Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 15739 | 06 avril 2023

La sauvegarde de la démocratie, des droits et de l'environnement dans le commerce international

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Geraint DAVIES, Royaume-Uni, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15144, Renvoi no 4536 du 12 octobre 2020. 2023 - Deuxième partie de session

Résumé

Nos valeurs communes – les droits humains, la démocratie et l’État de droit – et la poursuite du développement durable sont de plus en plus pertinentes dans le contexte du commerce mondial. Les accords internationaux en matière de commerce et d’investissement l’emportent sur le droit national et peuvent avoir des conséquences à long terme. Comme les accords commerciaux purement économiques ne protègent ni ne promeuvent automatiquement ces valeurs et peuvent en pratique les saper, des droits, des obligations et une application de ces valeurs devraient y être incorporés dès le départ.

Le rapport considère les accords de commerce et d’investissement comme des outils puissants au service du progrès. Les politiques commerciales devraient, par conséquent, être constamment adaptées aux réalités et aux priorités de la société. Les nouveaux accords devraient contenir des dispositions détaillées sur le développement durable et la protection des droits fondamentaux, ainsi que de solides mécanismes d’application, à la mesure de ceux qui protègent les investisseurs. Le rapport soutient la création d’un Tribunal multilatéral des investissements sous les auspices des Nations Unies pour des litiges entre entreprises et États, ainsi que la réforme du mécanisme de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce afin d’accroître son efficacité pour les litiges commerciaux entre États.

États membres devraient réévaluer leurs engagements dans le cadre des traités de «l’ancienne génération» et, le cas échéant, les mettre à jour en y intégrant des dispositions relatives au développement durable et à la protection des droits fondamentaux, afin qu’ils contribuent à la mise en œuvre des traités internationaux sur l’environnement et des Objectifs de développement durable. Les parlements devraient être associés aux négociations sur la conclusion ou sur la réforme de tout traité de commerce et d’investissement pour améliorer le contrôle démocratique et la transparence du processus. Les États devraient aussi promouvoir les obligations relatives au devoir de vigilance des entreprises par l’intermédiaire du commerce en ce qui concerne la protection de l’environnement, les droits fondamentaux, la santé publique, et l’action contre le changement climatique.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 16 mars
2023.

