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Rapport | Doc. 15674 | 05 janvier 2023

Impact environnemental des conflits armés

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. John HOWELL, Royaume-Uni, CE/AD

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15074, Renvoi 4506 du 7 mai 2020. 2023 - Première partie de session

Résumé

Les conflits armés, les guerres et les agressions militaires détruisent des vies humaines et endommagent l'espace de vie humain. Les dommages environnementaux peuvent être multiformes, graves, durables et généralement irréversibles. Ils affectent non seulement les écosystèmes, mais également la santé humaine, au-delà de la zone de conflit et longtemps après la fin du conflit. Les droits humains à la vie et à un environnement sain sont ainsi bafoués.

Le rapport note que le cadre juridique international existant prévoit une protection limitée de l'environnement en temps de conflit armé, sur la base des instruments du droit international humanitaire. Il souligne la nécessité d'assurer la co-application des droits humains et du droit humanitaire pendant les conflits armés. Il plaide aussi pour la reconnaissance internationale du crime d'écocide et des mesures visant à interdire l'utilisation d'armes prohibées qui ont un impact désastreux sur l'environnement et les humains.

Le rapport recommande des mesures pour consolider un cadre juridique pour une protection renforcée de l'environnement dans les conflits armés aux niveaux national, européen et international, notamment pour le suivi des infractions et le traitement des demandes d'indemnisation. En outre, la responsabilité des États en cas de dommages environnementaux extraterritoriaux devrait être renforcée et un nouvel instrument juridique ou traité régional sous les auspices du Conseil de l'Europe devrait être rédigé.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adoptée à l’unanimité par la commission le 2 décembre
2022.

(open)
1. Les conflits armés, les guerres et les agressions militaires détruisent des vies humaines et laissent des cicatrices profondes dans le milieu de vie des êtres humains. Les dommages environnementaux résultant de conflits armés peuvent prendre diverses formes mais ils sont graves, durables, et généralement irréversibles. Ils affectent non seulement les habitats naturels et les écosystèmes, mais ils risquent aussi d’avoir des conséquences sur la santé humaine, bien au-delà de la zone de conflit et longtemps après la fin du conflit. Les droits humains à la vie et à un environnement sain sont donc fragilisés.
2. Le cadre juridique international en vigueur prévoit, dans une certaine mesure, la protection directe et indirecte de l’environnement en période de conflit armé, sur la base d’instruments de droit international humanitaire comme la Convention des Nations Unies sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (convention ENMOD), et le Protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I). De plus, la doctrine du droit international en est venue à accepter l’interaction entre le droit international humanitaire et le droit international relatif aux droits humains dans l’avis consultatif de 1996 de la Cour internationale de Justice sur «la légalité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires». L’Assemblée parlementaire note que la co-application du droit relatif aux droits humains et du droit humanitaire en période de conflit armé a également été confirmée par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, dans ses observations générales et par la Cour européenne des droits de l'homme, dans sa jurisprudence.
3. L’Assemblée considère donc que le droit international des droits humains et le droit international humanitaire imposent des obligations matérielles et procédurales aux États impliqués dans des conflits armés. Alors qu’il est de plus en plus largement admis, à l’échelle mondiale, que le droit à un environnement sain constitue un droit humain, il y a des raisons d’affirmer que les États peuvent avoir des obligations extraterritoriales qui leur incombent pendant et après les conflits armés.
4. L'Assemblée rappelle que les normes du droit international coutumier prévoient une protection indirecte de l'environnement durant les conflits armés. À cette fin, elle prend note avec satisfaction des directives de la Croix-Rouge pour les manuels d’instruction militaire («directives du CICR»), mises à jour en 2020, qui contribuent, de manière pratique et efficace, à sensibiliser à la nécessité de protéger le milieu naturel contre les effets des conflits armés. Cependant, l’environnement n’est donc protégé que de manière incidente, sa protection étant soumise aux exigences de la guerre et aux impératifs humanitaires.
5. L’Assemblée salue les travaux de la Commission du droit international (CDI) des Nations Unies consacrés au projet de principes sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés. Elle se réjouit de l’adoption de ces principes par l’Assemblée générale des Nations Unies le 7 décembre 2022 et encourage leur diffusion la plus large possible dans tous les États européens et auprès de leurs partenaires internationaux.
6. L’Assemblée note que le Conseil de l'Europe a élaboré plusieurs instruments juridiques destinés à protéger l’environnement: la Convention sur la responsabilité civile des dommages résultant d'activités dangereuses pour l'environnement (STE no 150), la Convention sur la protection de l'environnement par le droit pénal (STE no 172), la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe (STE no 104, «Convention de Berne») et la Convention du Conseil de l'Europe sur le paysage (STE no 176). Toutefois, soit ces conventions ne visent pas explicitement les dommages causés par un acte de guerre ou par des hostilités, soit elles excluent explicitement ces contextes. La procédure actuelle de révision de la convention de droit pénal (STE no 172), qui est aussi ouverte aux États non membres, donne la possibilité d’établir une nouvelle infraction pénale d’«écocide» au niveau du Conseil de l'Europe. L’Assemblée note également que la Recommandation CM/Rec(2022)20 du Comité des Ministres sur les droits de l'homme et la protection de l’environnement, adoptée le 27 septembre 2022, mentionne «les dommages environnementaux découlant des conflits armés», réaffirme que «tous les droits de l’homme sont universels, indivisibles, interdépendants et étroitement liés» et encourage à prendre des dispositions pour reconnaître au niveau national le droit à un environnement sain comme un droit humain.
7. Des formes graves de destruction ou de dégradation de la nature qui pourraient être qualifiées d’écocide sont susceptibles de se produire en temps de paix ou de guerre. Il est nécessaire de codifier cette notion à la fois dans la législation nationale, de manière adaptée, et dans le droit international. C’est pourquoi l’Assemblée soutient fermement les efforts visant à modifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, pour y ajouter le crime d’écocide. L’Assemblée réitère son appel aux États membres du Conseil de l'Europe, contenu dans la Résolution 2398 (2021) «Examen des questions de responsabilité civile et pénale dans le contexte du changement climatique», en ce qui concerne la nécessité de «reconnaître le principe de compétence universelle pour l’écocide et les infractions environnementales les plus graves» et d’incorporer «le crime d’écocide dans leur droit pénal national».
8. L’Assemblée déplore le fait que, malgré un impressionnant arsenal juridique international, des lacunes importantes subsistent en matière de protection de l’environnement dans le contexte des conflits armés et de leurs conséquences. Les instruments juridiques en vigueur manquent d’universalité: les ratifications ne sont pas assez nombreuses, les termes utilisés ne sont pas assez précis (par exemple, les textes ne précisent pas ce qu’il faut entendre par «effets étendus, durables ou graves»), les infractions visées ne couvrent pas l’ensemble des dommages potentiels à l’environnement et le champ d’application n’est pas assez large. Il n’existe pas non plus de mécanisme international permanent qui serait chargé de détecter les manquements au droit et d’examiner les demandes en réparation des dommages causés à l’environnement.
9. L’Assemblée prie instamment les États membres de prendre toutes les mesures nécessaires pour rendre illégale et passible de poursuites pénales l’utilisation dans les conflits d’armes interdites qui, en plus d’autres ravages, ont un impact disproportionné sur l’environnement et rendent toute vie impossible dans la zone affectée.
10. Considérant que le Conseil de l'Europe sert de laboratoire où sont conçues des innovations juridiques visant à défendre les valeurs des droits humains et de l’État de droit en Europe et au-delà, l’Assemblée estime que l’Organisation devrait prendre la tête d’un processus d’élaboration de nouveaux instruments juridiques destinés à aider ses États membres et d’autres États à prévenir les dommages environnementaux massifs et à réduire l’ampleur de ces dommages dans toute la mesure du possible pendant et après les conflits armés. Ces travaux devraient ouvrir la voie à la reconnaissance internationale du crime d’écocide. Gardant cela à l’esprit, et se référant aux considérations ci-dessus, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l'Europe, ainsi que les États observateurs et les États dont le parlement jouit du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée:
10.1. à établir et consolider un cadre juridique destiné à améliorer la protection de l’environnement dans les conflits armés aux niveaux national, européen et international:
10.1.1. en ratifiant la convention ENMOD et le Protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), s’ils ne l’ont pas encore fait;
10.1.2. en prenant des dispositions pour soutenir la création d’un mécanisme international permanent qui serait chargé de détecter les manquements au droit et d’examiner les demandes en réparation des dommages environnementaux résultant des conflits armés;
10.1.3. en favorisant l’application concrète des principes sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés, adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies, et en encourageant leur diffusion par l’intermédiaire des institutions nationales pertinentes, des voies diplomatiques et des partenaires internationaux;
10.1.4. en plaidant pour une lecture plus cohérente et complète des règles juridiques en vigueur destinées à protéger l’environnement lors des conflits armés;
10.1.5. en mettant à jour leur arsenal juridique de manière à ce que l’écocide soit érigé en infraction pénale et fasse l’objet de poursuites effectives, et en prenant des mesures concrètes pour modifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale de manière à y ajouter le crime d’écocide;
10.2. à combler l’écart entre différents domaines du droit et la réalité sur le terrain, afin de protéger dûment le milieu de vie des êtres humains, l’environnement et les droits humains à la vie et à un environnement sain dans le contexte des conflits armés:
10.2.1. en renforçant la responsabilité des États pour les dommages environnementaux qui dépassent leurs limites territoriales, sur la base d’obligations extraterritoriales en matière de droits humains et du modèle de l’impact fonctionnel dans les situations où l’impact est direct et raisonnablement prévisible;
10.2.2. en envisageant de rédiger un instrument juridique ou un traité régional sous les auspices du Conseil de l'Europe, en vue de clarifier le régime juridique existant et de combler ses lacunes (notamment en ce qui concerne le seuil de dommage, l’application effective, la mise en œuvre de la responsabilité et le principe de diligence raisonnable);
10.2.3. en réalisant, sous les auspices du Conseil de l'Europe, une étude consacrée à l’interaction possible entre le droit pénal international en vigueur et les dommages environnementaux survenant pendant les conflits armés, notamment en ce qui concerne la possibilité d’invoquer les crimes de guerre existants;
10.2.4. en participant activement au processus de révision de la convention no 172 du Conseil de l'Europe, afin de veiller à ce que la convention révisée s’applique aussi dans le contexte des conflits armés, en temps de guerre ou en cas d’occupation;
10.2.5. en déployant des moyens suffisants pour garantir le suivi et la mise en œuvre appropriés des engagements contractés au titre des traités du Conseil de l'Europe, en particulier de la Convention de Berne et de la Convention sur le paysage;
10.2.6. en assurant une interprétation plus ouverte du cadre juridique international applicable, afin d’offrir une protection plus adéquate de l’environnement et de la santé humaine;
10.2.7. en cartographiant les zones présentant une importance ou une sensibilité environnementale particulière, sur la base des aires protégées existantes (telles que les sites du patrimoine naturel mondial ou les réserves naturelles), en prévision de toute forme de conflit armé, et en prévoyant la démilitarisation de ces zones en cas de conflit armé;
10.2.8. en adaptant les manuels d’instruction militaire nationaux, compte tenu des directives du CICR mises à jour, des principes des Nations Unies sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés, et de l’évolution du cadre juridique international;
10.2.9. en envisageant d’établir des solutions nationales et/ou régionales pour venir en aide aux réfugiés environnementaux qui fuient un conflit armé, compte tenu de l’absence de dispositions de droit international traitant de cette question;
10.2.10. en promouvant la connaissance et le respect des normes juridiques internationales protégeant l’environnement auprès des acteurs non étatiques impliqués dans les conflits armés.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adoptée à l’unanimité par la commission le 2 décembre 2022.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution … (2023) «Impact des conflits armés sur l’environnement» et souligne le rôle de gardien des droits humains et de l’État de droit joué par le Conseil de l'Europe en temps de paix et de guerre. Elle déplore les effets dévastateurs des conflits armés sur l’environnement en tant que source de subsistance et insiste sur la co-application du droit relatif aux droits humains et du droit humanitaire en période de conflit armé, qui a été confirmée par le Comité des droits de l'homme des Nations Unies et par la Cour européenne des droits de l'homme.
2. L’Assemblée souligne également le caractère indivisible des droits humains et considère que, dans la mesure où il est de plus en plus largement admis que le droit à un environnement sain constitue un droit humain, les États membres du Conseil de l'Europe devraient prendre des mesures ambitieuses pour améliorer le cadre juridique destiné à protéger dûment le milieu de vie des êtres humains, l’environnement et les droits humains à la vie et à un environnement sain dans le contexte des conflits armés.
3. En conséquence, l'Assemblée recommande au Comité des Ministres:
3.1. de demander instamment aux États membres et observateurs de ratifier la Convention des Nations Unies sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (convention ENMOD) et le Protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), s’ils ne l’ont pas encore fait;
3.2. de charger une instance compétente d’étudier la possibilité de rédiger un instrument juridique ou un traité régional sous les auspices du Conseil de l'Europe, en vue d’identifier et de combler les lacunes du régime juridique existant consacré à la protection de l’environnement et des droits humains à la vie et à un environnement sain dans le contexte des conflits armés, en temps de guerre ou en cas d’occupation (notamment en ce qui concerne le seuil de dommages, la caractérisation de l’intention, les comportements qui doivent être sanctionnés, les entités qui devraient être tenues pour responsables, l’application effective, l’étendue de la responsabilité et l’interprétation correcte des principes de proportionnalité, de nécessité militaire et de diligence raisonnable);
3.3. de charger le Comité permanent instauré par la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe (STE no 104, «Convention de Berne») de formuler des recommandations concernant la protection des zones écologiquement sensibles pendant les conflits armés, d’étudier la faisabilité d’un Protocole additionnel à la Convention à cette fin, et d’envisager de créer un mécanisme d’examen pour s’assurer que les recommandations sont appliquées par les États parties (notamment transposées dans le droit interne, incorporées à la doctrine militaire et largement partagées en vue de l’élaboration de bonnes pratiques);
3.4. de veiller à ce que la version révisée de la Convention sur la protection de l'environnement par le droit pénal (STE no 172) s’applique aussi dans le contexte des conflits armés, en temps de guerre ou en cas d’occupation, et couvre l’écocide;
3.5. d’allouer des moyens suffisants pour garantir le suivi et la mise en œuvre appropriés des engagements contractés au titre des traités du Conseil de l'Europe, en particulier de la Convention de Berne et de la Convention sur le paysage (STE no 176);
3.6. de promouvoir et de diffuser les principes des Nations Unies sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés;
3.7. de soutenir la création d’un mécanisme international permanent qui serait chargé de détecter les manquements au droit et d’examiner les demandes en réparation des dommages environnementaux résultant de conflits armés;
3.8. d’encourager la Cour européenne des droits de l’homme à utiliser le modèle de l’impact fonctionnel en matière de juridiction chaque fois que la question de l’application extraterritoriale des droits humains se pose dans des situations de conflit armé ou d’occupation;
3.9. d’encourager les États membres à cartographier les zones présentant une importance ou une sensibilité environnementale particulière, en prévision de toute forme de conflit armé, et de prévoir la démilitarisation de ces zones en cas de conflit armé;
3.10. d’appeler les États membres à mettre à jour leur arsenal juridique de manière à ce que l’écocide soit érigé en infraction pénale et fasse l’objet de poursuites effectives, à établir des solutions nationales et/ou régionales pour venir en aide aux réfugiés environnementaux qui fuient un conflit armé, et à prendre des mesures concrètes en vue de proposer des modifications du Statut de Rome de la Cour pénale internationale qui permettraient d’y ajouter le crime d’écocide.

