1. Introduction
1. Le présent rapport repose sur
une proposition de résolution déposée le 18 mai 2021
et renvoyée devant
la commission des questions juridiques et des droits de l’homme.
Le 27 septembre 2021, la commission m’a désigné rapporteur.
2. La proposition de résolution utilisait le terme «répression
transnationale» pour désigner «les actions autorisées par les gouvernements
et leurs services de sécurité et de renseignement à l’encontre de
leurs ressortissants, adversaires politiques, défenseurs de la société
civile et journalistes qui résident à l’étranger». Si leur existence
n’est pas nouvelle, ces actes de répression extraterritoriaux ont
récemment atteint un niveau sans précédent. En effet, plus de 600 cas
de répression transnationale ont été signalés depuis 2014, notamment
des assassinats, des actes de violence, des disparitions, des enlèvements
forcés et des actions de déstabilisation des communautés exilées
à l’étranger. La nouvelle répression transnationale est exercée plus
ouvertement dans un environnement international où les autocrates
coopèrent les uns avec les autres et évitent tout contrôle international.
Par conséquent, la proposition de résolution invitait l’Assemblée parlementaire
à étudier attentivement ce phénomène et ses conséquences pour le
Conseil de l’Europe et ses États membres.
3. Dans le cadre de la préparation du rapport, la commission
a tenue une audition, le 14 novembre 2022, de deux experts: M. Bruno
Min, directeur juridique chez Fair Trials (Londres), et M. Vytis
Jurkonis, directeur de projet pour Freedom House (Vilnius).
4. Dans le présent rapport, je commencerai par étudier ce que
représente le nouveau phénomène mondial de la répression transnationale
et certaines des réponses apportées par les États pour gérer ce
problème. Je m’arrêterai ensuite sur les pratiques et certains des
cas les plus marquants de répression transnationale en Europe ces
dernières années, avant de donner un aperçu des normes pertinentes
du Conseil de l’Europe applicables en la matière et de présenter
plusieurs propositions visant à renforcer la lutte contre la répression transnationale
par les États et le Conseil de l’Europe dans son ensemble.
2. La répression transnationale, un nouveau
phénomène mondial
5. L’assassinat et le démembrement
d’un journaliste saoudien, Jamal Khashoggi, dans l’enceinte du consulat
d’Arabie saoudite à Istanbul en octobre 2018 a mis en lumière le
phénomène mondial de la répression transnationale. Cet incident
a démontré que les régimes autoritaires ne se limitaient plus aux
frontières de leur territoire pour persécuter et réprimer les dissidents
et les opposants politiques. Les universitaires parlent désormais
d’«un domaine émergent de la recherche en études internationales
qui s’axe autour des moyens inédits que les autocraties emploient
pour exercer un pouvoir sur les populations à l’étranger» et d’«autoritarisme
mondial»
.
6. Si le terme est récent, la pratique de la répression transnationale,
elle, ne date pas d’hier. Elle remonte à l’époque de la guerre froide,
lorsque les services secrets recouraient à diverses méthodes pour
poursuivre les opposants qui fuyaient les régimes autoritaires.
L’assassinat de l’écrivain dissident bulgare Georgi Markov à l’aide
d’un parapluie empoisonné en 1978 à Londres est un exemple bien
connu de répression transnationale. Pour autant, à l’époque moderne
marquée par la mondialisation, les migrations et la généralisation
des technologies numériques, la répression extraterritoriale a pris
une dimension mondiale et systémique. Ce qui m’inquiète le plus,
c’est que la répression transnationale fait désormais partie de
la politique nationale de certains pays, y compris d’États membres,
actuels et anciens, du Conseil de l’Europe.
7. Dans un rapport publié en 2021, l’organisation non gouvernementale
de défense des droits humains Freedom House a présenté une vue d’ensemble
extrêmement complète de la répression transnationale, un phénomène
mondial fondé sur les techniques étatiques suivantes:
a. les
attaques directes par lesquelles «un État d’origine mène
une attaque physique ciblée contre un individu à l’étranger». Cette
catégorie comprend les assassinats, les agressions, les disparitions, l’intimidation
physique et les restitutions forcées violentes;
b. la coopération avec d’autres
pays, c’est-à-dire une situation où des États manipulent
d’autres États «pour les pousser à agir contre une cible en recourant
à la détention, à l’expulsion illégale et à d’autres types de restitutions
forcées – des mesures autorisées par des procédures juridiques pro-forma,
mais dénuées de sens»;
c. le contrôle de la mobilité,
défini comme des méthodes telles que «le retrait de passeports et
le refus des services consulaires, ce qui empêche la personne ciblée
de voyager, ou entraîne sa détention»;
d. les menaces à distance,
y compris «l’intimidation ou la surveillance en ligne et la coercition
par procuration, dans le cadre de laquelle la famille, un proche
ou un partenaire commercial d’une personne sont menacés, emprisonnés
ou autrement visés» .
8. Freedom House a répertorié 608 cas directs de répression transnationale
physique survenus entre janvier 2014 et novembre 2020 et a dressé
une liste de 31 États persécuteurs qui commettent ce type d’acte dans
79 pays d’accueil. Dans chacun de ces cas, les autorités de l’État
persécuteur ont physiquement atteint une personne résidant à l’étranger,
que ce soit par la détention, l’agression, l’intimidation physique,
l’expulsion illégale, la restitution et même l’assassinat
.
Selon sa dernière mise à jour publiée en avril 2023, le nombre d’incidents
de répression transnationale physique commis depuis 2014 s’élève
à 854. Ces actes ont été commis par 38 gouvernements dans 91 pays
à travers le monde. En 2022, Freedom House a enregistré 79 incidents
commis par 20 gouvernements. Toujours d’après Freedom House, les
principaux auteurs de répression transnationale sont les gouvernements
de la Chine, de la Türkiye, de la Russie, de l’Égypte et du Tadjikistan
.
9. Pour autant, il ne s’agit là que d’un compte rendu partiel
des cas de répression transnationale. Des centaines d’autres cas
restent insuffisamment documentés, notamment la détention dans les
pays de persécution après des expulsions illégales, le harcèlement
numérique, la surveillance secrète, etc. Même si les cas apparaissent
souvent comme des incidents isolés – un assassinat suspect par ici,
un enlèvement par là – la répression transnationale devient un phénomène
«normal» qui représente une menace croissante pour les droits humains,
la sécurité et l’État de droit dans les pays d’accueil.
10. La répression transnationale physique n’est que la partie
émergée de l’iceberg. Outre les actes physiques répertoriés dans
la base de données de Freedom House, il existe d’autres méthodes
de répression transnationale «quotidienne» beaucoup plus répandues:
menaces en ligne, logiciels espions, coercition par procuration,
emprisonnement ou persécution des familles des personnes exilées
dans le pays d’origine, etc.
Citizen Lab fait
état d’une tendance de plus en plus marquée à utiliser les technologies
numériques comme un nouveau moyen de contrôler, de réduire au silence
et de punir les dissidents par-delà les frontières
.
Cette pratique est connue sous le nom de «répression numérique transnationale»,
dont l’utilisation du logiciel espion Pegasus est l’exemple le plus
emblématique
.
L’utilisation abusive, pour des motifs politiques, des mécanismes
d’assistance juridique interétatique tels que les mesures de lutte
contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme
est également une forme de répression transnationale, qui peut avoir de
lourdes conséquences pour les personnes visées, notamment le gel
des avoirs, l’exclusion financière et la violation des droits de
propriété
.
11. Les États-Unis ont été les premiers à s’attaquer au phénomène
de la répression transnationale par des moyens législatifs et des
pratiques répressives constantes. Le FBI définit la répression transnationale
comme le harcèlement et l’intimidation perpétrés par certains pays
contre leurs propres ressortissants installés aux États-Unis, en
particulier les citoyens naturalisés ou nés aux États-Unis qui ont
de la famille à l’étranger ou d’autres liens à l’étranger, en violation
du droit américain et des droits et libertés individuels. La répression transnationale
peut prendre diverses formes, dont la traque, le harcèlement, le
piratage informatique, les agressions, les tentatives d’enlèvement,
le retour forcé ou contraint des victimes dans leur pays d’origine,
les menaces contre les membres des familles dans le pays d’origine
ou leur mise en détention, le gel des avoirs financiers, les campagnes
de désinformation en ligne, etc.
En 2019, la Commission sur la sécurité
et la coopération en Europe, également connue sous le nom de Commission
Helsinki du gouvernement fédéral des États-Unis, a présenté
la loi relative
à la responsabilité et à la prévention de la répression transnationale (TRAP)
(H.R. 4330) pour lutter contre l’instrumentalisation d’Interpol
à des fins politiques par les autocraties, qui a été adoptée dans
le cadre de la loi 2022 sur l’autorisation de la défense nationale
. En juillet 2022,
le département d’État des États-Unis a envoyé une note diplomatique
aux chefs de mission à Washington DC pour mettre en garde les diplomates
étrangers contre le fait de «cibler des individus […] pour avoir
exercé pacifiquement leurs droits humains et leurs libertés fondamentales,
par le biais de diverses formes de harcèlement, d’intimidation et
de coercition». En outre, à la fin de l’année 2022, les législateurs
américains ont également présenté un projet de loi visant à codifier
et à criminaliser la répression transnationale (Stop Transnational
Repression Act), qui prévoit une peine maximale de 10 ans d’emprisonnement
pour les personnes reconnues coupables de cette infraction
. Selon Freedom House, il s’agit
là de mesures positives pour lutter contre la répression transnationale,
même si leur crédibilité est quelque peu sapée par les relations bilatérales
entretenues avec des États tels que l’Arabie saoudite ou l’Égypte.
