1. Introduction
1. L’antisémitisme menace les
sociétés démocratiques, porte atteinte aux droits humains et est
une forme de déshumanisation des personnes appartenant aux communautés
juives. Il sape les valeurs fondamentales qui ont conduit à la création
du Conseil de l’Europe. Il doit être empêché et combattu avec détermination
et fermeté.
2. Depuis des années, la question de l’antisémitisme est suivie
par la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance
(ECRI), notamment par le biais de ses rapports nationaux sur chacun
des États membres du Conseil de l'Europe, ainsi que par l'Agence
des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui l’a évalué notamment
par le biais de ses enquêtes à l'échelle de l'Union Européenne
. Il s'exprime dans tous les
aspects de la vie. Il rend les personnes de confession juive du
monde entier responsables des décisions politiques prises par les
gouvernements israéliens, nie le droit des communautés et des individus
de confession juive à vivre en paix et constitue une menace pour
la sécurité et la cohésion sociale en général.
3. L’antisémitisme n’est pas un phénomène isolé. Il doit être
l’affaire de toutes et tous. Il s’agit d’une question liée aux droits
humains qu’il faut combattre dans le cadre de ces droits. D’après
Ahmed Shaheed, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté
de religion ou de conviction, les auteurs d’agressions xénophobes
visent aussi fréquemment les communautés juives. Selon Michael Whine,
membre de l’ECRI au titre du Royaume-Uni et président du groupe
de travail de l’ECRI sur l’antisémitisme, «l’antisémitisme est religieux,
racial et politique», il est fondé sur des préjugés, d’où la nécessité
d’agir à plusieurs niveaux.
4. La pandémie de covid-19 a eu des conséquences négatives pour
l’égalité et la non-discrimination dans toute l’Europe. Elle a touché
de manière disproportionnée les parties les plus vulnérables de
la population et attisé le discours de haine, en particulier dans
les interactions en face à face, dans les médias et en ligne. Les mythes
conspirationnistes antisémites ont été largement partagés sur les
médias sociaux pendant les confinements et les communautés juives
ont notamment été accusées d’avoir créé et propagé de manière intentionnelle
le virus ou de bénéficier injustement de traitements et de la vaccination.
De nouvelles formes de distorsion de l'Holocauste ont vu le jour,
par exemple, les opposants aux mesures gouvernementales se sont comparés
aux victimes juives de l'Allemagne nazie, portant des badges à étoile
jaune. Ces idées ont été en outre exposées lors de manifestations
contre les mesures de santé publique prises par les gouvernements pour
limiter la propagation du virus. Cela a montré que nos sociétés
ne sont pas aussi ouvertes et inclusives que nous le pensions et
la pandémie a mis en évidence toutes les formes de discrimination
et d’altération.
5. La guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine
relance les idéologies conspirationnistes antisémites en Europe.
Les mythes conspirationnistes antisémites et la propagande liés
à la guerre, largement relayés par les réseaux sociaux et les médias,
trahissent un antisémitisme profond, comportant une banalisation
et une distorsion de l’Holocauste.
6. La
Résolution 2106 (2016) de l’Assemblée «Engagement renouvelé dans le combat
contre l’antisémitisme en Europe», qui définit les mesures à prendre
pour lutter contre la haine, la discrimination et la violence antisémites
et indique clairement que l’antisémitisme et ses manifestations
sont en contradiction évidente avec les valeurs fondamentales du
Conseil de l’Europe, est toujours valable. Le contexte général a toutefois
changé avec l’apparition de nouvelles attaques violentes, le développement
de mythes conspirationnistes liés à la pandémie et à la guerre,
et la montée du discours de haine, y compris en ligne et à l’occasion
de manifestations. L’éducation et la sensibilisation aux horreurs
de l’antisémitisme par l’enseignement et la commémoration de l’Holocauste
dans les écoles, les établissements d’enseignement pour adultes
et dans les médias deviennent aussi plus difficiles à mesure que
le nombre de survivant·e·s et de témoins de l’Holocauste diminue.
L’enseignement de l’histoire est mis à rude épreuve par la propagation
du négationnisme, de la distorsion de l’Holocauste, du révisionnisme
et par d’autres formes de conspiration et de perversion de l’histoire
en ligne. Il convient de trouver de nouvelles façons d’enseigner
l’Holocauste et il est urgent d’investir dans l’éducation pour combattre
les stéréotypes.
7. Au niveau international, on peut saluer les développements
concrets qui témoignent d’une ferme volonté politique de prévenir
et de combattre l’antisémitisme. L'ECRI a adopté sa Recommandation
de politique générale n°9 révisée sur la prévention et la lutte
contre l'antisémitisme
le 1er juillet 2021. Des organisations comme
le Conseil de l’Europe, les Nations Unies, la Commission européenne
et le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme
de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH)
ont toutes nommé des représentant·e·s spéciaux/spéciales ou des
coordinateurs et coordinatrices chargé·e·s de la lutte contre l’antisémitisme.
Des envoyé·e·s spéciaux/spéciales ou des coordinateurs et coordinatrices
chargé·e·s de la lutte contre l’antisémitisme ont aussi été désigné·e·s
dans certains États membres du Conseil de l’Europe et des stratégies
nationales et plans d’action ont été adoptés ou sont en préparation
.
En outre, le Conseil de l’Europe compte désormais un Représentant
spécial de la Secrétaire Générale sur les crimes de haine antisémites
et anti-musulmans et toute forme d’intolérance religieuse
. L’Union européenne a adopté le 5 octobre
2021 sa première stratégie de lutte contre l’antisémitisme et de soutien
à la vie juive (2021-2030)
. Il s’agit là d’un développement
indéniablement positif qui conduira à une action plus coordonnée.
Dans le contexte actuel de montée de l’antisémitisme, une action
politique résolue et coordonnée est essentielle.
2. Objectifs et champ d’application du
rapport
8. La proposition de résolution
à l’origine de ce rapport souligne que l’Assemblée devrait réaffirmer
que l’antisémitisme n’a pas sa place en Europe et proposer des mesures
concrètes pour faire face à ce problème mondial. Elle précise qu’il
incombe aux dirigeant·e·s politiques de faire de la sensibilisation,
de la prévention, de la protection et de l’enseignement de l’histoire
des priorités de sorte que chacun puisse vivre en sécurité en Europe
et construire un environnement favorable à la vie des communautés
juives.
9. Ce rapport reflète les dernières données sur le discours de
haine et les attaques antisémites et sur les mesures prises pour
y faire face à différents niveaux. J’ai essayé d’analyser ce qui
pouvait être fait pour lutter contre la propagation des idéologies
du complot, notamment en ligne, et les mesures prises pour combattre l’antisémitisme
dans le sport, entre autres. J’ai recherché des initiatives inspirantes
dans le domaine de la prévention de l’antisémitisme, de l’éducation
à l’Holocauste et de la promotion du patrimoine juif en Europe. J’ai
recueilli des exemples sur la façon dont nous pouvons atteindre
les personnes «ordinaires» avec des messages qui révèlent et combattent
l’antisémitisme et pas seulement celles et ceux qui en sont déjà conscient·e·s
et alerté·e·s. Le football et d’autres types d’activités de loisirs
pourraient être un bon moyen d’atteindre cet objectif. J’ai par
ailleurs étudié la dimension de genre de l’antisémitisme, ainsi
que l’intersectionnalité dans l’antisémitisme. Avec ce rapport,
j’ai l’intention de faire la lumière sur les nouvelles tendances
qui définissent l’antisémitisme aujourd’hui et de formuler des recommandations
concrètes sur la manière de relever les nouveaux défis dans la lutte
contre ce phénomène.
10. L’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste
(IHRA) a adopté une définition opérationnelle de l’antisémitisme
, non contraignante sur le plan juridique,
qui a été approuvée par 34 États, dont 25 États membres du Conseil
de l’Europe, par l’Union européenne et par le Secrétaire général
des Nations Unies, António Guterres. Cette définition est supposée
orienter l’action au niveau national en matière de lutte contre l’antisémitisme
. Le 2 décembre 2020,
l’ECRI a adopté un avis sur cette définition
, soulignant
qu’il s’agissait d’une définition «opérationnelle» et non juridique,
et qu’elle devait être comprise comme un outil pratique. «L’ECRI
accueille favorablement la définition, juridiquement non contraignante,
de l’antisémitisme donnée par l’IHRA dans le sens où elle permet
de promouvoir et de contribuer à une meilleure compréhension de l’antisémitisme
(…) et considère que cette définition (…) peut être un outil positif
et elle encourage les États membres du Conseil de l’Europe à la
prendre en compte, en particulier dans les domaines de la collecte
de données et de l’éducation, ainsi qu’en matière de sensibilisation».
