1. Introduction
1. Le présent rapport a été préparé
dans le contexte de la guerre d’agression persistante de la Fédération de
Russie contre l’Ukraine, pour permettre à l’Assemblée parlementaire
d’examiner et de faire des propositions concernant la situation
urgente et extrêmement dramatique des milliers de civils ukrainiens,
et notamment d’enfants, transférés de force ou déportés vers la
Fédération de Russie ou les territoires ukrainiens sous le contrôle de facto de la Fédération de Russie.
Ce rapport tient compte des positions exprimées ces derniers mois
et semaines par les organisations internationales, du cadre juridique
international qui doit s’appliquer en toutes circonstances, y compris
en temps de guerre, ainsi que des informations et données sur l’ampleur
du problème, fournies par les autorités et institutions nationales
de l’Ukraine et de la Fédération de Russie ainsi que par les organisations
gouvernementales et non gouvernementales nationales et internationales.
2. Au 8 février 2023, le nombre de civils ayant fui l’Ukraine
s’élevait à 8 046 621 personnes, dont 4 823 326 bénéficiant d’une
protection temporaire ou d’un régime de protection nationale similaire
en Europe

. Derrière ces
chiffres choquants, il y a des êtres humains qui ont besoin d’un
soutien immédiat. La majorité des personnes déplacées sont des femmes,
des enfants et des personnes âgées. Elles rencontrent de graves problèmes
financiers, des problèmes de santé ou des difficultés d’accès à
l’éducation ou aux services sociaux. Enfin et surtout, il se pose
la question de savoir ce qu’il est advenu des quatre millions de
personnes qui ne se sont pas enregistrées comme réfugiés dans les
systèmes de protection européens. Où sont-elles? Que leur est-il
arrivé? Combien ont été transférées de force ou déportées vers la
Fédération de Russie ou les régions de l’Ukraine temporairement
occupées? Et plus encore, que sont devenus les enfants et mineurs,
qui présentent une vulnérabilité et un besoin de protection accrus?
3. Le 26 janvier 2023, la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées a tenu un échange de vues avec Mme Oleksandra
Matviichuk, directrice du Centre pour les libertés civiles d’Ukraine, lauréat
du prix Nobel de la paix 2022. Mme Matviichuk
a dit se réjouir que l’Assemblée examine d’urgence cette question
et a fourni des informations claires et précises concernant la situation
sur le terrain. Prenant l’exemple de la situation à Marioupol, elle
a rappelé que la Fédération de Russie n’avait pas autorisé le Comité international
de la Croix-Rouge (CICR) à ouvrir des couloirs humanitaires dans
la ville, malgré les dispositions du droit international humanitaire.
Les Ukrainiens bloqués à Marioupol n’avaient accès ni à l’eau ni
à l’assistance médicale et n’avaient donc pas d’autre choix que
d’être emmenés en Fédération de Russie ou dans les régions d’Ukraine
temporairement occupées. Mme Matviichuk
a expliqué qu’alors que la Russie tentait de convaincre les Ukrainiens
que leur déportation visait à les sauver des «nazis ukrainiens»,
cette politique était principalement justifiée par des questions
démographiques. Elle a ensuite informé la commission du sort des
enfants ukrainiens déportés en Fédération de Russie, qui relevaient
de trois catégories: ceux qui avaient été transférés de force avec
leurs parents, ceux qui étaient orphelins et avaient été accueillis
dans des institutions étatiques et ceux dont les parents avaient
été tués ou arrêtés par les forces russes. Si, dans le premier cas,
les possibilités de quitter la Russie dépendaient de leurs parents,
dans le second scénario, les précédents recours ukrainiens fructueux
devant la Cour européenne des droits de l’homme ne pouvaient plus être
reproduits en raison du refus quasi certain de la Fédération de
Russie de donner suite aux décisions de cette juridiction. Mme Matviichuk
a souligné par ailleurs que les plus exposés à l’endoctrinement
– ce que l’on appelle «russification» – étaient les enfants de la
troisième catégorie, bon nombre d’entre eux ayant été adoptés formellement
par des citoyens russes. Elle a fait remarquer que ce processus
d’effacement de l’identité ukrainienne constituait une violation
du droit international humanitaire et un élément d’une politique génocidaire.
À cet égard, Mme Matviichuk a exhorté
l’Assemblée à demander aux agences internationales encore présentes
en Russie, à savoir le Haut Commissariat des Nations unies pour
les réfugiés (HCR) et le CICR, d’œuvrer en exécution de leur mandat
pour rétablir les liens familiaux et les documents d’identité et d’aider
les Ukrainiens à quitter la Fédération de Russie en toute sécurité.
4. Mme Matviichuk a confirmé le manque
de données statistiques précises et les disparités entre les chiffres
présentés par la Fédération de Russie et ceux fournis par les diverses
institutions étatiques ukrainiennes. Elle a cependant fait observer
qu’au regard des similarités constatées dans les descriptions des pratiques
de transfert et de déportation, qui étaient étalées dans le temps
et provenaient de différentes régions, il était possible de conclure
au caractère systématique de ces opérations, qui s’analysaient donc
en une politique d’État de la Fédération de Russie.
5. En ce qui concerne les victimes adultes, la politique d’assimilation
à la Fédération de Russie et à sa langue et sa culture pourrait
avoir différents impacts selon les situations de déplacement, certains
Ukrainiens ayant pu repartir assez rapidement de la Fédération de
Russie alors que d’autres n’avaient pas les moyens ou la force et
l’énergie nécessaires pour tenter pareille entreprise. Mme Matviichuk
maintenait toutefois que si la Fédération de Russie choisissait
d’offrir une assistance appropriée aux Ukrainiens souhaitant quitter
la Fédération de Russie ou les territoires temporairement occupés
pour une autre destination, il y aurait certainement une explosion
du nombre de départs. Dans ce contexte, elle a noté que de nombreux
volontaires russes qui étaient eux-mêmes partis de Russie par crainte
des persécutions aidaient les personnes déplacées à trouver un hébergement
et à obtenir une assistance.
6. Enfin, sur la question d’obtenir réparation et justice, elle
a informé la commission que son organisation coopérait avec de nombreuses
autres organisations régionales en Ukraine, et actualisait quotidiennement
une base de données qui, à ce jour, comptabilisait 31 000 dossiers.
Cependant, la Cour pénale internationale n’allait probablement traiter
que quelques affaires sélectionnées, ce qu’elle déplorait, d’autant
plus que le système national ukrainien était déjà surchargé par
70 000 procédures pénales en instance. Afin de ne pas laisser sans
suite des milliers d’affaires individuelles, elle a exhorté la communauté
internationale à mettre en place un mécanisme de justice internationale
hybride, distinct du tribunal spécial international pour les crimes d’agression
de la Russie.
7. Une autre source importante d’informations fiables a été le
travail de M. Dmytro Lubinets, Commissaire aux droits de l’homme
du Parlement ukrainien, qui a publié un «Rapport spécial sur le
respect des droits des personnes touchées par l’agression armée
de la Fédération de Russie contre l’Ukraine (couvrant la période
du 24 février au 31 octobre 2022)».
8. J’ai également tenu compte des conclusions de la Commission
d’enquête internationale indépendante des Nations Unies sur l’Ukraine.
Dans son rapport du 15 mars 2023, la Commission dit avoir recueilli
un ensemble de preuves montrant que les autorités russes ont commis
un large éventail de violations du droit international relatif aux
droits humains et du droit international humanitaire dans de nombreuses
régions d’Ukraine et en Fédération de Russie. Ces violations, dont
bon nombre sont constitutives de crimes de guerre, comprennent des
meurtres et des attaques délibérées contre des civils, des séquestrations,
des actes de torture, des viols et des déportations et transferts
forcés d’enfants