12. Au Royaume-Uni, à la suite d’un rapport qui révélait la présence
de trois «bureaux de police chinois non officiels» sur le territoire
britannique, le gouvernement a annoncé en novembre 2022 la création
d’un groupe de travail pour la défense de la démocratie (Defending
Democracy Taskforce). Ce groupe de travail ministériel a pour mission
d’œuvrer au sein du gouvernement et en collaboration avec les services
de renseignement pour protéger le Royaume-Uni de la répression transnationale,
entre autres menaces étrangères
. Par ailleurs, le gouvernement a
pris d’autres mesures, notamment l’apport de modifications au projet
de loi sur la sécurité nationale afin d’ériger en infraction les
actes de coercition, de harcèlement et d’intimidation liés à un gouvernement
étranger, et d’alourdir les peines pour les actes criminels existants
s’ils sont commis pour le compte ou au nom d’une puissance étrangère.
Le gouvernement a également proposé la mise en place d’un système
d’enregistrement de l’influence étrangère, qui obligerait les organisations
et les individus à s’enregistrer auprès du Secrétaire d’État dès
lors qu’ils envisagent de prendre part à des activités d’«influence politique»
dirigées par une puissance étrangère
.
13. Face au phénomène croissant de la répression, le Parlement
européen a demandé un rapport sur l’utilisation des notices rouges
d’Interpol à motivation politique, qui note que «conjointement avec
d’autres institutions internationales, [le Parlement européen] n’a
eu de cesse de s’intéresser au détournement des notices rouges d’Interpol
et aux ordres de diffusion, et en particulier leur utilisation abusive
à motivation politique de manière continue». Pourtant, malgré diverses
réformes internes d’Interpol, notamment la désignation d’un officier
délégué à la protection des données, «des cas d’utilisation abusive
continuent d’être détectés»
. D’après Freedom House, «le détournement
d’Interpol est la forme de répression transnationale la mieux comprise
au sein du système international». Il s’agit d’une forme de coopération,
dans laquelle les pays d’origine instrumentalisent les mécanismes
de notification d’Interpol afin de manipuler un pays d’accueil
.
14. Plus récemment (en mars 2023), les gouvernements de l’Allemagne,
de l’Australie, de l’Estonie, des États-Unis, du Kosovo*
,
de la Lettonie, de la Lituanie et de la République slovaque ont
signé une «Déclaration de principes pour lutter contre la répression
transnationale». Selon cette déclaration, «la répression transnationale
est une menace pour la démocratie et les droits humains partout
dans le monde». Les signataires de cette déclaration se sont engagés
à faire prendre conscience aux fonctionnaires de la menace que représente
la répression transnationale, notamment les agents chargés de la
protection des frontières, de l’immigration, de la cybersécurité
et des services répressifs; à renforcer la sensibilisation des cibles
potentielles de la répression transnationale, en coordination avec
la société civile, afin de les alerter des menaces, de les informer
de leurs droits et de leur expliquer comment signaler les incidents;
à établir des procédures claires qui permettent au public de signaler
aux autorités nationales compétentes les attaques, les menaces ou
le harcèlement par des États ou des acteurs étrangers; à veiller
à ce que les législations nationales confèrent aux fonctionnaires
la compétence et les outils nécessaires pour appréhender et poursuivre
les auteurs de la répression transnationale; à veiller à ce que
les militants des droits humains et les organisations de la société
civile aient accès à des forums internationaux où ils peuvent partager
leurs expériences et sensibiliser à la menace de la répression transnationale;
à accroître l’obligation faite aux auteurs de la répression transnationale
de répondre de leurs actes par des sanctions ciblées et des conséquences
diplomatiques; à faire pression pour une plus grande transparence
d’Interpol et pour une réforme des procédures nationales d’utilisation
des notices d’Interpol, le cas échéant, afin d’éviter les cas de détournement
de ces notices; à prendre en compte les pratiques des autres pays
en matière de répression transnationale dans le cadre des accords
bilatéraux de sécurité, des traités d’extradition, de l’aide étrangère et
des pratiques d’échange d’informations; et à empêcher, notamment
par le contrôle des exportations et des restrictions en matière
de licences, l’utilisation abusive des technologies de surveillance
à des fins de répression transnationale numérique
.
3. Les
pratiques et les cas de répression transnationale en Europe
15. Les rapports susmentionnés
évoquent le phénomène mondial que représentent les cas de répression transnationale,
dont un bon nombre sont perpétrés ou préparés dans les territoires
des États membres actuels et anciens du Conseil de l’Europe. Aux
fins du présent rapport, je décrirai certains cas et pratiques notables de
répression transnationale observés en Europe ces dernières années.
3.1. Fédération
de Russie
16. L’empoisonnement d’Alexandre
Litvinenko est probablement l’exemple le plus connu de répression transnationale.
En effet, cet ancien espion russe recruté par les services de renseignement
britanniques et éminemment critique à l’égard du président russe
Vladimir Poutine, est mort en novembre 2006 à Londres, trois semaines
après avoir été empoisonné au polonium-210 radioactif. Les enquêtes
menées au Royaume-Uni ont révélé que deux ressortissants russes,
qui agissaient sous la direction du FSB (service fédéral de sécurité),
l’avaient empoisonné avec «l’[approbation probable] de M. [Nikolai]
Patrushev, à l’époque directeur du FSB, et du président Poutine»
. En septembre 2021, la Cour européenne
des droits de l’homme (la Cour) a estimé que la Fédération de Russie
était responsable de l’assassinat ciblé de M. Litvinenko et de l’absence d’enquête
effective sur sa mort
.
17. L’assassinat de M. Litvinenko s’inscrit dans la longue liste
de décès suspects ou d’agressions physiques perpétrées contre des
dissidents russes installés au Royaume-Uni. En juin 2017, BuzzFeed
News a dénoncé
d’autres cas liés à une «vague plus
large d’assassinats cautionnés par le Kremlin à travers le monde»
. Cette enquête a recensé au moins
quatorze assassinats présumés et plusieurs tentatives d’assassinat,
des menaces ou d’autres formes de répression dirigées contre des
dissidents russes résidant à l’étranger, principalement au Royaume-Uni,
et notamment proches du cercle intime de Boris Berezovsky.
18. En octobre 2006, deux jours avant l’empoisonnement de M. Litvinenko,
l’ancien ambassadeur russe auprès de l’Organisation maritime internationale
des Nations Unies, M. Igor Ponomarev, s’est effondré et est décédé
après une soirée à l’opéra de Londres. D’après certaines informations,
M. Ponomarev avait justement rendez-vous avec un consultant en sécurité
qui enquêtait sur les liens entre les services de sécurité russes
et des responsables politiques italiens.
19. Le journaliste Daniel McGrory est mort subitement en février
2007, cinq jours avant la diffusion d’un documentaire de la chaîne
NBC dans lequel il parlait du polonium qui avait empoisonné M. Litvinenko.
Peu après la diffusion du documentaire, un autre de ses protagonistes –
l’expert en sécurité américain M. Paul Joyal – a été grièvement
blessé par balle dans son allée par des inconnus. La NBC a qualifié
ces deux incidents de «mystérieux».
20. En janvier 2007, Yuri Golubev, cofondateur de Yukos avec Mikhail
Khodorkovsky, un opposant politique de M. Poutine, a été retrouvé
mort dans son appartement londonien. Peu avant sa mort, il avait
indiqué qu’il ne se sentait pas bien et était rentré de Chine plus
tôt que prévu en passant par Moscou. Son décès a été classé comme
non suspect, mais le Procureur général de Russie a déclaré qu’il
y avait «toutes les raisons de croire» que M. Golubev avait été
assassiné
.
21. En novembre 2012, le financier russe Alexander Perepilichnyy
est mort subitement alors qu’il faisait un footing près de chez
lui dans le comté de Surrey, en Angleterre. Il avait dénoncé, preuves
à l’appui, une opération de blanchiment d’argent de 230 millions
USD qui impliquait des fonctionnaires du gouvernement russe et la
mafia russe
. La police
a conclu à un décès non suspect, mais un expert a par la suite décelé
dans l’estomac de M. Perepilichnyy des traces d’une plante mortelle,
connue pour provoquer des arrêts cardiaques. Les autorités britanniques
ont récemment classifié les documents de cette enquête pour des
raisons de sécurité nationale. S’appuyant sur des sources du renseignement
américain, BuzzFeed a cité un rapport secret adressé au Congrès
qui affirmait «en toute confiance» que M. Perepilichnyy avait été
assassiné sur ordre direct du Kremlin.
22. Un mois plus tard, le marchand de biens de luxe Robbie Curtis,
impliqué dans les affaires de M. Berezovsky, est mort dans ce qui
a été présenté comme un suicide, en chutant sans raison apparente devant
un train. D’autres partenaires commerciaux de M. Berezovsky, Paul
Castle et Johnny Elichaoff, ont également perdu la vie dans des
suicides apparents, des décès que BuzzFeed News considère comme suspects
dans le cadre du programme secret d’assassinats mené par la Russie.
23. Berezovsky lui-même, présenté en Russie comme le «parrain
des oligarques», a fui au Royaume-Uni après s’être attiré les foudres
de M. Poutine. Il a utilisé sa fortune personnelle pour mener une
vaste campagne d’opposition publique contre l’élite au pouvoir au
Kremlin. Il a déclaré avoir fait l’objet de plusieurs tentatives d’assassinat
ratées. Il a finalement été retrouvé pendu dans sa salle de bains
en 2013. La police a conclu à un suicide, mais le médecin légiste
a estimé qu’il s’agissait d’un cas de mort suspecte
. D’après BuzzFeed, les responsables
du renseignement américain soupçonnent que la mort de M. Berezovsky
relève plutôt d’un assassinat savamment orchestré. Dans une déclaration
adressée à la Douma d’État, le Procureur général de Russie a affirmé
que les services de renseignement britanniques avaient fait tuer
M. Berezovsky pour l’empêcher de rentrer en Russie
.