Michael O’Flaherty, directeur de l’Agence des droit fondamentaux
de l’Union européenne (FRA), a indiqué lors de notre audition du
14 mars 2022 que la FRA l’utilise dans ses travaux sur l’antisémitisme.
A mon avis, l'Assemblée devrait appeler les États membres à utiliser
la définition de travail de l'antisémitisme donnée par l'IHRA, à
la lumière de l'avis de l'ECRI.
3. Méthodes
de travail
11. J’ai entrepris des recherches
documentaires sur l’antisémitisme et la covid-19 ainsi que sur les
dernières données sur le discours de haine et les attaques antisémites.
J’ai également analysé les recommandations que l’ECRI a adressées
aux États membres s’agissant de la lutte contre l’antisémitisme
et de sa prévention. J’ai travaillé étroitement avec la FRA pour
analyser les données de sa dernière enquête sur l’antisémitisme, ainsi
qu’avec l’ECRI.
12. J’ai envoyé un questionnaire aux parlements nationaux par
l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation
parlementaires (CERDP) pour m’enquérir des nouveaux développements législatifs
ainsi que des initiatives parlementaires récentes visant à prévenir
et à combattre l’antisémitisme. Je tiens à remercier les parlements
nationaux
qui ont répondu au questionnaire
et je résumerai dans le rapport certaines des initiatives inspirantes
partagées par ces parlements.
13. Le 15 septembre 2021, la commission a tenu une audition avec
la participation de Michael Whine, membre de l’ECRI au titre du
Royaume-Uni et président du groupe de travail de l’ECRI sur l’antisémitisme, ainsi
que de Karin Stögner, professeur et titulaire de la chaire de sociologie
à l’Université de Passau et Elias Dray, président de l’Union européenne
des étudiants juifs. Le 14 mars 2022, elle en a tenu une deuxième
avec la participation de Michael O’Flaherty, directeur de la FRA,
Katharina von Schnurbein, coordinatrice européenne de la lutte contre
l’antisémitisme et du soutien à la vie juive, et Daniel Höltgen,
Représentant spécial de la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe
sur les crimes de haine antisémites et anti-musulmans et toute forme
d’intolérance religieuse.
14. J’ai eu une série de réunions bilatérales virtuelles au cours
de l’année écoulée. Le 19 février 2021, j'ai rencontré Benjamin
Nägele, Secrétaire général de la communauté juive de Vienne. Le
10 mars 2021, j'ai tenu une réunion avec Yaron Gamburg, Chef de
mission adjoint à la délégation permanente d'Israël auprès des organisations
internationales à Paris. Le 11 mars 2021, je me suis entretenue
à distance avec Mikolaj Wrzecionkowski, conseiller pour la lutte
contre l’antisémitisme à l’OSCE/BIDDH. Le 23 mars 2021, je me suis entretenue
avec Michael Whine, qui était accompagné de Thobias Bergmann du
Secrétariat de l’ECRI, puis avec Katharina von Schnurbein, coordinatrice
européenne de la lutte contre l’antisémitisme et du soutien à la vie
juive. Le 30 mars 2021, j’ai échangé avec Daniel Höltgen, puis avec
Leon Saltiel, représentant à l’ONU Genève et à l’UNESCO et coordinateur
de la lutte contre l’antisémitisme pour le Congrès juif mondial.
Le 23 juin 2021, j'ai rencontré le rabbin Mendel Samama à Strasbourg.
Le 28 juin 2021 et le 13 septembre 2021, j'ai rencontré Lord John
Mann, conseiller indépendant du Gouvernement britannique sur l'antisémitisme.
J’ai également tenu des réunions virtuelles avec Ahmed Shaheed,
rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion
ou de conviction, et avec Karel Fracapane de l’UNESCO le 29 juin
2021, et j’ai suivi des événements en ligne organisés par l’Union
européenne et l’OSCE. Le 8 octobre 2021, je me suis entretenue en
distanciel avec Felix Klein, qui coordonne la lutte contre l’antisémitisme
en Allemagne, puis avec Alina Bricman, directrice des affaires de
l’Union européenne au B’nai B’rith International. Le 19 octobre
2021, j’ai eu une réunion bilatérale virtuelle avec Julana Bredtmann,
responsable de programme à l’IHRA. J’ai également rencontré Michael
O’Flaherty, directeur de la FRA, lors de sa visite à Strasbourg
le 14 mars 2022, et j’ai tenu une réunion en distanciel avec Özgur
Derman, chef adjoint du bureau de la Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe, et avec Patricia Ötvös, conseillère de la
Commissaire, le 28 mars 2022. J’ai aussi rencontré virtuellement
Molnar Zsolt, médiateur adjoint de Roumanie, le 29 mars 2022, et
Petra Kahn Nord, représentant le Congrès juif mondial, le 31 mars
2022. Le 5 avril 2022, je me suis entretenue en distanciel avec
l’ambassadeur Alexandru Victor Micula, représentant spécial pour
la lutte contre l’antisémitisme (ministère des Affaires étrangères
de Roumanie). Le 8 avril 2022, j’ai rencontré Aron Verständig, le
président du Conseil central juif de Suède, et Rachel Mizrachi,
de la communauté juive d’Oslo, qui a partagé son expérience d’éclaireuse
dans les établissements scolaires. Le 19 avril 2022, j'ai rencontré
le rabbin Andrew Baker, représentant personnel du président en exercice
de l'OSCE pour la lutte contre l'antisémitisme.
15. À l’occasion de ma participation au 7e Forum
mondial sur la lutte contre l’antisémitisme à Jérusalem les 13 et
14 juillet 2021, j’ai pu rencontrer des expert·e·s travaillant dans
ce domaine. J’ai également pu suivre une partie du Forum de Malmö
sur la mémoire de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémitisme
le 13 octobre 2021 (en ligne)
. Le 11 novembre 2021, j’ai participé
à la Conférence mondiale sur le rôle du football dans la lutte contre
l’antisémitisme qui s’est tenue à Vienne, où j’ai eu l’occasion
d’échanger avec des représentants du Chelsea Football Club et du
Borussia Dortmund.
4. Monitoring
par pays de l’ECRI et mesures recommandées
16. L’ECRI a traité de la nécessité
de prévenir et de combattre l’antisémitisme dans la plupart de ses rapports
de monitoring par pays. L’ECRI a observé, ces dernières années,
une montée de l’antisémitisme, qui prend différentes formes, allant
d’attaques personnelles au discours de haine, y compris en ligne
,
dans un grand nombre d’États membres du Conseil de l’Europe
.
17. Dans plusieurs de ses rapports, l’ECRI a noté le niveau important
de sous-déclaration des cas de haine antisémite ou de violence raciste.
Elle a insisté sur la nécessité de renforcer la capacité de la police
et des instances judiciaires de recevoir les plaintes, et par conséquent
leur formation
.
En Autriche
,
l’ECRI a considéré comme une bonne pratique la décision du Conseil
de l’éducation de Vienne, qui a fait du sujet des droits humains
l’un de ses objectifs pédagogiques à long terme, en proposant aux
enseignant·e·s des séminaires de formation s’y rapportant.
18. L’ECRI a suggéré d’établir des infractions pénales, si elles
n’existaient pas déjà, pour des actes tels que la diffamation publique
dans un but antisémite ou raciste et l’expression publique d’une
idéologie prônant la supériorité d’un ensemble de personnes
.
Elle a recommandé de dispenser une formation intensive aux procureurs
et aux juges des juridictions pénales sur les libertés d’expression
et de religion.
19. D’une manière générale, l’ECRI a vivement recommandé aux autorités
de garantir une protection policière suffisante aux survivant·e·s
de l’Holocauste qui ont partagé leurs témoignages et lors d’événements organisés
par la communauté juive. De plus, l’ECRI a recommandé régulièrement
dans ses rapports d’empêcher les groupes antisémites, en particulier
les néonazis, de répandre la haine antisémite. Elle a demandé clairement
aux autorités de prévenir et réprimer les activités et manifestations
néonazies illicites et de lutter contre elles. Elle a aussi recommandé
de mener des campagnes spécifiques de sensibilisation destinée à
dissuader les jeunes d’adhérer aux groupes néonazis et de skinheads
.
L’ECRI a insisté sur le fait que les autorités doivent mener une
enquête approfondie sur les actes de vandalisme et les menaces qui visent
la communauté juive
.