(open)
1. Il est de plus en plus reconnu que nos valeurs communes – les droits humains, la démocratie et l’État de droit – sont d’une importance primordiale dans le contexte du commerce mondial. Les accords internationaux en matière de commerce et d’investissement l’emportent sur le droit national et peuvent avoir des conséquences à long terme. On voit émerger une «vague» d’accords commerciaux, parfois bilatéraux, de nouvelle génération qui tendent de plus en plus à définir les normes et à influencer les politiques des États souverains tandis que le système commercial multilatéral incarné par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est fragilisé. Étant donné que les accords commerciaux évoluent avec la société et l’attention grandissante qu’elle porte aux enjeux de durabilité et à la dignité humaine, les pays et les blocs commerciaux devraient mettre tout en œuvre pour développer les échanges commerciaux de telle façon qu’ils contribuent à soutenir nos valeurs partagées et le progrès de la société, notamment par une coopération ciblée, le renforcement des capacités, la quête du développement durable et le renforcement des engagements en faveur de la préservation et de l’amélioration de nos droits fondamentaux et de notre qualité de vie. Les accords commerciaux purement économiques ne protègent pas ou ne promeuvent pas automatiquement ces valeurs et peuvent, dans la pratique, les saper. Par conséquent, les droits, les obligations et le respect de ces valeurs devraient y être intégrés dès le départ afin qu’ils ne soient pas systématiquement supplantés par les intérêts des investisseurs, pour le bien des générations futures.
2. L’Assemblée parlementaire considère les accords de commerce et d’investissement comme des outils puissants au service du progrès et estime que les politiques commerciales devraient être constamment adaptées aux réalités et aux priorités de la société. Au vu de l’augmentation soutenue du volume et de l’importance géopolitique des accords de commerce et d’investissement ces dix dernières années, l’Assemblée réitère sa préoccupation quant au recours à des tribunaux d’arbitrage ayant une approche étroite pour résoudre des différends entre États et investisseurs privés, de tels recours entravant la capacité des États à défendre l’intérêt public, y compris concernant la santé publique et les droits humains, et à honorer leurs engagements internationaux en vue d’un développement durable. L’Assemblée soutient fermement les propositions visant à remplacer le système obsolète de règlement des différends entre investisseurs et États par un nouveau tribunal multilatéral des investissements sur la base sur les résultats des négociations qui se déroulent actuellement sous les auspices de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international.
3. L’Assemblée considère le système multilatéral fondé sur des règles, soutenu par l’OMC, comme le mécanisme le plus inclusif et le plus équilibré à l’échelle mondiale, en particulier lorsqu’il s’agit d’assurer l’égalité des conditions de concurrence entre les petits et les grands pays en matière commerciale. À cette fin, les règles de l’OMC et son mécanisme de règlement des différends jouent un rôle crucial. L’Assemblée est préoccupée par le fait que ce mécanisme est bloqué depuis décembre 2019 car son organe d’appel n’est plus en mesure de rendre des décisions contraignantes sur les litiges commerciaux interétatiques. Par conséquent, l’Assemblée se félicite du fait que, dans l’attente d’une solution, l’Union européenne et d’autres membres de l’OMC aient mis en place une procédure arbitrale d’appel provisoire multipartite et continuent de travailler ensemble à la réforme du mécanisme de règlement des différends de l’OMC afin d’accroître son efficacité.
4. L’Assemblée se félicite des récents développements positifs, notamment l’inclusion, dans les nouveaux traités commerciaux, de dispositions relatives au développement durable et l’élaboration, par les pays européens, d’exigences en matière de devoir de vigilance des entreprises, de manière à soutenir les droits fondamentaux et les objectifs environnementaux par l’intermédiaire des politiques commerciales. Elle souligne la nécessité d’exploiter le potentiel des traités commerciaux et des mécanismes connexes de règlement des différends pour veiller à une mise en œuvre plus ambitieuse des traités internationaux sur l’environnement et des objectifs de développement durable.
5. L’Assemblée souligne que les traités commerciaux peuvent être un moyen de renforcer la protection de l’environnement et des droits fondamentaux. Elle observe que les dispositions relatives à la protection des investissements se sont avérées très efficaces pour protéger les intérêts des entreprises privées plutôt que les droits fondamentaux et l’intérêt public, car elles fournissent un mécanisme puissant permettant de faire respecter les droits garantis par les traités contre les États. Bien que les traités sur le commerce et l’investissement contiennent souvent des dispositions relatives aux droits fondamentaux, aux droits des travailleurs, à la santé publique et aux normes environnementales (formant collectivement des «dispositions renforçant la démocratie»), ces dispositions ne bénéficient pas des mêmes mécanismes d’application puissants que les dispositions qui profitent aux investisseurs. Les États devraient donc réfléchir à la manière de renforcer la capacité des citoyens à faire respecter ces dispositions tout en poursuivant leurs efforts pour réformer ces mécanismes d’application et les rendre mieux adaptés aux nouvelles réalités. Cela renforcerait les moyens d’action des personnes dans un domaine – la protection des droits – qui se prête particulièrement à la judiciarisation tout en rendant les traités eux-mêmes plus efficaces.
6. L’Assemblée reconnaît que des mesures unilatérales légales dans le commerce international (comme le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne) peuvent s’avérer nécessaires pour que les États réalisent leur ambition d’avancer plus vite vers un développement durable et inclusif. De telles mesures pourraient encourager des initiatives similaires dans le monde entier, ce qui contribuerait à assurer la cohérence des politiques et leur compatibilité avec les règles de l’OMC. Les États devraient continuer de tirer parti de toutes les possibilités légales offertes par le droit international du commerce et des investissements pour agir unilatéralement, notamment par l’adoption de mesures en vertu de l’article XX de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce et des accords de l’OMC relatifs aux sauvegardes et sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires.
7. L’Assemblée estime que les accords commerciaux de «l’ancienne génération» devraient être interprétés et adaptés à la lumière des nouveaux impératifs de promotion du développement durable et des droits fondamentaux. Elle constate que des complications juridiques inattendues surviennent au cours du processus de modernisation de certains traités, notamment le Traité sur la Charte de l’énergie (TCE). En effet, les clauses de caducité ou l’interprétation étroite de ces traités par des tribunaux d’arbitrage privés dans le cadre du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États exposent ces derniers à des litiges coûteux, à un abaissement des normes de protection de la santé publique et de l’environnement et de l’atténuation des changements climatiques, voire à des revirements de politique sous la pression d’entreprises influentes.
8. En ce qui concerne les problèmes spécifiques liés au TCE, l’Assemblée demande instamment aux États de combler l’écart entre la protection des investissements dans les combustibles fossiles et l’intégration des objectifs climatiques, en concluant un accord inter se de modification de la clause de caducité du TCE, comme l’autorise le droit international en vertu des articles 41 et 64 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969). Cela enverrait un message clair aux autres États parties, aux tribunaux nationaux et aux tribunaux d’arbitrage, selon lequel une clause de caducité d’une si longue durée est incompatible avec les engagements contractés par ces États au titre de l’Accord de Paris et du préambule du TCE qui fait référence à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, sous les auspices de laquelle l’Accord de Paris a été signé. L’Assemblée soutient fermement l’objectif ultime d’une révision coordonnée du TCE en vue de réduire ou de supprimer la clause de caducité en ce qui concerne les investissements dans les combustibles fossiles et de prendre en compte les avantages environnementaux qui en découleraient.
9. À la lumière des considérations qui précèdent, l’Assemblée demande aux États membres:
9.1. de soutenir les négociations multilatérales en vue de la réforme du mécanisme de règlement des différends de l’OMC pour les litiges commerciaux entre États, d’une part, et la création d’un tribunal multilatéral des investissements sous les auspices des Nations Unies pour les litiges entre entreprises et États, d’autre part;
9.2. de veiller à ce que tous leurs nouveaux accords de commerce et d’investissement contiennent des dispositions détaillées sur le développement durable et la protection des droits fondamentaux, et de renforcer les mécanismes d’application de ces dispositions, à la mesure de ceux qui protègent les investisseurs;
9.3. d’évaluer leurs engagements existants en matière de commerce et d’investissement dans le cadre des traités de «l’ancienne génération» et, le cas échéant, d’initier la révision des traités en question en vue de les mettre à jour en y intégrant des dispositions relatives au développement durable et à la protection des droits fondamentaux, de manière à veiller à ce qu’ils contribuent et soient conformes à la mise en œuvre des traités internationaux sur l’environnement et des objectifs de développement durable;
9.4. d’utiliser les accords de commerce et d’investissement comme outils de promotion des normes démocratiques et des droits humains, dont les droits sociaux, à l’échelle mondiale;
9.5. d’associer systématiquement les parlements aux négociations menées en vue de la conclusion ou de la réforme de tout traité de commerce et d’investissement, afin d’améliorer le contrôle démocratique et la transparence du processus avant la ratification finale des accords;
9.6. si nécessaire, d’envisager de prendre des mesures unilatérales légales dans le cadre du commerce international afin de faire respecter les normes environnementales nationales à la frontière, sur la base du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne, et d’envisager d’étendre ces mesures de façon à ce qu’elles couvrent les droits fondamentaux, y compris les droits du travail et la santé publique;
9.7. de promouvoir les obligations relatives au devoir de vigilance des entreprises par l’intermédiaire du commerce, en ce qui concerne la protection de l’environnement, des droits fondamentaux, et de la santé publique, et l’atténuation du changement climatique.
10. L’Assemblée appelle les parlements nationaux à demander des comptes aux gouvernements pour ce qui est de la négociation de tout nouveau traité commercial, de la réforme des accords commerciaux et des accords de protection des investissements existants, et de la poursuite d’une mise en œuvre plus ambitieuse des traités internationaux sur l’environnement et des objectifs de développement durable au niveau national.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 16 mars 2023.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution ... (2023) «Sauvegarde de la démocratie, des droits et de l’environnement dans le commerce international». Elle souligne l’étroite interdépendance qui existe entre les politiques menées par les États membres du Conseil de l’Europe dans le domaine du commerce et des investissements et la mise en œuvre de valeurs communes afin de «favoriser le progrès social et économique», tel qu’énoncé dans le Statut de l’Organisation (STE no 1). Les accords commerciaux internationaux doivent évoluer avec la société et traduire l’attention accrue qu’elle porte à la dignité humaine et au développement durable.
2. Considérant qu’il est impératif que le Conseil de l’Europe et ses États membres contribuent à la réalisation des objectifs de développement durable des Nations Unies visant à promouvoir la prospérité humaine dans le monde entier tout en protégeant la planète, l’Assemblée souligne la nécessité de rééquilibrer les engagements économiques, sociaux et environnementaux des États aux niveaux mondial et national, notamment par l’intermédiaire des politiques et des accords commerciaux.
3. L’Assemblée réitère donc ses propositions d’action aux États membres, telles qu’elles figurent dans sa Résolution ... (2023), et demande instamment au Comité des Ministres de recommander à son tour aux gouvernements des États membres:
3.1. de soutenir les négociations multilatérales en vue de la réforme du mécanisme de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour les litiges commerciaux entre États, d’une part, et la création d’un tribunal multilatéral des investissements sous les auspices des Nations Unies pour les litiges entre entreprises et États, d’autre part;
3.2. de veiller à ce que tous les nouveaux accords de commerce et d’investissement contiennent des dispositions détaillées sur le développement durable et la protection des droits fondamentaux, et de renforcer les mécanismes d’application de ces dispositions, à la mesure de ceux qui protègent les investisseurs;
3.3. d’évaluer les engagements existants en matière de commerce et d’investissement dans le cadre des traités de «l’ancienne génération» et, le cas échéant, d’initier la révision des traités en question en vue de les mettre à jour en y intégrant des dispositions relatives au développement durable et à la protection des droits fondamentaux, de manière à veiller à ce qu’ils contribuent à la mise en œuvre des traités internationaux sur l’environnement et des objectifs de développement durable;
3.4. d’utiliser les accords de commerce et d’investissement comme outils de promotion des normes démocratiques et des droits humains, dont les droits sociaux, à l’échelle mondiale;
3.5. d’associer systématiquement les parlements aux négociations menées en vue de la conclusion ou de la réforme de tout traité de commerce et d’investissement, afin d’améliorer le contrôle démocratique et la transparence du processus, depuis le mandat de négociation jusqu’à la ratification finale des accords;
3.6. si nécessaire, d’envisager de prendre des mesures unilatérales légales dans le cadre du commerce international afin de faire respecter les normes environnementales nationales à la frontière, sur la base du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne, et d’envisager d’étendre ces mesures de façon à ce qu’elles couvrent également les droits fondamentaux, y compris les droits du travail et la santé publique;
3.7. de promouvoir les obligations relatives au devoir de vigilance des entreprises par l’intermédiaire du commerce, en ce qui concerne la protection de l’environnement, des droits fondamentaux et de la santé publique;
3.8. de travailler ensemble pour une révision coordonnée du Traité sur la Charte de l’énergie, afin de minimiser la durée de la clause de caducité et son impact négatif sur l’environnement, le changement climatique et les droits fondamentaux.

