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Rapport | Doc. 15737 | 06 avril 2023

Le respect par Saint-Marin des obligations découlant de l’adhésion au Conseil de l’Europe

Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Corapporteur : M. Andrej HUNKO, Allemagne, GUE

Corapporteur : M. Joseph O'REILLY, Irlande, PPE/DC

Origine - Décision de la commission de suivi. Renvoi en commission: Renvoi no 4570 du 19 mars 2021. 2023 - Deuxième partie de session

Résumé

La commission de suivi fait le point sur le respect par Saint-Marin de ses obligations de membre du Conseil de l’Europe et sur le fonctionnement de ses institutions démocratiques et de l'État de droit. La commission rend hommage au système unique et solide d'institutions démocratiques et d'État de droit de Saint-Marin, qui est bien adapté à son héritage démocratique historique ainsi qu'aux particularités de son statut de micro-État.

En même temps, elle note que les particularités de ces structures gouvernementales uniques ont également suscité des inquiétudes quant à l'efficacité du système d'équilibre des pouvoirs dans le pays et à la vulnérabilité potentielle de ses institutions démocratiques et de ses représentants à la corruption et aux conflits d'intérêts.

Tout en saluant les réformes déjà mises en œuvre pour répondre à ces préoccupations, la commission formule un certain nombre de recommandations visant à renforcer le système d'équilibre des pouvoirs et la résilience des institutions démocratiques, notamment en améliorant les conditions de travail des membres du Grand Conseil général.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 21 mars
2023.

(open)
1. Saint-Marin est un micro-État, le plus ancien État souverain existant et la plus ancienne République constitutionnelle au monde, qui est devenu membre du Conseil de l’Europe en 1988. L’Assemblée rend hommage à son système unique et solide d’institutions démocratiques et d’État de droit, bien adapté à son héritage démocratique historique ainsi qu’aux particularités de son statut de micro-État. Si ces structures se sont constamment adaptées aux besoins d’une société en évolution, elles ont conservé leurs grandes caractéristiques : le pouvoir est collégial et réparti entre les citoyens, qui ne le détiennent que pour une durée limitée. L’Assemblée parlementaire constate de ce fait une très grande proximité entre les citoyens et leurs structures politiques et gouvernementales, et de même très peu de distance entre les différentes branches du pouvoir, souvent imbriquées les unes dans les autres.
2. L’Assemblée reconnaît que ces structures de gouvernance sans pareil, associées aux particularités de Saint-Marin en tant que micro-État, ont suscité des inquiétudes quant à l’efficacité du système d’équilibre des pouvoirs dans le pays et à la vulnérabilité potentielle des institutions démocratiques et de leurs représentants à la corruption et aux conflits d’intérêts. L’Assemblée se félicite par conséquent de la volonté politique manifeste actuelle de renforcer le fonctionnement et la résilience des institutions démocratiques garantes de l’État de droit et des nombreuses réformes mises en œuvre à cette fin. Si ces réformes ont offert à ces institutions un fondement solide pour fonctionner démocratiquement, l’Assemblée considère qu’une vigilance et une ouverture continues aux réformes doivent demeurer une priorité des autorités.
3. Pour conserver son indépendance en tant qu’État souverain dans un monde de plus en plus interconnecté et interdépendant, Saint-Marin est devenu un membre actif de la communauté internationale et a harmonisé ses institutions et son cadre juridique avec les normes et standards internationaux. L’Assemblée rend hommage à Saint-Marin pour l’action menée sans relâche afin que ses institutions démocratiques et son cadre juridique respectent les normes et standards internationaux, en particulier ses obligations en tant qu’État membre du Conseil de l’Europe.
4. Saint-Marin est une république parlementaire qui jouit d’un environnement politique multipartite, pluraliste et bien développé. Le Grand Conseil général, le Parlement saint-marinais, détenteur de la souveraineté du peuple, est au centre des institutions démocratiques et du système d’équilibre des pouvoirs du pays. Le Grand Conseil général est formellement un parlement à temps partiel, dont les membres ne perçoivent pas de salaire pour leur travail parlementaire et sont donc dépendants d’une activité accessoire. La charge de travail d’un membre du Grand Conseil général exige toutefois bien plus qu’un temps partiel. L’Assemblée constate avec préoccupation qu’aucune disposition juridique spécifique n’oblige les employeurs du secteur privé à accorder aux membres du Grand Conseil général les congés nécessaires à l’exercice de leurs activités parlementaires, avec maintien de salaire, pour compenser leur temps de travail. Afin de permettre aux membres travaillant dans les secteurs public et privé de participer sur un pied d’égalité aux travaux du Grand Conseil général, l’Assemblée recommande l’adoption de dispositions juridiques en ce sens.
5. L’Assemblée est préoccupée par le déséquilibre de l’égalité des pouvoirs entre le législatif et l’exécutif à Saint-Marin, d’où un pouvoir exécutif trop puissant qui, en pratique, gouverne par décrets au lieu d’attendre que le Grand Conseil général oriente les politiques et prenne l’initiative législative. S’il est vrai que l’amélioration recommandée des conditions de travail des membres du Grand Conseil général contribuerait, dans une certaine mesure, à atténuer ce problème, il faudrait aussi examiner cette question sur un plan plus systémique dans le contexte de futures réformes institutionnelles.
6. L’Assemblée a conscience des avantages démocratiques de la proximité et de liens humains forts entre l’exécutif, les élus et les citoyens de Saint-Marin et s’en félicite. Dans le même temps, elle s’inquiète des effets de cette proximité sur le fonctionnement du système d’équilibre des pouvoirs et de la vulnérabilité des institutions démocratiques et de leurs représentants à la corruption et aux conflits d’intérêts potentiels. L’Assemblée se félicite des réformes qui ont été mises en œuvre en vue de remédier à ces vulnérabilités dans les domaines législatif et judiciaire, conformément aux recommandations du Groupe d’États contre la corruption (GRECO). Dans ce contexte, l’Assemblée:
6.1. se félicite de l’adoption par le Grand Conseil général d’un Code de déontologie à l’intention de ses membres et invite instamment le Conseil à veiller à ce que ce code soit régulièrement mis à jour et adapté aux nouvelles évolutions;
6.2. recommande aux autorités d’adopter la législation nécessaire pour permettre aux citoyens saint‑marinais de signaler formellement aux autorités les incohérences dans les déclarations d’intérêts des membres du Grand Conseil général qui sont publiées sur le site internet de ce dernier;
6.3. recommande au Grand Conseil général de prévoir des sanctions pour les cas les plus graves d’atteintes au Code de déontologie ou d’omissions ou d’incohérences délibérées dans les déclarations d’intérêts de ses membres;
6.4. recommande au GRECO d’envisager de lancer, dès que possible, son évaluation de Saint-Marin dans le cadre de son cinquième cycle d’évaluation sur la “Prévention de la corruption et la promotion de l’intégrité au sein des gouvernements centraux (hautes fonctions de l’exécutif) et des services répressifs” et appelle les autorités de Saint-Marin à donner rapidement et pleinement suite à toutes les recommandations et préoccupations qui pourraient découler de cette évaluation.
7. L’Assemblée se félicite de la mise en œuvre récente de réformes profondes de la justice en vue d’en renforcer l’indépendance et la résistance aux ingérences extérieures. Elle accueille avec satisfaction les conclusions formulées par le GRECO dans son rapport de conformité, selon lesquelles ces réformes prennent en considération la quasi-totalité des recommandations figurant dans son rapport d’évaluation concernant Saint-Marin dans le cadre de son quatrième cycle d’évaluation sur la “Prévention de la corruption des parlementaires, juges et procureurs”. L’Assemblée invite les autorités à s’assurer régulièrement de l’indépendance et de l’efficacité de la justice et à adopter, si nécessaire, de nouvelles réformes pour les garantir pleinement. Afin d’améliorer davantage l’efficacité et l’impartialité de la justice, l’Assemblée suggère aux autorités d’étudier la possibilité de mettre en place un procureur général.
8. Saint-Marin dispose, depuis toujours, d’un solide cadre institutionnel et juridique de protection des droits humains fondamentaux. Il ne faudrait cependant pas relâcher la vigilance, d’autant que, dans un certain nombre de cas, le cadre juridique de la protection des droits humains est en retard sur l’évolution actuelle et l’acceptation des droits dans la société saint-marinaise. Dans ce contexte, l’Assemblée:
8.1. appelle le Grand Conseil général à adopter la législation pertinente pour permettre à toutes les confessions religieuses de s’enregistrer, en ayant les mêmes droits, en tant qu’organisations religieuses à Saint-Marin;
8.2. demande au Grand Conseil général de réduire à cinq ans la durée de résidence exigée des résidents étrangers pour que ceux-ci puissent participer aux élections locales, conformément aux normes européennes;
8.3. recommande aux autorités de créer un organe indépendant spécialisé dans la lutte contre le racisme et la discrimination, conformément aux Principes de Paris, et de le doter de ressources suffisantes pour qu’il puisse accomplir convenablement sa mission;
8.4. recommande aux autorités d’assurer la collecte de données statistiques concernant des questions de société importantes telles que les minorités, la discrimination et l’intolérance ainsi que les droits des femmes, afin d’orienter l’élaboration de politiques dans ces domaines;
8.5. invite les autorités, compte tenu de leur dépendance vis-à-vis des organisations de la société civile et des initiatives citoyennes pour la mise en œuvre de politiques de protection des droits humains et de politiques sociales, à garantir à ces organisations un accès adéquat au financement et aux ressources nécessaires à l’accomplissement de leurs tâches.
9. L’Assemblée se félicite de la diversité et du pluralisme des médias à Saint-Marin. Dans le même temps, elle s’inquiète de la rigueur des lois sur la protection de la vie privée et de la pénalisation de la diffamation qui entravent l’accès aux informations publiques, ce qui pourrait pousser les journalistes à s’autocensurer. L’Assemblée appelle donc les autorités:
9.1. à dépénaliser la diffamation conformément aux normes européennes;
9.2. à modifier la législation applicable afin d’assurer la véritable indépendance de l’Autorité des médias;
9.3. à garantir, en droit et en pratique, le libre accès des journalistes et des citoyens saint‑marinais aux informations publiques.
10. L’Assemblée félicite Saint-Marin pour son large et impressionnant éventail de mécanismes de consultation institutionnels et d’instruments de démocratie directe. Dans le même temps, elle fait part de ses inquiétudes face aux nombreuses informations selon lesquelles ces mécanismes de consultation ne sont pas toujours utilisés comme prévu par la loi, ou leurs résultats ne sont pas pris en considération ou ne se concrétisent pas. Compte tenu de l’importance de ces instruments pour le fonctionnement des institutions démocratiques à Saint-Marin, l’Assemblée invite instamment les autorités à continuer à garantir, et au besoin à renforcer, l’efficacité des différents mécanismes de consultation et instruments de démocratie directe.

