1. Introduction
1. Depuis le 24 février 2022,
la Fédération de Russie mène une guerre contre l’Ukraine, guerre
qui cause des milliers de victimes civiles, déplace des millions
de personnes et dévaste le pays. Cet acte d’agression a été lancé
par les dirigeants de la Fédération de Russie dans la poursuite
de leurs objectifs de politique étrangère et de sécurité, en violation
de la Charte des Nations Unies, du Statut du Conseil de l’Europe
(STE n° 1) et des obligations et engagements souscrits par la Fédération
de Russie en sa qualité de membre de l’Organisation.
2. L’Assemblée parlementaire devrait se tenir aux côtés du peuple
ukrainien, défendre son droit à vivre dans un État indépendant et
souverain, dont l’intégrité territoriale est respectée. L’Assemblée
devrait faire tout ce qui est en son pouvoir pour obtenir la cessation
immédiate des hostilités et contribuer à répondre à la crise humanitaire
causée par cette guerre.
3. Réagissant rapidement à la gravité des événements, le 25 février
2022, Tiny Kox, Président de l’Assemblée, a convoqué une session
extraordinaire de l’Assemblée les 14 et 15 mars 2022, une décision exceptionnelle
qui n’a été prise que deux fois dans l’histoire de notre institution.
Les membres de l’Assemblée ont été convoqués pour tenir un débat
d’urgence sur les conséquences de l’agression de la Fédération de Russie
contre l’Ukraine.
4. Le même jour, par une autre décision historique, le Comité
des Ministres du Conseil de l’Europe a décidé de suspendre les droits
de représentation de la Fédération de Russie avec effet immédiat,
en application de l’article 8 du Statut du Conseil de l’Europe.
Par la suite, le 10 mars, il a demandé à l’Assemblée un Avis sur
un potentiel futur recours à l’Article 8 du Statut, dont le libellé
intégral est le suivant: «Tout membre du Conseil de l’Europe qui
enfreint gravement les dispositions de l’article 3 peut être suspendu
de son droit de représentation et invité par le Comité des Ministres
à se retirer dans les conditions prévues à l’article 7. S’il n’est
pas tenu compte de cette invitation, le Comité peut décider que
le membre dont il s’agit a cessé d’appartenir au Conseil à compter
d’une date que le Comité fixe lui-même.»
5. Le présent rapport, établi en vertu de la procédure d’urgence,
vise principalement à répondre à la demande du Comité des Ministres.
Il présente des arguments pour aider les membres de l’Assemblée
à adopter un Avis de manière mûrement réfléchie.
6. Le présent rapport ne prétend pas fournir une description
détaillée de l’agression contre l’Ukraine, ni une analyse de ses
motifs et de ses conséquences considérables. Celles-ci méritent
toutefois un examen plus approfondi par l’Assemblée et seront également
examinées au cours de sa prochaine partie de session. En outre,
ce rapport ne traite pas des questions de défense, qui sont exclues
du mandat du Conseil de l’Europe en vertu de son Statut.
7. Il doit être clair d’emblée que les Russes sont des Européens
et qu’ils font partie de la famille du Conseil de l’Europe. Quelle
que soit la décision que prendra le Comité des Ministres quant à
un potentiel futur recours à l’Article 8 du Statut, le Conseil de
l’Europe devrait préserver les voies du dialogue et continuer à
offrir une tribune à tous ceux qui parmi les Russes partagent ses
valeurs.
2. L’agression de la Fédération de Russie
contre l’Ukraine
8. Le 24 février, le Président
Vladimir Poutine a lancé une «opération militaire spéciale» en réponse
à la demande des dirigeants des républiques autoproclamées de Donetsk
et de Lougansk, qu’il avait reconnues quelques jours plus tôt en
tant qu’«États indépendants». Le président russe a justifié cette
«opération» par la volonté d’assurer ce qu’il considère comme «la
dénazification» et «la dénucléarisation» de l’Ukraine, de stopper
un prétendu «génocide» dans l’est de l’Ukraine et de mettre fin
à la guerre qui a commencé en 2014
.
9. Selon le récit officiel russe, les forces armées russes visent
les infrastructures militaires ukrainiennes avec des frappes de
précision qui ne menacent aucunement les civils
et toutes les victimes
civiles sont causées par les forces ukrainiennes, qui n’hésitent
pas à se servir des gens comme boucliers humains
.
10. L’«opération militaire spéciale» a tourné à la guerre totale.
Les chiffres augmentent malheureusement de jour en jour mais, selon
l’ONU, il y aurait eu au moins 1 663 victimes civiles entre le 24
février et le 12 mars, dont 596 morts, bien que le nombre réel soit
probablement beaucoup plus élevé
. Il y a des centaines de milliers
de personnes déplacées à l’intérieur du pays et plus de deux millions
et demi de réfugiés. Les images en provenance d’Ukraine indiquent
une dévastation majeure des infrastructures civiles. Malgré la disparité numérique
entre les deux parties, les Ukrainiens organisent une résistance
acharnée, des dizaines de citoyens rejoignant les unités de défense
territoriale. Le président Zelensky a donné l’exemple marquant d’un
dirigeant à la hauteur de ses responsabilités en refusant la proposition
qui lui avait été faite de quitter le pays. D’autres personnalités
politiques importantes ont continué de mener le combat contre l’invasion
et constituent un front uni malgré les différences d’affiliation
politique.
11. L’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine constitue
une violation de nombreux instruments de droit international, dont:
- la Charte des Nations Unies,
à savoir son article 2.3: «Les Membres de l'Organisation règlent
leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle
manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la
justice ne soient pas mises en danger» et son article 2.4: «Les
Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales,
de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité
territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute
autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies», comme
l’a affirmé l’Assemblée générale des Nations Unies ;
- l’Acte final d’Helsinki et la Charte de Paris, comme l’a
reconnu le président en exercice de l’Organisation pour la sécurité
et la coopération en Europe (OSCE), le ministre des Affaires étrangères
polonais Zbigniew Rau .
12. L’offensive armée de la Fédération de Russie contre l’Ukraine
relève d’une agression aux termes de la Résolution 3314 (XXIX) de
l’Assemblée générale des Nations Unies qui définit l’agression comme
«l’emploi de la force armée par un État contre la souveraineté,
l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État,
ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations
Unies»
.
