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Rapport | Doc. 15591 | 05 juillet 2022

Traiter la question des combattants étrangers de Daech et de leurs familles qui rentrent de Syrie et d’ailleurs dans les États membres du Conseil de l’Europe

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Pieter OMTZIGT, Pays-Bas, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14878, Renvoi 4452 du 24 juin 2019. 2022 - Quatrième partie de session

Résumé

Des individus qui agissent au nom de Daech ont perpétré des actes de génocide et d'autres crimes graves au regard du droit international. Cela a été reconnu par plusieurs parlements nationaux et tribunaux pénaux des États membres du Conseil de l’Europe.

Le maintien en détention et les poursuites judiciaires engagées à l’encontre des combattants étrangers de Daech en Syrie ou en Irak ne sont pas une option. Ces combattants sont déchus de leur droit à la vie familiale et constituent une menace pour la société. La meilleure solution serait de les poursuivre devant un tribunal international. Les États membres devraient donner la priorité à la création d'un tribunal international spécial ou d'un tribunal hybride compétent pour les crimes internationaux commis par les combattants étrangers de Daech.

En attendant la mise en place d'un tel tribunal, les poursuites judiciaires engagées à l’encontre des combattants étrangers dans leur État de nationalité ou dans d'autres États membres sont l'alternative la plus évidente. Dans ce contexte, les États devraient donner la priorité aux poursuites cumulées pour terrorisme et crimes internationaux, y compris le génocide en ce qui concerne les crimes commis contre les Yézidis et d'autres groupes. La commission des questions juridiques et des droits de l'homme propose plusieurs recommandations aux États membres dans le domaine des poursuites judiciaires.

La commission invite également les États à envisager de saisir la Cour internationale de Justice de procédures au titre de la Convention sur le génocide de 1948, pour défaut de prévention et de répression des actes de génocide commis par Daech.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 23 juin
2022.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle sa Résolution 2091 (2016) «Les combattants étrangers en Syrie et en Irak» et sa Résolution 2190 (2017) «Poursuivre et punir les crimes contre l’humanité, voire l’éventuel génocide commis par Daech». Elle réitère sa position selon laquelle «des individus agissant au nom de [...] Daech [...] ont commis des actes de génocide et d’autres crimes graves réprimés par le droit international» et «[qu’i]l existe des preuves concluantes indiquant que Daech a commis contre des membres des minorités yézidie, chrétienne et musulmane non sunnite des actes de génocide». Nombre de ces actes, tels que la réduction en esclavage, l'esclavage sexuel, le viol, l'emprisonnement, la torture et le meurtre, constituent également des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.
2. Elle note que la Commission d'enquête des Nations Unies sur la Syrie en 2016 et l'Équipe d'enquête des Nations Unies chargée d’amener Daech/l’État islamique en Irak et au Levant à répondre de ses crimes (UNITAD) en 2021 ont toutes deux conclu que Daech avait commis un génocide contre les Yézidis. L'UNITAD a également recueilli des preuves de crimes commis contre d'autres groupes, comme les chiites, les chrétiens et d'autres communautés.
3. De nombreux parlements nationaux ont également condamné officiellement les actes de Daech en les qualifiant de génocide ou de crimes contre l'humanité. Plusieurs juridictions pénales d'États membres du Conseil de l'Europe ont condamné des membres de Daech pour des infractions liées au terrorisme, des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité commis en Syrie et en Irak. En 2021, un tribunal allemand a condamné un membre irakien de Daech pour génocide, crime contre l'humanité et crime de guerre, pour avoir menotté une fillette yézidie de cinq ans à une fenêtre sous une chaleur torride et l'avoir laissée agoniser sous les yeux de sa mère, dans l’intention d’éliminer la minorité religieuse yézidie. Pour la première fois au monde, un tribunal a qualifié de génocide un crime commis contre une victime yézidie.
4. L'Assemblée rappelle également que la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide (Convention sur le génocide) de 1948 fait obligation générale aux États de prévenir et de punir les actes de génocide, y compris la complicité dans le génocide. Selon la Cour internationale de Justice, cette obligation de prévention impose à un État de mettre en œuvre tous les moyens dont il dispose raisonnablement, compte tenu de sa capacité d'influencer effectivement l’action des personnes susceptibles de commettre, ou qui sont en train de commettre, un génocide. Les États ont donc l'obligation juridique de prévenir le génocide au moment même où ils apprennent ou auraient dû normalement apprendre l'existence d'un risque sérieux de génocide, par exemple en empêchant le voyage, le recrutement et le financement des combattants terroristes étrangers qui ont rejoint Daech et qui étaient susceptibles de participer à la commission d'un génocide, et en engageant des poursuites effectives contre les auteurs de ces crimes, afin de les dissuader d’en commettre d'autres.
5. Depuis le début du conflit armé syrien en 2011, des milliers d'étrangers du monde entier ont rejoint Daech en Syrie et en Irak, y compris avec leur famille. Un nombre considérable de citoyens européens se trouvaient parmi eux. Face au phénomène des combattants terroristes étrangers, la Résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité des Nations Unies a établi et renforcé les obligations internationales visant à prévenir et à incriminer le voyage, le recrutement et le financement des combattants terroristes étrangers. Elle a également appelé les États à élaborer et à mettre en œuvre des stratégies de poursuites à l’encontre des combattants terroristes étrangers de retour dans leur pays de départ, ainsi que de réinsertion et de réintégration de ces derniers.
6. Le Conseil de l'Europe a réagi en adoptant le Protocole additionnel de 2015 à la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 217) et est ainsi devenu la première organisation internationale à mettre en place un instrument juridique régional pour mettre en œuvre les obligations imposées par les Nations Unies à l'égard des combattants terroristes étrangers. Toutefois, ce protocole, qui est entré en vigueur le 1er juillet 2017, a uniquement été ratifié par 23 États membres à ce jour.
7. Bien que certains combattants étrangers de Daech soient rentrés volontairement dans leur pays en Europe ou en Asie centrale, des milliers d'entre eux, y compris des citoyens européens et les membres de leur famille qui les accompagnent, sont restés en Irak et en Syrie. Nombre d'entre eux sont actuellement détenus dans des camps et des prisons au nord-est de la Syrie, sous l'autorité de l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie, et en Irak. En Syrie, il semblerait que les tribunaux de l'administration autonome ne jugent que les détenus syriens de Daech, mais pas les ressortissants étrangers (irakiens et européens). Les personnes internées dans les camps, notamment les enfants, vivent dans des conditions indignes et sont exposées à des violences, des abus sexuels et une radicalisation (accrue). Les personnes détenues en Irak ont peu de chances de bénéficier d'un procès équitable conforme aux normes internationales en matière de droits de l'homme et risquent d'être condamnées à la peine de mort. En outre, l’Irak n'a pas encore incorporé les crimes visés par le droit international dans sa législation interne; les tribunaux irakiens peuvent par conséquent poursuivre les combattants supposés de Daech uniquement dans le cadre de la législation antiterroriste.
8. L'Assemblée considère que le maintien en détention des combattants étrangers de Daech en Syrie ou en Irak n'est pas tenable. L'engagement de poursuites à leur encontre en Syrie ou en Irak ne représente pas à l'heure actuelle une solution adéquate et conforme aux droits de l'homme. Il peut également être contre-productif sur le plan de la sécurité, compte tenu du risque de leur radicalisation accrue par Daech dans les camps et de la fréquence des évasions, ce qui pourrait entraîner l'augmentation du nombre de combattants étrangers de retour en Europe. En conséquence, il convient que les États membres du Conseil de l'Europe reconsidèrent leur position selon laquelle leurs ressortissants combattants de Daech doivent être jugés en priorité dans les pays où les crimes ont été commis.
9. L'Assemblée est convaincue que la meilleure solution consisterait à engager des poursuites à l'encontre des combattants étrangers de Daech devant un tribunal international, compte tenu de la nature internationale des crimes commis, y compris le génocide, et également du fait que les combattants de Daech proviennent de plus de 100 pays. Ni la Syrie ni l’Irak ne sont parties à la Cour pénale internationale (CPI) et la procureure de la CPI a refusé en 2015 de procéder à un examen préliminaire des infractions qui auraient été commises par des ressortissants d'États parties au Statut de Rome de la CPI. Une proposition de création d’un tribunal hybride au sein des juridictions nationales irakiennes, avec l'assistance d'experts internationaux, a été formulée dans la Résolution 2190 (2017) de l’Assemblée, mais elle n'a pas encore reçu le soutien politique nécessaire des autorités irakiennes. L'Assemblée regrette donc qu'il n'existe toujours pas de mécanisme juridictionnel international ou hybride capable de juger les combattants de Daech pour les crimes visés par le droit international commis en Syrie et en Irak.
10. En attendant la mise en place d'un tribunal international ou hybride, l'engagement de poursuites à l'encontre des combattants étrangers de Daech dans l'État dont ils sont ressortissants, ou dans d'autres États membres qui prévoient une compétence universelle, est l'alternative la plus évidente pour faire en sorte qu'ils soient poursuivis et répondent de leurs crimes. L'Assemblée reconnaît toutefois les difficultés auxquelles les autorités nationales sont confrontées, ainsi que l'existence de préoccupations légitimes de leurs citoyens en matière de sécurité que suscite le retour d'individus qui ont commis des crimes odieux et rejoint un groupe terroriste engagé dans un conflit armé à l'étranger.
11. L'Assemblée considère que les combattants étrangers qui sont soupçonnés d'avoir pris part à un génocide ou à d'autres crimes graves réprimés par le droit international constituent une menace sérieuse pour la société. Ils ont été poussés par une idéologie à commettre de tels crimes, notamment le génocide des Yézidis, et cette idéologie ne disparaîtra pas d'elle-même. L'Assemblée estime que, compte tenu de la menace permanente que représentent les combattants de Daech, il est primordial de considérer qu'ils sont déchus de leur droit à la vie familiale consacré à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5). En outre, le fait de les séparer de leurs enfants peut également s'avérer nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Les États devraient donc envisager de rapatrier les enfants des combattants étrangers dans l'État dont ils sont ressortissants pour qu'ils vivent avec les membres de leur famille, sans rapatrier leurs parents.
12. L'Assemblée est extrêmement préoccupée par la situation et les conditions effroyables dans lesquelles vivent encore les survivants des crimes de Daech en Irak ou en Syrie, qui se trouvent bien souvent dans des camps et sans possibilité de rentrer en toute sécurité dans leur région d'origine et leur foyer. Bon nombre d'entre eux, notamment des femmes et des enfants yézidis, sont toujours portés disparus.
13. Au vu de ces éléments, l'Assemblée appelle les États membres du Conseil de l'Europe:
13.1. à donner la priorité à la création d'un tribunal international spécial ou d'un tribunal hybride compétent pour juger les crimes visés par le droit international commis par les combattants étrangers de Daech, en contribuant activement à la création de ce tribunal au sein des Nations Unies ou d'autres organisations internationales;
13.2. en attendant la mise en place d'un tel tribunal, à donner la priorité à l'engagement par leurs juridictions nationales de poursuites à l'encontre des combattants et membres supposés de Daech qui relèvent de leur compétence ou de leur contrôle, en vertu du principe de la personnalité active (pour leurs ressortissants) ou de la compétence universelle;
13.3. à prévoir une compétence universelle pour les crimes internationaux visés par le Statut de Rome de la CPI et, si c'est déjà le cas, à étendre son application en ne limitant pas l'ouverture d'enquêtes préliminaires aux cas où les suspects se trouvent sur leur territoire, à l'exemple de l'Allemagne;
13.4. à donner la priorité, lorsque cela s'avère possible, à l'engagement de poursuites cumulées à l'encontre des combattants étrangers de Daech, aussi bien pour les infractions liées au terrorisme que pour les crimes visés par le droit international comme le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, en suivant l'exemple récent de l'Allemagne et des Pays-Bas et en tenant dûment compte de la gravité et de la nature différente des infractions commises;
13.5. s'agissant des crimes commis contre les Yézidis et les autres minorités concernées, à donner la priorité à la mise en accusation pour génocide, compte tenu de l'intention déclarée de Daech de détruire, en tout ou en partie, ces groupes, comme le souligne la Résolution 2190 (2017) de l’Assemblée;
13.6. à poursuivre, sans discrimination et en évitant les stéréotypes de genre, tous les combattants étrangers et membres de Daech, y compris les femmes, en tenant compte du rôle réel qu'ils ont pu jouer dans la commission des crimes, en les commettant, en les favorisant, en les facilitant ou en agissant en qualité de recruteurs ou de collecteurs de fonds;
13.7. lorsque des enfants sont soupçonnés d'avoir commis des actes criminels, à n'engager des poursuites qu'en vertu des normes internationalement admises en matière de justice pour mineurs et de procès équitable, conformément à la Résolution 2321 (2020) «Obligations internationales relatives au rapatriement des enfants des zones de guerre et de conflits» et aux Grands principes des Nations Unies concernant la protection, le rapatriement, les poursuites, la réadaptation et la réintégration des femmes et des enfants ayant des liens avec des groupes terroristes inscrits sur les listes dressées par les Nations Unies;
13.8. à mettre en place et à financer de manière adéquate, au sein du ministère public, des services répressifs et des services de coopération judiciaire, des unités ou des agents spécialisés dans l'engagement de poursuites à l'encontre des combattants terroristes étrangers;
13.9. à utiliser différents types de preuves, y compris les éléments de preuve recueillis sur internet et sur le champ de bataille, et à veiller à ce que ces preuves soient recevables pour permettre l'aboutissement des poursuites engagées à l'encontre des combattants terroristes de Daech, conformément à la Recommandation CM/Rec(2022)8 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur l’utilisation d’informations recueillies dans les zones de conflit comme preuves dans le cadre de procédures pénales relatives à des infractions terroristes, et dans le respect scrupuleux de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme;
13.10. à mieux utiliser les éléments de preuve recueillis par les mécanismes d'enquête des Nations Unies, tels que l'UNITAD et le Mécanisme international impartial et indépendant des Nations Unies pour la Syrie (IIIM), ainsi que par les organisations non gouvernementales qui documentent les atrocités commises en Irak et en Syrie, et à veiller à ce que ces éléments de preuve puissent être légalement utilisés dans le cadre des procédures pénales engagées devant leurs juridictions;
13.11. à contribuer à la collecte et à la préservation des preuves des crimes de Daech, notamment en versant des contributions volontaires, en détachant des experts nationaux et en signant des accords de coopération avec l'UNITAD et l’IIIM;
13.12. à utiliser pleinement les outils d'entraide judiciaire en vigueur entre les États dans le cadre des enquêtes et des procédures engagées à l'encontre des combattants étrangers de Daech, notamment en vertu des instruments internationaux pertinents, y compris du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne, par exemple la possibilité de mettre en place des équipes d'enquête conjointes comme celle qui a été créée en 2021 entre la France et la Suède pour épauler les procédures relatives aux crimes commis contre les Yézidis en Syrie et en Irak;
13.13. à tenir dûment compte des droits et des besoins des victimes et des témoins dans les procédures pénales engagées à l'encontre des combattants étrangers de Daech, notamment en prenant les mesures nécessaires pour entrer en contact avec les victimes et les communautés concernées, comme l'interprétation, la diffusion des audiences et la collaboration avec les organisations non gouvernementales qui les représentent;
13.14. dans la mesure où ils ne l'ont pas encore fait, à ratifier et à mettre pleinement en œuvre la Convention de 2005 du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 196) et son Protocole additionnel de 2015;
13.15. à élaborer et à mettre en œuvre des stratégies de réinsertion et de réintégration pour tous les combattants étrangers de Daech de retour et leurs familles, y compris, plus particulièrement, des programmes de déradicalisation spécialement conçus pour les enfants et les jeunes adultes. Ces programmes sont indispensables pour toutes les personnes et ne se substituent pas aux poursuites et aux sanctions;
13.16. à envisager de saisir la Cour internationale de Justice de procédures à l'encontre des États qui n'auraient pas prévenu et puni les actes de génocide commis par Daech, afin d'obliger ces États à rendre des comptes en vertu de la Convention sur le génocide;
13.17. à aider les autorités irakiennes, l'UNITAD et d'autres organisations à localiser les victimes disparues de Daech et à assurer le retour sûr et volontaire des survivants dans leur région d'origine.
14. L'Assemblée appelle également:
14.1. l’Irak à adopter sans plus tarder une législation relative aux crimes visés par le droit international, avec l'aide de l'UNITAD et des autres parties prenantes concernées, et à prendre une part active aux négociations en vue de créer un tribunal international spécial ou un tribunal hybride;
14.2. le procureur de la CPI à reconsidérer la décision de ne pas procéder à un examen préliminaire des crimes commis par les combattants étrangers de Daech qui sont ressortissants d'États parties au Statut de Rome de la CPI;
14.3. l'UNITAD et l'IIIM à poursuivre leur travail déterminant de collecte des éléments de preuve relatifs aux crimes pertinents commis par les membres de Daech en Irak et en Syrie et à communiquer dans la mesure du possible ces éléments de preuve aux juridictions nationales.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 23 juin 2022.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution... (2022) «Traiter la question des combattants étrangers de Daech et de leurs familles qui rentrent de Syrie et d’ailleurs dans les États membres du Conseil de l’Europe».
2. L'Assemblée rappelle son soutien à la Stratégie du Conseil de l’Europe contre le terrorisme (2018-2022), qui a abordé des questions telles que la collecte de preuves dans les zones de conflit à des fins de poursuites pénales, l’engagement de poursuites à l’encontre des combattants terroristes étrangers, la déradicalisation, le désengagement et la réinsertion sociale, ainsi que le rôle joué par les femmes et les enfants dans le terrorisme.
3. L'Assemblée se félicite de l'adoption par le Comité des Ministres de sa Recommandation CM/Rec(2022)8 aux États membres sur l’utilisation d’informations recueillies dans les zones de conflit comme preuves dans le cadre de procédures pénales relatives à des infractions terroristes.
4. L’Assemblée invite le Comité des Ministres:
4.1. à élaborer une recommandation sur la déradicalisation, le désengagement et la réinsertion sociale des personnes impliquées dans des infractions terroristes, à partir de la collecte des bonnes pratiques des États membres qu’effectue en ce moment le Comité du Conseil de l'Europe de lutte contre le terrorisme (CDCT);
4.2. à envisager d'inviter le CDCT à examiner la question du cumul des poursuites engagées à l'encontre des combattants terroristes étrangers, pour terrorisme et autres crimes relevant du droit pénal international et du droit international humanitaire, ainsi qu'à étudier l'interaction entre la législation antiterroriste et ces domaines du droit international, et à élaborer des lignes directrices en la matière;
4.3. à encourager tous les États membres à participer à la création d'un tribunal international spécial ou d'un tribunal hybride compétent pour juger les crimes visés par le droit international commis par les combattants étrangers de Daech, et à examiner comment le Conseil de l'Europe dans son ensemble pourrait jouer un rôle actif dans la création et le fonctionnement de ce tribunal.

