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Rapport | Doc. 15675 | 05 janvier 2023

Construire les réseaux universitaires ouverts du Conseil de l'Europe (OCEAN)

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteure : Mme Marta GRANDE, Italie, NI

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15299, Renvoi 4591 du 21 juin 2021. 2023 - Première partie de session

Résumé

Les universités et les instituts de recherche peuvent contribuer de manière essentielle à défendre les valeurs du Conseil de l’Europe, à faciliter la mise en œuvre des conventions de l’Organisation et à construire une plus grande unité entre les États membres, ce qui peut avoir des retombées positives sur les institutions et les sociétés démocratiques européennes. Ce rapport examine les activités du projet OCEAN et des réseaux universitaires associés et montre tout le potentiel qu’ils recèlent.

Les gouvernements et les parlements ont beaucoup à gagner de la coopération avec les universitaires pour réviser leur législation dans le domaine des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit, et pour progresser vers une plus grande conformité avec ces valeurs fondamentales. Le plein respect des principes et des normes qui sont consacrés par le système des conventions du Conseil de l’Europe exige de mobiliser les ressources, les forces et les talents de tous les secteurs de la société civile, notamment des universitaires, des scientifiques, des établissements scolaires, des étudiants, des autorités locales et régionales, des travailleurs sociaux ainsi que des organisations non gouvernementales. Le projet OCEAN permettra de rapprocher ces différents acteurs, contribuant ainsi à renforcer leur coopération et les effets de leur action.

Le rapport formule des recommandations essentielles à la réussite de ce projet, en particulier la mise en place d’un financement suffisant, notamment au moyen de contributions volontaires des États membres et de l’Union européenne. En outre les parlementaires nationaux sont invités à sensibiliser les universités et les instituts de recherche à cette initiative en les encourageant à soutenir la création de réseaux universitaires thématiques nationaux, sous l’égide du projet OCEAN, et à rejoindre ces réseaux.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 5 décembre
2022.

