1. Introduction
1. À la suite d’une proposition
des cinq groupes politiques, l’Assemblée parlementaire a décidé
de tenir, le 24 janvier 2022, un débat selon la procédure d’urgence
ayant pour thème « Vaincre la covid-19 par des mesures de santé
publique ». J’ai été nommé rapporteur le même jour.
2. Ce débat d’urgence a lieu dans le contexte de l’évolution
rapide de la pandémie de covid-19, qui engendre tant de souffrances
à mesure que le virus continue de se propager aux niveaux régional
et mondial. La pandémie et les mesures imposées en conséquence par
les États membres afin d’endiguer la propagation du virus soulèvent
de nombreuses considérations éthiques, juridiques et pratiques,
comme l’a souligné notre collègue, Mme Jennifer
De Temmerman, dans son rapport sur les vaccins contre la covid-19.
À la lumière de l’évolution de la pandémie, il importe de réexaminer
régulièrement les mesures de santé publique mises en place dans
nos États membres au moyen d’un contrôle parlementaire, afin de
nous assurer qu’elles demeurent pertinentes, proportionnées et efficaces,
dans le respect des droits humains.
3. L’Assemblée a accordé beaucoup d’attention à la pandémie.
Dans sa
Résolution 2329
(2020) « Enseignements à tirer pour l’avenir d’une réponse
efficace et fondée sur les droits à la pandémie de covid-19 », le
monde entier a appris que pour éviter une catastrophe en pertes
humaines et en suites néfastes de la maladie, ainsi que de conséquences
tout aussi catastrophiques pour l’économie et les droits humains,
nous devons agir vite pour endiguer toute résurgence, en prenant
des mesures efficaces, testées et éprouvées, mises en œuvre dans
le respect des droits. Par ailleurs, la
Résolution 2361 (2021) « Vaccins contre la covid-19: considérations éthiques,
juridiques et pratiques », met en avant l’importance d’une distribution
équitable des vaccins au plan mondial et au sein des États membres,
et fournit des recommandations concrètes pour obtenir un taux de
vaccination élevé fondé sur le plein respect des droits humains.
En décembre 2021, la commission des questions sociales, de la santé
et du développement durable a adopté une déclaration dans laquelle
elle se disait profondément préoccupée par la situation de la pandémie
en Europe et dans le monde
.
4. Face à l’évolution inquiétante de la situation pandémique
dans le monde, il est demandé à l’Assemblée, dans la proposition
de débat d’urgence, d’examiner au plus vite les mesures nécessaires
pour assurer une répartition équitable des vaccins à l’échelle mondiale
ainsi qu’un taux de couverture vaccinale suffisant dans les États
membres. L’Assemblée est également invitée à se pencher sur la question
de la vaccination obligatoire, de l’édification de systèmes de santé
plus solides pour faire face à la crise et d’un engagement plus ferme
en faveur de la résolution des problèmes socio-économiques engendrés
par la pandémie.
2. Faire face aux nouvelles vagues de
covid-19 et aux variants émergents
5. Au 19 janvier 2022, plus de
332 millions de cas confirmés de covid-19, dont plus de 5,5 millions
de morts, avaient été signalés à l’Organisation mondiale de la santé
(OMS). Ces chiffres sont d’autant plus inquiétants, qu’ils sont
certainement nettement sous-estimés dans de nombreuses régions du
monde. Ce sont aujourd’hui les régions Europe et des Amériques de
l’OMS qui enregistrent le plus grand nombre de cas, le variant Omicron,
qui se propage rapidement, ayant pris le pas sur la souche Delta
auparavant dominante. La région européenne a comptabilisé à elle
seule quelque 9 millions de cas et plus de 21 000 décès au cours
des sept derniers jours.
6. Le variant Omicron est arrivé à un moment où une grande partie
de l’Europe était déjà sous l’emprise d’une vague pandémique portée
par le variant Delta, extrêmement contagieux et provocant de graves affections.
La vigilance et la transparence des scientifiques et des responsables
de la santé publique d’Afrique du Sud et du Botswana ont permis
à l’OMS d’agir rapidement
. Le 26 novembre 2021, moins de deux semaines
après les premiers cas signalés de variant Omicron, celui-ci a été
déclaré préoccupant par l’OMS en raison du nombre sans précédent
de mutations dans la protéine Spike qui impliquent une contagiosité
encore plus élevée, ainsi qu’un possible échappement immunitaire
à la fois aux vaccins et à une infection antérieure. Cette situation
a incité de nombreux États membres à prendre de nouvelles mesures
de restriction afin d’enrayer la propagation du virus, mais certains
ne semblent pas avoir pris les avertissements suffisamment au sérieux.