. La Commission recommande de veiller
à ce que toutes les violations et tous les crimes fassent l’objet
d’une enquête et que les responsables aient à répondre de leurs
actes, que ce soit au niveau national ou international. Elle appelle
à une approche globale de l’obligation de rendre des comptes, incluant
à la fois la responsabilité pénale et le droit des victimes à la vérité,
à une réparation et à des garanties de non-répétition.
2. Normes internationales relatives à
la protection contre les déplacements forcés
9. Les déplacements forcés peuvent
constituer des faits de génocide, de crime de guerre et de crime contre
l’humanité; ils doivent faire l’objet d’enquêtes approfondies et
être fermement dénoncés. Dans sa
Résolution 2367 (2021) «La protection des victimes de déplacement arbitraire»,
l’Assemblée rappelait aux États membres du Conseil de l’Europe les
normes et obligations juridiques pertinentes protégeant les populations
civiles contre les déplacements arbitraires, qui ont été reconnues
comme principes généraux du droit international public dans les
statuts du Tribunal militaire international de Nuremberg, du Tribunal
pénal international pour l’ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international
pour le Rwanda. De plus, le Statut de la Cour pénale internationale
(CPI) énonce l’interdiction de déplacer arbitrairement des populations
civiles et qualifie ces actes de crimes de guerre et de crimes contre
l’humanité. À la différence des combattants qui, une fois capturés,
sont détenus comme prisonniers de guerre et peuvent être déplacés
vers le territoire ennemi, le transfert forcé de civils, et notamment
d’enfants, est interdit par le droit international humanitaire et
peut donner lieu à des poursuites en tant que crime de guerre et
crime contre l’humanité.
10. Les normes internationales doivent être appliquées pour traduire
en justice les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité,
en particulier en temps de guerre. La Convention de 1948 pour la prévention
et la répression du crime de génocide

devrait être rigoureusement appliquée
pour que de tels crimes ne restent jamais impunis et les responsables
devraient être poursuivis devant la CPI. Bien que l’Ukraine n’ait
pas encore ratifié le Statut de Rome de la CPI, elle a reconnu la
compétence de la Cour relative au conflit armé dans une résolution
spéciale de la Verkhovna Rada d’Ukraine «sur la reconnaissance par l’Ukraine
de la compétence de la Cour pénale internationale pour les crimes
contre l’humanité et les crimes militaires commis par de hauts responsables
de la Fédération de Russie, des Républiques autoproclamées de Donetsk
et de Lougansk, ayant entraîné des conséquences particulièrement
graves et des meurtres de masse de citoyens ukrainiens»

.
11. Le génocide a été reconnu pour la première fois comme un crime
au regard du droit international («crime de droit des gens») par
l’Assemblée générale des Nations Unies (A/RES/96-I) en 1946. Il
a été codifié en tant que crime indépendant dans la Convention de
1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide («Convention
sur le génocide»). La Convention a été ratifiée par 149 États (à
la date de janvier 2018). La Cour internationale de justice (CIJ)
a rappelé à maintes reprises que la Convention incorporait des principes
faisant partie du droit international coutumier général. En d’autres
termes, que les États aient ou non ratifié la Convention sur le
génocide, ils sont tous liés sur le plan juridique par le principe
selon lequel le génocide est un crime interdit par le droit international.
La CIJ a également dit que l’interdiction du génocide était une
norme impérative du droit international (ou jus
cogens) et n’admettait donc aucune dérogation.
12. Le génocide s’entend comme l’un quelconque des actes ci-après,
commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe
national, ethnique, racial ou religieux, comme tel: meurtre de membres
du groupe; atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de
membres du groupe; soumission intentionnelle du groupe à des conditions
d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; transfert
forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
13. Les dispositions du droit international humanitaire apportent
une protection supplémentaire contre les transferts forcés et les
déportations de populations. En effet, l’article 49 (1er paragraphe)
de la Convention IV de Genève de 1949 dispose que «les transferts
forcés, en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes
protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la Puissance
occupante ou dans celui de tout autre État, occupé ou non, sont
interdits, quel qu’en soit le motif»

.
3. Collecte
de données empiriques en vue de futures procédures judiciaires
14. Compte tenu de la situation
extrêmement hostile résultant de l'agression de grande ampleur ainsi
que des subterfuges et des intentions malveillantes des autorités
de la Fédération de Russie, la collecte de données et de preuves
empiriques sur les crimes commis et en cours est une tâche difficile
mais absolument essentielle pour remédier aux situations individuelles
des adultes et, surtout, des enfants, transférés ou déportés de
force, ainsi que pour établir les responsabilités des auteurs, à
tous les niveaux, et les traduire en justice. Il apparaît important,
à cet égard, d’enregistrer et de prendre en considération des données quantitatives
et qualitatives pour faire la lumière sur ce qui s'est passé et
dans quelle intention.
15. Le chiffre communiqué par le HCR de 4 823 326 réfugiés d'Ukraine
enregistrés pour une protection temporaire ou des programmes de
protection nationaux similaires en Europe peut inclure des enregistrements multiples
d'une même personne dans deux ou plusieurs pays de l'Union européenne,
des enregistrements qui demeurent incomplets pour diverses raisons
ou des enregistrements de réfugiés qui ont poursuivi leur route, y
compris au-delà de l'Europe. Les statistiques sont principalement
établies à partir de données fournies par les différentes autorités.
Bien que tous les efforts aient été faits pour s'assurer que l'ensemble
des informations statistiques aient été vérifiées, ces chiffres
représentent néanmoins une estimation.
16. Il existe de plus en plus de preuves attestant que les crimes
visés à l'article II de la Convention sur le génocide ont été et
sont infligés par la Fédération de Russie au peuple ukrainien. La
communauté internationale ne doit pas hésiter à examiner de près
les preuves de génocide et en particulier les éléments liés aux
déplacements forcés et à la déportation. Je me félicite de la prise
de position de la Secrétaire Générale du Conseil de l'Europe, qui
appelle à ce que le Conseil joue un rôle plus important dans l'établissement
des responsabilités de l’agression de la Fédération de Russie contre
l'Ukraine, et dans l'obtention de la justice pour les victimes,
notamment en créant un registre permettant de recueillir et de consigner
les preuves des dommages, pertes ou préjudices subis du fait de
l'agression russe contre l'Ukraine ainsi que les demandes de réparation