C. Exposé des motifs par M. John Howell, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. L’impact des conflits armés, des guerres et des agressions militaires sur l’environnement peut prendre diverses formes et être plus ou moins grave, mais il est généralement irréversible. En attestent plusieurs conflits armés de l’histoire, notamment la guerre du Vietnam, la guerre du Golfe, mais aussi les guerres en ex-Yougoslavie et dans le Caucase, ou encore le conflit militaire entre Israël et les Territoires palestiniens et la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine. Ces conflits portent de graves atteintes à l’environnement et les dommages causés peuvent également avoir, à terme, des conséquences sur la santé humaine bien au-delà de la zone de conflit et après la fin des combats. Durant ces conflits, la protection de l’environnement est généralement reléguée au second plan (c’est une «victime silencieuse»), le droit international imposant aux parties belligérantes de se concentrer sur la protection de la vie et des droits des civils pris entre deux feux. Pourtant, la protection des civils suppose aussi de protéger l’environnement dans lequel ils vivent et dont ils dépendent.
2. Les dommages environnementaux surviennent principalement durant les conflits armés, mais aussi avant leur déclenchement 
			(3) 
			En raison du renforcement
des moyens et des effectifs militaires à proximité de la zone de
conflit. et après l’arrêt des combats: les «guerres propres» n’existent pas. Il convient d’envisager ces dommages au regard de la responsabilité de l’humanité pour la préservation de l’intégrité des écosystèmes ainsi qu’au regard des conséquences de ces dommages pour la santé humaine (droit à un environnement sain). Face à ces préoccupations, la proposition intitulée «Impact des conflits armés sur l’environnement transfrontalier» (Doc. 15074) a été renvoyée à la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable pour rapport et j’ai été nommé rapporteur.
3. Le présent rapport examine les caractéristiques du cadre juridique international existant en matière de protection de l’environnement en période de conflit armé, vise à fournir des orientations aux décideurs politiques pour améliorer son utilisation et cherche à proposer, le cas échéant, des mesures supplémentaires pour renforcer la protection (par exemple en ce qui concerne la réparation des dommages, la restauration des habitats naturels dégradés, la définition de l’«écocide», etc.). Le rapport examine quelques exemples de dommages à l’environnement liés à des conflits armés passés ou en cours sur le territoire européen. À cet égard, il convient de souligner que ce rapport ne porte pas sur les aspects politiques de ces conflits, mais sur les dommages environnementaux et sur leurs conséquences pour la santé publique. J’insiste sur ce dernier point: il ne s’agit pas ici de traiter des aspects politiques de ces conflits.
4. En tant que rapporteur, je voudrais remercier très chaleureusement les expert·e·s qui ont apporté des éléments très précieux à ce rapport lors de l’audition de la commission le 23 juin 2022, notamment Mme Marja Lehto, membre de la Commission du droit international des Nations Unies et rapporteure spéciale sur la protection de l’environnement en relation avec les conflits armés; Mme Helen Obregón Gieseken, conseillère juridique du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et co-auteure de ses Directives actualisées sur la protection de l’environnement naturel dans les conflits armés; et Mme Karen Hulme, Présidente du Groupe de spécialistes sur la sécurité environnementale et le droit des conflits de la Commission mondiale du droit de l’environnement de l’Union internationale pour la conservation de la nature, professeure de droit à l’Université d’Essex. Je tiens également à remercier mes collègues qui ont non seulement pris la parole lors de l’audition, mais qui m’ont également fourni des informations détaillées sur les cas sélectionnés évoqués dans ce rapport. J’aimerais enfin remercier le Parlement ukrainien et en particulier sa commission des politiques environnementales et de la gestion de la nature qui a tenu le 10 novembre 2022 une audition sur «l’impact des hostilités sur l’environnement en Ukraine et sa restauration» à laquelle j’ai pu participer et contribuer en ligne.