7. Le Directeur général de l’OMS, M. Tedros Adhanom Ghebreyesus,
a averti les dirigeants mondiaux que la pandémie était loin d’être
terminée. Lors d’une conférence de presse tenue le 19 janvier 2022,
il a souligné que le variant Omicron avait causé 18 millions de
nouvelles infections dans le monde au cours de la seule semaine
précédente. Les pays européens sont maintenant confrontés à un nombre
record de nouvelles contaminations. En effet, la France a signalé,
le lundi 17 janvier 2022, plus d’un demi-million de nouveaux cas par
jour, et l’Allemagne a dépassé, le jour suivant, les 100 000 nouvelles
infections en 24 heures pour la première fois depuis le début de
la pandémie. Le Royaume-Uni a enregistré des taux d’infection très
élevés de plusieurs centaines de milliers de contagions chaque semaine
pendant des semaines.
8. Des experts ont déclaré que, s’il est vrai qu’Omicron peut
s’avérer moins grave en moyenne, ce variant ne saurait en aucun
cas être considéré comme bénin
. Il continue en effet de provoquer
des hospitalisations et des décès, et même ces cas les moins graves
submergent les établissements de santé. Le risque de développer
une covid longue, qui touche même les jeunes sans pathologie sous-jacente,
est une autre raison pour laquelle il est dangereux d’assouplir
les restrictions et de laisser la transmission échapper à tout contrôle.
9. Selon le Groupe consultatif technique de l’OMS sur la composition
des vaccins contre la covid-19, il est peu probable qu’une stratégie
de vaccination fondée sur une multiplication des doses de rappel
du vaccin sous sa forme d’origine soit adaptée ou durable. Au lieu
de cela, le Groupe appelle au développement de nouveaux vaccins
qui non seulement protègent les personnes infectées contre les formes
graves de la maladie, mais qui ont également une incidence élevée
sur la prévention de l’infection et sa transmission (en fournissant
une « immunité stérilisante »)
.
10. Comme l'a souligné l'OMS, «la situation est très différente
d'une région à l'autre, d'un pays à l'autre, d'une province à l'autre
et d'une ville à l'autre.... Se faire vacciner, maintenir une distance
physique, se laver les mains, éviter les espaces bondés et fermés
et porter un masque sont des «mesures anti-confinement»: elles peuvent
empêcher la propagation de la maladie sans avoir à fermer de larges
pans de la société. Cependant, la distribution inéquitable des outils
qui aident à atténuer la transmission ou à sauver des vies – y compris
les diagnostics, l'oxygène, les équipements de protection individuels
et les vaccins – entraîne une pandémie à deux voies. Cette iniquité
prolongera la phase aiguë de cette pandémie pendant des années,
alors qu'elle pourrait être terminée en quelques mois. Si ce virus
circule quelque part, c'est une menace partout"
. L'OMS a élaboré
des Éléments à prendre en considération lors de la mise en œuvre
et de l’ajustement des mesures de santé publique et des mesures
sociales dans le cadre de l’épidémie de covid-19 que nos États membres
devraient suivre.
11. Le message de la
Résolution 2329
(2020) « Enseignements à tirer pour l’avenir d’une réponse
efficace et fondée sur les droits à la pandémie de covid-19 », était
d’agir vite et fort pour endiguer la transmission afin que nous
puissions éventuellement éviter des confinements plus stricts à
un stade ultérieur. Nous devons continuer à appliquer des mesures
de protection élémentaires telles que le port de masques FFP2, la ventilation
adéquate des espaces intérieurs (notamment les écoles et les lieux
de travail), la distanciation physique, le recours, si possible,
au télétravail, l’incitation à servir des boissons et des plats
en espace ouvert, et le lavage fréquent des mains afin d’arrêter
la propagation du virus et de gagner du temps pour sauver des vies,
empêcher que des personnes tombent gravement malades et protéger
nos activités économiques. De telles mesures peuvent également avoir
pour effet d’éviter d’imposer des confinements plus stricts à un
stade ultérieur, si le virus devenait encore plus dangereusement
hors de contrôle.
12. Au début de la pandémie, la transmission du coronavirus n’était
pas bien connue, et les équipements de protection individuels, en
particulier les masques efficaces comme les respirateurs à masque
filtrant FFP2/N95/K95 sans valves, étaient en nombre insuffisant.
Si les masques en tissu et les masques chirurgicaux sont préférables
à l’absence de masques, ils ne protègent pratiquement pas les personnes
qui les portent d’une infection, en raison de la contagiosité extrême
par aérosols, plus particulièrement des nouveaux variants comme
Delta et Omicron (ce dernier peut infecter des personnes à une distance
allant jusqu’à 3 mètres et peut rester en suspension dans l’air
pendant trois heures). Rendre l’utilisation des masques FFP2 obligatoires, comme
cela a par exemple été fait en Autriche et dans plusieurs États
allemands, dans des situations à risque, comme dans les transports
publics, dans les lieux bondés en intérieur comme en extérieur,
dans les écoles (en particulier les établissements d’enseignement
secondaire) est une mesure efficace et comparativement peu coûteuse
pour maîtriser les infections.