(open)
1. La mondialisation de la recherche et de l’innovation s’est intensifiée ces dix dernières années, notamment sur le plan de la recherche collaborative, du développement technologique et de la mobilité des chercheurs.
2. L’Assemblée parlementaire est fermement convaincue que les universités et les instituts de recherche ont un rôle essentiel à jouer pour relever les défis qui se posent à l’Europe, comme la défense de la prééminence du droit, la lutte contre la corruption, la promotion des droits sociaux, la lutte contre la violence fondée sur le genre, la nécessité d’agir face au changement climatique, les enjeux de la biomédecine ou encore l’intégration des migrants.
3. Le plein respect des valeurs et des normes qui sont consacrées par le système des conventions du Conseil de l’Europe exige de mobiliser les ressources, les forces et les talents de tous les secteurs de la société civile, notamment des universitaires, des scientifiques, des établissements scolaires, des étudiants, des autorités régionales et locales, des travailleurs sociaux ainsi que des organisations non gouvernementales.
4. L’apathie et le désenchantement à l’égard de ces valeurs, ainsi que la montée du populisme, du nationalisme et de nouvelles conceptions de ce qui constitue «le peuple» et «les élites», sont à l’origine de conflits sociaux et continuent de remettre en cause la réalisation des droits humains dans toutes les sociétés européennes.
5. L’Assemblée est convaincue que l’impact et la visibilité des activités du Conseil de l’Europe doivent avant tout être mesurés sur le terrain. Seul le large partage de ces valeurs communes dans la société peut garantir la mise en œuvre effective des normes du Conseil de l’Europe. Les chercheurs, les étudiants, les travailleurs sociaux et les autorités locales intervenant dans divers secteurs peuvent s’approprier davantage ces valeurs partagées, qui rejaillissent alors sur leur travail et leur vie quotidienne. Chacun apporte sa contribution car chacun bénéficie des normes élaborées par le Conseil de l’Europe.
6. L’Assemblée note que les universités et les instituts de recherche européens sont des ressources encore largement inexploitées pour promouvoir le système des conventions du Conseil de l’Europe. Ils restent les moteurs de l’innovation et de la pensée créative et peuvent être considérés comme faisant partie du patrimoine universel; ils produisent un capital humain de haut niveau, dont la prochaine génération de décideurs politiques européens, facilitent les discussions sur les politiques à mener et conduisent le changement.
7. Les universités ont le potentiel de renforcer leur rôle d’incubateurs des droits humains, de démocratie et d’État de droit et de créer un environnement favorable pour soutenir la mise en œuvre de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et de toutes les autres conventions du Conseil de l’Europe. Il convient par conséquent de renforcer leur capacité à mobiliser l’intelligence collective de la société civile à tous les niveaux.
8. L’Assemblée se félicite donc du lancement de l’initiative OCEAN (Open Council of Europe Academic Networks ou Réseaux universitaires ouverts du Conseil de l’Europe), dont le but est de renforcer la coopération entre le Conseil de l’Europe et les universités et instituts de recherche, dans une interaction mutuellement enrichissante.
9. Elle tient à saluer l’action de deux réseaux existants qui travaillent déjà sur des priorités essentielles, à savoir le Réseau académique sur la Charte sociale européenne et les droits sociaux (RACSE), créé en 2019 au niveau du Conseil de l’Europe, et le réseau italien UN.I.RE (Universités en réseau contre la violence de genre), mis en place en 2021 et intégralement financé par l’État italien. Ces initiatives peuvent servir de modèle pour de futurs travaux thématiques sur d’autres conventions du Conseil de l’Europe, telles que la Convention pour la protection des Droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (STE no 164, Convention d’Oviedo) et les conventions relevant de l’accord élargi sur le Groupe d’États contre la corruption (GRECO).
10. Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée invite tous les États membres du Conseil de l’Europe:
10.1. à reconnaître le rôle que les universités et les instituts de recherche jouent, et devraient pouvoir jouer, dans la défense des valeurs du Conseil de l’Europe et leur intégration dans le tissu social, ainsi que dans la facilitation de la mise en œuvre des conventions du Conseil de l’Europe et la construction d’une plus grande unité entre tous les États membres;
10.2. à sensibiliser les universités et les instituts de recherche à l’initiative OCEAN, par l’intermédiaire des ministères de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en vue de créer des réseaux thématiques nationaux, reposant sur une structure juridique adéquate, ou de rejoindre des réseaux existants;
10.3. à apporter un soutien financier suffisant à ces réseaux ainsi qu’à encourager les universités et les instituts de recherche à prévoir des fonds destinés à financer les déplacements professionnels du personnel académique et à le rétribuer pour la mise à contribution de son expertise et le temps de travail qu’il consacre à ces travaux;
10.4. à envisager de faire des contributions volontaires pour soutenir l’initiative OCEAN au niveau européen, en suivant l’exemple du Gouvernement italien, en vue de favoriser le renforcement de l’expertise et des capacités et de contribuer à la circulation des informations, des données, des chercheurs, des programmes d’études et des expériences aux niveaux européen et international, notamment par l’intermédiaire de conférences internationales, de diplômes conjoints, de doctorats ou d’autres programmes de recherche;
10.5. à veiller tout particulièrement à intégrer l’évaluation de la liberté académique dans l’initiative OCEAN, en constituant un cadre pour un processus régulier d’évaluation et de dialogue, conformément à la Résolution 2352 et à la Recommandation 2189 (2020) «Menaces à l’encontre de la liberté académique et de l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur en Europe»;
10.6. à établir une étroite coordination avec les membres de l’Espace européen de l’enseignement supérieur (EEES), notamment dans le cadre du groupe de travail sur le renforcement du partage des connaissances au sein de la communauté de l’EEES.
11. L’Assemblée appelle aussi l’Union européenne à envisager d’apporter un soutien financier à l’initiative OCEAN, ce qui enverrait un signal politique fort, notamment au regard des conventions qu’elle a signées.
12. L’Assemblée souligne que l'expertise des universitaires peut être utile aux parlementaires pour examiner les projets de loi au regard des normes fixées dans les conventions du Conseil de l’Europe et contrôler l’action de leur gouvernement en ce qui concerne l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Par conséquent, elle encourage également les parlements nationaux de tous les États membres du Conseil de l’Europe:
12.1. à contribuer aux efforts visant à mobiliser des universités, des instituts de recherche et des universitaires à titre individuel, qui apportent déjà leur expertise aux commissions parlementaires concernées;
12.2. à organiser des auditions parlementaires avec la participation de représentants du monde universitaire et d’experts compétents du Conseil de l’Europe pour encourager la création de réseaux universitaires thématiques nationaux, sous l’égide de l’initiative OCEAN.