24. La série de décès suspects qui a frappé le cercle intime de
M. Berezovzky s’est poursuivie au cours des années suivantes. Scot
Young, ancien multimillionnaire et conseiller de M. Berezovsky,
est mort à Londres en décembre 2014 après être tombé d’un appartement
situé au quatrième étage. BuzzFeed (s’appuyant sur des sources des
services de renseignement américains) pense que ce décès est l’œuvre
de tueurs à gage russes qui l’avaient dans le viseur depuis que
sa fortune s’était volatilisée dans une sombre affaire immobilière
à Moscou. En novembre 2015, Mikhaïl Lesin, l’ancien conseiller média
de Vladimir Poutine, qui avait placé la quasi-totalité des médias
russes sous le contrôle du Kremlin, a été retrouvé battu à mort
à l’hôtel Dupont Circle à Washington D.C., probablement par les
hommes de main d’un oligarque proche de M. Poutine (selon un rapport
divulgué par un ancien officier britannique du MI6). En 2016, Dr
Matthew Puncher, le scientifique qui avait décelé la dose fatale
de polonium radioactif à l’origine de l’empoisonnement de M. Litvinenko
et prouvé le lien avec la Russie, a été retrouvé mort, poignardé
à son domicile d’Oxford. Nikolay Glushkov, homme d’affaires russe
en exil, ex-directeur adjoint d’Aeroflot et directeur financier
d’AvtoVAZ (à l’époque sous la direction de M. Berezovsky), est mort
en mars 2018, également dans des circonstances suspectes. Son décès a
été considéré comme un «homicide illicite»; la présence de certaines
lésions laisse penser à une strangulation
.
25. Le meurtre du dissident tchétchène Umar Israïlov, ancien garde
du corps de Ramzan Kadyrov, est un autre cas de répression transnationale,
qui a révélé l’existence d’une «nébuleuse tchétchène». En sa qualité de
détracteur du gouvernement tchétchène, M. Israïlov avait obtenu
l’asile en Autriche et s’était dit prêt à témoigner sur les crimes
commis par les partisans de M. Kadyrov (les kadyrovtsy), en commençant
par M. Kadyrov lui-même et Adam Delimkhanov, membre actuel de la
Douma d’État. En janvier 2009, M. Israïlov a été abattu après une
tentative d’enlèvement ratée, dont la police autrichienne pense
qu’elle avait été commanditée par M. Kadyrov. La justice autrichienne
a déclaré trois hommes tchétchènes coupables de complicité de meurtre,
d’association de malfaiteurs et de tentative d’enlèvement; le tireur
s’était enfui
.
26. Après l’assassinat d’Alexandre Litvinenko, le cas le plus
flagrant et le plus dangereux de répression transnationale attribué
aux autorités russes est certainement l’empoisonnement de Sergueï
et Ioulia Skripal, également appelé «l’attaque de Salisbury». Le
4 mars 2018, un ancien officier militaire russe, M. Skripal, et
sa fille ont été empoisonnés à Salisbury, au Royaume-Uni, à l’aide
d’un agent neurotoxique Novitchok. Le 30 juin 2018, à Amesbury,
deux ressortissants britanniques ont été victimes du même type d’empoisonnement
(l’un d’eux en est décédé), à cause de la négligence avec laquelle
le flacon contenant l’agent neurotoxique utilisé pour l’empoisonnement
de Salisbury avait été jeté.
27. Les autorités britanniques ont accusé deux ressortissants
russes d’être des officiers actifs du service de renseignement militaire
russe (GRU). Selon Bellingcat, ils auraient agi sous les ordres
et le commandement d’officiers supérieurs en Russie
. La tentative d’assassinat de M. Skripal
aurait été organisée par une unité secrète du GRU russe, qui serait
responsable d’une série d’assassinats et de tentatives de déstabilisation
de divers pays européens, notamment d’opérations majeures telles
que l’annexion de la Crimée en 2014, les campagnes de déstabilisation
en République de Moldova en 2014, le coup d’État manqué au Monténégro
en 2016, les opérations liées à l’Agence mondiale antidopage en
Suisse en 2016-2017 et le référendum illégal sur l’indépendance
de la Catalogne en 2017
.
28. L’existence d’une telle unité de renseignement militaire,
ainsi que la loi autorisant la poursuite, par tous les moyens, de
toute personne accusée d’«extrémisme» par le Kremlin
, prouvent le caractère
systémique de la répression transnationale utilisée par les autorités
russes – non seulement au Royaume-Uni, mais aussi dans d’autres
États membres du Conseil de l’Europe.
29. Zelimkhan Khangoshvili, un Géorgien d’origine tchétchène,
ancien commandant de peloton pendant la deuxième guerre de Tchétchénie
et officier de l’armée géorgienne pendant la guerre russo-géorgienne
de 2008, s’est révélé une source d’information précieuse pour les
services de renseignement géorgiens en identifiant des espions russes.
Qualifié de terroriste par les services de sécurité russes, il était
recherché par la Russie. Il a été assassiné à Berlin le 23 août
2019 par Vadim Krasikov, un agent du FSB russe que l’on a appelé
«le meurtrier du Tiergarten». Les tribunaux allemands ont reconnu
M. Krasikov coupable de «meurtre sur ordre de l’État» russe
. Certains observateurs ont par ailleurs
affirmé que ce meurtre faisait partie d’un programme officiel d’assassinats
mené par la Russie
.
30. Des soupçons similaires ont plané autour du meurtre d’un ancien
membre de la Douma russe, Denis Voronenkov, abattu en 2017 à Kiev
après avoir critiqué M. Poutine et la politique étrangère menée
par la Russie à l’égard de l’annexion illégale de la Crimée. Les
autorités ukrainiennes ont dénoncé une politique d’État systématique
ordonnée par la Russie pour trois autres meurtres suspects très
médiatisés de détracteurs du Kremlin: Arkady Babchenko, éminent
reporter de guerre russe; Amina Okuyeva, l’épouse du soldat volontaire
tchétchène Adam Osmayev, lui-même rescapé de deux tentatives d’assassinat
ratées
; et Pavel Sheremet,
ancien journaliste de la télévision d’État russe et critique virulent
de l’annexion de la Crimée et du président bélarussien Aliaksandr
Loukachenka.
31. Dans la liste des actes de répression transnationale perpétrés
par la Russie, la piste tchétchène occupe une place à part. Début
2009, deux assassinats ont marqué le début d’une série de représailles
à l’encontre des Tchétchènes, à savoir celui de Sulim Yamadayev
(ancien commandant militaire tchétchène) à Dubaï et celui de M. Israïlov
en Autriche (voir plus haut). En 2020, Imran Aliyev, célèbre pour
ses critiques à l’égard de M. Kadyrov, a été poignardé à mort en
France. Un autre opposant, Tumso Abdurahmonov, a quant à lui été attaqué
par un ressortissant tchétchène dans son appartement en Suède, mais
a réussi à maîtriser son agresseur. En juillet 2020, Mamikhan Umarov,
également détracteur de M. Kadyrov, a été tué dans une banlieue
de Vienne. Enfin, Abdulvakhid Edelgireyev, considéré comme un combattant
islamiste tchétchène clé affilié à Al-Qaïda, a été abattu en Türkiye
.
32. Les assassinats présumés ou confirmés ne sont pas les seuls
outils de répression transnationale utilisés par la Russie. Il convient
aussi de prendre en compte les tentatives d’assassinat et les opérations
ratées. Par exemple, le transfuge du KGB Oleg Gordievsky a affirmé
avoir été empoisonné sur ordre du Kremlin
. En 2007, un enquêteur
qui s’appuyait
sur des sources au sein des services de sécurité russes, a déclaré
que trois agents secrets s’étaient rendus à Boston pour préparer
l’assassinat de Yuri Felshtinsky, co-auteur avec M. Litvinenko du
livre
Blowing Up Russia.
33. Le détournement des notices rouges d’Interpol est un autre
outil de répression transnationale qui permet aux régimes autoritaires
de poursuivre leurs ressortissants exilés à l’étranger
. L’État russe a été
désigné champion de ce type d’abus («la Russie est à l’origine de
[…] 38 % de l’ensemble des notices rouges publiées dans le monde,
contre 4,3 % pour les États-Unis et 0,5 % pour la Chine
»),
avec les cas notoires d’Alexeï Kharis et de Gregory Duralev
, deux demandeurs d’asile
aux États-Unis qui ont passé plus d’un an en centre de rétention
administrative pour des motifs liés aux notices rouges d’Interpol
émises par la Russie. Igor Borbot, un partenaire en affaires de
M. Kharis, M. Khodorkovsky, le PDG de Yukos, Pavel Ivlev, un avocat
russe qui a conseillé Yukos et M. Khodorkovsky, Sergueï Leontiev
et Alexander Zheleznyak, les copropriétaires de Probusinessbank,
ont tous fui la Russie et ont ensuite été visés par des notices
rouges d’Interpol émises par la Russie. Bill Browder, un ancien
client de Sergueï Magnitski, est engagé dans une campagne mondiale
pour faire reconnaître la responsabilité des assassins de M. Magnitski
et faire adopter des textes de loi qui prévoient des sanctions ciblées.
M. Browder fait également l’objet de harcèlement et de persécution
par les autorités russes, notamment via des tentatives répétées
de recours abusif aux procédures de notice rouge et de diffusion
d’Interpol
.
34. Vladimir Osechkin, qui a participé en tant qu’expert à une
audition sur la question de la torture systémique devant notre commission
en mars 2023, a été placé sur une liste de personnes recherchées
par la Russie après avoir divulgué de nombreux documents, de photos
et de vidéos documentant le viol et la torture de détenus dans les
prisons russes par les autorités pénitentiaires. Il avait demandé
l’asile en France après avoir fui la Russie et vit sous la protection
de la police française. Il a reçu des menaces de mort et a indiqué
qu’il était la cible d’une possible tentative d’assassinat à son
domicile en France
.