20. L’ECRI s’est également intéressée à l’augmentation de l’antisémitisme
en ligne, devenu l’un des grands obstacles à surmonter. Afin de
lutter efficacement contre ce phénomène, elle a recommandé aux autorités d’utiliser
un système d’encodage commun entre la police et les parquets et
de créer des sous-catégories pour les délits dirigés contre les
différents groupes de victimes
.
Dans le même temps, elle a recommandé aux autorités de mettre en
place un système de collecte des données et de production de statistiques
qui permettrait d’avoir une vision intégrée et cohérente des cas
de discours de haine et de violence raciste et antisémite portés
à l’attention de la police et/ou transitant dans le système judiciaire
.
21. Pour l’ECRI, l’éducation est un moyen fondamental d’éradiquer
l’antisémitisme et elle recommande d’intégrer l’éducation aux droits
humains dans le système scolaire, à tous les niveaux. Compte tenu
de l’importance du secteur de l’éducation dans la lutte contre l’antisémitisme
et sa prévention, l’ECRI a exhorté les autorités à veiller à ce
que des mesures efficaces soient élaborées et appliquées par le
ministère concerné, également dans le cadre de la lutte contre d’autres
formes de racisme. L’ECRI a recommandé aussi aux autorités d’inclure
dans leurs programmes scolaires des cours sur le fondement juridique
de la discrimination et l’explication de la procédure de plainte.
22. Les élèves ne sont pas les seul·e·s à avoir besoin d’être
éduqué·e·s. L’ECRI suggère aux autorités de lancer de nouvelles
campagnes de lutte contre la haine à l’intention du grand public.
Pour orienter leurs efforts, les autorités devraient être guidées
par la Recommandation de politique générale n° 15 de l’ECRI sur
la lutte contre le discours de haine.
23. Je tiens à remercier l’ECRI de m’avoir contactée pendant le
processus de révision de la Recommandation de politique générale
n° 9 sur la prévention et la lutte contre l’antisémitisme pour soumettre mes
observations. La coopération entre l’ECRI et l’Assemblée, notamment
notre commission et l’Alliance parlementaire contre la haine, est
réellement excellente et mérite d’être saluée.
24. Michael Whine a présenté la Recommandation de politique générale
révisée n° 9 à la commission le 15 septembre 2021, juste après sa
publication. Il a souligné que l’ECRI avait constaté que l’antisémitisme contemporain
conservait de nombreux éléments de l’antisémitisme religieux et
racial classique, mais qu’il prenait également de nouvelles formes.
L’ECRI a aussi constaté que la haine contre les juifs était «propagée par
un large éventail d’individus et de groupes, notamment des néonazis,
des extrémistes de droite, des extrémistes religieux, en particulier
des islamistes violents, ainsi que certains extrémistes de gauche».
Il a souligné que la lutte contre l’antisémitisme doit faire partie
de la lutte générale contre le racisme et l’intolérance.
25. La Recommandation de politique générale révisée n° 9 de l'ECRI,
ainsi que son avis sur la définition opérationnelle de l'antisémitisme
de l'IHRA et plusieurs de ses rapports annuels de ces dernières
années soulignent également le problème croissant de l'antisémitisme
lié à Israël. Dans ce contexte, l'ECRI a souligné à plusieurs reprises
que les critiques à l'égard d'Israël ne peuvent pas être considérées
comme antisémites en soi, tant qu'elles sont exprimées de la même
manière que les critiques à l'égard d'autres États
. En outre, l'ECRI note
que «l’idée selon laquelle les attaques contre des personnes juives
ou des biens juifs pourraient être considérées comme des réponses
justifiables aux politiques ou aux actes du Gouvernement israélien
est malheureusement répandue, et pas uniquement au sein des groupes
extrémistes»
. Dans sa Recommandation
de politique générale révisée n° 9, l'ECRI recommande également
aux gouvernements de «condamner les activités qui font appel au
boycott de l’État d’Israël, de ressortissants israéliens ou d’entreprises
et d’institutions israéliennes si de telles activités incitent à
la violence, à la haine ou à l’intolérance»
.
26. La Recommandation de politique générale révisée comprend 52
recommandations aux niveaux politique et institutionnel, dans les
domaines de l’éducation et de la prévention, de la protection des communautés
juives et de la poursuite des crimes contre les personnes de confession
juive. Elle tient compte des nouveaux développements et défis en
matière de prévention et de lutte contre l’antisémitisme. J'ai coopéré étroitement
avec l'ECRI dans le cadre de la préparation de ce rapport et il
va sans dire qu'à mon avis, l'Assemblée devrait appeler au soutien
et à la mise en œuvre effective de la Recommandation de politique générale
révisée n° 9.
5. Agir
contre la montée des mythes et idéologies conspirationnistes antisémites
27. Lors de notre audition, le
directeur de la FRA, Michael O’Flaherty, a estimé que l’antisémitisme
est une question existentielle pour l’Europe, puisque l’Europe moderne
s’est construite sur la répudiation de l’Holocauste. La lutte contre
la montée des mythes conspirationnistes antisémites, y compris en
ligne, doit être une priorité.
28. En 2018, la FRA a publié les résultats d’une deuxième enquête
sur les expériences et les perceptions des personnes juives de l’antisémitisme.
Neuf répondant·e·s sur dix ont estimé que l’antisémitisme avait augmenté
au cours des cinq dernières années dans le pays où ils et elles
vivent. La FRA a fait savoir qu’ils et elles ont estimé «que l’antisémitisme
posant le plus problème est celui qui s’exprime sur l’internet et
sur les réseaux sociaux (89 %), suivi par l’antisémitisme exprimé
dans les espaces publics (73 %), les médias (71 %) et la vie politique
(70 %)
». L’enquête a aussi révélé
que 79 % des répondant·e·s victimes de harcèlement antisémite au
cours des cinq années précédant l’enquête n’ont pas signalé l’incident
à la police. La moitié des jeunes juifs et juives interrogé·e·s
par la FRA ont déclaré avoir été personnellement victimes d’un acte antisémite
au cours de l’année écoulée, et 40 % d’entre eux ont déclaré qu’ils
et elles envisageaient d’émigrer hors de l’Union européenne pour
s’installer ailleurs. La FRA a constaté une «normalisation de l’antisémitisme».
29. Par ailleurs, la pandémie de covid-19 a provoqué une augmentation
de la conspiration antisémite en Europe
. Les personnes de confession juive
ont été accusées d’avoir créé et propagé le virus de manière intentionnelle
ou de tirer profit de la commercialisation des traitements et des
vaccins. Des pancartes et des slogans antisémites ont été utilisés
pendant les manifestations organisées en 2020, 2021 et 2022 contre
les mesures sanitaires prises pour lutter contre la covid-19 (tels
que «la vaccination rend libre»). Certain·e·s manifestant·e·s ont
arboré l’étoile jaune que les personnes de confession avaient été
contraintes de porter sous le nazisme, faisant référence à l’Holocauste
et comparant la privation de liberté des personnes juives pendant
la guerre et la restriction de déplacement pendant les confinements
ou le fait qu’une preuve de vaccination soit exigée pour accéder
à certains lieux
.
Ces comparaisons sont inacceptables.
30. En France, des slogans clairement antisémites ont été affichés
pendant des manifestations contre le «pass sanitaire». Le slogan
«Mais qui ?» est devenu un code antisémite. Les noms de membres
du gouvernement ont été affichés et leur foi juive présumée a été
critiquée. Certains activistes anti-masque et anti-vaccin prétendent
être «les nouveaux juifs» parce qu’ils ou elles sont «persécuté·e·s».
On signale des incidents antisémites tous les jours, comme la profanation,
en août 2021, de la stèle de Simone Veil dans la ville par ailleurs
paisible de Perros-Guirec, située dans la région Bretagne en France.
A titre d’exemple de la fréquence de ces incidents, en Allemagne,
l’Association fédérale des départements de recherche et d’information
sur l’antisémitisme (Association fédérale RIAS) a fait état de 1 909 incidents
antisémites en 2020, dont un quart était lié à la covid-19
.
31. En Autriche, on a pu observer une augmentation des déclarations
et symboles antisémites lors des manifestations dans les espaces
publics. «Depuis janvier 2021, des participants à des manifestations
contre les mesures de lutte contre la pandémie de covid-19 ont été
repérés portant une ‘étoile jaune’ comme écusson avec les mots ‘non
testé’ ou ‘victime du vaccin’ sur leurs vêtements. Le port public
de ces symboles ou de symboles comparables peut donner lieu à une
première suspicion d’infraction pénale conformément au paragraphe
3h de la loi de 1947 sur l’interdiction du national-socialisme –
NS Verbotsgesetz 1947. La police a signalé ces infractions pénales
aux autorités judiciaires»
.
