
limitent la prédisposition des individus à de longs échanges délibératifs
et éducatifs. Les craintes s'emparent rapidement des espaces de
médias sociaux, où les opinions directes et individuelles deviennent
dominantes. En outre, le journalisme a une relation compliquée avec
la science, qui devrait éclairer le travail des institutions en
période de crise.
81. En temps de crise, les médias devraient aider le public à
donner un sens au changement et à comprendre les nouveaux choix
à faire au niveau individuel et social. Les médias devraient donc
fournir tous les éléments nécessaires pour que les individus comprennent
non seulement l'ensemble des choix qui s'offrent à chacun d’eux
dans le nouveau contexte, mais aussi pourquoi certains besoins sociaux
doivent avoir la priorité sur d'autres, et comment ils doivent être
hiérarchisés.
82. La nouvelle visibilité que les besoins sociaux acquièrent
pendant une crise crée deux tensions importantes au sein de la communauté:
a), la première est due à la nécessité de concilier les libertés
et les idéologies de l'individu avec les nouveaux besoins et priorités
de la société; b), la deuxième est causée par le rythme rapide qu'une
crise impose au débat, ce qui rend plus difficile le développement
de processus délibératifs efficaces et approfondis en faveur des
nouvelles priorités sociales.
83. Il est donc important que les médias adoptent des approches
qui contrebalancent ces deux tensions avant et pendant les crises.
La capacité des médias à mettre en évidence les liens entre la vie
sociale et la vie individuelle ainsi que les avantages de l'appartenance
à une communauté, ce qui implique des responsabilités, des rôles
et des libertés, devient cruciale avant et pendant une crise. La
capacité à continuer à offrir des moyens de délibération efficaces
et sains, où une variété de points de vue nouveaux et anciens sont
non seulement exprimés, mais aussi examinés et remodelés collectivement
pendant les périodes frénétiques, est une fonction essentielle des
médias pendant les crises. Une autre fonction-clé des médias pendant
les crises est leur capacité à rendre compte des débats et des évolutions
sociétales concernant des «faits» incertains et non tangibles d'une
manière claire et acceptable pour le public.
84. Les crises entraînent souvent une perte d’infrastructures
essentielles, et le choix de combiner divers moyens de communication,
notamment des médias traditionnels et numériques, peut sauver des
vies. Par conséquent, il est important que les institutions, les
services, les experts, les journalistes et la société civile soient
profondément enracinés, visibles et actifs dans les médias en ligne,
et qu'ils appliquent des plans d'urgence et coordonnés leur permettant
de diffuser des messages publics sur différents médias. Il est particulièrement
important de désactiver la polarisation et la désinformation alimentées
par les conglomérats numériques et les récits exclusifs.
85. Lorsqu’une crise menace les conceptions dominantes des libertés
individuelles, les débats ont tendance à polariser et à fragmenter
la communauté elle-même. Ces crises polarisantes risquent d'être
les crises de l'avenir, et leur impact sur les débats publics exige
une approche médiatique globale pour informer et mobiliser efficacement
le public.
86. Informer le public des mesures prises par les autorités est
la première étape du développement d'un rôle fort des médias dans
la gestion d'une crise. Offrir des indices pour interpréter et expliquer
les processus complexes qui sont encore en cours d'élaboration et
qui doivent encore être découverts est un élément clé de la recherche
et des enquêtes critiques. Ce type de journalisme devrait toujours
être soutenu.
87. Cependant, dans une situation marquée par l'incertitude et
la peur, les individus ne délibèrent pas vraiment sur ce contenu.
En outre, ils ont plutôt tendance à utiliser ces indices pour confirmer
des interprétations simplistes. Par conséquent, s'il est laissé
seul dans un piège à clics où de nombreux citoyens cherchent une
confirmation de leurs opinions, même le meilleur journalisme d'investigation
peut contribuer à dénigrer la qualité de l'information et à nourrir
des interprétations simplistes et polarisantes. Certes le public comprend
qu'on lui promet des solutions rapides et univoques, mais il reste
incapable de jeter un regard critique sur les zones d'ombre et l'incertitude
de la science et peut donc plus facilement considérer qu’il est
en droit de résister aux demandes de changement rapide de comportement.
Lorsque les croyances sont confirmées, le fait de s’opposer au changement
exigé par les institutions peut aisément être compris comme un moyen
de participer à la lutte pour la nature démocratique de la société
et de se libérer de l'oppression.