C. Exposé des motifs par M. Pieter Omtzigt, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. La proposition de résolution à l’origine du présent rapport, que j’ai déposée le 12 avril 2019, a été renvoyée à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme pour rapport le 25 juin 2019. La commission m’a nommé rapporteur le 1er octobre 2019.
2. Comme l’indique la proposition de résolution, les Forces démocratiques syriennes (FDS), un groupe d’opposition armé, ont déclaré en mars 2019 que Daech (ou «État islamique», EI ou «État islamique en Irak et au Levant», EIIL) avait été «vaincu». Plus de 5 000 «combattants étrangers» qui faisaient partie de Daech étaient originaires de pays européens (dont environ 3 700 du Royaume-Uni, de Belgique, de France et d’Allemagne). Un grand nombre d’entre eux étaient accompagnés de femmes et d’enfants. On estime que plus de la moitié des combattants étrangers sont déjà rentrés dans leur pays d’origine. Leur retour représente pour les sociétés européennes des risques graves en matière de sécurité.
3. Dans sa Résolution 2190 (2017) «Poursuivre et punir les crimes contre l’humanité, voire l’éventuel génocide commis par Daech», l’Assemblée parlementaire a réaffirmé sa position selon laquelle Daech a commis des actes de génocide et d’autres crimes graves réprimés par le droit international. Elle a ensuite demandé que des mesures rapides et efficaces soient prises pour que ces crimes fassent l’objet de poursuites, soit devant les tribunaux nationaux des pays où ils ont été commis ou dans d’autres pays en application de la compétence universelle, soit devant la Cour pénale internationale.
4. Le présent rapport analyse la situation actuelle et se penche sur le chemin parcouru, l’objectif étant de formuler des recommandations visant à l’instauration d’une réaction nationale et internationale plus forte, qui prenne en considération la nécessité de combattre l’impunité, tout en limitant au minimum les menaces contre la sécurité que fait peser le retour en Europe des combattants étrangers de Daech. L’Europe a tout intérêt à coordonner ses politiques dans ce domaine.
5. Dans le cadre de l’élaboration du présent rapport, la commission a organisé deux auditions. Le 9 novembre 2020, elle a entendu M. Lars Otte, procureur principal du Bureau du Procureur général fédéral à la Cour fédérale de justice (Allemagne), et M. Sinan Can, journaliste d’investigation de la télévision publique néerlandaise BNNVARA (Pays-Bas). Le 23 mai 2022 a eu lieu une autre audition, à laquelle ont participé Mme Leyla Ferman, présidente de l’association Women for Justice (Allemagne), et Mme Naomi Prodeau, avocate principale de l’équipe d’enquête de la Free Yezidi Foundation (Irak). Un questionnaire a également été envoyé aux parlements nationaux par l’intermédiaire du réseau du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP) – je tiens à remercier les parlements des 25 États membres qui y ont répondu.

2. La position de l’Assemblée à ce jour

6. Dans sa Résolution 2091 (2016) «Les combattants étrangers en Syrie et en Irak», l’Assemblée a déclaré que les États devaient agir en vertu de la présomption que Daech avait commis un génocide et qu’ils devaient avoir conscience du fait que cette situation imposait d’agir au titre de la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 (Convention sur le génocide). L’Assemblée a donc appelé les États membres et observateurs à respecter leurs obligations positives nées de la Convention sur le génocide en prenant toutes les mesures qui s’imposent pour prévenir un génocide. Elle les a également invités à trouver une réponse globale au problème des combattants étrangers, en ménageant un juste équilibre entre la répression des comportements criminels, la protection des populations et des droits de l’homme, la prévention de la radicalisation, la déradicalisation et la réinsertion des combattants qui rentrent dans leur pays après avoir purgé, le cas échéant, une peine adéquate. Enfin, l’Assemblée a également appelé à s’attaquer aux causes profondes de la radicalisation. Dans ce cadre, elle a donc invité les États membres et observateurs à signer et à ratifier la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 196) et son protocole additionnel de 2015 qui vise à lutter contre le phénomène des combattants terroristes étrangers (STCE no 217) 
			(3) 
			Le protocole additionnel
porte spécifiquement sur un ensemble d’activités criminelles liées
au phénomène des «combattants terroristes étrangers» et des rapatriés.
Il demande aux États Parties d’ériger en infraction pénale le fait
de se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme, ainsi que le
financement ou l’organisation de tels voyages. Au 23 mai 2022, ce
protocole était ratifié par 24 États. Bien que le protocole lui-même
ne définisse pas les «combattants terroristes étrangers», son rapport
explicatif précise que les personnes qui se rendent à l’étranger
à des fins de terrorisme sont souvent qualifiées de «combattants
terroristes étrangers» et renvoie à la Résolution 2178 du Conseil
de sécurité des Nations Unies du 24 septembre 2014. D’après cette
résolution, les «combattants terroristes étrangers» sont des «individus
qui se rendent dans un État autre que leur État de résidence ou
de nationalité dans le dessein de commettre, d’organiser ou de préparer
des actes de terrorisme, ou afin d’y participer ou de dispenser
ou recevoir un entraînement au terrorisme, notamment à l’occasion
d’un conflit armé»..
7. Dans sa Résolution 2190 (2017) «Poursuivre et punir les crimes contre l’humanité, voire l’éventuel génocide commis par Daech», l’Assemblée a réaffirmé sa position selon laquelle Daech a commis des actes de génocide et d’autres crimes graves réprimés par le droit international. Elle a considéré à ce titre que Daech avait commis des actes de génocide à l’encontre de membres des minorités yézidie, chrétienne et musulmane non sunnite. Elle a donc appelé les États membres et observateurs à prendre des mesures rapides et efficaces, conformément aux obligations qu’ils ont contractées au titre de la Convention sur le génocide, afin de prévenir et de punir les actes de génocide, notamment en menant des enquêtes sur les membres présumés de Daech qui relèvent de leur compétence ou de leur contrôle, en application de la compétence universelle, et en poursuivant toutes les infractions commises en lien avec les activités de Daech à l’étranger et qui relèvent de leur compétence. L’Assemblée a par ailleurs enjoint aux États d’éviter d’appliquer leur législation antiterroriste au détriment de leur compétence universelle lorsqu’il s’agit de crimes visés par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. En outre, elle a demandé aux Nations Unies d’envisager la création d’un mécanisme juridictionnel spécial pour juger les crimes commis par Daech en Irak. Ce mécanisme pourrait s’appuyer sur des modèles internationaux ou hybrides existants, ou prendre place au sein des tribunaux nationaux irakiens avec l’assistance d’experts internationaux.
8. Dans sa Résolution 2263 (2019) «Déchéance de nationalité comme mesure de lutte contre le terrorisme: une approche compatible avec les droits de l’homme?», l’Assemblée a considéré que le fait de priver de nationalité les personnes qui prennent part à des activités terroristes (notamment les «combattants étrangers»), ou qui sont soupçonnées d’y prendre part, pouvait conduire à une «exportation des risques» et qu’une telle pratique allait à l’encontre du principe de coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme. Elle a rappelé que cette pratique compromettait également la capacité des États à s’acquitter de leur obligation d’enquêter sur les infractions terroristes et d’en poursuivre les auteurs. En conséquence, l’Assemblée a appelé les États membres à revoir leur législation à la lumière de leurs obligations internationales relatives aux droits de l’homme; à s’abstenir d’appliquer cette mesure; et à privilégier un recours plus large aux autres mesures de lutte contre le terrorisme (interdiction de déplacement, mesures de surveillance ou ordonnance d’assignation à résidence, par exemple) 
			(4) 
			Depuis l’adoption de
cette résolution, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu
de nouveaux arrêts et décisions relatifs à la déchéance de nationalité
pour terrorisme. Dans son arrêt rendu le 25 juin 2020 dans l’affaire Ghoumid et autres c. France (requête
no 52273/16 et suivantes), la Cour a
considéré que la perte de la nationalité française ne constituait
pas une violation de l’article 8 de la Convention (respect du droit
à la vie privée) en tenant compte d’une part, du fait que les requérants
avaient tous une autre nationalité, et d’autre part, de la gravité
de l’infraction pour laquelle ils avaient été condamnés. Elle a
également observé que la déchéance de nationalité, qualifiée de
sanction de nature administrative en droit français, ne constituait
pas une «sanction pénale» susceptible de poser problème au regard du
principe ne bis in idem garanti
par l’article 4 du Protocole no 7. S’agissant
de l’article 8, voir aussi l’affaire Said
Abdul Salam Mubarak c. Danemark, requête no 74411/16,
arrêt du 22 janvier 2019, et l’affaire Johansen
c. Danemark, requête no 27801/19,
arrêt du 1er février 2022 (dans cette
affaire, le requérant, un ressortissant danois né au Danemark, a
été déchu de sa nationalité à la suite de sa condamnation pour s’être
rendu en Syrie afin de rejoindre l’État islamique) – requêtes toutes
deux déclarées irrecevables parce qu'elles étaient manifestement
mal fondées..
9. Enfin, dans sa Résolution 2321 (2020) «Obligations internationales relatives au rapatriement des enfants des zones de guerre et de conflits», l’Assemblée a été consternée par la situation désastreuse des enfants en Syrie et en Irak dont les parents, soupçonnés d’avoir prêté allégeance à Daech, sont ressortissants des États membres du Conseil de l’Europe. Elle est convaincue que le fait de procéder activement et sans plus tarder au rapatriement, à la réadaptation et à la (ré)insertion de ces enfants est une obligation qui relève des droits de l’homme et d’un devoir humanitaire. À cet égard, l’Assemblée a exhorté les États membres à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour assurer le rapatriement immédiat de ces enfants – indépendamment de leur âge ou de leur degré d’implication dans le conflit – en compagnie de leur mère ou de la personne qui en a principalement la charge, sauf si cette décision n’est pas conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant.

