1. Origine
du rapport, portée et procédure
1. Le présent rapport a été élaboré
pour un débat selon la procédure d’urgence, conformément à l’article 51
du Règlement de l’Assemblée parlementaire. En raison du peu de temps
disponible pour sa préparation, il ne couvre que quelques faits
récents, mais très significatifs, de l’agression de la Fédération
de Russie contre l’Ukraine. Un certain nombre d’autres rapports,
qui sont en cours de préparation au sein de différentes commissions
de l’Assemblée selon la procédure ordinaire, approfondiront des
sujets que je ne pourrai mentionner que brièvement dans le cadre
de ce travail mais qui méritent un examen attentif.
2. Introduction
2. Plus de huit mois après le
début de l’agression brutale, illégale, injustifiée et injustifiable
à grande échelle commise par la Fédération de Russie, le peuple
ukrainien reste fermement résolu à se défendre et à libérer son
pays de l’envahisseur.
3. De leur côté, face à cette menace majeure pour la paix et
la sécurité, les autres États européens font front commun, unis
par leurs valeurs communes, et restent déterminés à ne pas laisser
l’agresseur l’emporter. Ils soutiennent l’Ukraine dans son droit
à l’autodéfense, accueillent les Ukrainiens qui fuient pour se mettre
à l’abri, et s’engagent à investir dans la reconstruction du pays.
Ils manifestent leur attachement à un multilatéralisme fondé sur
des règles. Par ailleurs, ils prennent des mesures afin de garantir
leur indépendance vis-à-vis de la Fédération de Russie dans le secteur
stratégique de l’énergie et de veiller à ce que cette dernière soit
tenue de rendre des comptes pour ses crimes et violations du droit
international.
4. Au fur et à mesure que la guerre d’agression se poursuit,
la Fédération de Russie prend des mesures militaires, politiques
et rhétoriques qui conduisent à une recrudescence de la violence
et risquent d’élargir le conflit. La tentative d’annexion illégale
de quatre régions d’Ukraine faite par la Fédération de Russie en recourant
à de prétendus référendums constitue une nouvelle violation grave
de la Charte des Nations Unies. Alors qu’ils décrètent une mobilisation
militaire partielle et intensifient la répression interne, sur la
scène internationale, les dirigeants russes durcissent leur rhétorique
hostile à l’égard de ce qu’ils nomment «l’Occident», laissent entendre
que le recours aux armes nucléaires est une possibilité, appellent
à un nouvel ordre international et s’efforcent de consolider leurs
liens avec des pays comme le Bélarus, la Chine, l’Iran, la Corée
du Nord et la Syrie.
5. L’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine a
des conséquences politiques d’envergure mondiale. Malheureusement,
ayant un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU, l’agresseur,
est également en mesure de bloquer toute action de ce dernier visant
à préserver la paix et la sécurité. L’unité des États partageant
les mêmes idées, qui chérissent la paix et qui soutiennent le multilatéralisme
fondé sur des règles, est plus que jamais nécessaire à ce moment
dangereux de l’histoire.
3. La
situation sur le terrain
3.1. Évolution
sur le plan militaire
6. Après la période de relative
impasse militaire qui a marqué la fin du printemps et le début de
l’été, la donne a considérablement changé au cours des deux derniers
mois. L’Ukraine a lancé des opérations de contre-offensive dans
le sud du pays fin août, puis dans le nord-est début septembre.
Le 13 septembre, le Président Zelensky a déclaré que les forces
ukrainiennes avaient repris environ 8 000 kilomètres carrés de territoire
aux forces russes.
7. En octobre, les troupes russes se sont retirées de la ville
stratégique de Lyman située dans l’est du pays, qu’elles avaient
transformée en plaque-tournante logistique, tandis que les forces
ukrainiennes ont libéré de nombreux villages dans les régions de
Kherson, Donetsk et Lougansk; cette dernière était, jusqu’à récemment, presque
totalement sous contrôle russe. Les correspondants de guerre russes
ont évoqué des «reculs catastrophiques» dans l’est, et les journalistes
ont recueilli des témoignages faisant état de milices tchétchènes
tirant sur des soldats russes qui fuyaient le front.
8. À mesure qu’elles perdent du terrain, les forces russes ont
de plus en plus recours à l’artillerie à longue portée pour tuer
et semer la panique dans les villes et villages ukrainiens, parfois
très éloignés des lignes de front. Nikopol, Zaporijia, Mykolaïev
et Beryslav, notamment, ont fait l’objet de multiples tirs de roquettes
visant des zones résidentielles au cours des premières semaines
d’octobre, l’armée ukrainienne évoquant l’utilisation de drones
kamikazes de fabrication iranienne en complément de l’artillerie
plus traditionnelle. Les troupes russes qui battent en retraite
ont également tenté de détruire des ponts et des points de passage
afin de ralentir la progression des forces ukrainiennes.
9. A la faveur d’un nouveau revers militaire majeur pour Moscou,
la péninsule de Crimée, illégalement occupée, a subi plusieurs attaques
au cours des derniers mois. En août, une série de déflagrations
a détruit plusieurs avions de combat dans une base militaire russe
en Crimée. Une semaine plus tard, de fortes explosions ont frappé
un dépôt de munitions, les autorités ukrainiennes affirmant qu’elles
étaient l’œuvre d’une unité d’élite de l’armée opérant derrière
les lignes ennemies. Le 8 octobre, une explosion a partiellement
détruit le pont lourdement gardé reliant la Russie à la Crimée qui,
en plus d’être un symbole important de l’occupation russe, a servi
de lien logistique essentiel aux troupes russes dans le sud de l’Ukraine.
10. Le 10 octobre, des explosions ont frappé la capitale Kiev
lors de la série de tirs de missiles russes la plus étendue, la
plus aveugle et la plus barbare depuis les premières semaines de
l’agression, ainsi que de nombreuses autres villes du pays, dont
Lviv, Dnipro et Zaporijia, tuant des dizaines de civils et endommageant les
infrastructures civiles.
3.2. Souffrances
humaines et dévastations matérielles
11. Les Nations Unies ont corroboré
14 059 pertes civiles à ce jour depuis le début de la dernière agression en
février, dont 5 767 personnes tuées et 8 292 blessées, mais les
chiffres réels sont probablement beaucoup plus élevés
. Un tiers des Ukrainiens
ont été contraints de quitter leur foyer, soit près de sept millions
de personnes déplacées dans le pays même et un nombre similaire
de personnes ayant cherché refuge à l’étranger
.
12. L’armée russe a continué d’utiliser de l’artillerie à longue
portée afin de frapper des centres résidentiels habités dans les
villes d’Ukraine, même loin du champ de bataille, causant des destructions
et un nombre élevé de morts parmi les civils. Les destructions provoquées
par l’agression russe auront également d’énormes conséquences financières.