32. Lors du sommet de Jérusalem sur la lutte contre l’antisémitisme,
il y a eu des discussions sur le fait que les nombreuses accusations
mettant en cause les personnes de confession juive dans la création
et la propagation du virus répondaient à un besoin de trouver et
de désigner un bouc émissaire – et les personnes de confession juive
se retrouvent trop souvent le bouc-émissaire par défaut. J’ai également
été informée de la montée d’une idéologie du complot liant George
Soros, qui est un homme d’affaires juif, à l’Organisation mondiale
de la santé et aux entreprises pharmaceutiques, accusés d’avoir
créé ensemble la pandémie afin de réaliser des profits.
33. J’ai reçu des informations sur une initiative intéressante
organisée par le Musée juif de Bruxelles qui tente «d’initier les
jeunes à la culture juive par le biais de divers ateliers participatifs,
tout en remettant en question les préjugés. Dans l’un des ateliers,
par exemple, les mythes et les stéréotypes sur les Juifs sont discutés
pour donner aux jeunes l’occasion de démonter les préjugés. Cela
peut contribuer à une meilleure compréhension des théories du complot»
.
34. Lors du Forum de Malmö, le 13 octobre 2021, l’ancien Premier
ministre suédois, Stefan Löfven, a souligné que «l’antisémitisme
était en soi une théorie du complot fondée sur des notions de pouvoir
et d’intérêt juifs».
35. La guerre engagée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine
donne aussi lieu à une montée des idéologies conspirationnistes
antisémites. Lors de notre audition du 14 mars 2022, Katharina von
Schnurbein a estimé que «la guerre de Vladimir Poutine contre l’Ukraine
servait à promouvoir des théories conspirationnistes antisémites:
la guerre serait orchestrée par des personnes juives, à des fins
de contrôle financier et de pouvoir mondial». Elle a précisé que
«le langage et les justifications de la guerre données par Vladimir
Poutine avaient des connotations antisémites: la direction de l’Ukraine
serait prétendument nazie, alors que le pays a un président d’origine
juive». Elle a ajouté que Vladimir Poutine avait parlé d’un génocide commis
par les Ukrainiens et évoqué une solution finale. Cette guerre aura
des retombées durables dans l’Union européenne et pour le Conseil
de l’Europe, car elle s’attaque aux valeurs mêmes sur lesquelles
ils se sont construits. La situation des communautés juives quittant
l’Ukraine pour Israël ou d’autres pays européens doit aussi retenir
notre attention ainsi que le fait que les crises économiques ont
traditionnellement provoqué une augmentation de l'antisémitisme.
6. Lutter
contre l’antisémitisme en ligne
36. Lors de notre rencontre, M. Whine
de l’ECRI a fait remarquer qu’internet était le principal vecteur
de l’antisémitisme et que la distorsion de l’Holocauste avait fortement
augmenté depuis le début de la pandémie de covid-19. Il a souligné
qu’ «accuser les minorités, souvent les personnes juives, de théories
du complot était un cliché antisémite historique et qu’on prônait
les théories du complot pour diviser les sociétés».
37. L’étude sur la montée de l’antisémitisme en ligne pendant
la pandémie
, fondée sur l’analyse de données
en France et en Allemagne, montre clairement une hausse du nombre
de commentaires antisémites (sept fois plus sur les comptes francophones
et 13 fois plus sur les comptes germanophones) entre les deux premiers
mois de 2020 et de 2021. Un discours antisémite spécifique est lié
à la pandémie et dans le même temps, le rapport explique qu’il y
a eu une multiplication des «clichés antijuifs traditionnels» en
lien avec des mythes conspirationnistes sur la façon dont les personnes
de confession juive gèrent les institutions politiques et financières
ainsi que les médias. Les plateformes en ligne devraient se charger
de supprimer les contenus antisémites.
38. Au cours de notre audition, Daniel Höltgen a déclaré à la
commission que les grandes sociétés internet ne réagissent qu’en
présence d’une législation claire sur la lutte contre le discours
de haine et sa prévention, d’un risque de ternissement de leur réputation
et de répercussions financières. Il a ainsi jugé très efficace la lutte
par des amendes infligées aux sociétés internet. Il a indiqué que
selon les preuves apportées par l'Union des étudiants juifs de France
dans une affaire judiciaire contre Twitter en France, la plateforme
n'a supprimé que 10 à 20 % des discours de haine illégaux notifiés
pendant la pandémie. Certaines plateformes ont été encore moins
réactives, d'autres plus réactives.
39. L’Union européenne a créé un code de bonne conduite qui veut
que les plateformes internet retirent les propos haineux illicites
dans les 24 heures suivant leur signalement. Un projet réalisé dans
le cadre de la mise en œuvre de la stratégie vise à créer un réseau
européen de signaleurs de confiance et de vérificateurs de faits,
chargés de surveiller la suppression des contenus antisémites et
la diffusion de contre-discours dans toute l’Union européenne.
40. L’ancien ministre néerlandais de la Justice, Ferdinand Grapperhaus,
a souligné, lors du sommet de Jérusalem, que l’utilisation croissante
d’internet et des médias sociaux ainsi que les théories du complot entourant
la covid-19 avaient rendu l’antisémitisme plus visible dans la société.
Les efforts de sensibilisation au sens large pour prévenir et combattre
les idéologies conspirationnistes et les stéréotypes négatifs à
l’égard du peuple juif doivent être davantage soutenus.
7. La
montée de l’antisémitisme dans la sphère politique et les réponses
parlementaires
41. La volonté de mieux coordonner
l’action politique a été démontrée lors du Forum de Malmö sur la mémoire
de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémitisme, le 13 octobre
2021, qui a réuni des délégations de 50 pays, de l’Union européenne,
dont la FRA, et des acteurs et actrices clés de la société civile.
Lors du Forum, Märta Stenevi, ancienne ministre suédoise de l’Égalité,
a souligné que «l’exposition à l’antisémitisme et à d’autres formes
de racisme affecte notre société dans son ensemble. Elle remet en
question la confiance mutuelle qui est vitale pour nos sociétés
(...) Les mêmes forces qui répandent la haine manifestent souvent
de la haine envers les femmes, les personnes LGBTI, les Roms et
les juifs». Edi Rama, Premier ministre albanais, a également souligné
que «l’antisémitisme ne concerne pas seulement les Juifs, il concerne
les humains. Combattre l’antisémitisme, c’est combattre le racisme
et le fondamentalisme». Prévenir et combattre l’antisémitisme, c’est
aussi protéger les droits humains en général et notre vivre ensemble.
42. Lors de la présentation de son rapport sur l’antisémitisme
à l’Assemblée Générale des Nations Unies en 2019, Ahmed Shaheed
a souligné que l’antisémitisme était toxique pour la démocratie.
Il s’est dit «alarmé par l’utilisation croissante des clichés antisémites
par les suprémacistes blancs, notamment les néo-nazis et les membres
de groupes islamistes radicaux, dans des slogans, des images, des
stéréotypes et des théories du complot pour inciter et justifier
l’hostilité, la discrimination et la violence à l’égard des Juifs »
et préoccupé «par les expressions d’antisémitisme de plus en plus
nombreuses émanant de sources de la gauche politique et par les
pratiques discriminatoires étatiques à l’égard des Juifs»
. D’après
Karel Fracapane, de l’UNESCO, l’antisémitisme a une fonction politique
qui devrait être dévoilée.
43. Lors du 7e Forum mondial de lutte
contre l’antisémitisme, la Professeure Deborah Lipstadt a expliqué que
l’antisémitisme augmentait aussi bien à gauche qu’à droite de l’échiquier
politique, et devait donc être combattu des deux côtés. Elle a souligné
que les Juifs étaient considérés comme blancs et riches par certains, qui
ne les voyaient donc pas comme des victimes. «La victime ultime
de l’antisémitisme est la démocratie», a-t-elle fait remarquer.