.
Ce registre intégrera certainement les preuves de génocide, notamment
les éléments attestant d’un transfert forcé d’enfants depuis l’Ukraine,
vers la Fédération de Russie et les territoires ukrainiens sous contrôle
de facto de la Fédération de Russie.
17. Le présent rapport se concentre principalement sur les transferts
forcés et ne couvre pas en détail les horreurs des points de «filtration»
imposées aux Ukrainiens qui ont dû fuir, notamment les fouilles
des effets personnels et corporelles intrusives, les examens médicaux,
les interrogatoires agressifs, et les rapports faisant état de tortures,
de mauvais traitements et de disparitions. Une enquête approfondie
sur les faits survenus dans les camps de filtration, en plus des
preuves recueillies concernant le traitement des prisonniers de
guerre capturés par l'armée russe et les forces paramilitaires,
doit également être menée et les responsables des crimes doivent
être traduits en justice.
18. Les preuves révélant une intention génocidaire de la part
de la Fédération de Russie se multiplient. En particulier, les pratiques
concernant le traitement des enfants transférés et déportés, le
déni de leur identité ukrainienne, l'assimilation à la Fédération
de Russie, notamment par l'adoption et la citoyenneté, et l'endoctrinement
de l'identité russe, se sont répandues au fil des situations et
du temps et indiquent clairement une politique de l'État menée depuis
le sommet. Ces pratiques impliquent le transfert forcé d'enfants
depuis l’Ukraine avec la complicité de la Commissaire russe aux
droits de l'enfant, Maria Lvova-Belova, et avec le soutien total
et public du président Poutine. L'implication de la Commissaire
russe aux droits de l'enfant est attestée par ses déclarations.
Le 4 juillet 2022, elle a déclaré que dans les jours à venir, un
total de 108 orphelins du Donbass ayant reçu la citoyenneté russe
seraient envoyés chez de nouveaux parents dans six régions de Russie,
et elle est apparue aux côtés du président Poutine dans une vidéo
de propagande dans laquelle elle annonce qu'elle est elle-même devenue
la famille d'accueil d'un garçon de 16 ans de Marioupol, qui a déjà
reçu un passeport russe.
19. Ainsi, l'intention des autorités russes et de la Commissaire
russe aux droits de l'enfant, Maria Lvova-Belova, de déplacer des
enfants ukrainiens vers la Fédération de Russie et de les proposer
à des familles d'accueil ou à l’adoption est manifeste et déclarée
publiquement. C'est la preuve évidente qu'il s’agit là d’une tentative
de détruire l'identité nationale et ethnique des Ukrainiens, au
moyen du transfert forcé d'enfants ukrainiens vers un autre groupe
– les citoyens russes. Le prétexte de «sauver des vies» n'est pas
acceptable car l'intention est clairement de séparer les enfants
ukrainiens de leurs familles. L'enlèvement d'enfants dans les orphelinats
ukrainiens est tout aussi odieux: ces enfants ont déjà perdu leurs
parents et sont maintenant séparés de leur pays, de leur langue
et de leur culture, soit tout ce qui constituait leur identité nationale
et ethnique.
20. Il est impératif que ces cas soient suivis et enregistrés,
malgré toutes les difficultés rencontrées pour obtenir des informations
en raison des subterfuges et des intentions malveillantes de la
Fédération de Russie. Les appels à la création d'un registre couvrant
l'ensemble des crimes commis dans le cadre de l'agression actuelle
se multiplient et le Conseil de l'Europe est bien placé pour élaborer
un registre des demandes, compte tenu notamment de la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme et du processus de surveillance
de l’exécution des arrêts de la Cour. D’ailleurs, l'Organisation
fournit déjà des conseils juridiques et stratégiques, et forme des
experts spécialisés dans les enquêtes et des professionnels travaillant
avec les victimes de violence, en particulier les femmes. Ces activités,
parmi d'autres, font partie du Plan d'action du Conseil de l'Europe
pour l'Ukraine 2023-2026.
4. Les
preuves de transferts forcés vers la Russie et vers les territoires
occupés par la Russie
21. Diverses sources, notamment
Human Rights Watch, fournissent des preuves de cas spécifiques de personnes
qui ont été forcées de fuir vers la Russie parce qu'elles n'avaient
pas d'autre choix
![(9)
Différentes
sources de la société civile doivent être mentionnées, notamment
les rapports de Human Rights Watch «We had no Choice – ‘Filtration’
and the Crime of Forcibly Transferring Ukrainian Civilians to Russia»
[Nous n’avions pas le choix: ‘Filtration’ et le crime de transfert
forcé de civils ukrainiens vers la Russie], et le rapport d'Amnesty
International «Like a Prison Convoy – Russia' s Unlawful Transfer
and Abuse of Civilians in Ukraine During «Filtration» [«Comme un convoi
pénitentiaire: Le transfert illégal et les mauvais traitements infligés
par la Russie aux civils en Ukraine pendant la ‘filtration’]».](/nw/images/icon_footnoteCall.png)
.
Le rapport de Human Rights Watch indique à ce sujet que les personnes
qui cherchaient à fuir les combats et n'avaient pas les moyens d'organiser
leur propre transport, comme cela a été le cas de milliers de résidents
de la région de Marioupol, ne se sont vu offrir d'autres possibilités
par les forces russes que de monter dans des bus qui se sont d'abord
rendus dans les zones occupées par les Russes, puis ont traversé
la frontière jusqu'en Russie

. Le
seul choix qui restait à ceux qui ne voulaient pas être réinstallés
en Russie était de demeurer sous les bombardements intenses où le
risque de perdre la vie était réel et imminent. Amnesty International
a noté que la pratique des déportations depuis les territoires temporairement
occupés des régions de Donetsk et de Lougansk existait déjà avant
l'agression de grande ampleur de la Fédération de Russie contre
l'Ukraine du 24 février 2022, notamment celle consistant à transférer
vers la Russie des enfants issus d'orphelinats et des enfants handicapés
placés en institution

. Toutefois, les transferts et les déportations
se sont intensifiés après le 24 février 2022.
22. Un grand nombre de cas de transferts de force ou de déportations
de la population civile ukrainienne, y compris des enfants, des
personnes âgées et des personnes handicapées, vers la Fédération
de Russie ou vers des territoires ukrainiens sous le contrôle de
facto de la Fédération de Russie, ainsi que vers le Bélarus, ont
été recensés.
23. Il a été noté que certains hommes ukrainiens avaient peut-être
choisi de partir en passant par la Fédération de Russie dans les
premiers jours des évacuations afin d'éviter les restrictions de
voyage imposées par la loi martiale ukrainienne et d'éviter l'enrôlement
forcé dans l'armée russe dans les régions occupées. L'évacuation
le plus loin possible de la ligne de front était la seule option
restante.
24. Les civils transférés de force ou déportés venaient principalement
des régions de Marioupol et de Kharkiv et beaucoup ont été contraints
de partir pour échapper aux risques imminents pour leur vie, sans possibilité
de se déplacer vers un territoire sûr à l'intérieur de l'Ukraine.
La Fédération de Russie fait délibérément en sorte que les conditions
locales soient insupportables pour les civils afin de justifier
les mesures d’«évacuation». Certains civils ont indiqué que les
forces militaires russes et prorusses avaient explicitement refusé
de les laisser rejoindre des territoires ukrainiens sûrs, leur offrant
seulement la possibilité de se rendre en Fédération de Russie ou
dans les territoires temporairement occupés de la région de Donetsk par
des bus d'«évacuation», en violation flagrante de la Convention
de Genève IV de 1949.
25. Au 1er janvier 2022, avant le début
de l'agression militaire massive lancée par la Fédération de Russie, environ
530 000 enfants résidaient dans la région de Donetsk, quelque 240
000 enfants résidaient dans la région de Lougansk, près de 190 000
enfants résidaient dans la région de Kherson et plus de 280 000
enfants résidaient dans la région de Zaporijia, soit plus de 1 million
d'enfants ukrainiens au total. Depuis lors, plus de 1399 enfants
sont morts ou ont été blessés à cause de la guerre. Et tous les
enfants ukrainiens – plus de 7,5 millions – ont subi de graves traumatismes
psychologiques du fait de l'agression de grande ampleur, et en seront
marqués à vie. Il est impératif que toutes les preuves de ces crimes
soient recueillies immédiatement et minutieusement. De nombreux
chiffres existent déjà, émanant des institutions officielles compétentes
de l'État ukrainien ainsi que d'autres parties, y compris la Fédération
de Russie. À cet égard, Irina Vereshchuk, vice-Première ministre
et ministre ukrainienne de la Réintégration des territoires temporairement
occupés d'Ukraine, a indiqué qu'en juin 2022, la Russie avait déporté
1 200 000 citoyens ukrainiens vers son territoire, dont 240 000
enfants. Daria Herasymchuk, conseillère présidentielle de l'Ukraine
pour les droits et la réintégration des enfants, précise qu’au 15
mars 2023, la Russie avait enlevé, notamment à des fins d'adoption,
près de 19 384 enfants ukrainiens. Le Bureau national d’information
de l’Ukraine a enregistré 361 retours d'enfants. L'agence russe
TASS, quant à elle, a indiqué en août 2022 que 2,8 millions de personnes étaient
arrivées d'Ukraine en Russie après le début de la guerre, dont 448
000 enfants

. Le Président Volodymyr Zelensky
a immédiatement répondu que ces personnes avaient été emmenées de
force hors d'Ukraine. Malgré les différences qui existent entre
les chiffres communiqués, il est clair qu’un grand nombre de cas
de transferts forcés ou de déportations de civils ukrainiens, notamment
d'enfants, vers la Fédération de Russie ou vers les territoires
ukrainiens placés sous le contrôle de facto de la Fédération de
Russie, ainsi que vers le Bélarus, ont été dûment recensés.
26. En outre, les documents qui viennent à l’appui des cas individuels
ajoutent des informations précieuses sur les processus impliqués.
Des cas individuels ont été présentés par Human Rights Watch, qui
a mené des entretiens avec des personnes arrivées en Russie depuis
la zone de Marioupol et la région de Kharkiv. Les témoins directs
interrogés ont déclaré avoir fait le voyage avec des centaines d'autres
Ukrainiens. Il a été dit à certains que la route vers le territoire
contrôlé par l'Ukraine était trop dangereuse en raison des hostilités.
Les évacuations ont été organisées par les autorités du ministère
russe des situations d'urgence. Svitlana, une femme de 24 ans originaire
de la banlieue de Marioupol, a déclaré que les autorités russes,
qui avaient organisé les évacuations, ne lui avaient pas demandé
si elle et les membres de sa famille voulaient aller en Russie,
mais les avaient simplement fait monter, ainsi que toutes les personnes
qui avaient déjà subi un filtrage avec eux, dans des bus qui les
avaient conduits à la frontière russe. Elles sont restées de nombreuses
heures dans le bus avant le passage de la frontière, ce qui avait
été particulièrement difficile pour les enfants et les personnes
âgées