13. On craint que, même en Europe, imposer l'utilisation de tels
masques ne conduise à des inégalités. Cependant, développer la capacité
de production, de distribution et envisager de rendre obligatoire
l'utilisation de masques de haute qualité (en passant progressivement
aux masques de la norme FFP2 si possible) seraient néanmoins des
mesures utiles, tout comme fournir ces masques gratuitement si possible
aux groupes vulnérables (en s’assurant qu’ils soient abordables
aussi pour le reste de la population).
14. Si les vaccins diminuent les risques de tomber gravement malade
et réduisent la transmission, il existe toujours un risque d’être
infecté. Il serait bon, par conséquent, que la mise en place des
systèmes de test se poursuive, et soit encouragée, dans nos États
membres. En novembre, l’Allemagne a réintroduit le dépistage gratuit
afin de freiner une nouvelle vague d’infections. D’autres États
membres devraient suivre cette voie, en veillant à ce que le dépistage
soit gratuit et facilement accessible à tous, afin de réduire les
chaînes de transmission. En Allemagne, les personnes qui n’ont pas
encore reçu leur dose de rappel devront présenter une attestation
de deux doses de vaccin ainsi qu’un résultat négatif pour pouvoir
accéder aux commerces non essentiels tels que les restaurants et
les bars
.
15. Rappelant la déclaration adoptée par notre commission le 1
décembre 2021, les États membres devraient assurer la reconnaissance
mutuelle de tous les vaccins anti-covid développés et autorisés
dans les États membres du Conseil de l’Europe, ainsi que tous les
vaccins autorisés par l’OMS, afin de ne pas discriminer les millions
de personnes qui ont reçu leurs doses de vaccin à l’étranger. Les
États membres devraient également collaborer à l’élaboration d’une
solution technique sur la manière de reconnaître la preuve de l’infection
à la covid-19 à l’étranger.
16. Les gouvernements devraient prendre des mesures concrètes
fondées sur des éléments scientifiques pour mettre fin à la propagation
du virus au lieu de se cacher derrière des interdictions de voyage.
Celles-ci ne sont pas recommandées par l’OMS et se sont révélées
très peu efficaces. Plusieurs d’entre eux ont critiqué à juste titre
les interdictions de voyage imposées à propos du variant Omicron.
Ces dernières ciblaient seulement les pays africains, dont certains
n’avaient pas encore détecté de variant Omicron alors que le variant
était présent sur d’autres continents, notamment en Europe. Le directeur
général de l’OMS a fait part de sa vive inquiétude à l’idée que
ces pays étaient pénalisés par d’autres alors qu’ils faisaient ce
qu’il fallait faire et partageaient les informations. En outre,
Mme Maria Van Kerkhove, responsable technique
de la covid-19 à l’OMS, a ajouté que les interdictions de voyage
avaient d’autres implications graves, notamment de limiter la capacité
des chercheurs sud-africains à envoyer des échantillons du virus
en dehors du pays
.
17. Le 1er décembre 2021, l'Assemblée
mondiale de la Santé a créé un organe intergouvernemental visant à
élaborer et à négocier une convention, un accord ou un autre instrument
international, en vertu de la Constitution de l’Organisation mondiale
de la Santé
. Les Etats membres du Conseil de
l'Europe devraient soutenir le développement d'un tel accord mondial.
Cela contribuerait à renforcer la préparation et la résilience aux
pandémies et autres urgences sanitaires mondiales, à soutenir la
prévention, la détection et les réponses aux épidémies à potentiel
pandémique, à garantir un accès équitable aux contre-mesures pandémiques
et à soutenir la coordination mondiale grâce à une OMS plus forte
.
3. Nécessité
urgente d’une distribution mondiale équitable des vaccins contre
la covid-19
18. La commission a averti à plusieurs
reprises que « personne n’est en sécurité tant que tout le monde
ne l’est pas ». L’apparition de nouveaux variants en est une preuve
supplémentaire. Il y a un an, dès les premiers stades du déploiement
du vaccin, ma collègue Jennifer De Temmerman avertissait dans son
rapport que si nous permettons au virus de muter, en laissant des
« poches » dans certaines parties du monde où le virus circule,
nous risquons d’affaiblir l’instrument le plus efficace contre la
pandémie à ce jour et de devoir revenir de nouveau à la case départ.