B. Exposé des motifs par M. Andrej Hunko et M. Joseph O’Reilly, corapporteurs

(open)

1. Introduction

1. Conformément à son mandat défini dans la Résolution 1115 (1997) (telle que modifiée), la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi) est saisie pour procéder à des examens périodiques réguliers du respect des obligations contractées lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe par les États membres qui ne font pas déjà l’objet d’une procédure de suivi complet ou qui ne sont pas engagés dans un dialogue postsuivi. Depuis l’adoption de la Résolution 2261 (2019), les rapports d’examen périodique sont soumis pour débat de manière indépendante, accompagnés de résolutions spécifiques à chaque pays. En ce qui concerne l’ordre et la fréquence des examens périodiques, la commission de suivi opère une sélection des pays motivée par des raisons de fond, selon ses méthodes de travail internes, dans l’objectif de consacrer, au fil du temps, des examens périodiques à tous les États membres.
2. Le 3 février 2021, la commission de suivi a sélectionné, pour cet examen périodique, le deuxième groupe de pays : France, Pays-Bas et Saint-Marin. Le 19 mars 2021, l’Assemblée a ratifié cette sélection et le 19 avril 2021, MM. Andrej Hunko (Allemagne, GUE) et Viorel-Riceard Badea (Roumanie, PPE/DC) ont été nommés rapporteurs pour Saint-Marin. La visite d’information à Saint-Marin, élément essentiel de la préparation de ce rapport, s’est déroulée du 24 au 26 octobre 2022. Nous tenons à remercier le Grand Conseil général de Saint-Marin et sa délégation auprès de notre Assemblée pour la qualité du programme, leur accueil et pour le soutien apporté à cette visite 
			(2) 
			La déclaration publiée
à la fin de la visite est consultable ici: https://pace.coe.int/fr/news/8877/pace-rapporteurs-welcome-the-reforms-to-strengthen-the-independence-of-the-judiciary-and-the-system-of-checks-and-balances-in-san-marino.. Outre cette visite, nous avons eu des échanges de vues avec les membres de la délégation saint-marinaise ainsi qu’avec le Secrétaire exécutif et les membres du Secrétariat du Groupe d’États contre la corruption (GRECO). Le 26 janvier 2023, la commission a désigné M. Joseph O’Reilly (Irlande, PPE/DC) en remplacement de M. Viorel-Riceard Badea (Roumanie, PPE/DC) qui a quitté l’Assemblée.
3. Saint-Marin est devenu membre du Conseil de l’Europe le 16 novembre 1988. Saint-Marin est un micro‑État, considéré comme le plus ancien État souverain existant et la plus ancienne République constitutionnelle au monde. C’est le troisième plus petit pays d’Europe après le Vatican et Monaco et le cinquième plus petit pays du monde 
			(3) 
			En superficie..
4. Aux débuts de la chrétienté, le fondateur du pays, Sanctus Marinus, s’installa sur son actuel territoire avec un groupe d’adeptes pour fuir la persécution. Son indépendance historique aux puissances étrangères 
			(4) 
			La
devise officielle du pays, inscrite sur ses armoiries, est Libertas (liberté). Elle évoque
non seulement son indépendance de longue date et son passé de territoire
refuge contre les persécutions politiques et religieuses, mais aussi,
semble-t-il, les dernières paroles qu’aurait prononcées Saint-Marin,
fondateur du pays : «Relinquo vos liberos
ab utroque homine» («Je vous laisse libres de l’un et
de l’autre homme»), qui seraient une allusion à la figure du pape
et à celle du roi. et l’autonomie des citoyens forment une part importante de l’identité nationale saint-marinaise et se reflètent dans son mode de gouvernement unique, inspiré des structures de la République romaine. Bien que ces structures se soient adaptées aux besoins d’une société en évolution, elles ont conservé leurs grandes caractéristiques : le pouvoir est collégial et réparti entre les citoyens, qui ne le détiennent que pour une durée limitée. Autre aspect important pour la définition des structures institutionnelles du pays, il s’agit comme nous l’avons déjà mentionné d’un micro-État, d’une superficie de 62 km2 et qui compte aujourd’hui 34 000 habitants 
			(5) 
			Saint-Marin compte
en outre une diaspora non négligeable : quelque 13 000 personnes,
soit environ un quart de sa population., dont quelque 4 800 sont étrangers. Par conséquent, les citoyens sont très proches des structures politiques et de gouvernement ; de même, il y a très peu de distance entre les différentes branches du pouvoir, souvent imbriquées les unes dans les autres.
5. Pour conserver son indépendance dans un monde de plus en plus interconnecté, Saint-Marin a entrepris, dans la seconde moitié du siècle dernier, de moderniser sa société et ses structures institutionnelles, ce qui a accru son intégration à la communauté internationale et l’harmonisation de ses institutions avec les normes et standards internationaux. Saint-Marin a rejoint le Conseil de l’Europe en 1988, comme déjà évoqué, et l’ONU en 1992. Cette même année, le pays a également intégré le Fonds Monétaire International, puis la Banque mondiale, en 2000. Sa politique étrangère repose sur ce que le secrétaire d’État aux Affaires étrangères de Saint-Marin nous a décrit comme « une neutralité active, qui ne prévoit pas d’alignement sur certains pays mais des positions claires sur les principes du droit international ». C’est cet ancrage dans les principes du droit international qui a permis au pays, par exemple, de se joindre aux sanctions contre la Fédération de Russie pour son agression contre l’Ukraine, sans s’aligner sur des regroupements ou des intérêts régionaux.
6. En tant que pays enclavé à l’intérieur de l’Italie, Saint-Marin entretient des relations spéciales avec les systèmes monétaire et douanier de l’Union européenne. En 1991, un accord de coopération et d’union douanière a été signé entre la Communauté économique européenne et Saint-Marin. La loi no 124 du 16 décembre 1998 a réglementé le passage de la lire à l’euro. En outre, l’accord monétaire entre la République de Saint-Marin et la République italienne au nom de la Communauté européenne a été signé le 29 novembre 2000 et ratifié par le décret no 19 du 8 février 2001. L’Union européenne et les trois micro-États européens (Saint-Marin, Andorre et Monaco) œuvrent à renforcer leur coopération et leur intégration, pour le moment sur la base d’un accord d’association multilatéral, car l’adhésion à l’Union européenne n’est actuellement pas envisagée pour ces micro-États. Malgré cette étroite coopération, Saint-Marin n’a pas été invité à prendre part à la Communauté politique européenne, qui a tenu son Sommet fondateur les 23-24 juin 2022 à Prague. Nous espérons que cela sera rectifié lors des futures activités et réunions de la Communauté politique européenne.
7. La modernisation et l’intégration internationale croissante de Saint-Marin ont suscité des interrogations sur le fonctionnement du système d’équilibre et de séparation des pouvoirs dans le pays, en particulier concernant l’indépendance de la justice. L’attention s’est aussi de plus en plus portée, dans le contexte particulier lié à la taille du pays, sur la vulnérabilité potentielle des institutions et de leurs représentants aux conflits d’intérêts et à la corruption. Cela a conduit à d’importantes réformes institutionnelles sur lesquelles nous reviendrons au chapitre suivant, consacré aux institutions démocratiques. Les problèmes de vulnérabilité des institutions du pays aux conflits d’intérêts et à la corruption, ainsi que d’indépendance de la justice, ont été mis en lumière par le scandale dit du “comte Mazzini” ou Sammarinese Tangentopoli, en 2017 
			(6) 
			En 2017, le pays a
été secoué par le scandale du «Conto Mazzini» ou SammarineseTangentopoli,
lors duquel plusieurs responsables politiques et magistrats de haut
rang ont été jugés coupables et condamnés à de lourdes peines de
prison. La plupart des condamnations ont été annulées en appel le
5 mars 2022, principalement au motif que les actes présumés avaient
été commis avant l’entrée en vigueur de la législation de 2013 qui
érige en infractions pénales la corruption et le blanchiment d’argent.
Voir aussi <a href='https://www.libertas.sm/san-marino-processo-conto-mazzini-la-sentenza-di-secondo-grado-o-appello-condannati-e-assolti/'>Libertas</a> (5 mars 2022)., et surtout par les conclusions du rapport d’évaluation établi en 2019 par le GRECO dans le cadre de son Quatrième cycle d’évaluation – prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs 
			(7) 
			<a href='https://rm.coe.int/quatrieme-cycle-d-evaluation-prevention-de-la-corruption-des-parlement/16809fbae4'>GrecoEval4Rep(2019)1</a>.. Ces conclusions du GRECO, en particulier, ont été décrites par nos interlocuteurs comme une douche froide, et ont suscité une profonde réforme des structures judiciaires – sur laquelle nous reviendrons plus loin. Ces événements sont apparus à un moment d’assez vives tensions au sein du système judiciaire et du monde politique, tensions qui ont attiré l’attention de la communauté internationale et ont été mentionnés comme l’un des motifs de fond pour sélectionner Saint-Marin en vue d’un examen périodique par la commission. Le fonctionnement du système d’équilibre des pouvoirs, ainsi que l’indépendance de la justice et la potentielle vulnérabilité de l’État de droit et des institutions démocratiques de Saint-Marin aux conflits d’intérêts et à la corruption, formeront donc les axes essentiels du présent rapport.

2. Institutions démocratiques

8. Comme déjà évoqué, la République de Saint-Marin est largement considérée comme la plus ancienne république existante au monde 
			(8) 
			Saint-Marin
n’est officiellement devenue une république qu’au XVe siècle., puisqu’elle fut fondée en 301 apr. J.-C. Son régime est hérité des structures de la République romaine. À la tête du pays, tous les chefs des familles qui composaient Saint-Marin siégeaient en un conseil, l’Arengo, inspiré du Sénat de la Rome antique. Comme cela se pratiquait en République romaine, l’Arengo nommait les plus hauts représentants de l’État, à savoir deux consuls (qui prendraient plus tard le nom de capitaines-régents), gouvernant de façon collégiale et pour une durée limitée. Bien que ces structures institutionnelles aient été adaptées et actualisées au fil du temps, deux principes importants n’ont jamais disparu. Premièrement, les pouvoirs ne sont pas concentrés entre les mains d’une seule personne. Le régime est collégial, sans direction centralisée – le pays n’a ni président du parlement, ni Premier ministre – et la fonction de chef d’État est partagée entre deux capitaines-régents, garants du respect de la Constitution. Deuxièmement, la durée des mandats exécutifs est limitée et leurs détenteurs rendent directement compte aux citoyens, qui prennent part aux affaires du pays (voir aussi plus loin, le chapitre sur la démocratie directe).
9. Les premiers Statuts de Saint-Marin, également sources de droit constitutionnel, remontent à 1263. La Constitution actuelle date de 1600 et c’est toujours sur elle que se fonde le cadre constitutionnel du pays. En outre, une Déclaration des droits des citoyens et des principes fondamentaux de l’ordre constitutionnel de Saint-Marin («Déclaration des droits des citoyens») a été adoptée en 1974 et modifiée par la loi no 95 du 19 septembre 2000, la loi no 36 du 26 février 2002, la loi constitutionnelle no 61 du 28 avril 2005, la loi no 182 du 14 décembre 2005 portant modification de la Constitution, la loi constitutionnelle no 1 du 22 juillet 2011 et la loi no 1 du 28 mars 2019 portant modification de la Constitution, formant avec la Constitution de 1600 le cadre constitutionnel de Saint‑Marin. La Déclaration des droits des citoyens ne peut être modifiée par le Grand Conseil général qu’à une majorité des deux tiers. Si elles sont approuvées à la majorité absolue, les lois portant modification de la Constitution sont soumises à référendum pour confirmation dans les 90 jours suivant leur approbation.