.
Au poste de passage, un fonctionnaire distribuait des cartes de
migration à remplir et un formulaire de demande pour recevoir un
versement de 10 000 roubles du Gouvernement russe, ce que Svitlana
et les membres de sa famille ont refusé. Des agents de sécurité
russes avaient fait sortir des personnes pour les interroger. Ils
s’étaient essentiellement concentrés sur les hommes, mais avaient
aussi interrogé des femmes, dont elle. L'interrogateur avait relevé
le numéro IMEI de son téléphone et lui avait posé de nombreuses
questions sur un ton qui lui avait semblé menaçant.
27. La commission des migrations, des réfugiés et des personnes
déplacées a également été informée des conclusions du Centre régional
pour les droits de l'homme (Ukraine)

. Le transfert forcé d'enfants
ukrainiens à des familles russes, qui a commencé en 2014, après
que les familles de la Fédération de Russie ont adopté au moins
12 enfants de la péninsule de Crimée occupée dans le cadre du programme
«Train de l'espoir», semblerait démontrer des éléments d'une politique
génocidaire dès le départ. Dans la région annexée de Crimée, dès
avril 2022, 28 familles ont exprimé leur souhait de prendre des
enfants des territoires nouvellement occupés et, depuis le début
de l'invasion de grande ampleur, au moins 400 enfants ont été transférés
à des familles russes qui prendront en charge leur éducation.
28. Si, au début de l'invasion à grande échelle, le 24 février
2022, le principal motif de déportation des mineurs était une soi-disant
«évacuation», à partir de l'été 2022, les autorités russes ont avancé
plusieurs autres prétextes, comme le fait d'emmener les enfants
pour des vacances et des traitements médicaux dans la Fédération
de Russie, la région occupée de la Crimée et le Bélarus.
29. À l'automne 2022, un nouveau prétexte russe a été avancé pour
déporter et transférer de force des enfants ukrainiens, celui de
l’«examen médical», qui consiste à déplacer des enfants pour leur
fournir une «assistance médicale». En septembre 2022, 550 enfants
ont été transportés afin de leur dispenser un traitement en 2023
dans la Fédération de Russie (en particulier dans le district de
Khanty-Mansiysk). En 2023, 435 millions de roubles ont été alloués
par le budget fédéral de la Fédération de Russie aux actes de «dispensation»
(traitement médical ambulatoire). Il convient toutefois de noter
que les parents ne sont autorisés à accompagner que les enfants
de moins de 4 ans, ce qui signifie que les enfants de plus de 4-5
ans sont séparés de leurs parents au cours de ce processus. Les
enfants âgés de 6 à 17 ans sont envoyés dans des camps de «rééducation».
Il s'agit de mineurs originaires des territoires temporairement
occupés des régions de Donetsk et de Lougansk, et des régions précédemment
occupées de Kharkiv, Kherson et Zaporijia.
30. Dans le cadre de ce processus, le Premier Ministre de la Fédération
de Russie, Mikhail Michoustine, a ouvertement appelé à une augmentation
des places disponibles pour les loisirs des enfants et les «examens médicaux
des enfants» des «nouvelles régions». Le 22 février 2023, le Premier
ministre, dans son discours au gouvernement, a déclaré ce qui suit:
«Conformément aux instructions du Président, nous dépenserons près de
1,5 milliard de roubles pour les examens médicaux des enfants dans
les nouvelles régions. Au moins 220 000 enfants pourront subir des
examens médicaux préventifs et recevoir des recommandations de médecins, y
compris de pédiatres. Le personnel médical a déjà commencé à travailler
dans les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, ainsi
que dans les régions de Zaporijjia et de Kherson. En 2023, nous
enverrons 35 équipes médicales composées de spécialistes pour effectuer
des examens médicaux complets. Il sera ainsi possible de détecter
rapidement divers troubles de la santé à un stade précoce et de
prescrire un traitement complémentaire si nécessaire. M. Murashko

, je voudrais vous demander de surveiller
la façon dont cela est organisé dans les nouvelles régions russes.
Le gouvernement continue également de développer le système de réadaptation
médicale et nous allouons les fonds nécessaires à cet effet. Cette
année, nous avons déjà transféré 8 milliards de roubles aux établissements
de santé régionaux. Nous réserverons également plus de 1,7 milliard
de roubles pour 43 institutions médicales de niveau fédéral dans
les régions russes. Ces allocations permettront de doter les cliniques
spécialisées d'équipements modernes. Il est nécessaire d'utiliser
ces dotations de manière efficace et complète afin que notre personnel
médical dispose de tout ce dont il a besoin pour la réadaptation
des personnes atteintes de maladies graves et de blessures, ou ayant
dû subir des opérations chirurgicales compliquées. Ainsi, un nombre
encore plus important de personnes pourront bénéficier d'une rééducation,
y compris dans les cliniques ambulatoires et les centres de jour.
Les patients seront en mesure de surmonter leurs problèmes de santé
plus rapidement et de revenir à une vie normale.»
31. La déclaration du Premier ministre Michoustine du 22 février
2023 montre clairement l'implication au plus haut niveau du commandement
dans le système d'examen médical des enfants ukrainiens des territoires temporairement
occupés des régions de Donetsk et de Lougansk, et dont les objectifs
dépassent très certainement les impératifs médicaux. Les examens
médicaux permettent d'utiliser les données biométriques des enfants
pour délivrer des passeports de la Fédération de Russie, dans le
but d'intégrer définitivement ces enfants à la Fédération de Russie,
avec l'appui de toutes les méthodes d'endoctrinement décrites précédemment.
Un autre risque est le recours à l'évaluation médicale pour identifier
les jeunes et déterminer leur état de santé en vue d'une future
incorporation dans l'armée russe.
32. Il ressort de toutes ces pratiques que de nombreux et divers
groupes de mineurs continuent d'être sous le contrôle effectif de
la Fédération de Russie: les enfants déportés avec un représentant
légal; les enfants non accompagnés, en particulier, mais pas exclusivement,
les orphelins et ceux privés de soins parentaux; les mineurs dont
le sort des parents est inconnu; les enfants handicapés; les mineurs
détenus dans des camps ou des sanatoriums à des fins de «rééducation»;
et les enfants emmenés hors d’Ukraine pour une intervention médicale.
33. Au cours des premiers mois qui ont suivi le début de l'invasion
de grande ampleur, des mineurs ukrainiens ont été déportés vers
au moins 57 régions de la Fédération de Russie, en particulier vers
des régions éloignées, telles que Sakhaline.
34. En ce qui concerne les activités de «loisirs» et de «rééducation»,
la Fédération de Russie a pour politique d'envoyer des enfants dans
des camps d'été (Artek, Orlenok (Krasnodar Krai)), Ocean (Vladivostok), Smena
(Krasnodar Krai). En ce qui concerne le seul camp d'été «Artek»,
les autorités russes ont prévu d'y envoyer, en 2023, près de 41
000 enfants. La Commissaire russe aux droits de l'enfant, Maria
Lvova-Belova, a déclaré publiquement que les activités de «loisirs»
dans les camps d'été visent à familiariser les enfants avec la langue
et la culture russes ainsi que les perspectives d'un «avenir radieux
en Russie». Les autorités de facto des
régions temporairement occupées ont indiqué que les objectifs étaient
«d’encourager la création, dans les plus brefs délais, de vrais
patriotes», en référence à la Fédération de Russie. Par exemple,
la vice-première ministre de la République du Tatarstan, Leyla Fazleeva,
a noté que «tous les camps […] visent à l'éducation patriotique
des jeunes, au développement des compétences en communication et
à la préservation du patrimoine culturel [russe]».
35. À titre d'exemple, le programme de «loisirs» pour certains
enfants ukrainiens comprend des visites guidées dans des lieux culturels,
religieux (à savoir des conversations avec des représentants de
l'Église orthodoxe russe) et «glorieux», en particulier sur le territoire
de la Fédération de Russie, des conférences données par des «anciens
combattants» russes (principalement ceux qui ont combattu dans la
région du Donbass ou en Syrie) et des historiens russes, ainsi qu’une
formation militaire (démontage d'armes, préparatifs physiques et
tactiques, conduite et réparation de matériel militaire).
36. Contrairement aux règles du droit international