C. Exposé des motifs par M. Geraint Davies, rapporteur

(open)

1. Introduction, but et portée du rapport

1. Nos valeurs communes – les droits humains, la démocratie et l’État de droit – ne sont pas à vendre. Pourtant, elles sont de plus en plus pertinentes dans le commerce mondial. Comme le note la proposition de résolution (Doc. 15144) déposée par la Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, on voit apparaître une «vague» d’accords commerciaux de nouvelle génération qui tendent de plus en plus «à régir et à définir les normes de comportement à l’intérieur des États et entre ceux-ci» tandis que, dans le même temps, le système commercial multilatéral incarné par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est fragilisé.
2. Nous assistons à une augmentation soutenue des accords de commerce et d’investissement (ACI) tant en termes de volume que d’importance géopolitique 
			(3) 
			Maluk
J., Glanemann N., et Donner R. V., «Bilateral Trade Agreements and
the Interconnectedness of Global Trade», Front. Phys (27 novembre
2018).. L’année 2021 a atteint le record historique du nombre de notifications à l’OMC de nouveaux accords en vigueur. Cela s’inscrit dans le cadre d’une augmentation cumulative constante, année après année, des accords en vigueur depuis 2006 
			(4) 
			Voir <a href='https://www.wto.org/french/tratop_f/region_f/region_f.htm'>www.wto.org/french/tratop_f/region_f/region_f.htm#facts</a>.. Nous assistons également depuis 1992 à une croissance soutenue du nombre d’accords commerciaux multilatéraux/régionaux 
			(5) 
			Voir <a href='https://wits.worldbank.org/gptad.html'>https://wits.worldbank.org/gptad.html</a>. Cette base de données fournit des informations sur
les accords commerciaux préférentiels dans le monde, y compris les
accords qui n’ont pas été notifiés à l’OMC.. Conséquence de la conjugaison de ces évolutions, un volume plus important que jamais du commerce mondial est soumis aux dispositions d’ACI.
3. L’Assemblée parlementaire a pour la première fois soulevé cette question sur le plan des droits sociaux, de la santé publique et du développement durable 
			(6) 
			Voir
la Résolution 2152 (2017) «Les accords commerciaux de “nouvelle génération” et
leurs implications pour les droits sociaux, la santé publique et
le développement durable» (et le rapport de la Commission des questions
sociales, de la santé et du développement durable, Doc. 14219)., ainsi qu’en ce qui concerne l’arbitrage entre États et investisseurs 
			(7) 
			Voir la Résolution 2151 (2017) «La compatibilité avec les droits de l’homme de l’arbitrage
investisseur-État dans les accords internationaux de protection
des investissements» (et le rapport de la Commission des questions
juridiques et des droits de l’homme, Doc. 14225, ainsi que l’avis de la Commission des questions sociales,
de la santé et du développement durable, Doc. 14255).. Elle se déclarait préoccupée par le fait que de tels accords de protection du commerce et de l’investissement puissent introduire «de nouveaux pouvoirs pour les sociétés transnationales de recourir à des tribunaux d’arbitrage pour poursuivre les États membres pour les lois qu’ils adoptent qui pourraient entraver de futurs profits [...]» 
			(8) 
			Voir
la Résolution 2152 (2017), paragraphe 2.. En outre, l’Assemblée constatait que le processus de négociation de ces accords manquait de transparence et n’avait pas fait l’objet d’un examen suffisant des parlementaires ou du public, et craignait une répartition inégale des bénéfices économiques potentiels de ces accords. Selon l’Assemblée, «les accords commerciaux de nouvelle génération devraient être destinés à la promotion d’un environnement durable, des droits humains et de l’État de droit démocratique, ainsi qu’à faciliter les avantages mutuels du commerce» 
			(9) 
			Voir
la Résolution 2152 (2017), paragraphe 8..
4. En tant que rapporteur, j’estime que le moment est venu pour l’Assemblée d’évaluer si les préoccupations précédemment exprimées au sujet de la protection de nos valeurs communes ont été dûment prises en compte par les États membres. Le présent rapport vise donc à faire le point sur les évolutions récentes dans le domaine des ACI, en particulier en termes de contrôle démocratique sur «la définition du mandat des négociations, les négociations proprement dites et la conclusion [de tels] accords» 
			(10) 
			Voir la proposition
de résolution (Doc. 15144).. Le rapport examine également comment les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe sont promues par ces accords et comment les droits essentiels sont défendus du point de vue du développement durable, de la santé publique et des normes environnementales et alimentaires. Il cherche à établir si de tels accords soutiennent réellement la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le changement climatique et de l’Agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable. La communauté internationale peut poursuivre des agendas d’intérêt commun par le biais du commerce, à travers les démocraties et les autocraties, en particulier pour atténuer collectivement le changement climatique.
5. Enfin, ce rapport examine comment interpréter et adapter les accords commerciaux de «l’ancienne génération» à la lumière des nouveaux impératifs de promotion du développement durable et de nos valeurs communes. En particulier, puisque le commerce représente 25 % des émissions de gaz à effet de serre 
			(11) 
			Voir «Rapport sur le
commerce mondial 2022: Changement climatique et commerce international»,
OMC, Genève. et a une influence sur le pouvoir économique relatif des démocraties et des autocraties, les règles de conduite du secteur ont un impact à long terme sur notre environnement et nos valeurs communes. Comme le commerce peut être influencé par la guerre, les mesures unilatérales, les sanctions économiques et d’autres phénomènes géopolitiques, il s’agit bien d’une activité économique sensible aux valeurs. Les règles commerciales devraient donc être considérées en fonction de leur impact sur nos valeurs et notre environnement commun – au-delà de l’intérêt de certaines industries ou économies. En effet, comme l’a souligné un participant au Forum public 2022 de l’OMC 
			(12) 
			Forum
public de l’OMC «<a href='https://www.wto.org/french/forums_f/public_forum22_f/public_forum22_f.htm'>Vers
une reprise durable et inclusive: de l’ambition à l’action</a>», 27-30 septembre 2022, Genève (Suisse)., «le commerce devrait être régi par des règles, non par le pouvoir», et aucun pays ne peut résoudre un gros problème à lui seul.
6. Compte tenu des observations ci-dessus, le rapport met l’accent sur trois domaines: (1) la démocratisation des ACI par l’examen de bonnes pratiques nationales et internationales, afin de formuler des recommandations pour réduire les tensions entre les ACI et la gouvernance démocratique; (2) la promotion des valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe par le biais des ACI – examen de propositions concrètes pour la sauvegarde de la démocratie, des droits humains et de l’État de droit par le biais des ACI, sur la base de bonnes pratiques en vigueur et de propositions issues de travaux universitaires et de la littérature consacrée à l’élaboration de politiques ; (3) le renforcement de la cohérence des politiques publiques et des actions de soutien au développement durable à la lumière des traités internationaux sur le climat et des objectifs de développement durable.