3. Les politiques adoptées par les États membres du Conseil de l’Europe à l’égard du retour des combattants étrangers de Daech

10. Dans l’ensemble, les pays européens sont réticents à rapatrier leurs ressortissants combattants pour Daech et certains ont même pris des mesures actives pour empêcher leur retour d’Irak et de Syrie. En mai 2019, le ministre français des Affaires étrangères, par exemple, a déclaré que les Français qui ont combattu dans le califat de Daech devaient être jugés là où ils ont commis leurs crimes. L’un des ressortissants français remis à l’Irak par les FDS a même affirmé que la France avait organisé son transfert et que des agents français y avaient directement participé. En septembre 2019, le ministre néerlandais de la Justice a déclaré qu’il avait décliné une offre d’aide des États-Unis pour rapatrier 10 femmes soupçonnées d’appartenir à Daech et leurs enfants, car leur retour pourrait «mettre directement en danger la sécurité nationale des Pays-Bas» 
			(5) 
			Note
introductive, <a href='https://assembly.coe.int/LifeRay/JUR/Pdf/DocsAndDecs/2020/AS-JUR-2020-03-FR.pdf '>AS/Jur(2020)03</a>, paragraphe 21.. Les personnes rapatriées qui ont été impliquées dans des activités liées au terrorisme ou dans un conflit armé à l’étranger sont naturellement considérées par les États membres comme une menace pour leur sécurité. Les gouvernements qui rapatrient leurs ressortissants doivent tenir compte des conséquences politiques, car les populations nationales s’inquiètent des menaces qu’un tel retour pourrait faire peser sur leur sécurité – soit de façon immédiate s’agissant des personnes rapatriées qui ne peuvent pas être placées en détention ni poursuivies, soit à l’avenir, une fois que les peines d’emprisonnement éventuellement prononcées auront été purgées.
11. Pour obtenir des informations supplémentaires sur les différentes approches retenues par les États membres à l’égard du retour et du rapatriement des combattants de Daech, j’ai envoyé un questionnaire aux parlements nationaux par l’intermédiaire du CERDP. J’ai reçu des réponses de la part des 25 États membres suivants: l’Allemagne, l’Autriche, Chypre, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, l’Irlande, la Lettonie, la Lituanie, la Macédoine du Nord, les Pays-Bas, la Norvège, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, Saint-Marin, la République slovaque, la Slovénie, la Suisse et la Türkiye 
			(6) 
			Ces réponses ont été
reçues entre mars et août 2020..
12. Le questionnaire comportait les questions suivantes:
i. Vos autorités ont-elles une politique de déchéance de nationalité des terroristes, en particulier des membres de Daech (alias EI ou EIIL) et des personnes soupçonnées d’en être membres?
  • Si possible, veuillez indiquer comment cette politique a été appliquée dans la pratique, à combien de personnes et avec quels résultats.
ii. Vos autorités ont-elles une politique de rapatriement des ressortissants dont on sait ou dont on soupçonne qu’ils sont membres de Daech?
iii. Combien de membres de Daech ou de personnes soupçonnées d’en être membres sont rentrés dans votre pays?
  • Si possible, veuillez indiquer comment ces retours ont eu lieu. Par exemple, ont-ils été entrepris de manière indépendante par les personnes concernées, ont-ils consisté en un rapatriement assisté ou résultaient-ils d’une expulsion involontaire?
iv. Comment sont traités les membres de Daech ou les personnes soupçonnées d’en être membres à leur arrivée et après leur retour?
  • Des mesures spéciales sont-elles en place pour éviter les menaces pour la sécurité nationale?
  • Les membres de Daech qui rentrent chez eux sont-ils soumis à un processus de déradicalisation?
  • Y a-t-il une différence de traitement en fonction de l’âge de la personne concernée?
v. Des membres de Daech ou des personnes soupçonnées d’en être membres de retour dans leur pays ont-ils été poursuivis pour des infractions pénales?
  • Si oui, pour quelles infractions?
  • Quelle a été l’issue des poursuites?

3.1. Déchéance de nationalité

13. S’agissant de la première question, il ressort des réponses reçues que 11 États membres autorisent la déchéance de nationalité en cas d’infraction liée au terrorisme ou d’engagement dans une organisation terroriste (Allemagne, Autriche, Danemark, Finlande, France, Norvège, Pays-Bas, Roumanie, Royaume-Uni, Slovénie et Suisse). Si certaines législations exigent une condamnation définitive pour une infraction terroriste (Finlande et Norvège, par exemple), d’autres prévoient la possibilité de déchoir de sa nationalité un citoyen qui a rejoint une organisation à l’étranger qui représente une menace pour la sécurité nationale (les Pays-Bas, par exemple) ou qui prend activement part à des actions/opérations de combat pour un groupe armé organisé ou une organisation terroriste à l’étranger (Allemagne et Autriche, par exemple), sans qu’une condamnation soit nécessaire. Certains États membres n’ont mis en place ou étendu cette compétence que récemment (par exemple, Allemagne, Danemark, Finlande, Norvège en 2019). Un citoyen britannique peut être déchu de sa nationalité si cette déchéance est favorable à l’intérêt général et, dans le cas des citoyens naturalisés, s’ils se sont conduits d’une manière qui porte gravement atteinte aux intérêts essentiels du Royaume-Uni. Dans la plupart des États membres toutefois, il n’est pas possible de déchoir une personne de sa nationalité si cette déchéance entraîne l’apatridie de l’intéressé, conformément à l’interdiction prévue à l’article 7, paragraphe 3, de la Convention européenne sur la nationalité (STE n° 166) 
			(7) 
			Selon
l’article 7, paragraphe 3, la déchéance de nationalité dans ces
conditions n’est possible que dans les cas où la nationalité a été
acquise à la suite d’une conduite frauduleuse. Voir également le
rapport intitulé «La déchéance de nationalité comme mesure de lutte
contre le terrorisme: une approche compatible avec les droits de
l’homme?», Doc. 14790..
14. Certaines réponses ont révélé que, bien que la déchéance de nationalité soit prévue par le droit interne, cette procédure n’a encore jamais été appliquée (Allemagne, Finlande, Norvège et Slovénie). Aux Pays-Bas, 14 citoyens ont été déchus de leur nationalité en l’absence de condamnation pénale. En France, l’un des plus grands pays européens fournisseurs de combattants étrangers, la déchéance de nationalité est rare: 13 cas ont été signalés en lien avec des condamnations pour terrorisme entre 1996 et 2016. Le Royaume-Uni a fait un usage plus important de la déchéance de nationalité que d’autres pays, puisqu’environ 150 personnes liées au terrorisme et à des formes graves de criminalité ont été déchues de leur nationalité depuis 2010 
			(8) 
			House
of Commons Library, «Returning terrorist fighters», 15 mars 2019..
15. Les réponses à cette question indiquent que, contrairement à ce que recommandait la Résolution 2263 (2019) de l’Assemblée, certains États membres ont récemment étendu leur compétence de déchéance de nationalité en lien avec le terrorisme et les combattants étrangers 
			(9) 
			D’après une étude récente,
18 pays européens, dont 16 États membres du Conseil de l’Europe,
ont étendu leurs pouvoirs de déchéance de nationalité depuis l’an
2000. Parallèlement, les données disponibles indiquent qu’en pratique, la
déchéance de nationalité a été appliquée à un nombre relativement
faible de citoyens (212 au Royaume-Uni, 52 en Belgique, 21 aux Pays-Bas,
16 en France, 6 au Danemark, 2 en Estonie et 1 en Autriche). 
			(9) 
			Voir: <a href='https://files.institutesi.org/Instrumentalising_Citizenship_Global_Trends_Report.pdf'>https://files.institutesi.org/Instrumentalising_Citizenship_Global_Trends_Report.pdf</a>, mars 2022, p. 29.. Comme l’a déjà noté l’Assemblée, une telle pratique, outre ses conséquences pour les droits de l’homme, va à l’encontre du principe de coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme, réaffirmé dans la Résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité des Nations Unies 
			(10) 
			Voir aussi la Résolution
2396 (2017) du Conseil de sécurité des Nations Unies. Résolutions
toutes deux adoptées en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations
Unies.. Cette résolution ne mentionne pas seulement l’obligation d’empêcher les combattants étrangers de quitter leur pays de nationalité ou de résidence, mais exige également des États qu’ils élaborent et mettent en œuvre des stratégies d’engagement de poursuites, de réadaptation et de réinsertion des combattants étrangers rapatriés, ce qui paraît plus difficile s’ils sont légalement empêchés de revenir 
			(11) 
			Voir également Carlota
Rigotti and Júlia Zomignani Barboza, «Unfolding the case of returnees:
How the European Union and its member States are addressing the
return of foreign fighters and their families», International Review of the Red Cross (2021),
vol. 103 (no 916-917), p. 681-703; Maarten
P. Bolhuis et Joris van Wijk, «Citizenship Deprivation as a Counterterrorism
Measure in Europe; Possible Follow-Up Scenarios, Human Rights Infringements
and the Effect on Counterterrorism», European
Journal of Migration and Law 22 (2020), p. 338-365.. En fait, les autorités chargées des poursuites ont tendance à considérer que la déchéance de nationalité empiète sur l’intérêt à engager des poursuites pénales 
			(12) 
			Voir
par exemple le ministère public néerlandais: 
			(12) 
			<a href='https://files.institutesi.org/Instrumentalising_Citizenship_Global_Trends_Report.pdf'>https://files.institutesi.org/Instrumentalising_Citizenship_Global_Trends_Report.pdf</a>, mars 2022, p. 29..