, les
enfants ukrainiens ont été placés dans des camps avec des enfants
russes, ils ont subi des traumatismes supplémentaires tels que des
brimades liées à leur utilisation de la langue ukrainienne (parler
ukrainien étant interdit dans les camps), à leurs autres manifestations
de l'identité nationale ukrainienne (vêtements, accessoires, chansons,
critiques de l'agression de la Fédération de Russie contre leur
pays, noms et comportements insultants). Les éducateurs et les autorités
administratives des institutions n'ont pas réagi à ces cas de violence
et d'hostilité et ne les ont pas réprimés.
37. Les autorités russes ont déclaré qu'en avril 2022, 2161 orphelins
étaient arrivés en Russie en provenance d'Ukraine, dont certains
des territoires temporairement occupés des régions de Donetsk et
de Lougansk. Le Bureau national d'information de l’Ukraine estime
cependant qu'en avril 2023, 19 384 enfants avaient été déportés
ou transférés de force vers des lieux non spécifiés de la Fédération
de Russie ou des zones contrôlées par la Russie.
38. Selon le rapport «Russia's Systematic Program for the Re-education
and Adoption of Ukraine's Children» [Programme systématique de la
Russie pour la rééducation et l'adoption des enfants ukrainiens], établi
par le Laboratoire de recherche humanitaire de l'École de santé
publique de Yale (février 2023), au moins 6 000 enfants ont été
victimes de rééducation et d'endoctrinement par les autorités de
la Fédération de Russie dans 43 institutions, dont 8 situées en
Crimée occupée et 35 situées sur le territoire de la Fédération
de Russie. Deux de ces camps, l'un en Crimée occupée par la Russie
et l'autre près de Grozny, en Tchétchénie, servent à l'entraînement
militaire.
39. Des sources du côté des autorités russes ou contrôlées par
la Russie fournissent d'autres chiffres. Ces sources ont indiqué
qu'environ 10 000 enfants ont été accueillis en Crimée en 2022 et
que 2 000 enfants, provenant principalement des territoires temporairement
occupés de l'Ukraine, ont été emmenés dans des camps et des sanatoriums
au Bélarus. En outre, les représentants des territoires temporairement
occupés de la région de Donetsk ont indiqué que 18 000 enfants résidaient
dans des camps en 2022.
40. Fait très inquiétant, le Centre international pour enfants
«Artek», situé dans la ville de Hourzouf, dans la péninsule de Crimée
occupée, indique qu'il est prévu d'y accueillir plus de 41 000 mineurs
en 2023. Cette situation doit être suivie de près par la communauté
internationale.
41. Pour la grande majorité des enfants non accompagnés, séparés
ou orphelins aujourd'hui placés dans la Fédération de Russie ou
dans les territoires contrôlés par la Russie, il est extrêmement
difficile de retrouver ou de contacter leurs familles ou tuteurs,
parce que les autorités russes font tout leur possible pour les
en empêcher, parce qu'ils se trouvent dans des camps situés à des
milliers de kilomètres du lieu dont ils sont originaires et enfin,
parce qu'il n'existe pas de canaux de communication entre la Russie
et l'Ukraine sur cette question. De nombreux enfants qui ont été
envoyés dans des camps à des fins de «loisirs» ne sont pas rentrés en
Ukraine, bien que leur séjour dans les camps ait été initialement
prévu comme une période de vacances. Les autorités russes ont également
fixé des conditions inacceptables pour le rapatriement de ces enfants, notamment
en exigeant que les parents viennent en Russie pour les récupérer,
ce qui est manifestement impossible compte tenu des problèmes de
sécurité qu’ils pourraient rencontrer et des difficultés de communication
avec les enfants afin de déterminer où ils se trouvent.
5. Rapport
de Human Rights Watch au titre de la Convention des Nations Unies
relative aux droits de l'enfant
42. En novembre 2022, Human Rights
Watch, a soumis au Comité des droits de l'enfant des Nations Unies un
rapport

sur l'examen du respect par la Russie
de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.
L'existence de transferts forcés d'enfants depuis l'Ukraine vers
la Russie a été établie. Or le droit de l'enfant de préserver son
identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales,
et son droit de rester avec ses parents ou avec les personnes qui
s'occupent de lui ont été niés plutôt que d'être protégés en toutes
circonstances, ce qui constitue une violation absolue de la Convention
relative aux droits de l'enfant. Les enfants ukrainiens sont protégés
par les dispositions de cette Convention ratifiée par l'Ukraine
le 28 août 1991 et par la Fédération de Russie le 16 août 1990.
Le transfert forcé d'enfants d'un groupe à un autre groupe à des
fins de russification relève de l'article II de la Convention de
1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, à
laquelle l'Ukraine et la Fédération de Russie sont toutes deux parties,
et qui interdit non seulement le génocide lui-même mais aussi l'incitation
directe et publique à commettre un génocide et la tentative de génocide.
43. Human Rights Watch précise qu’Irina Vereshchuk a évoqué un
chiffre d'environ 240 000 enfants ukrainiens qui ont été emmenés
de force en Fédération de Russie. L’organisation n'a pas été en
mesure de vérifier le nombre total d'enfants que les forces russes
ou affiliées à la Russie ont transférés en Russie, mais elle a réussi
à rassembler des preuves du transfert forcé d'enfants dans un cas
spécifique. Sur cette base, Human Rights Watch a présenté un rapport
au Comité des droits de l'enfant des Nations Unies avant sa 94e présession
et son examen consacré à la Russie afin de mettre en évidence les
domaines de préoccupation concernant le respect par ce pays de la
Convention relative aux droits de l'enfant. Ce rapport porte notamment sur
les filtrations et les transferts d'enfants vers la Fédération de
Russie, comme présenté ci-après.
44. «À la mi-mars, un volontaire ukrainien a tenté de sauver 17
enfants âgés de 2 à 17 ans qui séjournaient dans un établissement
de soins à Marioupol. Le volontaire a expliqué à Human Rights Watch
que les autorités régionales ukrainiennes lui avaient demandé de
secourir tous les enfants que les familles n'étaient pas venues récupérer
dans l'établissement. Il en a cependant été empêché par le ministre
de la Politique sociale de la République autoproclamée de Donetsk
au motif qu'il n’était pas légalement habilité à retirer les enfants.
Les enfants ont alors été mis dans un bus et ont apparemment été
emmenés en République autoproclamée de Donetsk. En juin, six d’entre
eux, tous issus d'une même famille d'accueil, ont été autorisés
à quitter Donetsk pour la Russie puis à se rendre en France où ils
ont été rejoints par leurs parents adoptifs. En novembre 2022, on
ignorait toujours où se trouvaient les 11 autres enfants

.»
45. Maria Lvova-Belova, la Commissaire russe aux droits de l'enfant,
a déclaré en mai 2023 que des enfants provenant d'institutions de
la République autoproclamée de Donetsk avaient été placés dans des
familles d'accueil de la région de Moscou et qu'elle s'employait
à étendre ce programme et à unifier les procédures de tutelle et
d'adoption avec les autorités des territoires occupés temporairement
de Donetsk et de Lougansk. Le même mois, la Fédération de Russie
a publié une loi qui a été révisée à la demande du président Poutine
pour faciliter l'octroi de la nationalité aux enfants ukrainiens
et leur adoption. «Maintenant que les enfants sont devenus des citoyens
russes, la tutelle temporaire peut devenir permanente», a déclaré
Mme Lvova-Belova en juillet 2022. En
juillet, l'OSCE a pris note d'informations selon lesquelles quelque
2 000 enfants qui séjournaient en institution avaient été transférés
en Russie «alors même qu'ils [avaient] des proches vivants et qu'ils
ne séjournaient dans ces établissements que pour des soins médicaux».
Le Gouvernement ukrainien a déclaré que 9 755 enfants avaient été
déportés en Russie au 31 octobre 2022. En août 2022, au moins 160
enfants en provenance de la République autoproclamée de Donetsk
étaient placés dans des familles d'accueil russes dans au moins
six régions de Russie, et au moins 133 enfants avaient reçu la nationalité
russe. Parmi les enfants qui ont pu retourner dans leur famille,
certains auraient déclaré que des responsables de la République autoproclamée
de Donetsk et de la Russie leur avaient fait croire à un «abandon»
par leurs parents ukrainiens

