1. Introduction
1. Internet et les plateformes
numériques sont devenus les moyens les plus utilisés pour accéder
et diffuser des informations, mais aussi pour communiquer au sens
large. L’environnement numérique offre une grande variété de sources
d’information dans un flot permanent d’actualités, pour faire des
recherches ou pour entretenir des liens professionnels ou privés.
Les avantages en termes d’accessibilité et d’immédiateté sont indéniables.
2. Les médias sociaux sont, pour la jeune génération, l’outil
privilégié pour l’information, la communication, les jeux, la création
et les loisirs en général. Ils sont aussi un outil pour les jeunes
qui veulent de plus en plus faire entendre leur voix sur des questions
d’actualité cruciales et des enjeux mondiaux, comme les droits humains,
la protection de l’environnement, le développement durable et la
paix. De toute évidence, le développement des réseaux numériques
a ouvert la voie à de multiples possibilités créatives, éducatives, inclusives,
diverses et révolutionnaires pour l’autonomisation des jeunes.
3. Cependant, l’évolution technologique n’apporte pas seulement
des bénéfices, mais comporte aussi des risques et des défis liés
aux désordres de l’information et aux lacunes des réglementations
dans les espaces numériques: mésinformation, désinformation, manipulation,
incitation à la violence, harcèlement en ligne, isolation dans les
«bulles filtrantes», adhésion à des théories complotistes sont autant
de menaces pour les adultes et encore plus pour les jeunes. Nous
devons être conscients de ces risques et élaborer des stratégies pour
les contrer tout en respectant les droits fondamentaux des jeunes.
4. Étant donné que beaucoup de jeunes ne disposent pas d’une
éducation aux médias ou d’une culture bien établie en matière de
consommation d’information, ils ne peuvent pas organiser leurs flux
d’informations en sélectionnant des sources d’informations fiables.
Le fonctionnement des médias sociaux, basés sur des algorithmes,
contribue à répandre des contenus clivants, polarisants et sensationnalistes
potentiellement dangereux pour les jeunes.
5. Il existe un large éventail de problèmes de sécurité liés
à des contenus illicites tels que la cybercriminalité, la pornographie,
le cyberharcèlement ou la violence. En outre, il existe un risque
réel d’effets nocifs de certains contenus nuisibles à la perception
de soi, à l’image corporelle et aux pratiques de santé des enfants
et des jeunes.
6. Nous devons protéger les jeunes de ces risques en leur permettant
d’utiliser les médias sociaux de manière sûre, saine et créative.
Comme le souligne la proposition de résolution à l’origine du présent
rapport
, il est nécessaire
de trouver de nouvelles approches afin de rendre la voix des jeunes
plus audible également dans les médias traditionnels, de dialoguer
avec eux pour renforcer leur capacité à contribuer au tissu social, d’améliorer
la protection de ceux qui pourraient être plus exposés et vulnérables
aux contenus dangereux en ligne, et d’autonomiser les nombreux jeunes
qui cherchent à construire un avenir meilleur.
7. Il existe de multiples tendances en ce qui concerne l’interaction
des jeunes avec les médias d’information, traditionnels ou non.
Une approche qualitative nous permet de dégager deux directions de réflexion:
l’utilisation sécurisée des médias sociaux par les jeunes et l’implication
des jeunes dans une vie sociale active par le biais des médias.
8. Parmi les thèmes fondamentaux susceptibles d’intéresser concrètement
les diverses parties prenantes, figurent notamment les questions
de savoir à quoi les jeunes accordent de la valeur dans les informations, quels
sont les besoins et les motivations profondes qui les poussent à
consommer des médias d’information et à s’engager à leur égard,
quel rapport ils entretiennent avec les émissions d’information
classiques, quelle est leur confiance globale dans les informations
délivrées par les médias professionnels, et quelle est la valeur perçue
du journalisme de qualité dans le cadre de la crise de més/désinformation
que nous traversons actuellement.
9. Le rythme accéléré est devenu la norme pour la communication
en ligne et la consommation de vidéos, de même que pour l’information.
Cette situation va de pair avec des questions de sécurité, de confidentialité numérique
et de réputation. Les révélations selon lesquelles Facebook a, à
maintes reprises, présenté des données trompeuses sur l’importance
de son audience devraient nous alerter en tant que législateurs
garants des droits des citoyens, y compris en ligne. Ces menaces
envers l’autodétermination numérique des jeunes appellent à renforcer
l’éducation sur la protection des données et la sécurité en ligne.
La citoyenneté numérique implique de doter les jeunes des compétences
requises pour comprendre et protéger leur vie privée et la sécurité
des données lorsqu’ils interagissent avec l’intelligence artificielle,
de développer l’éducation et la sensibilisation aux conséquences
à court et à long terme de l’empreinte virtuelle ou de la «trace»
numérique de leurs activités en ligne, et de sensibiliser davantage
les jeunes aux pratiques commerciales en matière de données déployées
par les fournisseurs de plateformes de médias sociaux.
10. Les influenceurs agissent comme des intermédiaires entre les
jeunes et la complexité de leur environnement, mais en absence de
réglementation adéquate, ils constituent aussi des menaces en termes de
mésinformation, de publicité indue et de contenus nuisibles, en
particulier la pornographie, la sexualisation des mineurs et les
stéréotypes de genre.
11. La déontologie des médias devrait faire partie intégrante
de programmes interdisciplinaires mélangeant apprentissage formel
et informel, programmes éducatifs et campagnes de sensibilisation
menées par l’ensemble des médias, qu’ils soient traditionnels ou
numériques. Les jeunes doivent être sensibilisés à l’indépendance
éditoriale, à la notion de service public et aux codes d’éthique
journalistique afin de contrer la propagation de contenus préjudiciables
et les infox.