13. Comme l’a reconnu le Comité des Ministres dans sa décision
de suspendre les droits de représentation de la Fédération de Russie,
l’agression commise par cette dernière constitue une grave violation
de l’article 3 du Statut du Conseil de l’Europe, selon lequel «Tout
membre du Conseil de l’Europe reconnaît le principe de la prééminence
du droit et le principe en vertu duquel toute personne placée sous
sa juridiction doit jouir des droits de l’homme et des libertés
fondamentales. Il s’engage à collaborer sincèrement et activement
à la poursuite du but défini au chapitre Ier».
14. Elle constitue également une violation des engagements et
obligations auxquels la Fédération de Russie a souscrit en adhérant
au Conseil de l’Europe
,
à savoir:
- «de régler les conflits
internationaux et internes par des moyens pacifiques (obligation
qui incombe à tous les États membres du Conseil de l’Europe), en
rejetant résolument toute forme de menace d’user de la force contre
ses voisins»; et
- «de dénoncer comme erroné le concept de deux catégories
différentes de pays étrangers, qui consiste à traiter certains d'entre
eux appelés «pays étrangers proches» comme une zone d’influence
spéciale».
3. Les réactions à l’agression
15. L’agression russe qui se déroule
en Ukraine est condamnée par la communauté internationale, y compris
les États et les organisations internationales telles que les Nations
Unies, l’Union européenne, l’OSCE, l’Organisation de Coopération
et de Développement Économiques (OCDE) et l’Union interparlementaire.
D’autres acteurs de la société civile ont également adopté une position
très critique, qu’il s’agisse d’instances administratives internationales
du sport, des entreprises privées ou d’éminentes personnalités du
monde de la culture et du sport.
16. En Fédération de Russie, par contre, les manifestations contre
la guerre sont réprimées. L’Assemblée devrait condamner les actions
décidées par les autorités russes pour restreindre davantage la
liberté d’expression et la liberté de réunion, avec la fermeture
de pratiquement tous les organes de presse indépendants restants,
l’intensification de la coercition exercée sur la société civile,
la répression féroce des manifestations pacifiques et les restrictions
considérables de l’accès aux médias sociaux. Elle devrait déplorer le
fait que la population russe soit, par conséquent, privée d’informations
provenant de sources indépendantes et qu’elle soit, au lieu de cela,
exposée uniquement aux médias contrôlés par l’État, qui amplifient
une présentation déformée de la guerre.
4. L’implication du Bélarus
17. Le Bélarus a joué un rôle dans
l’agression russe contre l’Ukraine, autorisant l’armée russe à transiter
par son territoire pour pénétrer en Ukraine, tirer des missiles
balistiques, acheminer des troupes, des armes lourdes, des chars
et des convois militaires. Il a autorisé les avions militaires russes
à survoler son territoire pour aller en Ukraine, mis à disposition
des points de ravitaillement en carburant et stocké des armes et
du matériel militaire russes sur son territoire
.
18. Bien que le président Loukachenko ait affirmé que les forces
armées bélarussiennes ne participaient pas, et ne participeraient
pas, à l’opération militaire russe en Ukraine
,
le référendum du 27 février 2022 n’a pas seulement entériné la suppression
de la neutralité dans la Constitution, mais aussi celle du statut
de pays dénucléarisé du Bélarus.
19. Selon la Résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale des
Nations Unies, «le fait pour un État de permettre que son territoire,
qu’il a mis à la disposition d’un autre État, serve à la commission
par cet autre État d’un acte d’agression contre un État» est constitutif
d’un acte d’agression.
20. Dans sa Résolution «Agression contre l’Ukraine» adoptée le
2 mars 2022
, l’Assemblée générale des Nations
Unies «déplore que le Bélarus se soit associé [au] recours illégal
à la force contre l’Ukraine» et lui demande «de respecter ses obligations
internationales». Le Conseil européen a également fermement condamné
l’implication du Bélarus dans l’agression contre l’Ukraine et l’a
appelé à s’abstenir d’une telle action et de respecter ses obligations
internationales
. Le
même jour, le Comité des Ministres, condamnant la participation
active du Bélarus dans l’agression contre l’Ukraine, a invité la
Secrétaire Générale à soumettre des propositions sur les mesures
à prendre concernant les relations entre le Conseil de l’Europe
et le Bélarus
.
21. Au vu de la participation du Bélarus à l’agression contre
l’Ukraine, j’estime que l’Assemblée devrait recommander à son Bureau
de suspendre les relations entre l’Assemblée et les autorités du
Bélarus dans toutes les activités de l’Assemblée.
5. La voie diplomatique
22. Des négociations entre l’Ukraine
et la Russie ont eu lieu au Bélarus. Depuis le 24 février, les deux délégations
se sont rencontrées à trois reprises. Les discussions ont porté
principalement sur la création de couloirs humanitaires, et même
cela n’a donné aucun résultat tangible
.
23. De plus, depuis le début de la guerre, plusieurs personnalités
politiques internationales – dont le Président français Emmanuel
Macron et le Premier ministre israélien Naftali Bennett – se sont
efforcées d’établir le dialogue pour tenter de faciliter la cessation
des hostilités. Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt
Çavuşoğlu, a également offert une plateforme pour des entretiens
bilatéraux et invité le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï
Lavrov et son homologue ukrainien Dmytro Kuleba à se rencontrer
à Antalya.
24. Tout effort diplomatique pour faire cesser les hostilités
et faire face à la situation humanitaire est bienvenu. Au moment
où nous écrivons ces lignes, il est cependant difficile de voir
quelle solution négociée à la guerre pourrait être trouvée entre
les deux parties.
6. Les conséquences humanitaires
6.1. La situation en Ukraine
25. La guerre en Ukraine provoque
un nombre élevé de victimes civiles en raison de l’utilisation par
la Russie de l’artillerie lourde et de lance-roquettes multiples
ainsi qu’aux frappes aériennes sur des zones habitées
. Les mines terrestres font des victimes
. Il semble que des bombes à sous-munitions
ont été utilisées contre des cibles civiles ainsi que des lanceurs
mobiles russes d’armes thermobariques
. Le siège de zones habitées mené
par les troupes russes, qui les pilonnent continuellement, privant
la population d’électricité, de chauffage, d’accès à l’eau, à la
nourriture et aux soins, est profondément inquiétant. Il conviendrait
de réunir des preuves de ces actes et que ceux-ci fassent l’objet
d’enquêtes car ils constituent de graves violations du droit international
humanitaire et constituent des crimes de guerre.