3.2. Rapatriement

16. S’agissant de la deuxième question, presque toutes les réponses indiquent qu’il n’existe pas de politique active de rapatriement des ressortissants nationaux combattants de Daech. Seule la Türkiye a déclaré rapatrier ses ressortissants dont elle sait ou soupçonne qu’ils ont été membres de l’EI 
			(13) 
			Certains pays tiers,
tels que la Russie, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, rapatrient également
leurs combattants.. Bien que la plupart des pays affirment que leurs ressortissants ont le droit de rentrer par leurs propres moyens de Syrie et d’Irak sur le territoire national, ils préfèrent analyser chaque situation au cas par cas, avec l’appui de l’assistance consulaire ou des canaux diplomatiques. En France, par exemple, le Conseil d’État a rejeté les demandes de rapatriement de ressortissants français (femmes et enfants) détenus dans des camps du nord-est de la Syrie sous contrôle kurde, au motif que leur rapatriement nécessiterait de négocier avec des autorités étrangères ou d’intervenir sur un territoire étranger, et que de telles mesures ne sont pas dissociables de la conduite des relations internationales de la France, un domaine dans lequel les tribunaux français ne sont pas compétents 
			(14) 
			L’une
de ces affaires est actuellement pendante devant la Grande Chambre
de la Cour européenne des droits de l'homme (H. F.
et M. F. c. France, requête no 24384/19,
et J. D. et A. D. c. France,
requête no 44234/20). 
			(14) 
			Le
présent rapport ayant été publié en juillet 2022, la Cour européenne
des droits de l’homme a, depuis, rendu son arrêt dans cette affaire;
voir <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-219335'>https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-219335</a>.. La France a néanmoins rapatrié 29 enfants orphelins ou séparés de leur famille (avec le consentement de leur mère) entre 2019 et 2020, mais continue de refuser de rapatrier les adultes.
17. D’autres pays ont connu récemment certaines avancées sur le plan de la reconnaissance d’une obligation légale de rapatrier les ressortissants en vertu du droit national, en particulier les enfants et les personnes confrontées à des difficultés extrêmes. En Croatie, une obligation légale a été instaurée pour rapatrier les citoyens soupçonnés d’avoir été membres de Daech. En Finlande, le gouvernement a décidé en 2019 de s’employer activement à faire revenir tous les enfants, sur la base de l’obligation constitutionnelle de garantir les droits fondamentaux des enfants. En Allemagne, les tribunaux ont décidé en 2019 qu’une mère devait être rapatriée avec ses trois enfants du camp d’Al-Hol en Syrie, compte tenu de la situation humanitaire catastrophique qui régnait dans ce camp et sur le fondement de l’obligation constitutionnelle faite à l’État de protéger le droit à la vie et à l’intégrité physique 
			(15) 
			Tribunal administratif
de Berlin, 10 juillet 2019, et cour administrative d'appel de Berlin-Brandenburg,
6 novembre 2019. Selon la cour administrative d'appel, le rapatriement
de la mère ne pouvait être refusé que s’il y avait une menace concrète
et tangible, ce que le Gouvernement allemand n’a pas été en mesure
de démontrer. Voir Doc. 15055, paragraphe 22. Selon certaines informations, les Pays-Bas
ont rapatrié d’un camp situé dans le nord-est de la Syrie plusieurs
femmes membres de l’EI et leurs enfants, dans le but de s’assurer
que les femmes seraient traduites en justice et après que les juridictions
pénales ont indiqué qu’elles mettraient fin aux procédures pénales
engagées à leur encontre en raison de leur absence (<a href='https://icct.nl/publication/repatriation-women-children-netherlands/'>https://icct.nl/publication/repatriation-women-children-netherlands/</a>, 11 février 2022)..
18. Certaines réponses ont expressément indiqué que les États n’ont aucune obligation, en vertu du droit international, de rapatrier leurs ressortissants dont on sait ou dont on soupçonne qu’ils ont été membres de Daech, ni leurs enfants (par exemple, la Norvège). La question de savoir si une telle obligation découle du droit international des droits de l’homme, notamment au regard de la situation des camps ou des prisons dans lesquels ils sont détenus ou vivent en Syrie ou en Irak, dépasse le cadre du présent rapport et a déjà été partiellement abordée dans le rapport de M. Stefan Schennach (Autriche, SOC), «Obligations internationales relatives au rapatriement des enfants des zones de guerre et de conflits» 
			(16) 
			Doc. 15055..
19. Néanmoins, il convient de noter que plusieurs organismes internationaux de droits de l’homme ont déjà pris des positions claires en faveur du retour et du rapatriement des combattants étrangers et de leurs familles dans l’État dont ils ont la nationalité, sur la base des obligations en vigueur en matière de droits de l’homme, mais aussi dans le but de traduire les combattants de Daech en justice pour les crimes commis en Syrie et en Irak (ou sur le sol européen) et de protéger les droits de leurs victimes 
			(17) 
			Observations de la
Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la promotion et la protection
des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte
antiterroriste et de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur
les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires dans l’affaire H. F. et M. F. c. France, 28 septembre
2020; 
			(17) 
			 Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe, Intervention en qualité de tierce partie devant la
Cour, 25 juin 2021, <a href='https://www.coe.int/en/web/commissioner/-/commissioner-publishes-her-observations-on-the-repatriation-of-european-nationals-held-in-camps-in-north-east-syria'>www.coe.int/fr/web/commissioner/-/commissioner-publishes-her-observations-on-the-repatriation-of-european-nationals-held-in-camps-in-north-east-syria</a>. 
			(17) 
			Voir aussi le rapport du 8 février 2022
de la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe
syrienne (créée par le Conseil des droits de l’homme des Nations
Unies), qui recommande de rapatrier les ressortissants détenus dans
le nord-est de la Syrie pour association présumée avec Daech, en
particulier les enfants avec leur mère (p. 22); 
			(17) 
			Principes
clés des Nations Unies pour la protection, le rapatriement, la poursuite,
la réadaptation et la réintégration des femmes et des enfants qui
ont des liens avec des groupes terroristes inscrits sur les listes
dressées par les Nations Unies, avril 2019, p. 4. 
			(17) 
			Selon
des chiffres récents, les camps du nord-est de la Syrie accueillent
désormais près de 42 000 ressortissants non syriens, dont plus de
30 000 ressortissants irakiens et 11 000 ressortissants de pays
tiers, parmi lesquels au moins 27 000 sont des enfants. En outre,
plusieurs combattants de Daech et d’autres individus, dont des centaines
de garçons, sont détenus dans des prisons et des centres de détention.. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a récemment estimé que la France avait violé les droits des enfants français détenus depuis des années dans des camps du nord-est de la Syrie en n’autorisant pas leur rapatriement, et a rappelé que l’État avait l’obligation positive de les protéger contre un risque imminent pour leur vie, étant donné les conditions sanitaires inhumaines dans lesquelles ils vivent 
			(18) 
			<a href='https://news.un.org/fr/story/2022/02/1115052'>«La
France a violé les droits des enfants français détenus en Syrie
en omettant de les rapatrier», ONU Info</a>, 23 février 2022.. Le Comité a expressément souligné la conscience qu’ont les autorités françaises de la situation, ainsi que leur capacité d’intervention, comme en témoignent les précédents rapatriements d’enfants effectués depuis les camps en Syrie et leur coopération avec les autorités kurdes 
			(19) 
			La question de savoir
si la France a exercé sa compétence sur les enfants a été examinée
dans le cadre de la décision précédente sur la recevabilité, le
30 septembre 2020.. La Cour européenne des droits de l’homme (Grande Chambre) rendra bientôt un arrêt ou une décision sur des affaires similaires qui concernent le non-rapatriement de deux femmes françaises et leurs enfants, actuellement détenus dans des camps dans le nord-est de la Syrie. La Cour devra établir si la France exerce sa compétence à l’égard de ses ressortissants détenus à l’étranger et, dans l’affirmative, si le refus de les rapatrier constitue une violation de l’article 3 de la Convention (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et de l’article 3, paragraphe 2, du Protocole no 4 (STE n° 46) (droit d’entrer sur le territoire de l’État dont un individu est ressortissant) 
			(20) 
			Voir supra, note 15.
Il ressort des faits que, dans un cas au moins, la femme dont il
est question fait l’objet d’un mandat d’arrêt émis par les juges
antiterroristes français..

3.3. Nombre de rapatriés

20. D’après les réponses à la troisième question, la grande majorité des rapatriés de Daech sont retournés volontairement et par leurs propres moyens dans leur pays de nationalité ou de résidence. Des expulsions ou des extraditions ont également eu lieu de Türkiye vers la France, le Danemark, l’Allemagne, l’Irlande et la Lettonie. Le nombre total de personnes rapatriées de zones de conflit indiqué dans certaines réponses se décline comme suit: 1 (Irlande, Lettonie, Pologne), 16 (Suisse), 20 (Finlande), 60 (Pays-Bas), 75 (Danemark), 83 (Macédoine du Nord), 97 (Autriche), 122 (Allemagne), 300 (France 
			(21) 
			Dans
le cadre du «protocole Cazeneuve» qui prévoit une procédure administrative
de transfert des combattants français de la Türkiye vers la France.) et 360 (Royaume-Uni). Certaines délégations ont déclaré qu’aucun retour de la sorte dans leur pays n’avait eu lieu, ou qu’il était impossible de connaître le nombre exact de rapatriés.

3.4. Déradicalisation et autres mesures spéciales prises après le retour

21. Un certain nombre de réponses font état de mesures de déradicalisation (programmes d’interventions de sortie) mises en œuvre pour les rapatriés (Allemagne, Autriche, Chypre, Danemark, Finlande, France, Norvège, Royaume-Uni, Suisse et Türkiye). Certains États procèdent à une évaluation préalable des risques individuels (Allemagne, Autriche, Chypre, Danemark et Finlande). En Slovénie, les autorités estiment que les mesures de déradicalisation sont inutiles, puisque la déradicalisation est impossible. D’autres réponses indiquent de façon plus générale que les membres (ou membres présumés) de Daech sont placés en détention et gardés pour interrogatoire, placés sous surveillance ou poursuivis (voir ci-dessous). Lorsque les poursuites ne sont pas possibles, les suspects peuvent être maintenus en détention en vertu de mandats spéciaux délivrés par le ministère de l’Intérieur (Chypre) ou soumis à des mesures spéciales de prévention du terrorisme, telles que des restrictions de voyage et de circulation, des zones d’exclusion ou une surveillance par GPS (Royaume-Uni).
22. Certaines réponses indiquent que les programmes de déradicalisation et de désengagement ont pour but la réinsertion sociale (Chypre, Finlande, Norvège, Suisse). Des programmes et mesures spécifiques destinés aux enfants rapatriés ont également été mentionnés (Chypre, Danemark, France et Pays-Bas).

3.5. Poursuites pénales

23. Les réponses de nombreux pays indiquent que les poursuites pénales engagées à l’encontre des combattants étrangers de Daech de retour de Syrie et d’Irak portent sur des infractions liées au terrorisme, telles que l’appartenance à une organisation terroriste, la participation à des activités terroristes, la préparation d’actes terroristes, le soutien à une organisation terroriste à l’étranger, le recrutement, l’entraînement ou le voyage à des fins terroristes, ainsi que le financement de l’un de ces actes. Les personnes qui reviennent en France sont généralement accusées d’«association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes». Parmi les autres infractions pénales visées, citons la participation illégale à un conflit armé (Lettonie); la participation à une organisation criminelle dans le but de commettre des crimes particulièrement graves contre l’humanité ou la paix, des crimes de guerre, un génocide, etc. (Lettonie); l’entrée et le séjour dans des zones de conflit sans autorisation préalable (Danemark); et l’entrée ou le séjour dans une zone désignée hors du pays (Royaume-Uni).
24. D’après les réponses reçues, le nombre de combattants étrangers poursuivis/condamnés à leur retour est le suivant: 1 personne poursuivie en Irlande; 1 personne condamnée en Lettonie; 1 condamné en Pologne; 4 condamnés en République tchèque; 8 personnes poursuivies au Portugal; 9 condamnés en Norvège; 15 condamnés au Danemark; 103 personnes poursuivies en Allemagne 
			(22) 
			Ce
chiffre recouvre la phase de procédure préliminaire. La réponse
de l’Allemagne signifie que, sur 122 personnes rapatriées, 103 ont
fait l’objet d’une procédure préliminaire.; 400 condamnés en Türkiye 
			(23) 
			La
réponse de la Türkiye précise que ce chiffre comprend les personnes
condamnées pour des crimes liés à Daech et à d’autres organisations
terroristes radicales.. Dans certains pays, des enquêtes pénales sont ouvertes contre les combattants étrangers qui ne sont pas encore rentrés et des mandats d’arrêt nationaux ou internationaux ont été émis (Danemark, France et Pays-Bas). Dans certains systèmes judiciaires, les combattants étrangers peuvent être jugés et condamnés par contumace, ce qui signifie qu’ils seront placés en détention à leur retour pour purger leur peine (France) 
			(24) 
			Pour les peines d’au
moins douze ans de prison..

4. Garantir la justice et amener les combattants étrangers de Daech à répondre des crimes qu’ils ont commis

25. Comme l’indiquent déjà des résolutions antérieures, il ne fait aucun doute que Daech et ses sympathisants sont, à des degrés divers, responsables ou complices d’un large éventail de crimes au regard des législations nationales et du droit international, notamment d’infractions terroristes, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité tels que l’esclavage sexuel, l’emprisonnement, le viol, la torture et le meurtre, et de génocide. En mai 2021, l’équipe d’enquête des Nations Unies chargée d’amener Daech/EIIL à répondre de ses crimes (UNITAD) a confirmé qu’il existait des preuves que l’EI avait commis un génocide contre les Yézidis en tant que communauté religieuse, ainsi que divers crimes de guerre et crimes contre l’humanité 
			(25) 
			<a href='https://www.unitad.un.org/news/special-adviser-khan-briefs-security-council-unitad-investigations'>www.unitad.un.org/news/special-adviser-khan-briefs-security-council-unitad-investigations</a>. L’UNITAD a été créée par le Secrétaire général des
Nations Unies conformément à la Résolution 2379 (2017) du Conseil
de sécurité des Nations Unies afin de soutenir les initiatives prises
à l’échelle nationale pour amener Daech à rendre des comptes, en recueillant,
conservant et stockant des éléments de preuve en Irak d’actes susceptibles
de constituer des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité
et des crimes de génocide perpétrés en Irak. Les gouvernements et
parlements nationaux ont également reconnu le génocide commis à
l’encontre de la communauté yézidie. Par exemple, le 6 juillet 2021,
le Parlement néerlandais a officiellement reconnu que les crimes
contre les Yézidis constituaient des crimes contre l’humanité et
un génocide. Voir également mon précédent rapport «Poursuivre et
punir les crimes contre l’humanité voire l’éventuel génocide commis
par Daech», Doc. 14402, 22 septembre 2017.. Dans le cadre des enquêtes menées sur les crimes commis à l’encontre des Yézidis à Sinjar, l’UNITAD a recensé 1 743 auteurs, dont 102 combattants étrangers. Elle a également réuni des preuves qui confirment le crime d’incitation directe et publique à commettre un génocide contre des musulmans chiites à propos des exécutions de masse de cadets non armés et de personnel militaire à l’Académie de l’armée de l’air de Tiktir en juin 2014. Dans son dernier rapport, publié en novembre 2021, l’UNITAD a déclaré que les enquêtes sur la commission de violences sexuelles et la réduction en esclavage de membres de la communauté chrétienne par l’EIIL restaient une priorité 
			(26) 
			Septième rapport du
Conseiller spécial et Chef de l’Équipe d’enquêteurs des Nations
Unies chargée d’amener Daech/État islamique d’Irak et du Levant
à répondre de ses crimes, S/2021/974, 24 novembre 2021. Les autres
enquêtes en cours concernent les exécutions de masse (de prisonniers
majoritairement chiites) à la prison de Badoush à Mossoul en 2014,
les crimes commis contre les membres de la tribu Albu Nimr (sunnite)
entre 2014 et 2016, les crimes commis contre les communautés kaka’i,
shabak et turkmènes chiites, ainsi que la mise au point et l’utilisation
d’armes chimiques et biologiques..
26. Par conséquent, les combattants étrangers de Daech devraient être tenus de rendre des comptes non seulement pour les infractions liées au terrorisme, conformément aux Résolutions 2178 (2014) et 2396 (2017) du Conseil de sécurité des Nations Unies et aux législations nationales antiterroristes, mais surtout pour les crimes de droit international plus graves, à savoir le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Bien qu’il semble plus facile de poursuivre des combattants étrangers pour des chefs d’accusation tels que l’appartenance à une organisation terroriste – car le niveau de preuve est peu élevé par rapport aux crimes réellement commis – le défaut de cette approche est que tous les combattants étrangers reçoivent une peine similaire et souvent moins lourde, quel que soit leur rôle ou leur implication active dans la commission d’actes plus odieux qui constituent des crimes au regard du droit international 
			(27) 
			«Unfolding the case
of returnees: How the European Union and its member States are addressing
the return of foreign fighters and their families», op. cit., p.
696.. Le fait de limiter les chefs d’accusation aux seules infractions liées au terrorisme ne permet pas de tenir compte de l’extrême gravité des crimes commis par Daech en Irak et en Syrie.
27. La question qui se pose est de savoir comment et par qui les individus soupçonnés de ces crimes doivent être poursuivis. La Résolution 2190 (2017) de l’Assemblée a rappelé que les poursuites contre les membres de Daech soupçonnés d’avoir commis de tels crimes incombaient en premier lieu aux États dans lesquels les infractions ont été perpétrées, à savoir la Syrie et l’Irak.