Selon une étude de l’École d’économie de Kiev, au mois d’août, l’agression
avait causé $108,3 milliards de dommages aux infrastructures du
pays
. D’autres rapports
basés sur des données publiques estiment le total à $114,5 milliards
.
13. La découverte de fosses communes dans les villes et villages
libérés a suscité l’indignation quant aux crimes de guerre commis
par les forces russes d’occupation. Plus récemment, un site d’enterrement
collectif contenant environ 440 corps a été découvert à Izyoum après
la libération de cette ville fin septembre, et lors de la libération
de Lyman début octobre, les forces ukrainiennes ont trouvé deux
fosses communes, l’une d’entre elles contenant sans doute environ
200 civils.
14. Dans son récent «mémorandum sur les conséquences de la guerre
en Ukraine en matière de droits humains»
, la Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe brosse un tableau sombre
des effets dévastateurs et de grande ampleur du conflit. L’agression
«a donné lieu à des violations graves et massives des droits humains
et du droit international humanitaire, avec des effets désastreux
sur l’exercice de pratiquement tous les droits humains par la population
en Ukraine». La Commissaire écrit avoir été confrontée à des schémas
incontestables de violations du droit à la vie commises par les
troupes russes, notamment des exécutions arbitraires et des disparitions
forcées; des violations du droit à la propriété, dont la destruction massive
d’infrastructures civiles; des cas de torture et de mauvais traitements,
de violence fondée sur le genre et de violence sexuelle en temps
de guerre; et de violations du droit à la liberté et à la sécurité,
dont des enlèvements et des détentions arbitraires ou au secret.
15. Ce sombre aperçu est confirmé par le deuxième rapport du Mécanisme
de Moscou sur l’Ukraine, publié le 14 juillet 2022, qui a souligné
«l’ampleur et la fréquence des attaques aveugles menées contre des
civils et des biens civils, y compris des sites où aucune installation
militaire n’avait été identifiée». Le rapport a souligné «des preuves
crédibles que les hostilités ont été menées par les forces armées
russes au mépris de leur obligation première de respecter les principes
essentiels de distinction, de proportionnalité et de précaution
qui constituent le fondement du droit international humanitaire»
.
16. L'utilisation par les autorités russes de mercenaires payés
pour combattre en Ukraine, y compris ceux du groupe Wagner, qui
ont déjà été largement utilisés dans des conflits par procuration
en Afrique et au Moyen-Orient pour répandre la terreur parmi les
populations civiles, contribue également à cette situation humanitaire ignoble.
L'organisation paramilitaire tchétchène d'Akhmad-Khadzhi Kadyrov
est également déployée en Ukraine.
17. La Mission de surveillance des droits de l’homme des Nations
Unies en Ukraine a documenté une série de violations à l’encontre
des prisonniers de guerre détenus par les forces armées de la Fédération
de Russie ou par des groupes armés affiliés, y compris la torture
et les mauvais traitements, le manque de nourriture, d’eau, de soins
de santé et d’assainissement adéquats. Malheureusement, alors que
les observateurs des droits humains ont pu accéder sans entrave
aux lieux d’internement et de détention dans le territoire contrôlé par
l’Ukraine, la Russie n’a pas permis l’accès aux prisonniers de guerre
détenus sur son territoire ou dans le territoire sous occupation
.
Fin juillet, des dizaines de prisonniers de guerre ukrainiens ont
été massacrés lors d’un tir de missile qui a touché un centre de
détention dans l’est de l’Ukraine sous contrôle russe, dans ce que le
Président Zelensky a qualifié d’attaque sous faux drapeau de la
Russie.
18. Les prisonniers de guerre dans les zones contrôlées par la
Russie sont jugés, poursuivis et même condamnés à mort pour avoir
simplement participé aux hostilités en tant que combattants, en
violation du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève.
Il a également été signalé que des groupes armés soutenus par la
Russie organisent des procès pour les prisonniers de guerre ukrainiens
devant un prétendu «tribunal international» à Marioupol. Le droit
humanitaire international interdit la création de tribunaux destinés uniquement
à juger les prisonniers de guerre
.
En outre, les forces russes ont tenté de faire valoir que les ressortissants
non ukrainiens qui combattent au sein des forces armées ukrainiennes
ne sont pas protégés par le droit humanitaire international, ce
qui est faux.
19. La destruction du patrimoine culturel de l’Ukraine est également
utilisée comme arme de guerre. Ainsi que l’a récemment rappelé la
vice-ministre ukrainienne de la Culture et de la Politique de l’information, Kateryna
Tchuyeva, au Conseil de sécurité des Nations Unies, «le président
russe, M. Poutine, a annoncé que la culture et l’identité ukrainiennes
étaient la cible de cette guerre»
. Son ministère a vérifié les dommages
et la destruction d’au moins 423 objets et institutions du patrimoine
culturel depuis le début de l’invasion en février. L’UNESCO a également
condamné les attaques répétées contre les sites culturels ukrainiens
tels que des édifices religieux, des bâtiments historiques, des
centres culturels, des monuments, des musées et des bibliothèques
.
4. Les
«référendums» illégaux
4.1. Une
mascarade
20. Entre le 23 et le 27 septembre 2022,
les autorités soutenues par la Russie ont organisé de prétendus référendums
dans quatre régions de l’Ukraine partiellement occupées: Lougansk,
Donetsk, Zaporijia et Kherson. La tenue du scrutin n’avait été annoncée
que trois jours auparavant, le 20 septembre.
21. La raison d’être de ces pseudo-référendums organisés à la
hâte était claire pour tous: servir de prétexte à l’annexion de
ces régions par Moscou. Face à l’incapacité des troupes russes à
maintenir leur emprise militaire sur les zones occupées, les dirigeants
russes ont tenté de consolider leur occupation illégale en organisant
un simulacre de processus électoral dépourvu de toute légitimité.
22. Le processus a été entaché de manœuvres d’intimidation flagrantes
de la part des troupes russes. Les Ukrainiens ont indiqué que des
soldats armés faisaient du porte-à-porte pour recueillir les votes,
allant jusqu’à demander aux personnes de répondre, à voix haute,
à la question posée par référendum, à des soldats chargés de consigner
leur vote par écrit
. Le gouverneur
légitime de Lougansk, Serhiy Haidai, a déclaré que les forces d’occupation
russes avaient mis sur pied des groupes armés afin d’encercler les
maisons et de contraindre les habitants à participer au scrutin.
Selon certaines informations, les habitants ont été menacés de perdre
leur emploi s’ils ne prenaient pas part au vote et se sont même
vu interdire de quitter la ville entre le 23 et le 27 septembre
.