44. Le conflit de Gaza, au printemps 2021, et les événements au
Moyen-Orient ont conduit à des critiques de l’État d’Israël souvent
accompagnées de commentaires et d’attaques antisémites. L’actualité
internationale a des effets sur la façon dont on perçoit les personnes
de confession juive en Europe et ailleurs. J’estime pour ma part
que l’on peut critiquer la politique d’Israël sans pour autant être
antisémite. Dr Sharon Nazarian a considéré lors du Forum mondial
que «tenir les communautés juives pour responsables des politiques
de l’État d’Israël est une manifestation d’antisémitisme». Forcer
de jeunes juifs dont les familles vivent depuis des générations
hors d’Israël à prendre position dans le conflit alors qu’ils ne
sont guère responsables des politiques et actions du Gouvernement
israélien est un autre exemple d’antisémitisme. J’ai conscience
que la distinction peut être floue entre l’antisémitisme et la critique
des politiques et des actes du Gouvernement israélien formulée dans
les limites de la liberté d’expression, mais la définition opérationnelle
de l’IHRA apporte des indications utiles à cet égard. Je prône donc
son utilisation, à la lumière de l’avis de l’ECRI. Katharina von Schnurbein
a souligné que tous les éléments présentés dans la définition opérationnelle
sont antisémites, mais qu’ils ne sont pas tous illicites en Europe.
45. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
a attiré l’attention sur le rôle des responsables politiques, qui
ne doivent pas répandre le discours de haine et l’antisémitisme.
Il convient de combattre l’antisémitisme au sein des partis politiques.
La publication du rapport de la commission pour l’égalité et les
droits humains
sur
l’antisémitisme au sein du parti travailliste au Royaume-Uni a abouti
à l’adoption de mesures fortes telle que l’expulsion de certains
dirigeants du parti. En France, plusieurs personnalités ont été
poursuivies pour des propos antisémites depuis 2017. Il s’agit notamment
d’un homme politique, d’essayistes et d’un acteur. En République
slovaque, en 2017, deux membres du parlement ont refusé de s’excuser
pour leurs déclarations antisémites et ont été condamnés à une amende
(1 000 €).
46. La banalisation de l’Holocauste est un premier pas vers l’amnésie.
Lors du Forum de Malmö, Charles Michel, président du Conseil européen,
a souligné «que le silence est le premier pas vers l’acceptation
et que le silence est une complicité. Une politique de tolérance
zéro envers l’antisémitisme est nécessaire ». La banalisation et
la déformation en ligne, dans les discours politiques ou dans le
cadre de tout type de rhétorique devraient être interdites. Dans
le cadre de son monitoring par pays, l’ECRI a constaté une forte
augmentation des niveaux d’incitation à la haine antisémite et raciale,
notamment dans le contexte du discours public, y compris par des
représentant·e·s de partis politiques. Les propos haineux restent
souvent impunis et leur condamnation officielle n’est pas suffisante
.
Un engagement politique fort et des mesures sont nécessaires pour
lutter contre toute expression d’antisémitisme et de haine. L’ECRI
appelle à une réponse ferme, en particulier l’incrimination de la
banalisation ou de la négation de l’Holocauste et des crimes de
génocide, notamment lorsque de telles déclarations sont faites par
des responsables.
47. Les réponses au questionnaire donnent un aperçu des actions
parlementaires visant à prévenir et à combattre l’antisémitisme.
Un certain nombre de parlements organisent des cérémonies pour commémorer
les victimes de l’Holocauste le 27 janvier de chaque année (Chypre,
Autriche, Monténégro et Suède, pour n’en citer que quelques-uns).
Des débats thématiques et des expositions ont également été organisés
dans certains parlements nationaux. En Pologne, il existe un groupe
parlementaire pour la commémoration du massacre de Babi Yar et pour
une Europe libérée du génocide et de la haine.
48. Depuis l’automne 2019, le Parlement autrichien propose des
ateliers contre l’antisémitisme. J’ai été informée que le président
du Conseil national encourage activement la participation des parlements
à la campagne «We remember» du Congrès juif mondial et de l’UNESCO,
qui se tient chaque année du 20 au 27 janvier. En 2020, le prix
Simon Wiesenthal (30 000 €) pour les personnes qui s’engagent dans
la lutte contre l’antisémitisme et l’éducation sur l’Holocauste
a été créé, il a été remis pour la première fois le 12 mai 2022
.
49. Le 3 décembre 2019, l’Assemblée nationale française a adopté
la résolution n° 361 sur la lutte contre l’antisémitisme, visant
à reconnaître la définition opérationnelle de l’antisémitisme de
l’IHRA. L’antisémitisme est décrit comme «une certaine perception
des juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations
rhétoriques et physiques de l’antisémitisme sont dirigées contre
des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires
et des lieux de culte». Un groupe d’étude sur l’antisémitisme a
été constitué à l’Assemblée nationale
.
50. En Allemagne, le Bundestag a également lancé des initiatives
pour prévenir et combattre l’antisémitisme. En 2009, il a constitué
le premier groupe d’expert·e·s indépendant·e·s pour lutter contre l’hostilité
envers les juifs, au sein du ministère fédéral de l’Intérieur. Un
deuxième groupe d’expert·e·s a présenté son rapport et ses recommandations
en 2018
.
Le Bundestag a également décidé de créer le poste de coordinateur
ou coordinatrice de la lutte contre l’antisémitisme. La personne
nommée travaille à la coordination des mesures gouvernementales
pour lutter contre l’antisémitisme et est le visage du Gouvernement
allemand dans cette lutte. En outre, un groupe d’intérêt pour la
vie juive en Allemagne – Le Bernhard-Kreis – a été fondé en septembre
2020 par et pour le personnel parlementaire, tous groupes politiques
confondus. Ce groupe vise à lutter contre les préjugés.
51. Au Riksdag en Suède, le réseau «Mémoire de l’Holocauste»,
soutenu par tous les partis du parlement, organise une cérémonie
annuelle de commémoration le 27 janvier et organise des visites
de camps de concentration.
52. En Suisse, le groupe parlementaire contre le racisme et la
xénophobie a été créé en 1992 et s’occupe de la lutte contre l’antisémitisme
au niveau parlementaire. En outre, il existe un comité fédéral indépendant contre
le racisme.
53. L’Assemblée parlementaire a organisé le 27 janvier 2022 un
événement solennel dans son hémicycle sur le thème «Témoignage,
mémoire, enseignement, histoire: transmettre la Shoah aux générations
futures», à l’occasion de la Journée internationale de commémoration
en mémoire des victimes de l’Holocauste.
54. La réponse parlementaire à l’antisémitisme est cruciale. Les
développements récents montrant l’action et l’intérêt des parlementaires
pour la lutte contre l’antisémitisme sont des étapes encourageantes.
L’Alliance parlementaire contre la haine pourrait aider les membres
à accroître leurs efforts pour prévenir et combattre l’antisémitisme.
8. Faciliter
la vie des communautés juives, assurer la sécurité et la protection
des droits humains des personnes juives en Europe
55. Il est primordial de favoriser
une vie juive diverse et dynamique, d’assurer la sécurité et la
protection des personnes de confession juive et cela devrait relever
de la responsabilité des États. Dans certains États membres du Conseil
de l’Europe, les enfants de confession juive sont scolarisés dans
des écoles privées juives, payées par leurs parents et les communautés,
qui estiment leur fournir un environnement plus sûr. Un nombre considérable
de familles juives ont quitté l’Europe ou envisagent de le faire
pour trouver la sécurité en Israël, au Canada ou aux États-Unis.
Au cours de notre rencontre, le rabbin Baker a souligné que certains membres
des communautés juives ne souhaitaient pas porter de symboles religieux
visibles par crainte de l'antisémitisme
. L’antisémitisme menace
la stabilité des sociétés et empoisonne les démocraties.
56. La stratégie européenne de lutte contre l’antisémitisme et
de soutien à la vie juive
,
fondée sur les données et les preuves collectées par la FRA en 2018
et 2019
, indique que «44 % des
jeunes Européens juifs ont été victimes de harcèlement antisémite».
Elle indique également que «71 % des Juifs qui portent ou affichent
des signes susceptibles de les identifier comme juifs évitent de
le faire au moins occasionnellement», que «38 % des Juifs ont envisagé
d’émigrer car ils ne se sentaient pas en sécurité en tant que Juifs
en Europe» et qu’«un tiers (34 %) des Juifs évitent de participer
à des manifestations juives ou de visiter des sites juifs au moins
occasionnellement car ils ne se sentiraient pas en sécurité sur
place ou lorsqu’ils s’y rendent ». La stratégie fait du soutien
à la vie juive et de la protection des communautés juives une priorité.