2.1. Le Grand Conseil général

10. Le Grand Conseil général est le Parlement de Saint-Marin. Au début du XIIIe siècle, une nouvelle institution – déjà nommée Grand Conseil général – a repris la plupart des prérogatives de l’Arengo. Ce Conseil se composait de 60 membres, initialement élus par l’Arengo. Les Statuts du pays, adoptés en 1600, autorisaient le Grand Conseil général à nommer ses membres par cooptation, entraînant l’affaiblissement de l’Arengo et une concentration des pouvoirs entre les mains des riches familles qui contrôlaient le Conseil. Cette situation perdura jusqu’en 1906, date à laquelle l’Arengo fut à nouveau convoqué et le système de cooptation aboli. Depuis, le Grand Conseil général est élu au suffrage universel.
11. Les Statuts et la Déclaration des droits des citoyens définissent Saint-Marin comme une République parlementaire : la souveraineté réside dans le peuple qui l’exerce à travers le Grand Conseil général, élu par une procédure démocratique représentative. Le Grand Conseil général est un organe législatif monocaméral qui, entre autres, est investi du pouvoir législatif, dirige la politique nationale, contrôle l’exécutif, élit les capitaines-régents et nomme les membres du Congrès d’État et approuve le budget annuel.
12. Le Grand Conseil général actuel se compose de 60 membres élus tous les cinq ans au suffrage universel, selon un système proportionnel à deux tours avec vote préférentiel, dans une circonscription unique couvrant tout le pays 
			(9) 
			Dans
ce système, les électeurs choisissent directement trois candidats
sur une liste unique de candidats. Les candidats de cette liste
ayant remporté le plus de suffrages sont élus. Le nombre de sièges
par liste de parti est fixé de manière proportionnelle, selon la
méthode D’Hondt.. Les candidats sont inscrits sur une liste de parti. La liste ou la coalition de listes qui obtient la majorité absolue au premier ou au second tour reçoit au minimum 35 sièges. Un seuil de 5 % s’applique lors de la répartition des sièges. Si aucune liste ou coalition de listes n’obtient le nombre minimal de voix valables pour remporter les élections, les capitaines-régents accordent à la liste ou à la coalition de listes qui a obtenu la majorité relative des voix un mandat de 15 jours pour former la majorité par voie d’accord avec d’autres listes ou coalitions de listes sur la base des déclarations, formulées pour la phase de négociation, déjà déposées lors de la candidature aux élections. L’accord résultant de la négociation doit déboucher sur une majorité d’au moins 35 sièges. En cas d’échec du mandat – c’est-à-dire si aucun accord ne peut être trouvé avec les listes qui, collectivement, ont au moins 35 sièges – les capitaines-régents confient un nouveau mandat à la liste ou à la coalition de listes arrivée en deuxième position au premier tour des élections. En cas de nouvel échec, les capitaines-régents demandent un second tour de scrutin opposant les deux listes ou les coalitions de listes ayant obtenu le plus grand nombre de voix au premier tour.
13. Les membres du Grand Conseil général doivent être de nationalité saint-marinaise, âgés d’au moins 21 ans, et avoir leur domicile dans la République. Ils doivent en outre présenter un casier judiciaire vierge et ne peuvent pas être magistrats ni appartenir au corps militaire professionnel ou au corps diplomatique et consulaire. D’après les dispositions juridiques, la liste présentée à chaque scrutin ne peut se composer de plus de deux tiers de candidats du même sexe.
14. Il n’y a pas de président du parlement. Le Grand Conseil général est présidé conjointement par les capitaines-régents, qui n’ont pas le droit de vote. Le calendrier parlementaire est préparé par les capitaines‑régents au début de leur mandat de six mois. Ils établissent aussi l’ordre du jour des réunions du Grand Conseil général, en consultation avec le Bureau de ce dernier.
15. Malgré sa petite taille, Saint-Marin jouit d’un environnement politique multipartite, pluraliste et bien développé. Les élections législatives les plus récentes ont eu lieu le 8 décembre 2019. La majorité gouvernementale était composée de la liste du Parti chrétien-démocrate de Saint-Marin (PCDS), de la coalition Domani in Movimento (Demain en mouvement) et de la liste Noi per la Repubblica (Nous pour la République). La coalition Domani in Movimento réunit le mouvement RETE et le parti Domani-Motus Liberi. La liste Noi per la Repubblica réunit le Parti socialiste (PS), le Parti social-démocrate (PSD), le Movimento Democratico San Marino Insieme (Mouvement démocratique Saint-Marin Ensemble) et Noi Sammarinesi (Nous, les Saint-Marinais). L’opposition se compose de deux listes, Republica Futura (République future – RF) et Libera (Saint-Marin libre). La majorité au pouvoir disposait initialement de 44 sièges au Grand Conseil général, l’opposition de 16. À la suite de changements politiques internes au sein des groupes, la composition de ces derniers a évolué au fil du temps et était, en octobre 2022, la suivante: Parti chrétien-démocrate de Saint-Marin (21 membres); mouvement RETE (9 membres); Domani Motus Liberi (4 membres); Noi per la Repubblica (6 membres); Libera (10 membres); Repubblica Futura (6 membres); et un Groupe mixte 
			(10) 
			Le groupe mixte est
composé d’office des membres du Grand Conseil général qui n’ont
pas déclaré à quel groupe parlementaire ils entendent appartenir,
ainsi que de ceux qui, au cours de la législature, ont déclaré être
autonomes par rapport à leur groupe sans en former un nouveau ni
adhérer à un groupe existant. Le groupe mixte peut être composé d’un
nombre quelconque de membres du Grand Conseil général. (4 membres, 3 membres de la majorité et 1 membre de l’opposition). Dans le contexte saint-marinais, il est difficile qu’un parti remporte à lui seul la majorité absolue ; la plupart du temps, le gouvernement est un gouvernement de coalition, composé de plusieurs blocs ou partis.
16. Les partis politiques sont principalement financés par des fonds publics : l’État leur verse une subvention annuelle calculée en fonction de leur nombre de sièges au Grand Conseil général. Ils peuvent aussi recevoir des fonds privés. Les données relatives aux personnes et entités dont les cotisations annuelles dépassent 3 000 euros doivent être consignées dans le bilan du parti qui est publié sur le site internet du Grand Conseil général. Les cotisations privées ne sont pas plafonnées, ce qui pourrait rendre les partis vulnérables à la corruption et aux conflits d’intérêts. Il convient de remédier à cette situation.
17. Le Grand Conseil général est un parlement à temps partiel dont les membres ne perçoivent pas de salaire pour leurs travaux parlementaires bien qu’un petit jeton de présence leur soit accordé pour leur participation aux réunions du Grand Conseil général et des commissions dont ils sont membres 
			(11) 
			En plus d’une allocation
mensuelle symbolique.. Ils doivent donc travailler dans le secteur public ou privé pour gagner leur vie. Malgré cette situation officielle, cependant, la charge de travail du Grand Conseil général et la disponibilité attendue de ses membres exigent bien plus qu’un temps partiel (presque un temps complet).
18. D’après son Règlement, le Grand Conseil général se réunit au moins une fois par mois 
			(12) 
			Avec
possibilité de vacances parlementaires en août.. Les sessions peuvent compter une ou plusieurs séances et peuvent durer plusieurs jours (pas nécessairement consécutifs). Les capitaines-régents, dans le cadre du Bureau du Grand Conseil général, fixent la date et la durée des séances sur la base du calendrier ordinaire, qu’ils ont élaboré au début de leur mandat de six mois. En cas d’urgence ou de nécessité, après consultation du Bureau du Grand Conseil général, les capitaines-régents peuvent convoquer une session non prévue par le calendrier ordinaire. Concrètement, le Grand Conseil général tient en moyenne une, voire deux séances plénières par mois et chaque session dure entre cinq et sept jours. Les séances plénières durent généralement toute la journée et se poursuivent assez souvent en soirée. Le Grand Conseil général compte en outre quatre commissions permanentes 
			(13) 
			Les commissions parlementaires
permanentes ont les attributions suivantes : 1) Affaires constitutionnelles
et institutionnelles, Administration publique, Affaires intérieures,
Protection civile, Relations avec les conseils locaux ; Justice ;
Éducation, Culture, Biens culturels, Université et Recherche scientifique.
2) Affaires étrangères, Émigration et immigration, Sécurité et ordre
public, Information. 3) Finances, Budget et planification, Artisanat,
Industrie, Commerce, Tourisme, Services, Transports et Télécommunications,
Travail et Coopération. 4) Hygiène et Santé, Pensions et Sécurité sociale,
Politiques sociales et Sports, Politiques territoriales, Environnement
et Agriculture. comprenant chacune 18 membres, qui se réunissent plusieurs fois par mois, pour des sessions d’une journée (souvent un après‑midi et une soirée) ainsi que d’autres commissions parlementaires 
			(14) 
			Il
s’agit notamment de la commission parlementaire sur le phénomène
de l’infiltration du crime organisé, de la commission des politiques
territoriales et de la Commission parlementaire de la justice..
19. Bien que les membres du Grand Conseil général employés du secteur public obtiennent généralement sans problème des congés pour pouvoir remplir leurs obligations parlementaires sans perte de salaire, nous avons été informés qu’il n’en allait pas de même pour ceux du secteur privé (salariés ou travailleurs indépendants), qui ont souvent de grandes difficultés à concilier leurs fonctions professionnelles et parlementaires. Pire, nous avons aussi appris qu’aucune disposition juridique n’obligeait les employeurs à accorder aux membres du Grand Conseil général les congés nécessaires à l’exercice de leurs activités parlementaires, avec maintien de salaire, pour compenser leur temps de travail. Afin de permettre à tous les membres de participer sur un pied d’égalité aux travaux du Grand Conseil général, nous préconisons l’adoption de dispositions juridiques en ce sens. Naturellement, les travaux parlementaires des membres du Grand Conseil général ne consistent pas seulement à participer aux sessions, mais aussi à effectuer des recherches et à préparer les débats. Dans ce contexte, le fait que le pouvoir exécutif soit exercé par des responsables politiques à plein temps et rémunérés tandis que les députés du Grand Conseil général, devant lequel l’exécutif est responsable, travaillent bénévolement et à temps partiel conduit à s’interroger sur l’«égalité des armes» entre pouvoirs exécutif et législatif. Selon nous, il conviendrait d’étudier la possibilité d’intégrer le temps de préparation et de recherche aux dispositions juridiques susmentionnées.
20. Le nombre relativement élevé de membres du Grand Conseil général (environ un représentant pour 500 habitants) crée naturellement un lien fort et étroit entre les représentants et l’électorat. Dans le même temps, il expose les députés aux pressions de petits groupes d’intérêts et à d’éventuels conflits d’intérêts. Le Grand Conseil général s’est penché sur cette question à la suite du rapport d’évaluation de quatrième cycle du GRECO ; nous y reviendrons plus en détail au chapitre suivant. Quoi qu’il en soit, cette vulnérabilité devrait faire l’objet d’une vigilance constante de la part des forces politiques de Saint-Marin.