12. Un environnement médiatique qui combine médias traditionnels
et nouveaux médias offre aux jeunes de nombreuses perspectives,
expériences et possibilités de s’engager individuellement dans la
société ou dans leur communauté. Il convient d’examiner plus en
détail les formes de participation à la vie sociale par le biais
des médias, en tenant compte des obstacles pour certaines catégories
de jeunes, notamment les jeunes femmes et les personnes issues de
minorités.
13. Cet engagement sociétal peut aussi revêtir la forme d’un engagement
et d’une participation politiques via les médias. Les technologies
numériques permettent de participer aux activités démocratiques
et de promouvoir la citoyenneté démocratique, mais cela implique
en retour de respecter certaines règles de civilité dans le discours
en ligne, et une adaptation de la part des responsables politiques.
Il s’agit d’une question cruciale pour les élus des États membres
et pour le fonctionnement futur de nos démocraties.
14. Enfin, les jeunes prennent part, sur internet, à diverses
transactions économiques rémunérées ou non rémunérées. En cela ils
se consacrent à du «travail aspirationnel» par le biais d’expression
créative sur les médias sociaux. Ces formes de travail gratuit créent
des asymétries de pouvoir dans l’économie numérique qui mènent à
des inégalités structurelles. Il est indispensable de lutter contre
cette forme d’exploitation du travail.
15. Le présent rapport vise deux objectifs: premièrement, proposer
une évaluation des difficultés et opportunités que rencontrent actuellement
les jeunes en termes d’accès, d’exposition et d’engagement à l’égard
d’un large éventail de sources d’information numériques, traditionnelles
ou non. Deuxièmement, présenter aux États membres des conclusions
et des recommandations précises sur le thème du présent rapport.
16. Mon analyse s’appuie sur le rapport de Mme Adriana
Mutu, directrice académique et professeure à l’ESIC Business and
Marketing School de Barcelone
; je la remercie pour
son excellent travail. J’ai également tenu compte des contributions
des autres experts qui ont participé à l’audition de la commission
du 9 mai 2022: M. Pasquale Stanzione, président de l'Autorité italienne
pour la protection des données personnelles (Garante per la protezione
dei dati personali), Italie; Mme Mariek
Vanden Abeele, professeure associée en culture numérique au Département
des sciences de la communication de l'Université de Gand, Belgique;
et M. Vittorio Gattari, membre du Conseil d'administration du Conseil
italien de la jeunesse, membre du Conseil consultatif sur la jeunesse
du Conseil de l'Europe.
17. Dans le rapport, le terme «jeunes» désigne tous les mineurs
(c’est-à-dire, en général les personnes âgées de moins de 18 ans
dans l’Union européenne). En outre, le rapport fait référence aux
tendances de deux groupes d’âge en termes de consommation de médias
numériques et traditionnels ainsi que de participation et d’engagement
à l’égard de ces médias: la génération Z (les natifs du numérique,
âgés de 18 à 24 ans) et la génération Y/les millénials (25-35 ans).
2. Utilisation sécurisée des médias sociaux
par les jeunes
2.1. Les
habitudes des jeunes en matière de navigation et de consommation
sur les réseaux sociaux
18. Les écosystèmes informationnels
en constante évolution ainsi que l’accès et l’exposition sans précédent à
un large éventail de sources d’information numériques, via les médias
traditionnels ou non (en particulier les plateformes des médias
sociaux et les agrégateurs de nouvelles), appellent à une sensibilisation
accrue et à un examen plus approfondi des habitudes et des comportements
des jeunes en matière de navigation et de consommation des médias.
Ces habitudes et ces pratiques suivent certaines tendances dont
le facteur de l’âge est un des plus prédictifs
.
19. Un autre facteur prédictif est d’ordre géographique, puisque
les habitudes des jeunes adultes européens en matière de navigation
et de consommation des médias d’information varient d’un pays à
l’autre. Cependant, il se dégage une tendance générale croissante:
les plateformes et les réseaux des médias sociaux en ligne sont
leurs principales sources d’information. Les publics jeunes associent
consommation de l’actualité, navigation sur les réseaux sociaux,
résolution de problèmes, action sociale et divertissement. Ce ne
sont pas les jeunes qui cherchent l’actualité, mais l’actualité
qui vient à eux via les réseaux sociaux. Par ailleurs, les jeunes
adultes sont souvent amenés à consulter des informations que leur
recommandent leurs pairs sur les réseaux sociaux ainsi que dans
des conversations de groupe et des messages instantanés
. Dans cet environnement numérique,
les jeunes ne suivent pas l’actualité mais c’est elle qui les suit.
20. Le fait que les médias sociaux deviennent la principale porte
d’entrée vers l’actualité et les informations témoigne d’un changement
de dynamique entre les médias d’information traditionnels, qui entretiennent
un lien direct avec leur public, et les plateformes des médias sociaux,
où les jeunes adultes consultent le plus souvent
fortuitement l’actualité car ils
ne font pas activement la démarche de la rechercher par eux-mêmes. De
plus, les jeunes qui ont un faible niveau de confiance dans les
médias ont tendance à préférer les sources d'information non traditionnelles
telles que les médias sociaux et les blogs
.
21. La compréhension et surtout la prise en compte de ce phénomène
pourraient aider les médias et les journalistes à adapter leurs
produits et formats à ce qui attire les publics jeunes afin de les
intéresser, de restaurer la confiance globale dans les informations
délivrées par les médias professionnels et de les fidéliser.
22. Il existe quatre grands moments de consultation de l’actualité
qui varient en fonction de variables externes telles que les habitudes
personnelles, le milieu professionnel et le support utilisé: moment exclusivement
consacré à l’actualité, moment utilisé pour se tenir au courant
des derniers événements, moment utilisé pour occuper le temps, moment
d’interception. Il existe également quatre types de consommateurs
de l’actualité: les consommateurs des médias traditionnels, les
consommateurs fidèles de l’actualité, les consommateurs passifs
de l’actualité, et les amateurs proactifs de l’actualité
.