26. Depuis le début de la guerre, la situation se détériore rapidement
en Ukraine. Les pilonnages impitoyables ont endommagé ou détruit
plus de 200 écoles, au moins 34 hôpitaux et plus de 1 500 immeubles d’habitation
. Un hôpital pour enfants a même été
détruit par l’artillerie russe dans la ville assiégée de Marioupol.
27. Des centaines de milliers de personnes n’ont plus accès à
la nourriture, à l’eau, au chauffage, à des abris ou à l’électricité
et aucun répit n’est en vue. L’accès aux soins est sévèrement limité
par l’insécurité et le manque de fournitures de base et l’attaque
russe que pourrait subir Odessa, qui est la plus importante ville portuaire
d’Ukraine, pourrait peser encore davantage sur les approvisionnements.
Le Programme alimentaire mondial anticipe une augmentation exponentielle
de l’insécurité alimentaire dans toutes les régions d’Ukraine
et, compte tenu de l’importance de
l’ensemble de la zone géographique dans l’offre mondiale de blé,
l’impact de ce conflit sur l’aide humanitaire dans le reste du monde
suscite de grandes inquiétudes.
28. En plus des grandes zones urbaines, la situation est particulièrement
préoccupante dans l’est de l’Ukraine, en proie depuis déjà huit
ans à un conflit armé, où les populations sont isolées, où les infrastructures se
dégradent, où la liberté de circulation est soumise à de multiples
restrictions et où il y a un nombre important de mines terrestres.
Même avant le début de la campagne militaire en cours, 1,1 million
de personnes dans l’est de l’Ukraine manquaient de nourriture et
avaient besoin d’une aide pour subsister.
29. Il est très préoccupant que les couloirs humanitaires ne soient
pas respectés. Une proposition de Moscou de créer des couloirs humanitaires
à partir de six villes ukrainiennes soumises à des bombardements intensifs
a été rejetée par Kiev, et condamnée par des dirigeants internationaux,
lorsqu’il est apparu que la plupart des itinéraires sécurisés conduiraient
en Russie et au Bélarus
. La Fédération de Russie devrait
veiller à l’ouverture et au respect des couloirs humanitaires pour
permettre l’évacuation des civils vers des régions sûres à l’intérieur
de l’Ukraine ou vers des pays sûrs à l’extérieur de l’Ukraine. Comme
l’a souligné Tiny Kox, Président de l’Assemblée, «la Fédération
de Russie doit veiller à ce que l’aide humanitaire, l’assistance médicale
et les fournitures, ainsi que les livraisons de nourriture, parviennent
sans entrave à tous ceux à qui elles sont destinées, en particulier
les personnes les plus vulnérables, y compris les personnes âgées,
les femmes, les enfants et les handicapés»
.
6.2. Les déplacements de population
30. L’invasion perpétrée par la
Russie a déclenché l’une des situations d’urgence entraînant l’augmentation la
plus rapide du nombre de réfugiés jamais enregistrée, selon le Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) qui la définit comme le
plus grand exode de réfugiés en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.
Rien qu’au cours de la première semaine, plus d’un million de réfugiés
sont allés chercher protection dans les pays voisins et ce nombre
est passé depuis à un total de plus de deux millions et demi au
12 mars. Les organismes humanitaires estiment que le nombre total
de réfugiés pourrait atteindre quatre millions si les destructions
en cours se poursuivent
.
31. Il y avait déjà 850 000 déplacés internes en Ukraine avant
le début de cette guerre et ce nombre devrait atteindre 6.7 millions
à la suite de l’invasion russe. La majorité des personnes déplacées
sont des femmes et des enfants, ce qui fait craindre un risque accru
de violences fondées sur le genre, et d’exploitation et d’abus sexuels.
32. Les capacités de réaction sont débordées par l’arrivée massive
de personnes déplacées, que ce soit dans l’ouest de l’Ukraine ou
dans les pays voisins. Selon les estimations, la ville de Lviv aurait
reçu approximativement 200 000 déplacés, ce qui représente plus
d’un quart de sa population habituelle. Le maire a prévenu que la
ville arrivait à un point de rupture en ce qui concerne sa capacité
à accueillir les personnes dans le besoin
.
33. Parmi les pays voisins, la Pologne a accueilli le plus grand
nombre de réfugiés, avec 1 700 000 personnes fuyant la guerre en
Ukraine qui y trouvent actuellement refuge. La Hongrie accueille
250 000 personnes, la République de Moldova 110 000, la Roumanie
85 000 et la République slovaque 200 000.
34. Pour faire face à ce gigantesque défi, les pays voisins ont
déployé des efforts considérables pour prendre des mesures adaptées
afin de pouvoir offrir hébergement, nourriture, argent et scolarisation
aux réfugiés et pour venir, en plus, en aide aux familles locales
qui les hébergent
. Ces efforts devraient être félicités
et soutenus par la communauté internationale, y compris par le Conseil
de l’Europe. Les besoins concernent l’assistance financière, l’aide
médicale et autre, ainsi que des programmes spécialisés pour répondre
aux besoins des personnes en situation vulnérable, comme les victimes
de violences fondées sur le genre, les personnes victimes de traumatismes,
les enfants, les personnes handicapées et les personnes âgées. Dans
le même temps, il convient que toutes les personnes concernées évitent
les discriminations pour quelque motif que ce soit à l’égard de
ceux qui fuient le conflit.
35. Les États membres du Conseil de l’Europe qui ne sont pas voisins
de l’Ukraine devraient aussi intensifier leur soutien et contribuer
à l’accueil des réfugiés d’Ukraine. L’Union européenne a donné l’exemple
en activant pour la première fois sa Directive de protection temporaire,
qui permet à ceux qui fuient la guerre en Ukraine d’obtenir un permis
de séjour temporaire et d’avoir accès à l’éducation et au marché
du travail dans les États membres de l’Union européenne
.
6.3. Le financement et l’accès pour les
organisations humanitaires
36. Les Nations Unies ont lancé
un appel éclair pour le financement d’opérations humanitaires. Elles
ont annoncé débloquer 20 millions USD du Fonds central d'intervention
pour les urgences humanitaires afin de contribuer à couvrir ces
besoins urgents et ont nommé un Coordonnateur pour la crise en Ukraine
pour assurer la coordination des efforts
. De même, d’autres organisations
humanitaires, comme le Comité international de la Croix-Rouge, ont
lancé des appels à l’aide pour pouvoir apporter aux populations
touchées l’aide dont elles ont besoin
.