2.2. Les Capitani Reggenti (capitaines-régents)

21. La République parlementaire de Saint-Marin est un duumvirat, ou dyarchie: deux capitaines-régents exercent ensemble les fonctions de chef d’État et de gouvernement 
			(15) 
			À notre connaissance,
ce système très particulier n’existe qu’à Saint-Marin, en Andorre
et au Royaume d’Eswatini, chaque fois dans le cadre d’une architecture
institutionnelle complètement différente.. Les capitaines-régents sont les garants de l’ordre constitutionnel du pays et supervisent le fonctionnement des pouvoirs publics et des institutions de l’État et la conformité de leurs activités avec la législation en vigueur. Dans ce contexte, ils promulguent tous les textes ayant force de loi et les règlements adoptés par le Grand Conseil général et le Congrès d’État et peuvent publier des décrets non-réglementaires sur des questions relevant de leur compétence. Les décrets des capitaines-régents doivent être contresignés par le secrétaire d’État aux Affaires intérieures. Les capitaines-régents peuvent renvoyer une loi devant le parlement pour examen s’ils jugent qu’elle ne respecte pas les principes énoncés dans la Déclaration des droits des citoyens. Ils peuvent convoquer et présider ensemble le Grand Conseil général et coordonnent les réunions du Congrès d’État (sans droit de vote). Ils président aussi le Conseil de la magistrature et le Conseil des XII ainsi que le Conseil des présidents des conseils locaux et fixent la date des élections.
22. Les capitaines-régents peuvent adopter des décrets de la Régence à caractère réglementaire. Ils coordonnent les procédures de formation du gouvernement et assurent une médiation entre les partis politiques pour déterminer la possibilité de former une nouvelle coalition gouvernementale. De plus, ils sont les destinataires officiels des pétitions populaires (Istanze d’Arengo) et des initiatives législatives populaires ainsi que des demandes de référendums dont ils fixent la date.
23. Les capitaines-régents prennent leurs fonctions le 1er avril et le 1er octobre de chaque année et sont élus par les membres du Grand Conseil général, à la majorité absolue et au scrutin secret, pour un mandat de six mois. Les capitaines-régents ne sont pas remplacés au Grand Conseil général pendant leur mandat, ce qui signifie que pour cette durée, leur parti perd une voix au Conseil. Avec une majorité très serrée, il est arrivé qu’un capitaine-régent soit membre de la majorité au pouvoir et l’autre de l’opposition, mais le plus souvent, ce sont deux membres de la majorité au pouvoir qui sont élus.
24. Le rôle central des capitaines-régents et le fait qu’ils président la plupart des institutions de l’État, même sans droit de vote, soulèvent naturellement des questions sur l’efficacité du système d’équilibre des pouvoirs à Saint-Marin. La qualité de micro-État de Saint-Marin vient aggraver cette situation. Beaucoup des réformes constitutionnelles menées dans le pays visaient donc à s’assurer que le système de gouvernement unique de Saint-Marin reste compatible avec les normes européennes en matière de responsabilité démocratique et d’équilibre effectif des pouvoirs. Ce point a figuré et continue de figurer parmi les priorités des gouvernements successifs de Saint-Marin, ce qu’il convient de saluer.
25. Le rôle central des capitaines-régents dans le régime de gouvernance du pays pose aussi la question de leur exposition aux pressions et aux conflits d’intérêts 
			(16) 
			De
l’avis des autorités saint-marinaises, ce risque est largement atténué
par la brièveté de leur mandat et par le fait qu’ils forment un
organe collégial où chaque capitaine-régent peut opposer son veto
à l’autre. . Ce sujet compte parmi ceux abordés par le GRECO dans son cinquième cycle d’évaluation, et les préoccupations et recommandations éventuelles du GRECO concernant Saint-Marin à cet égard devraient être traitées en priorité. Nous relevons, cependant, que des mesures spécifiques ont déjà été adoptées par le passé pour régler ce problème. Outre leur obligation de rendre des comptes (voir plus loin), les capitaines-régents ne peuvent pas, pendant la durée de leur mandat, exercer d’autres fonctions ni aucun autre art ni aucune profession et ne sont pas autorisés à se trouver seuls : ils sont accompagnés à tout moment par un agent de l’État et n’ont le droit ni de conduire eux-mêmes une voiture ou tout autre véhicule de transport, ni de manier de l’argent, y compris pour leurs dépenses privées.
26. Les capitaines-régents répondent de leurs actes devant les citoyens de Saint-Marin. Bien qu’ils jouissent d’une immunité absolue pendant leur mandat, tout citoyen inscrit sur la liste électorale peut, dans les 15 jours suivant la fin de leur mandat, dénoncer les actions ou les omissions d’un capitaine-régent au cours de son mandat de six mois 
			(17) 
			Cette
procédure est appelée « syndicat de la Régence » (Sindacato della Reggenza).. Ces plaintes sont examinées et tranchées, sans préjudice des éventuelles responsabilités pénales et civiles à établir par les tribunaux ordinaires à la fin du mandat, par le Collège de contrôle de la constitutionnalité, de fait la Cour constitutionnelle de Saint-Marin. Si une plainte est jugée fondée, le Collège peut prononcer un blâme, imposer des amendes ou prononcer la privation des les droits politiques et civils; nos interlocuteurs considèrent en particulier que, dans une communauté aussi soudée que la société saint‑marinaise, même le blâme a un fort pouvoir dissuasif.

2.3. Le Congrès d’État

27. Le Congrès d’État est l’organe exécutif (gouvernement) de Saint-Marin. Conformément aux dispositions légales, le Congrès d’État se compose au maximum de 10 secrétaires d’État (ministres). Il en compte actuellement 10, en charge d’un nombre égal de ministères 
			(18) 
			1.
Affaires extérieures, Coopération économique internationale et Télécommunications,
2. Affaires intérieures, secteur public, affaires institutionnelles
et relations avec les conseils locaux; 3. Finances et budget et
transports; 4. Éducation et culture, recherche universitaire et
scientifique et politiques de jeunesse; 5. Santé et sécurité sociale, prévoyance
et assistance sociale, affaires politiques, égalité des chances
et innovation technologique; 6. Territoire et environnement, agriculture,
protection civile et relations avec l’Office national autonome des
travaux publics; 7. Travail, planification économique, sport, information
et relations avec la compagnie nationale autonome de services publics; 8. Industrie,
artisanat et commerce, recherche technologique et simplification
de la réglementation; 9. Justice et famille; 10. Tourisme, poste,
coopération et exposition.. Les secrétaires d’État sont élus par les membres du Grand Conseil général. Les candidats membres du Grand Conseil général sont élus à la majorité absolue. Des citoyens de Saint-Marin non-membres du Grand Conseil général peuvent être nommés secrétaires d’État à la majorité des deux tiers, à condition de ne pas représenter plus d’un tiers du Congrès d’État. Depuis les réformes de 2005, le mandat de secrétaire d’État ne peut excéder 10 années, après quoi ils ne peuvent être renommés au Congrès d'État que 10 ans après la fin de leur dernière mission. Le Congrès d’État peut démissionner à la majorité des membres de son propre chef ou doit démissionner si une motion de censure est approuvée par le Grand Conseil général.
28. Le Congrès d’État détermine et met en œuvre la politique générale du gouvernement et dirige l’administration publique. Il peut aussi présenter, pour adoption, des projets de loi au Grand Conseil général. En outre, il rédige les propositions de budget (qui prennent la forme d’un projet de loi) et les soumet au Grand Conseil général. Le Congrès d’État peut adopter des décrets, qui ont force de loi, mais doivent être ratifiés par le Grand Conseil général dans les trois mois.
29. Le Congrès d’État est responsable devant le Grand Conseil général. Les capitaines-régents coordonnent les réunions du Congrès d’État, sans droit de vote. Ils incarnent le lien institutionnel entre le Congrès d’État et le Grand Conseil général. Conformément à la tradition de régime collégial, il n’y a pas de Premier ministre à Saint-Marin. La création d’une fonction de Premier ministre a été proposée en quelques occasions, dans un but d’efficacité, mais elle est généralement jugée difficile à mettre en œuvre dans le contexte politique et constitutionnel du pays 
			(19) 
			Comme déjà évoqué,
le régime collégial, qui vise à éviter la concentration des pouvoirs
entre les mains d’une seule personne, forme la base de l’architecture
institutionnelle du pays..
30. Nous avons déjà soulevé la question de l’«égalité des armes» entre le pouvoir exécutif et le parlement dans le contexte du Grand Conseil général. Les secrétaires d’État sont des professionnels à plein temps, fonctionnant avec l’aide de secrétariats institutionnels. Cela contraste avec la nature de la fonction parlementaire, bénévole et à temps partiel. D’après plusieurs interlocuteurs, ce déséquilibre a créé un pouvoir exécutif trop puissant et qui, en pratique, gouverne par décrets au lieu d’attendre que le Grand Conseil général oriente les politiques et prenne l’initiative législative. Cette évolution, si elle se poursuit, pourrait trahir la nature même de l’architecture institutionnelle du pays. Il conviendrait d’y remédier dans le cadre des futures réformes institutionnelles.