2. Cadre juridique: protection directe et indirecte de l’environnement en période de conflit armé

5. Durant la seconde moitié du XXème siècle, le cadre juridique international relatif à la protection de l’environnement s’est progressivement étoffé. Il contient des dispositions relatives à la protection directe ou indirecte de l’environnement durant les conflits armés. En période de guerre, le droit humanitaire international est applicable, et notamment la Convention des Nations Unies sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles et le Protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I). D’après l’étude sur le droit international coutumier menée par le CICR en 2005, plusieurs de ces instruments juridiques auraient atteint le statut de droit coutumier. La Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992, instrument de droit dit «souple», prévoit que les États doivent «respecter le droit international relatif à la protection de l’environnement en temps de conflit armé».
6. La doctrine du droit international en est venue à accepter l’interaction entre le droit international humanitaire et le droit international relatif aux droits humains dans l’avis consultatif de 1996 de la Cour internationale de Justice sur «la légalité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires». Cela a été repris plus loin, notamment dans l’avis consultatif sur «les conséquences juridiques de la construction d’un mur dans les territoires palestiniens occupés». La co-application du droit relatif aux droits humains et du droit humanitaire en période de conflit armé a également été confirmée par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies 
			(4) 
			Voir, par exemple,
les Observations générales du Comité des droits de l’homme des Nations
Unies n° 29 (2001), 31 (2004) et 36 (2017). et la Cour européenne des droits de l’homme 
			(5) 
			Voir, par exemple, l’affaire Royaume-Uni c. Hassan,
Requête n° 29750/09, 16 septembre 2014.. Le droit international des droits de l’homme impose donc de nouvelles obligations matérielles et procédurales aux États impliqués dans des conflits armés. Avec l’acceptation croissante que le droit à un environnement sain constitue un droit humain 
			(6) 
			Voir, par exemple,
la Résolution 76/300 de l’Assemblée générale de l’ONU «Le droit
de l’homme à un environnement propre, sain et durable», 1er août
2022, A/RES/76/300., les États pourraient avoir des obligations extraterritoriales en matière de droits humains découlant de telles activités.
7. Si ces instruments prévoient à la fois une protection directe et une protection indirecte de l’environnement en période de conflit armé, ils sont également complétés par plusieurs autres instruments internationaux prévoyant une protection indirecte additionnelle 
			(7) 
			Protocole additionnel
aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection
des victimes des conflits armés non internationaux (8 juin 1977)
(Protocole II); Convention (IV) de La Haye concernant les lois et
coutumes de la guerre sur terre (La Haye, 18 octobre 1907); Convention
(IV) de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes
civiles en temps de guerre; Protocole (II) sur l’interdiction ou
la limitation de l’emploi des mines, pièges et autres dispositifs
(Genève, 10 octobre 1980); Protocole (III) sur l’interdiction ou
la limitation des armes incendiaires (Genève, 10 octobre 1980);
Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication,
du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction
(Convention sur l’interdiction des armes chimiques, 1993).. Cependant, dans l’ensemble, les instruments internationaux existants semblent offrir une protection très limitée contre les dommages à l’environnement transfrontalier en période de conflit armé. Le droit humanitaire international est surtout anthropocentrique et vise à protéger l’environnement pour préserver les intérêts humains. Eu égard aux initiatives politiques récemment lancées au niveau de l’Assemblée et des Nations Unies en vue d’établir solidement le droit à un environnement sain, cette approche anthropocentrique pourrait évoluer vers une approche plus «éco-centrique» visant à protéger l’environnement en tant que tel.
8. Ainsi, entre 1955 et 1975, la guerre du Vietnam a été le théâtre d’une destruction de l’environnement devenue l’objectif essentiel de la stratégie militaire. Les États-Unis ont mené des expériences visant à modifier les conditions météorologiques en Indochine en vue de provoquer des pluies, de la boue et des inondations au Nord-Vietnam pour limiter les mouvements ennemis et couper les lignes d’approvisionnement 
			(8) 
			Voir <a href='https://ihl-databases.icrc.org/customary-ihl/eng/docs/v2_rul_rule45_sectionb'>https://ihl-databases.icrc.org/customary-ihl/eng/docs/v2_rul_rule45_sectionb</a>.. Ces évènements ont conduit à l’adoption, le 10 décembre 1976 sous les auspices des Nations Unies, d’un nouvel instrument juridique relatif à la protection de l’environnement en période de conflit armé: la Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (également appelée Convention sur la modification de l’environnement ou Convention ENMOD) 
			(9) 
			Voir <a href='https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/ihl.nsf/Treaty.xsp?documentId=2AC88FF62DB2CDD6C12563CD002D6EC1&action=openDocument'>https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/ihl.nsf/Treaty.xsp?documentId=2AC88FF62DB2CDD6C12563CD002D6EC1&action=openDocument</a>.. Cette convention a été le premier instrument du droit humanitaire international à envisager l’environnement de manière directe. Elle demeure également le seul instrument juridique qui interdit d’instrumentaliser l’environnement pour en faire une arme de guerre: l’article 1er de la Convention ENMOD interdit d’«utiliser à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles des techniques de modification de l’environnement ayant des effets étendus, durables ou graves».
9. En 1977, un an après l’adoption de la Convention ENMOD, a été adopté le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I). Ce traité international contient deux dispositions – l’article 55 et l’article 35.3 – relatives à la protection de l’environnement contre les effets des conflits armés. L’article 55 adopte une approche foncièrement anthropocentrique: l’obligation de protéger l’environnement naturel repose sur la nécessité de protéger la population civile. Selon l’article 55, «la guerre sera conduite en veillant à protéger l’environnement naturel contre des dommages étendus, durables et graves. Cette protection inclut l’interdiction d’utiliser des méthodes ou moyens de guerre conçus pour causer ou dont on peut attendre qu’ils causent de tels dommages à l’environnement naturel, compromettant, de ce fait, la santé ou la survie de la population». «Les attaques contre l’environnement naturel à titre de représailles sont interdites». En outre, le Protocole protège aussi l’environnement naturel en tant que tel: ainsi, l’article 35.3 «interdit d’utiliser des méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu’ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel».
10. Le Conseil de l’Europe a élaboré plusieurs instruments juridiques en la matière: la Convention sur la responsabilité civile des dommages résultant d’activités dangereuses pour l’environnement (STE n° 150) et la Convention sur la protection de l’environnement par le droit pénal (STE n° 172), ainsi que la Convention sur la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe (STE n° 104, «Convention de Berne»), et la Convention sur le paysage (STE n° 176) 
			(10) 
			Ce traité
promeut une protection plus générale de l’environnement, cinquante
pays et l’Union européenne étant parties à la Convention. On s’intéresse
de plus en plus à l’examen de ces instruments de droit de l’environnement
pour voir dans quelle mesure leurs règles pourraient continuer à
lier les États pendant les conflits. La Convention de Berne pourrait
être très utile à cet égard. L’organe directeur de la convention
pourrait éventuellement entreprendre des recherches spécifiques
et prendre position sur cette question.. La Convention n° 150 vise à assurer une réparation adéquate des dommages causés à l’environnement et prévoit des moyens de prévention et de restauration. Les problèmes de réparation adéquate pour les émissions produites dans un pays et causant des dommages dans un autre pays revêtent également un caractère international. En revanche, cette convention ne couvre pas les dommages qui «résulte[nt] d’un acte de guerre, d’hostilités, d’une guerre civile, d’une insurrection» 
			(11) 
			Bureau des Traités
du Conseil de l’Europe, <a href='https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/treaty/150'>Convention
sur la responsabilité civile des dommages résultant d’activités
dangereuses pour l’environnement</a> (STE No 150).. La Convention n° 172 vise à dissuader et à prévenir les comportements les plus préjudiciables pour l’environnement au niveau européen, en recourant au droit pénal. Elle vise aussi à harmoniser les législations nationales dans ce domaine, notamment en obligeant les États contractants à introduire des dispositions spécifiques dans leur droit pénal ou à modifier les dispositions existantes en la matière. Depuis la Conférence de haut niveau sur la protection de l’environnement et les droits de l’homme (organisée le 27 février 2020 à Strasbourg), la Convention sur la protection de l’environnement par le droit pénal est en cours de révision 
			(12) 
			Voir aussi Résolution 2398 et Recommandation
2213 (2021) «Examen des questions de responsabilité civile et pénale
dans le contexte du changement climatique» (Doc.15362), rapport de la commission des questions juridiques et des
droits de l’homme; rapporteur: M. Ziya Altunyaldiz, Turquie, NI.. De plus, il convient de noter que la Recommandation CM/Rec(2022)20 du Comité des Ministres sur les droits de l'homme et la protection de l’environnement, adoptée le 27 septembre 2022, mentionne «les dommages environnementaux découlant des conflits armés», réaffirme que «tous les droits de l'homme sont universels, indivisibles, interdépendants et étroitement liés» et encourage à prendre des dispositions pour reconnaître, au niveau national, le droit à un environnement sain comme un droit de l’homme.
11. Les normes du droit international coutumier prévoient une protection indirecte de l’environnement durant les conflits armés. Ces normes coutumières énoncent les principes de limitation, de nécessité militaire, de proportionnalité, de discrimination (entre objectifs civils et militaires), de précaution et d’interdiction de causer des blessures ou des souffrances inutiles. Le CICR a élaboré, en 1994, des Directives pour les manuels d’instruction militaire qui ont été mises à jour en 2020 
			(13) 
			Directives
de la Croix-Rouge pour les manuels d’instruction militaire sur la
protection de l’environnement en période de conflit armé à mettre
en œuvre dans les programmes nationaux de formation militaire.. L’objectif était de proposer aux États, non pas une nouvelle codification, mais un référentiel, et de contribuer, de manière concrète et efficace, à les sensibiliser à la nécessité de protéger l’environnement naturel. Ces directives doivent être intégrées dans les manuels, instructions et règlements militaires relatifs au droit de la guerre. Elles découlent des dispositions existantes du droit international, en particulier du droit humanitaire, et reflètent les pratiques nationales sur la protection de l’environnement contre les effets des conflits armés. Les directives actualisées recommandent aux parties belligérantes d’adopter des mesures spécifiques pour limiter l’impact environnemental des conflits armés.
12. Parallèlement aux travaux du CICR, la Commission du droit international (CDI) des Nations Unies a présenté, en 2019, un projet de 28 principes sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés, tels qu’adoptés en première lecture («projet de principes de la CDI»). Après avoir été révisé sur la base des divers commentaires formulés, le projet de principes définitif (27 principes au total) a été adopté en deuxième lecture le 27 mai 2022 et sera soumis à l’Assemblée générale des Nations Unies conjointement avec les commentaires et recommandations de la CDI. Ce projet de principes vise à réduire l’écart entre la réalité des conflits actuels et la portée restreinte des règles conventionnelles existantes. C’est pourquoi ils incluent les phases d’avant-conflit et d’après-conflit et mentionnent le droit international des droits de l’homme et le droit international de l’environnement 
			(14) 
			«<a href='https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/reel.12324'>Armed
conflicts and the environment: The International Law Commission’s
new draft principles</a>», ambassadrice Marja Lehto, 11 mai 2020, et document
final A/CN.4/L.968 de la 73e session
de la Commission du droit international (2022), <a href='https://legal.un.org/docs/index.asp?symbol=A/CN.4/L.968'>https://legal.un.org/docs/index.asp?symbol=A/CN.4/L.968</a>.. L'Assemblée générale des Nations Unies devrait joindre le projet de principes et les commentaires en annexe à sa propre résolution, en recommandant aux États, aux organisations internationales, ainsi qu’à toutes les entités concernées de les mettre en œuvre et en encourageant leur diffusion la plus large possible 
			(15) 
			Depuis,
le projet a été adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies
le 7 décembre 2022 par la Résolution A/RES/77/104 - <a href='https://daccess-ods.un.org/access.nsf/Get?OpenAgent&DS=A/RES/77/104&Lang=F'>https://daccess-ods.un.org/access.nsf/Get?OpenAgent&DS=A/RES/77/104&Lang=F</a>..