37. Cependant, faute de couloirs humanitaires et de garanties
de sécurité correspondantes, les acteurs humanitaires ne pourront
pas porter secours aux civils piégés et faciliter leur évacuation.
L’accès humanitaire sûr et sans entrave au-delà des lignes de conflit
pour atteindre toutes les personnes dans le besoin reste d’une importance
capitale et doit être garanti, conformément au droit international
humanitaire
.
7. Les responsabilités
7.1. La proposition d’instituer un tribunal
spécial
38. Le Statut de Rome de la Cour
pénale internationale (CPI) codifie «l’acte d’agression» en reprenant
la définition de la Résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée Générale
des Nations Unies
, dont il fait un élément du
«crime d’agression», qu’il définit comme «la planification, la préparation,
le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure
de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un
État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son
ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations
Unies»
.
39. Ni la Fédération de Russie ni l’Ukraine ne sont parties au
Statut de Rome. L’Ukraine a cependant fait une déclaration acceptant
la juridiction de la CPI pour les crimes commis sur son territoire
à partir du 21 novembre 2013
. Comme
il est expliqué ci-dessous, cela couvre le crime de génocide, les
crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis sur le territoire
de l’Ukraine. La CPI n’a pas juridiction pour le crime d’agression,
qui ne peut, dans le cas d’États non parties, donner lieu à l’ouverture
d’une enquête qu’en cas de saisine par le Conseil de sécurité.
40. Dans l’hypothèse probable où la Fédération de Russie exercerait
son veto au Conseil de sécurité contre une saisine de la CPI, une
initiative a été lancée visant à instituer un tribunal pénal spécial
pour enquêter et poursuivre les responsables de l’agression contre
l’Ukraine. Cette initiative a été soutenue par d’éminentes personnalités
publiques, dont Sir Nicolas Bratza, ancien président de la Cour
européenne des droits de l’homme et président du Comité consultatif
du Conseil de l’Europe, créé pour enquêter les évènements tragiques
survenus à Odessa en 2014
.
7.2. L’enquête de la Cour pénale internationale
41. Le 28 février 2022, Karim Khan,
Procureur de la CPI, a confirmé qu’il existait une base raisonnable
pour ouvrir une enquête sur les allégations de crimes de guerre
et de crimes contre l’humanité commis en Ukraine. Par la suite,
il a annoncé que son Bureau a reçu des renvois concernant la situation
en Ukraine de la part de 39 États parties à la CPI – dont 34 sont
membres du Conseil de l’Europe – en vertu de l’article 14 du Statut
de Rome, renvois sur la base desquels il a ouvert une enquête sur
la situation en Ukraine, dont la portée englobera toute allégation
passée et actuelle de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité
et de génocide commis par quiconque sur quelque partie du territoire
ukrainien que ce soit depuis le 21 novembre 2013
.
7.3. La procédure devant la Cour internationale
de Justice
42. Le 26 février 2022, l’Ukraine
a déposé devant la cour internationale de la Justice (CIJ) une requête introduisant
une instance contre la Fédération de Russie au sujet d’un différend
relatif à l’interprétation, à l’application et à l’exécution de
la Convention de 1948 ou Convention des Nations Unies sur le génocide.
Cette requête a pour but de montrer que les affirmations selon lesquelles
l’Ukraine serait responsable d’un génocide dans les régions de Lougansk
et de Donetsk sont infondées et d’établir que la Fédération de Russie
ne peut ainsi se prévaloir d’aucune base légale pour entreprendre
une action militaire fondée sur ces affirmations mensongères. L’Ukraine
a aussi demandé à la CIJ d’indiquer des mesures conservatoires afin
d’empêcher toute atteinte irrémédiable aux droits de l’Ukraine et
de sa population
.
7.4. L’enquête du Conseil des droits de
l’homme de l’ONU
43. Les 3 et 4 mars 2022, le Conseil
des droits de l’homme de l’ONU a tenu un débat urgent sur la situation des
droits humains en Ukraine résultant de l’agression russe. Ce débat
a conduit à l’adoption d’une résolution établissant une Commission
d’enquête internationale indépendante pour enquêter sur les allégations
de violations des droits humains dans le contexte de l’agression
de la Fédération de Russie contre l’Ukraine
.
44. Cette commission sera constituée de trois experts des droits
humains, qui seront nommés par la présidente du Conseil des droits
de l’homme pour une durée initiale d’un an. Elle aura notamment
pour mandat d’enquêter sur toutes les allégations de violations
et d’abus des droits humains et de violations du droit international
humanitaire, ainsi que sur les crimes y relatifs, dans le contexte
de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, d’établir
les faits, les circonstances et les causes profondes de ces violations
et abus et de formuler des recommandations dont notamment des mesures
assurant que les responsabilités soient recherchées, toutes ces
missions ayant pour but de mettre fin à l’impunité et de faire en
sorte que les responsables aient à répondre de leurs actes.
8. La réaction du Conseil de l’Europe
45. Depuis le début de la guerre,
le trilogue du Conseil de l’Europe, constitué du Président de l’Assemblée, du
Président du Comité des Ministres et de la Secrétaire Générale du
Conseil de l’Europe, est uni dans l’expression on ne peut plus claire
de sa solidarité avec l’Ukraine, de sa condamnation de l’agression
commise par la Fédération de Russie et dans la réaffirmation de
son soutien de la souveraineté, de l’indépendance et de l’intégrité
territoriale de l’Ukraine dans ses frontières internationalement
reconnues
. Le 25 février, le Comité des Ministres,
après consultation de l’Assemblée, a décidé de suspendre les droits
de représentation de la Fédération de Russie. Plusieurs organes
et structures du Conseil de l’Europe contribuent à l’examen de la
situation dans leurs domaines de compétence respectifs.
8.1. La Cour européenne des droits de l’homme
46. Le 28 février 2022, la Cour
européenne des droits de l’homme a été saisie d’une demande du Gouvernement
ukrainien, en vertu de l’article 39 de son règlement, la priant
d’indiquer au Gouvernement de la Fédération de Russie des mesures
provisoires urgentes en relation avec «des violations massives des
droits de l’homme qui sont commises par les soldats russes dans
le cadre de l’agression militaire lancée contre le territoire souverain
de l’Ukraine»
.