19. La distribution équitable des vaccins à l’échelle mondiale
et le transfert de technologies sont essentiels pour protéger la
santé publique et surmonter la crise sociale et économique provoquée
par la pandémie. Malgré les appels lancés depuis longtemps par l’OMS,
les experts de la santé publique et les scientifiques, ainsi que
la
Résolution 2369 (2021) « Les vaccins contre la covid-19: considérations éthiques,
juridiques et pratiques », les États membres sont loin d’avoir fait
le nécessaire pour garantir un accès équitable aux vaccins contre
la covid-19 dans le monde.
20. Le mécanisme COVAX, qui a remporté le prix Nord-Sud du Conseil
de l’Europe en 2021, a été lancé en 2020 afin de garantir une distribution
équitable des vaccins contre la covid-19 à l’échelle mondiale, l’objectif étant
de fournir 2 milliards de doses aux pays à revenu faible et intermédiaire
d’ici à la fin 2021. Malheureusement, cette initiative n’a même
pas permis de livrer la moitié des doses l’année dernière. Ce n’est que
le 13 janvier 2022 que le milliard de doses a été dépassé. A cet
égard, un communiqué de presse de l’OMS indique que 36 de ses États
membres ont vacciné moins de 10 % de leur population et 88 États
membres de moins de 40 %, ajoutant que les pays à revenu élevé,
dont de nombreux États membres du Conseil de l’Europe, ont commencé
à administrer des doses de rappel aux personnes en bonne santé dès
le second semestre 2021.
21. La mission de COVAX a été compromise en raison de la rétention
et la constitution de stocks par les pays riches, ainsi que par
des flambées épidémiques catastrophiques entraînant la fermeture
des frontières et donc des chaînes d’approvisionnement. En outre,
la réticence des entreprises pharmaceutiques à partager les licences,
les technologies et le savoir-faire a eu pour conséquence que les
capacités de production sont restées inutilisées
. Cette répartition inéquitable des
vaccins contre la covid-19 à l’échelle mondiale a déjà entraîné
un retard dans la réalisation des objectifs de développement durable
des Nations unies.
22. Les États membres doivent donc redoubler d’efforts pour que
les vaccins contre la covid-19 soient distribués rapidement et de
manière équitable à l’échelle mondiale avec le transfert de technologies
nécessaire et le renforcement de la capacité de production locale
. Notre priorité absolue devrait être
de veiller à ce que les groupes vulnérables
et les professionnels de la santé
du monde entier aient accès aux vaccins afin d’arrêter la circulation
du virus et d’éviter d’autres décès et maladies, ainsi que de nouveaux
dommages à nos activités économiques. Cela signifie, entre autres,
que les États membres doivent s’abstenir de contribuer à des conditions
de marché qui désavantagent considérablement les pays moins bien
dotés sur le plan économique. Nous avons besoin, au niveau international
et multilatéral, d’un engagement plus ferme pour trouver une réponse
globale, y compris à travers le soutien d’une dérogation ADPIC
et le transfert de technologies
afin que personne ne soit laissé pour compte.
4. Mesures
visant à garantir des taux de vaccination plus élevés et la question
des vaccinations obligatoires
23. Les taux de vaccination insuffisants
dans de nombreux pays, notamment dans les États membres du Conseil
de l’Europe, sont un autre facteur contribuant à la propagation
continue du virus et à la pression accrue sur nos systèmes de santé.
La méfiance à l’égard des vaccins, alimentée par la désinformation,
les fausses informations et la méfiance à l’égard du gouvernement,
ne permet pas d’obtenir des progrès dans les taux de vaccination.
24. Tandis que de nombreux pays européens s’efforcent d’obtenir
des taux de vaccination plus élevés, certains ont imposé des obligations
vaccinales ou d’autres mesures visant à exclure les personnes non vaccinées
de la possibilité de participer pleinement à la société, relançant
ainsi le débat autour de l’autonomie individuelle, d’une part, et
de la nécessité de protéger la santé publique et les plus vulnérables
de nos sociétés, d’autre part, comme le prévoient l’article 12 du
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
(PIDESC) et l’article 11 de la Charte sociale européenne.
25. Dans l’affaire Solomakhin c. Ukraine,
la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la vaccination
obligatoire constituait une ingérence dans l’exercice du droit à
l’intégrité énoncé à l’article 8 de la Convention européenne des
droits de l’homme. Elle a néanmoins conclu qu’une telle ingérence
pouvait être justifiée si elle était considérée comme une « nécessité
pour contrôler la propagation des maladies infectieuses » (paragraphe 36).