4.1. Poursuites engagées par les autorités en Irak et en Syrie

28. L’Irak poursuit les membres présumés de Daech depuis un certain temps, mais dans le cadre d’une procédure dépourvue des garanties suffisantes au terme de laquelle des peines sont prononcées sans discernement et s’avèrent souvent disproportionnées. En décembre 2017, Human Rights Watch a constaté qu’il existait de «graves lacunes juridiques qui compromettent les efforts visant à traduire en justice les membres présumés de l’EI», et qu’«aucune stratégie nationale en vue de garantir que les responsables des crimes les plus graves font l’objet de poursuites crédibles» n’était en place; «les autorités engagent des poursuites contre tous les membres présumés de l’EI qu’elles détiennent en vertu de la législation de lutte contre le terrorisme, essentiellement pour appartenance à l’EI, et ne s’attachent pas à des activités spécifiques ou aux crimes qui ont pu être commis». Pas moins de 7 374 personnes ont été inculpées d’appartenance à l’EI depuis 2014, et 92 ont été condamnées à mort et exécutées – une condamnation à mort a même été prononcée contre un cuisinier de l’EI. Human Rights Watch signalait à l’époque que 20 000 membres présumés de l’EI, au moins, étaient détenus en Irak, bien souvent dans des lieux surpeuplés et parfois dans des conditions inhumaines – des enfants étaient parfois détenus avec des adultes 
			(28) 
			«Flawed
Justice: Accountability for ISIS Crimes in Iraq», 5 décembre 2017..
29. En mars 2019, Human Rights Watch a signalé que dans la province de Ninive, dans le nord de l’Irak, les juges «exigeaient un niveau de preuve plus élevé pour placer en détention des suspects et engager des poursuites à leur encontre, et limitaient autant que faire se peut la prise en compte par le tribunal des seuls aveux, des listes de personnes recherchées erronées et des accusations non étayées», autant de défaillances épinglées par l’organisation dans son précédent rapport 
			(29) 
			«Iraq:
Key Courts Improve ISIS Trial Procedures», 13 mars 2019.. Ailleurs, de graves préoccupations subsistent: en avril 2019, la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Agnès Callamard, a demandé aux autorités irakiennes de «prendre les mesures appropriées en vue de poursuivre les crimes perpétrés contre le peuple irakien, notamment de possibles actes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre» et de «respecter les garanties en matière de procès équitable, garantir la participation des victimes et faire respecter le droit à la vérité». Sa déclaration est intervenue après la condamnation à mort de quatre membres importants de Daech pour appartenance au groupe armé, alors même qu’existaient des éléments de preuve (y compris émanant des intéressés) de leur complicité dans des crimes plus graves encore 
			(30) 
			«Iraq: UN expert says
prosecution of ISIL leadership must be fair and thorough», 4 avril
2019..
30. De nombreux combattants étrangers se trouvent parmi les détenus en Irak, y compris des ressortissants d’États européens. On a appris en février 2019 que 13 Français avaient été capturés par les FDS en Syrie et remis aux autorités en Irak, où ils allaient être poursuivis. Ces 13 individus faisaient partie d’un groupe de 500 combattants de Daech dont les FDS prévoyaient le transfert vers l’Irak 
			(31) 
			«Iraq to prosecute
13 French Isis fighters captured in Syria», Financial
Times, 25 février 2019.. Selon des informations parues dans la presse en juin 2019, 11 ressortissants français ont été condamnés à mort par pendaison au seul motif qu’ils étaient membres de Daech 
			(32) 
			«Ce
que l’on sait des onze djihadistes français condamnés à mort en
Irak», La Chaîne Info, 3 juin
2019.. Le juge a déclaré que «la sanction est la peine de mort, qu’ils aient combattu ou non». Certains observateurs ont fait valoir que la France «sous-traitait» de fait la procédure judiciaire à l’Irak, malgré des procès inéquitables et des peines disproportionnées 
			(33) 
			«France Hands ISIS
Suspects to Iraq, Which Sentences Them to Hang», New York Times, 29 mai 2019.. Une organisation a affirmé que «les condamnations à mort des djihadistes ont été prononcées sur la base d’allégations de faits non clairement énoncés, non clairement discutés ou prouvés, à l’issue de procès le plus souvent expéditifs ne respectant pas un certain nombre des droits fondamentaux des accusés. Ces procédures sont donc contraires à l’ensemble des instruments internationaux ratifiés par la France et par l’Irak» 
			(34) 
			«Djihadistes
au Levant: le cas des citoyens français encourant la peine de mort
en Irak», Ensemble contre la peine de mort.. La Commission nationale consultative des droits de l’homme de la République française a considéré que la France devait donner la priorité au retour de ses ressortissants condamnés à mort par les tribunaux irakiens, en tenant compte également du fait que les tribunaux français ont toute compétence pour juger ces personnes en raison de leur nationalité 
			(35) 
			 <a href='https://www.cncdh.fr/sites/default/files/191219_avis_ressortissants_peine_de_mort_detenus_en_irak_web.pdf'>www.cncdh.fr/sites/default/files/191219_avis_ressortissants_peine_de_mort_detenus_en_irak_web.pdf</a>, 28 janvier 2020..
31. Selon des rapports plus récents, si des efforts considérables ont été déployés par les autorités irakiennes pour traduire en justice les anciens combattants de Daech, de «sérieuses préoccupations» subsistent quant à l’équité des procédures et à l’application de la peine de mort 
			(36) 
			Mission d’assistance
des Nations Unies pour l’Irak et Haut-Commissariat des Nations Unies
aux droits de l’homme: <a href='https://news.un.org/en/story/2020/01/1056142'>https://news.un.org/en/story/2020/01/1056142</a>, 28 janvier 2020.. En outre, l’Irak n’a pas encore adopté de cadre juridique approprié permettant d’engager des poursuites pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide, ce qui signifie que les combattants de l’EI ne peuvent être poursuivis qu’en vertu de la législation antiterroriste 
			(37) 
			L’UNITAD a déclaré
qu’elle était prête à apporter son soutien – à la demande du gouvernement
irakien – à l’adoption de cette législation. Un projet de loi a
été présenté au Parlement irakien en 2020, avant les élections parlementaires d’octobre 2021.. Or, les Yézidis ne sont pas concernés par ces procès.
32. Il apparaît plus difficile encore que les membres de Daech puissent être traduits en justice en Syrie. Cela s’explique essentiellement par la multiplicité des acteurs – Syriens, membres des FDS/Kurdes, autres groupes d’opposition, Russes, Turcs, et forces américaines/de la coalition.
33. Le Président syrien Bachar al-Assad a déclaré que «tout terroriste qui se trouve dans les régions contrôlées par les forces syriennes sera soumis à la loi syrienne. Celle-ci est très claire. Ils seront donc traduits en justice devant des tribunaux spécialisés en matière de terrorisme» 
			(38) 
			«Bachar
el-Assad: ‘Français ou étrangers, les terroristes seront soumis
à la loi syrienne’», Paris Match,
28 novembre 2019. Pour en savoir plus sur la situation juridique
en Syrie, voir «Bringing (Foreign) Terrorist Fighters to Justice
in a Post-ISIS Landscape Part I: Prosecution by Iraqi and Syrian
Courts», International Centre for Counter-Terrorism, 22 décembre 2017.. Il a été observé que «la justice pénale syrienne n’est pas connue pour offrir la garantie d’une procédure régulière, mais plutôt pour sa pratique de la torture en détention provisoire et ses exécutions massives à l’issue de procès expédiés en quelques minutes. […] La justice rendue par un système syrien qui ne respecte pas les règles d’une procédure régulière et ne protège pas les droits des accusés n’est pas le type de justice dont peut se satisfaire la communauté internationale» 
			(39) 
			«Northeastern Syria:
Complex Criminal Law in a Complicated Battlespace», Just Security,
28 octobre 2019.. Plus précisément, certains font valoir que les procédures judiciaires relatives aux infractions terroristes en Syrie sont marquées par le manque de sécurité juridique de la législation applicable, le caractère disproportionné des peines, l’insuffisance des garanties de procédure – représentation effective en justice, procès public et procédure d’appel, notamment – et le manque d’indépendance de la justice 
			(40) 
			«Enforcing human rights
in counter-terrorism laws in Syria», Syrian Legal Forum..
34. Le fait que la grande majorité des détenus de Daech en Syrie soient gardés en captivité par les FDS dirigées par les Kurdes ne simplifie pas la situation. Bien qu’elles contrôlent toujours d’importantes portions du territoire, les FDS ne sont pas une entité étatique et ne sont pas soumises à des obligations juridiques qui les contraignent à mettre en place des garanties en matière de procès équitable 
			(41) 
			Le nord-est de la Syrie
est actuellement géré par l’Administration autonome du Nord et de
l’Est de la Syrie (AANES) et sa force militaire unifiée, les FDS.. Dans un rapport de juin 2019 consacré au procès de membres présumés de Daech dans le Rojava, région de Syrie contrôlée par les Kurdes, on peut lire que les «tribunaux populaires» sont constitués de trois juges et appliquent des éléments du droit syrien; les prévenus peuvent se faire assister par un avocat et ont le droit d’interjeter appel; la torture est interdite et la peine de mort abolie. Il est même précisé que les FDS ne remettent plus les membres présumés de Daech à l’Irak, car des personnes transférées précédemment y ont été exécutées 
			(42) 
			«’Revenge Is For The
Weak’: Kurdish Courts In Northeastern Syria Take On ISIS Cases», National Public Radio, 3 juin 2019.. D’autres sources font toutefois état de «problèmes majeurs sur le plan des garanties d’une procédure régulière, les suspects ne bénéficiant pas du droit d’être assistés par un avocat ni du droit de faire appel de leur condamnation 
			(43) 
			«Difficult
Justice Questions», Human Rights Watch, 6 novembre 2017.»; en outre, «on ne sait pas très bien comment la justice est rendue et quelles garanties, à supposer qu’il y en ait, ont été mises en place pour faire en sorte que les combattants présumés bénéficient d’un procès équitable 
			(44) 
			«Accused
Syrian IS Fighters Starting to Face Justice», Voice
of America, 6 août 2019.». Selon un rapport publié en juillet 2019, plus de 7 000 Syriens membres présumés de Daech ont été jugés et condamnés par ces tribunaux, tandis que 6 000 autres sont en attente de procès 
			(45) 
			«Bringing ISIS to Justice:
Towards an International Tribunal in North East Syria», Rojava Information
Centre, 5 juillet 2019.. Cependant, il a été signalé que les détenus étrangers (irakiens ou européens) ne pouvaient être poursuivis, car ces juridictions autonomes ne jugent que les ressortissants syriens 
			(46) 
			Commission
d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne,
rapport du 8 février 2022, p. 19.. Il apparaît aussi que ces tribunaux ne sont actuellement pas en mesure de poursuivre les combattants de Daech pour des crimes de droit international, tels que le génocide ou les crimes de guerre 
			(47) 
			Tanya Mehra et Matthew
Wentworth, «New Kid on the Block: prosecution of ISIS fighters by
the Autonomous Administration of North and East Syria», International
Centre for Counter-Terrorism, 16 mars 2021: <a href='https://icct.nl/publication/prosecution-of-isis-fighters-by-autonomous-administration-of-north-east-syria/'>https://icct.nl/publication/prosecution-of-isis-fighters-by-autonomous-administration-of-north-east-syria/</a>.. En outre, la gestion des prisons et des centres de détention par l’administration autonome dans le nord-est de la Syrie pose d’immenses problèmes de sécurité, comme l’a montré l’assaut donné par Daech à la prison de Ghwayran à Hasakah en janvier 2022, qui a permis l’évasion de centaines de combattants de Daech 
			(48) 
			<a href='https://www.washingtonpost.com/world/2022/02/03/syria-hasakah-isis-prison-attack/'>www.washingtonpost.com/world/2022/02/03/syria-hasakah-isis-prison-attack/</a>, 3 février 2022..
35. Étant donné que, pour diverses raisons, on ne peut d’une manière générale s’en remettre aux autorités – de facto ou de jure – en Syrie et en Irak pour rendre une justice conforme aux normes internationales et proportionnée à la gravité des crimes commis, il convient de se tourner vers d’autres alternatives. Il n’existe que deux possibilités: une forme quelconque de tribunal international ou hybride; et, pour les combattants étrangers, le rapatriement, afin qu’ils soient jugés par les tribunaux nationaux du pays dont ils sont ressortissants.