3. Limites du cadre juridique existant

13. Aussi prometteurs soient-ils, les instruments juridiques existants concernant la protection directe de l’environnement en période de conflit armé présentent de multiples problèmes. Leur champ d’application est clairement limité. La Convention ENMOD, par exemple, manque d’universalité. En effet, elle ne s’applique qu’aux États parties et entre ces États. À ce jour, seuls 78 États ont ratifié la convention et 16 l’ont signée mais ne l’ont pas ratifiée. De nombreux pays européens ont adhéré à la convention, mais onze ne l’ont pas fait 
			(16) 
			Il
s’agit des pays suivants: Albanie, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine,
Croatie, France, Géorgie, Lettonie, République de Moldova, Macédoine
du Nord, Monténégro et Serbie, ainsi que le Kosovo*. Voir la liste
complète à l’adresse suivante: <a href='https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=XXVI-1&chapter=26&clang=_fr'>https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=XXVI-1&chapter=26&clang=_fr</a>. 
			(16) 
			* Toute référence au Kosovo, que ce
soit à son territoire, à ses institutions ou à sa population, doit
se comprendre en pleine conformité avec la Résolution 1244 du Conseil
de sécurité des Nations Unies et sans préjuger du statut du Kosovo.. En outre, la convention interdit uniquement l’utilisation de techniques de modification de l’environnement, mais pas, par exemple, la recherche, le développement ou la mise au point de telles techniques. En outre, il existe des ambiguïtés concernant les termes utilisés: ainsi, l’interprétation de ce qu’on entend par «techniques de modification de l’environnement», «ayant des effets étendus, durables ou graves» et «manipulation délibérée de processus naturels» manque de clarté.
14. Comme la Convention ENMOD, le Protocole I (aux Conventions de Genève du 12 août 1949) s’applique uniquement aux conflits armés internationaux, et le Protocole additionnel Il relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux ne contient pas de disposition protégeant l’environnement de manière directe. Même si 174 États sont parties au Protocole I, certains États impliqués dans des conflits en cours provoquant des dommages environnementaux n’en font pas partie, notamment les États-Unis et Israël. Des doutes persistent également quant au caractère coutumier de certaines dispositions de ce protocole. Son applicabilité concernant les armes nucléaires pose aussi question: de nombreux pays, comme la France et le Royaume-Uni, considèrent que les articles 35.3 et 55 ne s’appliquent qu’aux armes conventionnelles, ce qui exclut donc les armes nucléaires. Par ailleurs, le Protocole prévoit la nécessité de «dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel»: ces critères cumulatifs imposent un seuil élevé d’atteinte à l’environnement. Tout comme pour la Convention ENMOD, l’interprétation de ces notions est floue, ambiguë et laisse une large place à la subjectivité.
15. S’agissant des conventions nos 150 et 172 du Conseil de l’Europe, il convient aussi de relever leur manque d’universalité. La Convention sur la responsabilité civile n’a été signée que par neuf États membres du Conseil de l’Europe 
			(17) 
			Chypre, Finlande, Grèce,
Islande, Italie, Liechtenstein, Luxembourg, Pays-Bas et Portugal. et n’a été ratifiée par aucun d’entre eux, tandis que la Convention sur la protection de l’environnement par le droit pénal a été signée par 14 États membres 
			(18) 
			Allemagne,
Autriche, Belgique, Danemark, Estonie, Finlande, France, Grèce,
Islande, Italie, Luxembourg, Roumanie, Suède et Ukraine. et a été ratifiée par un État (l’Estonie). Trois ratifications étant nécessaires, aucune de ces conventions n’est entrée en vigueur. La Résolution 2398 (2021) de l’Assemblée intitulée «Examen des questions de responsabilité civile et pénale dans le contexte du changement climatique» appelait à «renforce[r] la responsabilité pénale pour des actes ou omissions susceptibles […] de causer des dommages sérieux à l’environnement» et demandait aux États membres d’harmoniser «la législation relative à la responsabilité pour les dommages causés à l’environnement, en accordant une attention particulière à la définition des crimes environnementaux et des sanctions correspondantes», de «réviser ou […] remplacer, dès que possible, la Convention STE n° 172 afin de disposer d’un instrument juridique mieux adapté aux défis actuels», d’introduire «le crime d’écocide dans leur droit pénal national» et d’«envisager de reconnaître le principe de compétence universelle pour l’écocide et les crimes environnementaux les plus graves, notamment dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998».
16. En outre, la Résolution appelait «à renforcer, si besoin est, la responsabilité civile pour les dommages causés à l’environnement […] en allégeant la charge de la preuve, en établissant notamment la présomption de fait du lien de causalité pour les personnes qui demandent réparation d’un préjudice; en ajoutant des dispositions particulières relatives à la responsabilité pour préjudice écologique; et/ou en élargissant le champ d’application de la responsabilité stricte aux situations appropriées, liées aux dommages causés à l’environnement». La Recommandation 2213 (2021) de l’Assemblée exhortait à remplacer la Convention n° 172 par un nouvel instrument juridique et appelait à réviser ou remplacer la Convention n° 150.
17. La plupart des dispositions juridiques internationales relatives à la protection de l’environnement au cours d’un conflit armé ont été élaborées pour les conflits armés internationaux. Toutefois, selon les conclusions de l’étude de 2005 du CICR sur le droit coutumier, elles peuvent également s’appliquer aux conflits internes, qui constituent aujourd’hui la majorité des situations de ce type. Cependant, un mécanisme international permanent chargé de contrôler les manquements au droit et d’examiner les demandes en réparation des dommages causés à l’environnement fait actuellement défaut. Les lignes directrices du CICR et les projets de principe de la CDI visent à combler une partie de l'écart entre les règles juridiques en vigueur et la réalité, en montrant qu’il est possible de procéder à une lecture plus cohérente des règles existantes. Néanmoins, l'ambassadrice Marja Lehto, Rapporteure spéciale de la CDI sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés, fait valoir qu'il n’existe toujours pas de cadre juridique cohérent pour la protection de l’environnement en relation avec les conflits armés 
			(19) 
			«<a href='https://blogs.icrc.org/law-and-policy/2021/05/27/overcoming-disconnect-environmental-protection-armed-conflicts/'>Overcoming
the disconnect: environmental protection and armed conflict</a>», ambassadrice Marja Lehto, 27 mai 2021..
18. La protection indirecte de l’environnement garantie par le droit international coutumier est limitée. L’environnement n’est protégé que de manière incidente, sa protection étant soumise aux exigences de la guerre et aux impératifs humanitaires. Par exemple, le principe de nécessité militaire interdit aux belligérants de commettre des atteintes à l’environnement, si une attaque ne comporte aucun avantage militaire. Si ce principe semble utile aux fins de protéger l’environnement en période de conflit armé, il peut, a contrario, légitimer les destructions environnementales imposées par les objectifs de guerre et justifier de nombreuses mesures désastreuses pour l’environnement.
19. Il en va de même concernant le principe de proportionnalité: il peut être licite d’infliger des dommages environnementaux collatéraux lorsque l’avantage militaire conféré par l’attaque est suffisamment important pour justifier d’exposer l’environnement à un risque accru. Plus l’objectif est important, plus le risque environnemental sera accepté: «lors de l’application de ce principe, il est nécessaire d’évaluer l’importance de l’objectif par rapport aux dommages collatéraux attendus: si l’objectif est suffisamment important, un niveau de risque plus élevé pour l’environnement peut être justifié» 
			(20) 
			Rapport final présenté
au procureur par la commission chargée d’examiner la campagne de
bombardements de l’OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie,
3 juin 2000, para. 19.. De plus, ces principes ne sont pas faciles à appliquer en pratique. La nécessité de hiérarchiser les priorités conduira, en période de guerre, à faire passer l’environnement après d’autres valeurs. En tout état de cause, la protection incidente de l’environnement est incertaine.