2.4. Le Conseil des XII

31. Le Conseil des XII est une institution unique qui dispose, dans l’architecture institutionnelle de Saint‑Marin, de pouvoirs politiques très étendus. Il était formellement intégré au système juridique du pays jusqu’aux réformes de 2002. Il assumait, jusqu’à cette date, à la fois le rôle de cour constitutionnelle en matière civile et administrative et de plus haute juridiction d’appel, ce qui compromettait sérieusement la séparation des pouvoirs et l’indépendance du système judiciaire. Depuis les réformes de 2002, ces fonctions ont été séparées et confiées aux juges des appels suprêmes, aux juges des recours extraordinaires et au Collège de contrôle de la constitutionnalité.
32. Les 12 membres du Conseil des XII sont élus au début de chaque convocation du Grand Conseil général par et parmi ses membres. Les capitaines-régents président le Conseil des XII qui se réunit une fois par mois.
33. Depuis les réformes de 2002, les fonctions du Conseil des XII se limitent à approuver l’enregistrement de biens immobiliers au nom de personnes non ressortissantes de Saint-Marin et de personnes morales et à reconnaître officiellement les communautés saint-marinaises à l’étranger. D’après les informations que nous avons reçues du Conseil des XII, les décisions d’autorisations d’enregistrement de biens immobiliers à Saint-Marin par des non-ressortissants et des personnes morales étrangères relèvent de la pure formalité, tandis que la reconnaissance officielle des communautés saint-marinaises est importante, car ces communautés peuvent alors prétendre à des financements publics de Saint-Marin.
34. Étant donné ces prérogatives limitées, le Conseil des XII est aujourd’hui une institution principalement historique et symbolique qui a essentiellement des fonctions administratives. Au cours de notre visite, plusieurs interlocuteurs se sont demandé si l’existence même du Conseil des XII se justifierait encore à l’avenir. En effet, avec les progrès de l’intégration européenne, les achats immobiliers pourraient aussi être régis par des réglementations internationales et des accords avec l’Union européenne.

2.5. Collectivités locales

35. Saint-Marin est divisé en neuf unités administratives appelées « châtellenies » (Castelli). Saint-Marin a signé la Charte européenne de l’autonomie locale (STE no 122) le 16 mai 2013 et l’a ratifiée le 29 octobre de la même année. Saint-Marin n’a pas ratifié le Protocole additionnel à la Charte sur le droit de participer aux affaires des collectivités locales (STCE no 207).
36. Chaque châtellenie dispose d’un conseil local, chargé de contrôler et de gérer les services locaux et, entre autres, de promouvoir et de coordonner les activités culturelles, récréatives ou sociales. Le nombre de membres siégeant au conseil local dépend de la taille de la commune 
			(20) 
			Le
conseil local est composé de son chef et de sept membres, si la
châtellenie compte plus de 2 500 habitants. Pour les châtellenies
de moins de 2 500 habitants, les conseils locaux comptent le chef
du conseil et cinq membres.. Les conseils locaux sont élus tous les cinq ans au suffrage direct par les habitants de la commune. La fonction de conseiller local ne peut être cumulée avec celle de membre du Grand Conseil général. Tous les citoyens saint-marinais d’au moins 18 ans résidant à Saint-Marin et inscrits sur les listes électorales peuvent voter pour les candidats de leur châtellenie 
			(21) 
			Rapports de monitoring
et d’observation des élections du <a href='https://www.coe.int/fr/web/congress/congress-reports'>Congrès</a>.. D’après la loi, les étrangers ont le droit de vote à ces élections à condition de résider à Saint-Marin depuis au moins 10 ans.
37. Les chefs des conseils locaux représentent et président le conseil local, célèbrent les mariages civils et assistent aux réunions de la commission des politiques territoriales. En outre, ils invitent des membres du Congrès d’État et du Grand Conseil général à assister à leurs sessions et organisent des réunions, rassemblements et débats publics. Comme nous le verrons au chapitre suivant, les conseils locaux ont le droit d’initiative législative et peuvent soumettre des projets de lois au Grand Conseil général, sauf sur des questions relatives à l’amnistie ou à la grâce, aux lois fiscales et budgétaires et aux lois de ratification des traités internationaux. Les châtellenies n’ont pas de ressources financières propres et tirent leurs moyens financiers, très limités, du budget central de l’État. C’est pourquoi avant de soumettre le budget annuel de l’État au Grand Conseil général, les secrétaires d’État concernés doivent tenir une réunion avec les conseils locaux afin de discuter de leurs priorités.
38. Comme relevé par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe 
			(22) 
			Congrès
des pouvoirs locaux et régionaux, CG 34(2018)17final., il est évident que dans un aussi petit État que Saint-Marin, les collectivités locales ne peuvent pas avoir l’éventail de responsabilités habituellement associé à l’autonomie locale. Cependant, comme signalé par les chefs de châtellenie que nous avons rencontrés, la faiblesse des compétences des collectivités locales de Saint-Marin et, plus encore, celle de leurs ressources en viennent à saper la notion même d’autonomie locale dans le pays.
39. La législation pertinente en vigueur a mis en place une structure élaborée de consultations entre autorités centrales et conseils locaux, comprenant une réunion entre les chefs de châtellenie et les capitaines‑régents au début du mandat de ces derniers. En outre, comme déjà évoqué, les conseils locaux ont le droit d’initiative législative. Lors de nos réunions avec ces conseils, nous avons cependant appris qu’en pratique, ces consultations ne fonctionnaient pas comme escompté et ne donnaient guère de résultats. Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux a fait le même constat dans son rapport sur Saint-Marin 
			(23) 
			Idem.. La situation s’est légèrement améliorée depuis la réforme de 2020, qui a instauré des consultations obligatoires entre autorités centrales et locales et a établi que lorsque la loi prévoit que les conseils locaux rendent des avis, ces derniers ont un caractère contraignant et non consultatif. Cependant, d’après les chefs de châtellenie que nous avons rencontrés, les résultats concrets des consultations restent très limités, au point de porter atteinte à la confiance dans le processus politique. Il s’agit là d’un point préoccupant. Tout en comprenant que l’autonomie locale ait logiquement des fonctions plus limitées dans un micro-État, il est important, lorsque des procédures de consultation et de décision sont mises en place, que les citoyens constatent qu’elles sont prises au sérieux et livrent des résultats tangibles ; dans le cas contraire, les citoyens risquent de perdre confiance non seulement dans la gouvernance locale, mais aussi dans la politique en général, évolution particulièrement dangereuse à nos yeux dans le contexte de montée du populisme que connaît aujourd’hui notre continent.

2.6. Démocratie directe

40. Saint-Marin se distingue par un système très développé de démocratie directe, composé d’instruments constitutionnels: l’Istanza d’Arengo, initiative législative populaire que nous avons déjà mentionnée, et les référendums.
41. L’Istanza d’Arengo s’exerce au début du mandat des nouveaux capitaines-régents. À cette occasion, tous les citoyens majeurs de Saint-Marin peuvent présenter une demande portant sur une question d’intérêt public aux capitaines-régents, qui transmettent toutes les demandes recevables au Grand Conseil général, lequel est tenu de les examiner. Les Saint-Marinais utilisent largement cet instrument. Par exemple, 21 pétitions ont été déposées au début du mandat des capitaines-régents actuels, dont la quasi-totalité a été déclarée recevable et la moitié environ approuvée par le Grand Conseil général.
42. Comme déjà évoqué, en 2013, Saint-Marin a modifié le droit d’initiative populaire pour permettre l’initiative législative des citoyens. Au moins 60 citoyens saint-marinais majeurs peuvent proposer au Grand Conseil général un projet de loi, qui suit le même processus d’adoption que les projets émanant du Grand Conseil général lui-même. En outre, comme déjà évoqué, les conseils locaux ont eux aussi le droit d’initiative législative.
43. Saint-Marin compte trois types de procédures de référendum populaire. Les électeurs peuvent demander un référendum de proposition, pour proposer des principes ou des orientations à réglementer par la loi. Le référendum populaire peut aussi servir à confirmer une loi (référendum confirmatif ou referendum confermativo) ou à abroger tout ou partie d’une loi (référendum abrogatif ou referendum abrogativo). Point important, un référendum abrogatif ne peut proposer ni de supprimer des organes institutionnels, ni d’abolir des dispositions constitutionnelles ou des principes fondamentaux inscrits dans la Déclaration des droits des citoyens. Par ailleurs, les référendums ne sont pas applicables aux impôts, aux droits et aux taxes, au budget national, à l’amnistie ou à la grâce ni à la ratification des conventions et traités internationaux.
44. Les citoyens saint-marinais disposent donc d’un impressionnant éventail d’instruments pour exercer la démocratie directe, ce qui a favorisé une forte proximité entre le peuple et le gouvernement. Cependant, lors de nos réunions avec des représentants de la société civile, certains ont déploré que les procédures de mise en œuvre des pétitions acceptées, ou des résultats des référendums, prennent parfois beaucoup de temps et être très longues. En outre, les lois adoptées ne seraient pas toujours dûment mises en œuvre – critique qui fait écho à celle que nous avions déjà entendue de la part des chefs de châtellenies. Si ce sentiment devait se répandre, voire se généraliser, il pourrait saper la confiance dans les instruments de la démocratie directe, élément majeur des institutions démocratiques du pays. Nous encourageons donc les autorités et institutions saint-marinaises concernées à réfléchir aux moyens de lutter contre une telle impression.