23. Les habitudes et comportements de ces différents types de
consommateurs de l’actualité sont influencés par la place qu’occupent
les marques de médias dans l’expérience de chaque consommateur (consommateur
autonome ou consommateur attaché à une marque) et le degré d’engagement
d’une personne à l’égard de l’information en général (faible consommation
ou consommation élevée). Un consommateur autonome consulte ce qu’il
juge pertinent tandis qu’un consommateur attaché à une marque considère
certains médias précis comme des gardiens de l’information.
24. Le comportement des jeunes en matière de consommation des
médias est aussi influencé par une série d’éléments clés tels que
les questions traitées, le contenu de l’actualité, le format, le
ton des informations délivrées, les différences entre les plateformes,
entre les médias traditionnels, entre les groupes d’âge et entre les
méthodes de paiement. Les jeunes assimilent souvent la consommation
de l’actualité à «une corvée»
,
ce qui a un impact sur la perception du contenu des médias traditionnels
qui n’est pas considéré suffisamment attrayant ou attractif.
25. La différence entre l’exposition fortuite à l’actualité et
la consommation intentionnelle de l’actualité sur les sites de réseaux
sociaux est intéressante à examiner. La consommation fortuite de
l’actualité sur les médias en ligne signifie que les jeunes peuvent
être exposés à des informations ou à une actualité qu’ils n’ont pas
activement cherché à consulter. Ils trouvent littéralement par hasard
des informations sans les avoir cherchées volontairement. Cette
«rencontre» avec l’information peut être considérée comme la conséquence indirecte
d’autres activités, quelque chose qui se produit dans le cadre de
la consultation habituelle de certains médias, chaînes ou contenus.
Des chercheurs
désignent
ce phénomène par les termes «cycle de consultation» lorsque l’on
consulte constamment son téléphone pour ne rien rater de ce qui
se passe dans sa vie privée mais aussi dans le monde entier, et
«grignotage d’informations» lorsque l’on consomme de l’actualité
par petits bouts, en la survolant de façon détachée.
26. Cette consommation fortuite ou intentionnelle de l’actualité
sur les médias sociaux parmi les jeunes a été mesurée en lien avec
la façon de consulter l’actualité dans le fil des réseaux sociaux
et avec le rôle que jouent leurs amis et leurs abonnés. On observe
un déclin dans l’utilisation des médias d’information traditionnels
sur les plateformes habituelles tandis que les sites des réseaux
sociaux tels que Facebook, Instagram et Twitter sont une source
d’information de plus en plus importante. Cela signifie que les
sites des réseaux sociaux ne sont pas la principale source d’information
mais sont un moyen important de relayer l’actualité que relatent
les médias traditionnels et les autres sources conventionnelles
d’information
.
27. Notre défi, et celui des médias, est de faire en sorte que
les sources d’information issues du numérique, les plateformes d’information
non traditionnelles et les médias traditionnels puissent garantir
aux publics jeunes des informations de qualité et inciter ces derniers
à s’engager activement et intentionnellement à l’égard des médias
d’information. En effet, malgré l’augmentation des taux de consommation
de l’actualité sur les médias sociaux et le recul des taux d’audience
des médias traditionnels, ces derniers restent perçus par les jeunes
comme des sources réputées et fiables, pratiquant un journalisme
de qualité. De façon logique, une confiance très faible à l’égard
des médias d’information est associée à une préférence pour les
sources d’actualité non traditionnelles, tandis qu’une très grande
confiance à l’égard des médias d’information est plus susceptible
d’être associée à une consommation de l’actualité auprès des sources
traditionnelles.
28. Le rôle des journalistes en tant que fournisseurs d’informations
et en tant que gardiens professionnels de l’information a évolué
au fil du temps. Un point préoccupant est la perception selon laquelle
les journalistes professionnels ne sont pas toujours identifiés
comme des sources d’actualité. Les jeunes sont moins attachés à
des canaux médiatiques précis et accordent peu d’attention aux journalistes
professionnels. Il existe cependant des moyens de renforcer la visibilité
de projets médiatiques indépendants, collectifs et locaux en assurant
un financement public permettant de réduire la dépendance à l’égard
de la publicité
.
29. Les médias devraient moderniser le format des actualités,
leurs produits et leurs modes de distribution pour proposer de nouvelles
formes de participation et d’interaction aux publics jeunes, qui,
soit cherchent intentionnellement des informations de qualité et
un journalisme responsable, soit tombent fortuitement sur des informations
d’actualité correspondant à leurs centres d’intérêt.
30. Il est aussi possible de s’attaquer à la consommation fortuite
de l’actualité et de combattre cette tendance en collaborant, avec
les divers acteurs concernés, à l’élaboration de programmes d’éducation
et d’initiation aux médias
. Les jeunes doivent
comprendre le rôle des médias dans la détermination des priorités et
ils doivent être encouragés à participer activement et à prendre
des décisions individuelles et collectives fondées sur des informations
de qualité afin qu’ils puissent s’engager démocratiquement dans
la sphère publique.
31. Enfin, il convient de tenir compte de l’attitude des jeunes
issus des minorités, par exemple des jeunes migrants nés en dehors
de leur pays de résidence actuel, en matière de consommation de
l’actualité: ces derniers se tournent délibérément vers les réseaux
sociaux car ils souhaitent se tenir au courant de l’actualité en
général et de l’actualité civique et politique
. Par conséquent, les médias d’information
devraient se servir de plateformes et de réseaux sociaux réellement
susceptibles de susciter un engagement fort du public afin de promouvoir
l’actualité internationale et de mettre en avant leurs «marques»,
notamment auprès de publics jeunes et culturellement divers, vivant
en dehors de leurs pays d’origine.
2.2. Sécurité,
confidentialité numérique et réputation: autodétermination numérique
32. Plusieurs procès ont eu lieu
ces dernières années contre des plateformes de médias sociaux pour violation
du droit des enfants au respect de leur vie privée et de leurs droits
en tant que consommateurs, notamment contre le géant du numérique
TikTok
.