47. Le 1er mars 2022, la Cour a indiqué
des mesures provisoires appelant la Fédération de Russie à s’abstenir
de lancer des attaques militaires contre les personnes civiles et
les biens de caractère civil, y compris les habitations, les véhicules
de secours et les autres biens de caractère civil spécialement protégés tels
que les écoles et les hôpitaux, et à assurer immédiatement la sécurité
des établissements de santé, du personnel médical et des véhicules
de secours sur le territoire attaqué ou assiégé par les soldats
russes. La réalité sur le terrain montre que les mesures provisoires
n'ont pas été respectées.
48. La Cour a également rappelé la mesure provisoire indiquée
le 13 mars 2014, toujours en vigueur dans le contexte de l’affaire
Ukraine et Pays-Bas c. Russie (nos 8019/16,
43800/14 et 28525/20), concernant les évènements dans l’est de l’Ukraine
et qui appelle les Gouvernements de la Fédération de Russie et de l’Ukraine
à se conformer à leurs engagements en vertu de la Convention.
49. S’agissant des opérations militaires en cours, qui ont commencé
le 24 février 2022 dans diverses parties de l’Ukraine, la Cour a
estimé «qu’elles [faisaient] naître pour la population civile un
risque réel et continu de violations graves des droits garantis
par la Convention, en particulier sous l’angle des articles 2 (droit
à la vie), 3 (interdiction de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants) et 8 (droit au respect de la vie privée
et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme»
.
50. La Cour a aussi été saisie d’un certain nombre de demandes
de mesures provisoires formulées par des particuliers contre le
Gouvernement de la Fédération de Russie, notamment par des personnes
qui ont trouvé refuge dans des abris, des maisons et d’autres bâtiments,
qui craignent pour leur vie en raison des bombardements et tirs
continus, qui n’ont aucun accès ou qu’un accès limité à des vivres,
à des soins, à de l’eau, à des sanitaires, à l’électricité et à
d’autres services interconnectés essentiels à la survie, et qui
ont besoin d’une assistance humanitaire ou d’une évacuation en sécurité.
51. Le 4 mars 2022, la Cour a décidé qu’il convenait de considérer
que la mesure provisoire indiquée le 1er mars
englobait toute demande formulée par des personnes appartenant à
la catégorie de civils évoquée ci‑dessus et qui ont apporté la preuve
suffisante qu’elles sont exposées à un risque grave et imminent d’atteinte
irréparable à leur intégrité physique et/ou à leur vie. Elle a aussi
indiqué à la Fédération de Russie de garantir, à titre de mesure
provisoire, le libre accès de la population civile à des couloirs
d’évacuation sécurisés, à des soins médicaux, à des vivres et à
d’autres ressources essentielles, ainsi que l’acheminement rapide
et sans entraves de l’aide et des travailleurs humanitaires
.
8.2. Les activités de coopération en Ukraine
52. Le Conseil de l’Europe a un
Bureau en Ukraine, qui est responsable de faciliter la mise en œuvre
de la mission du Conseil de l’Europe dans le pays ainsi que de coordonner
et de mettre en œuvre les projets et les programmes de coopération.
53. Le chef et le chef adjoint du Bureau du Conseil de l’Europe
en Ukraine travaillent actuellement depuis le Centre européen de
la Jeunesse de Budapest, le personnel local du Bureau ayant soit
décidé de rester en Ukraine, soit trouvé refuge dans les pays voisins.
La Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe est intervenue rapidement
pour assurer que les agentes et agents du Conseil de l’Europe qui
le souhaitaient, ainsi que leur famille, puissent être évacués vers
le Centre européen de la Jeunesse de Budapest, où ils reçoivent hébergement
et assistance.
54. La Secrétaire Générale a demandé au secrétariat d’élaborer
un ensemble de mesures prioritaires à mettre en œuvre dès la cessation
du conflit. L’expérience du Conseil de l’Europe, son expertise et
ses réseaux seront au cœur de ces mesures, tout comme les besoins
exprimés par les autorités ukrainiennes.
55. Étant donné la situation sur le terrain, il n’est pas possible
d’évaluer les résultats du Plan d’action en cours. Cela étant, les
résultats atteints grâce aux précédents plans d’action sont considérables
et ont contribué à améliorer l’indépendance et l’impartialité de
la justice et le contrôle parlementaire de l’exécution des arrêts de
la Cour européenne des droits de l’homme, à renforcer la démocratie
locale, à la mise en place d’un service audiovisuel public et à
la promotion de la liberté d’expression, à la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique, à la protection
des minorités et à la lutte contre les discriminations, ainsi qu’à
la lutte contre la corruption et le blanchiment de capitaux. Depuis
2014, le Conseil de l’Europe joue un rôle important pour garantir
et protéger les droits des personnes déplacées à l’intérieur du
pays.
56. Dès que la situation le permettra, le Conseil de l’Europe
devrait répondre aux besoins signalés par les autorités ukrainiennes
et poursuivre ses travaux visant à consolider les droits humains,
l’État de droit et la démocratie en Ukraine.
8.3. La Banque de développement du Conseil
de l’Europe
57. La protection des plus vulnérables
est au cœur de la mission sociale de la Banque de développement du
Conseil de l’Europe (CEB) depuis sa création. La CEB a été prompte
à répondre à cette situation d’urgence et envisage de prendre des
initiatives ciblées immédiates pour aider les États membres de la
CEB
à faire face à leurs besoins urgents
et à gérer correctement les flux de réfugiés causés par l’agression
contre l’Ukraine. Au moment où nous rédigeons ces lignes, des contacts
opérationnels ont été pris à cet effet, afin que les dons puissent
être affectés rapidement. Ces dons pourront être consacrés à des
actions telles que l’enregistrement des personnes déplacées et leur
transport vers des hébergements d’urgence ou des destinations plus
permanentes dans des pays membres de la CEB.
58. Au-delà de cette réponse immédiate, la CEB réfléchit à deux
grands axes d’intervention pour aider les pays voisins qui accueillent
de grands nombres d’Ukrainiens déplacés par la guerre: l’octroi
de prêts d’urgence selon une procédure accélérée pour renforcer
les capacités d’hébergement et la mise en place d’une coopération
avec l’Union européenne pour apporter une aide d’urgence et développer
les infrastructures sociales dans les secteurs du logement et de
la santé.