35. Le rapport 2021 de Freedom House attribue à la Russie 32 cas
documentés de répression physique transnationale (dont 20 ont un
lien avec la Tchétchénie), qui comprennent des agressions, des détentions,
des déportations illégales et des restitutions, principalement en
Europe. Sur les 26 assassinats ou tentatives d’assassinat recensés
depuis 2014, sept auraient été commis par la Russie, qui, selon
Freedom House, «a démontré une volonté de tuer des ennemis présumés
à l’étranger […] [au] moins en Ukraine, en Bulgarie, en Allemagne
et au Royaume-Uni». Dans son rapport intitulé «Le rétablissement
des droits de l’homme et de l’État de droit reste indispensable
dans la région du Caucase du Nord», M. Frank Schwabe (Allemagne,
SOC) cite des exemples de répression transnationale visant des exilés
tchétchènes
.
36. On peut ainsi définir un schéma systémique clair, voire une
politique officielle de la Russie de poursuite des dissidents à
l’étranger. L’Ukraine a introduit devant la Cour européenne des
droits de l’homme une requête interétatique contre la Russie pour
dénoncer la pratique administrative qui consiste à mener des opérations d’assassinats
ciblés, autorisées par l’État, contre des opposants présumés en
Russie et sur le territoire d’autres États, y compris d’autres États
membres du Conseil de l’Europe, ainsi que la pratique administrative qui
consiste à ne pas enquêter sur ces opérations et à organiser délibérément
des opérations de dissimulation au sujet de ces assassinats
.
Il reste à la Cour à déterminer s’il est possible de prouver l’existence
de telles pratiques et les éventuelles violations éventuelles de
la Convention. À mon avis, il existe des motifs suffisants pour
considérer que la Russie a mis en place un «programme officiel de
persécution transnationale», qu’elle continue d’exécuter.
37. La guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine
a entraîné une répression accrue à l’intérieur de ses frontières.
La persécution et la criminalisation des manifestants anti-guerre
ainsi que la «mobilisation partielle» des hommes pour le service
militaire ont poussé de nombreuses personnes à fuir le pays et à
devenir des victimes potentielles de la répression transnationale
russe. Par exemple, les forces de l’ordre au Kazakhstan ont détenu
à plusieurs reprises Evgeniya Baltatarova, une journaliste de la
région russe de la Bouriatie, qui est inscrite sur une liste de
personnes recherchées par Moscou pour avoir diffusé de «fausses
informations» sur l’armée russe. Les autorités ont invoqué le respect
de la Convention de Minsk pour justifier sa détention. Le Kazakhstan
a également expulsé Mikhail Zhilin, un officier qui avait fui la
conscription militaire, car son nom figurait sur une liste de personnes
recherchées pour «désertion». Il a été expulsé après que sa demande
d’asile a été rejetée
.
Les personnes qui fuient l’enrôlement militaire forcé dans l’armée russe
peuvent rencontrer des obstacles pour demander l’asile en Europe
et être plus vulnérables à la répression transnationale.
3.2. Türkiye
38. Freedom House a inclus la Türkiye
dans sa liste d’États qui pratiquent depuis longtemps la répression transnationale.
Si l’ampleur de la répression n’est pas comparable à celle exercée
par la Russie, il n’en demeure pas moins que la Türkiye utilise
certains outils de répression transnationale. Il a été reconnu que
la campagne turque a eu recours à des restitutions
et à un détournement des
notices rouges d’Interpol
, et a été décrite comme étant
«remarquable par son intensité, sa portée géographique et la soudaineté
avec laquelle elle s’est intensifiée [depuis] la tentative de coup
d’État […] en juillet 2016 […]»
. Après avoir accusé Fethullah Gülen de
la tentative de coup d’État, la Türkiye a mis en œuvre une politique
constante qui vise à poursuivre toute personne liée au «mouvement
Gülen». Freedom House a réussi à identifier 58 personnes transférées
par 17 pays. En septembre 2022, un homme d’affaires dénommé Uğur
Demirok aurait été enlevé à Bakou par les services de renseignement
turcs (MIT) et transféré en Türkiye. Du point de vue de l’État turc, ces
personnes sont des cibles légitimes de l’action antiterroriste.
Les autorités turques revendiquent ouvertement le mérite de ces
opérations et saluent le rôle du MIT
. Les notifications d’Interpol ont
abouti à la détention du journaliste germano-turc Hamza Yalçın en
août 2017 et à l’expulsion illégale de deux personnes accusées d’appartenir
au PKK depuis la Serbie et la Bulgarie
.
39. Outre les restitutions et l’utilisation abusive des procédures
d’extradition et des notices rouges d’Interpol, il est aussi reproché
à la Türkiye d’avoir manipulé d’autres États à expulser ou à transférer
des personnes. Le 6 septembre 2018, la République de Moldova a transféré
sept enseignants de nationalité turque, au mépris du droit national
et international
. Le Kosovo* a été
incité à expulser illégalement six enseignants turcs vers la Türkiye
le 29 mars 2018
.
Dans les deux cas, le Gouvernement turc a été accusé d’avoir reçu
un soutien politique de haut niveau pour mener ces opérations, mais
seuls les chefs et les responsables des agences de renseignement
ont été mis en cause
.
40. Des ONG ont également souligné le rôle des services de renseignement
turcs dans les menaces et l’intimidation de membres de l’opposition
et de journalistes turcs en exil et ont appelé les États à empêcher toute
coopération avec les services secrets turcs
. Can Dündar, qui était
alors rédacteur en chef du quotidien Cumhuriyet, a quitté le pays
pour l’Allemagne en juin 2016 après sa condamnation à une peine
de prison pour avoir divulgué des informations relatives à la sécurité
nationale. Depuis son départ en exil, il a fait l’objet de nombreuses
menaces. Lui et d’autres journalistes turcs résidant en Allemagne
ont reçu la protection des autorités allemandes
.
41. Il a également été signalé que la Türkiye utilise les mesures
de lutte contre le financement du terrorisme comme un outil de répression
transnationale contre les personnes prétendument affiliées au mouvement Gülen.
En 2021, le gouvernement a adopté plusieurs décrets pour geler les
avoirs de certaines de ces personnes installées à l’étranger, qui
ont par conséquent rencontré des problèmes avec leurs comptes bancaires
ou leurs cartes de crédit. Certains ont indiqué que des agents de
l’ambassade de Türkiye dans leur pays de résidence s’étaient rendus
dans les banques pour les informer des décrets
.
42. Par ailleurs, la Türkiye elle-même s’est laissée convaincre
de faciliter des actes de répression transnationale perpétrés par
des États non membres du Conseil de l’Europe. Selon Freedom House,
la Türkiye est devenue en 2021 un pays de résidence plus dangereux
pour les personnes visées par des régimes étrangers tels que la
Chine ou le Turkménistan. Par exemple, en janvier 2021, plusieurs
Ouïghours qui avaient manifesté devant l’ambassade de Chine ont
été arrêtés par la police lors de descentes à Istanbul et menacés d’expulsion
vers la Chine. De même, un autre militant ouïghour a fui le pays
après avoir vu son nom sur une liste de résidents ouïghours en Türkiye
recherchés par la Chine. Il s’est envolé pour le Maroc, où il a
été arrêté en vertu d’une notice d’Interpol. Les autorités turques
ont également arrêté des militants turkmènes résidant en Türkiye
et les ont menacés d’expulsion s’ils ne cessaient pas leurs activités
politiques
.
En ce qui concerne le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi
sur le sol turc, bien que la réaction initiale ait été qualifiée de
«rapide et offensive», la Türkiye a finalement accepté la demande
des autorités saoudiennes de transférer en Arabie saoudite le procès
par contumace organisé pour juger ce meurtre
.
43. À la suite de l’agression à grande échelle menée par la Fédération
de Russie contre l’Ukraine en 2022, la Türkiye a refusé de soutenir
les demandes d’adhésion à l’Organisation du traité de l'Atlantique
nord (OTAN) de la Suède et de la Finlande, à moins que la Suède
ne lui remette plusieurs personnes recherchées. Le 21 décembre 2022,
Reuters a rapporté que Mevlüt Çavuşoğlu, ministre turc des affaires
étrangères et ancien président de cette Assemblée, avait qualifié
lors d’une conférence de presse à Ankara la décision de la Cour suprême
suédoise de bloquer l’extradition du journaliste turc Bülent Keneş
comme un développement «très négatif». Le président Erdoğan avait
précédemment désigné l’extradition de M. Keneş comme une condition pour
que la Türkiye approuve l’adhésion de la Suède à l’OTAN. Ce comportement
est inacceptable pour tous ceux qui soutiennent l’État de droit
et sert d’exemple du type de pression que certains pays cherchent
à exercer sur d’autres pour poursuivre ce qui est essentiellement
un autre aspect de la répression transnationale. Même avant la déclaration
du Gouvernement turc, un journal pro-gouvernement avait révélé l’adresse
du domicile de M. Keneş et publié des photos prises secrètement
en novembre 2022. Bülent Keneş est l’un des fondateurs du Stockholm
Center for Freedom.