En 2021, les révélations de la lanceuse d’alerte Frances Haugen
à l’encontre de Facebook sur des pratiques consistant à tromper
systématiquement les investisseurs au sujet de la démarche de Facebook
en matière de sécurité et de la taille de son public, ont appelé
à une meilleure sensibilisation et une meilleure information sur
les mesures de sécurité, de protection et de confidentialité des
données qui sont mises en œuvre en Europe par les géants du numérique
et autres parties prenantes, aux niveaux national et international.
33. Il est essentiel, dans un souci de sensibilisation, mais aussi
pour remédier à ces problèmes inquiétants, que les jeunes reçoivent
des informations sur l’importance des questions de protection de
la vie privée et de sécurité relatives aux données personnelles
qu’ils partagent en ligne lorsqu’ils utilisent des plateformes de réseaux
sociaux et d’achats en ligne, des applications mobiles, des traceurs
et des mouchards. Il est aussi important de continuer les recherches
sur l’autodétermination numérique.
34. Une grande partie du débat public sur les jeunes et les technologies
numériques est axée sur l’évaluation et la compréhension des risques
et des préjudices que les technologies numériques sont susceptibles
d’entraîner, mais aussi sur les atouts potentiellement liés à l’utilisation
des médias numériques par les jeunes. Nous ne pouvons pas nous limiter
à mener des politiques publiques axées sur le risque car nous devons
aussi tenir compte des défis et opportunités que comportent les
technologies numériques pour les jeunes et leurs centres d’intérêt.
Cela inclut les conditions dans lesquelles les jeunes ont accès
à internet, leur capacité de décision et d’action lorsqu’ils se
servent des technologies numériques, leur degré d’expérience face
à ces technologies, leurs droits et responsabilités, les types d’activités
dans lesquelles ils s’engagent ainsi que la façon dont ils le font
en termes de créativité, de signification, d’éthique, de responsabilité
et de participation.
35. Afin de développer ces capacités numériques
et de garantir le «bien-être numérique»
, les jeunes doivent bénéficier de
formations et d’informations qui leur permettent d’acquérir des
compétences susceptibles de les aider à mieux se servir des technologies
numériques. Les notions telles que la citoyenneté numérique, l’éducation
au numérique, la détermination numérique et l’éducation aux nouveaux
médias ont été employées pour regrouper et organiser ces compétences
dans le cadre de programmes éducatifs susceptibles d’être mis en
œuvre dans des environnements d’apprentissage formels, informels
et connectés
.
36. Le fait qu’utiliser internet laisse une empreinte virtuelle
ou «trace» numérique au fil de l’activité en ligne, la réduction
de cette empreinte numérique et la gestion de l’identité numérique
sont autant de questions auxquelles les acteurs concernés, et notamment
les institutions publiques et les acteurs de l’éducation, sont confrontés.
Les jeunes devraient recevoir un enseignement au sujet de l’empreinte
numérique et de ses avantages et inconvénients, comprendre la question
de l’atteinte à la vie privée sur internet, apprendre qui suit la
trace des utilisateurs sur internet et comment, et apprendre de
quelle façon les lois sur la protection de la vie privée en vigueur
dans diverses parties du monde peuvent avoir des conséquences sur
leur empreinte numérique. Il convient de s’interroger sur la nécessité
d’introduire un enseignement facultatif ou obligatoire à la citoyenneté
numérique pour donner aux jeunes les moyens de comprendre la protection
de la vie privée et de protéger leurs propres données lorsqu’ils
naviguent en ligne, d’améliorer l’éducation et la sensibilisation
aux conséquences à court et à long terme de l’empreinte virtuelle
ou de la «trace» numérique, et il faudrait aussi davantage sensibiliser
les jeunes aux pratiques commerciales en matière de données que
déploient les fournisseurs de plateformes de réseaux sociaux.
37. La collecte des données à caractère personnel, les pratiques
commerciales concernant les données, l’utilisation des outils de
surveillance et de la technologie de reconnaissance faciale dont
se servent les fournisseurs de plateformes de médias sociaux, constituent
de véritables menaces numériques. Il convient de noter que l’Union
européenne a adopté un «Digital Services Act», une nouvelle législation
qui prendra effet en 2023
. Elle interdit certains types de
publicités sur les plateformes en ligne lorsqu'elles ciblent les
enfants ou lorsqu'elles utilisent des catégories particulières de
données personnelles, telles que l'origine ethnique, les opinions
politiques et l'orientation sexuelle. Il serait souhaitable d’étendre
cette législation aux pays européens qui ne sont pas membres de
l’Union européenne.
38. De nouvelles recherches sont nécessaires au sujet des différents
aspects de l’autodétermination numérique, depuis le contrôle de
nos données à caractère personnel jusqu’à l’expression de soi, la participation
à la vie civique et l’économie numérique, la construction de relations,
la santé et le bien-être, afin d’engager un dialogue critique sur
la façon de définir et de comprendre les problèmes et le potentiel
liés à l’autodétermination numérique. Il est important de garantir
un soutien financier à des recherches sur les risques en ligne,
notamment le cyberharcèlement, le harcèlement sexuel, l’usurpation
d’identité, l’exposition à des contenus pornographiques, les contenus
violents ou agressifs, les discours préjudiciables, les contenus
sur les drogues et les contenus racistes.