3. État de droit

3.1. Pouvoir judiciaire

45. L’ordre constitutionnel de Saint-Marin découle de plusieurs instruments législatifs. Les plus importants d’entre eux sont les Statuts de 1600 et la Déclaration des droits des citoyens. Le système juridique de Saint‑Marin repose sur les lois, adoptées par le parlement, et sur les décrets, adoptés par le gouvernement et ratifiés par le Grand Conseil général. Depuis les réformes de 2002, la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) est pleinement intégrée à l’ordre juridique de Saint-Marin et directement applicable par les tribunaux.
46. Le système judiciaire de Saint-Marin se compose de trois piliers: justice civile, pénale et administrative. Chaque pilier compte trois niveaux de juridiction. À la tête du système judiciaire se trouve un magistrat en chef qui organise le travail du tribunal et des différents magistrats qu’il supervise, et qui coordonne et dirige les services judiciaires.
47. Le plus haut niveau se compose du juge des appels suprême et du juge des recours extraordinaires. Au pénal, le juge des appels suprême statue, en dernier ressort, sur les appels contestant des mesures de précaution et sur l’exécution des peines. Au civil, il ou elle statue sur les exceptions d’incompétence et, en matière civile et administrative, fait fonction de troisième degré de juridiction. Le juge des recours extraordinaires statue sur les conflits entre les juridictions civiles, pénales et administratives, sur les recours en réexamen de jugements rendus au pénal ainsi que sur les recours en nullité et les recours en révision dont peuvent faire l’objet les jugements définitifs rendus au civil et sur les objections des magistrats.
48. Le niveau intermédiaire se compose des juges des appels, qui statuent, dans leur domaine de compétence, sur tout appel formé contre les décisions rendues par les commissaires juridiques.
49. Les commissaires juridiques sont responsables des procédures de première instance. En cas de procédure pénale, un commissaire juridique est chargé de l’instruction et des poursuites, et un autre du jugement. Il n’y a pas de ministère public à Saint-Marin. Plusieurs de nos interlocuteurs étaient d’avis que la mise en place d’un procureur général pourrait améliorer l’efficacité et l’indépendance de la justice.
50. Les juges sont recrutés à l’issue de concours nationaux. Dans le passé, dans un objectif d’impartialité, les juges des juridictions inférieures ne pouvaient être de nationalité saint-marinaise; ils étaient généralement recrutés parmi les juristes italiens. Toutefois, cette condition obligatoire ne s’applique plus, et les ressortissants de Saint-Marin peuvent aussi être nommés juges.
51. Dans le cadre des réformes constitutionnelles de 2002, un Collège de contrôle de la constitutionnalité des lois a été mis en place. Saint-Marin dispose donc désormais d’une Cour constitutionnelle. Le Collège se compose de trois juges permanents et de trois juges suppléants, désignés par le Grand Conseil général à la majorité des deux tiers pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois. Leur remplacement est échelonné, pour éviter que tous les juges soient renouvelés en même temps. Le Collège de contrôle de la constitutionnalité vérifie la constitutionnalité des lois, des textes réglementaires ayant force de loi adopté par le Grand Conseil général ou par le Congrès d’État ainsi que des normes coutumières ayant force de loi, se prononce sur la recevabilité des demandes de référendum et statue sur les cas de conflits entre institutions constitutionnelles 
			(24) 
			<a href='https://rm.coe.int/quatrieme-cycle-d-evaluation-prevention-de-la-corruption-des-parlement/16809fbae4'>Greco
Eval I/II Rep(2011)2F</a>.. En outre, il statue sur les plaintes déposées par les citoyens contre les activités des capitaines-régents à l’occasion de la fin de leur mandat (voir aussi le paragraphe 26, ci-dessus).
52. Les suites de l’affaire du comte Mazzini, déjà évoquée, et en particulier le rapport d’évaluation du GRECO dans le cadre de son quatrième cycle d’évaluation – «prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs» 
			(25) 
			<a href='http://rm.coe.int/fourth-evaluation-round-corruption-prevention-in-respect-of-members-of/16809fbae3'>GrecoEval4Rep(2019)1</a>. ont mis en lumière de graves lacunes en matière d’indépendance et de fonctionnement du système judiciaire à Saint-Marin. Le rapport du GRECO soulignait la nature problématique du système de gouvernance de la justice et de nomination des juges à Saint-Marin, qui rend possible un contrôle politique sur le pouvoir judiciaire. Ce rapport, en particulier, a été vécu comme une douche froide à Saint-Marin et a entraîné de profondes réformes des structures judiciaires. Ces réformes ont été adoptées en 2021 
			(26) 
			Loi no 01/21,
entrée en vigueur le 12 décembre 2021. (loi no 01/2021), à la suite d’une période de vastes consultations avec les différentes parties prenantes.
53. La réforme a considérablement modifié la composition du Conseil de la magistrature, en excluant les membres actifs des pouvoirs législatif et exécutif. Le Conseil de la magistrature réformé compte désormais huit membres. Quatre d’entre eux sont des magistrats (trois issus des commissaires juridiques et un des juges d’appel ou des juges d’appel suprêmes), élus par leurs pairs à la majorité qualifiée des deux tiers. Les quatre autres sont des membres non professionnels, élus à la majorité des deux tiers par le Grand Conseil général. Les membres non professionnels doivent être ressortissants de Saint-Marin et titulaires d’un diplôme supérieur de droit ou avoir une expérience similaire dans le système judiciaire. Ils ne peuvent être membres ni du Grand Conseil général ni du Congrès d’État. Leur mandat est de quatre ans. Pour renforcer l’indépendance, les juges membres du Conseil de la magistrature peuvent effectuer deux mandats consécutifs, tandis que les membres non professionnels ne sont pas immédiatement rééligibles. Le Conseil de la magistrature se réunit normalement tous les trois mois, mais il peut aussi être convoqué à l’initiative des capitaines-régents ou à la demande de trois de ses membres. Il est formellement présidé par les capitaines-régents, qui n’ont pas le droit de vote. Le magistrat en chef exerce la vice-présidence et, par délégation des capitaines-régents, il en assure l’organisation et le fonctionnement dans le respect du règlement intérieur. Conformément aux recommandations du GRECO, le ministre de la Justice et le président de la commission parlementaire pour la justice ne sont plus membres du Conseil de la magistrature. Les quatre membres non professionnels actuels ont été élus à l’unanimité par le parlement. Deux d’entre eux sont des avocats diplômés en activité et deux sont des avocats à la retraite. Depuis sa réforme, le Conseil de la magistrature a déjà approuvé un code de déontologie pour les magistrats de Saint-Marin.
54. La réforme du Conseil de la magistrature a été largement saluée par les parties prenantes, dont le Barreau de Saint-Marin. Dans son récent rapport de conformité, le GRECO s’est vivement félicité des réformes et a conclu que presque toutes ses recommandations avaient été mises en œuvre par les autorités. Il convient de saluer les autorités, les différentes forces politiques et toutes les parties prenantes pour avoir si rapidement adopté les réformes nécessaires. Dans le même temps, comme l’a souligné le magistrat en chef de Saint‑Marin 
			(27) 
			Dans ses observations,
le magistrat en chef a souligné la base solide du processus de réforme
dans la loi constitutionnelle no 1/2021., les réformes instaurées par la loi no 01/21 ne devraient pas être vues comme un point final, mais comme un point de départ. Les autorités devraient continuer à surveiller en permanence l’indépendance et l’efficacité de la justice, et adopter si nécessaire de nouvelles réformes pour assurer la pleine indépendance et impartialité du système judiciaire.

3.2. Lutte contre la corruption

55. Comme déjà évoqué, le scandale du comte Mazzini, en 2017, a soulevé la question de la vulnérabilité des institutions de Saint-Marin à la corruption. Depuis, Saint-Marin a mis en œuvre une série de mesures ciblées visant à développer et à renforcer sa politique de lutte contre la corruption.
56. Saint-Marin n’est pas couvert par les indices de perception de la corruption régulièrement publiés par Transparency International, et il n’existe pas d’enquête internationale comparable sur la perception de la corruption dans le pays. Comme relevé par le GRECO, l’étude nationale la plus récente sur les caractéristiques de la corruption à Saint-Marin aurait été menée en 2014. Il faut noter que si le risque de corruption était perçu comme élevé pour les responsables politiques, les membres de la justice, la police et les employés d’entreprises privées, la plupart des personnes interrogées déclaraient n’avoir jamais constaté d’incidents spécifiques de corruption 
			(28) 
			<a href='https://rm.coe.int/quatrieme-cycle-d-evaluation-prevention-de-la-corruption-des-parlement/16809fbae4'>GrecoEval4Rep(2019)1</a>, paragraphe 18..
57. À la suite de la publication du rapport d’évaluation du GRECO dans le cadre de son quatrième cycle de suivi, plusieurs réformes ont été mises en œuvre en plus de celles que nous avons évoquées dans le chapitre sur le système judiciaire. Nouveauté à saluer, un code de déontologie des membres du Grand Conseil général a été adopté. Comme l’a souligné le GRECO, le code devrait rester un document «vivant», tenu à jour en fonction des évolutions du contexte, et assorti d’exemples concrets afin d’en assurer la mise en œuvre. Un comité consultatif a été mis en place, composé de membres du Grand Conseil général issus à parts égales de la majorité au pouvoir et de l’opposition. Le comité consultatif apporte une aide concrète aux députés sur les questions de déontologie et les risques de conflits d’intérêts et prend les décisions relatives aux cadeaux. Il est aussi le destinataire des déclarations d’intérêts des députés. Toutes les déclarations et décisions du comité consultatif sont publiées sur le site internet du Grand Conseil général, accessible à tous. Les députés sont tenus d’observer les orientations du comité. Dans le cas contraire, ils sont tenus d’en exposer les motifs par écrit. L’avis et les motifs de non-conformité indiqués sont rendus publics, y compris sur le site du Grand Conseil général. Actuellement, seuls des membres du Grand Conseil général peuvent signaler au comité consultatif les éventuelles incohérences dans les déclarations d’intérêts des autres membres. Même si le site internet est en accès public, les simples citoyens n’ont pas cette possibilité. Étant donné les liens très étroits qui unissent les institutions aux citoyens à Saint-Marin, nous recommandons vivement que tous les citoyens puissent signaler des incohérences dans les déclarations d’intérêts publiées sur le site internet du Grand Conseil général.
58. Dans son rapport de conformité, le GRECO émettait des doutes sur la manière, avant tout fondée sur la confiance, dont sont appliqués les avis du comité consultatif. Le comité a répondu que vu la grande proximité entre électeurs et élus, et compte tenu du système de vote préférentiel en vigueur à Saint-Marin, l’opinion publique et la confiance étaient extrêmement importantes pour les membres du Conseil. Néanmoins, nous estimons souhaitable que le Grand Conseil général étudie la possibilité de sanctions pour les cas les plus graves d’atteintes au Code de déontologie ou d’omissions ou incohérences délibérées dans les déclarations d’intérêts.

