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Rapport | Doc. 15782 | 05 juin 2023

Réforme de la législation du Royaume-Uni sur les droits de l'homme: conséquences pour la protection des droits de l'homme au niveau national et européen

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Kamal JAFAROV, Azerbaïdjan, CE/AD

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 4660 du 24 juin 2022. 2023 - Troisième partie de session

Résumé

Le présent rapport s'inscrit dans le contexte du débat en cours sur le meilleur moyen pour le Royaume-Uni de protéger les droits humains et l'État de droit dans le cadre de son modèle constitutionnel. Le Gouvernement britannique a présenté successivement deux projets de loi: le projet de Charte des droits humains et le projet de loi sur l'immigration illégale.

Ces deux projets de texte suscitent des inquiétudes, car s'ils étaient adoptés, ils pourraient remettre en cause le respect de l'État de droit – qui comprend le droit international – et amener le Royaume-Uni à enfreindre ses obligations internationales, notamment celles que lui imposent la Convention européenne des droits de l'homme, la Convention des Nations Unies sur les réfugiés, la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains.

Le rapport souligne qu'il incombe en premier lieu aux États, en vertu du principe de subsidiarité, de mettre en œuvre les droits humains au niveau national. Il met en évidence l'efficacité remarquable de la loi de 1998 sur les droits de l’homme pour garantir l'application des droits humains au niveau national, tout en respectant pleinement la souveraineté parlementaire, l'un des deux piliers de la Constitution britannique, au même titre que l'État de droit. Le Royaume-Uni est ainsi devenu l'un des pays où le nombre de violations des droits humains par habitant est le plus faible de tous les États membres.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 22 mai 2023.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire rappelle que le but du Conseil de l'Europe est de réaliser une unité plus étroite entre ses États membres, fondée sur des valeurs communes de respect de l'État de droit, de la démocratie et des droits humains.
2. L’Assemblée réaffirme son attachement à ces valeurs, qui sont à l’origine de la liberté individuelle, de la liberté politique et de l’État de droit, principes sur lesquels se fonde toute démocratie véritable.
3. L'Assemblée souligne que le respect de l'État de droit comprend le respect par les États de leurs obligations juridiques internationales, y compris celles qui découlent de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5).
4. L'Assemblée rappelle que, conformément au principe de subsidiarité, les États membres du Conseil de l'Europe sont responsables au premier chef de la mise en œuvre et de l'application effectives des normes internationales auxquelles ils ont souscrit en matière de droits humains, en particulier celles de la Convention européenne des droits de l'homme.
5. L'Assemblée rappelle qu'il importe d'intégrer l'éducation aux droits humains et de veiller à ce que les citoyens comprennent mieux la valeur intrinsèque de principes fondamentaux tels que l'État de droit, des institutions démocratiques solides et des garanties effectives pour la protection des droits humains.
6. L'Assemblée considère que le système britannique d’application de la Convention européenne des droits de l'homme par le biais de la loi sur les droits de l'homme est, à bien des égards, un excellent exemple de mécanisme national efficace pour garantir le respect et la pleine mise en œuvre des droits protégés par la Convention au niveau national. Il garantit également le respect de la séparation des pouvoirs et du débat démocratique lorsqu’il s’agit de déterminer comment élaborer la législation et les droits et assurer leur équilibre. L'Assemblée se félicite des nombreuses caractéristiques de la loi sur les droits de l'homme qui fournissent autant de bons exemples pour les États membres qui cherchent à intégrer avec succès les droits humains, et en particulier les droits consacrés par la Convention, dans leur système juridique national. L'Assemblée estime par conséquent qu'il serait regrettable que le Royaume-Uni renonce à un système aussi remarquable qui l’a conduit à enregistrer l'un des plus faibles nombres d'affaires portées devant la Cour européenne des droits de l'homme, et plus particulièrement de violations constatées à son encontre, de tous les États parties à la Convention.
7. Rappelant sa Résolution 1823 (2011) «Les parlements nationaux: garants des droits de l'homme en Europe», l'Assemblée se félicite que des processus soient en place au Royaume-Uni pour examiner les conséquences des projets de loi dont le Parlement britannique est saisi sur les droits humains et l'État de droit, mais estime qu’il conviendrait de réfléchir afin que ces processus et analyses bénéficient d’une indépendance, d’une transparence et d’une prise en compte suffisantes dans le processus législatif.
8. L'Assemblée est préoccupée du fait que la législation récente présentée par le Gouvernement britannique au Parlement, et en particulier le projet de Charte des droits humains et le projet de loi sur l'immigration illégale, indique une volonté accrue de la part du Gouvernement britannique et de certains législateurs de légiférer d’une manière qui risquerait de violer les obligations juridiques internationales du Royaume-Uni, et donc l'État de droit. L'Assemblée est extrêmement préoccupée par cette évolution, et en particulier par le signal qu'elle peut ainsi envoyer, tant au niveau national qu'international.