2.3. Les
réseaux de jeunes et l’exposition à la publicité nuisible
39. Les plateformes et réseaux
sociaux facilitent l’accès aux actualités et offrent les moyens
d’interagir en ligne avec l’actualité en laissant des commentaires,
en partageant et en postant des contenus. C’est donc en grande partie
en fonction des centres d’intérêt et du comportement des personnes
auxquelles ils se connectent via ces plateformes et réseaux sociaux
que les jeunes sont exposés à de la publicité. Les jeunes sont notamment
exposés à une grande variété de pratiques et de discours mis en
avant par les influenceurs sur les médias sociaux, les tiktokeurs,
les youtubeurs et les blogueurs vidéo qui agissent de plus en plus
comme des «interprètes» ou des «guides» qui aident à distiller la
complexité du flux des actualités quotidiennes, en présélectionnant
des sujets et en postant des commentaires reflétant leurs opinions
personnelles.
40. Cependant, les influenceurs des réseaux sociaux ont aussi
une forte emprise sur les jeunes. Ce sont souvent les principaux
diffuseurs de mésinformation, de contenus préjudiciables et de pratiques
publicitaires inquiétantes. Ce matériel nuisible peut par exemple
contenir des scènes pornographiques et mettre en avant la sexualisation
des mineurs, des stéréotypes de genre dans la publicité sur des
jouets pour enfants, etc. De plus, souvent les tiktokeurs n’indiquent
pas ou ne préviennent pas clairement qu’ils font la publicité ou
la promotion de certaines marques
.
41. Ces pratiques appellent à une réglementation plus forte et
à une protection des enfants et des mineurs, y compris une réglementation
de la publicité en ligne, des placements de produits, des contenus
de marque et de la publicité clandestine. Les plateformes de partage
de vidéos auxquelles des enfants sont susceptibles d’avoir accès
devraient aussi veiller à respecter les obligations en matière de
protection des données.
42. Certains pays d’Europe ont commencé à réguler le rôle des
influenceurs en ligne. Le 8 juillet 2022, l’Espagne a adopté une
loi générale de communication audiovisuelle tenant compte des influenceurs
en tant que fournisseurs de services audiovisuels
. En 2021, la Norvège a voté une réglementation
ciblant les images manipulées, obligeant les influenceurs des médias
sociaux et les publicitaires à inscrire des mentions légales sur
les images retouchées. En vigueur depuis l’été 2022, le texte s’applique
en outre aux images partagées par les influenceurs et autres personnages
publics qui postent des photos retouchées d’eux-mêmes pour faire la
publicité de produits ou de services. Les législateurs sont donc
parfaitement en mesure d’agir contre ces dérives.
43. Les organes de régulation des médias ont aussi un rôle à jouer
en énonçant des mesures précises en matière de publicité à l’intention
des fournisseurs de plateformes de partage de vidéos. C’est ainsi
que l’OFCOM, l’autorité britannique de régulation des médias, a
publié en 2021, à l’intention des fournisseurs de plateformes de
partage de vidéos, un guide énonçant des mesures précises en matière
de publicité, parmi lesquelles figure l’obligation de fournir à
toute personne téléchargeant une vidéo la fonctionnalité permettant de
déclarer que la vidéo contient une publicité.
44. Malgré l’existence de ces bonnes pratiques, les États membres
ne suivent pas encore d’approche uniforme à l’égard des fournisseurs
de plateformes de partage de vidéos afin de s’assurer que ceux-ci comprennent
les obligations étendues qui s’appliquent aux moins de 18 ans en
matière de publicité en ligne au titre de la protection des données
ou du contenu préjudiciable. Il est urgent d’agir.
2.4. Les
jeunes et le cyberharcèlement
45. Dans l’écosystème numérique,
le harcèlement en ligne, le cyberharcèlement ou les cyberagressions prennent
diverses formes, par exemple l’usurpation d’identité, le piratage
des comptes d’autrui, la diffusion de photos ou de vidéos en ligne,
la diffusion de contenus diffamatoires en ligne, et d’autres comportements intentionnels
visant à se servir de dispositifs électroniques pour porter préjudice
aux victimes.
46. Le cyberharcèlement visant les jeunes (ou entre jeunes) est
un phénomène répandu dans tous les pays d’Europe
et ses effets sur la santé mentale
des enfants ont fait l’objet de très nombreuses publications médicales,
qui parlent d’un taux plus élevé de dépression, d’automutilation
et d’idées suicidaires chez les victimes. En examinant les divers
types de commentaires toxiques et haineux et la manière dont ils
prolifèrent dans les vidéos par et pour les jeunes postées sur YouTube
, il apparaît qu’un commentaire sur
20 est inapproprié et que le premier commentaire haineux ouvre la
porte à d’autres. Ce constat est d’autant plus frappant que les
enfants demeurent attirés par YouTube et sont désireux de faire
carrière dans la création de vidéos sur cette plateforme.
47. Il convient donc de traiter le problème du cyberharcèlement
dans toute sa complexité et d’examiner les nouvelles solutions et
approches possibles pour aider les différents acteurs à reconceptualiser,
prévenir et atténuer plus efficacement ce phénomène. Des initiatives
devraient être mises en œuvre parallèlement aux dispositions en
vigueur de la directive européenne révisée sur les services de médias
audiovisuels visant à renforcer la protection des mineurs et du
public en général face à la victimisation par cyberharcèlement,
aux contenus préjudiciables et notamment au sexisme, à l’incitation
au racisme et à d’autres contenus discriminatoires
.
48. Au sein des États membres, des mesures ont déjà vu le jour,
soit par la voie réglementaire
,
soit sous forme de lignes directrices
. Il convient de généraliser cette
approche, dans le cadre de la transposition de la directive européenne
révisée sur les services de médias audiovisuels ou par le biais
de réglementations spécifiques pour les États non-membres de l’Union
européenne. La question des commentaires en ligne est cruciale.
Un élément déterminant réside dans la réaction rapide des plateformes
des géants du numérique, soit à l’aide d’algorithmes, soit à la
suite de signalements, pour retirer les commentaires potentiellement préjudiciables.
49. La pornographie occupe malheureusement une place à part dans
le cyberharcèlement, et les plateformes pornographiques et les services
intermédiaires jouent un rôle majeur pour la diffusion de pornographie
non consentie
.