.
46. Dans son rapport, Human Rights Watch a présenté une série
de questions que le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies
devrait poser au Gouvernement de la Russie:
- combien d'enfants ont été soumis au processus de filtration?
- quelles données, y compris les données biométriques et
autres données à caractère personnel sensibles, sont collectées
auprès des enfants dans le cadre du processus de filtration, comment
elles sont stockées et avec quels organismes étatiques ou organismes
privés ces données sont-elles partagées?
- combien d'enfants ont été transférés d'Ukraine en Russie
et quels sont le nombre, la localisation et le taux d'occupation
des centres de placement temporaire dans l’ensemble de la Russie?
Combien de ces enfants ont voyagé avec leur famille, combien étaient
non accompagnés, et combien ont été emmenés en groupe en Russie
depuis des établissements pour enfants?
- combien d'enfants ukrainiens ont reçu la nationalité russe
depuis le 24 février 2022?
- combien d'enfants ukrainiens ont été adoptés en Russie
depuis le 24 février 2022? Combien sont en cours d'adoption?
47. Human Rights Watch considère que le Comité des droits de l’enfant
des Nations Unies devrait demander au Gouvernement de la Fédération
de Russie de clarifier le sort et de préciser le lieu où se trouvent tous
les enfants détenus à la suite d'un filtrage; de rappeler audit
gouvernement que toute collecte, tout stockage et tout partage de
données dans le cadre de ces processus – y compris les données biométriques
et autres données sensibles à caractère personnel – doivent être
guidés par les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité
en matière de droits humains. La Fédération de Russie devrait également respecter
l'interdiction de la détention arbitraire d'enfants; enquêter sur
toutes les allégations de ces abus ou d'autres abus commis contre
des enfants par les forces russes et les groupes armés affiliés
à la Russie; veiller à ce que les civils dans les zones occupées
par les forces russes et affiliées à la Russie, y compris dans les territoires
temporairement occupés des régions de Donetsk et de Lougansk, puissent
rejoindre le territoire contrôlé par l'Ukraine ou tout autre pays
tiers s'ils le désirent. Enfin, la Fédération de Russie doit imposer
un moratoire immédiat sur les adoptions d'enfants provenant d'Ukraine,
y compris du territoire ukrainien occupé

.
48. Je pense que l'Assemblée devrait soutenir l'appel à l'action
proposé par le Comité des droits de l'enfant des Nations unies et
qu'elle devrait insister pour que ces mesures soient prises par
la Fédération de Russie dans les plus brefs délais.
6. Mesures
prises par l'Ukraine pour protéger les droits des personnes déplacées
de force ou déportées
49. M. Dmytro Lubinets, Commissaire
aux droits de l’homme du Parlement ukrainien, a présenté les mesures
prises par l'Ukraine pour protéger les droits des personnes déportées
(déplacées de force) dans son rapport spécial récemment publié,
qui couvre la période allant du 24 février au 31 octobre 2022

.
50. Afin de faciliter la coordination des activités des autorités
exécutives centrales et locales, des organes de l'État, des forces
armées et des services répressifs, une résolution du Cabinet des
ministres de l'Ukraine a été promulguée le 18 octobre 2022 (Résolution
n° 1187). Elle institue un quartier général chargé de coordonner le
départ des citoyens ukrainiens depuis le territoire de l'Ukraine
temporairement occupé par la Fédération de Russie, en particulier
la République autonome de Crimée et Sébastopol, vers le territoire
ukrainien via le territoire d'autres pays, ainsi que l'assistance
au retour en Ukraine.
51. L'information organisationnelle et le soutien logistique de
ses activités sont confiés au ministère de la Réintégration. Ce
ministère coordonne également les mesures visant à assurer le retour
sur le territoire de l'Ukraine où les autorités publiques exercent
pleinement leurs pouvoirs, des citoyens ukrainiens, en particulier des
enfants, déplacés de force (déportés) vers la Fédération de Russie
et les territoires ukrainiens sous le contrôle de facto de la Fédération de Russie,
ou d'autres États.
52. Selon le Bureau national d'information, les autorités compétentes
en matière de gestion des informations sur les personnes ayant quitté
volontairement ou de force les territoires occupés vers le territoire de
l'État agresseur, ainsi que sur le nombre de personnes ayant été
mobilisées de force ou enrôlées dans les territoires occupés pour
effectuer un service militaire aux côtés de l'agresseur, sont la
Direction principale du renseignement du ministère de la Défense
de l'Ukraine, le Service de sécurité de l'Ukraine (SBU), le service de
renseignement extérieur de l'Ukraine, ainsi que d'autres services
de renseignement et de police. Une coopération plus étroite est
nécessaire entre tous les services compétents pour assurer un retour
rapide et en toute sécurité des enfants. Il convient à cette fin
de renforcer la plate-forme «Children of war», et de lui offrir
le soutien nécessaire, y compris psychologique