4. Dommages à l’environnement transfrontalier

20. Les dommages à l’environnement transfrontalier sont les dégradations qui résultent d’activités menées dans les régions relevant de la juridiction ou du contrôle d’un État et qui surviennent dans des régions relevant de la juridiction ou du contrôle d’un autre État ou dans des régions ne relevant d’aucune juridiction nationale. Les dommages à l’environnement transfrontalier prennent principalement trois formes: la pollution de l’air, la pollution d’un cours d’eau (ou d’un territoire en cas de modification des frontières entre États) transfrontalier, et le transport ou le déversement transfrontalier de déchets. En période de conflit militaire, l’environnement souffre généralement des dommages causés aux infrastructures stratégiques et de la pollution qui en découle, mais aussi de la «tactique de la terre brûlée», qui comprend la destruction délibérée d’installations agricoles (en particulier de canaux, de puits et de pompes), de cultures et de forêts.
21. Conformément à la théorie de la souveraineté territoriale limitée, les États sont responsables des dommages environnementaux qui s’étendent au-delà des limites de leur territoire. Cette théorie du droit international est une analogie de la maxime du droit romain sic utere tuo ut alienum non laedas («utilise tes biens sans porter atteinte aux biens d’autrui»). Elle a été appliquée dans une sentence arbitrale rendue en 1941 dans l’affaire de la Fonderie de Trail. En vertu de cette décision, les États doivent veiller à ne pas causer de dommage à l’environnement dans d’autres États (également en cas d’occupation) 
			(21) 
			Comme dans l’avis consultatif
de la Cour internationale de Justice dans l’affaire Namibie (Legal Consequences for States of the Continued
Presence of South Africa in Namibia (South West Africa))
nonobstant la Résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis
consultatif, ICJ Reports 1971, p. 16, para. 118). ou dans des régions ne relevant d’aucune juridiction nationale. Ce principe figure dans plusieurs conventions internationales et instruments non contraignants 
			(22) 
			Exemples:
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (10 décembre
1982), article 194.2, et principe n° 2 de la Déclaration de Rio
sur l’environnement et le développement. et possède une valeur coutumière. Il ressort de l’affaire du détroit de Corfou (1947-1949) qu’il est applicable en période de conflit armé et s’impose aux États belligérants dans leurs relations avec les États non belligérants.
22. Concernant la question spécifique des situations d’occupation, le devoir de diligence de l’État occupant ou de la puissance occupante est renforcé par quelques dispositions du droit international humanitaire. La plupart de ces dispositions sont contenues dans le Règlement de la Haye de 1907, dans la quatrième Convention de Genève (de 1949) et dans le premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève (de 1977). Elles ont acquis une valeur coutumière et apportent une protection indirecte par le biais de la protection des propriétés publiques et privées 
			(23) 
			Voir
l’article 23(g) du Règlement de La Haye de 1907 et son application
spécifique aux forêts et aux terres agricoles, précisée à l’article 55., et par le biais des obligations de la puissance occupante. L’occupant est ainsi soumis à l’obligation (obligation de moyens et non de résultat) de protéger l’environnement au titre du droit international (devoir de diligence) et au titre du droit interne de l’État occupé 
			(24) 
			Voir l’article 43 du
Règlement de La Haye de 1907: «L'autorité du pouvoir légal ayant
passé de fait entre les mains de l'occupant, celui-ci prendra toutes
les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d'assurer,
autant qu'il est possible, l'ordre et la vie publics en respectant,
sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays.».
23. En outre, les règles de neutralité du droit international humanitaire s’appliquent en période de conflit armé et d’occupation, le territoire des États neutres étant considéré comme inviolable et protégé contre les dommages collatéraux 
			(25) 
			M. Bothe, «The Law
of Neutrality», dans D. Fleck (éd.), The
Handbook of International Humanitarian Law, 3e édition, Oxford
University Press 2013, p. 547-580, p. 559-600.. L’obligation de prévenir les dommages transfrontières est également liée à la pratique internationale en matière d’indemnisation des dommages. La Commission d’indemnisation des Nations Unies 
			(26) 
			La Commission d’indemnisation
a été créée en 1991 en tant qu’organe subsidiaire du Conseil de
sécurité de l’ONU en vertu de la Résolution 687 (1991) du Conseil
de sécurité pour traiter les demandes et verser des indemnités pour
les pertes et dommages subis en conséquence directe de l’invasion
et de l’occupation illégales du Koweït par l’Iraq en 1990-1991., par exemple, a systématiquement appliqué les principes du droit de l’environnement dans l’examen des réclamations environnementales. Certains accords multilatéraux sur l’environnement prévoient une approche conciliante de la protection de l’environnement pendant les conflits armés 
			(27) 
			B.
Sjöstedt, The Role of Multilateral Environmental
Agreements: A Reconciliatory Approach to Environmental Protection
in Armed Conflict, Hart Publishing,
New York, 2020.. Il convient de noter en outre que les obligations de diligence raisonnable (ou obligations de «due diligence») des États impliquent la responsabilité du manque de vigilance à l’égard des actes d’acteurs non étatiques 
			(28) 
			Activités armées sur
le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda),
arrêt du 19 décembre 2005, ICJ Recueil 2005, p. 116, para. 248..

4.1. La guerre du Kosovo

24. La guerre du Kosovo sur le territoire yougoslave (du 6 mars 1998 au 10 juin 1999) fait partie des exemples pertinents à examiner aux fins du présent rapport. Ce conflit militaire a opposé les forces armées de la République fédérale de Yougoslavie à l’Armée de libération du Kosovo. Durant cette guerre, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) a également mené des opérations militaires contre la République fédérale de Yougoslavie. Des sites industriels et des installations énergétiques ont été endommagés par des bombardements et des frappes de missiles. Les destructions et les incendies survenus sur ces sites ont causé de graves dommages à l’environnement naturel du pays. Les bombardements ont eu, dans les Balkans, des répercussions néfastes sur les écosystèmes, les eaux superficielles, les eaux souterraines, les zones protégées, les forêts, les paysages, les sols et l’air qui ont subi une pollution sans précédent. Plus de 100 substances toxiques ont été utilisées: l’OTAN a notamment eu recours à des munitions contenant de l’uranium appauvri dans plusieurs opérations 
			(29) 
			Voir <a href='https://www.dw.com/en/uranium-risks-haunt-kosovo-survivors/a-16366645-0'>www.dw.com/en/uranium-risks-haunt-kosovo-survivors/a-16366645-0</a>.. De plus en plus de preuves attestent du lien possible entre la dispersion d’uranium appauvri et l’augmentation des taux d’incidence de cancers agressifs tels que la leucémie chez la population locale, le personnel militaire et les forces de maintien de la paix 
			(30) 
			<a href='https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7197787/'>«Incidence
of haematological malignancies in Kosovo – A post “uranium war”
concern»</a>, publié en ligne le 4 mai 2020, Hatixhe Latifi-Pupovci,
Miranda Selmonaj, Blerina Ahmetaj-Shala, Mimoza Dushi, Violeta Grajqevci..
25. Les atteintes à l’environnement causées par la guerre du Kosovo étaient de nature transfrontalière. Des phénomènes de pollution ont été enregistrés en ex-Yougoslavie (Macédoine du Nord, Serbie), mais aussi dans plusieurs autres pays du sud-est de l’Europe, notamment en Albanie, en Bulgarie, en Grèce, en Hongrie, en Roumanie et en Ukraine. Le bassin danubien, les cours d’eau transfrontaliers et les nappes phréatiques ont été touchés. Les atteintes à l’environnement ont également conduit à des déplacements de population et à l’installation de camps de réfugiés, principalement en Albanie et en Macédoine du Nord.
26. En 2001, l’Assemblée a adopté un rapport sur les «Conséquences de la guerre en Yougoslavie pour l’environnement de l’Europe du sud-est» 
			(31) 
			Voir <a href='http://www.assembly.coe.int/nw/xml/XRef/X2H-Xref-ViewHTML.asp?FileID=9143&lang=FR'>Doc.
8925</a> (rapport de la commission de l’environnement, de l’aménagement
du territoire et des pouvoirs locaux, Rapporteur: M. Serhiy Kurykin,
Ukraine, NI).. Le rapporteur, M. Serhiy Kurykin, avait souligné que les États qui ont participé à ces opérations «ont méconnu les normes juridiques internationales» (articles 55 et 56 du Protocole I (1977) aux conventions de Genève de 1949 et Principe 24 de la Déclaration de Rio (1992) sur l’environnement et le développement) «visant à limiter les dommages causés à l’environnement en cas de conflit armé». Selon l’Assemblée, la guerre du Kosovo a révélé «l’incapacité du droit international actuel» à prévenir les violations des droits fondamentaux de l’homme, ou tout au moins à réduire l’ampleur de ces violations, en cas de conflit futur. Ces normes doivent être «renforcées et appliquées». Dans sa Recommandation 1495 (2001), l’Assemblée avait appelé à rédiger une nouvelle convention européenne «sur la prévention des dommages environnementaux consécutifs à l’usage de la force militaire et sur les mesures visant à désamorcer les situations de crise, destinée notamment à garantir le respect des articles 55 et 56 du Protocole I aux conventions de Genève de 1949».
27. Toutefois, dans son rapport intitulé «Les conflits armés et l’environnement» de 2011 
			(32) 
			Voir Doc. 12774 (rapport de la commission de l’environnement, de l’aménagement
du territoire et des pouvoirs locaux, Rapporteur: M. Rafael Huseynov,
Azerbaïdjan, ADLE)., le rapporteur a adopté une approche différente, soutenant qu’il n’était «pas nécessaire de créer une nouvelle convention qui serait consacrée exclusivement à la protection de l’environnement en temps de guerre». Il a proposé «que les conventions existantes soient correctement mises en œuvre», notamment en relançant «la Convention […] ENMOD afin de restreindre les programmes militaires de contrôle du climat» et en mettant en œuvre les «directives de la Croix-Rouge de 1994 pour les manuels d’instruction militaire dans les programmes nationaux de formation des militaires» (comme précisé dans la Résolution 1851 (2011)). Dans le même temps, l’Assemblée recommandait «d’encourager la rédaction d’un traité interdisant les armes au phosphore».