44. En 2023, un cabinet d’avocats, une ONG et l’association de
juges européens Magistrats européens pour la démocratie et les libertés
(MEDEL) ont annoncé avoir envoyé une communication au Bureau du
Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), dans laquelle
ils affirmaient que des crimes contre l’humanité ont été ou sont
en train d’être commis en Türkiye. Cette communication énumère plusieurs
crimes passibles de poursuites par la CPI, à savoir 17 cas de disparition
forcée, où les victimes auraient été enlevées dans différents pays
et amenées en Türkiye; la fermeture de 72 écoles liées au mouvement
Gülen dans 13 États parties au Statut de la CPI; et le retrait discriminatoire
de passeports, ainsi que le refus discriminatoire de délivrance
de cartes d’identité dans 29 États, comme étant des crimes passibles
de poursuites par la CPI
. En 2020, le groupe de travail des
Nations Unies sur la détention arbitraire a conclu que l’arrestation,
la détention et le transfert forcé de ressortissants turcs vers
la Türkiye étaient arbitraires et contraires aux normes internationales
relatives aux droits humains. Il a constaté que les personnes soupçonnées
d’avoir des liens avec le mouvement Gülen étaient souvent ciblées
sur la base discriminatoire de leurs opinions politiques ou autres,
et a rappelé que l’emprisonnement généralisé ou systématique en
violation du droit international pouvait constituer un crime contre
l’humanité
.
45. Dans une lettre qui m’a été adressée en tant que rapporteur
le 6 janvier 2023, deux membres de la délégation turque auprès de
l’Assemblée et des membres de notre commission ont commenté les
allégations d’utilisation abusive des notices rouges par la Türkiye
et d’autres questions mentionnées dans ma notre introductive. Ils
ont déclaré que la Türkiye avait émis des demandes de notices rouges
conformément à ses obligations internationales découlant du droit
international et de sa législation nationale, et qu’il était injuste
de reprocher aux États membres d’en avoir prétendument fait un usage
abusif. Ils ont suggéré que mon rapport devrait plutôt se concentrer
sur le système de contrôle interne d’Interpol qui ne fonctionne
pas correctement et de manière transparente.
3.3. Azerbaïdjan
46. Selon Freedom House, depuis
2014, l’Azerbaïdjan a effectué cinq restitutions depuis l’Ukraine,
la Géorgie et la Türkiye. Dans quatre d’entre elles, la victime
était un journaliste ou sa conjointe
. Afgan Mukhtarli, un journaliste d’investigation
azerbaïdjanais, a disparu en mai 2017 à Tbilissi et a refait surface
en détention à Bakou, à l’issue de ce qui semble avoir été un enlèvement
transfrontalier particulièrement éprouvant
. Fikret Huseynli, un
autre journaliste azerbaïdjanais, a affirmé que les autorités ukrainiennes
ne l’avaient pas protégé de l’agression et de la tentative d’enlèvement
commises par des agents secrets de l’État azerbaïdjanais qui le
traquaient à Kiev en mars 2018. Il avait déjà été détenu en Ukraine
à la suite d’une demande de notice rouge émise par Bakou
.
47. Mahammad Mirzali, blogueur bien connu et militant de l’opposition
sur les réseaux sociaux, a été agressé à plusieurs reprises, notamment
par balle, poignardé et roué de coups. En 2016, il a quitté l’Azerbaïdjan
et vit désormais en France en qualité de réfugié. Les autorités
azerbaïdjanaises ont nié toute implication dans ces attaques. L’organisation
Reporters sans frontières a demandé que la dernière tentative d’assassinat
de Mirzali perpétrée sur le territoire français (le 12 juin 2022)
soit traitée au plus haut niveau par les gouvernements français
et azerbaïdjanais
.
48. Des incidents de répression transnationale commis par des
États étrangers ont également été signalés en Azerbaïdjan. Outre
les restitutions à la Türkiye (voir ci-dessus), des meurtres, ou
des tentatives de meurtre, de journalistes et de responsables politiques
azerbaïdjanais ont eu lieu, avec la participation présumée de l’Iran.
En 2011, le journaliste Rafiq Tagiyev (contre lequel l’Iran avait
émis une fatwa) a été assassiné. En mars 2023, Fazil Mustafa, homme
politique connu pour ses déclarations hostiles à l’Iran, a été blessé
par balle à Bakou
.
3.4. Bélarus
49. Le dernier exemple notable
est celui du Bélarus, dont les méthodes de répression transnationale – comme
le recours à des organisations criminelles – sont tristement célèbres.
Pavel Latushka, un dirigeant de l’opposition bélarussienne installé
à Varsovie, a affirmé que les services secrets du Bélarus faisaient
appel à des gangs du crime organisé pour terroriser les exilés bélarussiens
dans les États de l’Union européenne. En août 2021, Vitaly Shishov,
un militant politique et dissident bélarussien, cofondateur de la
Maison du Bélarus en Ukraine (basée à Kiev), a été retrouvé mort
à Kiev, pendu à un arbre dans un parc proche de son domicile. Sa
mort suspecte et inattendue a suscité l’inquiétude de l’opinion
publique, qui pense qu’il pourrait avoir été assassiné par des agents
bélarussiens
. EUobserver a également indiqué
que le président Loukachenka avait planifié l’assassinat de trois
dissidents bélarussiens en Allemagne, selon un enregistrement de
l’ancien chef du KGB bélarussien divulgué à la faveur d’une fuite
.
50. Le «détournement» du vol Ryanair 4978 est un autre exemple
extrême de répression transnationale. Le 23 mai 2021, le gouvernement
bélarussien a détourné ce vol international régulier de transport
de passagers (qui se rendait d’Athènes à Vilnius) vers l’aéroport
de Minsk, où Roman Protasevich, journaliste et militant de l’opposition,
et sa compagne Sofia Sapega ont été arrêtés par les autorités. Les
autorités bélarussiennes ont avancé la présence d’une bombe à bord,
mais Ryanair a parlé d’un «détournement d’avion commandité par l’État»
et a soupçonné trois
passagers de ce vol d’être des agents bélarussiens. Un procureur
américain a accusé quatre hauts fonctionnaires bélarussiens d’entente
délictuelle en vue de commettre un acte de piraterie aérienne en
invoquant une fausse alerte à la bombe pour détourner illégalement
le vol afin d’arrêter le dissident bélarussien
.
51. Selon Freedom House, le Bélarus est responsable de 31 % des
incidents de répression transnationale enregistrés en 2021. Après
la réélection frauduleuse de Loukachenka en août 2020, de nombreux
dirigeants de l’opposition et manifestants ont fui le pays et demandé
l’asile en Pologne, en Lituanie et en Ukraine. Ceux qui se sont
réfugiés en Russie ont été expulsés vers le Bélarus. Par exemple,
Alyaksey Kudzin, un combattant d’arts martiaux mixtes qui aurait
été battu et touché par des balles en caoutchouc lors de sa garde
à vue au Bélarus, a été illégalement expulsé de Russie, bien que
la Cour européenne des droits de l’homme ait indiqué une mesure
provisoire contre l’extradition en raison du risque de torture
.
4. Les
normes pertinentes du Conseil de l’Europe
52. Aucun des organes du Conseil
de l’Europe ne s’est penché spécifiquement sur la répression transnationale.
Le présent rapport est le premier à compiler les normes juridiques
pertinentes pour ces pratiques.
4.1. La
Cour européenne des droits de l’homme
53. La Cour a examiné un certain
nombre d’affaires susceptibles de relever de la répression transnationale, mais
n’a jamais utilisé cette terminologie. Il reste à voir si la Cour
intégrera une telle notion juridique dans sa jurisprudence suite
à l’affaire interétatique introduite par l’Ukraine contre la Russie
(voir plus haut) ou à d’autres affaires. À l’heure actuelle, sa
jurisprudence comporte plusieurs principes pertinents pour cette
question. Un des éléments de la répression transnationale est l’extraterritorialité.
Cela signifie qu’avant de déterminer la responsabilité d’un acte
de répression transnationale, la Cour devrait d’abord établir si
l’acte allégué est imputable à l’État persécuteur ou à l’État d’accueil.
Dans l’affaire
Carter c. Russie,
elle a estimé que lorsqu’ils avaient empoisonné M. Litvinenko, M. Lugovoy
et M. Kovtun avaient agi en qualité d’agents russes et exercé un
pouvoir et un contrôle physiques sur la vie de M. Litvinenko d’une
manière suffisante pour établir un «lien juridictionnel» avec la
Russie. Elle a donc considéré que la Russie portait la responsabilité
de l’assassinat ciblé commis au Royaume-Uni, ce qui constituait
indubitablement une violation du volet matériel de l’article 2 de
la Convention (droit à la vie). La Cour a appliqué son «modèle personnel
de juridiction», selon lequel «un État peut également être tenu
pour responsable de violations des droits et des libertés de la
Convention de personnes se trouvant sur le territoire d’un autre
État, mais qui s’avèrent être sous l’autorité et le contrôle du premier
État à travers ses agents opérant – de manière légale ou non – sur
le territoire du second»
.
Dans une série d’affaires, le contrôle exercé sur des individus
par des incursions et le ciblage de personnes précises par les forces
armées ou la police de l’État défendeur a suffi à placer les personnes
concernées «sous l’autorité et/ou le contrôle effectif de l’État
défendeur à raison des actes de ses soldats»
.
Dans l’arrêt
Carter, la Cour a
précisé que ce principe juridictionnel devrait s’appliquer avec
la même force aux homicides extrajudiciaires ciblés perpétrés par
des agents étatiques sur le territoire d’un autre État en dehors
du contexte d’une opération militaire. Elle a par ailleurs ajouté
que «les violations ciblées des droits fondamentaux d’une personne perpétrées
par un État contractant sur le territoire d’un autre État contractant
compromettent le caractère effectif de la Convention, gardienne
des droits humains et garante de la paix, de la stabilité et de
l’État de droit en Europe» et a rappelé que «la responsabilité,
dans les situations de ce type, résulte du fait que l’article 1
de la Convention ne peut être interprété de manière à permettre
à un État partie de commettre sur le territoire d’un autre État
des violations de la Convention, qu’il ne pourrait pas commettre
sur son propre territoire»
.