50. Les images non consenties incluent des pratiques telles que upskirting (photographies prises
sous la jupe des filles et des femmes), vidéosurveillance, caméras
cachées, vengeance pornographique, images volées ou ayant fuité.
Mais cela concerne aussi le faux porno et les deepfakes qui
consistent à utiliser la technologie numérique pour fusionner les
visages de célébrités ou de personnes privées sur du matériel sexuel explicite.
Ces images sont ensuite mises en ligne. Ce phénomène est en pleine
expansion en Europe.
51. Même si les grandes plateformes ont pris des mesures pour
lutter contre ce problème, les contenus non consentis demeurent
facilement accessibles, gratuits et même organisés par genre et
par catégorie. Cette pornographie non consentie et facilement accessible
légitime et normalise des abus. La régulation est donc justifiée
au vu de la fréquence et de l’impact des images non consenties sur
les réseaux, au point que près d’un tiers des femmes et des jeunes
femmes
dans l'Union européenne craignent
que de fausses images intimes d'elles ne soient partagées en ligne
sans leur consentement.
52. Une première piste se trouve à nouveau dans la législation
de l’Union européenne sur les services numériques, qui contient
de nouvelles dispositions destinées à faire en sorte que les fournisseurs
de services intermédiaires respectent l’obligation de réduire la
quantité de pornographie non consentie présente sur leurs sites,
notamment via un système d’«alertes de confiance» activées par des
entités labellisées au sein de chaque État en vertu de leur expertise
et qui verront leurs notifications traitées en priorité.
53. Au-delà de la réglementation, le comportement des acteurs
actuels et futurs en termes de prévention et de lutte contre le
harcèlement en ligne dépend en partie de leur connaissance des travaux
de recherche sur la déontologie des médias à l’intention du public
et de leur accès à ces travaux. Cela implique que les pouvoirs publics
financent la recherche visant à lutter contre le cyberharcèlement
et établissent des lignes directrices concrètes pour prévenir ce
phénomène et y répondre. Des recherches sur le cyberharcèlement
devraient également prendre en compte des facteurs de victimisation
tels que handicap, groupe ethnique, genre et orientation sexuelle.
Enfin, les prestataires de soins de santé et les éducateurs qui
s’occupent d’enfants et de jeunes adultes sont des acteurs importants
de dépistage de harcèlement en ligne. Cependant, le financement de
formations destinées à ces prestataires dépend des États membres
et varie d’un pays à l’autre.
3. Participation
des jeunes à la vie sociale par le biais des médias et avec leur
aide
3.1. Participation
et engagement des jeunes dans un environnement médiatique convergeant
54. Le degré de confiance dans
les médias influence grandement l’intérêt, l’engagement et la participation. Les
formes de comportement participatif en ligne, considéré comme un
aspect de l’engagement citoyen dans les sociétés démocratiques,
consistent notamment à consulter, produire, partager et commenter
l’actualité, à exprimer des opinions sur des questions d’intérêt
général, à échanger des informations, à exprimer une émotion, à
prendre part à un débat, à informer autrui, à vérifier les faits
et à équilibrer une discussion.
55. La participation à l’égard de l’actualité en ligne varie d’un
pays à l’autre, en fonction également de la confiance à l’égard
des médias d’information par rapport à d’autres sources non traditionnelles
telles que les médias sociaux, les blogs et les sources issues du
numérique. Chez les jeunes en particulier, la culture participative
et collaborative est influencée par leurs habitudes d’usage de ces
sources non traditionnelles. D’autres éléments s’y ajoutent, notamment
les caractéristiques démographiques individuelles, le style de vie, les
cycles de vie, les types de nouveaux formats, les contenus, les
moyens utilisés pour consulter l’actualité, le ton, et la narration
.
56. L’utilisation d’internet en toute sécurité est primordiale
en ce qui concerne la participation aux écosystèmes informationnels
et l’engagement des jeunes à cet égard. Les jeunes créent des espaces
de soutien, de sociabilité et de reconnaissance qui sont aussi des
espaces d’apprentissage collaboratif. Ils développent ainsi des
aptitudes dans les domaines social, culturel, professionnel ou technique. Du
point de vue de l’action des pouvoirs publics, une question essentielle
est de savoir qui écoute les jeunes dans ces processus d’engagement.
57. La crédibilité de l’information dépend aussi de celle des
journalistes. A cet égard, les médias de service public jouent un
rôle important pour renforcer le journalisme professionnel. Les
médias publics continuent en effet d’être perçus comme étant plus
dignes de confiance que les chaînes privées, même auprès des jeunes
. Il existe également des corrélations
entre les niveaux d’éducation, l’exposition aux informations télévisées
et aux journaux et la confiance à l’égard des médias. Il est par
conséquent impératif que les États membres s’engagent à dûment assurer
le financement des médias de service public tout en offrant des
garanties à ces derniers en matière d’indépendance éditoriale, et
ce afin de restaurer la confiance des jeunes à l’égard des journalistes
professionnels.
3.2. Déontologie
des médias, jeunesse, informations et engagement démocratique
58. Les adolescents et les jeunes
adultes sont exposés à un vaste éventail de discours politiques susceptibles
d’avoir une influence sur leur engagement et leur participation
à l’égard des questions civiques et politiques, aussi bien en ligne
que hors ligne. Avoir la possibilité d’explorer et d’échanger des
idées avec autrui est un mécanisme essentiel grâce auquel les jeunes
peuvent forger leurs propres opinions et les affiner.
59. L’expression «médias participatifs», inventée par des chercheurs
pour définir les usages des médias numériques qui sont davantage
interactifs, sociaux et collaboratifs, s’oppose à celle de «médias
traditionnels», audiovisuels ou écrits, jugés «élitistes». Ces médias
numériques ont un impact sur le développement du sens civique des
jeunes
. Ils créent un contexte propice aux
politiques participatives dans lequel les citoyens ordinaires ne
se contentent pas de suivre des informations élitistes et d’attendre
de pouvoir avoir une action politique, mais participent activement
à la détermination des questions d’intérêt général et à l’ouverture
de voies d’action civique.