4. Droits humains

59. Saint-Marin a été fondé pour mettre ses habitants à l’abri des persécutions politiques et religieuses et dispose, pour ces raisons historiques, d’un solide cadre institutionnel et juridique de protection des droits humains. Les bases juridiques de la protection des droits humains à Saint-Marin sont la Déclaration des droits des citoyens (1974) et la Convention européenne des droits de l’homme qui, comme déjà mentionné, est directement applicable par les tribunaux de Saint-Marin. Malgré cette situation favorable, quelques problèmes restent à signaler.
60. Aux termes de la Déclaration des droits des citoyens, «Tous sont égaux devant la loi, sans distinction fondée sur le sexe ou la situation personnelle, économique, sociale, politique ou religieuse». Bien que la discrimination ne semble pas un problème particulièrement répandu et fréquent à Saint-Marin, la commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a recommandé que la Déclaration soit modifiée pour mentionner explicitement les motifs de discrimination.
61. D’après les organisations de la société civile que nous avons rencontrées, aucune affaire grave de racisme ou de discrimination raciale n’a été signalée à Saint-Marin, ce qui semble confirmer les statistiques officielles. Dans le cadre du cinquième cycle de suivi de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157) 
			(29) 
			<a href='https://rm.coe.int/5th-sr-san-marino-fr/1680a1df9f'>ACFC/SR/V(2021)001</a>., les autorités ont affirmé qu’aucune minorité nationale n’existait à Saint-Marin, qu’elle soit de nature ethnique, religieuse ou linguistique 
			(30) 
			Les étrangers vivant
à Saint-Marin ne sont pas considérés comme constituant une minorité.. Néanmoins, les évolutions sociales au sein de la société saint-marinaise ont poussé le gouvernement à élaborer des instruments pour prévenir toute discrimination ou atteinte aux droits humains. En 2008, le Parlement de Saint-Marin a adopté une loi intitulée «Dispositions concernant la discrimination ethnique, religieuse ou raciale». Cette loi «réaffirme l’engagement du Gouvernement de Saint‑Marin à l’égard du principe de non-discrimination» et «met en œuvre le principe fondamental d’égalité 
			(31) 
			<a href='https://rm.coe.int/5th-sr-san-marino-fr/1680a1df9f'>ACFC/SR/V(2021)001</a>.». Cependant, comme l’a noté le Comité consultatif de la Convention-cadre, le pays ne possède pas d’institution de droits humains conforme aux Principes de Paris 
			(32) 
			Les Principes concernant
le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection
des droits de l’homme (Principes de Paris) ont été adoptés en 1991.
Ils constituent des normes que toutes ces institutions devraient
respecter, et comportent des principes supplémentaires qui ne s’appliquent
qu’aux institutions à la compétence «quasi juridictionnelle». En
vertu des Principes de Paris, les institutions nationales de droits
de l’homme sont tenues: de protéger les droits humains, notamment
en recevant, examinant et traitant les plaintes, en assurant une
médiation en cas de différends et en exerçant une surveillance;
et de promouvoir les droits humains, par l’éducation, la sensibilisation,
les médias, des publications, des formations et le développement
des capacités, ainsi qu’en conseillant et en assistant les pouvoirs publics..
62. Saint-Marin possède une Commission pour l’égalité des chances, composée de représentants des groupes politiques présents au Grand Conseil général et de la société civile nommés par le Grand Conseil général. Tous ses membres sont nommés pour cinq ans ; aucun ne touche de rémunération. Malheureusement, la Commission a un budget très réduit (moins de 10 000 euros) et n’est donc pas en mesure d’organiser des activités de sensibilisation, de publier des rapports ou de tenir des bases de données statistiques. L’ECRI a recommandé aux autorités de Saint-Marin de se doter par la loi d’un organe spécialisé indépendant pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale au niveau national. Dans ce contexte, l’ECRI a souligné que si les autorités saint-marinaises décidaient de réformer la Commission pour l’égalité des chances afin d’en faire un organe indépendant spécialisé dans la lutte contre le racisme et la discrimination raciale, cette Commission devrait être dotée des ressources financières et humaines nécessaires pour accomplir sa mission correctement et en toute indépendance.
63. Il n’existe actuellement aucun cadre juridique permettant aux confessions religieuses autres que l’Église catholique de s’enregistrer en tant qu’organisations religieuses. Les autres confessions religieuses doivent s’enregistrer en tant qu’organisations de droit civil, ce qui est actuellement le cas de la Communauté musulmane et des Témoins de Jéhovah à Saint-Marin. Cela a été relevé dans le rapport 2018 de l’ECRI sur Saint-Marin qui a noté que l’absence de possibilité de s’enregistrer comme culte religieux entraîne «l’application de règles administratives spécifiques aux sociétés/entreprises qui sont mal adaptées à la pratique religieuse. Par exemple, la collecte de l’aumône, en tant qu’association, devrait être enregistrée et soumise à l’imposition fiscale» 
			(33) 
			<a href='C:\Users\scheurer\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.Outlook\Y1CD9FXR\63. Il n'existe actuellement aucun cadre juridique permettant aux confessions religieuses autres que l'Église catholique de s'enregistrer en tant qu'organisations religieuses. Les autres confessions religieuses doivent s'enregistrer en tant qu'organisations de droit civil, ce qui est actuellement le cas de la Communauté musulmane et des Témoins de Jéhovah à Saint-Marin. Cela a été relevé dans le rapport 2018 de l'ECRI sur Saint-Marin qui a noté que l'absence de possibilité de s'enregistrer en tant que religieux conduit à ' l'application de règles administratives spécifiques aux sociétés\entreprises qui sont mal adaptées à la pratique religieuse '.  Par exemple, la collecte de l'aumône, en tant qu’association, devrait être enregistrée et soumise à l’imposition fiscale. Cette question n'est pas encore résolue et nous appelons les autorités de Saint-Marin le Grand Conseil général à rédiger et à adopter la législation requisehttps:\rm.coe.int\cinquieme-rapport-sur-saint-marin\16808b5bd7'>ECRI</a> Rapport sur Saint-Marin (cinquième cycle de monitoring),
p. 23, paragraphe 74. . Cette question n’est pas encore résolue et nous appelons les autorités de Saint-Marin et le Grand Conseil général à rédiger et à adopter la législation requise qui permettrait aux confessions religieuses de s’enregistrer en tant qu’organisations religieuses.
64. La législation saint-marinaise accorde les mêmes droits aux résidents du pays en matière d’emploi, d’assistance sociale, de santé, d’éducation, etc., qu’ils aient ou non la nationalité du pays. Auparavant, ressortissants nationaux et étrangers qui avaient un emploi soumis à l’assurance obligatoire ne bénéficiaient pas des mêmes prestations de santé. Les premiers bénéficiaient de soins gratuits tandis que les seconds devaient cotiser au régime de santé saint-marinais. À présent seuls les résidents étrangers qui n’ont pas, à Saint‑Marin, une activité professionnelle soumise à l’assurance obligatoire doivent s’acquitter des cotisations à l’assurance santé. Le Gouvernement de Saint-Marin a annoncé vouloir assurer la pleine égalité de traitement entre habitants du pays, qu’ils soient ressortissants nationaux ou étrangers, en matière d’aide médicale et a donc supprimé l’exigence de paiement pour les travailleurs résidents étrangers. Ce fait mérite d’être salué.
65. L’inégalité de traitement entre habitants saint-marinais et étrangers en matière de participation aux élections locales, contraire aux normes européennes et à la Charte de l’autonomie locale, constitue un point préoccupant. Depuis peu, des modifications de la législation électorale ont donné le droit de vote aux élections locales aux étrangers résidant à Saint-Marin depuis au moins 10 ans. Bien que l’octroi du droit de vote aux étrangers soit une évolution positive, exiger 10 ans de résidence ininterrompue est contraire au principe énoncé dans la Convention du Conseil de l’Europe sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (STE no 144), à savoir au maximum cinq ans précédant les élections 
			(34) 
			Chapitre C – Droit
de vote aux élections locales, article 6.. Nous recommandons donc aux autorités d’envisager de réduire à cinq ans la durée de résidence exigée.
66. Les organisations de la société civile et les initiatives citoyennes jouent un rôle important dans la mise en œuvre des politiques sociales et de la protection des droits sociaux à Saint-Marin. Cependant, elles dépendent, dans une large mesure, de contributions volontaires et de dons privés, ce qui rend précaires à la fois leur planification à long terme et la mise en œuvre de leurs projets. L’imbrication entre société civile et institutions officielles s’est avérée flagrante pendant notre visite : parfois, les mêmes personnes représentaient des organisations de la société civile lors d’une réunion et des organismes publics ou organes consultatifs officiels lors d’une autre réunion. Pourtant, malgré l’étroitesse des liens entre les institutions et la société civile et l’existence d’un ensemble élaboré d’instruments de démocratie directe, beaucoup de représentants ont noté que les lois et les décisions n’étaient pas toujours ou pas entièrement mises en œuvre, affectant les résultats de leur travail. Nous engageons vivement les autorités à traiter ce problème qui, comme nous l’avons vu dans d’autres chapitres, paraît récurrent.
67. Plusieurs réformes ont été appliquées ces 10 dernières années pour renforcer les droits des minorités sexuelles. Jusqu’en 2004, l’homosexualité était passible de peines de prison. Depuis, les relations homosexuelles sont protégées par la loi. En 2015, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe recommandait l’instauration d’une reconnaissance juridique pour les couples homosexuels, ce qui a été fait en 2017, année où un amendement à la loi budgétaire permettant le mariage civil entre ressortissants étrangers de même sexe dans la République a été approuvé (article 72 de la loi n° 147/2017). Cette décision a encore été renforcée en 2018, avec l’adoption par le Grand Conseil général de la loi sur le partenariat civil (loi no 147 du 20 novembre 2018). En vertu de cette loi, les couples homosexuels peuvent obtenir une forme de reconnaissance de leur relation équivalente au mariage dans plusieurs domaines dont le domicile, la succession et la cohabitation.
68. Il n’existe pas de données détaillées sur les personnes LGBTI vivant à Saint-Marin. Saint-Marin a été le premier pays au monde à élire un chef d’État ouvertement gay, et le pays est généralement considéré comme l’un des plus progressistes en matière de droits LGBTI. Il ne faudrait cependant pas relâcher la vigilance ou imaginer que l’intolérance n’existe pas dans le pays. En consultation avec les communautés concernées, des mesures supplémentaires devraient être envisagées si le besoin se présente.
69. Bien que les droits des femmes soient généralement bien respectés à Saint-Marin, il faut noter que les femmes n’y ont obtenu le droit de vote qu’en 1960 et celui d’être élues qu’en 1973. En outre, jusqu’en 1986, les femmes de Saint-Marin qui épousaient un étranger perdaient automatiquement leur nationalité saint‑marinaise, ce qui n’était pas le cas pour les hommes. Ce n’est que depuis 2000 que les femmes de Saint‑Marin mariées à des étrangers peuvent transmettre leur nationalité à leur mari ou à leurs enfants, et depuis 2004 que la législation sur la citoyenneté a été modifiée pour que les femmes saint-marinaises puissent transmettre leur nationalité à leurs enfants à la naissance. Dans le même temps, il convient de noter qu’en 1981, une femme a été élue pour la première fois capitaine-régente, et en 2017, pour la première fois dans l’histoire de Saint-Marin, deux femmes ont été élues capitaines-régentes au cours du même semestre et que de nombreuses femmes ont occupé des postes institutionnels et gouvernementaux.
70. De même, jusque très récemment (septembre 2022), Saint-Marin interdisait totalement l’avortement et la loi prévoyait des peines de prison pour toute femme ayant avorté ou toute personne ayant réalisé un avortement ou aidé une autre personne à avorter, même en cas de viol ou d’inceste. Toutefois, dans les faits, cette interdiction totale était atténuée par la situation géographique du pays : il n’était pas interdit aux femmes d’avorter en Italie – sans prise en charge par la sécurité sociale. En septembre 2021, à l’issue d’une longue campagne, les citoyens de Saint-Marin se sont clairement prononcés à l’occasion d’un référendum proposant de légaliser l’avortement. Le « oui » à la légalisation a emporté plus de 77 % des suffrages. Le 31 août 2022, le Grand Conseil général a donc adopté la loi portant légalisation de l’avortement, qui est entrée en vigueur le 12 septembre 2022.
71. Malgré l’incontestable succès de ce référendum, l’avortement reste un sujet controversé dans la société saint-marinaise, avec un débat qui perdure et que certaines parties prenantes qualifient de « toxique ». Le dialogue sur la promotion des droits et de la santé génésique des femmes serait difficile. Les progrès sociaux supposent un regard favorable au sein de la société, lequel devrait être activement promu.
72. Dans son rapport de référence, le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) 
			(35) 
			<a href='https://rm.coe.int/grevio-rapport-d-evaluation-saint-marin/1680a3eb66'>GREVIO</a>, Rapport d’évaluation de référence – Saint-Marin, tout en saluant les réformes mises en œuvre, a considéré que le pays devait appliquer des mesures supplémentaires pour respecter les dispositions de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul») 
			(36) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/istanbul-convention/home'>Convention
d’Istanbul</a>. D’après le GREVIO, de nouvelles mesures sont nécessaires en particulier pour assurer la réalisation concrète du principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Au moment de ce rapport, et bien que Saint-Marin dispose de peu de statistiques sur l’égalité entre les femmes et les hommes, 33 % des membres du parlement national étaient des femmes et dans le secteur privé, 22 % des postes à responsabilité étaient occupés par des femmes. Par ailleurs, le taux de chômage était nettement plus élevé chez les femmes (10,56 %) que chez les hommes (4,7 %).
73. Le rapport du GREVIO fait aussi état d’obstacles rencontrés par les organisations non gouvernementales qui œuvrent à promouvoir et protéger les droits des femmes. À Saint-Marin, plusieurs ONG sont actives dans la défense des droits des femmes et dans la lutte contre la violence fondée sur le genre. Cependant, du fait de l’absence de financements publics, ces ONG ont du mal à élargir leurs activités et à proposer des services de soutien, ou encore à prendre part à la mise en œuvre, au suivi et à l’évaluation des politiques nationales de lutte contre les violences faites aux femmes.
74. En ce qui concerne le rapport du GREVIO, nous avons été contactés en décembre 2022 par l’Unione Donne Sammarinesi (UDS – Union des femmes de Saint-Marin), l’une des entités rencontrées par la délégation du GREVIO qui a préparé le rapport de référence. Lors d’une discussion sur le rapport du GREVIO au Grand Conseil général, les autorités auraient indiqué que, selon elles, le rapport contenait des données manifestement erronées qui auraient porté atteinte à l’image de Saint-Marin 
			(37) 
			Il convient de noter
que, selon l’UDS, les données figurant dans le rapport du GREVIO
étaient exactes, mais mal comprises par le représentant des autorités
qui s’était adressé au Grand Conseil général.. En conséquence, le Grand Conseil général a accepté de demander au Congrès d’État l’ouverture d’une enquête officielle pour savoir qui aurait fourni des informations erronées au GREVIO avec la possibilité de poursuites pénales. Nous ne pouvons pas nous prononcer sur l’exactitude des données figurant dans le rapport, mais le fait qu’une enquête pénale puisse être demandée contre une personne ou une organisation qui aurait fourni des informations erronées à une délégation d’organisation internationale, même si cette demande a été faite dans la fébrilité d’un débat politique, est préoccupant, car des organismes de contrôle officiels comme le nôtre ne pourraient plus travailler. Nous saluons donc les communications écrites du ministre des Affaires étrangères de Saint-Marin selon lesquelles le Congrès d'État ne voit pas d'éléments qui justifieraient une enquête et considère donc la procédure close.
75. La liberté d’expression est généralement respectée à Saint-Marin, et l’environnement médiatique y est diversifié. Point préoccupant, à Saint-Marin, la diffamation relève du Code pénal et est passible d’une courte peine d’emprisonnement ou d’une amende journalière, ce qui pourrait pousser les journalistes à s’autocensurer. Afin d’améliorer le paysage médiatique à Saint-Marin et conformément aux normes européennes, nous invitons les autorités à dépénaliser la diffamation.
76. Avant 2014, il n’y avait à Saint-Marin aucune législation spécifique relative aux médias. La situation a changé en 2014 avec l’adoption de la loi sur les médias, qui a créé entre autres une Autorité des médias. Plusieurs de nos interlocuteurs ont exprimé l’idée que cette Autorité ouvrait la porte au contrôle politique des médias qu’elle était censée réguler, étant donné que ses membres sont nommés par le Grand Conseil général. En outre, la rigueur des lois sur la protection de la vie privée à Saint-Marin, encore renforcée par la pénalisation de la diffamation évoquée ci-dessus, entrave l’accès aux informations publiques. Les autorités devraient envisager de modifier la législation applicable pour assurer la véritable indépendance de l’Autorité des médias et le libre accès aux informations publiques. Plusieurs interlocuteurs ont relevé les problèmes posés par la régulation des médias dans un micro-État enclavé dans un autre. Du fait de cette situation géographique singulière, une part considérable des médias dépend, en pratique, de la législation italienne, mais les journalistes restent soumis à la législation du pays sur la diffamation.
77. Le 31 juillet 2017, un Code de conduite des professionnels des médias a été adopté. Il prévoit la protection de la vie privée et des droits fondamentaux des individus et établit une distinction claire entre les faits et les opinions. Le code réglemente les médias et les travaux des représentants des médias et prévoit des sanctions disciplinaires en cas de manquement aux règles déontologiques. Certains interlocuteurs ont noté que ces sanctions pouvaient avoir un effet négatif sur la liberté des médias. Cependant, dans la mesure où la loi ne laisse pas de place à l’interprétation ou aux marges d’appréciation, elles pourraient au contraire affermir la position des médias indépendants. Les publications en ligne, telles que les blogs et les publications sur les réseaux sociaux rédigées par des personnes ou des associations, ne sont actuellement pas considérées comme faisant partie de la presse et échappent donc à la législation ordinaire sur les médias.