9. L'Assemblée juge également préoccupant que le projet de Charte des droits humains et le projet de loi sur l’immigration illégale puissent accroître l'insécurité juridique et le nombre de conflits entre le droit interne britannique et les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme, ainsi que d'un certain nombre d'autres conventions internationales. L’Assemblée note que ces préoccupations ont également été exprimées par de nombreuses organisations de la société civile, la commission mixte des droits de l'homme du Parlement britannique, les institutions nationales des droits de l'homme du Royaume-Uni, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe du Conseil de l’Europe, le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
10. En conséquence, l'Assemblée appelle le Gouvernement et le Parlement britanniques:
10.1. à veiller à ce que des processus solides soient en place pour garantir le respect de l'État de droit, et en particulier le respect des obligations juridiques internationales du Royaume-Uni, dans la législation proposée au parlement. En particulier, des évaluations de la compatibilité avec l’État de droit, dont le droit international et le droit relatif aux droits de l’homme, devraient être menées en ce qui concerne les projets de loi présentés au parlement. Ces évaluations devraient être menées par un organe suffisamment indépendant du gouvernement pour être en mesure de fournir des conseils objectifs sur l’État de droit, devraient être disponibles dès le début du processus législatif et devraient être rendues publiques pour informer pleinement le parlement et le public afin que le législateur puisse prendre une décision éclairée sur les incidences des projets de loi déposés devant lui. Le parlement doit disposer de suffisamment de temps et d’informations pour évaluer les incidences sur l'État de droit et les droits humains de la législation qui lui est présentée;
10.2. à examiner attentivement le contenu des dispositions qui, si elles entraient en vigueur, risqueraient d’amener le Royaume-Uni à manquer à ses obligations internationales, y compris les dispositions relatives:
10.2.1. aux obligations positives (article 5 du projet de Charte des droits humains);
10.2.2. aux opérations militaires à l’étranger (article 14 du projet de Charte des droits humains);
10.2.3. aux mesures provisoires (article 14 du projet de Charte des droits humains et article 53 du projet de loi sur l'immigration illégale);
10.2.4. aux restrictions des protections accordées aux victimes de l'esclavage moderne et de la traite des êtres humains dans le cadre du projet de loi sur l'immigration illégale;
10.2.5. à l'adéquation des garanties contre la détention indéfinie ou arbitraire des migrants dans le cadre du projet de loi sur l'immigration illégale;
10.2.6. à la protection des enfants dans le cadre du projet de loi sur l'immigration illégale, y compris en ce qui concerne la détention, l'éloignement et les normes de prise en charge des enfants, notamment des mineurs non accompagnés;
10.2.7. à la protection des réfugiés et des apatrides dans le cadre du projet de loi sur l'immigration illégale;
10.2.8. à l'adéquation des garanties d’une procédure régulière, aux droits d’appel et à la mise à disposition d’un recours effectif pour les personnes concernées par les décisions prises dans le cadre du projet de loi sur l'immigration illégale.
11. L'Assemblée appelle tous les États membres du Conseil de l'Europe:
11.1. à veiller à ce que la Convention européenne des droits de l'homme soit pleinement intégrée, appliquée et mise en œuvre dans leurs systèmes juridiques nationaux et à prendre des mesures appropriées pour promouvoir une culture du respect des droits humains et de l'État de droit au niveau national;
11.2. à mettre en place des mécanismes appropriés pour s’assurer que les incidences des projets de loi sur les droits humains et l'État de droit sont évaluées de manière complète et transparente avant l'adoption de la législation, en vérifiant systématiquement la compatibilité de projets de loi avec les normes de la Convention;
11.3. à veiller à ce que des processus appropriés soient mis en place pour corriger les malentendus ou les informations erronées au sujet de l'État de droit et de l'impact du système de la Convention européenne des droits de l'homme; et pour utiliser les informations disponibles sur le fonctionnement du système de la Convention européenne des droits de l'homme;
11.4. à élaborer des initiatives en matière d'éducation et de formation aux droits humains et à l'État de droit, afin d’instaurer une culture qui comprenne et respecte le rôle important que jouent l'État de droit et les droits humains dans une démocratie saine.
12. L'Assemblée invite les États membres et les instances du Conseil de l'Europe à développer des outils améliorés afin de lutter efficacement contre la mésinformation en matière de droits humains et d’État de droit. À cet égard, l'Assemblée se félicite des initiatives telles que les travaux visant à mettre en évidence l'impact du système de la Convention européenne des droits de l'homme et encourage une plus grande utilisation de ces outils de communication. L'Assemblée encourage également la poursuite de la réflexion sur la meilleure façon de renforcer les activités de communication sur le rôle de la Cour européenne des droits de l'homme et la mise en œuvre de ses arrêts.