2. Deux «générations» d’accords de commerce et d’investissement

7. Depuis la Seconde Guerre mondiale, deux «générations» d’accords de commerce et d’investissement se sont succédées 
			(13) 
			Fowles
S., «<a href='https://fpc.org.uk/author/sam-fowles/'>How investment
treaties have a chilling effect on human rights</a>», Foreign Policy Centre (2017).. La première génération d’ACI est apparue après l’effondrement des empires coloniaux européens avec le besoin des États nouvellement indépendants d’attirer des capitaux étrangers («investissements étrangers directs»). Mais, parce que les investisseurs hésitaient à commercer avec de tels partenaires en raison de leur instabilité politique et du manque d’indépendance des tribunaux locaux, les États nouvellement indépendants ont signé des accords de libre-échange avec leurs anciens colonisateurs. Ces accords conféraient divers privilèges commerciaux (centrés généralement sur l’accès au marché et les tarifs douaniers pour les marchandises), tout en garantissant les droits de propriété des investisseurs et en instituant un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Ce mécanisme permet aux investisseurs de régler leurs différends avec les États d’accueil devant un tribunal international indépendant; toutefois, la transparence, la cohérence des décisions et le coût élevé de ce type d’arbitrage suscitent des inquiétudes croissantes. Bien que les avis soient partagés quant à l’opportunité de ces accords de première génération qui, pour certains experts, n’étaient que la continuation d’une forme de colonialisme par d’autres moyens, ils semblent avoir d’une certaine façon encouragé les investissements étrangers directs 
			(14) 
			Antony
Anghie, «Imperialism, Sovereignty, and the Making of International
Law», Cambridge; Cambridge University Press, 2007, pp. 32-114..
8. La deuxième génération d’ACI a vu le jour au début des années 1990. Les accords de deuxième génération se distinguent des accords de première génération de trois manières principales:
  • Les accords de deuxième génération ont un champ d’application beaucoup plus large: outre les droits de douane et les investissements, ils couvrent souvent la propriété intellectuelle, les dispositions sanitaires et phytosanitaires, les barrières techniques au commerce, les subventions, le commerce des services, les visas, la reconnaissance des qualifications professionnelles, la réglementation nationale, les télécommunications et le commerce électronique, la concurrence et les marchés publics 
			(15) 
			Voir, par exemple, <a href='https://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ceta/ceta-chapter-by-chapter/index_en.htm'>https://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ceta/ceta-chapter-by-chapter/index_en.htm</a>..
  • Dans les accords de deuxième génération, les dispositions relatives à la protection des investissements font souvent l’objet d’une lecture beaucoup plus large. Elles vont au-delà de la simple protection de la propriété privée et confèrent aux investisseurs des droits plus étendus que ceux dont jouissent les citoyens. Cela peut permettre aux investisseurs d’opposer leur veto à une politique publique (même lorsqu’elle bénéficie d’un soutien populaire), par exemple en forçant un État à retirer les réglementations relatives à la sécurité des combustibles 
			(16) 
			<a href='http://www.italaw.com/cases/409'>Ethyl Corporation v.
The Government of Canada, UNCITRAL</a>., ou en exigeant d’un État qu’il verse des sommes substantielles parce qu’un changement de politique (comme dans le cas de l’abandon progressif de l’énergie nucléaire motivé par l’accident de Fukushima) risque de se répercuter sur les bénéfices futurs escomptés 
			(17) 
			<a href='https://investmentpolicy.unctad.org/investment-dispute-settlement/cases/329/vattenfall-v-germany-i-'>Vattenfall
c. Allemagne</a>, affaire CIRDI n° ARB/09/6. ou de revenir sur les mesures de protection de l’environnement et des paysages exceptionnels 
			(18) 
			Compañia
del Desarrollo de Santa Elena S.A. c. République du Costa Rica,
39 ILM 317 (2000)..
  • De nombreux accords commerciaux mettent en place des comités de fonctionnaires chargés d’en superviser le fonctionnement. Ces comités disposent souvent de pouvoirs importants pour modifier certaines parties de l’accord concerné, mais, en dépit des pouvoirs qu’ils exercent et qui peuvent influer sur la législation, ils ne sont absolument pas tenus de rendre des comptes.
9. Bien que certains traités internationaux aient à première vue peu à voir avec des ACI, ils peuvent avoir une influence majeure sur les politiques publiques par le biais des mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États. L’un de ces traités est le Traité sur la Charte de l’énergie (TCE) élaboré au milieu des années 1990 dans le noble but de soutenir la coopération multilatérale sur les questions énergétiques; il a ensuite été instrumentalisé par certaines entreprises de combustibles fossiles pour poursuivre les États et réclamer des compensations exorbitantes en réaction aux revirements politiques respectueux du climat. Selon l’Institut international pour le développement durable, «17 % de tous les litiges entre investisseurs et États entamés par des acteurs privés du secteur des combustibles fossiles s’appuient sur le TCE – soit plus que sur tout autre accord international d’investissement». Bien que les récentes négociations visant à moderniser le traité promettaient des améliorations substantielles, les modifications annoncées en juin 2022 continuent d’offrir, dans une vingtaine de parties contractantes (y compris l’Union européenne et le Royaume-Uni), une large protection aux investissements existants dans les combustibles fossiles par le biais de ce que l’on appelle les «dispositions de caducité» (sunset clauses), qui visent principalement à éliminer tout litige intra-européen, de sorte qu’une grande incertitude juridique demeure tant pour les gouvernements que pour les investisseurs 
			(19) 
			Voir la déclaration
«<a href='https://www.iisd.org/articles/statement/newly-released-text-modernized-energy-charter-treaty'>Le
nouveau texte du Traité sur la Charte de l’énergie modernisé conserve
trop d’obstacles potentiels à l’action climatique</a>» de l’Institut international pour le développement durable,
13 septembre 2022..
10. Lors de l’audition tenue le 2 décembre 2022, les membres de notre commission ont eu la possibilité d’examiner les enjeux entourant le TCE avec Guy Lentz, secrétaire général du TCE, Marie-Pierre Vedrenne, députée européenne (Renew Europe, France), et Catherine Banet, responsable du département de droit de l’énergie et des ressources, Institut scandinave de droit maritime, Université d’Oslo (Norvège). Les discussions ont montré combien la situation est complexe et combien il est difficile de réformer le traité existant. Pour résumer, la réforme du TCE est particulièrement épineuse pour deux raisons principales: premièrement, le traité contient une clause de caducité d’une durée de 20 ans, et deuxièmement, il s’agit d’un traité multilatéral doté d’une procédure d’amendement rigide, ce qui renforce la situation de statu quo 
			(20) 
			«Sunset Clauses in
International Law and their Consequences for EU Law» (PE 703.592),
Département thématique des droits des citoyens et des affaires constitutionnelles,
Direction générale des politiques internes du Parlement européen,
janvier 2022.. Un départ coordonné du traité des pays de l’Union européenne semble exclu en raison de l’opposition de certains pays.
11. Dans ce contexte, il convient de rappeler que sur la base d’une demande formulée par la Belgique en 2017, l’Union européenne cherche à établir un tribunal multilatéral des investissements et a déjà remplacé le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États par des systèmes juridictionnels des investissements bilatéraux dans ses accords internationaux d’investissement récemment négociés par exemple avec le Canada, le Mexique, Singapour et le Vietnam. Ces accords prévoient également un passage progressif et en temps voulu des systèmes juridictionnels des investissements bilatéraux à un tribunal multilatéral des investissements permanent 
			(21) 
			Pour plus d’informations,
voir <a href='https://www.europarl.europa.eu/legislative-train/theme-a-balanced-and-progressive-trade-policy-to-harness-globalisation/file-multilateral-investment-court-(mic)'>www.europarl.europa.eu/legislative-train/theme-a-balanced-and-progressive-trade-policy-to-harness-globalisation/file-multilateral-investment-court-(mic)</a>.. Le Parlement européen a, quant à lui, demandé à l’Union européenne et à ses États membres de ne pas signer ou ratifier de traités de protection des investissements incluant le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. En outre, la jurisprudence récente de l’Union européenne (notamment l’affaire Komstroy) a établi que les dispositions relatives au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États prévues par le TCE ne s’appliquaient pas aux litiges intra-européens. Toutefois, les tribunaux d’arbitrage privés ne sont pas tenus d’accepter cet argument à titre d’objection procédurale.