8.4. La Commissaire aux droits de l’homme
59. La Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, a immédiatement
réagi à l’agression russe contre l’Ukraine et publié plusieurs déclarations.
Pour n’en citer que quelques-unes, le 7 mars, elle a exhorté les
autorités russes à mettre fin à la guerre en Ukraine et à la répression
sans précédent de la liberté d’expression, de réunion et d’association
en Fédération de Russie à l’égard des défenseurs des droits humains,
des journalistes, des militants et des citoyens ordinaires qui s’opposent
à la guerre
. Elle a consacré la déclaration faite
à l’occasion de la Journée internationale de la femme aux femmes
et filles ukrainiennes, qui sont prises au piège d’une guerre menée
au mépris total de la vie et de la dignité humaines
.
60. Le 9 mars, à la suite d’une mission d’urgence de trois jours
en République de Moldova, qui incluait une visite au poste frontière
avec l’Ukraine, la Commissaire a publié une déclaration dans laquelle
elle évoque les histoires atroces que lui ont racontées des dizaines
de personnes qui ont fui la guerre en Ukraine
. Elle a salué les efforts faits par
les pays voisins de l’Ukraine pour accueillir et prêter secours
à ceux qui fuient le pays et appelé la communauté internationale
à accroître son assistance en apportant d’urgence des financements et
un soutien supplémentaires pour aider les pays voisins à intensifier
leur action. La Commissaire a souligné qu’il conviendra, afin de
protéger les droits des personnes qui ont fui l'Ukraine et décident
de rester en République de Moldova, d’adopter une approche à long
terme et d’envisager en temps utile des stratégies et des mesures
d'intégration, notamment en créant des possibilités pour les enfants
réfugiés de poursuivre leur scolarité et en offrant une assistance
psychologique à tous ceux qui en ont besoin.
61. Je partage pleinement les préoccupations de la Commissaire.
Je suis par ailleurs convaincue que son rôle est crucial pour continuer
à faire connaître la situation de ceux qui fuient l’Ukraine et de
ceux qui restent dans le pays et pour soutenir les initiatives et
les efforts visant à rassembler des preuves sur les violations des droits
humains et du droit international humanitaire commises en Ukraine,
en particulier grâce à ses contacts réguliers avec son réseau de
défenseurs des droits humains et avec la société civile dans le
pays.
62. La Commissaire et son Bureau ont l’intention de continuer
à mener des missions aux frontières de l’Ukraine dans les semaines
à venir afin de se rendre compte en direct de la situation qui y
règne et d’émettre d’autres recommandations.
8.5. La Représentante spéciale de la Secrétaire
Générale sur les migrations et les réfugiés
63. Le 9 mars 2022, la Représentante
spéciale sur les migrations et les réfugiés, Leyla
Kayacık, a convoqué une réunion extraordinaire en ligne du Réseau
de correspondants du Conseil de l’Europe sur les migrations pour
collecter des informations sur la situation des civils qui fuient
l’Ukraine pour les pays voisins et les difficultés que rencontrent
les autorités concernées.
64. Cette réunion a permis d’avoir une vue d’ensemble de l’évolution
rapide de la situation dans les États membres, notamment de la nécessité
de protéger les femmes et les enfants, en particulier les enfants
non accompagnés, contre les abus, l’exploitation et la traite d’êtres
humains
.
65. La Représentante spéciale explorera de quelle manière le Conseil
de l’Europe peut répondre au mieux aux besoins actuels dans le cadre
du Plan d’action sur la protection des personnes vulnérables dans
le contexte des migrations et de l’asile en Europe (2021-2025)
. Je l’encourage vivement à poursuivre
ce travail.
9. L’application de l’article 8 du Statut
contre la Fédération de Russie
9.1. La suspension
66. Le 25 février 2022, à la suite
d’une réunion du Comité mixte réunissant des membres de l’Assemblée
et du Comité des Ministres, ce dernier a décidé de suspendre les
droits de représentation de la Fédération de Russie avec effet immédiat,
conformément à l’article 8 du Statut du Conseil de l’Europe. Cette
décision était motivée par le fait que la Fédération de Russie a
gravement enfreint ses obligations au regard de l’article 3 du Statut
. Elle a été notifiée
le même jour au ministre des Affaires étrangères de la Fédération
de Russie.
67. À l’issue d’une réunion distincte tenue le 2 mars 2022, le
Comité des Ministres a adopté une résolution sur les conséquences
juridiques et financières de cette suspension
, qui précise qu’elle porte sur
la représentation au Comité des Ministres, à l’Assemblée parlementaire,
au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux et dans leurs organes
et instances subsidiaires, ainsi que dans les comités intergouvernementaux établis
sur la base des articles 15a, 16 et 17 du Statut.
68. La suspension n’affecte pas l’exercice du mandat de la Commissaire
européenne aux droits de l’homme, ni le fonctionnement de la Commission
européenne contre racisme et l’intolérance (ECRI), deux organes
de suivi établis par des résolutions du Comité des Ministres.
69. De plus, la suspension ne modifie pas la position de la Fédération
de Russie en tant que partie aux conventions et accords du Conseil
de l’Europe qu’elle a ratifiés ou signés sans réserve de ratification.
La Fédération de Russie reste, en particulier, liée par ses obligations
en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme. Toute
requête actuelle ou future introduite contre la Fédération de Russie
ou par elle continuera d’être examinée et jugée par la Cour. La
Fédération de Russie peut continuer de participer aux réunions du
Comité des Ministres uniquement lorsque ce dernier exerce ses fonctions
de surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour, dans le but
de communiquer et de recevoir des informations concernant les arrêts
dans lesquels elle est l’État défendeur ou requérant, sans avoir
le droit de participer à l’adoption des décisions du Comité ou de
voter.
70. La suspension de la Fédération de Russie ne modifie pas son
droit de participer aux accords partiels dont elle est membre.
71. Enfin, la Fédération de Russie conserve les droits et obligations
découlant de sa qualité d’État membre, y compris en ce qui concerne
le paiement de ses contributions financières obligatoires au Budget
général de l’Organisation, ainsi qu’aux budgets des accords partiels
dont elle est membre.
72. En réponse à la décision du Comité des Ministres, la porte-parole
du ministère des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a déclaré
«Nous déterminerons prochainement nos futures actions. Ceux qui
ont pris l’initiative et ont soutenu cette décision fautive porteront
toute la responsabilité de l’effondrement de l’espace juridique
et humanitaire commun sur le continent et des conséquences désastreuses
auxquelles le Conseil de l’Europe sera inévitablement confronté.