B. Exposé des motifs par M. Kamal Jafarov, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le présent rapport repose sur une décision du Bureau du 24 juin 2022. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme m’a nommé rapporteur lors de sa réunion du 11 octobre 2022. Ce travail s’inscrit dans le contexte de deux récents projets de loi au Royaume-Uni, en particulier le projet de Charte des droits humains (Bill of Rights Bill) et le projet de loi sur l’immigration illégale (Illegal Migration Bill), et des préoccupations que ces projets de loi «contiennent des dispositions qui bafouent ouvertement les obligations du Royaume-Uni en vertu de la Convention européenne des droits de l'homme» 
			(2) 
			«<a href='https://www.ein.org.uk/blog/uk-vs-ecthr-anatomy-politically-engineered-collision-course'>The
UK vs the ECtHR: Anatomy of A Politically Engineered Collision Course</a>», Alice Donald et Philip Leach. On craint même que,
s’ils étaient adoptés, ces projets de loi n’accroissent les tensions
et donc le risque de retrait de la Convention. Le retrait de la
Convention entraînerait évidemment des conséquences importantes
pour le Royaume-Uni, y compris en ce qui concerne sa réputation
internationale et ses relations internationales (ce qui inclut le
commerce, y compris avec l’Union européenne), ainsi que sur le plan
national – avec des implications spécifiques pour la dévolution
et en ce qui concerne l’Irlande du Nord (y compris par rapport à
l’Accord du Vendredi Saint). Toutefois, comme aucun des deux projets
de loi n’envisage de retrait, je ne me suis pas concentré sur ce
point dans le présent exposé des motifs, et je me suis plutôt concentré
sur les détails des projets de loi..
2. Lors de sa réunion du 12 décembre 2022, la commission a tenu un échange de vues avec la Commission mixte des droits de l'homme du Parlement britannique (CMDH). La commission a tenu une nouvelle audition le 22 mars 2023 avec la participation de Mme Sanchita Hosali, directrice de l’Institut britannique des droits de l’homme (Royaume-Uni), et a entendu un exposé préparé, par la baronne Hale, ancienne présidente de la Cour suprême du Royaume-Uni, en son absence.
3. J'ai effectué une visite utile au Royaume-Uni les 28 et 29 mars 2023, au cours de laquelle j'ai rencontré des représentants d'organisations de la société civile, des universitaires, des parlementaires, des membres de la commission pour l'égalité et les droits de l'homme, des responsables relevant de plusieurs ministères et le ministre chargé des droits de l'homme. Je remercie également la commission écossaise des droits de l'homme, la commission nord-irlandaise des droits de l'homme et les organisations de la société civile pour les informations qu'elles m'ont communiquées séparément.
4. Je commencerai par énoncer quelques principes de base relatifs aux différentes manières dont les États membres donnent effet à la Convention européenne des droits de l’homme (ETS no 5), y compris le principe de subsidiarité (selon lequel les droits humains devraient, en principe, être garantis par des mécanismes nationaux plutôt que par le recours à la Cour européenne des droits de l’homme). J'examinerai ensuite la manière dont le Royaume-Uni donne actuellement effet à la Convention européenne des droits de l'homme par le biais de la loi de 1998 sur les droits de l'homme (LDH); les principaux éléments du projet de Charte des droits humains tel qu'il a été présenté à la Chambre des Communes le 22 juin 2022; avant d’évaluer les répercussions, du point de vue de la conformité avec les normes internationales en matière de droits humains, y compris la Convention européenne des droits de l’homme, du projet de loi sur l'immigration illégale actuellement examiné par le Parlement britannique. Aux fins du présent rapport, j'ai cherché à mettre l'accent sur les propositions les plus pertinentes pour d’autres États également, pour le respect de l'État de droit (y compris le respect du droit international) et pour le système de la Convention européenne des droits de l'homme.

2. L’obligation de garantir le respect des droits humains et d’offrir un recours effectif en cas de violation des droits humains: le principe de subsidiarité et l’application des droits consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme dans les États membres

5. Tous les États membres du Conseil de l’Europe sont parties contractantes à la Convention européenne des droits de l’homme et, à ce titre, sont tenus en vertu du droit international de respecter de bonne foi les obligations qui en découlent, notamment l’obligation faite à chaque État de respecter les droits de l’homme énoncés dans la Convention européenne des droits de l'homme pour «toute personne» relevant de sa juridiction (article 1 de la Convention) 
			(3) 
			L’article 1 de la Convention
(obligation de respecter les droits de l’homme) prévoit que «[l]es
Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant
de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de
la présente Convention»., ainsi que celle d’offrir un recours effectif à toute personne dont les droits et libertés ont été violés par cet État (article 13 de la Convention) 
			(4) 
			L’article 13 de la
Convention (droit à un recours effectif) dispose que «[t]oute personne
dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention
ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant
une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise
par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles».. L’article 13 vise à garantir que les justiciables puissent obtenir, au niveau national, la réparation des violations des droits consacrés par la Convention, sans avoir à mettre en branle le mécanisme international de grief devant la Cour européenne des droits de l'homme. L’article 13 exige l’existence d’un recours interne auprès d’une «instance nationale compétente» offrant la possibilité d’obtenir l’examen du contenu d’un «grief défendable» fondé sur la Convention et l’octroi de la réparation appropriée 
			(5) 
			Boyle et Rice
c. Royaume-Uni, 1988, paragraphe 52; Powell et Rayner
c. Royaume-Uni, 1990, paragraphe 31; M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC],
2011, paragraphe 288; De Souza Ribeiro
c. France [GC], 2012, paragraphe 78; Centre de ressources juridiques au nom deValentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], 2014, paragraphe
148.. Les États contractants disposent néanmoins d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer à leurs obligations nées de l’article 13 
			(6) 
			Vilvarajah
et autres c. Royaume-Uni,
1991, paragraphe 122; Chahal c. Royaume-Uni, 1996, paragraphe 145; Smith et Grady c. Royaume-Uni, 1999, paragraphe 135.