3. Les multiples couches du système commercial mondial

12. Les échanges mondiaux de biens, de services et de capitaux à travers les frontières sont généralement encadrés par des accords commerciaux à plusieurs niveaux: bilatéral (entre deux États), régional (entre plusieurs partenaires commerciaux, comme l’ALENA ou Accord de libre-échange nord-américain couvrant le Canada, les États-Unis et le Mexique ; l’APEC ou Accord de coopération économique pour l’Asie-Pacifique avec 21 pays ; et les accords-cadres de l’Union européenne avec des partenaires commerciaux) ou multilatéral (régi par l’OMC depuis 1995 et le GATT 
			(22) 
			L’Accord général sur
les tarifs douaniers et le commerce. Il régissait principalement
le commerce des marchandises, tandis que l’OMC et ses divers accords
couvrent également le commerce des services et la propriété intellectuelle.
La création de l’OMC a également donné naissance à de nouvelles
procédures de règlement des différends (le mécanisme de règlement
des différends). entre 1948 et 1994).
13. Il est important de comprendre cette architecture d’accords à plusieurs couches afin d’appuyer nos efforts politiques en faveur de la promotion des valeurs que nous défendons à l’échelle la plus large possible. En effet, l’application des valeurs, des normes et des politiques peut se faire dans le cadre de contextes commerciaux multilatéraux, régionaux et bilatéraux, ainsi que par le biais de mesures unilatérales. Ces accords de facilitation des échanges peuvent être utilisés de concert et de manière dynamique pour encourager l’amélioration et la conformité. Ainsi, la disposition relative à la «moralité publique» de l’accord du GATT fournit une certaine base pour l’évolution des interprétations concernant les valeurs des droits humains, de l’État de droit et de la démocratie dans un contexte multilatéral. En outre, la «nouvelle génération» d’accords commerciaux de l’Union européenne comporte systématiquement des chapitres sur le développement durable.
14. Le système multilatéral fondé sur des règles soutenu par l’OMC est le mécanisme le plus inclusif et le plus équilibré à l’échelle mondiale. Il donne un poids considérable aux petits pays, en particulier pour défendre leurs intérêts contre les grands acteurs. Ils peuvent ainsi recourir au mécanisme de règlement des différends de l’OMC et déclencher l’application de mesures correctives. Toutefois, ce mécanisme de règlement des différends est bloqué depuis le 11 décembre 2019 parce que son organe d’appel n’est plus en mesure de rendre des décisions contraignantes sur les différends commerciaux interétatiques. Dans l’attente d’une solution, l’Union européenne et d’autres membres de l’OMC ont mis en place une procédure arbitrale d’appel provisoire multipartite et travaillent ensemble à la réforme du mécanisme de règlement des différends de l’OMC afin d’en assurer l’efficacité.
15. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) 
			(23) 
			Voir <a href='https://ec.europa.eu/taxation_customs/green-taxation-0/carbon-border-adjustment-mechanism_en'>https://ec.europa.eu/taxation_customs/green-taxation-0/carbon-border-adjustment-mechanism_en</a> pour plus d’informations sur le mécanisme d’ajustement
carbone aux frontières de l’Union européenne, proposé le 14 juillet
2021 par la Commission européenne et approuvé par le Conseil européen
le 15 mars 2022. de l’Union européenne est un exemple phare de mesure unilatérale qui permet de faire appliquer les normes environnementales nationales à la frontière en obligeant les importateurs de produits à forte intensité de carbone à acheter des certificats MACF 
			(24) 
			Le
prix de ces certificats est fixé en fonction de la tarification
du carbone définie dans le cadre du système d’échange de quotas
d’émission.. Il contribue à accélérer la transition vers une production nationale plus propre tout en rendant moins attrayantes les importations de produits «sales» et la délocalisation de la production vers des pays où les normes environnementales sont faibles. Tout en étant pleinement compatible avec les règles du commerce international, le MACF encourage les partenaires commerciaux de l’Union européenne à renforcer leurs ambitions respectueuses du climat et pourrait servir de base à la modernisation des accords commerciaux de «l’ancienne génération». Le MACF suggère également que des ajustements aux frontières pourraient être possibles pour soutenir non seulement les valeurs environnementales, mais aussi les valeurs sociales et les droits liés au travail. En outre, l’exemplarité de l’Union européenne en matière d’exigences de devoir de vigilance favorise le développement de chaînes d’approvisionnement conformes aux droits humains et assurant la durabilité environnementale 
			(25) 
			La proposition de directive
de l’Union européenne sur le devoir de vigilance des entreprises
en matière de durabilité du 23 février 2022 cherche à intégrer les
considérations relatives à l’environnement et aux droits de l’homme
dans la gouvernance et les opérations des entreprises. Elle concerne
les grandes entreprises de plus de 500 salariés ayant leur siège
dans l’Union européenne et réalisant un chiffre d’affaires supérieur
à 150 millions d’euros à l’échelle mondiale (groupe 1), ainsi que
les entreprises de plus de 250 salariés réalisant un chiffre d’affaires
de plus de 40 millions d’euros à l’échelle mondiale qui exercent
des activités dans des secteurs à fort impact (groupe 2), notamment
le textile, l’agriculture et l’extraction de minéraux..
16. De plus, comme cela a été souligné lors du Forum public 2022 de l’OMC, un sous-ensemble de pays membres de l’OMC examine actuellement la possibilité de mettre en place un mécanisme de facilitation de l’investissement qui permettrait de surmonter les problèmes liés aux dispositions de protection des investissements et à leur application souvent brutale par le biais du système de règlement des différends entre investisseurs et États. Il s’agit de ce que l’on appelle une initiative de déclaration conjointe, qui vise à alléger les formalités réglementaires et à rationaliser les procédures administratives relatives aux investissements, ainsi qu’à mettre en place un cadre national plus cohérent et plus transparent pour attirer les investissements directs étrangers. Les pourparlers concernant l’initiative de déclaration conjointe excluent expressément les questions de règlement des différends, d’accès aux marchés et de protection des investissements. Une fois conclue, l’initiative de déclaration conjointe pourrait potentiellement réduire les tensions découlant des clauses de règlement des différends entre investisseurs et États dans les accords internationaux d’investissement en encourageant la prévention des différends, notamment ceux entourant les politiques étatiques en faveur d’investissements plus durables, et une plus grande coopération entre les pays développés et en développement en vue du renforcement des capacités de ces derniers.