23. Il ne faut pas perdre de vue le contexte plus large dans lequel
s’est déroulé le vote: les quatre régions concernées étaient toutes
situées sur la ligne de front et en proie à de violents combats.
Au moment de ce prétendu scrutin, seuls 60 % environ de Donetsk
étaient sous le contrôle des troupes russes, et la capitale de l’une
des quatre régions, Zaporijia, était alors fermement tenue par les
forces ukrainiennes, ce qui rend d’autant plus absurdes les affirmations
selon lesquelles la région a choisi d’être rattachée à la Russie. Ivan Fedorov,
le maire ukrainien de Melitopol, ville sous occupation russe, destitué
de force, a déclaré qu’au moment de l’ouverture du scrutin le 23 septembre,
les habitants ont entendu une forte explosion dans le centre de
la ville et ont eu peur de sortir de chez eux
.
24. Des responsables ukrainiens ont également souligné l’incohérence
des chiffres sur les résultats du référendum communiqués par les
responsables des forces d’occupation soutenues par la Russie, compte
tenu du nombre de personnes ayant fui en raison du conflit armé.
Le gouverneur légitime de Lougansk, Serhiy Haidai, a notamment indiqué
que le nombre de votants revendiqué par les autorités soutenues
par la Russie correspondait au nombre de personnes disposant du
droit de vote dans la région en 2012, avant les déplacements massifs
engendrés par le conflit qui a débuté en 2014 et l’invasion à grande
échelle lancée au début de cette année
.
25. Comme on pouvait s’y attendre, les autorités des quatre régions
soutenues par la Russie ont annoncé des «victoires» écrasantes,
les votes en faveur du rattachement oscillant entre 84 % et 99,2 %
. Le 30 septembre
2022, le Président Poutine a annoncé l’annexion par la Fédération
de Russie des quatre régions ukrainiennes lors d’une cérémonie organisée
au Kremlin, empreinte de ferveur nationaliste et d’une rhétorique agressive
envers «l’Occident», affirmant que les habitants des régions seraient
des citoyens russes «pour toujours». Pour couronner le tout, le
3 octobre, le porte-parole du Kremlin a reconnu qu’il n’était pas
encore possible d’établir avec précision les frontières du territoire
annexé par la Russie
.
4.2. Une
violation du droit international
26. La tentative d’annexion des
régions ukrainiennes de Donetsk, Lougansk, Kherson et Zaporijia
par la Russie, précédée par les prétendus référendums organisés
dans ces territoires pour justifier l’annexion, viole l’indépendance,
la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Elle constitue
une grave violation du droit international, notamment de la Charte
des Nations Unies (article 2.4) et des principes et engagements
de l’Acte final d’Helsinki et de la Charte de Paris.
27. L’annexion est également contraire aux principes énoncés dans
la Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale des Nations Unies
du 24 octobre 1970
, qui inclut le principe selon
lequel «[l]e territoire d’un État ne peut faire l’objet d’une acquisition
par un autre État à la suite du recours à la menace ou à l’emploi de
la force» et «[n]ulle acquisition territoriale obtenue par la menace
ou l’emploi de la force ne sera reconnue comme légale». Les États
ont l’obligation de ne pas reconnaître la légalité d’une telle situation
et de ne pas apporter leur aide ni leur assistance au maintien de
cette situation. Le principe de non-reconnaissance a été appliqué
dans différents contextes par le Conseil de sécurité des Nations
Unies
et
la Cour européenne des droits de l’homme à l’égard de plusieurs
situations/entités de fait non reconnues
.
En outre, la Fédération de Russie, en tant que puissance occupante,
a l’obligation de respecter le droit ukrainien au titre du droit humanitaire
international. L’annexion du territoire occupé est interdite et
illégale.
4.3. Une
violation du droit, des normes et des pratiques électoraux
28. Les prétendus référendums constituent
une violation flagrante du droit international et du droit (constitutionnel)
ukrainien
. En outre, ils n’ont pas
respecté les lignes directrices révisées de la Commission de Venise
sur la tenue des référendums, selon lesquelles: «le recours aux
référendums doit respecter l’ensemble de l’ordre juridique. En particulier,
le référendum ne peut être organisé si la Constitution ou une loi conforme
à la Constitution ne le prévoit pas (...)»
.
29. Un vote tenu en présence de forces militaires, pendant un
conflit armé actif et en l’absence d’une observation électorale
indépendante, ne présente aucune des garanties de fond et de forme
pour être l’expression valable des choix électoraux.
4.4. Les
réactions internationales
30. Malgré la présentation qu’il
fait de la situation, la volonté du Kremlin de montrer qu’il s’agit
d’un véritable processus électoral et la mise en scène nationaliste
pompeuse qui a suivi à Moscou, les référendums et les annexions
illégales ont été condamnés par la communauté internationale.
31. Le Président du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe
et ministre irlandais des Affaires étrangères, M. Simon Coveney,
le Président de l’Assemblée parlementaire, M. Tiny Kox, et la Secrétaire Générale
du Conseil de l’Europe, Mme Marija Pejčinović
Burić, ont condamné la décision de la Fédération de Russie d’annexer
illégalement les territoires et déclaré que le Conseil de l’Europe
poursuivra son soutien à la population et aux autorités de son État
membre, l’Ukraine
.
32. Le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres,
a déclaré que la décision d’annexer les quatre régions ukrainiennes
«n’aurait aucune valeur juridique et mérite d’être condamnée», ajoutant
qu’elle allait «à l’encontre de tout ce que la communauté internationale
est censée défendre»
.
33. Le président en exercice de l’Organisation pour la sécurité
et la coopération en Europe (OSCE) et Ministre polonais des Affaires
étrangères M. Zbigniew Rau, ainsi que le Président de l’Assemblée parlementaire
de l’OSCE et la Secrétaire générale de l’OSCE ont publié une déclaration
condamnant unanimement et catégoriquement l’annexion illégale et
la poursuite de l’occupation de la Crimée. L’annexion «est inacceptable»
et «vide de sens le principe d’intégrité territoriale, qui est au
cœur des principes fondateurs de l’OSCE et de l’ordre international».
Cet acte de la Fédération de Russie «qui inclut la mobilisation
militaire et des menaces nucléaires irresponsables, ne fera qu’entraîner
une escalade du conflit», ont-ils ajouté
.
Le Directeur du Bureau des institutions démocratiques et des droits
de l’homme de l’OSCE et la Représentante de l’OSCE pour la liberté
des médias ont également publié une déclaration commune dans laquelle
ils ont souligné que «non seulement ces pratiques n’ont aucune validité
au regard du droit international, mais continuent d’aggraver la
situation déjà catastrophique des droits humains»
.