4.2. La guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine

28. Depuis février 2014, un conflit militaire prolongé oppose la Fédération de Russie et l’Ukraine et a des répercussions importantes sur l’environnement. À la suite de l’annexion illégale de la péninsule de Crimée au nord de la mer Noire par la Fédération de Russie, l’Ukraine a bloqué le canal de Crimée du Nord qui assurait 85 % de l’approvisionnement en eau de la péninsule de Crimée. Depuis lors, la Crimée souffre d’une pénurie d’eau sans précédent. Pour compenser la perte de l’eau du canal, de nombreux puits ont été forés en Crimée, provoquant la salinisation des nappes phréatiques et des sols, et la perte consécutive des cultures agricoles. Les conditions météorologiques exceptionnelles de 2020 – caractérisées par l’absence de neige pendant l’hiver et un printemps sans pluie – ont aggravé la situation.
29. La pénurie d’eau a également entraîné l’assèchement d’un réservoir d’acide situé près de l’usine de titane de Crimée, producteur chimique de dioxyde de titane 
			(33) 
			Voir <a href='https://uacrisis.org/en/68485-environmental-disaster-crimea'>https://uacrisis.org/en/68485-environmental-disaster-crimea</a>.. Cet assèchement a entraîné une importante libération de dioxyde de soufre dans l’air. Le dioxyde de soufre est un polluant atmosphérique extrêmement nocif qui provoque des irritations et une inflammation de l’appareil respiratoire. Au contact de l’eau, il produit de l’acide sulfurique qui contribue au phénomène des pluies acides. Celles-ci peuvent conduire à une acidification des eaux superficielles qui entraîne une dégradation des sols et a des effets nocifs pour les plantes et les animaux.
30. Alors que la situation environnementale de l’est de l’Ukraine était déjà fragilisée par la présence d’environ 5 300 entreprises de l’industrie lourde (notamment des usines à charbon, des usines sidérurgiques et chimiques, des mines, des raffineries de pétrole, des centrales électriques, etc.) opérant dans cette région, le conflit militaire a considérablement aggravé la pollution de l’air, des sols et de l’eau par des produits chimiques toxiques. Les pannes d’électricité dues aux combats militaires ont provoqué de fréquents arrêts des systèmes de ventilation et des pompes à eau dans les installations industrielles et les mines de charbon de la région, entraînant des fuites de substances toxiques et des accidents. Ainsi, le rejet et l’explosion de méthane dans la mine de Zaysadko à Donetsk pendant le bombardement de l’aéroport voisin (mars 2015) ont provoqué la mort de 33 des 200 mineurs présents dans les galeries souterraines. De même, l’incendie qui a ravagé l’usine d’Avdiivka en mai 2015 à la suite d’un bombardement a provoqué une fuite massive de gaz de charbon contenant du benzol, du toluène, du naphtalène, du sulfure d’hydrogène, de l’ammonium et du méthane. Un autre aspect encore est la pollution chimique des terres agricoles et des cours d’eau par des métaux lourds et des nitrates provenant des explosions d’armes et des déversements d’effluents miniers, de carburants et de lubrifiants 
			(34) 
			<a href='https://ukraine-analytica.org/the-environmental-impact-of-military-actions-in-eastern-ukraine-and-the-annexation-of-the-crimea/'>«The
environmental impact of military actions in eastern Ukraine and
the annexation of the Crimea»</a>, Svitlana Andrushchenko, 24 mai 2016.. L’Observatoire des conflits et de l’environnement (Conflict and Environment Observatory) a recensé plus de 500 incidents et perturbations opérationnelles ayant touché des sites industriels de l’est de l’Ukraine entre 2014 et 2017, tandis que 60 des 135 sites naturels protégés ont été endommagés 
			(35) 
			Voir <a href='https://ceobs.org/country-brief-ukraine/'>https://ceobs.org/country-brief-ukraine/</a>..
31. L’escalade actuelle des hostilités par la Fédération de Russie en guerre totale a étendu les dommages aux infrastructures et à l’environnement dans de nombreuses régions de l’Ukraine. À l’heure actuelle, nous n’avons pas une vue d’ensemble complète des destructions massives qui se poursuivent. Cependant, une préoccupation immédiate concerne la sûreté des centrales nucléaires ukrainiennes: les 15 réacteurs nucléaires du pays (dont 8 actuellement en exploitation) et la centrale nucléaire fermée mais non démantelée de Tchernobyl risquent d’être endommagés accidentellement ou intentionnellement par des attaques de missiles ou des perturbations dans les opérations de maintenance.
32. Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), plusieurs coupures d’approvisionnement en électricité de la centrale de Tchernobyl (y compris les installations de stockage de déchets radioactifs) ont été réparées après que les forces armées russes ont pris le contrôle du site. L’AIEA a estimé que plusieurs des sept piliers indispensables à la sûreté nucléaire «ont été compromis ou remis en question» à Tchernobyl pendant la guerre d'agression à grande échelle contre l’Ukraine, qui a débuté le 24 février 2022. En outre, la centrale nucléaire de Zaporijjia – la plus grande d’Europe – est contrôlée par les forces russes depuis le 4 mars; deux des quatre lignes électriques de la centrale et les bâtiments administratifs ont été endommagés par la guerre.
33. L’AIEA qualifie la situation actuelle en Ukraine de sans précédent, difficile et éprouvante, ajoutant qu’elle «deviendra insoutenable» sur certains sites comme celui de Zaporijjia 
			(36) 
			Mise à jour 20 – Déclaration
du Directeur général de l’AIEA sur la situation en Ukraine, 13 mars
2022, <a href='https://www.iaea.org/fr/newscenter/pressreleases/mise-a-jour-20-declaration-du-directeur-general-de-laiea-sur-la-situation-en-ukraine'>https://www.iaea.org/fr/newscenter/pressreleases/mise-a-jour-20-declaration-du-directeur-general-de-laiea-sur-la-situation-en-ukraine</a>, et Rapport sommaire par le Directeur général 24 février
– 28 avril 2022, <a href='https://www.iaea.org/nuclear-safety-and-security-in-ukraine'>www.iaea.org/nuclear-safety-and-security-in-ukraine</a>.. La dernière mission de l’AIEA à Zaporijjia avait pour objectif d’évaluer les dommages causés à la centrale électrique, ainsi que l’état des systèmes de sécurité en place alors que de violents affrontements continuaient de se produire à proximité. Elle relevait, le 5 septembre 2022, qu'«il y a eu de nombreux incidents de bombardement à [la centrale nucléaire de Zaporijjia] ou à proximité, causant des dommages à l’installation et suscitant des inquiétudes généralisées quant au risque d’un accident nucléaire grave pouvant mettre en danger la santé humaine et l’environnement» 
			(37) 
			Mise à jour 98 – Déclaration
du Directeur général de l’AIEA sur la situation en Ukraine, 5 septembre
2022,<a href='https://www.iaea.org/newscenter/pressreleases/update-98-iaea-director-general-statement-on-situation-in-ukraine'> www.iaea.org/newscenter/pressreleases/update-98-iaea-director-general-statement-on-situation-in-ukraine</a>..
34. Dans sa Résolution 2463 (2022) «Nouvelle escalade dans l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine», l’Assemblée a fermement condamné «l’occupation illégale et la militarisation de la centrale nucléaire de Zaporijjia» et considéré que «les dirigeants de la Fédération de Russie ont multiplié les menaces de guerre nucléaire». L’Assemblée a estimé que «ces menaces sont contraires au droit international et incompatibles avec les responsabilités qui incombent à une puissance nucléaire disposant d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies». Début octobre 2022, la Russie a annoncé l’annexion de la centrale nucléaire de Zaporijjia en violation du droit international.
35. Dans ce contexte, il convient de noter que l’article 56 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) prévoit une protection renforcée spécifique pour tous les «ouvrages et installations contenant des forces dangereuses». Cela inclut expressément les centrales nucléaires et autres installations situées à proximité de ces centrales qui ne doivent pas faire l’objet d’attaques, même lorsque ces objets sont des objectifs militaires, si «de telles attaques peuvent provoquer la libération de ces forces et, en conséquence, causer des pertes sévères dans la population civile». Toutefois, cette protection spéciale pour les centrales nucléaires peut cesser «si elles fournissent du courant électrique pour l'appui régulier, important et direct d'opérations militaires, et si de telles attaques sont le seul moyen pratique de faire cesser cet appui».