4. Impacts sur la démocratie: défis et opportunités

17. La majorité des ACI ne sont pas soumis à un examen aussi rigoureux que la législation nationale et pourtant, leurs impacts éventuels sont comparables. Ils peuvent donner aux personnes et aux entreprises privées la possibilité de peser sur la politique publique en faisant valoir des droits spéciaux – qui sont refusés aux citoyens (comme mentionné ci-dessus). Cette simple possibilité peut décourager les gouvernements de mener des politiques populaires, même lorsque les investisseurs choisissent de ne pas faire valoir leurs droits par la voie du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ainsi, plusieurs États ont retardé ou abandonné l’interdiction de la publicité pour le tabac après l’affaire Phillip Morris c. Uruguay) 
			(26) 
			Jonathan
Bonnitcha, «Substantive Protection under Investment Treaties: A
Legal and Economic Analysis», London; Cambridge University Press,
2014, p. 12..
18. Les ACI peuvent également contraindre les législateurs à modifier la loi. Lorsque l’exécutif convient d’un traité incompatible avec le droit interne, les législateurs (en pratique) n’ont guère d’autre choix que de modifier la législation nationale en conséquence 
			(27) 
			Voir les considérations
sur ce point dans Montague v. Secretary of State for International
Trade, 2020, UKFTT (tribunal de première instance, Royaume-Uni).. En outre, les comités de fonctionnaires institués par les différents ACI sont en capacité d’orienter les différents domaines de politique publique pour s’assurer de leur conformité avec l’accord de référence.
19. Les ACI ne sont toutefois pas soumis à un niveau d’examen proportionnel à leur impact. Les affaires étrangères sont généralement la chasse gardée de la branche exécutive du gouvernement. Cela signifie que les ministres et les fonctionnaires disposent d’une grande latitude dans la négociation et la conclusion de ces traités. Ils peuvent en effet engager leurs États à se soumettre à des limitations substantielles pour les décennies à venir, sachant que de nombreux ACI contiennent des dispositions qui lient les parties jusqu’à 20 ans (tel est le cas du TCE), bien au-delà d’un cycle électoral ordinaire et même après qu’un État a quitté le traité. Certains États et entités, comme l’Union européenne, exigent l’autorisation du corps législatif avant qu’un traité puisse être ratifié, mais ce n’est pas toujours le cas (au Royaume-Uni, par exemple, un ACI peut être ratifié sans vote du parlement).
20. Un certain nombre d’États et d’organisations autorisent l’examen des ACI proposés immédiatement avant leur ratification. Certes, «un examen succinct vaut mieux que rien», mais l’examen avant ratification est d’une utilité limitée car les équipes de négociation du traité en ont déjà substantiellement ficelé les modalités. Dès lors, en pratique, l’accord est souvent un fait accompli. Le contrôle n’a de sens que lorsqu’il y a une réelle perspective qu’il conduise à des changements dans un accord. Il existe donc trois étapes clés au cours desquelles un contrôle est nécessaire: (a) la définition de la portée/du mandat – dans le cadre de laquelle les parties déterminent les domaines politiques à inclure (potentiellement) dans l’accord et leurs objectifs; (b) les négociations – l’examen devrait déterminer la position des parties par rapport aux objectifs initiaux et si de nouvelles propositions (c’est-à-dire non prises en compte lors de la définition du mandat) sont incluses ; (c) la pré-ratification. L’Union européenne est un chef de file mondial en matière de dispositions relatives au contrôle à chacune de ces étapes clés, mais de nombreux États restent à la traîne.
21. Si, du point de vue de la démocratie et des droits, les ACI présentent un certain nombre d’aspects problématiques, ils offrent également des possibilités significatives. De plus en plus, ces accords transcendent les normes nationales et internationales et (pour au moins certaines de leurs dispositions) contiennent des mécanismes d’application solides et efficaces. Les ACI ont donc le potentiel requis pour devenir un outil efficace de renforcement des normes démocratiques et des droits humains, dont les droits sociaux.

5. Sauvegarder les valeurs et les droits fondamentaux par le biais du commerce

22. Comme indiqué brièvement ci-dessus, la promotion et la protection des valeurs et des normes fondamentales dans le commerce international peuvent se réaliser de manière universelle, tout d’abord au niveau multilatéral par le biais de l’OMC, mais aussi au niveau régional par la prise de mesures bilatérales ou unilatérales par de grands pays (comme les États-Unis, la Chine), ou d’alliances entre pays (comme l’Union européenne), notamment par l’inclusion de chapitres ou de dispositions spécifiques dans les ACI.
23. Au niveau multilatéral, l’Accord de l’OMC sur les sauvegardes 
			(28) 
			Voir <a href='https://www.wto.org/english/tratop_e/safeg_e/safeint.htm'>https://www.wto.org/english/tratop_e/safeg_e/safeint.htm</a>. définit certaines règles fondamentales et permet le recours à des mesures de sauvegarde par les États membres de l’OMC. Une «sauvegarde» est, dans ce contexte, une mesure d’urgence prise par un pays pour protéger son marché national par une restriction temporaire des importations d’un produit (par exemple au moyen de quotas ou d’une augmentation des droits de douane) dès lors que ces importations ont causé ou pourraient causer un dommage grave à l’industrie du pays importateur. Normalement, une sauvegarde ne devrait pas durer plus de quatre ans, mais dans la pratique, elle peut être prolongée jusqu’à huit ans si elle est jugée nécessaire. Les pays en développement peuvent maintenir des sauvegardes en place pendant une durée pouvant aller jusqu’à dix ans. Cependant, les mesures de sauvegarde d’une durée supérieure à trois ans doivent donner lieu à une compensation sous la forme de concessions commerciales substantiellement équivalentes.
24. Une interprétation souple des sauvegardes pourrait aussi être utilisée pour protéger une activité économique nationale vertueuse contre les importations de biens produits sans respect suffisant des normes minimales. Sur le plan social, les traités internationaux du travail (notamment les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT)) fixent des critères essentiels pour garantir la valeur sociale et économique et augmenter la productivité, la résilience et l’adaptabilité des entreprises, tout en protégeant les droits fondamentaux des travailleurs et en garantissant un socle de protection sociale. De plus, l’article XX du GATT admet des exceptions générales et l’adoption de mesures de restriction du commerce «nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux». Cette disposition permet l’adoption de mesures législatives visant à garantir un commerce équitable sur le plan social et environnemental.
25. Cependant, les différences de normes et un «nivellement par le bas» pour des raisons de compétitivité font qu’il est souvent difficile de faire respecter les normes théoriques par-delà les frontières. C’est là, précisément, que les mesures unilatérales et les sauvegardes commerciales peuvent entrer en jeu pour contraindre les pays laxistes à améliorer l’application des normes sociales minimales sous la pression de partenaires commerciaux plus vertueux. Je tiens à insister sur la nécessité de chercher à éliminer le travail nocif des enfants et le travail forcé, d’assurer le respect des normes minimales en matière de santé et de sécurité au travail et de s’employer à élever les niveaux de subsistance au-dessus des taux de pauvreté nationaux. Dans ce contexte, le rôle moteur de l’Union européenne en matière de devoir de vigilance pourrait ouvrir la voie à la mise en place, dans le monde entier, de chaînes d’approvisionnement plus propres sur le plan social et environnemental et plus respectueuses des droits humains.
26. Favoriser les échanges commerciaux avec des «pays amis» («friend-shoring») peut également être un moyen, pour les démocraties avancées, de promouvoir et de consolider des valeurs par le biais d’accords commerciaux. Par exemple, l’accord commercial conclu entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande intègre des normes élevées de conformité environnementale et sociale, dont la protection des droits des populations autochtones. Les anciens accords commerciaux peuvent être remis aux normes lorsqu’il existe un consentement mutuel des parties: c’est dans ce domaine que l’on pourra principalement agir dans l’avenir. Ainsi, le Royaume-Uni pourrait être encouragé à mettre à jour son accord commercial avec la Nouvelle-Zélande sur la base de l’approche plus progressiste de l’Union européenne.
27. Dans le même temps, je dois mettre en garde contre tout abaissement des normes environnementales, sanitaires et sociales lors de la négociation de nouveaux accords commerciaux, en particulier lorsqu’il y a peu, voire pas, de contrôle démocratique, d’obligation de rendre des comptes et de transparence. Le contrôle démocratique et l’obligation de rendre des comptes aux étapes clés des négociations commerciales semblent mieux enracinés dans les pays de l’Union européenne et aux États-Unis que dans beaucoup d’autres pays, y compris le mien, le Royaume-Uni. En particulier, il ne faudrait pas laisser les «ports francs» qui se développent au Royaume-Uni saper l’égalité des conditions de concurrence dans les domaines économique, social, environnemental et de la santé publique.