34. Les chefs de gouvernement de tous les États membres de l’Union
européenne ont publié une déclaration rejetant fermement et condamnant
sans équivoque l’annexion illégale, soulignant qu’ils ne la reconnaîtront
jamais. Les présidents du Conseil européen, du Parlement européen
et de la Commission européenne ont ensuite prononcé des condamnations
à titre individuel
.
35. En outre, en réponse aux annexions illégales, la Commission
européenne a annoncé le 28 septembre qu’elle avait adopté un nouveau
train de sanctions contre la Russie. Le nouveau dispositif comprend
l’ajout de personnes et d’entités visées par les sanctions, notamment
des personnes impliquées dans l’occupation et l’annexion illégale
des régions d’Ukraine, des personnes œuvrant dans le secteur de
la défense russe ainsi que des personnes qui diffusent des informations
erronées sur la guerre. Le train de mesures comprend également de
nouvelles interdictions totales d’importation de produits russes
et un élargissement de la liste des produits qui ne peuvent plus
être exportés vers la Russie, notamment des technologies essentielles
.
36. Le Royaume-Uni a également annoncé qu’il avait adopté de nouvelles
sanctions en riposte aux référendums visant les hauts responsables
russes chargés de faire respecter les votes illégaux, l’agence de relations
publiques impliquée dans la promotion du référendum, des oligarques
et des membres des conseils d’administration des grandes banques
d’État
. Le Président
Joe Biden a déclaré que les États-Unis «ne reconnaîtront jamais
le territoire ukrainien comme autre chose qu’une partie de l’Ukraine»,
qualifiant les référendums de «prétexte pour tenter d’annexer des
parties de l’Ukraine par la force en violation flagrante du droit
international
».
37. Réagissant aux référendums, le ministère chinois des Affaires
étrangères a souligné que «l’intégrité souveraine et territoriale
de tous les pays devrait être respectée […] et les buts et principes
de la Charte des Nations Unies devraient être observés
». La Türkiye a exprimé
son soutien à l’intégrité territoriale de l’Ukraine et a souligné
qu’elle ne reconnaîtrait pas les résultats des référendums, tout
comme le Kazakhstan.
4.5. Risque
accru d’escalade
38. En plus d’être une mesure illégale
et une nouvelle atteinte à la souveraineté d’un État voisin, les prétendus
référendums pourraient avoir une autre conséquence grave. En effet,
ils pourraient contribuer à une nouvelle escalade de la guerre en
permettant au Gouvernement russe de prétendre que son territoire
est attaqué par des armes occidentales fournies à l’Ukraine.
39. Le Président Poutine a déjà fait allusion à cette menace dans
les jours précédant les référendums en déclarant: «nous utiliserons
certainement tous les moyens à notre disposition» «lorsque l’intégrité
territoriale de notre pays sera menacée
». Dmitri
Medvedev, Vice-président du Conseil de sécurité russe, a déclaré
le 22 octobre 2022, lors de l’examen des référendums, que «toute
intrusion sur le territoire de la Russie est un crime qui autorise
l’utilisation de toutes les forces d’autodéfense
».
5. La
menace nucléaire
40. Les dirigeants politiques de
la Fédération de Russie brandissent la menace de l’arme nucléaire
dans leurs interventions publiques. Le 27 février 2022, quelques
jours à peine après le début de l’invasion à grande échelle actuelle,
le Président Poutine a mis les forces de dissuasion nucléaire «en
régime spécial d’alerte au combat», exacerbant ainsi les tensions
au niveau mondial et provoquant une escalade irresponsable du conflit. La
Russie a également mené des exercices militaires nucléaires très
médiatisés
.
41. Le 22 septembre 2022, parallèlement à l’annonce d’une mobilisation
partielle, le Président Poutine a déclaré que la Russie possédait
tout un arsenal d’armes nucléaires et que sa déclaration d’en faire
usage si la Russie était menacée n’était pas du bluff.
42. Le 27 septembre, Dmitri Medvedev, Vice-président du Conseil
de sécurité russe, a affirmé que la Russie avait le droit d’utiliser
des armes nucléaires pour se défendre face à un acte d’agression
de l’Ukraine «dangereux pour l’existence même de notre État»
. Cette déclaration
renvoie directement à l’une des conditions de la doctrine de frappe
nucléaire de la Russie qui justifierait le recours à l’arme nucléaire:
«une agression contre la Fédération de Russie avec des armes conventionnelles
lorsque l’existence même de l’État est menacée»
.
43. Le recours insistant à cette rhétorique coïncide avec la tentative
de la Fédération de Russie d’annexer des pans entiers de territoires
ukrainiens. Conjugués aux affirmations du Président Poutine selon
lesquelles «l’Occident» cherche à détruire la Russie, ces éléments
pourraient témoigner de la volonté de brosser un tableau de la situation
qui justifierait l’utilisation d’armes nucléaires aux yeux de l’opinion
publique russe.
44. Ce discours extrêmement dangereux est incompatible avec les
responsabilités d’une puissance nucléaire qui dispose d’un siège
permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies. Et si la Russie
a également à sa disposition des armes nucléaires tactiques – par
opposition aux armes stratégiques – il est important de noter que
les premières n’ont encore jamais été utilisées dans le cadre d’un
conflit
. Sachant que
les armes conventionnelles modernes sont désormais tout aussi efficaces
pour détruire des cibles sur la ligne de front, les dirigeants russes
tentent manifestement de recourir à la terreur que suscite l’utilisation potentielle
d’armes nucléaires pour poursuivre leurs objectifs impérialistes
d’expansion territoriale.
45. En plus d’être abjectes et dangereuses, ces menaces nucléaires
contreviennent au droit international. Premièrement, elles sont
contraires à l’article 2.4 de la Charte des Nations Unies concernant
le recours à la menace ou l’emploi de la force contre l’intégrité
territoriale de tout État. Toute frappe de ce type constituerait également
une violation du droit international humanitaire, en particulier
des principes de distinction et de proportionnalité, dans la mesure
où elle toucherait des civils de manière significative. Ces menaces
violent également les propres engagements et assurances de la Russie
envers l’Ukraine dans le cadre de l’adhésion de cette dernière au
Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.
46. Tout en brandissant la menace de l’utilisation d’armes nucléaires,
la Russie entrave la coopération multilatérale dans ce domaine.
Le 26 août 2022, elle a fait barrage à l’adoption d’un document
final substantiel lors de la dixième Conférence d’examen du Traité
sur la non-prolifération, en raison de paragraphes faisant mention
de la centrale nucléaire de Zaporijia. Le document final aurait
permis d’évaluer la mise en œuvre de ce traité historique et de
définir des actions visant à progresser dans la réalisation de ses
principaux objectifs en matière de désarmement et de non-prolifération
.