Par analogie, tout acte de répression transnationale physique commis
à l’étranger par un agent de l’État membre persécuteur engagerait
automatiquement la responsabilité internationale de cet État en
vertu de la Convention.
54. En ce qui concerne l’absence d’enquête effective sur l’assassinat
ciblé de M. Litvinenko (volet procédural de l’article 2), la Cour
a établi un «lien juridictionnel» avec la Russie en se référant
aux procédures pénales engagées en Russie et au fait que la Russie
a conservé une compétence exclusive à l’égard des deux suspects.
Depuis leur retour en Russie, ils bénéficient tous deux de la protection
constitutionnelle qui empêche l’extradition des citoyens russes.
La Cour a également observé que le Royaume-Uni (État d’accueil)
ne pouvait pas engager de poursuites pénales à leur encontre sur
son territoire en raison de la protection octroyée par la Russie.
La Russie se trouvait donc soumise à l’obligation procédurale, née
de l’article 2 de la Convention, de mener une enquête effective,
même si le décès de la victime était survenu sur le sol britannique
. En application de ces
principes, tout acte de répression physique transnationale peut
donner lieu à une obligation procédurale en vertu de la Convention
d’enquêter sur cet acte, soit que l’État auteur de l’acte ouvre
une enquête de son propre chef, soit qu’il conserve une compétence
exclusive à l’égard des personnes soupçonnées.
55. Pour engager la responsabilité des États persécuteurs à l’égard
d’actes de répression transnationale commencés sur leur territoire
mais ayant des effets à l’étranger, la Cour devrait également tout
d’abord établir l’existence d’un lien juridictionnel. Les affaires
Razvozzhayev c. Russie et Ukraine, Udaltsov c. Russie et
Rantsev c. Russie et Chypre illustrent bien
les effets extraterritoriaux d’une violation de la Convention commencée
dans un État et terminée dans un autre. Dans la première affaire,
la victime (premier requérant) alléguait avoir été enlevée à Kiev
et maltraitée par des agents non identifiés de l’État russe avec
l’accord tacite des autorités ukrainiennes, avant d’être transférée
en Russie où elle a été détenue et poursuivie. La deuxième affaire
concerne une femme victime de la traite des êtres humains de la
Russie vers Chypre, où elle est décédée dans des circonstances inexpliquées.
56. Dans l’affaire Razvozzhayev, si les deux États étaient compétents
pour les faits survenus sur leur territoire, un lien juridictionnel
spécial a été établi avec la Russie sur la base de l’autorité et
du contrôle qu’elle aurait exercés par l’intermédiaire de ses agents
opérant à l’étranger. Bien que la Cour n’ait trouvé aucune preuve
que les ravisseurs aient agi pour le compte de la Russie ou que
les autorités ukrainiennes aient été complices, les deux États ont
été tenus responsables au regard des articles 3 (interdiction de
la torture) et 5 (droit à la liberté) de la Convention pour n’avoir
pas mené d’enquête effective sur les allégations du requérant au
sujet de son enlèvement et des mauvais traitements qu’il a subis
sur leurs territoires respectifs ou commis par leurs agents. Dans
l’affaire Rantsev, la juridiction de la Russie a été déterminée
par le fait que la traite alléguée avait commencé sur son territoire,
ce qui a déclenché ses obligations positives et procédurales de protéger
la victime de la traite et d’enquêter sur la traite, en particulier
sur le recrutement de la victime (en vertu de l’article 4 de la
Convention qui interdit l’esclavage et le travail forcé). La Russie
avait également l’obligation procédurale (en vertu de l’article
2) de coopérer à l’enquête menée par les autorités chypriotes sur
le décès de la victime, par exemple en obtenant les preuves situées
sur son territoire à la suite d’une demande d’entraide judiciaire.
Par analogie, la Cour pourrait examiner la responsabilité relative
à diverses formes de répression transnationale initiées dans des
États persécuteurs et ayant des effets dans d’autres États, telles
que l’émission de notices rouges d’Interpol à motivation politique
ou le retrait de passeports, le refus de services consulaires, l’intimidation,
la surveillance, la coercition par procuration, etc.
57. Ces notions de juridiction et de responsabilité sont également
applicables dans l’autre sens, c’est-à-dire à l’égard des pays d’accueil
et de leurs obligations positives de protéger les individus contre
la répression transnationale. La Cour a établi ce principe dans
l’affaire de référence
Soering,
en précisant que la décision d’extrader une personne pouvait engager
la responsabilité d’un État en vertu de la Convention dès lors qu’il existe
un risque que la personne soit soumise à des actes de torture ou
d’autres formes de mauvais traitements
ou un risque de
déni de justice flagrant dans un État tiers
. La série d’affaires
concernant des restitutions extrajudiciaires de personnes à la CIA
sur les territoires de la Pologne
, de la Roumanie
, de la Lituanie
et de la Macédoine
du Nord
n’a fait que confirmer
à nouveau ce principe, en reconnaissant la complicité de ces États
pour des violations graves des droits humains commises sur leur
territoire par des agents étrangers. En conséquence, tout État d’accueil
qui prend la décision d’arrêter, de détenir et de remettre une personne
à la demande d’un État persécuteur peut être tenu pour responsable
de cet éloignement ou transfert lorsque la personne concernée encourt
un risque réel de subir une violation de la Convention (des articles
2 ou 3, ou une violation flagrante des articles 5 ou 6) dans ou
par l’État persécuteur. De même, les États d’accueil devraient être
considérés comme responsables, en vertu de la Convention, des faits internationalement
illicites accomplis par des fonctionnaires étrangers sur leur territoire
avec l’assentiment ou la connivence de leurs autorités. Plus généralement,
une obligation positive pourrait naître (en vertu des articles 2
et 3) et imposer aux États d’accueil de protéger sur leur territoire
les cibles potentielles de la répression transnationale par des
agents d’États tiers, si les autorités connaissent ou devraient
connaître l’existence d’un risque réel et immédiat pour la vie ou
l’intégrité physique de ces personnes
.
58. Les États peuvent également être tenus responsables se sont
laissé convaincre de commettre des actes de répression transnationale
ou qu’ils en ont été les complices. Dans l’affaire
Özdil et autres (citée précédemment),
la Cour a tenu la République de Moldova pour responsable de la privation
de liberté des requérants d’une manière équivalente à un transfert
extrajudiciaire de son territoire vers la Türkiye, qui a contourné
toutes les garanties que le droit interne et le droit international
offrent aux personnes persécutées. Dans cette affaire et dans d’autres
affaires similaires, telles que
Shenturk
et autres c. Azerbaïdjan (transferts extrajudiciaires
vers la Türkiye),
Shorazova c. Malte (gel des avoirs à la
demande des autorités kazakhes, probablement entaché de persécutions
politiques),
Garabayev c. Russie (arrestation en violation du droit interne
et extradition vers le Turkménistan en connaissance d’un risque
réel de mauvais traitements) ou
Abdulkhakov
c. Russie (transfert secret
vers le Tadjikistan avec risque de renvoi vers l’Ouzbékistan), la
Cour ne s’est plus posé la question de savoir si les autorités de
l’État d’accueil exerçaient la juridiction.
59. Enfin, et surtout, la Convention impose aux États, dans certaines
circonstances, l’obligation de coopérer de manière effective les
uns avec les autres, en particulier dans les affaires transnationales
qui comprennent des violations graves des droits humains, telles
que les homicides illicites
, la traite des êtres humains
ou les
abus sexuels sur des enfants
. Cette obligation implique à la
fois l’obligation de solliciter une assistance et celle de prêter
assistance, et relève de l’obligation procédurale qui découle des
articles 2, 3 et 4 de la Convention. Ainsi, dans les cas de répression
transnationale, l’obligation de coopérer à l’enquête sur la violation
alléguée est d’autant plus importante (voir l’affaire
Carter, citée plus haut
).
60. En conclusion, la jurisprudence de la Cour fournit suffisamment
d’exemples pour définir les principes de la responsabilité des États
en matière de répression transnationale, même si la Cour n’a jamais
utilisé ce terme dans ses arrêts. En application de la jurisprudence
de la Cour, un lien juridictionnel devrait d’abord être établi entre
un acte de répression transnationale et l’État persécuteur pour
déterminer la responsabilité au titre de la Convention. Ensuite
seulement, la Cour pourrait conclure à une violation de la Convention
qui pourrait prendre diverses formes, allant de violations graves
des droits humains (meurtres, enlèvements, disparitions forcées, restitutions,
détentions arbitraires, etc.) à des violations connexes du respect
de la vie privée, de la liberté d’expression, de la liberté de circulation,
etc. Dans ce contexte, la Cour peut également examiner la responsabilité
des États d’accueil sur le territoire desquels les actes de répression
transnationale ont été commis. Ces États peuvent donc avoir des
obligations positives en vertu de la Convention, qui consistent
à protéger les victimes potentielles des actes de répression transnationale
et à empêcher que ceux-ci ne se produisent. En définitive, tous
les États contractants ont l’obligation collective de coopérer aux
enquêtes sur les violations graves des droits humains et, par conséquent,
de lutter contre l’impunité des actes de répression transnationale
commis sur le sol européen.