L'article 13 n'exige pas une forme particulière de recours (Budayeva et autres c. Russie,
2008, paragraphe 190). L’article 13 n’exige pas qu’un État dispose
d’un recours pour contester in abstracto une
législation nationale non conforme (De
Tommaso c. Italy, paragraphe 180).. Lorsque les recours internes sont ineffectifs et ne satisfont pas aux exigences de l’article 13, les justiciables sont contraints de soumettre à la Cour européenne des droits de l'homme des griefs qui auraient dû être examinés au sein de l’ordre juridique interne, et le nombre d’affaires traitées par la Cour européenne des droits de l'homme contre l’État concerné augmente. À l’inverse, lorsque le système national d’application des droits consacrés par la Convention européenne des droits de l'homme – et en particulier du droit à un recours effectif – est efficace, le nombre d’affaires portées devant la Cour européenne des droits de l'homme est naturellement plus bas, de même que le nombre de violations constatées contre cet État membre. Le recours à la Cour européenne des droits de l'homme (article 34 de la Convention) ne devrait donc être nécessaire que sous forme de procédure de secours à des fins de supervision 
			(7) 
			L'article 34 (requêtes
individuelles) prévoit que «La Cour peut être saisie d'une requête
par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale
ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation
par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans
la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes
s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de
ce droit.» La saisine de la Cour européenne des droits de l'homme
pour faire valoir ses droits est subsidiaire par rapport aux systèmes
nationaux de protection des droits de l'homme. Voir les travaux préparatoires de la Cour
européenne des droits de l’homme; Kudła
c. Pologne [GC], 2000, paragraphe 152; l'article 13 de
la Convention; la nécessité d’épuiser les voies de recours internes
à l'article 35(1); Cocchiarella c. Italie [GC],
2006, paragraphe 38; et Scordino c. Italie
(nº 1) [GC], 2006, paragraphe 140..
6. La mise en œuvre et le respect des droits et libertés consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme incombe avant tout aux autorités nationales – et non à la Cour européenne des droits de l’homme. Cela implique aussi que chaque État prenne des mesures pour mettre en place un système d’application pratique et efficace des droits de la Convention au niveau national, y compris des voies de recours adéquates en cas de violation. Le principe de subsidiarité s’exprime dans le nouveau considérant du préambule de la Convention, ajouté par le Protocole 15 (STCE no 213): «[a]ffirmant qu’il incombe au premier chef aux Hautes Parties contractantes, conformément au principe de subsidiarité, de garantir le respect des droits et libertés définis dans la présente Convention et ses protocoles, et que, ce faisant, elles jouissent d’une marge d’appréciation, sous le contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme instituée par la présente Convention».
7. La manière dont les États donnent effet à la Convention européenne des droits de l’homme dépend de leurs constitutions et de leurs systèmes juridiques respectifs. Certains États membres ont un système moniste, c’est-à-dire qu’ils considèrent que les obligations de droit international sont directement contraignantes en droit interne (souvent à condition que le traité soit directement applicable) 
			(8) 
			Parmi les États monistes
figurent la France, l’Espagne, ainsi que de nombreux États d’Europe
centrale et orientale.. Cependant, même dans les États monistes, il est généralement possible d’approfondir la réflexion sur le meilleur moyen de donner effet aux droits protégés par la Convention européenne des droits de l’homme, et d’assurer leur application pratique. D’autres États membres ont des systèmes dualistes, dans lesquels les obligations juridiques internationales doivent être transposées ou incorporées d’une façon ou d’une autre en droit interne afin d’avoir un effet juridique complet au niveau national. 