47. L’occupation illégale de la plus grande centrale nucléaire
d’Europe, dans la région de Zaporijia en Ukraine, constitue un autre
aspect du chantage nucléaire exercé par la Russie. À l’issue de
la mission qu’elle a effectuée en août 2022, l’Agence internationale
de l’énergie atomique (AIEA) a déclaré qu’il était «urgent de prendre
des mesures provisoires afin de prévenir un accident nucléaire»
et notamment «d’établir une zone de protection de la sûreté et de
la sécurité nucléaires»
. La poursuite de l’occupation
et de la militarisation d’une centrale nucléaire civile continue
d’exposer un très grand nombre de personnes innocentes ainsi que l’environnement
naturel à un risque grave.
48. Témoignant de la fragilité de la situation, l’AIEA a fait
savoir le 8 octobre 2022 que la centrale avait perdu sa dernière
source d’énergie externe et qu’elle s’appuie désormais sur des générateurs
diesel de secours pour produire l’électricité nécessaire au refroidissement
du réacteur et à d’autres fonctions essentielles de sûreté et de
sécurité
.
6. Opposition
à la guerre et répression croissante en Fédération de Russie
6.1. Répression
des libertés civiles
49. Depuis le début de l’invasion
à grande échelle de l’Ukraine en 2022, les autorités russes ont
encore étoffé leur arsenal juridique déjà vaste visant à restreindre
les libertés d’expression, de réunion et d’association et à museler
les médias indépendants. Selon l’ONG OVD-Info, au cours de cette
période, le parlement a adopté 16 nouvelles lois répressives ou
des amendements à des textes existants
. À titre d’exemple:
- en mars 2022, une nouvelle loi
qui interdit toute critique des forces armées russes a établi des
peines pouvant aller jusqu’à 15 ans d’emprisonnement;
- en juillet 2022, la définition d’un «agent étranger» a
été modifiée dans la loi concernée de manière à l’étendre à «toute
personne tombée sous influence étrangère»;
- en août 2022, des modifications ont été apportées à la
loi sur les organisations indésirables, en vue d’étendre la responsabilité
pénale en cas de participation à des «organisations indésirables»
au-delà des frontières de la Russie, y compris les dons faits à
ces organisations.
50. Malgré ces mesures draconiennes, des manifestations et des
mouvements de protestation contre la guerre ont éclaté dans toute
la Fédération de Russie. De nombreuses personnes ont été arrêtées,
des informations faisant état de brutalités policières et de cas
présumés de traitements inhumains et de torture en détention. Selon
OVD-Info, la Russie a procédé au moins à 16 437 arrestations liées
à des manifestations anti-guerre au cours des six premiers mois
de l’agression
.
En outre, cette ONG a fait savoir qu’en plus des arrestations effectuées
dans le cadre des rassemblements et après leur tenue, les autorités
ont procédé à des arrestations préventives en recourant à un système
de reconnaissance faciale.
51. Vladimir Kara-Mourza, qui s’est vu décerner le Prix Václav
Havel le 10 octobre 2022, figure parmi les personnalités publiques
les plus éminentes persécutées pour avoir formulé des critiques
contre la guerre. Placé en détention depuis avril 2022, il fait
actuellement l’objet d’une enquête pour haute trahison et encourt une
peine de 20 ans de prison. L’ancien maire d’Ekaterinbourg, Evguéni
Roïzman, a écopé d’amendes et a été arrêté à plusieurs reprises
pour avoir discrédité les forces armées et pourrait faire l’objet
de poursuites pénales pour récidive. Ilia Iachine, militant de l’opposition
et ancien élu municipal de Moscou, est détenu pour avoir diffusé
de fausses informations sur les forces armées russes. À la fin du
mois d’août 2022, 74 «agents étrangers» supplémentaires ont été
inscrits au registre tenu par le ministère de la Justice et le nombre
total d’«organisations indésirables» s’élève à 65
. En conséquence, plusieurs organisations
de la société civile, telles que Memorial International, ont été
fermées.
52. Les mesures prises par les autorités pour mettre en œuvre
une «politique de vérité unique» ont entraîné non seulement la fermeture
de la quasi-totalité des médias indépendants, mais aussi le blocage
de sites internet et de médias sociaux. L’endoctrinement des enfants
au sujet de la guerre est une pratique répandue dans les écoles,
tandis que les artistes exprimant leur opposition à la guerre n’ont
pas le droit de se produire. Le Groupe d’enquête sur les activités
antirusses dans la sphère culturelle et artistique (GRAD), créé
par la Douma russe, a demandé très activement la mise à l’écart
d’artistes et de personnalités de premier plan, ainsi que l’ouverture
d’une enquête plus approfondie par le Service fédéral de sécurité.
53. Le rapport sur les pratiques juridiques et administratives
de la Russie à la lumière de ses engagements envers la dimension
humaine de l’OSCE, réalisé dans le cadre du mécanisme de Moscou
de l’OSCE et publié le 22 septembre 2022, fournit une description
détaillée de l’état actuel des choses. Il conclut que «les actions menées
par les autorités contre la société civile montrent que le but ultime
est de créer une société monolithique basée sur une certaine compréhension
pré-moderne de la «russitude». Les opposants à cette société sont
vus comme des clous qui dépassent du mur; ils doivent y être enfoncés
jusqu’à disparaître. Les discours tenus par le Président au sujet
d’une «cinquième colonne» et «d’insectes à anéantir» sont révélateurs d’une
attitude de haine profondément ancrée. La principale stratégie des
autorités russes repose sur l'intimidation. La persécution n’est
pas cachée, mais visible aux yeux de tous, surtout lorsqu’elle est
dirigée contre des personnalités publiques. Le principal objectif
semble être de pousser les gens à se résigner ou à quitter le pays»
.
54. Tant à l'étranger qu'à l'intérieur du pays, les dirigeants
de la Fédération de Russie ont fait pression en faveur d'une idéologie
anti-européenne et anti-humaniste du «monde russe», fondée sur des
idées de supériorité nationale et de haine nationale ainsi que sur
la discrimination fondée sur le genre, l'orientation et l'identité
sexuelles. Cette situation est très préoccupante, notamment en raison
de l'impact qu'elle pourrait avoir sur les jeunes générations en
Russie.
55. Ce sombre scénario est complété par le fait que toutes les
institutions judiciaires de Russie sont soumises au Kremlin, laissant
le peuple de Russie sans recours réel et crédible à la justice et
à l'État de droit.
6.2. Mobilisation
56. Après des semaines de revers
militaires, le Président Poutine a annoncé le 21 septembre 2022
une mobilisation partielle, la première depuis la Seconde Guerre
mondiale, qui serait justifiée, selon lui, par l’intention de l’Occident
de «détruire la Russie»
. Il a
affirmé que seuls les réservistes ayant reçu une formation préalable
seraient appelés au service militaire. Le ministre de la Défense,
M. Choïgou, a précisé par la suite que 300 000 Russes seraient concernés.
La veille de l’annonce de la mobilisation, la Douma a adopté une
loi imposant des sanctions pour le refus de combattre, la reddition
et la désertion, sans aucun débat public ni discussion
.