60. Cependant, l’engagement démocratique ne dépend pas seulement
de l’âge, il dépend aussi du genre, du milieu social et de l’origine
ethnique. Une étude concernant les jeunes femmes britanniques de
milieux défavorisés a montré qu’elles ne se sentent ni représentées
ni écoutées dans le cadre des politiques institutionnelles ou dans
la sphère publique; elle se servent d’autres types de technologies
pour accéder aux informations et communiquer sur leurs réseaux sociaux
et ne s’engagent pas délibérément à l’égard des politiques institutionnelles
. Ces conclusions suggèrent que la
démarche que suit actuellement le secteur public en créant des sites
web à vocation civique à l’intention des jeunes en général n’est
pas efficace à l’égard de ces jeunes femmes.
61. Dans le domaine politique aussi, les conflits et les incivilités
dans le discours en ligne sont des aspects préoccupants auxquels
les jeunes s’exposent lorsqu’ils participent aux débats en ligne.
Plus les jeunes participent à des groupes d’intérêt en ligne, plus
ils sont exposés à des conflits, et plus grande est la probabilité qu’ils
reçoivent un commentaire agressif, ce qui n’est pas le cas avec
les groupes d’amis (où les jeunes sont plus susceptibles d’entretenir
une relation personnelle, dans la vie réelle, avec les membres d’un
groupe).
62. La civilité ou l’incivilité dans les discours en ligne peuvent
ainsi avoir une incidence sur le sens civique et le degré d’engagement
politique des jeunes. Si nous voulons que les échanges sur la politique
suscitent un engagement de la part des jeunes, nous devons gérer
les désaccords et éviter les propos agressifs dans les médias, pour
ne pas nuire à la confiance à l’égard de la politique et des institutions.
63. Bien que les jeunes ne soient pas tous désengagés à l’égard
de la politique, ils se sentent détachés et exclus, et regardent
d’un œil critique les politiques institutionnelles. Je reprends
ici la catégorisation de chercheurs qui ont établi quatre facteurs
dont dépendent la participation et la contribution des jeunes de
leur propre initiative: la technologie, la représentation publique,
l’éducation, le genre et le langage médiatiques
. Les
responsables politiques eux-mêmes ont un rôle à jouer pour remédier
au sentiment d’indifférence que les jeunes éprouvent à l’égard de
la politique; c’est notre responsabilité d’adapter le processus
de communication politique à l’aide des innovations dans les domaines
de la technologie, de la communication et de l’éducation. En Ukraine,
le Ministère de la Transformation numérique a lancé un cours éducatif
pour les jeunes intitulé «L'éducation aux médias en temps de pandémie»
impliquant divers jeunes faiseurs
d'opinion tels que des chanteurs et des blogueurs. Il s'agit d'un
exemple d'outil innovant d'éducation aux médias destiné à un public jeune,
que les médias de service public pourraient être encouragés à suivre.
64. Compte tenu du «désintérêt» préoccupant que ressentent les
jeunes à l’égard de l’information, la possibilité d’un engagement
politique démocratique et l’exposition à des informations politiques
fiables sur les plateformes traditionnelles et sur les nouvelles
plateformes est un défi important, comme le relevait la proposition
de résolution à l’origine du présent rapport. La consommation de
l’actualité via les agrégateurs d’informations en ligne, les médias
sociaux et les blogs, pose notamment la question de savoir qui doit surveiller,
et comment, l’écosystème informationnel pour lutter contre la mésinformation
et la désinformation. Ce sont les journalistes qui demeurent des
gardiens professionnels de l’information dans les systèmes informationnels
hybrides, à condition que des initiatives en matière de vérification
des faits pour lutter contre la mésinformation et la désinformation
soient par ailleurs financées.
65. Face à la formation de «chambres d’écho»
et aux risques liés à la progression
de la mésinformation et de la désinformation en ligne, des initiatives
en matière de vérification des faits ont vu le jour, y compris au niveau
européen
, pour contrecarrer l’impact d’informations
potentiellement préjudiciables et pour limiter la diffusion et l’impact
de la désinformation.
66. Par ailleurs, protéger la sécurité des groupes en ligne est
un objectif prioritaire. Cette démarche peut être mise en œuvre
parallèlement aux dispositions en vigueur de la directive européenne
révisée sur les services de médias audiovisuels. Tout comme pour
les contenus publicitaires ou pornographiques préjudiciables, les
plateformes des géants du numérique devraient agir rapidement (y
compris à l’aide d’algorithmes) pour supprimer les commentaires
potentiellement préjudiciables au débat politique.
3.3. La
jeunesse, le travail aspirationnel et les nouvelles asymétries du
pouvoir dans l’économie numérique
67. Les progrès du nouvel écosystème
médiatique numérique ont profondément modifié la création de contenu
et les habitudes et tendances générales en matière de consommation
des médias. La principale tendance est à l’augmentation du taux
de consommation des médias audiovisuels sur les plateformes de partage
de vidéos, les réseaux sociaux et les systèmes de messagerie instantanée.
Le temps passé en ligne inclut aussi la participation à des transactions
économiques rémunérées ou non, caractérisées par de la consommation
et de la production de contenu. Cela inclut l’expression créative
sur les réseaux sociaux, les jeux interactifs, la collaboration,
les blogs vidéo ou écrits, la photographie, la musique, le podcasting,
etc.