B. Exposé des motifs par Mme Marta Grande, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. En 2018, M. Michele Nicoletti, professeur de philosophie politique à l’université de Trente et alors Président de l’Assemblée parlementaire, a avancé l’idée de créer des réseaux universitaires au niveau européen. À partir de cette idée, le Conseil de l’Europe a lancé l’initiative OCEAN (Open Council of Europe Academic Networks ou Réseaux universitaires ouverts du Conseil de l’Europe), dont le but est de renforcer la coopération entre le Conseil de l’Europe et les universités et instituts de recherche, dans une interaction mutuellement enrichissante.
2. En décembre 2020, le professeur Nicoletti a présenté une étude de faisabilité qui expose les objectifs et les avantages de ce projet pour l’Organisation et ses États membres, en examine le contexte, le financement et la viabilité et en évalue les risques. Il a présenté ce projet à notre commission au cours d’une audition qui s’est tenue le 21 avril 2021; la proposition de résolution (Doc. 15299) de juin 2021, qui est à l’origine du présent rapport, résulte de cette audition.
3. Après ma nomination en qualité de rapporteure le 29 septembre 2021, la commission a tenu une audition le 4 mars 2022 à Paris, à laquelle a participé Mme Chantal Cutajar, enseignante à l’université de Strasbourg, membre du conseil consultatif de l’initiative OCEAN, puis une autre le 10 mai 2022 à Rome, avec la participation de Mme Maria Cristina Messa, ministre italienne de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, du professeur Nicoletti, de la professeure Marina Calloni, coordinatrice du réseau italien UN.I.RE (Universités en réseau contre la violence de genre) et du professeur Giovanni Guiglia, coordinateur général du réseau RACSE (Réseau académique sur la Charte sociale européenne et les droits sociaux). La commission a également eu l’occasion de poursuivre ses échanges avec le professeur Nicoletti le 11 octobre 2022 à Strasbourg. Je remercie tous ces experts pour leurs contributions, qui ont également servi de base à mon rapport.