57. Cette décision politique lourde de conséquences est en contradiction
directe avec le discours que le Président Poutine lui-même défend
depuis le début de l’agression à grande échelle lancée contre l’Ukraine
en février 2022, à savoir que la Russie ne mène qu’une «opération
militaire spéciale».
58. Si le Président Poutine a assuré que la mobilisation partielle
ne concernait que les personnes ayant reçu une formation préalable,
le décret de mobilisation est, quant à lui, rédigé en des termes
beaucoup plus généraux, au point que beaucoup, dans le vaste ensemble
de Russes appelés à se battre par les agents recruteurs, n’ont jamais
servi dans les forces armées ou ont passé l’âge de la conscription.
Cette situation, qui a suscité une vive controverse dans tout le
pays, a conduit Poutine lui-même à admettre publiquement que la mobilisation
ne s’était pas déroulée sans heurts et à affirmer que des «erreurs»
avaient été commises.
59. Les tensions se sont rapidement aggravées dans toute la Fédération
de Russie et les affrontements qui ont eu lieu dans des centres
d’appel ont parfois été violents. En Sibérie, un agent recruteur
a été abattu après avoir prononcé un discours sur la guerre en Ukraine
et un homme s’est immolé par le feu en signe de protestation dans
une ville au sud de Moscou. Dans les villes de Russie, la police
a dispersé des manifestations pacifiques contre la mobilisation
et arrêté plus de 2 000 manifestants.
60. Il est particulièrement préoccupant de constater que les autorités
ont concentré de manière disproportionnée leurs efforts de mobilisation
sur des régions où vivent des minorités ethniques, des zones appauvries,
des territoires occupés et des populations autochtones. La mobilisation
a provoqué des troubles importants au Daghestan, où des manifestations
déclenchées dans plusieurs villes ont donné lieu à des affrontements
avec la police et à des coups de feu. Des enquêtes menées par le
service russe de la BBC ont montré qu’au moins 301 soldats originaires
du Daghestan étaient morts à la guerre. Ce chiffre est plus élevé que
dans toute autre région russe et plus de dix fois supérieur à celui
de Moscou, dont la population est cinq fois plus nombreuse
.
61. Un autre élément préoccupant est la politique du Kremlin consistant
à envoyer des personnes détenues dans les prisons russes pour combattre
en Ukraine.
62. Selon les groupes de surveillance des droits humains, les
Tatars de Crimée ont également reçu un nombre élevé d’avis d’incorporation
depuis l’annonce de la mobilisation partielle
. En plus
de constituer une violation des Conventions de Genève, qui interdisent
à une puissance occupante de contraindre des populations occupées
à servir dans ses forces armées
, le ciblage du groupe minoritaire
musulman turc soulève des questions quant aux véritables objectifs
de la mobilisation. Cette situation est particulièrement préoccupante
compte tenu de la pratique de «passeportisation» appliquée par les
autorités russes d’occupation en Crimée depuis 2014, déjà examinée
par l’Assemblée, qui a contraint les résidents de Crimée, notamment
les Tatars de Crimée, à adopter la citoyenneté russe pour ne pas
être traités comme des étrangers ou ne pas être expulsés
.
63. Face à cette évolution inquiétante, le Président Zelensky
a appelé les Ukrainiens des territoires occupés à éviter la conscription
ou, s’ils ne sont pas en mesure de le faire, à éviter de combattre
leurs compatriotes et à saboter les opérations russes.
64. La mobilisation partielle annoncée par le Président Poutine
a déclenché un exode massif d’hommes russes qui ont tenté de fuir
le pays pour éviter une éventuelle convocation. Des rapports estiment
que des centaines de milliers de personnes s’étaient déjà enfuies
au cours de la première semaine d’octobre, certains médias russes
annonçant un chiffre supérieur à 700 000
.
65. Les gouvernements européens ont réagi différemment à la possibilité
d’accueillir des déserteurs russes. L’Allemagne a indiqué que les
Russes fuyant la mobilisation pourraient demander l’asile, conformément
au droit international. La France, quant à elle, a déclaré qu’elle
serait sélective et évaluerait la situation et le risque pour la
sécurité des personnes concernées, mais qu’elle veillerait à ce
que celles qui en ont besoin puissent tout de même venir dans le
pays.
66. La Finlande, qui partage une frontière de 1 300 kilomètres
avec la Russie, a indiqué qu’elle limiterait considérablement l’entrée
des Russes; des personnalités politiques de ce pays ont qualifié
les réservistes en fuite de risque évident pour la sécurité. L’Estonie,
la Lettonie, la Lituanie et la Pologne ont également commencé à
restreindre l’entrée des citoyens russes voyageant avec des visas
de tourisme. Le ministre lituanien des Affaires étrangères, M. Gabrielius
Landsbergis, a déclaré sur Twitter que «les Russes devraient rester
et se battre. Contre Poutine», tandis que son homologue letton,
M. Edgars Rinkēvičs, a fait valoir que ceux qui fuient maintenant
ne peuvent pas être considérés comme des objecteurs de conscience
puisqu’ils n’ont pas réagi lorsque la Russie a commencé cette dernière
agression en février
.
67. Le 30 septembre 2022, la Commissaire européenne aux Affaires
intérieures, Mme Ylva Johansson, a demandé
instamment aux États membres de renforcer le personnel aux frontières
et d’intensifier les contrôles de sécurité, déclarant que les pays
devraient évaluer au «cas par cas» s’il convient de laisser entrer
les Russes qui tentent de se rendre en Europe
.
7. Le
multilatéralisme et les préoccupations de sécurité mondiale
68. Le Conseil de sécurité de l’ONU,
gardien de la paix et de la sécurité internationales, est, en raison
de sa conception même, incapable d’intervenir lorsque l’un de ses
membres permanents fait usage de son droit de veto. C’est le cas
cette fois-ci, alors que l’Europe connaît la guerre et la menace
les plus importantes pour sa sécurité générale depuis la création
de l’ONU en 1945. En fait, la menace va bien au-delà du continent européen.
69. Le 30 septembre 2022, malgré dix voix pour, un projet de résolution
présenté par les États-Unis et l’Albanie pour condamner les «référendums»
illégaux et la tentative d’annexion de quatre régions ukrainiennes comme
une menace pour la paix et la sécurité internationales a été rejeté
avec la seule opposition de la Fédération de Russie. Bien que le
texte ait été rejeté, le résultat du vote a montré l’isolement de
la Russie puisque le Brésil, la Chine, le Gabon et l’Inde se sont
abstenus.