			(9) 
			Parmi les États dualistes
figurent la Finlande, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, la Norvège,
le Royaume-Uni et la Suède. En pratique, de nombreux États ont opté pour un système mixte, entre monisme et dualisme. Comme l'a noté M. George Katrougalos dans l'exposé des motifs de son rapport intitulé «Convention européenne des droits de l’homme et constitutions nationales», «ni le monisme ni le dualisme n’apportent une réponse suffisante pour déterminer les facteurs qui influencent l’intégration des traités relatifs aux droits de l’homme en droit interne, et les États peuvent très bien réussir à mettre en œuvre ces traités, quelle que soit l’approche adoptée 
			(10) 
			Convention européenne des droits de l'homme
et constitutions nationales, exposé des motifs, paragraphe 12.». Il est important de noter qu’indépendamment du système et de la marge d’appréciation, un État ne peut pas invoquer son droit interne, y compris son système constitutionnel, pour justifier le non-respect de ses obligations de droit international au titre de la Convention européenne des droits de l’homme 
			(11) 
			Grzeda
c. Pologne, paragraphe 340. Voir également la Convention
de Vienne sur le droit des traités, 1969. A cet égard, il convient
également de noter que les arrêts de la Cour européenne des droits
de l’homme peuvent et ont exigé des modifications des dispositions
constitutionnelles d’un État (par exemple, Paksas
c. Lituanie)..

3. La loi britannique de 1998 sur les droits de l’homme (Human Rights Act)

8. Jusqu’à l’adoption en 1998 de la loi sur les droits de l’homme, le Royaume-Uni n’avait pas directement incorporé les droits consacrés par la Convention européenne des droits de l'homme dans son droit interne 
			(12) 
			Dans une requête introduite
avant l’entrée en vigueur de la loi de 1998 sur les droits de l’homme
(Human Rights Act), la Cour a estimé que l’article 13 de la Convention
n’exigeait pas l’incorporation de la Convention dans le droit interne. [Smith et Grady c.Royaume-Uni, 1999, paragraphe 135].
Cependant, depuis lors, tous les États parties ont incorporé les droits
consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme dans
leur ordre juridique interne. On peut donc se demander si ce changement
dans la pratique des États pourrait être pertinent pour la future
jurisprudence de la Cour relative à l’article 13 de la Convention.. Certains droits étaient protégés par les lois ordinaires, ou par le droit commun britannique (la common law), et la Convention européenne des droits de l'homme avait un certain effet en droit interne, mais elle n’était pas directement applicable 
			(13) 
			Avant l’adoption de
la LDH, la Convention européenne des droits de l'homme constituait
une aide à l’interprétation de la législation nationale en cas d’ambiguïté
(partant du principe qu’en cas d’ambiguïté, le parlement entendait
légiférer en se conformant aux obligations internationales du Royaume-Uni
en matière de droits de l’homme (R c.
Secretary of State for the Home Department, ex. Parte Brind [1991]
1 AC 696)). La Convention européenne des droits de l'homme pouvait également
éclairer l’exercice du pouvoir discrétionnaire des autorités judiciaires
et elle a contribué à établir la portée de la common law lorsque
celle-ci était en cours d'élaboration, incertaine ou incomplète
(R c. Lyons [2003] AC 976
[13] par Lord Bingham).. Les justiciables avaient donc plus souvent besoin de recourir à la protection de la Cour européenne des droits de l'homme pour faire valoir leurs droits, ce qui était un processus à la fois long et coûteux. En outre, en raison de l’absence d’incorporation, les tribunaux nationaux ne prenaient que rarement en considération l’étendue des droits consacrés par la Convention européenne des droits de l'homme et ne tenaient donc que rarement compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme – cette dernière et les tribunaux nationaux abordaient donc souvent les affaires avec une méthodologie et un argumentaire différents.
9. La LDH a cherché à résoudre ces problèmes et à «rapatrier» ces droits au niveau national en créant un meilleur système d’application des droits consacrés par la Convention européenne des droits de l'homme, étroitement lié à la méthodologie du système de la Convention 
			(14) 
			En dehors de quelques
innovations, certaines dispositions de la LDH sont similaires aux
approches adoptées par d’autres États pour donner effet à la Convention
européenne des droits de l'homme. Notons également que certaines dispositions
de la <a href='https://www.irishstatutebook.ie/eli/2003/act/20/enacted/en/html'>loi
irlandaise de 2003 relative à la Convention européenne des droits
de l’homme</a> ressemblent fortement à certaines dispositions de la
LDH de 1998. Par exemple, l’article 2 de la loi irlandaise prévoit
l’obligation d’interpréter la loi de manière compatible avec le
respect des droits consacrés par la Convention «dans la mesure du
possible», ce qui est très proche de l’obligation interprétative