4.3. La question des réfugiés environnementaux

36. Comme l’indique la proposition de résolution à l’origine du présent rapport, «les conflits armés aggravent la crise du dérèglement climatique mondial» et «les guerres causent aussi un appauvrissement en ressources naturelles qui engendre des catastrophes humanitaires et des crises alimentaires», ce qui contribue fortement «à l’augmentation du nombre de réfugiés dans le monde». L’Assemblée a examiné la question des réfugiés environnementaux dans le contexte du changement climatique et a exhorté à mieux protéger les victimes de catastrophes naturelles et causées par l’homme 
			(38) 
			Résolution 2307 (2019) «Un statut juridique
pour les ‘réfugiés climatiques’» et Doc. 14955 (rapport de la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées, rapporteure: Mme Marie-Christine
Verdier-Jouclas, France, ADLE).. Dans un second temps, l’Assemblée a adopté, en janvier 2022, une résolution et une recommandation sur l’impact du changement climatique sur les droits de l’enfant qui invite les États membres à collaborer «en vue d’établir un statut juridique international pour les réfugiés environnementaux» aux niveaux international et européen «et de protéger les victimes des migrations forcées dues au changement climatique et à la dégradation de l’environnement, en particulier les enfants» 
			(39) 
			Résolution 2415 et Recommandation 2219 (2022)
«Inaction face au changement climatique – une violation des droits
de l’enfant» et Doc. 15436 (rapport de la commission des questions sociales, de
la santé et du développement durable, rapporteure: Mme Jennifer
De Temmerman, France, ADLE).. Ce statut juridique devrait également protéger les réfugiés environnementaux fuyant un conflit militaire.

5. Ouvrir la voie à la reconnaissance de l’écocide au niveau international

37. Comme les discussions au sein de la commission l’ont montré, l’idée d’incorporer la notion d’écocide dans l’ordre juridique international suscite de plus en plus d’intérêt. Plusieurs États ont d’ailleurs déjà intégré cette notion dans leur législation nationale, le plus souvent dans leur Code pénal 
			(40) 
			Une infraction d’écocide
figure dans le Code pénal du Vietnam (qui a été le premier pays
à prendre cette initiative, en 1990), de la Russie, du Kazakhstan,
de la République kirghize, du Tadjikistan, de la Géorgie, du Bélarus,
de l’Ukraine, de la République de Moldova et de l’Arménie. Cette
infraction existe aussi dans deux États du Mexique (le Chiapas et
le Jalisco), et la France l’a intégrée dans son Code de l’environnement
(en tant que délit).. Le soutien politique apporté à la reconnaissance internationale de l’écocide dans le contexte du Statut de Rome de la CPI se renforce lui aussi de manière impressionnante, par le biais de déclarations politiques de chefs d’État ou de ministres 
			(41) 
			En 1972, à la suite
de la guerre du Vietnam, le Premier ministre suédois, Olof Palme,
a été le premier à utiliser le mot «écocide» pour désigner une destruction
grave de la nature, et il a demandé à ce que cette question soit
traitée au niveau international. La discussion a été rouverte sous
l’impulsion du Vanuatu et des Maldives en décembre 2019, lors de
la 18e session de l’Assemblée des États
parties au Statut de Rome de la CPI. Depuis, des membres des gouvernements
de la France, de la Belgique, de la Finlande, du Canada, du Luxembourg,
du Samoa, du Bangladesh, du Kenya et du Panama ont soutenu des propositions
de reconnaissance de l’écocide dans le Statut de Rome de la CPI
et au niveau national. ou par le biais d’initiatives parlementaires 
			(42) 
			Des
propositions et résolutions parlementaires ont été adoptées notamment
en Espagne, au Danemark, en Belgique, au Chili, en Écosse et au
Brésil. Des initiatives parlementaires concernant l’écocide sont
en cours d’examen dans d’autres pays, dont l’Islande, le Mexique
et le Bangladesh.. En outre, la mise en œuvre régionale de la notion d’écocide a été annoncée par le Conseil nordique des ministres en juin 2022 et a été préconisée par le Parlement européen dans sa Résolution 2021/2181(INI) du 17 février 2022 sur les droits de l’homme et la démocratie dans le monde et la politique de l’Union européenne en la matière. Dans cette résolution, le Parlement européen «encourage l’Union et les États membres à promouvoir la reconnaissance de l’écocide en tant que crime international au titre du Statut de Rome de la CPI», demande à la Commission européenne d’«étudier la pertinence de la qualification d’écocide pour le droit de l’Union et sa diplomatie» et invite l’Union et les États membres à «prendre des initiatives audacieuses afin de lutter contre l’impunité de la criminalité environnementale à l’échelon mondial».
38. Toutefois, étant donné que la notion d’écocide peut être comprise de façon différente au niveau national et au niveau régional, il est nécessaire de s’entendre sur le sens de cette notion si l’on veut intégrer l’écocide dans l’ordre juridique international. Bien qu’il n’existe pas encore de définition de l’écocide établie au niveau international, des travaux ont déjà été consacrés à ce sujet. Parmi ces travaux figure notamment la proposition de définition, largement saluée, élaborée par le groupe d’experts indépendants pour la définition juridique de l’écocide, mandaté par la fondation Stop Ecocide 
			(43) 
			Ce
groupe a publié, en 2021, des propositions d’amendements au Statut
de Rome de la CPI, accompagnées d’un commentaire. Il propose notamment
d’ajouter au Statut de Rome un article 8 ter, relatif à l’écocide,
qui serait libellé ainsi: 
			(43) 
			«1. Aux fins du présent
Statut, on entend par crime d’écocide des actes illicites ou arbitraires
commis en connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent
à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables. 
			(43) 
			2.
Aux fins du paragraphe 1: 
			(43) 
			a. par «arbitraire», on
entend de manière imprudente et sans faire cas des dommages qui
seraient manifestement excessifs par rapport aux avantages sociaux
et économiques attendus; 
			(43) 
			b. par «grave», on entend
que les dommages entraînent des changements, perturbations ou atteintes
hautement préjudiciables à l’une quelconque des composantes de l’environnement,
y compris des répercussions graves sur la vie humaine ou sur les
ressources naturelles, culturelles ou économiques; 
			(43) 
			c.
par «étendu», on entend que les dommages s’étendent au-delà d’une
zone géographique limitée, qu’ils traversent des frontières nationales,
ou qu’ils touchent un écosystème entier ou une espèce entière ou
un nombre important d’êtres humains; 
			(43) 
			d. par «durable»,
on entend que les dommages sont irréversibles ou qu’ils ne peuvent
être corrigés par régénération naturelle dans un délai raisonnable; 
			(43) 
			e.
par «environnement», on entend la Terre, sa biosphère, sa cryosphère,
sa lithosphère, son hydrosphère et son atmosphère, ainsi que l’espace
extra-atmosphérique.». Certains traits communs se retrouvent aussi dans toutes les définitions de l’écocide données dans les législations nationales. Il convient ainsi de noter que, dans toutes les définitions adoptées ou proposées, la notion d’écocide s’applique en temps de paix et en temps de guerre. Je trouve pertinent, pour le Conseil de l'Europe, de se référer à la première définition juridique de l’écocide intégrée dans une législation nationale, soit l’article 422 du Code pénal du Vietnam 
			(44) 
			L’article 422 du Code
pénal vietnamien, consacré aux crimes contre l’humanité, énonce: 
			(44) 
			«1.
Toute personne qui, en temps de paix ou en temps de guerre, commet
le crime de génocide contre la population d’une zone, détruit les
sources de subsistance ou la vie culturelle ou spirituelle d’une
nation ou d’un territoire souverain, sape les fondements d’une société
à des fins de sabotage, ou commet d’autres actes de génocide, ou
détruit l’environnement, est passible de 10 à 20 ans d’emprisonnement,
de la réclusion à perpétuité ou de la peine de mort. 
			(44) 
			2.
Si l’infraction a été commise sous la pression ou sur les ordres
de supérieurs hiérarchiques, l’auteur de l’infraction encourt de
10 à 20 ans d’emprisonnement.». Cette définition a en effet inspiré la plupart des initiatives nationales ultérieures visant à incorporer l’écocide dans le droit interne. De plus, la description de l’environnement comme «source de subsistance» établit un lien clair avec les droits humains.
39. L’Assemblée devrait donc plaider pour que la notion d’écocide soit mise en œuvre et rendue opérationnelle à l’occasion des procédures en cours visant à réviser les instruments juridiques pertinents au niveau européen, dont la Directive 2008/99/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la protection de l’environnement par le droit pénal 
			(45) 
			Pour
l’instant, dans la proposition, il n’est fait référence à l’écocide
que dans les considérants (point 16). Le Comité économique et social
européen, un organe consultatif de l’Union européenne, a recommandé
de faire figurer aussi le terme dans la partie opérationnelle de
la directive (octobre 2021, voir: <a href='https://www.eesc.europa.eu/fr/our-work/opinions-information-reports/opinions/ameliorer-la-protection-de-lenvironnement-par-le-droit-penal'>www.eesc.europa.eu/fr/our-work/opinions-information-reports/opinions/ameliorer-la-protection-de-lenvironnement-par-le-droit-penal</a>). et la Convention du Conseil de l'Europe sur la protection de l'environnement par le droit pénal (STE n° 172). Les États membres du Conseil de l'Europe devraient aussi soutenir les efforts visant à faire reconnaître l’écocide comme un crime international en modifiant le Statut de Rome de la CPI. Ils pourraient favoriser cette dynamique en intégrant la notion dans leur législation et leur pratique nationales. Les États qui ont déjà intégré l’écocide dans leur droit interne devraient s’attacher à rendre cette infraction «opérationnelle», c'est-à-dire à mobiliser les moyens nécessaires pour que cette infraction entraîne des poursuites, et à en faire une priorité dans les lignes directrices destinées au ministère public, notamment dans les pays où s’applique le principe d’opportunité des poursuites.