5. Conclusions

78. Saint-Marin, qui est devenu membre du Conseil de l’Europe en 1988, est un micro‑État et est à la fois le plus ancien État souverain existant et la plus ancienne République constitutionnelle au monde. Elle dispose d’un système unique et bien développé d’institutions démocratiques et d’État de droit, bien adapté à son héritage démocratique ainsi qu’aux particularités de son statut de micro-État. Si ces structures se sont constamment adaptées aux besoins d’une société en évolution, elles ont conservé leurs grandes caractéristiques: le pouvoir est collégial et réparti entre les citoyens qui ne le détiennent que pour une durée limitée. Si l’on y ajoute les particularités d’un micro-État, les citoyens sont très proches des structures politiques et de gouvernement, et il y a très peu de distance entre les différentes branches du pouvoir souvent imbriquées les unes dans les autres.
79. Pour conserver son indépendance en tant qu’État souverain dans un monde de plus en plus interconnecté et interdépendant, Saint-Marin s’est parfaitement intégré dans la communauté internationale et a harmonisé ses institutions et son cadre juridique avec les normes internationales. Il convient de saluer les efforts déployés par Saint-Marin, malgré les difficultés particulières résultant de son statut de micro-État, pour que ses institutions démocratiques et son cadre juridique respectent les normes internationales, en particulier ses obligations en tant qu’État membre du Conseil de l’Europe.
80. La proximité entre les citoyens et les différentes branches du pouvoir a cependant suscité des questions et des inquiétudes quant au fonctionnement du système d’équilibre des pouvoirs du pays et à la vulnérabilité potentielle des institutions démocratiques et de leurs représentants à la corruption et aux conflits d’intérêts. Ont ainsi été menées une série de réformes profondes des institutions démocratiques et d’État de droit, en particulier, plus récemment, du système judiciaire du pays, dont l’indépendance et la résistance aux ingérences extérieures ont retenu l’attention. Le résultat de ces réformes est largement considéré comme positif et a offert à Saint-Marin un fondement solide sur lequel s’appuyer aux fins du bon fonctionnement de ses organes dirigeants et de ses institutions judiciaires. Dans le même temps, en raison des particularités susmentionnées des institutions démocratiques et d’État de droit, une vigilance constante et un esprit ouvert aux réformes sont présents et demeurent nécessaires à Saint-Marin. Nous avons donc présenté, dans les présents rapport et projet de résolution, certains domaines qui méritent une plus grande attention et formulé un certain nombre de recommandations à cet égard.
81. Comme indiqué, Saint-Marin a été fondé pour mettre ses habitants à l’abri des persécutions politiques et religieuses et dispose, pour ces raisons historiques, d’un solide cadre institutionnel et juridique de protection des droits humains et fondamentaux. Même si les droits humains ne suscitent pas actuellement de préoccupations majeures, cela ne signifie pas qu’il n’existe pas d’insuffisances latentes. Il n’y a aucune raison de baisser la garde, d’autant que, dans un certain nombre de cas, le cadre juridique de la protection des droits humains est en retard sur l’évolution actuelle et l’acceptation des droits dans la société saint-marinaise. Un certain nombre de domaines ne sont donc pas réglementés, ou ne le sont que partiellement, et plusieurs réformes juridiques importantes, notamment en ce qui concerne les droits des femmes, n’ont été adoptées et mises en œuvre que relativement récemment. Dans les présents rapport et projet de résolution, nous avons souligné certains points préoccupants que les autorités devraient traiter.
82. Saint-Marin dispose d’un éventail large et impressionnant de mécanismes de consultation institutionnels et d’instruments de démocratie directe. Toutefois, au cours de notre visite, nombre de nos interlocuteurs nous ont dit que ces mécanismes n’étaient pas toujours utilisés comme prévu ou que leurs résultats n’étaient pas pris en considération ou appliqués. De même, nous avons été informés que les lois adoptées ne sont pas toujours dûment mises en œuvre ou respectées, C’est un sujet de préoccupation. L’idée répandue selon laquelle ces mécanismes de consultation sont négligés ou inefficaces pourrait saper la confiance du public dans ces instruments de démocratie directe qui constituent un élément historique et fondamental des institutions démocratiques de Saint-Marin. Nous encourageons les autorités saint-marinaises compétentes, et en particulier le Grand Conseil général, à réfléchir à la façon de contrer ces impressions et à garantir, et au besoin à renforcer, l’efficacité des différents mécanismes de consultation et instruments de démocratie directe.