énoncée à l’article 3 de la LDH. De même, l’obligation faite aux
tribunaux irlandais, à l’article 4 de la loi irlandaise sur la Convention
européenne des droits de l’homme, de «tenir dûment compte» des principes
énoncés dans les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme,
est similaire à l’obligation faite aux tribunaux britanniques de
«prendre en compte» les arrêts «pertinents» de la Cour dans l’article
2 de la LDH. Enfin, l’article 5 de la loi irlandaise relatif aux
déclarations d’incompatibilité a un effet similaire à celui de l’article
4 de la LDH, même s’il convient de noter que l’article 5 de la loi
irlandaise prévoit également un éventuel paiement à titre gracieux
pour le préjudice subi en raison d’une telle disposition.. Cette approche a permis de porter les recours relatifs aux droits humains devant les tribunaux nationaux et d’intégrer les réflexions sur les droits humains dans l’élaboration des politiques et les activités opérationnelles des pouvoirs publics. Dans ma note introductive, j'ai exposé les principaux éléments de la LDH et leur mode de fonctionnement 
			(15) 
			<a href='https://assembly.coe.int/LifeRay/JUR/Pdf/DocsAndDecs/2022/AS-JUR-2022-35-FR.pdf'>Note
introductive, </a>AS/Jur(2022)35, paragraphe 10.. Comme indiqué par la baronne Hale, ancienne présidente de la Cour suprême du Royaume-Uni, dans sa déclaration à la commission, la LDH répond à l'obligation qui incombe au Royaume-Uni de disposer d'un recours interne effectif pour garantir le respect des droits garantis par la Convention, par les moyens suivants:
a. Incorporer les droits consacrés par la Convention dans le droit britannique;
b. Prévoir qu’il est contraire à loi, pour toute autorité publique, d’agir d’une façon qui n’est pas compatible avec les droits consacrés par la Convention;
c. Donner aux victimes la possibilité de déposer un recours devant les cours et tribunaux britanniques;
d. Exiger que les cours et tribunaux britanniques «tiennent compte» des arrêts et décisions de la Cour européenne des droits de l'homme et d'autres organes du Conseil de l'Europe;
e. Exiger que chacun «interprète et applique» la législation britannique sous toutes ses formes et chaque fois qu'elle est adoptée d'une manière compatible avec les droits consacrés par la Convention «dans la mesure du possible»;
f. Si cela n'est pas possible, habiliter les cours et tribunaux à ignorer les dispositions incompatibles de la réglementation d’application, mais pas celles des lois du Parlement britannique, qui restent valables;
g. Exiger que tout ministre du gouvernement responsable d’un projet de loi présenté au parlement fasse une déclaration dans laquelle il/elle indique si ce projet est compatible ou non avec les droits consacrés par la Convention 
			(16) 
			<a href='https://rm.coe.int/baroness-hale-intervention-to-as-jur-22-march-2023/1680aaa818'>Remarques</a> formulées par la baronne Hale. [en anglais uniquement].
10. Les données sur les affaires britanniques portées devant la Cour européenne des droits de l’homme illustrent l’efficacité de la LDH pour ce qui est de faire appliquer les droits humains au niveau national, ce qui nécessite peu de recours au rôle de supervision de la Cour européenne des droits de l'homme en la matière. Les statistiques récentes montrent que le Royaume-Uni détient le plus faible nombre de requêtes introduites à son encontre, par habitant, de tous les États membres, ainsi que le plus faible nombre de requêtes recevables et le plus faible nombre de violations 
			(17) 
			Voir le témoignage
écrit présenté à la Commission mixte des droits de l’homme du Parlement
britannique par le juge Robert Spano, président de la Cour européenne
des droits de l’homme de l’époque, et le juge Tim Eicke (<a href='https://committees.parliament.uk/writtenevidence/22906/html/'>HRA0011</a>).. Les organisations de la société civile qui représentent des groupes marginalisés ont également souligné l’importance de la LDH pour permettre aux justiciables de faire valoir leurs droits.

4. Réforme de la loi britannique sur les droits de l'homme et le projet de Charte des droits humains

11. La réforme de la LDH est à l'ordre du jour depuis une vingtaine d'années, comme je l'ai indiqué dans ma note introductive 
			(18) 
			<a href='https://assembly.coe.int/LifeRay/JUR/Pdf/DocsAndDecs/2022/AS-JUR-2022-35-FR.pdf'>Note
introductive, </a>AS/Jur(2022)35, paragraphe 12.. À la suite du manifeste du Parti conservateur de 2019, le gouvernement a mis en place un panel indépendant d’évaluation de la loi sur les droits de l'homme (IHRAR) en décembre 2020, présidé par Sir Peter Gross. Le panel a publié son rapport contenant une analyse détaillée le 14 décembre 2021. Ce rapport proposait d’apporter de très légères modifications à la LDH et indiquait que «la grande majorité des observations» qu’il avait reçues «étaient extrêmement favorables à la LDH» 
			(19) 
			<a href='https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/1040525/ihrar-final-report.pdf'>Rapport</a> du panel indépendant d’évaluation de la LDH [en anglais
uniquement].