6. Conclusions et recommandations

40. Il ressort de ce tour d’horizon que le cadre juridique existant est disparate, mais en développement. Le Conseil de l’Europe pourrait tirer parti de cet essor et de l’attention politique accrue accordée au lien vital entre les droits humains et l’environnement pour réviser, mettre à jour ou compléter les instruments juridiques pertinents en vue d’améliorer la protection de l’environnement dans le contexte des conflits armés. Cette commission (et par la suite l’Assemblée) devraient plaider pour que le cadre juridique international applicable puisse être invoqué et interprété de manière moins restrictive afin d’offrir une protection plus complète de l’environnement et de la santé humaine en cas de conflit armé. Nous devrions en particulier soutenir fermement le projet de principes de la CDI, tel qu’adopté en 2022, et promouvoir leur mise en œuvre pratique par l’intermédiaire des États membres du Conseil de l’Europe.
41. Je crois que différents instruments et mécanismes juridiques pourraient être mieux associés pour surmonter les problèmes d’application pratique. En effet, comme l’a souligné Antoine Bouvier, juriste au CICR, «le droit existant offre une protection suffisante pour autant qu’il soit correctement mis en œuvre et respecté», mais les États doivent assurer collectivement «une meilleure application des obligations internationales existantes». Cela dit, il y a certaines limites inhérentes à l’interaction entre les domaines du droit. La réalisation d’une étude sur l’interaction possible entre le droit pénal international existant et les dommages environnementaux survenant pendant les conflits armés serait d’un grand intérêt. La possibilité d’invoquer les crimes de guerre existants devrait être au centre d’une telle étude. Le Conseil de l’Europe pourrait servir de laboratoire à de tels nouveaux développements juridiques et ainsi prendre la tête de cette étude en impliquant d’autres organisations (la CDI, le CICR, l'Observatoire des conflits et de l'environnement, PAX 
			(46) 
			PAX est une organisation
basée aux Pays-Bas qui travaille avec divers partenaires, y compris
les organisations des Nations unies, «pour documenter l’impact environnemental
des conflits nouveaux et en cours et pour mettre en place de meilleures
réponses afin de réduire les menaces pour la santé publique et les
risques environnementaux pour les civils»; voir <a href='https://paxforpeace.nl/what-we-do/programmes/conflict-environment'>https://paxforpeace.nl/what-we-do/programmes/conflict-environment</a>., etc.) qui travaillent déjà sur des sujets similaires.
42. Par ailleurs, le Conseil de l’Europe devrait poursuivre ses réflexions sur la possibilité de développer une nouvelle infraction pénale d’«écocide» au niveau international. Cela pourrait être discuté lors de la procédure de révision de la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection de l’environnement par le droit pénal (STE n° 172). Lors de l’examen de ce sujet, une attention particulière devrait être accordée au type de comportements qui doivent être sanctionnés, aux entités qui devraient être tenues responsables, au seuil de préjudice retenu, à la caractérisation de l’intention et aux questions tenant à l’application effective. Le seuil des dommages environnementaux devrait en particulier être défini avec précision, en s’appuyant sur les travaux les plus récents et les Directives actualisées du CICR sur la protection de l’environnement naturel dans les conflits armés, ainsi que sur des exemples. Cet effort de définition aiderait à abaisser l’obstacle que constitue cette notion de seuil dans la pratique (c’est-à-dire ce qui constitue un «dommage significatif» ou des «dommages étendus, durables et graves»). La suppression pure et simple d’un tel seuil, en lieu et place de la recherche d’une définition claire (ou plus claire), pourrait également être une option à envisager.
43. En ce qui concerne la question de l’application du cadre juridique existant, nous devrions plaider en faveur de la mise en place de mécanismes d’examen et de suivi fondés sur les dispositions pertinentes du Statut de Rome (de la Cour pénale internationale) et du droit international humanitaire.
44. Le Conseil de l’Europe pourrait également encourager le développement de nouveaux outils. La Convention de Berne (STE n° 104), par exemple, pourrait servir de forum pour discuter de nouvelles politiques visant à mieux protéger la faune et les habitats naturels en période de conflit armé. Il convient de recommander vivement de cartographier les zones présentant une importance ou une sensibilité environnementale particulière, sur la base des aires protégées existantes (telles que les sites du patrimoine mondial ou les réserves naturelles), en prévision de toute forme de conflit armé. En cas de conflit armé, ces zones devraient alors devenir des zones démilitarisées. Le Comité permanent chargé de l’application de la Convention de Berne pourrait publier des recommandations concernant la protection des zones écologiquement sensibles pendant les conflits armés, étudier la faisabilité d’un Protocole additionnel à la Convention à cette fin et créer un mécanisme d’examen pour s’assurer que les recommandations sont appliquées par les États parties. Ces recommandations devraient ensuite être transposées dans le droit interne, incorporées à la doctrine militaire et partagées entre les États membres en vue de l’élaboration de bonnes pratiques. Le Comité de la Convention de Berne pourrait collaborer avec le CICR sur ce sujet.
45. La rédaction d’un nouvel instrument juridique régional ou d’un nouveau traité pourrait également être discutée sous les auspices du Conseil de l’Europe. Dans ce cas, la proposition devrait clarifier et combler les lacunes du régime juridique existant recensées (c’est-à-dire en ce qui concerne le seuil de dommages, l’application effective, la mise en œuvre de la responsabilité, ainsi que le principe de diligence). Même si une telle proposition ne lierait finalement que les États parties, elle pourrait contribuer à renforcer le droit humanitaire coutumier relatif à la protection de l’environnement et inspirer d’autres formes de coopération. En outre, la Cour européenne des droits de l’homme devrait être encouragée à utiliser le modèle de l’impact fonctionnel en matière de juridiction chaque fois que la question de l’application extraterritoriale des droits humains se pose dans des situations de conflit armé ou d’occupation. Selon le modèle de l’impact fonctionnel, le lien juridictionnel serait caractérisé dans les situations où l’impact est direct et raisonnablement prévisible. Le but de cet effort serait de combler les lacunes juridiques menant à des situations de «vide juridique» et à l’arbitraire.
46. Il est donc indispensable de continuer à s’appuyer sur les bonnes pratiques pour établir ou renforcer de nouveaux principes de droit coutumier. En conséquence, les États membres du Conseil de l'Europe, ainsi que les observateurs et les États dont le parlement jouit du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie, devraient ratifier les instruments juridiques existants, dont la convention ENMOD, participer activement au processus de révision de la convention n° 172 du Conseil de l'Europe, et allouer des moyens suffisants pour garantir le suivi et la mise en œuvre appropriés des engagements contractés. En outre, il a été observé que sur le terrain, en cas de doute, les belligérants se réfèrent d’abord aux manuels d’instruction militaire. Il importe donc que les États membres adoptent des documents opérationnels adéquats et les mettent à jour régulièrement pour suivre l’évolution du cadre juridique international.
47. Enfin, lorsque les autorités nationales planifient leurs futurs travaux, elles devraient accorder davantage d’attention aux lacunes détectées dans le cadre juridique existant. Une attention particulière devrait être portée aux problématiques des réfugiés environnementaux, de l’absence d’un cadre international clair et suffisamment développé concernant les situations d’occupation, et du respect du droit international humanitaire dans le contexte de conflits armés internes. Concernant ces conflits, il est indispensable de coopérer avec les principaux acteurs de terrain (CICR, pays tiers faisant office de médiateur, ONG) pour promouvoir la connaissance et le respect des normes internationales auprès des acteurs non étatiques. Il pourrait aussi être envisagé de créer des groupes de travail et des coalitions qui seraient spécialement chargés de sensibiliser les acteurs non étatiques à l’impact des conflits armés sur l’environnement, et dans lesquels seraient représentés toutes les organisations internationales pertinentes, les États, les ONG stratégiques et la société civile, les principaux acteurs de terrain et les milieux universitaires.