4.2. Action au pénal engagée par un tribunal hybride ou international

36. Mon précédent rapport, intitulé «Poursuivre et punir les crimes contre l’humanité voire l’éventuel génocide commis par Daech» 
			(49) 
			Doc. 14402, 22 septembre 2017., examinait différentes possibilités d’engagement de poursuites autrement que devant des tribunaux strictement nationaux dans la région ou dans les pays dont les combattants étrangers ont la nationalité.
37. La solution la plus évidente semble être d’engager des poursuites devant la Cour pénale internationale (CPI). Il existe trois voies juridiques pour y parvenir: premièrement, la Syrie et/ou l’Irak acceptent la compétence de la CPI (compétence territoriale), ce que, en 2017, je ne considérais pas comme étant réaliste, et qui ne l’est, semble-t-il, toujours pas aujourd’hui; deuxièmement, le Conseil de sécurité des Nations Unies défère la situation au procureur de la CPI, ce que j’estimais improbable en 2017 et qui m’apparaît encore plus improbable aujourd’hui, compte tenu de l’implication militaire de la Russie qui dispose d’un droit de veto au Conseil de sécurité, et du fait qu’un tel renvoi s’appliquerait sans nul doute à l’ensemble de la «situation» en Syrie 
			(50) 
			Le 22 mai 2014, un
projet de résolution du Conseil de sécurité visant à déférer la
situation en Syrie à la CPI s’est heurté au veto de la Russie et
de la Chine. En 2018, la Commission d’enquête internationale indépendante
sur la République arabe syrienne a recommandé que le Conseil de
sécurité défère la situation à la CPI ou à un tribunal ad hoc, voir le document de séance
intitulé «’I lost my dignity’:Sexual and gender-based violence in
the Syrian Arab Republic», A/HRC/37/CRP.3. D’aucuns ont affirmé
qu’il serait possible de limiter la saisine du Conseil de sécurité
aux seuls actes de Daech/EI et d’exclure les crimes commis par le
gouvernement Assad, mais cela poserait des problèmes de légitimité
et de sélectivité.; et, troisièmement, le procureur de la CPI décide d’ouvrir une enquête sur les crimes commis par le ressortissant d’un État partie au Statut de la CPI (compétence personnelle), ce qu’il a jusqu’à présent toujours refusé de faire. En 2015, la procureure de la CPI a publié une «Déclaration à propos des crimes qui auraient été commis par l’EI», dans laquelle elle observait que, si des milliers de combattants étrangers ont rejoint les rangs de Daech, et si certains d’entre eux ont probablement pris part à la commission de crimes réprimés par le droit international, cette organisation est avant tout dirigée par des ressortissants irakiens et syriens, de sorte que les perspectives d’enquête et de poursuites à l’encontre des dirigeants les plus responsables semblent limitées. Elle concluait donc que, «au stade actuel, le fondement juridique nécessaire pour procéder à un examen préliminaire est trop étriqué» 
			(51) 
			<a href='https://www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-de-la-cour-penale-internationale-mme-fatou-bensouda-propos-des-crimes'>www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-de-la-cour-penale-internationale-mme-fatou-bensouda-propos-des-crimes</a>, 8 avril 2015.. Malgré l’appel de l’Assemblée à la procureure de la CPI pour qu’elle réexamine cette décision à la lumière des conclusions ultérieures des parties concernées (paragraphe 8.3 de la Résolution 2190 (2017)), sa position n’a pas changé depuis.
38. Compte tenu de la paralysie de la CPI, une solution possible serait la création d’un tribunal international ad hoc ou d’une forme quelconque de tribunal «hybride» (national/international). J’indiquais en 2017 ce qui suit: «[l]e Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté des résolutions établissant des tribunaux pénaux internationaux ad hoc à deux reprises par le passé, pour l’ex-Yougoslavie en 1993 et pour le Rwanda en 1994. Diverses juridictions spéciales ont également été constituées sur la base d’accords passés entre les autorités nationales de l’État dans lequel les crimes avaient été commis et les Nations Unies, comme le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, créé en 2002, et le Tribunal spécial pour le Liban, constitué en 2007. L’autre modèle envisageable pourrait être celui des mécanismes juridictionnels «hybrides» mis en place au sein des appareils judiciaires nationaux – comme les Formations spéciales pour les crimes graves commis au Timor oriental, créées en 2000, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, établies en 2001, ou la Chambre spéciale pour les crimes de guerre du Tribunal d’État de Bosnie-Herzégovine, constituée en 2004 – dans lesquels siègent des juges internationaux et des juges nationaux.» On pourrait aussi faire référence dans ce contexte aux Chambres spécialisées pour le Kosovo (qui appartiennent au système judiciaire du Kosovo* 
			(52) 
			*Toute
référence au Kosovo dans le présent document, qu’il s’agisse de
son territoire, de ses institutions ou de sa population, doit être
entendue dans le plein respect de la Résolution 1244 du Conseil
de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, sans préjuger du
statut du Kosovo. mais ont leur siège à La Haye), instaurées en 2015.
39. Bien que le Conseil de sécurité des Nations Unies ait adopté des résolutions rappelant que Daech représente une menace globale pour la paix et la sécurité internationales par ses actes de terrorisme, les attaques flagrantes, systématiques et généralisées qu’il continue de mener contre des civils, ses violations du droit humanitaire et son recrutement de combattants terroristes étrangers 
			(53) 
			Résolution 2379 (2017)
du Conseil de sécurité des Nations Unies., il est actuellement peu probable qu’il établisse un tribunal ad hoc pour poursuivre et punir ses crimes en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, à l’instar de ceux mis en place pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda dans les années 1990. L’établissement d’un tribunal hybride sur la base d’un accord entre l’État dans lequel les crimes ont été commis et les Nations Unies – bien que cette démarche ne nécessite pas forcément la participation du Conseil de sécurité 
			(54) 
			Par exemple, via l’approbation
de l’Assemblée générale des Nations Unies, comme dans le cas des
chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (Résolution
57/228, 13 mai 2003). – est pratiquement impossible sans le consentement et la participation active de l’Irak et/ou de la Syrie.
40. En 2019, le Gouvernement suédois a proposé la création d’un tribunal international pour traduire en justice les combattants de Daech, une initiative soutenue par les Pays-Bas 
			(55) 
			<a href='https://ecfr.eu/article/commentary_a_tribunal_for_isis_fighters/'>https://ecfr.eu/article/commentary_a_tribunal_for_isis_fighters/</a>, 31 mai 2019. <a href='https://www.cbc.ca/radio/asithappens/as-it-happens-tuesday-edition-1.5152880/why-this-swedish-lawmaker-wants-to-set-up-a-new-court-for-isis-fighters-1.5146767'>www.cbc.ca/radio/asithappens/as-it-happens-tuesday-edition-1.5152880/why-this-swedish-lawmaker-wants-to-set-up-a-new-court-for-isis-fighters-1.5146767</a>, 28 mai 2019.. Le fondement juridique d’un tel tribunal pourrait être un traité multilatéral en vertu duquel les parties transféreraient au tribunal la compétence qu’elles exercent sur les membres de Daech (principe de la personnalité active). Cette proposition a été critiquée pour son aspect sélectif (elle ne s’adressait qu’à un seul groupe impliqué dans le conflit) et d’aucuns lui ont par ailleurs reproché de permettre aux États européens d’échapper à leurs responsabilités en matière de rapatriement. Enfin, il a été avancé que sans la participation ou la coopération des États territoriaux (Irak et Syrie), et avec seulement un petit nombre d’États impliqués, le tribunal spécial ne pourrait apporter qu’une contribution limitée à la lutte contre l’impunité et à la justice 
			(56) 
			 <a href='http://opiniojuris.org/2021/03/15/scsl-symposium-a-legal-legacy-that-opens-the-way-to-justice-in-challenging-places-and-times-part-ii/'>http://opiniojuris.org/2021/03/15/scsl-symposium-a-legal-legacy-that-opens-the-way-to-justice-in-challenging-places-and-times-part-ii/</a>, 15 mars 2021. Voir aussi Marieke de Hoon, «Accountability
for the Yazidi Genocide», document de réflexion pour le Parlement
néerlandais, 10 février 2022..
41. Bien que je sois conscient des difficultés pratiques auxquelles se heurte la création d’un nouveau tribunal international, je continue à croire que la meilleure solution serait un mécanisme juridictionnel international ayant pour mandat de poursuivre et punir les crimes internationaux commis par les membres de Daech. Si, comme cela semble être le cas, la proposition d’établir un tribunal hybride au sein des tribunaux nationaux irakiens (ou une variante avec des experts internationaux) reste lettre morte 
			(57) 
			En
octobre 2019, le ministre irakien des Affaires étrangères a émis
des doutes sur la probabilité que l’Irak accepte la mise en place
d’un tribunal hybride, quel qu’il soit, pour juger les combattants
étrangers sur le sol irakien, et a rappelé que la peine de mort
continuerait de s’appliquer pour toute personne jugée pour des crimes
commis en Irak: <a href='https://paxforpeace.nl/media/download/policybrief-iraq-isis-tribunal-2019-eng.pdf'>https://paxforpeace.nl/media/download/policybrief-iraq-isis-tribunal-2019-eng.pdf</a>, 31 octobre 2019. Il semblerait que les autorités irakiennes
ne soient pas favorables à un tribunal hybride; l’un de leurs arguments
est que la Constitution irakienne ne permet pas la nomination de
juges non irakiens ni la création de tribunaux spéciaux. Par exemple,
en 2021, la Cour suprême fédérale d’Irak a rejeté le projet du Gouvernement
régional kurde de créer un tribunal pénal spécial pour poursuivre
les membres de Daech accusés de crimes réprimés par le droit international,
au motif que la Constitution interdisait la création d’un tribunal
spécial ou extraordinaire., les États membres devraient plutôt envisager la création d’un tribunal spécial international à part entière. Ce tribunal pourrait être compétent pour les membres de Daech qui sont ressortissants d’un État membre, qui sont détenus en Irak et/ou en Syrie et qui ne peuvent y être jugés conformément aux normes internationales relatives aux droits de l’homme. Il traiterait les crimes internationaux qui relèvent du droit international coutumier, notamment les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide 
			(58) 
			Certains
ont fait valoir qu’il devrait viser uniquement les crimes liés au
terrorisme: <a href='https://www.justsecurity.org/75544/a-tribunal-for-isis-fighters-a-national-security-and-human-rights-emergency/'>www.justsecurity.org/75544/a-tribunal-for-isis-fighters-a-national-security-and-human-rights-emergency</a>, 30 mars 2021.. Les États membres devraient favoriser la création d’un tel tribunal, éventuellement par le biais d’un traité multilatéral, au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies, du Conseil de l’Europe ou de l’Union européenne. En parallèle, il convient d’encourager fortement les autorités irakiennes à prendre part aux négociations en vue de l’établissement d’un tribunal hybride ou d’un tribunal international spécial.

4.3. Action au pénal engagée par les autorités des États membres du Conseil de l’Europe

42. Comme nous l’avons vu plus haut, la plupart des réponses des parlements nationaux au questionnaire citent des exemples de poursuites et de condamnations de rapatriés de Daech pour des infractions liées au terrorisme. En effet, les États sont tenus par la Résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité des Nations Unies et par le Protocole additionnel de 2015 à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (pour les États qui l’ont ratifié) d’incriminer le phénomène des combattants terroristes étrangers en qualifiant d’infraction pénale grave les voyages à des fins de terrorisme ainsi que le recrutement et le financement des combattants terroristes étrangers. Cette criminalisation s’applique, de façon non exclusive, aux actes commis par leurs propres ressortissants, par exemple le fait de se rendre dans un État autre que l’État de nationalité ou de résidence à des fins de terrorisme (article 4). Bien qu’elle ne mentionne pas expressément l’obligation de rapatrier les combattants étrangers vivant ou détenus à l’étranger dans les États dont ils ont la nationalité à des fins de poursuites, la Résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité des Nations Unies établit l’obligation générale d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies de poursuites, de réadaptation et de réinsertion pour les combattants terroristes étrangers de retour. En outre, la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme exige que les États établissent leur compétence lorsque l’infraction est commise par un de leurs ressortissants, quel que soit le lieu de commission 
			(59) 
			Article 14
(compétence), applicable à toute infraction prévue par le Protocole
additionnel..
43. En outre, le droit international humanitaire et le droit pénal international imposent aux États l’obligation de poursuivre certains crimes, quel que soit le lieu où ils ont été commis, comme les crimes de guerre 
			(60) 
			Première
Convention de Genève, article 49; Deuxième Convention de Genève,
article 50; Troisième Convention de Genève, article 129; et Quatrième
Convention de Genève, article 146. Ces dispositions obligent les
États à adopter une législation pour punir les «infractions graves»
(crimes de guerre), rechercher les personnes soupçonnées d’avoir
commis de telles infractions et les traduire en justice ou les extrader
vers un autre État afin qu’elles y soient jugées (aut dedere aut judicare). En vertu
du droit coutumier, les États sont également tenus d’enquêter sur
les crimes de guerre commis par leurs ressortissants et d’en poursuivre
les auteurs, que ce soit dans le cadre de conflits armés internationaux
ou non internationaux (<a href='https://ihl-databases.icrc.org/customary-ihl/fre/docs/v1_rul_rule158'>https://ihl-databases.icrc.org/customary-ihl/fre/docs/v1_rul_rule158</a>). et d’autres crimes visés par des traités internationaux spécifiques 
			(61) 
			Voir la Convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants, 10 décembre 1984, article 7.. En vertu du droit international, les États ont le droit d’affirmer leur compétence à l’égard des crimes contre l’humanité et des génocides commis à l’étranger, par exemple par leurs ressortissants ou en vertu du principe de compétence universelle 
			(62) 
			Selon la Cour internationale
de Justice, l’article VI de la Convention sur le génocide n’oblige
les États qu’à exercer leur compétence pénale territoriale, mais
ne leur interdit pas de conférer une compétence fondée sur d’autres
critères, en particulier la nationalité de l’accusé (Application de la Convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide [Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro]),
arrêt du 26 février 2007, paragraphe 442).. Certains États qui prévoient une compétence universelle pour certains crimes limitent toutefois son application aux auteurs présumés qui sont physiquement présents sur leur territoire (par exemple, les Pays-Bas).