68. Les jeunes contribuent à modifier le paysage économique en
accomplissant un travail gratuitement dans l’espoir d’en être un
jour récompensés. Ce phénomène de «travail aspirationnel», appelé
aussi «hope labor» («travail
de l’espoir», ou «travail basé sur l’espoir»), pousse les jeunes
à travailler gratuitement, à prendre des risques, sans être rémunérés
ou en l’étant faiblement, et sans garantie de gains futurs. Le travail
aspirationnel, en tant que main-d’œuvre des médias numériques, est
d’autant plus problématique que les influenceurs promeuvent l’idée
que les possibilités sont illimitées dans l’environnement en ligne
et qu’il faut s’armer de patience en attendant de gagner de l’argent
avec le contenu produit.
69. L’écosystème numérique donne aux jeunes davantage de moyens
car il leur apporte des outils et des espaces pour agir en tant
que consommateurs et producteurs actifs et créatifs de culture.
Mais les plateformes monétisent les données, l’attention, la culture,
le travail et la créativité des jeunes pour générer des profits qu’elles
ne partagent pas équitablement. De nouvelles catégories de consommation
et de production voient le jour, mais leur rôle et leurs interactions
demeurent encore flous, notamment entre «prosommateurs» et «playbors»
.
L’écosystème des plateformes commerciales et non commerciales qui
offrent aux jeunes des occasions d’apprendre, de socialiser et de
jouer présente aussi des risques pour eux, notamment l’ingérence dans
la vie privée, l’exploitation du travail gratuit et la surveillance.
70. Par conséquent, l’avènement de nouveaux métiers numériques
tels que les «travailleurs de l’information» devrait susciter des
débats sur le rôle joué par les jeunes dans l’écosystème en réseau
de l’économie numérique. La transformation numérique peut amener
à créer des inégalités structurelles et à reproduire celles qui
existent déjà, par exemple des rapports de force déséquilibrés entre
plateformes et utilisateurs, une «fracture numérique» due à un accès
inégal aux technologies, un développement inégal des compétences
nécessaires pour s’épanouir en ligne, et le fait que les avantages
de l’usage des technologies diffèrent selon le statut socio-économique.
Les jeunes produisent des données personnelles et transactionnelles
en tant qu’utilisateurs, que des entreprises traitent ensuite comme
des marchandises – elles les vendent, les monétisent et/ou les transforment
en capital financier – sans pour autant offrir une compensation
équitable aux jeunes en contrepartie de leur produit.
71. Les États membres du Conseil de l’Europe pourraient et devraient
élaborer des stratégies pour encourager et permettre la participation
créative, saine et sûre des jeunes à la vie sociale active, notamment par
le biais des médias et avec leur aide, et lutter contre les risques
d’exploitation de ces jeunes «travailleurs aspirationnels». Il faudrait
développer des cadres réglementaires permettant de rectifier ces
«nouvelles asymétries du pouvoir», soit les rapports de force déséquilibrés
entre les jeunes et les plateformes commerciales à but lucratif
dont ils sont adeptes.
72. Ces stratégies pourraient passer par des programmes et des
cadres éducatifs pour mieux sensibiliser et mieux informer les jeunes
au sujet de l’économie numérique, dans laquelle ils produisent des
données en tant qu’utilisateurs qui sont ensuite commercialisées
et exploitées par les plateformes ayant des modèles économiques
à but lucratif.
73. A l’heure actuelle, les États membres ne suivent pas de démarche
uniforme au sujet des pratiques commerciales concernant les données,
la confidentialité des données, la surveillance et la publicité
ciblée. Il en va de même pour les conditions d’utilisation qui s’apparentent
à de la concurrence déloyale. Or, il convient précisément de développer
une démarche uniforme en ce qui concerne la vision économique de l’environnement
numérique chez les jeunes, en tenant compte de l’âge, des origines
ethniques, du genre, de l’éducation et du temps passé en ligne.
L’objectif général est de mieux comprendre le «travail aspirationnel» et,
s’il exploite véritablement les jeunes, de remédier à cette nouvelle
forme d’exploitation.
74. En raison de l’absence de paramètres clairs permettant d’évaluer
et de mesurer les diverses formes de création de valeur, le travail
créatif et affectif des jeunes sur les plateformes numériques est
invisible. Il convient donc de pallier ce manque de paramètres de
mesure. Une démarche analytique pourrait être mise en œuvre parallèlement
à des initiatives entrepreneuriales et réglementaires visant à soutenir
les jeunes qui participent à l’économie numérique ainsi qu’à la
consommation et à la production de contenus.
4. Conclusions
75. Mon rapport passe en revue
les principaux défis auxquels est confrontée la jeunesse en Europe
face aux médias, tout en gardant à l’esprit que l’environnement
numérique représente une source d’information et un potentiel d’échange
de connaissances inégalés jusqu’ici dans l’histoire de l’humanité.
Cette chance ne va pas sans risques pour les jeunes, ni sans responsabilité
pour les autorités publiques et les acteurs économiques du secteur.
76. De nombreux acteurs ont un rôle à jouer, à commencer par les
médias eux-mêmes: leur indépendance, leur professionnalisme de même
que leur adaptation aux changements technologiques sont des conditions préliminaires
à une information de qualité et à l’engagement citoyen des jeunes.
77. L’équilibre entre liberté et réglementation est aussi une
donnée fondamentale: l’Assemblée doit appeler à ce que les opérateurs
veillent à la protection des données et de la vie privée des jeunes,
comme l’a fait récemment l’Union européenne dans son paquet législatif
relatif aux services numériques adopté en 2022. La réglementation
concerne aussi les contenus illicites, notamment s’ils sont à caractère
pornographique, qui sont un véritable fléau pour les jeunes.
78. Enfin, nous devons nous assurer que le potentiel créatif des
jeunes dans l’environnement numérique ne soit ni entravé ni source
d’exploitation économique.
79. Les recommandations qui figurent dans le projet de résolution
visent à respecter cet équilibre entre autonomie et responsabilité.
Il est du devoir des États, des régulateurs, du monde de l’enseignement,
de la société civile et des plateformes privées de faire en sorte
que les jeunes d’aujourd’hui soient les adultes informés et responsables
de demain.