Sans la Russie, le Conseil de l’Europe perdra son identité paneuropéenne
et, en définitive, sa raison d’être»
.
73. Malgré cette déclaration, parmi d’autres, au moment où nous
écrivons ces lignes, la Fédération de Russie ne s’est pas officiellement
retirée de l’Organisation. Elle n’a cependant pas honoré ses engagements financiers,
dont la première partie pour 2022 est déjà due.
74. Je souhaiterais faire remarquer que la suspension est une
mesure temporaire et qu’elle n’est pas tenable à long terme. Même
si la Fédération de Russie continue d’être membre du Conseil de
l’Europe et partie à des instruments de ce dernier, dont la Convention
européenne des droits de l’homme, la participation effective à l’Organisation
passe par la coopération et un climat de confiance, rendus difficiles
dans ces circonstances.
9.2. La demande de retrait
75. Le 10 mars 2022, le Comité
des Ministres a décidé de demander à l’Assemblée un Avis sur une potentielle
future utilisation de l’Article 8 du Statut
. Cet Avis de l’Assemblée est requis dans
le contexte de la demande qui pourrait être adressée à un État membre
de se retirer du Conseil de l’Europe, mais il n’a pas de valeur
contraignante pour le Comité des Ministres, auquel incombe en dernier
lieu la responsabilité de la décision.
76. L’agression de la Fédération de Russie contre un État souverain
et indépendant et la détresse face au lourd bilan en termes de destructions,
de souffrances et de morts, ont causé une profonde indignation. Néanmoins,
l’Avis de l’Assemblée devra soupeser soigneusement les arguments
pour et contre le retrait.
77. En cessant d’être membre du Conseil de l’Europe, la Fédération
de Russie cesserait aussi d’être partie à toutes les conventions
qui sont ouvertes uniquement aux États membres du Conseil de l’Europe,
parmi lesquelles la Convention européenne des droits de l’homme.
78. L’argument le plus important contre le retrait est qu’il priverait
des millions d’Européens qui vivent sur des territoires soumis à
la juridiction ou au contrôle de facto de
la Fédération de Russie du droit d’en appeler à la Cour européenne
des droits de l’homme contre la Russie pour obtenir réparation.
Il empêcherait aussi les États membres du Conseil de l’Europe de
porter devant la Cour des requêtes interétatiques contre la Fédération
de Russie,
79. Pour relativiser cette crainte, il convient cependant de considérer
que le respect effectif des décisions et arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme ainsi que des mesures provisoires qu’elle
peut être amenée à prononcer dépend de la réelle volonté de la Fédération
de Russie d’honorer de bonne foi ses obligations internationales.
L’expérience a montré l’absence de cette volonté de la Fédération
de Russie d’exécuter les principaux arrêts de la Cour, comme en
témoigne le nombre d’affaires la concernant dont l’exécution fait
l’objet d’une surveillance soutenue de la part du Comité des Ministres.
80. Dans le même ordre d’idées, on peut également s’inquiéter
en ce qui concerne la possibilité pour les Ukrainiens eux-mêmes
ou pour les autres États membres d’obtenir réparation contre la
Fédération de Russie si celle-ci devait se retirer ou être exclue
du Conseil de l’Europe. Comme exposé plus haut, il convient néanmoins
de ne pas perdre de vue que plusieurs organismes internationaux,
tels que la CPI, la CIJ et le Conseil des Droits de l’Homme, ont
déjà ouvert des enquêtes sur les violations des droits humains et
du droit international humanitaire et sur les crimes de guerre commis
par la Fédération de Russie en Ukraine et qu’une initiative visant
à établir un tribunal pénal international spécial a été lancée.
81. Pourtant, il est important de rappeler que le Conseil de l’Europe
est la seule organisation paneuropéenne dont l’Ukraine et la Fédération
de Russie sont membres et peuvent se rencontrer pour dialoguer,
discuter et se confronter.
82. Depuis que la Fédération de Russie est entrée au Conseil de
l’Europe, en 1996, l’Assemblée n’a cessé de tendre la main pour
maintenir le dialogue avec les autorités russes, y compris dans
des périodes de fortes tensions dans leurs relations. La liste des
résolutions et recommandations adoptées par l’Assemblée en atteste
de manière évidente
. L’expérience a toutefois montré que
la Fédération de Russie ne s’est conformée à aucune des principales
recommandations formulées par l’Assemblée.
83. L’Assemblée devrait et entend continuer de soutenir et de
promouvoir le dialogue comme méthode de mener les relations internationales
et de résoudre les contentieux. Avec l’agression de la Fédération
de Russie contre l’Ukraine, il est cependant devenu douloureusement
clair que le dialogue ne sert à rien à moins que les deux parties
ne soient de bonne foi. En fait, insister sur la poursuite du dialogue
dans l’attente illusoire d’avoir une influence, en dépit des signes
indéniables indiquant le contraire, risque de saper la crédibilité
de l’Assemblée et de conduire, en fin de compte, à la complaisance.
84. En outre, il convient de faire la distinction entre dialogue
et appartenance à l’organisation. Contrairement à d’autres organisations
comme les Nations Unies et l’OSCE, le Conseil de l’Europe prévoit
expressément les procédures et conditions d’admission des membres
ainsi que celles permettant de les suspendre, de leur demander de
se retirer et de les exclure.
85. La violation flagrante du Statut et d’autres obligations internationales
commise par la Fédération de Russie est la preuve manifeste de son
mépris pour les valeurs du Conseil de l’Europe. Elle est d’une telle gravité
qu’elle justifie que le Comité des Ministres lui demande de se retirer.
Si l’attaque militaire non provoquée et injustifiée contre la souveraineté,
l’indépendance et l’intégrité territoriale d’un autre État membre, suivie
de son invasion, ne justifient pas l’exclusion, qu’est-ce qui le
pourrait? Et si la Fédération de Russie est autorisée à rester membre
de l’Organisation, quel poids le Conseil de l’Europe peut-il avoir
sur d’autres États membres en cas de violations graves de son Statut?
86. Le cas de la Grèce, qui a décidé de quitter le Conseil de
l’Europe en 1969 et y est revenue en 1974, montre qu’il est possible
pour un État de revenir au Conseil de l’Europe lorsqu’il y a une
réelle volonté d’adhérer à ses normes et à ses valeurs
.