4.3.1. Exemples récents concernant des crimes internationaux commis par des membres de Daech

44. Des affaires liées aux crimes de Daech ont été portées devant les tribunaux de plusieurs États membres du Conseil de l’Europe, notamment en Allemagne, en France, en Suède et aux Pays-Bas 
			(63) 
			Informations
de Marieke de Hoon, «Accountability for the Yazidi Genocide», op.
cit.; Réseau Génocide, Eurojust, Vue d’ensemble de la jurisprudence
nationale, janvier 2022: <a href='https://www.eurojust.europa.eu/publication/overview-national-jurisprudence'>www.eurojust.europa.eu/publication/overview-national-jurisprudence</a>..
45. Le 26 janvier 2021, la Cour d’appel de La Haye a condamné un ressortissant néerlandais revenu de Syrie à sept ans d’emprisonnement pour participation à une organisation terroriste (EI), crime de guerre et atteinte à la dignité de la personne. Pendant son séjour en Syrie, l’accusé avait posé à côté d’un homme exécuté par l’EI et attaché à une croix. Sur la photo, postée ultérieurement par l’accusé sur Facebook, il apparaissait fier et prenait résolument la pose. Le tribunal a estimé qu’il avait contribué à l’humiliation et à la dégradation de la personne décédée mise hors de combat.
46. En janvier 2022, deux organisations indépendantes qui recueillent les témoignages de victimes yézidies en Irak ont indiqué avoir réuni des preuves de l’implication de combattants néerlandais de Daech dans des crimes commis contre les Yézidis. L’une des victimes, Layla Taloo, a déclaré avoir été réduite en esclavage et abusée sexuellement par un combattant de Daech danois et son épouse néerlandaise. Rien ne permet toutefois de savoir où se trouve actuellement l’épouse néerlandaise, qui s’est échappée du camp de détention d’al-Hol en Syrie l’année dernière.
47. L’Allemagne applique la compétence universelle de manière moins restrictive que d’autres États et, par conséquent, beaucoup plus d’affaires ont été portées devant les tribunaux allemands 
			(64) 
			L’Allemagne est en
mesure de constituer des dossiers contre des suspects qui ne se
trouvent pas sur son territoire, en s’appuyant par exemple sur des
preuves fournies par des réfugiés.. Le 30 novembre 2021, la Cour d’appel de Francfort a condamné Taha al J., un ressortissant irakien, à la prison à perpétuité pour génocide, crime contre l’humanité et crime de guerre. Pour la première fois au monde, un tribunal a qualifié de génocide les crimes commis contre les Yézidis. Taha al J. a rejoint Daech en 2015 et a «acheté» une femme yézidie et sa fillette de cinq ans qui avaient été enlevées lors de l’attaque de Sinjar en 2014. Avec son épouse, il a réduit cette femme et sa fille en esclavage et les a forcées à pratiquer l’islam. Un jour que la fillette de cinq ans avait uriné dans son lit parce qu’elle était malade, il l’a punie en la menottant à une fenêtre par une chaleur torride et l’a laissée agoniser sous les yeux de sa mère. Le tribunal allemand a conclu que Taha al J. avait agi ainsi à l’encontre de la fillette yézidie et de sa mère «dans l’intention d’éliminer la minorité religieuse yézidie». La mère de la fillette était partie civile à la procédure, après avoir été identifiée et localisée par une ONG en Irak. Elle était présente dans la salle d’audience au moment où la décision a été rendue 
			(65) 
			<a href='https://www.doughtystreet.co.uk/news/german-court-hands-down-first-genocide-conviction-against-isis-member'>«German
court hands down first genocide conviction against ISIS member»,
Doughty Street Chambers</a>.. En octobre 2021, la Cour d’appel de Munich a condamné l’épouse de Taha al J. (ressortissante allemande) à dix ans d’emprisonnement pour crime contre l’humanité et pour son implication dans la mort de la fillette yézidie de cinq ans.
48. Le 21 avril 2021, une cour d’appel régionale a condamné une citoyenne allemande à quatre ans et trois mois d’emprisonnement pour participation à une organisation terroriste, complicité dans la réduction en esclavage d’une femme yézidie (crime contre l’humanité) et pillage (crime de guerre). En 2015, l’accusée s’était rendue avec sa fille de trois ans en Syrie pour rejoindre l’EI. Elle avait épousé un combattant de l’EIIL et avait bénéficié à titre gratuit de deux logements que l’EIIL s’était appropriés comme butin de guerre. Elle recevait souvent la visite d’une autre épouse, accompagnée d’une femme yézidie réduite en esclavage qui effectuait des tâches ménagères ou de garde d’enfants à son profit.
49. En Suède, en mars 2022, le tribunal de district de Stockholm a condamné une Suédoise à six ans d’emprisonnement pour avoir enrôlé son fils dans les forces armées de l’EIIL (crime de guerre). En avril 2013, l’accusée avait emmené son fils, alors âgé de 11 ans, en Syrie. Le garçon avait été recruté peu après son arrivée et exploité pendant deux ans et demi comme enfant-soldat par des groupes armés de l’EIIL. Il est mort à Raqqa, en Syrie, à l’âge de 16 ans.
50. En France, le 7 septembre 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé la mise en examen de Lafarge, société de droit français, pour complicité de crimes contre l’humanité, financement d’activités terroristes et mise en danger de la vie d’autrui. La filiale locale de Lafarge exploitait une cimenterie dans une région de Syrie occupée par divers groupes armés, dont l’EIIL. La filiale a versé des sommes d’argent à ces groupes armés afin de ne pas compromettre son activité. Le tribunal a estimé que Lafarge avait financé, par l’intermédiaire de ses filiales, les activités de l’EIIL en versant plusieurs millions de dollars et qu’elle ne pouvait ignorer la nature des actions menées par l’organisation, qui étaient susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité. L’affaire a été renvoyée devant la chambre de l’instruction afin que la procédure suive son cours.
51. Enfin, il convient de mentionner qu’en octobre 2021, la France et la Suède ont mis sur pied une équipe commune d’enquête en appui des procédures relatives aux principaux crimes internationaux commis par des combattants terroristes étrangers contre la population yézidie en Syrie et en Irak. Cette initiative vise à éviter la multiplicité des entretiens avec les mêmes victimes, pour réduire le risque de retraumatisation. Les États qui ne sont pas officiellement partenaires de l’équipe commune d’enquête peuvent bénéficier de ses travaux et contribuer activement à la collecte d’informations sur l’implication de leurs propres ressortissants.
52. À partir des exemples cités ci-dessus, nous pouvons constater que plusieurs condamnations ont été prononcées à l’égard de femmes membres de Daech. Comme l’a déclaré Mme Prodeau lors de l’audition du 23 mai 2022, la communauté yézidie est particulièrement alarmée de voir que les membres féminins de Daech se font passer elles-mêmes pour des victimes ou qu’elles pourraient échapper à leur responsabilité sur la base des stéréotypes de genre. Dans certains cas, des femmes membres de Daech retenaient elles-mêmes des femmes yézidies en captivité ou les préparaient avant qu’elles ne soient violées. Il est donc extrêmement important d’étudier la responsabilité individuelle de chaque membre de Daech qui revient dans son pays, y compris les femmes, en tenant compte du rôle spécifique qu’elles ont pu jouer dans la commission des crimes, que ce soit en les favorisant, en les facilitant ou en les commettant 
			(66) 
			Cette démarche est
également conforme à la Résolution 2396 (2017) du Conseil de sécurité,
paragraphes 29 à 31, qui mentionne les conjoints et les enfants
des combattants terroristes étrangers. Voir aussi: <a href='https://opiniojuris.org/2021/09/09/isis-as-a-joint-criminal-enterprise-part-ii-the-role-of-women/'>https://opiniojuris.org/2021/09/09/isis-as-a-joint-criminal-enterprise-part-ii-the-role-of-women/</a>, 9 septembre 2021; et la Conférence internationale sur les
rôles des femmes et des enfants dans le terrorisme, qui s’est tenue
les 15 et 16 décembre 2021 au Conseil de l’Europe, <a href='https://rm.coe.int/programme-conf-fr-final/1680a4dfed'>https://rm.coe.int/programme-conf-fr-final/1680a4dfed</a>..

4.3.2. Les questions de preuve

53. La Résolution 2190 (2017) de l’Assemblée a reconnu que les questions de preuve étaient essentielles dans la perspective de l’engagement de poursuites contre les membres présumés de Daech, notamment pour les procédures devant un tribunal international situé hors de la région ou pour le renvoi des combattants étrangers devant la justice de leur pays d’origine. Les problèmes posés notamment par la conservation des éléments de preuve matérielle, par exemple les documents et les sites d’inhumation, la prise de déposition de témoins et la présence de témoins hors de la région doivent être traités. Sans preuve spécifique suffisante, les chances que la justice soit rendue pour les crimes d’une extrême gravité qui ont été commis seront considérablement réduites.
54. Deux mécanismes internationaux ont été mis en place pour enquêter sur les violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire en Syrie: la «Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne», créée en août 2011 par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies; et le «Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en République arabe syrienne depuis mars 2011 et d’aider à juger ceux qui en sont responsables» (IIIM), créé en décembre 2016 par l’Assemblée générale des Nations Unies. Le mandat de la Commission, tel que le décrit la Résolution 21/26 du Conseil des droits de l’homme, consiste à «mener rapidement une enquête internationale transparente et indépendante sur les abus et les violations du droit international afin de demander des comptes aux responsables, notamment de violations et d’abus pouvant constituer des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre». Le Mécanisme a pour mission de «recueillir, de regrouper, de préserver et d’analyser les éléments de preuve attestant de violations du droit international humanitaire, de violations du droit des droits de l’homme et d’atteintes à ce droit, et de constituer des dossiers en vue de faciliter et de diligenter des procédures pénales équitables, indépendantes et conformes aux normes du droit international devant des cours ou tribunaux nationaux, régionaux ou internationaux, qui ont ou auront compétence pour connaître de ces crimes conformément au droit international». Il convient de noter que le mandat de ces deux mécanismes s’étend aux actes commis non seulement par Daech, mais également par toutes les parties au conflit en Syrie.
55. L’UNITAD a été mise sur pied en 2018, conformément à la Résolution 2379 (2017) du Conseil de sécurité des Nations Unies. Bien que le mandat de l’UNITAD précise que les preuves recueillies doivent être prioritairement mises à la disposition des autorités irakiennes, il prévoit également la possibilité de partager ces preuves avec d’autres États pour les aider à engager des poursuites au niveau national contre des membres de Daech. La capacité de l’UNITAD à recueillir des dépositions auprès de témoins, combinée à sa capacité à compiler des documents internes de l’EIIL qui corroborent les preuves recueillies sur le «théâtre des opérations numériques», s’est révélée particulièrement utile pour appuyer différentes procédures nationales. Par exemple, un soutien a été apporté aux autorités portugaises dans le cadre de l’arrestation de deux personnes soupçonnées d’avoir fait partie des réseaux d’EIIL pendant la période d’occupation de Mossoul. L’UNITAD a également créé une base de données spécifique, afin de réunir et de recouper des preuves relatives aux combattants terroristes étrangers. Elle a par ailleurs un statut d’associé au sein du Réseau Génocide soutenu par Eurojust 
			(67) 
			Septième
rapport du Conseiller spécial et Chef de l’Équipe d’enquête des
Nations Unies chargée d’amener Daech/l’État islamique en Irak et
au Levant à répondre de ses crimes, S/2021/974, 24 novembre 2021,
p. 20-21..
56. Certes, ces mécanismes internationaux des Nations Unies ne constituent pas un tribunal chargé de poursuivre et de juger les auteurs d’une infraction, mais ils n’en sont pas moins devenus des outils précieux pour la collecte de preuves à l’appui des juridictions nationales. Je pense que les États membres devraient davantage soutenir ces mécanismes d’enquête et s’y associer par le biais de contributions financières volontaires, la nomination d’experts nationaux détachés et la signature d’accords de coopération pour utiliser leurs éléments de preuve dans le cadre des procédures pénales nationales.
57. En ce qui concerne les preuves recueillies sur le théâtre des opérations, le Mémorandum de 2020 sur les preuves recueillies sur le théâtre des opérations publié par Eurojust indique que, ces dernières années, plusieurs pays ont utilisé ces éléments de preuve dans le cadre de procédures pénales engagées contre des combattants terroristes étrangers et d’autres personnes impliquées dans des conflits armés 
			(68) 
			<a href='https://www.eurojust.europa.eu/sites/default/files/assets/developments-in-the-fight-against-impunity-for-core-international-crimes-in-the-eu.pdf'>www.eurojust.europa.eu/sites/default/files/assets/developments-in-the-fight-against-impunity-for-core-international-crimes-in-the-eu.pdf</a>, mai 2022, p. 26-27.. Il importe également de noter que le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a récemment adopté une recommandation spécifique sur l’utilisation d’informations recueillies dans des zones de conflit comme preuves dans le cadre de procédures pénales relatives à des infractions terroristes (CM/Rec(2022)8, 30 mars 2022). Cette recommandation énonce que les États membres devraient prendre toutes les mesures nécessaires pour rendre les informations recueillies par le personnel militaire et les services de renseignement dans les zones de conflit recevables comme preuves en vertu des dispositions nationales de procédure pénale. Les États membres sont également encouragés à renforcer leur coopération avec d’autres parties prenantes, telles que les ONG 
			(69) 
			Par exemple, Mme Prodeau
a expliqué lors de l’audition du 23 mai 2022 comment son organisation,
Free Yezidi Foundation, recueille des informations auprès des survivants
yézidis et les partage avec les procureurs des États membres du
Conseil de l’Europe et les dispositifs d’enquête des Nations Unies., les médias, les entreprises et les prestataires privés, afin d’utiliser les informations que ceux-ci pourraient détenir.
58. À ce propos, les services militaires et de renseignement de 27 États, ainsi que leurs autorités policières, participent à l’opération «Gallant Phoenix», une initiative du Gouvernement américain dont le centre névralgique se trouve en Jordanie. Elle fonctionne comme une plateforme multilatérale de partage d’informations et est devenue une source majeure de données et d’éléments de preuve sur les combattants terroristes étrangers et leurs complices pour les autorités policières et judiciaires 
			(70) 
			<a href='https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/25/operation-gallant-phoenix-la-guerre-secrete-des-donnees-contre-les-djihadistes_6074363_3210.html'>«’Operation
Gallant Phoenix’, la guerre secrète des données contre les djihadistes»,</a>lemonde.fr, 25 mars
2021..