.
53. M. Lubinets indique que le Bureau du procureur général travaille
en collaboration avec le Bureau national d'information et la Police
nationale à l'identification des enfants déportés. Or, d'après la
Police nationale, fin juillet 2022, le Bureau du procureur a modifié
l'attribution des compétences en matière de procédures pénales relatives
aux enfants déportés, qui ont été confiées, ainsi que la conduite
des enquêtes, au Service de sécurité de l'Ukraine (SBU).
54. Le SBU, qui a compétence pour fournir des informations sur
les citoyens ukrainiens déportés vers le territoire de la Fédération
de Russie ou déplacés de force vers les territoires occupés, indique
qu’au 2 novembre 2022, leur nombre était de 1 550 adultes et 279
enfants. Ces chiffres diffèrent sensiblement des données présentées
par le Bureau national d'information: pour la période du 24 février
au 1er novembre 2022, le nombre de personnes
déportées (déplacées de force du territoire ukrainien vers le territoire
de la Fédération de Russie ou de la République autonome de Crimée
et de Sébastopol) est de 45 995, soit 37 855 adultes et 8 140 enfants.
55. Le Bureau du procureur général a indiqué que depuis le 24
février 2022, 60 infractions pénales ont été enregistrées par les
services répressifs ukrainiens sur des faits de déplacement forcé
et de déportation. En avril 2023, 19 384 enfants ukrainiens avaient
été déportés (déplacés) vers les territoires de la Fédération de Russie
et du Bélarus, dont 96 étaient retournés en Ukraine et dans des
pays européens. Les efforts du procureur général sont complétés
par ceux de la Cour pénale internationale.
56. La résolution no 1201 du 21 octobre
2022 du Cabinet des ministres de l'Ukraine «Sur la mise en œuvre du
projet expérimental d'enregistrement en Ukraine des certificats
de retour en Ukraine» prévoit qu'en l'absence d'institutions consulaires
ukrainiennes en Fédération de Russie, lesquelles ont été contraintes
de cesser leurs activités après le 24 février 2022, les Ukrainiens
qui, pour diverses raisons, se sont retrouvés en Fédération de Russie
et ont perdu des documents d'identité peuvent les faire rétablir
à la demande de leurs proches ou du ministère de la Réintégration
au Service national des migrations de l'Ukraine.
57. La résolution concerne également la protection et le rétablissement
des documents d'identité des enfants ukrainiens se trouvant en Fédération
de Russie. La question reste de savoir comment transmettre ces documents
aux Ukrainiens se trouvant en Fédération de Russie. Ce problème
sera probablement résolu soit dans le cadre des négociations menées
avec les partenaires de l'Ukraine en vue de désigner un pays dont
les institutions diplomatiques présentes en Fédération de Russie
pourront fournir des services consulaires aux Ukrainiens qui y demeurent,
soit grâce à des accords conclus avec des organisations internationales
qui poursuivent leurs activités en Fédération de Russie. Les organisations
ukrainiennes de défense des droits humains ont salué cette résolution.
58. M. Lubinets a également déploré le fait que sur les 1 760
prisonniers de guerre qui ont été échangés et rapatriés en Ukraine,
aucun n'a pu rencontrer des représentants du CICR. Les organismes
internationaux qui interviennent en Fédération de Russie devraient
pouvoir continuer à exercer leurs mandats respectifs pour aider
à rétablir les liens familiaux et les documents d'identité et permettre
aux Ukrainiens d'évacuer la Fédération de Russie en toute sécurité.
59. En conclusion de son rapport, M. Lubinets a formulé une série
de recommandations, mentionnant notamment la nécessité:
- d’assurer une coordination stable
entre les États membres et les organisations internationales et nationales
en ce qui concerne le retour des personnes déportées et transférées
de force ou déplacées, ainsi que l'enregistrement de ces faits;
ainsi que de collecter des données sur les civils qui sont déportés vers
la Fédération de Russie ou qui sont transférés ou déplacés de force
dans le cadre de l'agression armée;
- de renforcer la coordination pour assurer les poursuites
des personnes coupables de déportations et de déplacements forcés,
ce faisant, de tenir des statistiques séparées sur ces procédures
pénales, ainsi qu’un registre des personnes concernées par celles-ci;
d’améliorer les connaissances et les compétences des procureurs
en vue de la qualification des déportations en crimes de guerre
et de recueillir les preuves nécessaires afin d'accroître l'efficacité
des poursuites pénales;
- de diffuser des informations sur les causes et les conséquences
de la déportation (déplacement forcé); d'associer des organisations
internationales et d'autres médiateurs au processus d'identification
des personnes déportées sur le territoire de la Fédération de Russie
et des personnes transférées ou déplacées de force sur le territoire
de l'Ukraine temporairement occupé par la Fédération de Russie,
afin de garantir leur liberté de retourner sur le territoire contrôlé
par l'Ukraine ou de se rendre dans d'autres États; enfin, de faire
tous les efforts possibles pour obtenir des données sur la localisation
des personnes déportées et déplacées de force, ainsi que pour établir
une communication avec ces personnes, en obtenant des informations
sur les conditions de leur détention et en veillant à ce qu'elles soient
conscientes de leur droit de retourner en Ukraine ou de s'installer
dans d'autres États.
7. Mesures
nécessaires pour faciliter le retour des enfants ukrainiens déportés
vers la Fédération de Russie
60. En plus du travail déjà entamé,
les mesures identifiées par le Centre régional pour les droits de
l'homme en Ukraine doivent être soutenues. Il s'agit en particulier
de la nécessité d'un mécanisme juridique et politique clair pour
le retour des enfants ukrainiens déportés vers la Fédération de
Russie. À ce stade, il existe plusieurs programmes ad hoc visant à résoudre des problèmes
spécifiques liés au rapatriement des enfants, en coopération avec
la société civile. Ces programmes comprennent notamment l'identification
du lieu où se trouve le mineur, l'établissement de contacts avec
l'administration d'un centre de détention, l'organisation et le financement
d'un voyage vers un centre de détention, l'assistance juridique
et psychologique et la préparation des documents nécessaires au
retour de l'enfant.
61. La mise en œuvre de programmes ad
hoc est possible principalement dans les cas où l'un
des parents ou les deux recherchent activement leur enfant et sont
prêts à aller le chercher sur le territoire contrôlé par la Fédération
de Russie. En général, les mineurs qui viennent d'un ou de plusieurs
centres de détention sont regroupés et renvoyés ensemble. Des représentants
des organisations non gouvernementales «Save Ukraine» et «SOS Children’s
Villages» participent notamment à ces processus.
62. L'inconvénient majeur de ces programmes est leur caractère
irrégulier. Au cours du processus de retour, les agents russes ont
délibérément créé des obstacles sous la forme de contrôles supplémentaires
à la frontière, d'«entretiens préventifs» avec des représentants
des forces de l'ordre, de refus de remettre l'enfant à un représentant
légal en raison du conflit armé ou de «lacunes» dans les documents,
de menaces de poursuites ultérieures à leur retour en Ukraine pour
avoir collaboré, etc.
63. Il est extrêmement préoccupant de constater que très peu d’enfants
sont rentrés en Ukraine au cours de la période de plus d'un an qui
s'est écoulée depuis le début de l'agression de grande ampleur.
Les enfants qui sont victimes de ces déplacements ont besoin d'être
rapatriés d'urgence, mais aussi d'être réhabilités et réinsérés.
En outre, des moyens de réparation doivent être garantis à ces mineurs,
notamment sous la forme d'un accès à la justice, d'autant plus qu'il
est peu probable que la Fédération de Russie respecte les arrêts
de la Cour européenne des droits de l'homme concernant des violations
qui se sont produites pendant la période où les recours devant la
Cour étaient encore possibles.
64. Il est important que les sanctions soient maintenues afin
de dissuader la Fédération de Russie de continuer à violer les droits
des enfants ukrainiens. En particulier, je pense que les 28 médiateurs
pour enfants des sujets de la Fédération de Russie, les neuf gouverneurs
et les directeurs de toutes les institutions qui acceptent des enfants
ukrainiens à des fins de «rééducation» ou de «loisirs» devraient
être ajoutés aux listes de sanctions aux niveaux étranger et régional.
65. Le 17 mars 2023, la CPI a publié une déclaration claire sur
la nécessité de protéger les enfants ukrainiens, condamnant fermement
les déportations, les déplacements forcés et les adoptions illégales