2. Le concept: une synergie renforcée entre le Conseil de l’Europe et le monde universitaire

4. La culture, l’éducation et la recherche jouent un rôle significatif dans la consolidation de la construction européenne et des valeurs et normes paneuropéennes sur lesquelles elle repose. L’Organisation des Nations Unies (ONU) a également créé un réseau d’universités, l’initiative impact universitaire (UN Academic Impact ou UNAI), pour soutenir ses objectifs et contribuer à leur mise en œuvre, notamment la promotion et la protection des droits humains, l’accès à l’éducation, la durabilité et la résolution des conflits 
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			<a href='https://www.un.org/en/academic-impact/page/about-unai'>www.un.org/en/academic-impact/page/about-unai</a>..
5. En 2017, le Président français Emmanuel Macron a remis à l’ordre du jour une idée d’après-guerre préconisant la création d’une université européenne. La Commission européenne a rapidement lancé l’initiative Universités européennes et consacré un budget de 287 millions d’euros à la création d’une quarantaine de réseaux universitaires européens, dont le but est d’améliorer «la qualité, l’inclusion, la numérisation et l’attractivité de l’enseignement supérieur européen» et d’être un dispositif permettant de relever des défis tels que la pandémie de covid-19 et le changement climatique 
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			<a href='https://education.ec.europa.eu/fr/initiative-universites-europeennes'>https://education.ec.europa.eu/fr/initiative-universites-europeennes</a>..
6. Le projet OCEAN du Conseil de l’Europe est conçu comme un outil supplémentaire au service de la mise en œuvre des conventions du Conseil de l’Europe aux niveaux national et européen. Le but est de développer les échanges dans divers domaines de la vie universitaire afin que les universités et les instituts de recherche des 46 États membres puissent apporter leur concours et leurs idées à l’Organisation pour la mise en œuvre, la révision, l’amélioration et la diffusion de ses conventions.
7. Comme l’a souligné le professeur Nicoletti devant notre commission, les liens entre les droits humains d’une part et la science et l’éducation d’autre part sont essentiels pour s’attaquer aux problèmes du changement climatique, de la protection des données et de l’intelligence artificielle, notamment, et à bien d’autres.
8. Les valeurs européennes ne sont pas seulement une question de conventions, de règlements et d’institutions, mais aussi de culture, d’idéaux et de convictions. Ce principe se vérifie particulièrement en temps de crise et doit être cultivé au sein des universités, qui sont le berceau de l’éducation et de la formation des générations futures. L’Europe n’est pas une création du XXe siècle, mais du Moyen Âge, lorsque les savants partageaient la même langue et la même culture dans le cadre d’un réseau formé par les anciennes universités. Seul le nationalisme a été capable de fragiliser ces liens, qui se sont heureusement resserrés après la seconde guerre mondiale. Pour mettre en œuvre et réviser les instruments juridiques adoptés dans le domaine des droits humains, les gouvernements ont besoin de la coopération des universitaires. Le Conseil de l’Europe doit également renforcer ses partenariats avec les jeunes générations, qui sont prêtes à se mobiliser activement pour la défense de nos valeurs partagées.
9. Toutes les universités de nos 46 États membres seront invitées à se joindre au projet, le but étant d’instaurer une coopération systématique entre les universités, en particulier par l’intermédiaire de jeunes chercheurs. La visibilité du Conseil de l’Europe pourrait en être améliorée et ses conventions pourraient être analysées dans les universités, ce qui lui ouvrirait un accès plus large aux travaux et recherches universitaires.