Elle invite les États membres de l’Union européenne à adopter des
stratégies ou plans d’action nationaux pour lutter contre l’antisémitisme
et à nommer des coordinateurs et coordinatrices nationaux chargés
de les mettre en œuvre. La stratégie repose sur trois piliers: prévention
de toutes les formes d’antisémitisme et lutte contre celles-ci ; protection
et soutien de la vie juive; éducation, recherche et mémoire de la
Shoah. Elle comporte aussi une dimension extérieure. Elle prévoit
par ailleurs la création d’un pôle de recherche européen sur la
mémoire de la Shoah. En novembre 2021, 13 États membres de l’Union
européenne ont adopté à ce jour leur stratégie nationale sur la
lutte contre l’antisémitisme et sa prévention, un certain nombre
d'autres États membres étant également en train d'élaborer leurs
stratégies ou leurs plans d'action
.
57. Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 6 décembre 2018,
la «Déclaration du Conseil sur la lutte contre l’antisémitisme et
la mise en place d’une approche commune en matière de sécurité afin
de mieux protéger les communautés et institutions juives en Europe»,
qui sert de document de référence à l’Union européenne dans la lutte
contre l’antisémitisme. Il a aussi adopté le 2 décembre 2020 une
Déclaration sur l’intégration de la lutte contre l’antisémitisme
dans tous les domaines d’action et des conclusions sur la lutte contre
le racisme et l’antisémitisme le 4 mars 2022
.
58. Lors de la Conférence de haut niveau sur la protection contre
la discrimination raciale et l’intolérance qui lui est associée
organisée par la présidence portugaise de l’Union européenne le
20 avril 2021, Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations
Unies aux droits de l’homme, a fait savoir que l’antisémitisme représentait
une menace pour la société dans son ensemble. Elle a fait part de
ses inquiétudes quant à «l’augmentation de l’antisémitisme et de
l’islamophobie en Europe en 2020» et a réaffirmé l’importance de
lutter contre ses causes profondes. Il incombe aux États de lutter
contre l’antisémitisme.
59. Pour combattre l’antisémitisme, il faut aussi mieux connaitre
la diversité de la vie actuelle et du patrimoine juifs. Les lacunes
en matière de connaissances de l’Holocauste et de compréhension
de la judéité et de la vie juive actuelles doivent être comblées.
Il est essentiel de soutenir la vie des communautés juives – ce
qui comprend la langue, l’éducation, l’architecture, les sports,
les bibliothèques, les institutions religieuses et culturelles,
les restaurants et supermarchés kasher, l’entretien des cimetières
et bien d’autres actions, comme d’éduquer à la Shoah. L’UNESCO élabore
actuellement, en coopération avec le University College of London,
une formation en ligne destinée aux enseignant·e·s sur les moyens
de lutter contre l’antisémitisme, qui devrait bientôt être accessible.
Donner aux enseignant·e·s les moyens de prévenir et de combattre l’antisémitisme
devrait devenir une priorité.
60. Lors du Forum de Malmö, Ursula von der Leyen, Présidente de
la Commission européenne, a annoncé que les villes aspirant à devenir
des capitales européennes de la culture devraient inclure des activités
visant à favoriser la vie juive. «L’Europe ne peut prospérer que
si les communautés juives prospèrent également».
61. Le Portugal a approuvé un plan national contre le racisme
et la discrimination, qui tient compte des actions de l’IHRA. Le
13 mai 2021, le Gouvernement roumain a approuvé une stratégie nationale
pour prévenir et combattre l’antisémitisme, la xénophobie, la radicalisation
et les discours de haine. Il a également nommé un représentant spécial
chargé de promouvoir des politiques de mémoire combattant l’antisémitisme
et la xénophobie: l’ambassadeur Victor Micula. J’ai eu un entretien
intéressant avec ce dernier sur la mise en oeuvre de la stratégie
nationale. Celle-ci vise à assurer la sécurité physique de groupes
que nous pourrions considérer comme étant à risque de victimisation
par la haine, à accroître la résilience de la société roumaine à
l’antisémitisme, à la radicalisation et au discours de haine, et
à contribuer aux efforts internationaux de lutte contre l’antisémitisme.
Le plan d’action national actuel prévoit 36 actions. Un comité interministériel
surveille la mise en œuvre de la stratégie. L’une des priorités
porte sur le développement de méthodes de signalement des actes
antisémites. Victor Micula a indiqué que la majorité des Roumain·e·s
ne se rendent pas compte de la recrudescence du discours antisémite,
et qu’il faut leur donner les moyens de le repérer. Il pense qu’il faudrait
faire mieux percevoir à la société roumaine les dangers de l’antisémitisme.
62. Felix Klein, nommé pour un mandat de 3 ans afin de coordonner
les actions contre l’antisémitisme, m’a transmis des informations
sur la mise en œuvre du plan d’action allemand contre l’antisémitisme.
Il a souligné l’importance d’avoir des commissaires luttant contre
l’antisémitisme dans les structures locales. La formation des avocat·e·s
a été une autre mesure importante mise en avant. Il est obligatoire
pour les étudiant·e·s en droit d’étudier le fonctionnement du système
juridique sous le régime nazi. Une action ciblée avec les ministères
de l’Éducation est également importante. Les 16 ministres régionaux
de l’éducation ont signé une déclaration sur l’étude de la lutte
contre l’antisémitisme à l’école. M. Klein a recommandé de mettre
en place un système de signalement des incidents antisémites à l’école.
La formation des enseignant·e·s à la lutte contre l’antisémitisme
est également cruciale et du matériel pédagogique est en cours de
préparation. M. Klein a souligné que «nous devons combattre l’antisémitisme
en tant que société». Une législation clé a été adoptée pour lutter
contre l’antisémitisme et les discours de haine sur internet. Les
plateformes internet sont désormais tenues de supprimer les contenus
antisémites et de signaler l’adresse IP des contrevenant·e·s à la
police dans les 24 heures.
63. Il y a eu des cas de banalisation de l’Holocauste en Allemagne,
comme ailleurs en Europe. Les services de renseignement ont introduit
une nouvelle catégorie: «délégitimation de l’État». L’interdiction
de l’utilisation des étoiles jaunes fait l’objet d’ordonnances de
police (Ordnungsrecht). Les principales recommandations de M. Klein
comprennent une approche stratégique de la lutte contre l’antisémitisme,
la création de commissaires chargé·e·s de combattre l’antisémitisme
et la collecte systématique de données.
64. Le président du Congrès juif mondial, Ronald Lauder, estime
qu’environ 70 % des écoliers et écolières en Europe ne connaissent
pas l’Holocauste. Ces estimations sont conformes à l'enquête Eurobaromètre
de 2019 sur les perceptions de l'antisémitisme
. L’enseignement
de la Shoah est essentiel pour empêcher le développement de l’antisémitisme.
Les déclarations sont importantes mais peuvent ne pas être suffisantes. C’est
pourquoi nous devons soutenir le travail de l’Observatoire de l’enseignement
de l’histoire du Conseil de l’Europe. Si cet enseignement reste
incomplet, des générations ne sauront rien de la Shoah. Le Conseil
de l’Europe accorde une attention accrue à la mémoire de l’Holocauste.
Le Comité des Ministres a adopté le 17 mars 2022 une
Recommandation
relative à la transmission de la mémoire de la Shoah et à la prévention des
crimes contre l’humanité .
65. Les élèves croates reçoivent des informations sur l’Holocauste
à l’école dans le cadre des cours d’histoire. Le ministère des Sciences,
de l’Éducation et des Sports élabore des lignes directrices pour l’enseignement
de l’Holocauste, et en décembre 2019, «les recommandations pour
l’enseignement et l’apprentissage de l’Holocauste ont été adoptées
pour soutenir les décideurs et décideuses de l’éducation et les
enseignant·e·s en vue de développer les connaissances sur l’Holocauste,
d’assurer une bonne compréhension et des connaissances individuelles
justes et de sensibiliser aux conséquences possibles de l’antisémitisme,
de promouvoir l’esprit critique et la réflexion sur l’Holocauste,
y compris la capacité de rejeter le négationnisme et la déformation
des faits de l’Holocauste, de contribuer à l’éducation aux droits
humains et de prévenir le génocide»
.
66. L’Institut international pour la mémoire de la Shoah «Yad
Vashem» à Jérusalem (Israël) organise, en coopération avec le ministère
de l’Éducation et des Sciences de Lettonie, des cours annuels de perfectionnement
sur l’enseignement de la Shoah, l’antisémitisme et la discrimination
en Lettonie. L’ambassade d’Israël et la communauté juive du pays
participent également à l’organisation de ces cours.