26. En avril 2021, la Cour a rendu un arrêt dans l’affaire Vavřička et autres c. la République tchèque,
dans lequel la Grande Chambre a fourni un examen plus détaillé des
incidences de la Convention européenne des droits de l’homme (STE
n° 5) sur la vaccination obligatoire dans le contexte des vaccins
pour enfants. Elle a estimé que la politique tchèque consistant
à infliger des amendes aux parents qui refusaient de faire vacciner leurs
enfants et à exclure ces enfants de l’école maternelle était compatible
avec la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour a noté
que les États avaient l’obligation positive de protéger la santé
et la vie de leurs résidents, y compris ceux qui sont particulièrement
vulnérables à certaines maladies et ceux qui ne peuvent être vaccinés
pour des raisons médicales (paragraphe 282). Les faibles taux de
vaccination augmentent le risque de flambées épidémiques de maladies
graves qui peuvent avoir des répercussions sévères sur la santé
des individus et de la société en général.
27. La réponse à la question, de savoir si la vaccination obligatoire
et/ou l’utilisation de passes vaccinaux constituent une mesure de
santé publique nécessaire et conforme aux droits humains, dépend
du contexte et des preuves scientifiques, étant entendu que l’État
dispose d’une grande marge d’appréciation
. Il existe des raisons valables pour
rendre obligatoire la vaccination de groupes spécifiques, notamment
les professionnels de la santé ou d’autres personnes qui sont en
contact avec des groupes vulnérables, voire bien entendu les personnes
plus vulnérables elles-mêmes
.
L’Autriche vient de devenir le premier pays à rendre obligatoire
la vaccination contre la covid-19 pour toutes les personnes, ou
presque, âgées de 18 ans et plus, à compter du 1er février
2022. Les contrôles de routine du schéma vaccinal commenceront à
la mi-mars 2022 et les amendes pourront atteindre 600 euros.
28. M. Robb Butler, directeur exécutif de l’OMS Europe, a déclaré
en novembre 2021 que tout débat sur la vaccination obligatoire est
un débat sain
. À un moment critique où nos sociétés
tentent d’enrayer de nouvelles vagues de la pandémie, les gouvernements
doivent trouver un équilibre entre les droits individuels et leur
obligation de protéger la santé publique et de sauvegarder le droit
à la santé des personnes vulnérables de la société, qui sont exposées
à un risque accru parce que d’autres choisissent de ne pas se faire
vacciner. J’expliquerai ci-après qu’il existe des moyens moins restrictifs
de garantir des taux de vaccination plus élevés, mais je suis d’accord
avec l’OMS pour dire que le moment est venu d’engager un débat,
nécessaire dans toute société ouverte et démocratique, sur ce sujet.
29. Une étude publiée dans
Nature montre
que l’introduction du passe sanitaire en France a entraîné une augmentation
des taux de vaccination. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour la
santé publique, car cela permet de réduire le nombre de maladies
graves et de décès, ainsi que la pression sur le système de santé.
L’étude note également que l’augmentation du taux de vaccination
a été moins importante parmi les groupes les plus vulnérables. De
plus, le passe sanitaire n’a pas diminué la méfiance vaccinale elle-même.
Cela démontre l’importance d’aller chercher les communautés mal
desservies et les limites potentielles des politiques de vaccination
obligatoire. En fait, l’étude suggère que le fait que des personnes
hésitantes ou réticentes se fassent vacciner pour de mauvaises raisons
peut avoir des conséquences négatives qui peuvent renforcer la méfiance
envers les institutions et le système de santé
.
30. L’utilisation des passes ou certificats covid a fait l’objet
d’un rapport, « Pass ou certificats covid: protection des droits
fondamentaux et implications légales », préparé par mon collègue,
M. Damien Cottier. Par ailleurs, Mme Carmen
Leyte a rédigé un avis sur le rapport au nom de notre commission,
soulignant que les passes covid ne devraient être utilisés pour
exonérer leurs titulaires des restrictions destinées à prévenir
la propagation du virus du SRAS-CoV-2 que lorsqu’il sera clairement
et scientifiquement établi que la preuve de la vaccination, une
contamination antérieure ou un test de dépistage revenu négatif
sont des outils efficaces pour contrôler l’épidémie, c’est-à-dire
qu’ils réduisent le risque de transmission du virus du SRAS-CoV-2
à un niveau acceptable en termes de santé publique.
31. De précédentes auditions d’experts nous ont appris que les
groupes et mouvements contre la vaccination sont malheureusement
plus à même de convaincre les indécis. Les obligations vaccinales
et le vocabulaire clivant utilisé pour décrire les personnes qui,
pour diverses raisons, ne sont pas vaccinées peuvent donc être contre-productifs
et contribuer à diviser davantage nos sociétés. Dans un contexte
historique, ces réglementations ont parfois été associées à une
oppression systémique des groupes marginalisés par le gouvernement.
Compte tenu de cette situation, les programmes de sensibilisation
et les efforts soutenus visant à motiver les personnes réticentes
devraient être la pierre angulaire des politiques de vaccination
contre la covid-19.