10. D’autres avantages pour l’Organisation seraient notamment une meilleure application des conventions au niveau national et une plus grande conformité à leurs dispositions, un accès plus large à la recherche multidisciplinaire comparative, la collecte de bonnes pratiques, la constitution d’un groupe croissant d’experts de conventions données et de groupes universitaires de réflexion pour l’amélioration des instruments et pratiques juridiques, le suivi par des universitaires spécialistes du droit des tendances de la législation nationale et internationale, la constitution d’observatoires des législations nationales et de plateformes nationales de coordination de réseaux thématiques nationaux, la compilation de rapports annuels, de bases de données et des recherches les plus récentes, ainsi que l’introduction de l’étude des conventions dans les cursus nationaux.
11. De leur côté, les universités peuvent organiser des cours communs, des bourses de doctorat, des prix ou des recueils de publication des meilleures thèses de doctorat, des programmes de master, des consortiums de projets de recherche, des programmes communs de formation pour des chercheurs ou des praticiens, des universités d’été et offrir un cursus véritablement européen correspondant aux valeurs et aux normes défendues par le Conseil de l’Europe. Les jeunes chercheurs pourraient consacrer leurs thèses aux conventions du Conseil de l’Europe et s’approprier ainsi pleinement, par leurs contributions à un corpus croissant de travaux de recherche, les principes et normes des conventions du Conseil de l’Europe.
12. Dans un premier temps, des accords de coopération seront conclus avec des partenaires universitaires (universités, instituts de recherche, etc.). Ces accords définiront le champ de coopération, les missions des partenaires, la logistique, les apports financiers, etc.
13. Le 6 juillet 2022, lors d’une conférence en ligne sur la Convention d’Istanbul, les participants ont tâché de déterminer les modalités de la création des réseaux OCEAN. Le 1er septembre 2022, des spécialistes français de la lutte contre la corruption se sont réunis sous l’égide de l’initiative OCEAN pour examiner la possibilité de fonder un réseau OCEAN de lutte contre la corruption en France.
14. Le projet sera initialement axé sur la création de réseaux relatifs à trois conventions du Conseil de l’Europe: a) la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STE n° 210, Convention d’Istanbul); b) les conventions relatives à l’Accord élargi sur le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) et c) la Convention pour la protection des Droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine: Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine (STE n° 164, Convention d’Oviedo).
14.1. Un réseau italien à rayonnement national et européen sur la Convention d’Istanbul, qui fait office de modèle en la matière, a déjà été créé et est en train de s’étendre. D’autres réseaux nationaux similaires sont en cours de création en France, en Espagne et en Türkiye, avec la perspective de mettre également en place un réseau régional en Europe de l’Est.
14.2. Par ailleurs, un réseau français portant sur les conventions établies dans le cadre de l’Accord élargi sur le GRECO s’est réunit les 26 et 27 novembre 2022 à Strasbourg pour achever la fondation formelle d’un réseau national dans le cadre du projet OCEAN.
15. Le projet sera financé par des contributions volontaires d’États membres, de l’Union européenne et éventuellement d’acteurs privés, ainsi que, dans une certaine mesure, par le budget ordinaire du Conseil de l’Europe.
16. Le projet OCEAN est actuellement en quête d’un soutien financier, essentiellement au moyen de contributions volontaires. Jusqu’à présent, c’est le Gouvernement italien qui s’est montré le plus coopératif. La Türkiye et le Royaume-Uni ont également fait part de leur intérêt pour ce projet. Par ailleurs, il sera demandé aux universités et aux partenaires qui coopèrent avec cette initiative d’utiliser les ressources dont ils disposent déjà.
17. Les événements récents mettent en évidence la demande émanant des universités, des instituts de recherche et des universitaires à titre individuel en faveur de la création d’autres réseaux nationaux, dans le cadre du projet, qui devraient bénéficier du soutien de nos gouvernements.
18. Il est également important de remplir un autre objectif consistant à apporter un soutien aux universités et aux jeunes étudiants des pays qui sont en proie à des agressions et à des violations des droits humains, comme l’Ukraine.