6. Renforcer la cohérence des politiques publiques en faveur du développement durable: vers une élaboration de politiques commerciales écologiquement rationnelles et socialement équitables

28. Comme le montrent les études de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le commerce et l’environnement sont étroitement liés: en effet, la croissance économique peut exercer une pression insoutenable sur les ressources naturelles, générer de la pollution et augmenter les émissions de gaz à effet de serre. Dans le même temps, l’expansion du commerce peut favoriser le développement économique et le bien-être social, renforçant ainsi la capacité des pays à gérer plus efficacement l’environnement par l’accès à de nouvelles technologies qui réduisent la consommation d’énergie, d’eau et d’autres ressources et diminuent le rejet de substances nocives dans l’environnement. De plus, les politiques et les accords commerciaux peuvent inciter à appliquer des normes environnementales plus strictes au sein de chaînes d’approvisionnement mondiales de plus en plus intégrées et interdépendantes. Toutefois, tant que dureront la dégradation de l’environnement et le changement climatique, le commerce sera perturbé par les effets des phénomènes climatiques extrêmes sur le transport maritime et sur l’agriculture, l’épuisement des ressources et les hausses de prix dans le secteur manufacturier, la baisse de la productivité des terres et la propagation d’espèces envahissantes et de zoonoses, pour ne citer que quelques conséquences.
29. Cela étant posé, comment adapter les échanges commerciaux et les politiques qui y sont liées? L’OCDE fait valoir, dans ses études, que des politiques environnementales fortes sont à la fois compatibles avec le commerce et bénéfiques à son expansion si l’on se tourne davantage vers des biens et services environnementaux et si l’on renforce la coopération à l’échelle mondiale. L’OCDE considère également que le commerce peut être un vecteur majeur de durabilité environnementale grâce aux effets conjugués des mesures réglementaires, de la sensibilisation des populations et de la demande de consommateurs qui soutiennent les chaînes d’approvisionnement propres, le traitement des déchets et le recyclage pour récupérer les matières premières et les ressources énergétiques. Dans le même temps, une réglementation insuffisante dans les «paradis pour pollueurs» peut entraîner une concentration des activités nuisibles à l’environnement dans les zones à risque, loin du regard du public. Si l’on souhaite maximiser les bénéfices environnementaux tirés du commerce et minimiser les risques, il faut, selon l’OCDE, inclure des dispositions environnementales dans les traités commerciaux, réduire les subventions dommageables à l’environnement ainsi que les droits de douane sur les biens et services «verts», améliorer la cohérence des politiques et mener une coopération ciblée.
30. Fin 2020, l’OMC a lancé un «dialogue structuré» sur la durabilité environnementale et le commerce pour les pays membres intéressés et d’autres parties prenantes. La Déclaration ministérielle formulée par l’OMC en 2021 prévoit de mener des discussions sur le commerce et le changement climatique, la facilitation des échanges commerciaux de biens et services environnementaux, l’économie circulaire et les chaînes d’approvisionnement durables. Ces discussions structurées, auxquelles participent 46 États membres, pourraient aussi ouvrir la voie à un accord mondial sur les biens environnementaux (les progrès dans ce domaine sont au point mort depuis 2016) 
			(29) 
			Voir <a href='https://www.wto.org/french/tratop_f/envir_f/ega_f.htm'>www.wto.org/french/tratop_f/envir_f/ega_f.htm</a> pour plus d’informations.. Les accords existants de l’OMC accordent déjà une marge d’action aux États pour ce qui est de prendre des mesures de protection de l’environnement. Toutefois, l’OMC estime que ces mesures ne devraient pas être appliquées de manière arbitraire ni être «plus restrictives que ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé» 
			(30) 
			«Rapport sur le commerce
mondial 2022: Changement climatique et commerce international»,
OMC, Genève..
31. Les États membres du Conseil de l’Europe doivent encore faire face à des risques de litiges devant des tribunaux ad hoc en tant que parties à des accords internationaux en matière de commerce et d’investissement d’«ancienne génération» lorsqu’ils accélèrent leur transition énergétique vers des énergies propres et respectent leurs engagements au titre de l’Accord de Paris, de la loi européenne sur le climat et du Pacte vert pour l’Europe. Même le fait de se dégager du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États ne supprime pas tout risque de litige devant des juridictions nationales. Cela étant, il est possible d’invoquer un conflit normatif entre le traité visé par l’arbitrage et l’Accord de Paris – en accordant la priorité à l’Accord de Paris, considérant que ce dernier, en tant que lex posterior, devrait prévaloir. De plus, le devoir de vigilance environnementale, de plus en plus respecté dans les États membres de l’Union européenne, pourrait renforcer l’engagement des grandes entreprises du secteur privé à faire des affaires dans une démarche prospective et respectueuse de l’environnement.
32. De la même façon, il serait judicieux de promouvoir les normes sociales européennes par le biais du commerce international, qui est l’un des instruments les plus puissants dont disposent les pays européens, en particulier dans leurs relations avec les pays en développement. Alors que l’Accord de Paris donne le ton de l’action nationale et internationale contre le changement climatique, les Objectifs de développement durable des Nations Unies, adoptés par la communauté internationale la même année, fixent les objectifs plus généraux à atteindre en matière de développement durable, y compris une très forte dimension sociale.
33. L’Union européenne, en tant que principal bloc commercial de pays, jouit de pouvoirs particuliers. Dès 1995, elle a introduit des conditionnalités sociales qui prévoient des sanctions commerciales lorsque des biens sont fabriqués en recourant au travail forcé et au travail de détenus. Par la suite, elle a favorisé le recours à un système d’incitations sociales par le biais des préférences commerciales et en accordant une plus large place aux normes du travail de l’OIT en tant que partie intégrante de la protection des droits humains à l’échelle mondiale. Cependant, dans les faits, les droits humains de première et de deuxième génération ne sont pas toujours défendus avec la même vigueur, les normes sociales étant protégées de manière plus accommodante que les politiques commerciales.
34. L’étude comparative indépendante menée en 2022 sur les accords de libre-échange a révélé que les dispositions relatives au développement durable, qui portent sur l’environnement, le travail, la responsabilité sociale des entreprises, le genre et les droits des peuples autochtones, étaient de plus en plus utilisées. C’est particulièrement le cas des accords commerciaux de l’Union européenne, et les autres États membres du Conseil de l’Europe pourraient suivre cet exemple. La Suisse mérite une mention spéciale à cet égard en raison du rôle de précurseur qu’elle a joué en insérant dès 2010 des dispositions spécifiques sur les aspects sociaux et environnementaux du commerce dans les nouveaux accords de libre-échange ou dans leur version révisée. L’étude montre également que le rôle joué par la société civile est essentiel à cet égard, en ce qu’elle participe au contrôle de la mise en œuvre des accords de libre-échange et incite à mener des réformes nationales qui intègrent des normes progressistes en matière de travail, d’environnement et de droits humains. Globalement, la recherche de dispositions efficaces en faveur du développement durable dans les traités commerciaux reste un processus dynamique d’apprentissage par la pratique 
			(31) 
			«Comparative Analysis
of Trade and Sustainable Development (TSD) Provisions in Free Trade
Agreements», the London School of Economic and Political Science,
février 2022..