4.2. L’Assemblée parlementaire
61. Les résolutions et rapports
les plus pertinents de l’Assemblée – qui pourraient être utiles
pour codifier et élaborer des principes dans la lutte contre la
répression transnationale – sont les suivants:
- la Résolution 2315 (2019) «La réforme d’Interpol et les procédures d’extradition:
renforcer la confiance en luttant contre les abus», qui rappelle
la nécessité d’une coopération internationale transparente en matière
de droit pénal;
- la Résolution 2252
(2019) «Lutter contre l’impunité par la prise de sanctions
ciblées dans l’affaire Sergueï Magnitski et les situations analogues»,
qui appelle les États membres à envisager d’adopter des instruments
juridiques permettant à leur gouvernement d’imposer des sanctions
ciblées aux personnes dont il y a lieu de croire qu’elles sont personnellement
responsables de graves violations des droits humains pour lesquelles
elles jouissent de l’impunité pour des motifs politiques ou en raison
de pratiques de corruption;
- la Résolution 2161
(2017) «Recours abusif au système d’Interpol: nécessité de
garanties légales plus strictes», dans laquelle l’Assemblée exprime
ses inquiétudes quant à l’utilisation abusive par certains gouvernements
du système des notices rouges d’Interpol afin de persécuter des
opposants politiques à l’étranger;
- la Résolution 2187
(2017) «Liste des critères de l’État de droit de la Commission
de Venise», qui encourage une utilisation plus large et plus systématique
de la liste des critères de la Commission de Venise pour garantir
le respect des principes fondamentaux de l’État de droit.
62. Un rapport sur «Le logiciel espion Pegasus et autres types
de logiciels similaires et la surveillance secrète opérée par l’État»
est également en cours d’élaboration. On retrouve des idées précieuses
pour combattre et prévenir la répression transnationale dans tous
ces rapports et résolutions. Dans sa
Résolution 2315 (2019), l’Assemblée s’est félicitée de ce qu’Interpol ait mis
en œuvre bon nombre de ses recommandations énoncées dans son rapport
de 2017, qui visaient à renforcer le système Interpol et à lutter contre
le détournement des notices rouges et des diffusions de personne
recherchée. Toutefois, elle a noté que d’autres mesures devaient
encore être prises pour améliorer la transparence d’Interpol et
renforcer la responsabilité des États qui détournent les instruments
d’Interpol. Par exemple, Interpol devrait encore améliorer les vérifications
préalables et postérieures des notices rouges et des diffusions
de personnes recherchées; renforcer davantage la procédure de recours
auprès de la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol (CCF);
envisager la création d’un organe d’appel indépendant pour contester
les décisions de la CCF, à l’instar d’un médiateur; et mettre en
place un fonds d’indemnisation des victimes de notices rouges et de
diffusions de personnes recherchées injustifiées. L’Assemblée a
également appelé les États membres à prendre une série de mesures
pour soutenir d’autres améliorations du système d’Interpol, afin
que l’organisation respecte pleinement les droits humains et l’État
de droit, tout en demeurant un outil efficace de coopération policière
internationale.
4.3. Le Comité des Ministres
63. Les Lignes directrices «Éliminer
l’impunité pour les violations graves des droits de l’homme»
représentent le document
le plus pertinent adopté par le Comité des Ministres qui pourraient
être utilisées pour lutter contre la répression transnationale.
En ce qui concerne le champ d’application du présent rapport, ces lignes
directrices évoquent le rôle de la coopération internationale dans
la lutte contre l’impunité, appelant «les États [à] remplir leurs
obligations, notamment en matière d’entraide mutuelle, de poursuites
et d’extradition, dans le respect des droits de l’homme, y compris
le principe de non refoulement, et en toute bonne foi».
5. Propositions visant à renforcer la
lutte contre la répression transnationale
64. Lors de notre audition du 22 novembre
2022, M. Bruno Min (Fair Trials) a salué le rôle influent qu’ont joué
les rapports de l’Assemblée relatifs à Interpol dans la promotion
de réformes et d’améliorations essentielles. Néanmoins, malgré les
initiatives récentes d’Interpol pour améliorer ses règlements et procédures
afin de mieux protéger ses systèmes contre les utilisations abusives,
Fair Trials a continué à découvrir des notices rouges et des diffusions
contraires aux droits humains dans certaines affaires. M. Min a cité
trois raisons à cela. Premièrement, les systèmes de contrôle
ex ante des demandes de notices
rouges et de diffusions sont inadaptés: le Groupe de travail d’Interpol
sur les notices et diffusions avant leur diffusion compte environ
30 à 40 personnes, alors que le nombre de notices rouges émises
chaque année est supérieur à 10 000. Deuxièmement, la question se
pose de l’efficacité du mécanisme de traitement des plaintes d’Interpol,
la CCF
, notamment en ce qui concerne
sa célérité, sa transparence et la qualité de ses décisions. Troisièmement,
l’interprétation des dispositions d’Interpol manque de clarté, en
particulier l’article 2 de son Statut, qui exige que les systèmes
d’Interpol soient utilisés d’une manière compatible avec les normes internationales
relatives aux droits humains. Selon M. Min, de nombreuses améliorations
sont encore possibles, notamment au niveau de l’examen préalable
des diffusions (qui peuvent contenir exactement la même demande
que les notices rouges mais ne font pas l’objet d’un examen préalable)
et de l’efficacité des contrôles préalables et
a posteriori, y compris par le Groupe
de travail sur les notices et les diffusions et par la CCF. Quant
aux États membres, ils devraient appuyer les efforts d’Interpol
en collaborant avec la CCF et en se conformant autant que faire
se peut à ses décisions (par exemple, en supprimant des données
dans les bases de données nationales lorsque la CCF a décidé de
supprimer une notice rouge ou une diffusion), en partageant des
informations sur le statut de réfugié et en soutenant les mécanismes
d’examen internes d’Interpol par des financements et des ressources
supplémentaires.
65. M. Vytis Jurkonis (Freedom House Lituanie) a avancé plusieurs
propositions pour mieux combattre la répression transnationale:
définir la répression transnationale au niveau européen; répertorier
les cas (notamment les demandes d’extradition motivées par des considérations
politiques) au niveau national; filtrer les demandes émanant de
pays autoritaires, qui devraient faire l’objet de vérifications
plus approfondies; instaurer un mécanisme d’intervention par le
biais d’actions de sensibilisation; et suspendre la participation
de certains pays aux mécanismes de coopération internationale dans
le domaine pénal. Il a également cité comme exemple de bonne pratique
le mécanisme interministériel mis en place en Lituanie pour filtrer
les demandes d’extradition motivées par des considérations politiques,
et sa coopération bien établie avec les défenseurs des droits humains.
Cet exemple pourrait être reproduit dans d’autres pays.
66. Freedom House a formulé plusieurs recommandations pour mieux
lutter contre la répression transnationale
. Les gouvernements qui accueillent
des personnes exilées et des diasporas visées devraient, entre autres:
- établir une définition officielle
de la répression transnationale, à l’usage de toutes les agences gouvernementales;
- concevoir un plan de sensibilisation des forces de l’ordre,
des services de renseignement et des fonctionnaires qui travaillent
avec les réfugiés et les demandeurs d’asile;
- délivrer des avertissements aux voyageurs sur les États
qui se livrent à la répression transnationale;
- élaborer des stratégies spécifiques de sensibilisation
pour mettre en relation les services répressifs et les diasporas
visées;
- mettre en place un mécanisme spécifique pour répertorier
les incidents nationaux de répression transnationale et identifier
les gouvernements qui en sont les auteurs;
- revoir les pratiques de contre-espionnage et d’échange
d’informations entre services répressifs et veiller à ce qu’elles
permettent la diffusion efficace des données relatives aux menaces
émanant de la répression transnationale;
- procéder à des vérifications supplémentaires des demandes
d’extradition et des notices d’Interpol;
- revoir les accords d’extradition, de coopération juridique,
de réadmission et de retour, et d’échange de renseignements avec
les gouvernements impliqués dans la répression transnationale;
- filtrer les demandes de visas diplomatiques afin d’éviter
d’accorder une accréditation à des membres du personnel diplomatique
qui ont harcelé, intimidé ou porté atteinte de toute autre manière
à des personnes exilées ou à des membres de la diaspora;
- restreindre les exportations de technologies de surveillance;
- réglementer strictement l’achat et l’utilisation d’équipement
de surveillance et protéger le chiffrement de bout en bout;
- imposer des sanctions ciblées aux auteurs et aux complices
de la répression transnationale;
- utiliser la procédure de déclaration persona non grata pour garantir
la reddition de comptes pour la répression transnationale, notamment
en expulsant les diplomates directement impliqués dans la répression
transnationale;
- restreindre l’assistance à la sécurité ainsi que les ventes
d’armes aux gouvernements qui se livrent à des actes de répression
transnationale;
- revoir les procédures d’émission d’avertissements et d’attribution
d’une protection policière aux personnes;
- s’engager à respecter le droit de demander l’asile;
- limiter le recours aux formes de protection temporaire
et subsidiaire pour les demandeurs d’asile et accorder plutôt le
statut de réfugié à part entière, qui permet le regroupement familial
et réduit ainsi la menace de coercition par procuration;
- inclure des précisions sur l’utilisation de la répression
transnationale dans les informations sur les pays d’origine, qui
sont consultées lors de l’examen des demandes d’asile;
- renforcer la résilience face à l’utilisation d’accusations
fallacieuses de terrorisme, qui visent à fausser les procédures
d’asile et d’extradition des pays d’accueil;
- financer les organisations de la société civile qui surveillent
les incidents de répression transnationale ou qui fournissent des
ressources aux personnes ou groupes visés.
67. Les recommandations de Freedom House aux États membres des
Nations Unies sont les suivantes: reconnaître la répression transnationale
comme une menace spécifique pour les droits humains; examiner et réviser
les protections offertes aux défenseurs des droits humains et aux
autres militants qui collaborent avec les Nations Unies pour lutter
plus efficacement contre le risque de répression transnationale;
et nommer un rapporteur spécial sur la répression transnationale
doté du mandat requis pour avoir une vision globale du problème.
D’autres recommandations s’adressent spécifiquement à la société
civile et aux entreprises technologiques.
68. Il convient également de prendre en considération les propositions
contenues dans la récente «Déclaration de principes pour lutter
contre la répression transnationale» signée par un certain nombre
d’États en mars 2023 (voir paragraphe 14 ci-dessus).