70. Après le vote, l’ambassadeur d’Ukraine aux Nations Unies a
qualifié le Conseil de sécurité de «pilier brisé» des Nations Unies
. À plusieurs
reprises, l’Ukraine a évoqué la légitimité du droit de la Russie
de siéger au Conseil de sécurité en tant qu’État successeur de l’Union
soviétique. Les appels à une réforme du Conseil de sécurité gagnent
du terrain. Ainsi que l’a déclaré le Président Zelensky, «un État
qui met en œuvre une politique de génocide en ce moment même, qui
maintient le monde à deux doigts d’une catastrophe radiologique
et qui, dans le même temps, menace de frappes nucléaires, ne peut
rester membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU jouissant
d’un droit de veto»
.
71. Dans ce contexte d’impasse au Conseil de sécurité, la pertinence
et l’autorité de l’Assemblée générale des Nations Unies se renforcent
considérablement. La session extraordinaire d’urgence consacrée
à l’agression russe contre l’Ukraine, initialement convoquée en
février 2022, s’est rouverte le 10 octobre par un débat au cours
duquel beaucoup de gouvernements du monde entier ont affirmé haut
et clair que les annexions illégales de territoires sont contraires
à ce que défendent les Nations Unies et ne seront jamais reconnues.
72. Auparavant, le 7 avril 2022, l’Assemblée générale des Nations
Unies avait adopté une résolution suspendant l’adhésion de la Russie
au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, car elle se disait «gravement préoccupée
par la crise des droits de l’homme et la crise humanitaire en cours
en Ukraine»
.
73. En outre, le 21 septembre 2022, le Président Zelensky a profité
de son discours lors de la 77e session de
l’Assemblée générale des Nations Unies pour présenter la formule
de paix ukrainienne, ancrée sur cinq points clés: punir l’agression,
protéger la vie, rétablir la sécurité et l’intégrité territoriale,
garantir la sécurité et souligner l’importance de la détermination.
Il a également appelé la communauté internationale à reconnaître la
Russie comme État commanditaire du terrorisme
.
74. L’agression russe contre l’Ukraine devrait également être
analysée sous l’angle de ses répercussions géopolitiques plus larges.
La Russie et la Chine ont pris des mesures pour renforcer leur partenariat,
favorisant conjointement, notamment après la rencontre de février
2022 entre les deux présidents, une rhétorique de «nouvelle ère»
dans les affaires internationales, où les deux États autoritaires
partagent une amitié «sans limites». La tonalité était plus nuancée
en marge du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS)
qui s’est tenu début septembre à Samarcande, mais, bien qu’elle
ait réaffirmé son soutien au principe de l’intégrité territoriale,
la Chine s’est invariablement abstenue de critiquer ouvertement
la Russie.
75. Certains pays ont soutenu la Fédération de Russie lors des
votes de l'Assemblée générale des Nations Unies visant à condamner
l'agression et à expulser la Russie du Conseil des droits de l'homme
des Nations unies. Ces pays, qui comprennent le Bélarus, la Chine,
Cuba, l'Iran et la Syrie, doivent être condamnés. Certains de ces
pays se sont engagés dans des campagnes de désinformation en Afrique,
en Asie et en Amérique latine qui aident la Fédération de Russie.
76. Alors que la guerre fait rage en Ukraine, l’Asie est devenue
le théâtre de tensions croissantes. L’étalage hostile de la puissance
diplomatique et militaire autour de la question de Taïwan est revenu
au premier plan. Au mois d’octobre 2022, en deux semaines, la Corée
du Nord a tiré à sept reprises des missiles balistiques, dont l’un
a survolé le Japon, tandis que la Corée du Sud et les États-Unis
effectuaient des exercices navals conjoints. En septembre, l’Iran
a rejoint l’OCS, Poutine notant que les relations entre la Russie
et l’Iran se développaient «de manière positive»
.
77. En Europe, la Fédération de Russie tente de renforcer son
influence dans les Balkans occidentaux. En septembre 2022, en marge
de l’Assemblée générale des Nations Unies, les ministres des Affaires
étrangères de Serbie et de Russie ont signé un accord sur les relations
entre les deux ministères. Plusieurs membres du Parlement européen
ont dénoncé l’accord, appelant même à la suspension des pourparlers
d’adhésion de la Serbie à l’Union européenne et le Ministre serbe
des Affaires étrangères, M. Nikola Selaković, a par la suite minimisé
l’importance de l’accord, affirmant qu’il était technique et n’avait
pas trait à des questions de sécurité.
78. Dans le domaine de la sécurité dure, la guerre d’agression
a conduit à un nouvel élargissement de l’OTAN à la Finlande et à
la Suède. L’Ukraine a demandé à adhérer à l’OTAN selon une procédure
accélérée. Les forces militaires de l’OTAN en Europe restent en
état d’alerte élevée. Le sabotage manifeste d’un gazoduc reliant
la Russie à l’Europe, début octobre 2022, a été une nouvelle démonstration
des menaces de sécurité multiformes qui caractérisent l’environnement
géopolitique actuel.
79. L’une des conséquences les plus inquiétantes de la guerre
est l’insécurité alimentaire, tant en Ukraine que dans le monde.
L’agression en cours pose un problème majeur pour les pays qui dépendent
d’importations de la Russie et de l’Ukraine, deux grands producteurs
de blé et d’engrais. Elle met en danger la sécurité alimentaire
de millions de gens dans le monde, en particulier dans les pays
à faible revenu.
80. Le 22 juillet 2022, avec l’aide de la Türkiye et de l’ONU,
les représentants russes et ukrainiens sont parvenus à un accord
sur l’exportation de céréales, de produits alimentaires connexes
et d’engrais couvrant les ports ukrainiens d’Odessa, d’Ioujny et
de Tchernomorsk. Cet accord a déjà permis d’exporter des millions de
tonnes de blé. La Fédération de Russie a toutefois hésité à nommer
davantage d’inspecteurs pour faire face au volume croissant des
exportations, d’où des marchandises en attente dans les ports, et
au début du mois de septembre, le Président Poutine menaçait de
revoir l’accord en raison de ce qu’il considérait comme des destinations
inappropriées pour les exportations.
81. Outre le soutien humanitaire, opérationnel et militaire apporté
par plusieurs pays à l’Ukraine, la communauté internationale a continué
d’appuyer fermement la reconstruction du pays. Lors de la conférence pour
la reconstruction de l’Ukraine tenue à Lugano (Suisse), les chefs
de gouvernement et les ministres représentant 41 pays du monde entier
sont convenus d’un cadre commun pour le processus politique de reconstruction
de l’Ukraine et d’un ensemble de principes qui serviront de points
de référence dans l’avenir
.
82. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté, en
mai 2022, le plan d’action ajusté pour l’Ukraine afin d’apporter
au pays le soutien à court et à moyen terme le plus adéquat et le
plus utile.
83. L'unité transatlantique en faveur de l'Ukraine est à noter
et à saluer. L'Europe devrait être particulièrement reconnaissante
du soutien militaire et économique important apporté par les États-Unis
à l'Ukraine.
8. La
responsabilité de la Fédération de Russie
84. Il est capital que la Fédération
de Russie et ses dirigeants répondent des crimes que cet État commet sur
le sol européen contre un État souverain voisin et ses citoyens,
en violation du droit international. Cette question devrait être
examinée de manière globale en vue d’éviter l’impunité tout en respectant
les attributions et les responsabilités des différentes juridictions.
85. Entre autres recommandations, l’Assemblée a appelé les États
membres et observateurs du Conseil de l’Europe à créer un tribunal
pénal international
ad hoc qui
serait chargé d’enquêter et d’engager des poursuites pour le crime
d’agression commis par les dirigeants politiques et militaires de
la Fédération de Russie
. Cette proposition est conforme à
l’initiative lancée par l’Ukraine et récemment renouvelée par le
Président Zelensky lors de son intervention devant l’Assemblée générale
des Nations Unies. Si le quatrième Sommet des chefs d’État et de
gouvernement des États membres du Conseil de l’Europe apportait
son soutien politique résolu à cette initiative, ce geste aurait
une forte signification politique.
86. Parmi les juridictions internationales qui travaillent actuellement
sur l’Ukraine, citons:
- le Procureur
de la Cour pénale internationale, qui a ouvert une enquête sur les
allégations actuelles de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité
ou de génocide commis sur toute partie du territoire de l’Ukraine
par toute personne à partir du 21 novembre 2013;
- sur la base d’une requête déposée par l’Ukraine, la Cour
internationale de justice (CIJ), qui examine l’interprétation, l’application
et le respect de la Convention de 1948 ou Convention des Nations
Unies sur le génocide. La requête vise à montrer que les allégations
selon lesquelles l’Ukraine est responsable d’un génocide dans les
régions de Lougansk et de Donetsk sont infondées et à établir que
la Fédération de Russie ne dispose donc d’aucune base légale pour
engager une action militaire fondée sur ces fausses allégations.
87. Dans le domaine des droits humains, six mois après avoir été
expulsée du Conseil de l’Europe, la Fédération de Russie a cessé
d’être partie à la Convention européenne des droits de l’homme au 16 septembre
2022. La Cour européenne des droits de l’homme demeure compétente
pour connaître des requêtes contre la Russie qui concernent des
actes ou des omissions survenus jusqu’au 16 septembre 2022. On peut
notamment citer à cet égard l’affaire interétatique
Ukraine c. Russie (X) (requête no 11055/22),
dont la Cour a été saisie par l’Ukraine et qui concerne des allégations
faisant état de violations graves et massives des droits humains
commises par la Fédération de Russie sur le territoire ukrainien
depuis le 24 février 2022. Il convient également de se féliciter
du fait que 23 États membres du Conseil de l’Europe aient demandé
à intervenir en tant que tierces parties dans cette procédure, car
cette démarche est un signe de soutien à l’Ukraine, mais aussi au
système de la Convention dans son ensemble pour amener la Russie
à répondre de ses actes
.
88. Au sein du système des Nations Unies, une commission d’enquête
internationale indépendante a été créée par le Conseil des droits
de l’homme les 3 et 4 mars 2022 pour enquêter sur les violations
présumées des droits humains dans le contexte de l’agression de
la Fédération de Russie contre l’Ukraine. En outre, comme il a déjà
été mentionné, le 8 octobre 2022, le Conseil des droits de l’homme
a défini le mandat d’un rapporteur spécial sur les droits de l’homme
en Russie.
89. Le Conseil de l’Europe devrait être en première ligne pour
soutenir les procureurs ukrainiens et les juridictions hybrides
(comprenant des juges nationaux et internationaux) qui pourraient
être chargés d’enquêter et d’engager des poursuites pour ces crimes
internationaux graves. La création d’un registre des dommages dus
à l’agression russe devrait aussi être appuyée et la Fédération
de Russie devrait être tenue d’indemniser les dommages qu’elle a
causés.
9. Conclusions
90. L’agression non provoquée,
injustifiée et injustifiable perpétrée par la Fédération de Russie
contre l’Ukraine est une tragédie d’une ampleur colossale. Elle
est à l’origine d’une immense détresse ainsi que de souffrances
humaines et de dévastations matérielles terribles en Ukraine. Il
s’agit de la plus grande guerre en Europe depuis la Seconde Guerre
mondiale. En raison de ses répercussions planétaires en matière
de sécurité militaire, énergétique et alimentaire, elle constitue
une grave menace pour la paix internationale et la gouvernance mondiale.
91. Alors que cette agression se poursuit et atteint de nouveaux
sommets de violence et de destruction, le régime russe confirme
sa véritable nature terroriste, par son discours irresponsable et
plein de haine et son mépris ignominieux des droits humains et des
règles du droit international les plus élémentaires.
92. Les États membres du Conseil de l’Europe devraient condamner
la dernière escalade en date de l’agression menée par la Fédération
de Russie. Ils ne devraient reconnaître aucun effet aux simulacres
de «référendums» organisés par la Fédération de Russie, qui lui
servent de prétexte pour tenter d’annexer de larges pans du territoire
ukrainien, en violation du droit international. Ils devraient intensifier
leur soutien à l’Ukraine par tous les moyens disponibles, en appuyant
son droit à se défendre et en contribuant à sa reconstruction.
93. En ce moment critique, les États membres du Conseil de l’Europe
devraient rester fidèles à leurs principes et à leurs valeurs et
ne devraient ménager aucun effort pour veiller à ce que la Fédération
de Russie soit tenue pour responsable, juridiquement et politiquement,
de cette agression et de tous les dommages et souffrances qui en
résultent.
94. L’Assemblée a déjà adopté un certain nombre de textes portant
sur l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, que
j’ai énumérés en annexe du présent rapport et dont les recommandations devraient
être réitérées dans leur intégralité. Ces textes sont le reflet
de la conscience de l’Europe. Il est de la plus haute importance
que les chefs d’État et de gouvernement des États membres du Conseil
de l’Europe, réunis lors d’un quatrième Sommet, soutiennent les
propositions de l’Assemblée, en réaffirmant non seulement leur attachement
à la démocratie, aux droits humains et à l’État de droit, mais aussi
à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale
de l’Ukraine ainsi que leur volonté de ne pas laisser la Fédération
de Russie impunie.