87. Même si les troupes russes se retiraient immédiatement, les
effets de cette guerre ne pourront être réparés et resteront comme
une profonde blessure dans la vie de nombreux Européens, mais aussi
comme une profonde entaille dans la confiance que les autorités
russes peuvent attendre. D’autant plus qu’en dépit des nombreux
appels à la cessation des hostilités et au respect du droit international,
le pouvoir russe a persisté dans sa décision, ne semble pas disposé
à changer d’avis et répète qu’il est prêt à recourir à la force pour
parvenir à ses fins.
88. Dans le cas d’un retrait, pour que la Fédération de Russie
puisse revenir au Conseil de l’Europe sur un pied d’égalité avec
les autres pays, un changement radical serait nécessaire dans la
direction prise par ses dirigeants.
10. Conclusions
S’agissant de l’Ukraine
89. L’agression perpétrée par la
Fédération de Russie contre l’Ukraine va à l’encontre de toutes
les valeurs que défend le Conseil de l’Europe. Les États membres
du Conseil de l’Europe et l’ensemble de la communauté internationale
devraient œuvrer sans relâche à la cessation des hostilités et au
retrait total et inconditionnel des troupes russes du territoire
de l’Ukraine. Ils devraient tous se tenir aux côtés du peuple ukrainien
et défendre son droit à vivre dans un État indépendant et souverain,
dont l’intégrité territoriale est respectée.
90. Il est nécessaire d’amplifier la réponse à la crise humanitaire
pour faire face aux besoins de la population en Ukraine et à l’extérieur.
L’ouverture de couloirs humanitaires sûrs en Ukraine est une urgence,
tout comme l’ouverture de l’accès aux organisations humanitaires.
Les efforts déployés par les États membres du Conseil de l’Europe
voisins de l’Ukraine sont à saluer. La communauté internationale
devrait accroître son assistance en apportant des financements et
un soutien supplémentaires pour aider les pays voisins à intensifier
leur action, à court et à long terme. Indépendamment de leur proximité
géographique avec l’Ukraine, tous les États membres du Conseil de
l’Europe devraient jouer un rôle dans l’accueil des Ukrainiens et
en apportant leur assistance.
91. Par l’intermédiaire de ses nombreux organes et institutions,
et dans le respect de ses attributions et de sa mission, le Conseil
de l’Europe devrait être en première ligne pour apporter aide, assistance
et expertise à l’Ukraine.
92. Il ne saurait y avoir la moindre impunité pour les violations
du droit international, des droits humains et du droit international
humanitaire commises actuellement en Ukraine. Les États membres
du Conseil de l’Europe et l’Organisation tout entière devraient
soutenir les enquêtes et les procédures déjà en cours à la Cour pénale
internationale, à la Cour internationale de Justice et à la commission
spéciale créée par le Conseil des droits de l’homme. Aussi longtemps
que la Fédération de Russie est membre du Conseil de l’Europe, la compétence
de la Cour européenne des droits de l’homme continue de s’appliquer.
S’agissant de la Fédération
de Russie
93. L’année 1989 a été déterminante
pour le Conseil de l’Europe. Cette année-là, la guerre froide a
pris fin, le mur de Berlin est tombé et Mikhaïl Gorbatchev, Président
de l’Union soviétique, a exposé, dans son discours historique devant
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, son idée d’une
«maison européenne commune».
94. Depuis le 25 février 2022, la guerre menée par la Fédération
de Russie contre l’Ukraine a ouvert une nouvelle phase dans l’histoire
de l’Europe. La Fédération de Russie a préféré le recours à la force
plutôt que le dialogue pour faire avancer ses objectifs de politique
étrangère. Bien qu’elle soit membre permanent du Conseil de Sécurité
de l’ONU, elle a choisi l’agression, compromettant ainsi la paix
et la sécurité. Elle a violé le Statut du Conseil de l’Europe ainsi
que les obligations et engagements qu’elle a souscrits en devenant membre
de l’Organisation.
95. Dans la maison européenne commune, il n’y a pas de place pour
un agresseur. Dans son Avis rendu en vertu de la Résolution statutaire
(51) 30, l’Assemblée devrait appeler le Comité des Ministres à demander à
la Fédération de Russie de se retirer du Conseil de l’Europe.
96. Pour que la Fédération de Russie puisse redevenir membre du
Conseil de l’Europe sur un pied d’égalité avec les autres États,
un changement radical est nécessaire. Les violations du droit international
et la perte de confiance causées par cette agression sont si graves
que si la Russie souhaite faire partie de cette Organisation, il
lui faudrait déposer une nouvelle demande et montrer son engagement
envers la démocratie, les droits humains et l'État de droit.
S’agissant du Conseil de l’Europe
97. Ces évènements tragiques confirment
l’utilité du Conseil de l’Europe et la nécessité constante à laquelle il
répond en tant qu’organisation intergouvernementale fondée sur des
valeurs et qui œuvre à promouvoir la démocratie, les droits humains
et l’État de droit. L’Assemblée devrait appeler les États membres
du Conseil de l’Europe à assurer la viabilité financière de l’Organisation
si la Fédération de Russie venait à ne pas respecter ses engagements
financiers envers le Conseil de l’Europe.
98. Le Conseil de l’Europe devrait entamer une réflexion approfondie
sur son rôle dans la nouvelle phase historique ouverte par cette
agression. Une nouvelle rencontre des chefs d’État et de gouvernement
des États membres du Conseil de l’Europe pourrait tracer la voie
à suivre pour l’Organisation afin de la rendre plus efficace et
mieux armée pour promouvoir la sécurité démocratique en Europe et
relever les défis à venir.
99. Quelle que soit la décision que le Comité des Ministres prendra
quant à la potentielle future utilisation de l’Article 8, l’Assemblée
est convaincue que le Conseil de l’Europe devrait continuer de s’efforcer
à établir la communication avec la population russe, dont une grande
partie ne soutient pas cette guerre et n’a pas accès à des informations
indépendantes et objectives à son sujet. Des initiatives spécifiques
devraient être envisagés à cette fin si la Fédération de Russie
cessait d’être membre de l’Organisation. Le Conseil de l’Europe
devrait continuer de soutenir les défenseurs des droits humains,
les forces démocratiques, les médias libres et la société civile
indépendante en Fédération de Russie.