12. Le 22 juin 2022, le Gouvernement britannique a présenté à la Chambre des communes le projet de Charte des droits humains, qui contenait des changements assez importants en matière de protection des droits humains au Royaume-Uni. Ces modifications étaient très différentes des recommandations énoncées dans le rapport de l’IHRAR 
			(20) 
			<a href='https://bills.parliament.uk/bills/3227'>Projet de Charte
des droits humains</a>, tel que présenté au Parlement. [en anglais uniquement]. Le projet, qui a reçu un faible soutien, n'a toujours pas connu d’avancées au sein du parlement, et beaucoup doutent qu'il y parvienne 
			(21) 
			Voir, par exemple,
le<a href='https://rozenberg.substack.com/p/last-rites-for-the-bill-of-rights'> commentaire</a> de Joshua Rozenberg; le rapport de la CMDH, <a href='https://committees.parliament.uk/publications/33649/documents/183913/default/'>«Legislative
Scrutiny: Bill of Rights Bill</a>», qui fait état du manque de soutien à ce projet de
loi au paragraphe 29. [en anglais uniquement]. Le projet de Charte des droits humains est supposé abroger et remplacer la LDH. Il contient la même liste de droits que l’annexe de la LDH, et un grand nombre de ses dispositions sont très similaires (sinon identiques) à celles de la LDH. Il apporte toutefois des changements significatifs qui semblent restreindre la protection des droits humains au Royaume-Uni à certains égards. Il s’agit là d’un rare exemple de Charte des droits humains qui semble limiter, plus qu’améliorer, un système de protection des droits.
13. De façon inhabituelle, le projet de charte contient un certain nombre de dispositions qui ne semblent pas véritablement modifier le droit sur le fond, mais qui créent potentiellement une grande confusion ou incertitude juridique. Comme l’a écrit la CMDH, le projet de Charte «affaiblit la protection des droits, il sape l’universalité des droits, il fait preuve de mépris pour nos obligations juridiques internationales; il crée une insécurité juridique et entrave l’efficacité de l’application; il entraînera une augmentation du nombre d’affaires à Strasbourg; et nuira à notre réputation internationale en tant que gardiens des droits humains» 
			(22) 
			<a href='https://committees.parliament.uk/publications/33649/documents/183913/default/'>«Legislative
Scrutiny: Bill of Rights Bill</a>», op. cit., résumé.. Le projet de Charte des droits humains est également controversé sur le plan du principe de dévolution, étant donné le rôle spécial accordé à la LDH dans les accords de dévolution de l’Irlande du Nord, de l’Écosse et du Pays de Galles, ainsi que la place particulière des droits humains dans le processus de paix en Irlande du Nord 
			(23) 
			Voir, par exemple, <a href='https://nihrc.org/publication/detail/ni-human-rights-commission-advice-on-the-bill-of-rights-bill'>l'avis
de la Commission des droits de l’homme d’Irlande du Nord sur</a><a href='https://nihrc.org/publication/detail/ni-human-rights-commission-advice-on-the-bill-of-rights-bill'> le
projet de Charte des droits humains</a>, la <a href='https://www.scottishhumanrights.com/news/commission-strongly-opposes-uk-government-s-bill-replacing-the-human-rights-act/'>déclaration
de la Commission écossaise des droits de l'homme</a> ou le document d’analyse (<a href='https://committees.parliament.uk/writtenevidence/115379/pdf/'>Evidence)</a> communiqué par la Commission de l'égalité et des droits
de l'homme au CMDH dans le cadre de son enquête. [en anglais uniquement].
14. Dans ma note introductive, j'ai exposé les éléments principaux du projet de Charte des droits humains et analysé leur incidence sur la mise en œuvre des droits humains au Royaume-Uni 
			(24) 
			<a href='https://assembly.coe.int/LifeRay/JUR/Pdf/DocsAndDecs/2022/AS-JUR-2022-35-FR.pdf'>Note
introductive, </a>AS/Jur(2022)35, paragraphe 14.. Dans un souci de concision, je n'ai pas repris ici l’intégralité de cette analyse. Les principaux éléments de la Charte des droits humains (et de différence avec l'actuelle LDH) sont les suivants:
a. Le projet de charte dissocierait l’interprétation des droits consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme [article 3 (ancien article 2 de la LDH)].
b. Le projet de charte abrogerait l’obligation d’interprétation [article 3 de la LDH] qui exige des tribunaux et des pouvoirs publics une interprétation de la législation compatible avec les droits consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme «dans la mesure du possible». [Voir l’analyse dans le paragraphe 16 ci-après].
c. Le projet de charte exigerait qu'un «poids important» soit accordé à certaines considérations, y compris la liberté d'expression [article 4] et la protection du public [article 6], d'une manière qui pourrait perturber un exercice d'équilibre approprié impliquant d'autres droits qualifiés dans la Convention européenne des droits de l’homme.
d. Le projet de charte réduirait la capacité des tribunaux britanniques à faire respecter les obligations positives de l’État en matière de protection des droits humains [article 5]. (Voir l'analyse aux paragraphes 18 et 19 ci-après).