6. Conclusions
69. Le chef de la République tchétchène
Ramzan Kadyrov a fait la déclaration suivante: «Grâce à la technologie
et à la modernité, nous pouvons tout savoir et nous pouvons trouver
n’importe lequel d’entre vous, alors n’aggravez pas votre cas».
Cette déclaration reflète la façon de penser des régimes autoritaires
et la manière dont ils mettent en œuvre leurs plans de répression
transnationale à l’étranger. La répression transnationale est devenue
une pratique courante et institutionnalisée, utilisée par des dizaines
de régimes pour persécuter leurs opposants par-delà leurs frontières.
Elle entraîne des conséquences non seulement sur les droits humains
des personnes qui fuient la persécution, mais porte également atteinte
à la démocratie, à l’État de droit et à la sécurité dans les pays
où ces personnes ont trouvé refuge. Il importe de reconnaître et de
combattre ce phénomène, notamment en utilisant les instruments juridiques
en vigueur et en établissant de nouvelles normes pour les États
membres du Conseil de l’Europe.
70. Il n’existe pas de définition juridique de la répression transnationale,
ni de principes juridiques établis pour lutter contre ce phénomène.
Aucun pays démocratique, y compris les États européens, ne s’est
encore attaqué au problème de la répression transnationale de manière
systématique. Il y a eu des déclarations politiques, des condamnations,
des expulsions de diplomates et même des sanctions économiques suite
à certains cas célèbres de répression transnationale. Mais les États
concernés ont agi de façon réactive plutôt que proactive et systématique.
71. Il est incontestable que les actes de répression transnationale
impliquent de graves violations des droits humains, telles que des
exécutions extrajudiciaires, des assassinats ciblés, des disparitions
forcées, des enlèvements, des décès dus à l’utilisation de substances
et d’outils dangereux (matériaux radioactifs, armes chimiques),
etc. Les actes de répression transnationale sont contraires aux
principes de non-refoulement et de légalité de la privation de liberté.
Ils sont souvent associés à des violations du respect de la vie
privée, de la liberté d’expression, de la liberté de circulation,
etc. Les normes et instruments juridiques actuels semblent insuffisants
pour mettre un terme à la répression transnationale, notamment dans
certains pays accusés de mettre en œuvre des actes systématiques
de répression transnationale.
72. La Russie est l’exemple le plus extrême de la liste de ces
pays. Avec son «programme d’assassinats» étatique cautionné par
l’État et son exclusion du Conseil de l’Europe, plus rien n’empêche
la Russie de poursuivre sa répression systématique des citoyens
russes exilés qui cherchent refuge dans les pays européens. Les
effets de ses politiques de répression transnationale se feront
sentir pendant longtemps en Europe. Par conséquent, les États membres
et les organes du Conseil de l’Europe devraient réagir sans plus attendre
et de manière décisive pour atténuer ces effets et empêcher la propagation
de ces pratiques. C’est d’autant plus vrai avec l’apparition de
nouvelles tendances à l’utilisation des outils numériques à des
fins de répression transnationale, dont les effets restent imprévisibles
pour les États d’accueil.
73. En premier lieu, l’Assemblée devrait condamner les cas de
répression transnationale commis sur le sol européen, dont certains
émanant d’États membres ou d’anciens États membres. Elle devrait
également rappeler que la Convention européenne des droits de l’homme
s’applique aux violations extraterritoriales du droit à la vie et
d’autres droits fondamentaux commises par des agents officiels ou
des agents secrets d’États membres, sur le territoire d’autres États
membres comme sur le territoire d’États tiers (dès lors qu’il y
a un contrôle et une autorité à travers ses agents). La Cour a récemment
déclaré que «les violations ciblées des droits fondamentaux d’une
personne perpétrées par un État contractant sur le territoire d’un
autre État contractant compromettent le caractère effectif de la
Convention, gardienne des droits humains et garante de la paix,
de la stabilité et de l’État de droit en Europe». Les obligations
procédurales d’enquêter sur ces violations peuvent concerner l’État
d’accueil, l’État auteur ou les deux, selon les circonstances. À
ce propos, la Cour a également reconnu un devoir de coopération
mutuelle dans les affaires transnationales qui impliquent des violations
graves des droits humains. Cela devrait clairement s’appliquer aux
cas de répression transnationale. Les États d’accueil ont l’obligation
positive de protéger les personnes relevant de leur juridiction contre
les actes de répression transnationale, soit en fournissant une
protection spécifique aux cibles identifiées exposées à des risques
réels et immédiats, soit, au moins, en s’abstenant d’approuver formellement ou
tacitement les violations commises par des agents étrangers sur
leur territoire. En outre, ils ont l’obligation de ne pas remettre,
transférer, expulser ou extrader des personnes exposées ou vulnérables
à la répression transnationale, en particulier s’il existe un risque
réel de violation de l’un des droits fondamentaux de la Convention
par l’État requérant/persécuteur ou d’avoir recours à des voies
extrajudiciaires.
74. La Convention fournit un cadre juridique solide en vertu duquel
les actes de répression transnationale devraient être condamnés,
faire l’objet d’une enquête et être punis par les États membres.
Les auteurs de ces actes doivent rendre des comptes. La Cour tiendra
les États membres responsables s’ils ne traitent pas correctement
ces cas de répression transnationale au niveau national, y compris
lorsque la répression émane d’États non membres.
75. L’Assemblée devrait adresser des recommandations pertinentes
telles que celles préconisées par nos experts et Freedom House aux
États membres et observateurs, ainsi qu’à ceux dont le parlement
bénéficie du statut de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée.
Par exemple, les États devraient établir une définition officielle
de la répression transnationale à l’usage de toutes les agences
gouvernementales (forces de l’ordre, services de renseignement,
migration et asile), qui l’intégreraient dans toutes leurs actions
et procédures. Ils devraient également créer un mécanisme spécifique
pour répertorier les incidents nationaux de répression transnationale
et identifier les gouvernements qui en sont les auteurs. Les pratiques
de contre-espionnage et d’échange d’informations entre services
répressifs devraient être revues, afin de garantir que les personnes
vulnérables bénéficient d’un système d’alerte et de protection adéquat.
76. Les États devraient procéder à des vérifications supplémentaires
des demandes d’extradition et des notices rouges émanant de gouvernements
dont on sait qu’ils ont recours à la répression transnationale.
À cet égard, l’Assemblée devrait réitérer les recommandations adressées
aux États et à Interpol dans sa
Résolution 2315 (2019) «La réforme d’Interpol et les procédures d’extradition:
renforcer la confiance en luttant contre les abus», en s’inspirant
des propositions soumises par les experts sur les procédures d’Interpol.
77. Les États devraient également envisager de filtrer davantage
les demandes de visas diplomatiques afin d’éviter d’accorder une
accréditation à des membres du personnel diplomatique qui ont harcelé
ou intimidé des personnes exilées et des membres de la diaspora
par le passé, souvent en abusant de l’immunité diplomatique. Ils
devraient envisager d’expulser des diplomates qui ont été directement
impliqués dans des incidents de répression transnationale. Sur le
plan de la responsabilité, les États devraient imposer des sanctions
ciblées aux auteurs et aux complices de la répression transnationale,
en appliquant leurs lois de type Magnitski. Ces mesures devraient
être étendues au régime de sanctions de l’Union européenne.
78. Les victimes de la répression transnationales devraient être
protégées. Conformément aux obligations positives imposées par la
Convention (notamment en vertu des articles 2 et 3, mais aussi de
l’article 8), les États devraient améliorer les procédures d’alerte
et accorder une protection policière aux personnes vulnérables ou
ciblées. Ils devraient également tenir compte des antécédents des
États d’origine en matière de répression transnationale lorsqu’ils
statuent sur les demandes d’asile.
79. Au Conseil de l’Europe, l’Assemblée devrait inviter les organes
compétents – en premier lieu la Cour européenne des droits de l’homme,
mais aussi la Commissaire aux droits de l’homme – à accorder une attention
particulière aux tendances et pratiques actuelles de la répression
transnationale dans les États membres, y compris lorsqu’elles émanent
d’États non membres. La Cour devrait pleinement appliquer et développer
sa jurisprudence sur la juridiction extraterritoriale, afin de viser
l’ensemble des actes possibles de répression transnationale qui
trouvent leur origine ou produisent leurs effets dans les États
membres. Il ne saurait y avoir d’impunité pour la répression transnationale
commise dans l’espace juridique de la Convention, en violation des
fondements des sociétés démocratiques et de l’État de droit. La
Commissaire devrait tenir compte des questions de répression transnationale
lorsqu’elle soutient les défenseurs des droits humains et la société
civile, y compris les exilés de Russie et du Bélarus
. Le rapporteur général de l’Assemblée
sur la situation des défenseurs des droits de l’homme devrait adopter
la même approche et traiter les menaces spécifiques qui pèsent sur
les défenseurs russes et bélarussiens des droits humains réinstallés
ou demandeurs d’asile dans les États membres.
80. Enfin, l’Assemblée devrait inviter le Comité des Ministres
à inscrire ce sujet important à son ordre du jour, afin de revoir
et d’adapter les recommandations et lignes directrices existantes
(notamment, les
Lignes directrices du
Comité des Ministres du Conseil de l’Europe «Élimination de l’impunité
pour les violations graves des droits de l’homme») et d’élaborer une nouvelle recommandation aux États
membres axée sur la lutte contre la répression transnationale. Le
Comité des Ministres, dans le cadre de la surveillance de l’exécution des
arrêts de la Cour relatifs à la répression transnationale, devrait
souligner l’exigence de responsabilité individuelle des auteurs,
et appeler les États concernés à prendre des mesures générales pour
prévenir ces pratiques à l’avenir.