32. L’Assemblée est d’avis que la méfiance à l’égard des vaccins
doit être combattue avant tout par des mesures démocratiques et
de sensibilisation. Certes, on aurait pu faire davantage, et il
est encore temps, pour convaincre un plus grand nombre de personnes
de se faire vacciner, mais cela nécessite des investissements, du
temps et des efforts de la part des gouvernements et des autorités
de santé publique. La
Résolution 2369 (2021) fournit aux États membres des recommandations pratiques
à prendre en compte pour obtenir un taux d’acceptation élevé de
la vaccination, en se fondant sur des cadres et des études élaborés
par l’OMS et d’autres experts en santé publique.
33. Il s’agit notamment de renforcer les connaissances en matière
de santé, de faire appel à des organisations non gouvernementales,
à des personnes de confiance au sein des communautés et à d’autres initiatives
locales lors de l’élaboration et de la mise en œuvre de stratégies
adaptées pour favoriser l’acceptation des vaccins (ce qui peut être
particulièrement utile lorsque l’on cherche à toucher des communautés
et des groupes marginalisés qui ont historiquement fait l’objet
d’une discrimination et d’une oppression systémiques de la part
des gouvernements) et de s’appuyer sur une communication ouverte
et transparente. Il est important, en particulier, de faire connaître
les avantages de la vaccination et de montrer qu’elle a été soumise
à des tests rigoureux et qu’elle s’est avérée sûre et efficace pour
prévenir les maladies graves, les hospitalisations et les décès
dus à la covid-19. Des études indiquent également que la vaccination réduit
le risque de développer une covid longue. Les vaccins sont donc
l’un des moyens les plus efficaces de nous protéger, ainsi que nos
familles et la société dans son ensemble, contre le virus.
5. Renforcer
les systèmes de santé
34. La pandémie a mis à nu les
inégalités de nos systèmes de santé, y compris en matière de santé
mentale, et le manque criant de ressources financières qui se traduisent
notamment par des professionnels de santé surmenés et un nombre
insuffisant de lits d’hôpitaux. Dans la région Europe de l’OMS,
la pénurie de personnel était le problème majeur de services de
santé sous pression. Dans nos États membres, il existe de grandes différences
dans le nombre de lits de soins intensifs par rapport à la population.
Au début de la pandémie, l’Allemagne comptait 28,2 lits d’hôpitaux
pour 100 000 habitants et l’Autriche 21,8, alors que la moyenne européenne
n’était que de 14,1
.
35. Les premières vagues de la pandémie auraient dû alerter les
gouvernements quant à la nécessité de s’attaquer d’urgence à ce
problème, mais jusqu’à présent, peu de choses ont été faites. En
raison d’un sous-investissement chronique et d’une mauvaise gestion,
le manque de personnel limite l’offre de soins intensifs
. En outre, il est urgent de rendre
les services de santé mentale abordables (et idéalement gratuits
pour les enfants et adolescents) et de les mettre à la disposition
de tous. Avec des listes d’attente qui atteignent des niveaux record
pendant la pandémie, les gouvernements devraient également envisager
de mettre en place des services avec un accès simplifié, tels que
des thérapies courtes pour des problèmes légers ou modérés de désordre
ou de santé mentale. La promotion de la bonne santé et du bien-être
devrait être incluse dans les programmes scolaires.
36. Les États membres doivent donc allouer de toute urgence les
fonds nécessaires à la mise en place de systèmes de santé renforcés.
Il s’agit de combattre non seulement la pandémie et ses effets dévastateurs
sur l’économie mondiale, mais aussi de réduire les fractures et
les inégalités préexistantes, notamment en matière d’accès aux soins
de santé, que la crise sanitaire a mises en évidence, et d’adopter
l’approche «Une seule santé».
37. Avant la pandémie, le monde prenait des mesures positives
pour mettre en place une couverture sanitaire universelle afin d’assurer
la santé pour tous d’ici 2030. La pandémie a profondément ébranlé
nos systèmes de santé, nos sociétés et nos économies et a donc érodé
les acquis du développement de ces 25 dernières années
. Les États membres devraient donc
suivre le conseil de l’OMS et saisir cette occasion cruciale pour
remettre à plat les fondements mêmes des systèmes de santé, à savoir
la gouvernance, le financement, l’amélioration de l’accès aux médicaments,
aux vaccins et aux services de santé, le développement professionnel
du personnel de santé, ou encore le renforcement des capacités de
tous les pays à prévenir et à répondre aux urgences sanitaires
.
Il serait bon que l’Assemblée se penche également sur cette question.