67. L’Institut national d’éducation slovène envoie un message
annuel aux élèves, aux lycéen·ne·s et aux étudiant·e·s universitaires
pour marquer la Journée internationale de commémoration de l’Holocauste,
le 27 janvier.
68. Le Gouvernement norvégien dispose d’un plan d’action contre
l’antisémitisme, qui fait partie de son travail global sur l’inclusion
et contre la discrimination et les discours de haine. Ce plan d’action
comprend: des projets spécifiques pour les écoles ; des subventions
pour la formation des enseignant·e·s ; un soutien aux musées juifs
d’Oslo et de Trondheim et au festival de la culture juive de Trondheim ;
un soutien à la recherche, y compris des postes de doctorant·e·s
et de post-doctorant·e·s sur la prévention des préjugés hostiles
aux groupes dans les écoles et des recherches générales sur la vie
juive en Norvège. En 2018, le gouvernement a également fourni des
fonds pour l’expansion du Centre norvégien d’études sur l’Holocauste
et les minorités à Oslo. Sur le plan pratique, des membres de la
communauté juive font visiter la synagogue d’Oslo deux ou trois
fois par jour, certain·e·s se rendent dans les écoles en éclaireurs
ou éclaireuses pour y tenir des discussions. Petra Kahn Nord, représentante
du Congrès juif mondial en Norvège, m’a dit que la rencontre de «vraies
personnes juives» était le moyen le plus efficace de lutter contre
l’antisémitisme. Certaines actions visent à ouvrir à la communauté
juive un espace au sein de la société. Le pays agit au niveau international pour
prévenir et combattre l’antisémitisme et préserver le patrimoine
culturel juif d’Europe.
69. Les visites des mémoriaux de l’Holocauste, des musées juifs,
d’Auschwitz et d’autres anciens camps de concentration doivent être
davantage encouragées, et offrir la possibilité de discuter avec
des historien·ne·s et des survivant·e·s, tant que cela est encore
possible. L’Union européenne prévoit de mettre en place un réseau
de jeunes ambassadeurs et ambassadrices sur la mémoire de l’Holocauste,
pour raconter l’histoire des grands-parents et des parents et montrer
que l'antisémitisme sous le régime national-socialiste ne se manifestait
pas seulement dans les camps de concentration, mais presque partout.
Ce réseau doit être fortement soutenu.
70. La collecte de données sur les actes antisémites est cruciale
pour adapter les réponses. La Fédération des communautés juives
d’Espagne et le Mouvement contre l’intolérance ont créé un «Observatoire
de l’antisémitisme» en 2009. Cet observatoire enregistre les actes
de violence physique ou verbale, les attaques contre les biens,
les graffitis antisémites dans les espaces publics, les actes antisémites
dans les médias, sur internet ou dans les médias sociaux
. Le Gouvernement espagnol coopère
également avec des fondations juives pour proposer aux étudiant·e·s
et aux enseignant·e·s des projets éducatifs sur l’Holocauste.
71. La Bulgarie, avec l’aide de la FRA et de l’OSCE/BIDDH, a mené
plusieurs sessions de formation au cours de la période 2018-2019
à l’intention des forces de l’ordre et des organismes chargés de
l’application de la loi dans le pays, en vue d’améliorer le processus
d’enregistrement, de stockage et de traitement des données sur les
crimes de haine et d’accroître la détection, la poursuite et la
sanction effectives des crimes de haine, y compris les actes antisémites.
72. L’abattage rituel et autres pratiques traditionnelles n’ont
pas été abordées dans la préparation de ce rapport ; un débat de
l’Assemblée à ce sujet pourrait se révéler utile à un stade ultérieur.
9. Lutter
contre l’antisémitisme dans le sport
73. Des actes antisémites et racistes
sont régulièrement signalés dans le domaine du sport, et en particulier le
football, où l’on entend encore parfois des propos ou des chants
antisémites, et où des drapeaux ou d’autres gestes de haine sont
encore visibles. Le sport a un rôle essentiel à jouer dans la promotion
des valeurs du Conseil de l’Europe et devrait être un vecteur de
respect, d’attitudes positives et d’inclusion. Il peut contribuer à
donner le ton en matière de lutte contre l’antisémitisme, le racisme
et l’intolérance.
74. L’ECRI recommande aux autorités de continuer à poursuivre
les auteurs d’actes antisémites et de discours haineux dans les
stades de football pour faire en sorte que la législation sur le
discours de haine soit connue et respectée. Les autorités devraient
aussi soutenir le dialogue entre les clubs de football concernés et
la société civile pour prévenir de manière efficace les chants et
les comportements racistes et en particulier antisémites. L’ECRI
a recommandé aux autorités polonaises d’encourager la Fédération
polonaise de football à élaborer un code d’éthique traitant notamment
de la question du racisme des supporters et d’intensifier leurs efforts
de sensibilisation aux dangers du racisme dans le sport
.
75. J’ai participé à une conférence internationale sur le football
et l’antisémitisme dans ma circonscription à Vienne en novembre
2021. Les clubs de football ont souscrit à la définition opérationnelle
de l’IHRA et échangé sur les initiatives réussies de lutte contre
l’antisémitisme. À l’occasion de cette conférence, la ligue nationale de
football et l’équipe nationale de football d’Autriche ont souscrit
à la définition opérationnelle de l’IHRA sur l’antisémitisme qu’elles
utiliseront dans le cadre de leurs futurs travaux de lutte contre
l’antisémitisme. Au cours d’un débat auquel j’ai participé, les
intervenants ont souligné l’importance du sport, et en particulier
du football, pour diffuser auprès du public des messages qui défendent
clairement les droits humains et le respect des autres. L’expérience
des clubs de football de Chelsea et du Borussia Dortmund montre
que les stars du football qui s’expriment contre l’antisémitisme
et l’intolérance exercent une influence considérable et peuvent
motiver leurs supporters à repenser leurs chants, leurs préjugés
et leur attitude.
76. Lord John Mann, membre de la Chambre des Lords et conseiller
du gouvernement sur l’antisémitisme, élabore actuellement un guide
de formation sur la lutte contre l’antisémitisme dans le sport.
Je l’ai rencontré afin de discuter de ce projet. Des clubs de football
comme le Borussia Dortmund ont été des fers de lance avec leurs
actions contre l’antisémitisme (ainsi que d’autres formes de racisme
mais aussi de sexisme et de violence fondée sur le genre).
77. La lutte contre l’antisémitisme dans le sport est l’une des
priorités de la Bulgarie dans sa lutte contre l’antisémitisme. Le
pays a l’intention de faire adopter et appliquer par les clubs sportifs
la définition opérationnelle de l’IHRA sur l’antisémitisme en 2022
(engagement formulé à Malmö). Le club hongrois Ferencvárosi Torna
a également rejoint l’initiative de l’IHRA et a adopté sa définition
opérationnelle de l’antisémitisme. J’ai reçu des informations sur
le «tournoi de football de la tolérance» , organisé depuis 2015 par
la Fédération des communautés juives hongroises (MAZSIHISZ) entre
des enfants chrétiens et des enfants juifs âgés de moins de 14 ans,
et sur les activités prévues pour les familles.
78. Avec le soutien de la Fédération autrichienne de football
et de la Ligue autrichienne de football, l’initiative Fairplay gère
le bureau de signalement «Signalez la discrimination dans le football!».
Les cas suspects de racisme/antisémitisme dans le football autrichien
sont documentés et contrôlés. Les supporters et les visiteurs et
visiteuses des stades peuvent signaler les actes antisémites. Lorsque
des chants antisémites sont entendus, Fairplay peut contacter la
Fédération autrichienne de football qui peut alors décider de sensibiliser les
groupes de supporters à la question de l’antisémitisme.
79. En Pologne, la campagne
Let’s Kick
Racism out of Stadiums («Chassons le racisme des stades»)
est menée par l’association Never Again («Plus jamais») depuis 1996.
Elle vise à lutter contre le racisme et la discrimination dans les
stades. Au début de l’année 2021, un grand club sportif de Stockholm,
le Djurgården, a été critiqué parce que l’un de ses entraîneurs
avait fait un commentaire inapproprié. L’événement a attiré l’attention
des médias et le Congrès juif européen s’est adressé directement
au club. À la suite du scandale, Djurgården a décidé d’adopter la
définition opérationnelle de l’antisémitisme de l’IHRA. Il s’est
engagé à travailler plus activement pour combattre l’antisémitisme
.