.
Ce jour-là, la Chambre préliminaire II de la CPI a délivré des mandats
d'arrêt à l'encontre de deux personnes dans le contexte de la situation
en Ukraine: Le président Vladimir Vladimirovitch Poutine et Mme Maria
Alekseyevna Lvova-Belova.
- «Né
le 7 octobre 1952, le Président de la Fédération de Russie, Vladimir
Poutine, serait responsable du crime de guerre de déportation illégale
de population (enfants) et du crime de guerre de transfert illégal de
population (enfants), et ce, de certaines zones occupées de l’Ukraine
vers la Fédération de Russie (au sens des articles 8-2-a-vii et
8-2-b-viii du Statut de Rome). Ces crimes auraient été commis sur
le territoire ukrainien occupé, à partir du 24 février 2022 au moins.
Il existe des motifs raisonnables de croire que Vladimir Poutine
est individuellement responsable au pénal des crimes susmentionnés,
i) pour avoir commis ces crimes directement, conjointement avec
d’autres personnes et/ou par l’intermédiaire d’autres personnes
(article 25-3-a du Statut de Rome), et ii) pour avoir omis d’exercer
le contrôle qui convenait sur les subordonnés civils et militaires
qui ont commis ces crimes ou ont permis qu’ils soient commis, et
qui étaient sous son autorité et son contrôle effectifs, conformément
aux règles relatives à la responsabilité du supérieur hiérarchique
(article 28-b du Statut de Rome).
- Née le 25 octobre 1984, Maria Lvova-Belova, qui est Commissaire
aux droits de l’enfant au sein du Cabinet du Président de la Fédération
de Russie, serait responsable du crime de guerre de déportation illégale
de population (enfants) et du crime de guerre de transfert illégal
de population (enfants), et ce, de certaines zones occupées de l’Ukraine
vers la Fédération de Russie (au sens des articles 8-2-a-vii et
8-2-b-viii du Statut de Rome). Ces crimes auraient été commis sur
le territoire ukrainien occupé, à partir du 24 février 2022 au moins.
Il existe des motifs raisonnables de croire que Maria Lvova-Belova est
individuellement responsable au pénal des crimes susmentionnés,
pour avoir commis ces crimes directement, conjointement avec d’autres
personnes et/ou par l’intermédiaire d’autres personnes (article 25-3-a
du Statut de Rome).
- Au vu des demandes présentées par l’Accusation le 22 février
2023, la Chambre préliminaire II a estimé qu’il existe des motifs
raisonnables de croire que la responsabilité de chacun des suspects
est engagée à raison du crime de guerre de déportation illégale
de population et du crime de guerre de transfert illégal de population
depuis certaines zones occupées de l’Ukraine vers la Fédération
de Russie, ces crimes ayant été commis à l’encontre d’enfants ukrainiens.
- La Chambre a estimé que les mandats devaient demeurer
secrets tant pour protéger les victimes et les témoins que pour
préserver le secret de l’enquête. Consciente toutefois que le comportement
visé en l’espèce aurait toujours cours et que la sensibilisation
du public aux mandats peut contribuer à prévenir la commission de
nouveaux crimes, la Chambre a estimé qu’il était dans l’intérêt
de la justice d’autoriser le Greffe à divulguer au grand public
l’existence des mandats, le nom des suspects, les crimes pour lesquels
les mandats ont été délivrés et les modes de responsabilité tels
que déterminés par la Chambre
- Les mandats d’arrêt susmentionnés ont été délivrés en
réponse aux requêtes présentées par l’Accusation le 22 février 2023
».
66. Le 19 avril 2023, au Parlement européen, le Conseil de l’Union
européenne et la Commission européenne ont partagé des déclarations
sur les enfants ukrainiens déplacés de force et sur le mandat d’arrêt adopté
le 17 mars 2023 par la CPI à l’encontre de Vladimir Poutine et de
Maria Lvova-Belova, Commissaire russe aux droits de l'enfant. La
ministre suédoise Jessika Roswall, s’exprimant au nom du Conseil,
a insisté sur la nécessité pour tous les États parties à la CPI
de respecter ce mandat. Elle a souligné que la CPI avait besoin
de preuves et de ressources suffisantes et elle a salué le fait
que de nombreux États membres de l’Union européenne avaient fourni
des éléments additionnels à la CPI et continueraient de le faire.
Elle a noté également que la lutte contre l’impunité n’était pas
de la seule responsabilité de la CPI et qu’elle espérait qu’un centre
international pour la justice serait inauguré à La Haye d’ici juin
2023, doté d’un mécanisme chargé de statuer sur le crime d’agression
avec le soutien d’Eurojust. Conformément à la Conclusion de décembre
2022 du Conseil, Mme Roswall a appelé
à une coordination de tous les efforts visant à garantir la responsabilité
pour les crimes commis en Ukraine. La vice-présidente Věra Jourová
a réitéré ce message, insistant sur la gravité et l’urgence de la
situation. Elle a également évoqué la situation des enfants ukrainiens
identifiés dans des orphelinats russes, qui pour certains sont soumis
à une prétendue éducation militaire et patriotique russe ou «russification».
Le procureur public affirme que ces actes témoignent d’une intention
de soustraire de manière permanente ces enfants à leur pays d’origine.
Depuis le début de la guerre, la Commission a attribué plus de 10
millions d’euros à la CPI afin de renforcer ses capacités d’enquête
et de poursuites. Les membres du Parlement européen ont tenu un
échange de vues sur cette question, insistant sur la nécessité de
mettre un terme aux crimes consistant à transférer et extrader de
force des civils ukrainiens vers la Fédération de Russie, de créer
des conditions permettant aux enfants ukrainiens, en toute sécurité,
de rentrer dans leur pays ou de s’installer dans un pays tiers en
Europe et, enfin, de punir les auteurs de tels crimes.
8. Conclusions
67. L'Assemblée a été l'une des
premières instances internationales à condamner clairement et fermement l'invasion
massive de l'Ukraine par la Fédération de Russie et a joué un rôle
moteur dans l'expulsion de la Fédération de Russie du Conseil de
l'Europe. L'Assemblée doit continuer à dénoncer dans les termes
les plus fermes tous les crimes qui ont été et continuent d'être
commis dans le cadre de l'agression en cours, en violation flagrante
des lois de la guerre et du droit humanitaire international. Ces
règles internationales doivent être respectées à tout moment et
en toutes circonstances; elles ont pour but de minimiser les souffrances humaines
et plus particulièrement de protéger les civils, notamment les enfants.
Aussi bien la Russie que l'Ukraine sont signataires des principaux
traités de droit humanitaire applicables aux conflits armés internationaux:
la Convention (IV) de Genève (1949) relative à la protection des
personnes civiles en temps de guerre et son Protocole additionnel
I (1977) concernant la protection des victimes civiles de la guerre internationale.
68. Il est impératif que la Fédération de Russie cesse immédiatement
ses pratiques de déplacement et de déportation des citoyens ukrainiens
vers la Fédération de Russie, le Bélarus et les régions temporairement occupées
de l'Ukraine. Elle doit cesser de toute urgence sa politique d'éloignement
des enfants ukrainiens et leur endoctrinement ultérieur, et mettre
fin à toute adoption dans des familles russes qui a déjà eu lieu
ou qui est en cours.
69. Compte tenu de la nécessité urgente de réparer les crimes
existants et de renvoyer les victimes dans leurs foyers et leurs
familles le plus rapidement possible, la Fédération de Russie doit
partager avec les organismes internationaux et les autorités ukrainiennes
des informations fiables et complètes sur le nombre, les noms et
le lieu où se trouvent tous les enfants déportés ou déplacés de
force vers son territoire ou les territoires ukrainiens sous le
contrôle de facto de la Russie.
Elle doit faciliter la communication entre les enfants et leurs
familles et avec les organismes ukrainiens ou internationaux de
protection de l'enfance. De même, des informations fiables et complètes
sur tous les civils déportés ou transférés de force vers la Fédération
de Russie ou vers les territoires ukrainiens temporairement occupés
doivent être mises à disposition afin que ces personnes puissent
être localisées et aidées à retourner en Ukraine ou partir vers
un pays tiers sûr si elles le souhaitent.
70. Les preuves ne laissent aucun doute quant à l'existence d'une
politique d'État délibérée de transferts forcés et de déportations
de civils, y compris d'enfants, mise en œuvre sur ordre direct du
président Vladimir Poutine. Cette politique devrait être qualifiée
de crime de guerre et de crime contre l'humanité et faire l’objet de
poursuites à ce titre. Des éléments constitutifs de crime de génocide
peuvent également être trouvés dans la pratique des déportations
et des transferts forcés de civils, notamment d'enfants, et dans
le processus corrélé de «russification» et cet aspect doit être
sérieusement examiné et instruit par les juridictions compétentes.
71. L'Assemblée rappelle à la Fédération de Russie que la seule
collecte de données autorisée dans le cas des civils et des enfants
pendant l'agression vise à faciliter leur retour en toute sécurité
dans leurs familles et leurs foyers, et que toute autre collecte
de données, notamment les examens médicaux, susceptible d'être utilisée
à des fins néfastes telles que la conscription, est contraire aux
normes internationales.
72. Pour leur part, les autorités ukrainiennes, en collaboration
avec la communauté internationale et les organisations humanitaires,
doivent poursuivre leurs efforts pour mettre en place des mécanismes
et un cadre de coordination efficace afin de soutenir le rapatriement
des enfants victimes de déplacements, de déportations ou de transferts
forcés, y compris ceux qui ont été adoptés par des familles russes.
L'accent doit être mis sur l'intérêt supérieur des enfants victimes,
qui ont besoin d'une protection et d'un soutien multisectoriel important
en matière de santé mentale et de soutien psychosocial pour commencer
à surmonter les traumatismes subis. Il est important de veiller
à ce que les enfants qui rentrent en Ukraine en provenance de la
Fédération de Russie depuis des camps, des institutions ou des familles
russes bénéficient des meilleures conditions possibles, notamment
pour ceux qui n'ont pas de membres de leur famille pouvant s'occuper
d'eux; dans la mesure du possible, l'objectif devrait être d'éviter
leur placement en institution à long terme. Les autorités ukrainiennes
devraient préparer soigneusement le retour de ces enfants en précisant
le lieu de départ et en identifiant les personnes qui s'occupent
d'eux et les tuteurs légaux, le cas échéant, au cas par cas.
73. Enfin, les crimes commis ne doivent pas rester impunis. Leurs
auteurs, à tous les niveaux de la chaîne de commandement et dans
tous les rôles, doivent être identifiés et tenus pour responsables.
Les violations flagrantes du droit international que sont l’agression
contre un autre État, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité
et le génocide ne peuvent rester impunies. La communauté internationale
doit agir avec détermination pour que justice soit faite.