38. Nous n’avons pas de temps à perdre. La nature de la pandémie
nous oblige à agir maintenant. La
Résolution 2329 (2020) « Enseignements pour l’avenir d’une réponse efficace
et fondée sur les droits à la pandémie de covid-19 » et le rapport
de la commission paneuropéenne de la santé et du développement durable
«À la lumière de la pandémie. Une nouvelle stratégie en faveur de
la santé et du développement durable», fournissent aux États membres
d’autres orientations en la matière.
6. S’engager
à traiter les questions socio-économiques posées par la pandémie
39. La santé est un droit fondamental
indispensable à l’exercice des autres droits humains. La protection
de la santé publique ne consiste pas uniquement à éviter les infections
dans la société. La pandémie et les mesures strictes imposées pour
éviter la transmission du virus ont eu des effets dévastateurs sur
d’autres droits et libertés, et les États membres doivent montrer
qu’ils s’engagent plus fermement pour y remédier.
40. La pandémie, qui a fait de nombreuses victimes, est bien plus
qu’une simple crise sanitaire, car elle frappe les sociétés et les
économies au plus profond d’elles-mêmes, aggrave la pauvreté et
les inégalités tant au sein des États membres qu’au niveau mondial,
et entraîne des retards dans la réalisation des objectifs de développement
durable des Nations Unies. Une fois de plus, les actifs, les parents,
les enfants, les femmes, les personnes vulnérables ou marginalisées
sont touchés de manière disproportionnée.
41. Si la pandémie de covid-19 ne connaît pas de frontières et
ne fait pas de discrimination, nos efforts pour la prévenir et l’endiguer
y contribuent
. En effet, les 10 hommes les plus
riches de la planète ont plus que doublé leur fortune collective
depuis mars 2020 tandis que le revenu des 99 % restants a diminué.
La pandémie a frappé plus durement les plus démunis et les plus
vulnérables de nos sociétés, causant la mort de 21 000 personnes
chaque jour parmi les plus pauvres et les moins bien rémunérés de
la planète
.
42. Le monde est actuellement confronté à la plus grande récession
économique depuis huit décennies, mais ces répercussions intergénérationnelles
ne sont pas dues à la seule crise sanitaire. Elles sont en fait
le résultat de fragilités, d’inégalités et d’injustices à long terme
qui ont été mises en évidence par la pandémie
. À cet égard, le rapport, « Surmonter
la crise socio-économique provoquée par la pandémie de covid-19 », préparé
par notre collègue M. Andrej Hunko, indique que la mise en œuvre
des politiques visant à sortir de la crise provoquée par cette pandémie
est une occasion que nous devons saisir pour reconstruire en mieux,
de manière plus verte et plus équitable.
43. Les États membres du Conseil de l’Europe devraient s’engager
à prendre des mesures d’atténuation plus affirmées, notamment le
paiement de congés de maladie suffisamment élevés aux personnes
infectées par le virus, aux personnes qui doivent rester en quarantaine
chez elles parce qu’elles sont des cas contact, ou aux parents qui
doivent s’occuper d’enfants qui ne peuvent pas aller à l’école parce
qu’ils sont malades ou identifiés comme des cas contact. Ces mesures
devraient, au minimum, s’appliquer aux personnes vaccinées (sans
discriminer les personnes qui, pour des raisons médicales, ne peuvent
pas être vaccinées).
44. Si le fait de ne pas discriminer les personnes qui ne souhaitent
pas se faire vacciner a fait l’objet de nombreux débats, la discrimination
à l’égard des personnes vulnérables au virus a quant à elle été
occultée. En effet, un nombre disproportionné de personnes prises
en charge dans les unités de soins intensifs des hôpitaux sont aujourd’hui
des personnes en bonne santé non vaccinées. Ces personnes représentent
une menace sérieuse pour nos systèmes de santé publique et nos économies,
car elles sont plus susceptibles d’être infectées, d’être elles-mêmes
infectieuses plus longtemps (mettant en danger des personnes plus vulnérables)
et de tomber gravement malades. Nous devons faire preuve de solidarité
avec les professionnels de la santé et protéger les personnes les
plus vulnérables de nos sociétés.
45. Beaucoup ont connu des perturbations dans l’éducation en raison
de la pandémie. Les fermetures d’écoles et d’universités ont eu
un impact socio-économique négatif lourd sur les enfants et les
adolescents et ont affecté de manière disproportionnée les plus
vulnérables et les plus marginalisés au sein de nos communautés.
Les perturbations, qui en résultent, ont exacerbé les disparités
déjà existantes au sein du système éducatif, mais aussi dans d’autres
aspects de la vie.
Ainsi, les États membres devraient
suivre le message porté par l’OMS, l’UNESCO et l’UNICEF. Quand des
restrictions sont imposées pour réduire la transmission et le contrôle,
les écoles devraient être les derniers endroits à fermer et les
premiers à rouvrir avec des mesures appropriées de prévention des
infections.