En Suisse, le SLR (service dédié à la lutte contre le racisme) a
récemment décidé de soutenir l’initiative «Sportler*innen für Offenheit
und Vielfalt (VSOV)». L’objectif de cette organisation est d’organiser
des rencontres entre équipes sportives et de lutter contre l’antisémitisme
et le racisme. L'arrêt des matches pendant lesquels il y a des manifestations
d'antisémitisme ou d'autres formes de haine pourrait contribuer
à sensibiliser à la nécessité de les combattre.
80. Il convient d'envisager des actions ciblées pour prévenir
et combattre l'antisémitisme dans le sport. L'adoption de codes
de conduite par les fédérations sportives, les campagnes ou événements
de sensibilisation lancés par les clubs et les sanctions pour les
discours de haine antisémite seraient tous utiles pour prévenir
et combattre l'antisémitisme dans le sport et auraient un écho au-delà
du monde du sport.
10. La
dimension de genre de l’antisémitisme
81. J’ai eu l’occasion de discuter
de la dimension de genre de l’antisémitisme avec Alina Bricman du
B’nai B’rith International. Cette dimension de genre peut prendre
différentes formes: formes spécifiques de discrimination, violence
combinée à un discours de haine antisémite contre les femmes juives
et antisémitisme de groupes qui sont aussi profondément antisexistes
et antiféministes. On peut trouver des appels à la violence fondée
sur le genre, y compris des commentaires pro-viol, sur des pages
web ou des plateformes antisémites. Il pourrait également y avoir
des liens avec le déni de la réalité du changement climatique.
82. Selon Karin Stögner, l’antisémitisme mondial est à peine inclus
dans l’analyse intersectionnelle, car les personnes de confession
juive sont souvent considérées comme privilégiées et blanches. Il
existe également des stéréotypes sur les femmes juives et leur statut.
Plusieurs membres du parlement ont été la cible d’attaques antisémites
liées au genre.
83. Il existe à ce jour peu de recherches sur la dimension de
genre de l’antisémitisme
, mais ce sujet mériterait d’être
approfondi, de même que celui de la haine et de la discrimination
à l’égard des personnes juives LGBTI et personnes juives de couleur.
Il serait pertinent d'examiner la question de l'antisémitisme dirigé contre
les femmes et émanant de femmes. Le fait d'être une femme pourrait
être une circonstance atténuante. La lutte contre l’antisémitisme
et la discrimination en général mérite une approche inclusive et
intersectionnelle. La FRA a constaté à certains endroits, dans l’Union
européenne, une intersectionnalité entre les groupes minoritaires
russes et les groupes juifs ; ce point pourrait aussi être étudié
plus en détail. Les identités sont multiples et doivent être reconnues.
11. Conclusions
84. L’antisémitisme nous concerne
toutes et tous: il s’agit d’une question de droits humains, et c’est
dans ce cadre qu’il doit être traité. La prévention et la lutte
contre l’antisémitisme exigent des réponses multiples: engagement
international fort, législation claire sur le discours de haine,
actions de prévention de l’antisémitisme aux niveaux national et
local, investissement dans l’éducation et programmes de sensibilisation des
jeunes. Une attention particulière doit être accordée à la lutte
contre l’antisémitisme dans la vie politique, y compris au sein
des partis. On pourrait envisager que soient créés des groupes parlementaires
sur la lutte contre toutes les formes de haine au sein des parlements
nationaux.
85. La sécurité des communautés juives relève de la responsabilité
de l’État. Le fait que des personnes juives quittent l’Europe ou
envisagent de le faire montre que notre continent a manqué à les
protéger et à soutenir la vie juive. Il faut faire clairement comprendre
que les communautés juives ont toujours été et sont chez elles en
Europe.
86. À l’instar de ce que demande l’Union européenne à ses États
membres dans sa stratégie, je pense qu’il serait primordial de demander
aux 46 États membres du Conseil de l’Europe d’adopter et de mettre
en œuvre une stratégie ou un plan d’action national de prévention
et de lutte contre l’antisémitisme, et de promotion de la vie juive,
ou de prévoir dans leurs plans généraux de lutte contre le racisme
une partie significative consacrée à la lutte contre l’antisémitisme,
avec un financement suffisant affecté à sa mise en œuvre. Ces plans
d’action ou stratégies devraient être préparés en concertation avec
les communautés juives et couvrir la prévention, la protection et
la réparation. Je pense qu’ils devraient aussi comporter une partie
sur le soutien de la vie juive. La nomination d’’envoyé·e·s spéciaux/spéciales
ou de coordinateurs et coordinatrices chargé·e·s de la lutte contre
l’antisémitisme pourrait être encouragée.
87. La rhétorique antisémite est de plus en plus utilisée en temps
de crise, de pandémie ou de guerre. Comme l’a observé Katharina
von Schnurbein, l’antisémitisme mute en fonction de son contexte.
Les communautés juives sont prises comme bouc émissaire pour tout
problème qui se présente. Le discours de haine antisémite est très
courant, y compris en ligne, et des mesures fortes doivent être
prises pour freiner sa diffusion. Les réseaux sociaux devraient
supprimer les contenus antisémites, et des sanctions, y compris
des amendes, devraient leur être infligées en cas de non-respect.
Les promesses des plateformes de réseaux sociaux de suppression
volontaire des propos haineux se sont révélées insuffisantes. Un
équilibre entre modération du contenu et liberté d’expression doit
être trouvé. J’attends avec intérêt la future recommandation du
Comité des Ministres sur une approche globale de la lutte contre
le discours de haine dans le cadre des droits humains.
88. La négation et la distorsion de l’Holocauste visent à nier
une partie de l’histoire européenne. Elles peuvent également servir
des intentions politiques. La négation, la banalisation, la justification
ou l’éloge de l’Holocauste devraient être érigés en infractions
pénales. L’enseignement de l’histoire doit couvrir l’Holocauste et
faire échec à sa banalisation et au révisionnisme. Les programmes
éducatifs spécifiques et les campagnes de sensibilisation sont de
bons instruments de prévention de l’antisémitisme. Le cas échéant,
des crédits suffisants doivent être alloués à leur création et à
leur mise en œuvre. Il faut trouver de nouvelles façons de présenter
l’histoire de l’Holocauste s’il n’y a plus de survivant·e·s pour
raconter leur vécu. L’Assemblée devrait en outre être encouragée
à poursuivre ses actions annuelles sur la mémoire de l’Holocauste.
89. Pour concevoir des réponses adaptées, il est essentiel de
collecter des données sur les actes antisémites et de procéder à
des recherches sur les causes profondes de l’antisémitisme. Faire
en sorte que les forces de police inspirent une plus grande confiance
favoriserait indéniablement les signalements. Il est aussi vivement
recommandé de former la police, les procureurs et les juges à la
lutte contre l’antisémitisme et à sa prévention. Ces formations
pourraient s’étendre au renforcement du soutien aux victimes d’actes antisémites.
90. Mendel Samama, rabbin de Strasbourg, m’a dit lors de notre
rencontre: «on ne saurait aimer ce que l’on ne connaît pas, mais
on peut le haïr». Il est indispensable de veiller à ce qu’existent
des occasions de rencontres et d’échanges. Des projets comme celui
des éclaireurs norvégiens pourraient inspirer d’autres pays.
91. L’Union européenne appelle ses États membres à approuver et
à utiliser la définition opérationnelle de l’antisémitisme de l’IHRA.
Lors de notre audition, le directeur de la FRA, Michael O’Flaherty,
a souligné l’importance d’une définition commune de l’antisémitisme.
Pour lui, «la définition opérationnelle de l’IHRA est précieuse,
et opérationnelle en raison de son caractère pratique». L’ECRI a
elle aussi adopté un avis sur cette définition, dont elle estime
qu’elle «repose sur une notion qui englobe aussi diverses formes
contemporaines d’antisémitisme sans essayer de délégitimer les critiques
adressées à Israël dans la mesure où ce pays doit être traité comme
n’importe quel autre État». L’ECRI encourage les États membres du
Conseil de l’Europe à prendre en compte la définition de l’IHRA,
et je propose de l’utiliser, à la lumière de l’avis de l’ECRI.
92. Il est essentiel de sensibiliser la population à l’urgente
nécessité de la prévention de l’antisémitisme, non pas sur le plan
purement théorique mais à un niveau pratique. Le Secrétaire général
des Nations Unies, António Guterres, a déclaré au Forum de Malmö
d’octobre 2021 qu’une société qui ne fait pas de place à la diversité
n’en fait pas non plus à l’humanité. Prévenir et combattre l’antisémitisme
est un engagement à ne pas laisser notre humanité aller à la dérive.