4.3.3. Cumul des poursuites

59. Un rapport publié en 2020 par le Réseau Génocide a mis en évidence la jurisprudence et les pratiques nationales existantes pour montrer qu’il est possible de poursuivre les combattants terroristes étrangers et de les tenir responsables de manière cumulée de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et du crime de génocide, en plus des infractions liées au terrorisme (notamment l’appartenance à une organisation terroriste) 
			(71) 
			<a href='https://www.eurojust.europa.eu/publication/cumulative-prosecution-foreign-terrorist-fighters-core-international-crimes-terrorism-related'>www.eurojust.europa.eu/publication/cumulative-prosecution-foreign-terrorist-fighters-core-international-crimes-terrorism-related</a>, mai 2020.. Plusieurs affaires récentes survenues dans divers États membres (Allemagne, France et Pays-Bas) semblent confirmer cette tendance, qui conduit généralement à une condamnation à des peines nettement plus lourdes que celles prononcées pour les seules infractions terroristes. Par exemple, le 29 juin 2021, le tribunal de district de La Haye a condamné une Néerlandaise à six ans d’emprisonnement pour appartenance à une organisation terroriste et participation à une organisation ayant pour but de commettre des crimes de guerre, ainsi que pour avoir partagé des vidéos montrant des prisonniers de Daech brûlés vifs et avoir ainsi porté atteinte à la dignité personnelle des défunts. Le tribunal a considéré pour la première fois que Daech n’était pas seulement une organisation terroriste, mais aussi une organisation criminelle ayant pour but de commettre des crimes de guerre. Il a fondé sa décision sur le traitement inhumain et cruel que Daech réserve aux personnes qui n’adhèrent pas à ses croyances.
60. Le cumul des poursuites tient mieux compte de la gravité des infractions commises par les membres de Daech et montre que la législation antiterroriste et le droit pénal international/droit international humanitaire peuvent être complémentaires pour garantir l’engagement d’une responsabilité globale et des peines proportionnées 
			(72) 
			À cet égard, le Comité
du Conseil de l’Europe de lutte contre le terrorisme (CDCT) envisage
actuellement de s’engager davantage sur l’interaction entre le droit
international humanitaire et le terrorisme, dans le cadre de l'élaboration de
la prochaine stratégie du Conseil de l’Europe de lutte contre le
terrorisme (2023-2027)..

5. Autres pistes pour lutter contre l’impunité: la question de la responsabilité des États pour génocide

61. Parallèlement aux poursuites engagées à l’encontre des membres de Daech pour juger les crimes réprimés par le droit international devant des juridictions nationales ou internationales, la question se pose de savoir si certains États pourraient être tenus responsables devant un tribunal international pour n’avoir pas respecté leurs obligations au titre de la Convention sur le génocide de 1948 à l’égard du génocide commis par Daech contre les Yézidis et d’autres groupes protégés. Parmi ces obligations figurent celles de ne pas commettre de génocide (par l’intermédiaire de leurs propres organes, de leurs agents ou en leur nom) 
			(73) 
			Articles III, dont
la complicité de génocide, et IV.; prévenir le génocide 
			(74) 
			Article I.; de punir les auteurs lorsque le crime a été commis 
			(75) 
			Articles I et IV.; et d’adopter la législation qui s’impose pour donner effet aux obligations découlant de la Convention 
			(76) 
			Article V.. L’obligation de prévention est particulièrement importante. Elle exige d’un État qu’il prenne des mesures pour empêcher la commission d’un génocide dès l’instant où il a connaissance, ou devrait avoir connaissance, de l’existence d’un risque sérieux de commission d’un génocide. Dès cet instant, l’État est tenu, s’il dispose de moyens susceptibles d’avoir un effet dissuasif à l’égard des personnes soupçonnées de préparer un génocide, ou dont on peut raisonnablement craindre qu’ils en nourrissent l’intention spécifique, de mettre en œuvre ces moyens, selon les circonstances. Il s’agit d’une obligation de moyens plutôt que de résultat, en ce sens que les États ont le devoir «de mettre en œuvre tous les moyens qui sont raisonnablement à leur disposition en vue d’empêcher, dans la mesure du possible, le génocide». Ainsi, il faut tenir compte de la «capacité à influencer effectivement l’action des personnes susceptibles de commettre, ou qui sont en train de commettre, un génocide», qui dépend, entre autres, de l’intensité des liens ou de l’éloignement géographique de l’État concerné par rapport au lieu des événements 
			(77) 
			CIJ, Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro),
arrêt du 26 février 2007, paragraphes 430-431.. Cette obligation peut en effet s’appliquer de manière extraterritoriale 
			(78) 
			Dans l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro,
la CIJ a conclu que l’État défendeur avait violé son obligation
de prévenir le génocide de Srebrenica en 1995, qui n’a pas été perpétré
sur son territoire ni commis par ses organes ou agents..
62. En vertu de l’article IX de la Convention sur le génocide, les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux qui concernent la responsabilité d’un État en matière de génocide, sont soumis à la Cour internationale de Justice (CIJ), à la requête d’une partie au litige. La CIJ estime que tous les États parties à la Convention ont un intérêt commun à assurer la prévention des actes de génocide et, s’ils se produisent, à veiller à ce que leurs auteurs ne bénéficient pas de l’impunité. Les obligations en question s’imposent à tout État partie à l’égard de tous les autres États parties. Par conséquent, tout État partie peut invoquer la responsabilité d’un autre État partie en vue de faire constater le manquement allégué de celui-ci à ses obligations erga omnes partes et de mettre fin à ce manquement 
			(79) 
			Voir CIJ, Application de la Convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
Demande en indication de mesures conservatoires, Ordonnance du 23 janvier
2020, paragraphes 41-42..
63. Compte tenu de l’impossibilité d’établir la responsabilité de Daech, en qualité d’acteur non étatique, devant les juridictions internationales, les États membres pourraient envisager de saisir la CIJ à l’encontre des États qui n’auraient pas prévenu et puni les actes de génocide commis par Daech, ou dont la responsabilité internationale pourrait être autrement engagée en vertu de la Convention sur le génocide.

6. Conclusions

64. Dans sa Résolution 2190 (2017), l’Assemblée a réaffirmé sa position selon laquelle des membres de Daech ont commis des actes de génocide et d’autres crimes graves réprimés par le droit international en Syrie et en Irak. Elle a appelé les États membres «à prendre des mesures rapides et efficaces conformément aux obligations qu’ils ont contractées au titre de la Convention de 1948 sur le génocide afin de prévenir et de punir les actes de génocide, et à répondre de leur responsabilité générale d’agir contre les crimes réprimés par le droit international», notamment en menant des enquêtes et en traduisant en justice les membres présumés de Daech qui relèvent de leur compétence ou de leur contrôle, sur la base du principe de la compétence universelle. Elle a par ailleurs demandé aux Nations Unies d’envisager la création d’un mécanisme juridictionnel spécial pour juger les crimes commis par Daech en Irak.
65. Malheureusement, peu de progrès ont été réalisés dans la mise en œuvre de cette résolution. S’agissant des différents lieux possibles pour poursuivre et traduire en justice les combattants étrangers de Daech, l’engagement de poursuites en Irak et en Syrie ne semble plus être une solution acceptable. Les considérations relatives aux droits de l’homme (normes de procès équitable, peine de mort) et le fait qu’il n’existe toujours pas de cadre législatif pour juger les crimes internationaux font qu’il est difficile pour les États européens de maintenir leur position selon laquelle leurs ressortissants devraient être jugés dans ces pays puisqu’ils y ont commis leurs crimes. Par ailleurs, la solution qui consiste à établir un mécanisme juridictionnel hybride en Irak, avec une forme de participation internationale, reste difficilement faisable sans l’accord de l’État concerné. En l’absence de toute autre juridiction internationale où les combattants étrangers de Daech pourraient être jugés, et compte tenu de la position du procureur de la CPI sur la question, les États membres devraient donner la priorité à la création d’un tribunal international spécial qui aurait pour mandat de poursuivre leurs propres combattants étrangers de Daech détenus en Syrie et en Irak, avec la participation et le soutien de l’Assemblée générale des Nations Unies, de l’Union européenne ou du Conseil de l’Europe. Il importe de continuer à encourager les autorités irakiennes à prendre part aux négociations en vue de la création d’un tribunal international spécial ou d’un tribunal hybride.
66. En attendant la mise en place de ce mécanisme juridictionnel international, l’option la plus évidente reste la poursuite des combattants étrangers devant les tribunaux nationaux des États membres, sur la base du principe de la personnalité active ou de la compétence universelle, comme le suggérait déjà la Résolution 2190 (2017) de l’Assemblée. Malgré tous les obstacles et difficultés qui se posent, notamment en ce qui concerne l’accès aux preuves situées dans les zones de conflit, les exemples récents de l’Allemagne (avec la toute première condamnation pour génocide), des Pays-Bas et de la Suède montrent que les États membres ont la capacité de juger les membres de Daech en Europe. En appliquant à la fois la législation antiterroriste et l’incrimination des crimes internationaux tels que le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, les autorités chargées des poursuites et les autorités judiciaires sont mieux à même de traiter de manière exhaustive la complexité et la gravité des diverses infractions commises par les combattants de Daech, tout en agissant en conformité avec les obligations des États en vertu du droit international. S’il convient évidemment de saluer les récentes condamnations, force est de constater qu’elles restent limitées par rapport au nombre de rapatriés et de combattants étrangers toujours détenus en Irak et en Syrie qui n’ont pas été jugés. Le maintien de ces personnes dans des camps ou des prisons pour une durée indéfinie, avec le risque de leur endoctrinement et de leur radicalisation supplémentaires par Daech, ainsi que de leur évasion, peut s’avérer contre-productif sur le plan de la prévention du terrorisme et de la sécurité européenne et mondiale et ne contribue pas à les amener à répondre de leurs actes. Cependant, il convient que les États donnent clairement la priorité au chef d'inculpation de génocide, au moins pour les crimes commis contre les Yézidis et les autres minorités concernées. Ils devraient également aborder la question de la responsabilité pénale de tous les membres de Daech, y compris les femmes, en fonction de leur rôle et de leur implication réels, et en évitant les stéréotypes de genre. En outre, il importe qu’ils élaborent et mettent en œuvre des stratégies de réadaptation et de réinsertion pour tous les rapatriés, en mettant l'accent sur des programmes de déradicalisation des enfants et des jeunes adultes. Ces mesures ne devraient en aucun cas se substituer aux poursuites engagées à l'encontre des personnes pénalement responsables ni à leur condamnation à une peine.
67. Enfin, parallèlement à l’établissement de la responsabilité pénale des membres individuels de Daech devant les juridictions nationales ou internationales, les États membres devraient également envisager de recourir à d’autres mécanismes de responsabilité existants, par exemple en prenant des mesures pour tenir les États internationalement responsables, en vertu de la Convention sur le génocide, de leur incapacité présumée à prévenir et à punir le génocide commis par Daech. Les États avaient l'obligation juridique de prévenir le génocide que commettait Daech, en empêchant le flux de combattants terroristes étrangers vers les zones contrôlées par Daech et en engageant des poursuites effectives contre les auteurs de ces actes, afin de dissuader la commission de nouveaux crimes.