7. Transparence
et évaluation des mesures de santé publique pour garantir le respect
des droits humains
46. Étant donné que les mesures
de santé publique constituent une ingérence dans l’exercice de certains de
nos droits les plus fondamentaux, il est de la plus haute importance
que les gouvernements et les décideurs fassent preuve de transparence
et d’ouverture quant aux raisons qui motivent l’imposition de mesures restrictives.
Les parlements, le pouvoir judiciaire et, le cas échéant, des experts
externes devraient être en mesure d’évaluer et d’examiner les mesures
afin de s’assurer qu’elles répondent à un objectif légitime et qu’elles
sont proportionnées. En outre, des évaluations continues sont nécessaires
pour vérifier que les mesures en vigueur ne s’appliquent pas plus
longtemps que nécessaire, mais aussi pour envisager d’autres mesures
qui pourraient être plus appropriées.
47. La Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe a publié une
boite à outils pour les États membres «Respecter la démocratie,
l'état de droit et les droits de l'homme dans le cadre de la crise
sanitaire de la covid-19»
demeure ainsi toujours pertinente.
Les États membres sont encouragés à utiliser cette boîte à outils
pour garantir que les mesures prises durant la crise sanitaire restent
proportionnelles à la menace que constitue la propagation du virus
et sont limitées dans le temps.
48. Les États membres doivent éviter par tous les moyens de politiser
la pandémie et veiller plutôt à ce que les mesures soient fondées
sur des preuves scientifiques et suivent les recommandations de
l’OMS et d’autres experts en santé publique.
49. Je tiens à souligner qu’en tant que parlementaires et décideurs,
nous avons la responsabilité particulière de montrer l’exemple.
Les comportements inappropriés, même s’ils sont conformes aux règles
sanitaires mises en place, peuvent miner la confiance et donner
l’impression qu’il existe un autre ensemble de règles qui s’appliquent
à « l’élite ». Ces comportements sont particulièrement perturbants
pour les personnes qui ont perdu un être cher, qui sont tombées
gravement malades ou qui ont été touchées par la pandémie d’une
autre manière, par exemple en perdant leur emploi ou en étant isolées
de leurs amis et de leur famille pendant de longues périodes.
8. Conclusions
50. Il est de ce fait urgent que
tous les pays tirent les leçons de la pandémie, en commençant par
mettre en œuvre les mesures publiques nécessaires pour la maîtriser.
On ne saurait tolérer des taux d’infection élevés où que ce soit
dans le monde, car chaque contamination donne au virus une nouvelle
chance de muter, et donc de gagner en contagiosité, en virulence
et/ou en risque d’échappement immunitaire, créant ainsi un cycle
en apparence sans fin de vagues successives de la maladie. Les décideurs
sont de ce fait confrontés à des choix difficiles entre, d’une part,
« vivre avec le virus » et les lourdes charges de morbidité et de
mortalité qu’il entraîne et, d’autre part, prendre des mesures drastiques
de santé publique pour protéger les systèmes de santé de l’effondrement,
avec la désorganisation de nos économies, de nos systèmes éducatifs
et de nos sociétés qu’elles induisent.
51. Comme cela a été souligné à plusieurs moments de la pandémie,
« personne n’est en sécurité tant que tout le monde n’est pas en
sécurité ». Par conséquent, l’Assemblée recommande aux gouvernements
et aux parlements des États membres du Conseil de l’Europe et du
monde entier d’opérer le changement de paradigme nécessaire pour
vaincre une fois pour toutes la covid-19 par des mesures de santé
publique, dans le respect des droits humains en ce qui concerne:
- la réduction des taux d’infection;
- la garantie d’une répartition équitable des vaccins et
des traitements à l’échelle mondiale;
- une acceptation suffisante des vaccins;
- la prise en charge des séquelles de la «covid longue»;
- l’édification de systèmes de santé plus solides au niveau
national, européen ainsi qu’au plan mondial;
- la recherche de solutions aux problèmes socio-économiques
engendrés par la pandémie.
52. La pandémie de covid-19 est loin d’être terminée, et il est
peu probable qu’il s’agisse de la dernière crise sanitaire de ce
type. Il est impératif d’éviter toute politisation autour des pandémies
et des mesures de santé publique visant à les enrayer. Pour atténuer
l’impact de futurs variants du coronavirus et d’autres menaces virales
susceptibles de voir le jour prochainement, le monde doit de toute
urgence établir des systèmes de contrôle et de surveillance des
virus ou consolider ceux en place. Les fossés entre les pays et
au sein même des sociétés doivent être comblés. Les responsables
politiques doivent montrer l’exemple, afin de venir à bout une fois
pour toutes de la covid-19, d’être en mesure de faire face aux menaces
futures de manière plus unifiée et de faire preuve d’une plus grande
solidarité.