3. Les réseaux existants et le potentiel de développement d’OCEAN

19. Au fil des ans, avant le lancement du projet OCEAN, les réseaux suivants ont été mis en place dans le cadre des travaux du Conseil de l’Europe:
19.1. Le Réseau académique sur la Charte sociale européenne et les droits sociaux (RACSE) a été établi en 2006 par le Secrétariat de la Charte sociale européenne sous forme d’association à but non lucratif réunissant des universitaires 
			(4) 
			<a href='https://www.racse-anesc.org/'>www.racse-anesc.org/</a>.. Il compte près de 200 membres issus de 15 pays: Autriche, Belgique, Chypre, France, Grèce, Irlande, Italie, Pologne, Portugal, Roumanie, Royaume-Uni, Slovénie, Suisse, Türkiye et Hongrie. Il est divisé en 9 sections nationales: Belgique, France, Grèce, Irlande/Royaume-Uni, Italie, Pologne, Portugal, Roumanie et Türkiye. Le réseau contribue à la promotion des droits sociaux dans une perspective européenne par ses activités d’enseignement, de formation, de recherche et d’expertise juridique et son engagement dans les procédures judiciaires nationales et internationales (essentiellement à titre d’amicus curiae).
19.2. Au niveau national, le réseau UN.I.RE (Università in rete contro la violenza di genere, Université en réseau contre la violence de genre) 
			(5) 
			<a href='https://unire.unimib.it/category/english-version/'>https://unire.unimib.it/en/</a>. est un réseau italien de dix universités dont l’objectif est de contribuer à la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul. Cette initiative, née de la coopération de ces universités avec notre Assemblée pour la création d’un prix récompensant le meilleur mémoire ou la meilleure thèse de doctorat sur la violence contre les femmes, a été financée par la présidence du Conseil des ministres et le ministère de l’Égalité des chances et la Famille italiens. Elle est maintenant ouverte à l’ensemble des universités italiennes, des centres de recherche et des chercheurs intéressés par ce sujet. Ses activités comprennent la formation, la recherche, la collecte de données et l’information de la société, l’objectif étant d’affirmer une culture du respect des identités de genre. L’UN.I.RE est entièrement financé par le Gouvernement italien. Les universités ont pu proposer des formations aux étudiants en tant que futurs professionnels de la lutte contre la violence fondée sur le genre, en coopération avec des collectivités locales, des associations, des professionnels de la santé et du droit et des institutions nationales et internationales.
20. Le réseau OCEAN a été officiellement lancé en tant que réseau européen lors d’une conférence organisée conjointement par l’UN.I.RE et le projet OCEAN le 10 mai 2022 à Rome, avec la participation des ministères italiens de l’Enseignement supérieur et de la Culture.
21. Ce même jour, les professeurs Calloni et Guiglia ont fait part en détail, lors de la réunion de notre commission à Rome, de leur expérience et des enseignements qu’ils en avaient tirés, en insistant sur les retombées positives des activités des réseaux sur les politiques publiques, ainsi que sur la coopération internationale.
22. Le professeur Guiglia a en outre souligné que les tribunaux nationaux sont mieux sensibilisés aux droits sociaux et que toutes les juridictions nationales et internationales participent davantage à la promotion de la mise en œuvre de la Charte sociale européenne (STE n° 35) dans tous les États contractants. Il a fait observer que, pour accroître la participation des réseaux universitaires, il est nécessaire de disposer d’une structure juridique et d’un soutien politique et financier adéquats.
23. Les effets des activités des réseaux sur les juridictions et les politiques nationales mettent également en relief la nécessité de garantir la liberté académique et l’autonomie de l’enseignement supérieur en Europe, qui fait l’objet de la Résolution 2352 et de la Recommandation 2189 (2020) de l’Assemblée.
24. Le Conseil de l’Europe est très actif dans ce domaine, notamment par l’intermédiaire de son Cadre de référence des compétences pour une culture de la démocratie, de son projet relatif à la mission démocratique de l’enseignement supérieur et de sa contribution à la poursuite du développement de l’Espace européen de l’enseignement supérieur (EEES), qui cartographie la situation de facto et de jure de la liberté académique au sein de l’EEES.
25. À mon avis, il s’agit d’un aspect important à prendre en compte lors de la création ou de l’extension de réseaux universitaires sous l’égide du projet OCEAN, en particulier dans les pays qui sont au bas du classement établi selon l’indice de liberté académique (Academic Freedom Index – AFI), où la communauté universitaire n’est pas libre de s’investir dans la recherche, l’enseignement, l’apprentissage et la communication avec la société sans craindre des représailles.
26. L’EEES a également mis en place un groupe de travail sur le renforcement du partage des connaissances au sein de la communauté de l’EEES, pour donner suite à l’engagement, pris dans le Communiqué de Rome, de construire une communauté de l’enseignement supérieur, plus étroitement connectée et plus durable, favorisant l’inclusion, la communication, la coopération et la solidarité, qui sont indispensables pour garantir la pertinence et le niveau d’excellence de l’action de l’EEES à l’avenir. Le projet OCEAN peut apporter une contribution précieuse à ces efforts et le Conseil de l’Europe devrait mettre en place une étroite coordination avec les membres de l’EEES.
27. D’autres réseaux universitaires pourraient être constitués dans les années à venir pour se consacrer à des domaines d’intérêt prioritaires pour l’Organisation, tels que la protection des droits des minorités et des enfants, la nécessité de faire face au changement climatique et la défense de l’État de droit.
28. Le Conseil de l’Europe met actuellement en place un site web destiné à mobiliser des universités, des instituts de recherche et des universitaires à titre individuel. Une série de publications relatives aux conventions du Conseil de l’Europe est également sur le point d’être lancée. Les parlements nationaux pourraient également contribuer à cette initiative, notamment dans le cadre des commissions parlementaires concernées, qui ont peut-être déjà noué des contacts avec le monde universitaire.
29. Selon l’étude de faisabilité sur le projet OCEAN, certains secteurs de l’Organisation se distinguent également par l’ampleur de la coopération qu’ils ont établie avec les milieux universitaires et pourraient être associés au futur système OCEAN à mesure que le projet et les réseaux se développent et intègrent davantage de conventions.
30. L’outil le plus largement utilisé pour diffuser des connaissances approfondies sur les conventions du Conseil de l’Europe est le programme européen de formation aux droits de l’homme pour les professionnels du droit (HELP), qui propose des cours en ligne destinés principalement aux praticiens qui ne sont pas des universitaires, ainsi qu’un grand nombre de publications et de documents et outils d’information. Sous l’impulsion de la Résolution 2039 (2004) de l’Assemblée, «La Convention européenne des droits de l’homme: le besoin de renforcer la formation des professionnels du droit», le programme HELP a été lancé à petite échelle en 2005, et depuis, est devenu un programme complet qui permet de renforcer les capacités des juges, des avocats et des procureurs dans les 46 États membres et au-delà. Il constitue par ailleurs un modèle remarquable pour le projet OCEAN s’agissant de l’exploitation de son potentiel et de ses perspectives d’avenir.
31. Les discussions tenues au sein de la commission ont également mis en avant la nécessité d’accorder une attention particulière à la commercialisation de l’enseignement supérieur. La coopération entre les universités et les institutions publiques est utile pour que la connaissance et la science restent des biens publics. Cependant, les acteurs privés pourraient également être mis à contribution dans le cadre d’interactions mutuellement enrichissantes.