7. Conclusions et recommandations

35. Il est clair que les activités internationales de commerce et d’investissement n’ont pas lieu dans une bulle isolée des autres activités humaines. Se déroulant à différents niveaux, elles interagissent avec les valeurs auxquelles nous sommes attachés, les droits que nous cherchons à protéger et le vaste contexte sociétal que nous voulons améliorer sur le plan démocratique, socio-économique et environnemental. Les accords commerciaux évoluent avec la société et l’attention accrue qu’elle porte aux questions de durabilité et de dignité humaine. Nous devrions donc saluer les efforts déployés par certains pays et par les blocs commerciaux pour développer les échanges d’une manière qui soutienne le progrès de la société par une coopération ciblée, le renforcement des capacités, une sensibilité accrue à la cause du développement durable et un renforcement des engagements en faveur de la préservation et de l’amélioration de notre qualité de vie. Toutes les parties prenantes ont un rôle à jouer, y compris les parlements nationaux et les assemblées parlementaires comme la nôtre.
36. Les problèmes surviennent lorsque les engagements ne sont pas respectés, que les normes sont abaissées ou que les obligations sont ignorées. Les États sont responsables de l’élaboration des politiques et de leur mise en œuvre, y compris en matière commerciale. Les ACI constituent des outils puissants au service du progrès et devraient donc être constamment adaptés aux réalités et aux priorités. En tant que rapporteur, j’estime que tous les nouveaux traités devraient contenir des dispositions fortes sur le développement durable et les droits humains, conformément aux Objectifs de développement durable, et que les traités plus anciens devraient être mis à jour en y intégrant de nouvelles dispositions en ce sens. Il conviendrait notamment d’y ajouter des références à des normes internationales largement acceptées – telles que celles qui figurent dans les conventions de l’OIT concernant les questions sociales et de travail, dans l’Accord de Paris concernant les objectifs climatiques internationaux et dans d’autres conventions pertinentes du droit international de l’environnement.
37. Nous faisons également face à des complications juridiques inattendues en ce qui concerne la modernisation de certains traités (comme le TCE), dont les clauses de caducité ou l’interprétation étroite par des tribunaux d’arbitrage privés (dans le cadre du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États) exposent les États à des litiges coûteux, à un abaissement des normes (de protection de la santé publique et de l’environnement), voire à des revirements de politique sous la pression d’entreprises influentes. Les États devraient faire preuve de plus d’unité en exigeant la modification de ces traités ou en s’accordant sur leur nouvelle interprétation, en mettant en place des mécanismes alternatifs de règlement des différends, comme le tribunal multilatéral des investissements proposé par l’Union européenne, et en faisant une juste place aux traités internationaux les plus récents, comme l’Accord de Paris.
38. En ce qui concerne la question spécifique du TCE, nous encourageons les États désireux de combler l’écart existant entre la protection des investissements et les objectifs climatiques à négocier et à conclure un accord inter se de modification de sa clause de caducité 
			(32) 
			Comme recommandé dans
l’étude “Sunset Clauses in International Law and their Consequences
for EU Law” (PE 703.592), op. cit., et par l’Institut international
du développement durable dans son analyse «La réforme du Traité
sur la Charte de l’énergie: en quoi le retrait est-il une option?», <a href='https://www.iisd.org/itn/fr/2021/06/24/energy-charter-treaty-reform-why-withdrawal-is-an-option/'>www.iisd.org/itn/fr/2021/06/24/energy-charter-treaty-reform-why-withdrawal-is-an-option/</a>, 24 juin 2021.. Cela enverrait un message clair aux autres États parties, selon lequel une clause de caducité d’une si longue durée est incompatible avec leurs engagements contractés au titre de l’Accord de Paris (paradoxalement, le préambule du TCE fait référence à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, sous les auspices de laquelle l’Accord de Paris a été signé). Le droit international l’autorise en vertu des articles 41 et 64 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969) et en l’absence de dispositions spécifiques dans le TCE. Ainsi, la clause de caducité serait réduite ou supprimée entre les États parties à l’accord inter se – mais elle serait maintenue dans sa version précédente (20 ans) vis-à-vis des investisseurs d’autres États. Malgré cette limitation, un accord de modification inter se devrait conduire à une interprétation du TCE plus respectueuse des engagements sociaux et environnementaux des États par les tribunaux nationaux et les tribunaux arbitraux, en s’appuyant sur son propre préambule, son article 19 et conformément à d’autres conventions internationales (Accord de Paris, Protocole de la Charte de l’énergie sur l’efficacité énergétique et les aspects environnementaux connexes, etc.), et ce dans l’attente d’une révision coordonnée ou d’un retrait du TCE.
39. Nous devrions reconnaître que des mesures unilatérales dans le commerce international (comme le Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne) peuvent s’avérer nécessaires pour que les États en ayant l’ambition progressent plus rapidement vers un développement durable et inclusif. Les États devraient continuer à tirer parti de toutes les possibilités offertes par le droit international du commerce et des investissements pour agir unilatéralement, notamment par l’adoption de mesures fondées sur l’article XX du GATT et sur les accords de l’OMC relatifs aux sauvegardes et sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires. Les forums internationaux, tels que le Partenariat international d’action sur le carbone 
			(33) 
			Le Partenariat international
d’action sur le carbone (ICAP) a pour but d’établir un marché mondial
du carbone, un prix du carbone et un mécanisme d’ajustement carbone
aux frontières. Il offre un forum international aux gouvernements
et aux pouvoirs publics qui ont mis en œuvre ou envisagent de mettre
en œuvre des systèmes d’échange de quotas d’émissions. Voir: <a href='https://icapcarbonaction.com/fr'>https://icapcarbonaction.com/fr</a>., devraient ensuite s’employer à mondialiser ces évolutions vertueuses et ces mesures unilatérales.
40. Si le présent rapport souligne la nécessité d’atténuer les risques engendrés par la procédure d’arbitrage dans l’application des dispositions relatives à la protection des investissements fondées sur des ACI, il est important de noter également les opportunités qu’elles présentent. Bien que ces dispositions puissent être problématiques lorsqu’elles sont appliquées de manière restrictive, elles sont très efficaces pour protéger les intérêts des investisseurs. Leur mécanisme d’application pourrait être pris comme modèle pour garantir de la même manière le respect des dispositions relatives à l’environnement, au travail et aux droits fondamentaux. De cette façon, nous pouvons tirer des leçons pour améliorer la protection de la prise de décision démocratique et des valeurs du Conseil de l’Europe.
41. Enfin, les exigences relatives à l’obligation de vigilance devraient être promues et mises en application dans le monde entier. Ces exigences, combinées au devoir d’information des entreprises, sont essentielles pour permettre un contrôle du public et des ONG. Les poursuites engagées pour non-respect des devoirs de vigilance et d’information se sont multipliées ces derniers temps 
			(34) 
			Depuis l’affaire Shell
aux Pays-Bas, ces affaires se multiplient. En France, par exemple,
des poursuites sont engagées contre Total Énergies, Nestlé, Suez,
Danone, EDF, Yves Rocher, BNP et d’autres. Avec l’adoption de la proposition
de directive européenne sur le devoir de vigilance, ces affaires
et les décisions des juridictions nationales seront toujours plus
nombreuses. et semblent constituer un outil efficace pour contraindre les entreprises à répondre de leurs actes et à respecter leurs obligations sociales et environnementales. Les accords commerciaux purement économiques ne favorisent pas automatiquement les droits humains, la démocratie, l’État de droit et le développement durable. Par conséquent, le devoir de vigilance raisonnable dans les chaînes d’approvisionnement – reflétant l’importance de ces valeurs – devrait être intégré dans les ACI. Nous devons également veiller à ce que les négociations techniques en tiennent compte par le biais d’un engagement démocratique, afin de s’assurer que le public ait voix au chapitre et puisse influencer le changement pour promouvoir plus largement nos valeurs dans le commerce.