4. Observations finales et recommandations

32. La mondialisation de la recherche et de l’innovation s’est intensifiée ces dix dernières années, notamment sur le plan de la recherche collaborative, du développement technologique et de la mobilité des chercheurs. Les universités ont un rôle essentiel à jouer pour relever les défis qui se posent à l’Europe, et notamment la défense de la prééminence du droit, la lutte contre la corruption, la nécessité d’agir face au changement climatique et l’intégration des migrants.
33. Tous ces sujets sont aussi des préoccupations centrales pour le Conseil de l’Europe, aussi bien au niveau intergouvernemental qu’à celui de la diplomatie parlementaire et nécessitent de mobiliser les ressources, les forces et les talents de la société civile, des universitaires, des scientifiques et des étudiants, ainsi que des organisations non gouvernementales.
34. De nombreuses initiatives fructueuses du Conseil de l’Europe, telles que la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), Eurimages, l’Accord partiel élargi sur le sport (APES) ou la Pharmacopée européenne, reposent sur des projets conjoints et des accords partiels auxquels chacun apporte sa contribution parce que chacun en bénéficie. L’accent est mis sur la prévention des violations du système des conventions, plutôt que sur la sanction.
35. Le plein respect des valeurs et des normes du Conseil de l’Europe qui sont consacrées par le système des conventions exige de mobiliser tous les secteurs de la société civile. L’impact et la visibilité de notre Organisation doivent avant tout être mesurés sur le terrain. C’est uniquement lorsque ces valeurs sont inscrites dans le tissu social que la mise en œuvre effective des normes du Conseil de l’Europe peut être garantie.
36. Les citoyens, les organisations non gouvernementales, les collectivités locales, les établissements scolaires et les universités peuvent faire une différence dans une société où les droits humains et la démocratie prévalent. Les chercheurs, les étudiants, les travailleurs sociaux et les autorités locales intervenant dans divers secteurs peuvent s’approprier davantage les valeurs énoncées dans les conventions, car elles rejaillissent sur leur travail et leur vie quotidienne. Chacun apporte sa contribution car chacun bénéficie des normes élaborées par le Conseil de l’Europe.
37. Les universités et les instituts de recherche européens sont des ressources encore largement inexploitées pour promouvoir le système des conventions. Ils restent les moteurs de l’innovation et de la pensée créative et peuvent être considérés comme faisant partie du patrimoine universel; ils produisent un capital humain de haut niveau, dont la prochaine génération de décideurs politiques européens, facilitent les discussions sur les politiques à mener et conduisent le changement. Ils ont réellement le potentiel de devenir des incubateurs des droits humains, de la démocratie et de l’État de droit et de créer un environnement favorable pour soutenir la mise en œuvre de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5) et de toutes les autres conventions du Conseil de l’Europe.
38. Comme l’a déclaré M. Nicoletti, «le Conseil de l’Europe souffre d’un manque de reconnaissance et mérite d’être mieux connu». Il faut renforcer la capacité des conventions du Conseil de l’Europe à mobiliser l’intelligence collective de la société civile à tous les niveaux.
39. Le réseau OCEAN a pour but de rassembler tous les universitaires d’Europe pour redéfinir ce que signifie être européen et les valeurs sur lesquelles repose l’Europe, alors que notre continent est ébranlé par la guerre en Ukraine.
40. Les réseaux mondiaux et européens d’universités, d’instituts de recherche et d’experts universitaires coopérant avec des organisations internationales et européennes se sont multipliés ces dix dernières années. Ces réseaux sont mieux placés pour susciter l’ampleur et les synergies nécessaires afin de relever les défis qui se posent à l’Europe et en faire un continent où prévalent la démocratie, les droits humains et l’État de droit.
41. Au niveau du Conseil de l’Europe, les réseaux existants UN.I.RE et RACSE travaillent déjà sur des priorités essentielles, à savoir la nécessité de lutter contre la violence fondée sur le genre et de renforcer les droits sociaux en Europe. Ces initiatives peuvent servir de modèle pour de futurs travaux thématiques sur d’autres conventions du Conseil de l’Europe.
42. Les réseaux universitaires actuels et futurs tireraient grandement profit de la participation des décideurs politiques aux niveaux local, régional, national et international, en fonction de la problématique abordée. Cela permettrait de créer de meilleures synergies entre les secteurs de la recherche et de l’élaboration des politiques et faciliterait la mise en œuvre du système des conventions à partir de la base.
43. L'expertise des universitaires peut être utile aux parlementaires pour examiner les lois au regard des normes fixées dans les conventions du Conseil de l’Europe et contrôler l’action de leur gouvernement en ce qui concerne l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.
44. Grâce aux contacts que les parlementaires peuvent déjà avoir noués avec le monde universitaire, les commissions parlementaires concernées dans les 46 parlements devraient aussi apporter leur contribution aux efforts visant à mobiliser des universités, des instituts de recherche et des universitaires à titre individuel, efforts qui seront facilités par le site internet du projet OCEAN, qui est en cours de création.
45. Comme l’ont souligné les représentants des réseaux existants, pour accroître la participation des réseaux universitaires, il est nécessaire de disposer d’une structure juridique et d’un soutien politique et financier adéquats. Notre Assemblée devrait appeler tous les États membres du Conseil de l’Europe ainsi que l’Union européenne à envisager de soutenir le projet OCEAN et d’envoyer un signal politique fort, en particulier concernant les conventions que l’Union européenne a elle-même signées, comme la Convention d’Istanbul.
46. L’Assemblée devrait également inviter les États membres du Conseil de l’Europe à établir une étroite coordination avec les membres de l’Espace européen de l’enseignement supérieur (EEES), notamment dans le cadre du groupe de travail sur le renforcement du partage des connaissances au sein de la communauté de l’EEES.
47. Conformément à la Résolution 2352 et à la Recommandation 2189 (2020) «Menaces à l’encontre de la liberté académique et de l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur en Europe», il conviendrait de veiller tout particulièrement à intégrer l’évaluation de la liberté académique dans les phases de préparation et de mise en œuvre des réseaux OCEAN, en constituant un cadre pour un processus régulier d’évaluation et de dialogue sur la situation de chaque partenaire.
48. Lors de l’audition tenue par la commission à Rome, le professeur Nicoletti a proposé que le Conseil de l’Europe lance sa propre conférence sur l’avenir de l’Europe, à l’image de celle que l’Union européenne a récemment organisée, et a invité les universités et les centres de recherche à réfléchir à l’avenir de la grande Europe et de l’Organisation dans son ensemble. Selon lui, les étudiants, les enseignants et les chercheurs peuvent devenir les meilleurs alliés et ambassadeurs du Conseil de l’Europe.
49. Depuis plusieurs années, l'Assemblée n'a cessé d’appeler à l'organisation d'un 4e Sommet, appel qui a été repris dans plusieurs textes adoptés depuis le déclenchement de l'agression à grande échelle lancée contre l'Ukraine, notamment dans l’Avis 300 (2022) «Conséquences de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine» du 15 mars 2022 ainsi que dans la Résolution 2433 (2022) et la Recommandation 2228 (2022) «Conséquences de l'agression persistante de la Fédération de Russie contre l’Ukraine: rôle et réponse du Conseil de l'Europe» du 27 avril 2022.
50. Lors de sa Conférence ministérielle de Turin, le 20 mai 2022, le Comité des Ministres «a invité la Secrétaire Générale à créer un Groupe de réflexion de haut niveau chargé d'examiner les réponses à apporter par le Conseil de l'Europe aux nouvelles réalités et aux nouveaux défis et de commencer à faire rapport à ses Délégués dans les meilleurs délais et au plus tard lors de la réunion de passation des pouvoirs entre les présidences irlandaise et islandaise» 
			(6) 
			<a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680a68f5f'>Unis
autour de nos valeurs – la réponse du Conseil de l’Europe à l’agression
de la Fédération de Russie contre l’Ukraine.</a>. Les Ministres ont décidé de revoir les priorités du Conseil de l’Europe à la lumière de la nouvelle réalité et d’examiner s’il serait souhaitable d’organiser un 4e Sommet des chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe, comme l’Assemblée l’a recommandé dans un certain nombre de textes adoptés depuis le début de l’agression à grande échelle lancée contre l’Ukraine le 23 février 2022.
51. Le 24 juin 2022, le Bureau de l’Assemblée a décidé de constituer une commission ad hoc sur le 4e Sommet des chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe 
			(7) 
			Le
mandat de la commission ad hoc figure dans le document <a href='https://assembly.coe.int/committee/BUR/2022/BUR011F.pdf'>AS/Bur/CB(2022)011.</a>, et la commission des questions politiques et de la démocratie élabore actuellement un rapport intitulé «Le Sommet de Reykjavik du Conseil de l'Europe: Unis autour de valeurs face à des défis hors du commun» 
			(8) 
			Rapporteure: Mme Fiona
O’Loughlin, Irlande, ADLE. D’après la proposition de recommandation
intitulée «Un quatrième Sommet pour un Conseil de l’Europe renouvelé,
amélioré et renforcé», adoptée par la commission des questions politiques
et de la démocratie les 16 et 17 mai 2022: «L’Assemblée devrait
réitérer son appel en faveur d’un quatrième Sommet des chefs d’État
et de gouvernement du Conseil de l’Europe, afin de réaffirmer les
valeurs que défend l’Organisation et donner un nouvel élan à son
rôle de gardien de la démocratie, des droits humains et de l’État
de droit. Le quatrième Sommet devrait aboutir à un Conseil de l’Europe
renouvelé, amélioré et renforcé, doté de nouvelles compétences et
mieux équipé pour promouvoir la sécurité démocratique et capable
de prendre des mesures collectives opportunes et efficaces pour
promouvoir un multilatéralisme fondé sur des règles et prévenir
de nouvelles menaces».. Le 7 novembre 2022, le Comité des Ministres a formellement décidé de tenir un 4e Sommet les 16 et 17 mai 2023 à Reykjavik, en Islande.
52. Ce contexte pourrait offrir à notre Assemblée l’occasion d’appeler les États membres à réaffirmer leur attachement à la place centrale du système des conventions du Conseil de l’Europe, et d’encourager le Conseil de l’Europe à intégrer et à soutenir davantage les acteurs nationaux indépendants, tels que les instituts de recherche et les universités, sous l’égide de l’initiative OCEAN, en vue de faciliter la mise en œuvre des conventions du Conseil de l’Europe et de construire une plus grande unité entre les États membres du Conseil de l’Europe.