e. Le projet de charte viserait à renforcer le rôle du parlement par rapport à celui des tribunaux dans la recherche d’un équilibre autour du respect des droits humains avec le risque qui en découlerait de conduire à des résultats «incompatibles avec les obligations du Royaume-Uni en vertu de la Convention» 
			(25) 
			Rapport de la CMDH,
«<a href='https://committees.parliament.uk/publications/33649/documents/183913/default/'>Legislative
Scrutiny: Bill of Rights Bill», </a>paragraphes 145 et 146. [en anglais uniquement] [article 7]; or, parallèlement, il semble affaiblir la capacité du parlement à obtenir des informations de l’exécutif sur la compatibilité des projets de loi avec les droits humains [abrogation de l'article 19 de la LDH], et crée une obligation spécifique pour le Secrétaire d’État de notifier au parlement tout arrêt défavorable rendu par la Cour européenne des droits de l'homme contre le Royaume-Uni, ou bien une déclaration unilatérale du Royaume-Uni [article 25].
f. Le projet de charte contiendrait des dispositions relatives à deux difficultés juridiques particulières que présente l’expulsion des étrangers. L’article 8 vise à réduire la capacité d’un «délinquant étranger» (ressortissant non britannique condamné à plus de 12 mois d’emprisonnement) à invoquer le droit au respect de sa vie privée et familiale (article 8 de la Convention) lorsqu’il conteste la compatibilité de la législation relative à l’expulsion des étrangers. Comme l'a noté la CMDH, il le fait d'une manière qui «reviendrait à supprimer presque entièrement les droits de l'article 8» et serait «probablement incompatible avec les exigences procédurales de l'article 8» 
			(26) 
			Rapport de
la CMDH, <a href='https://committees.parliament.uk/publications/33649/documents/183913/default/'>«Legislative
Scrutiny: Bill of Rights Bill</a>», paragraphes 285 et 286. Voir aussi, par exemple, la <a href='https://www.scribd.com/document/624850344/The-Bill-of-Rights-the-Human-Rights-Act-and-the-Enemies-of-the-European-Convention'>conférence</a> d'Edward Fitzgerald KC, «The Bill of Rights, the Human
Rights Act, and the Enemies of the European Convention». [en anglais
uniquement]. L’article 20 vise à limiter le pouvoir des tribunaux, dans les cas d’expulsion «assortie d’assurances», d’autoriser les recours déposés par des «criminels étrangers» contre des décisions d’expulsion pour des motifs qui remettent en question la nature des garanties relatives au droit à un procès équitable. Bien que l'impact de cet article soit probablement limité, «l'absence d'évaluation adéquate du caractère suffisant des garanties en cas d’expulsion peut constituer une violation de l'article 6 et de l'article 13» 
			(27) 
			Rapport de la CMDH, <a href='https://committees.parliament.uk/publications/33649/documents/183913/default/'>«Legislative
Scrutiny: Bill of Rights Bill</a>», paragraphe 295..
g. L’article 14 supprimerait la possibilité pour les victimes de violations des droits humains commises à l’occasion d’une opération militaire à l’étranger de faire valoir leurs droits en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme. Toutefois, cet article est subordonné à une disposition qui prévoit qu’il entrera en vigueur uniquement si le ministre est convaincu qu’il est compatible avec les obligations du Royaume-Uni en matière de droits humains [clause 39]. [Voir l'analyse aux paragraphes 21 et 22 ci-après.]
h. L’article 24 prévoirait qu’il ne doit être tenu compte d’aucune mesure provisoire «aux fins de déterminer, en vertu du droit interne, les droits et obligations» d’une autorité publique ou de toute autre personne. [Voir l’analyse au paragraphe 23 ci-après.]
i. Un certain nombre de dispositions visent à limiter l’accès aux recours en réparation ou aux dommages et intérêts pour ceux qui intentent des actions en justice fondées sur des violations des droits humains. L’article 15 introduit une nouvelle étape d’autorisation avant qu’une procédure puisse être engagée sur la base de la Charte des droits humains; il prévoit en effet que le requérant doit avoir subi un «préjudice important» (à moins que l’affaire ne présente un «intérêt public exceptionnel»), une exigence qui compromettrait l’engagement du Royaume-Uni de garantir les droits humains et violerait les obligations de droit international lui incombant au titre de la Convention 
			(28) 
			Rapport
de la CMDH, <a href='https://committees.parliament.uk/publications/33649/documents/183913/default/'>«Legislative
Scrutiny: Bill of Rights Bill</a>», paragraphe 197.. L'article 18 limite l'octroi de dommages-intérêts en cas de violation des droits humains, notamment en tenant compte du comportement de la victime, ce qui s'écarte de la jurisprudence de la Convention européenne des droits de l'homme et semble aller à l'encontre du principe de l'universalité des droits humains.
j. D'autres articles portent sur des droits spécifiques: l’article 9, par exemple, prévoit que l'un des moyens de garantir le droit à un procès équitable (article 6 de la Convention) au Royaume-Uni est le procès avec jury, et l’article 21 rendrait plus difficile la possibilité pour les tribunaux d'exiger la divulgation des sources journalistiques.
15. Je tiens à souligner les préoccupations spécifiques concernant l'abrogation de l'obligation d'interprétation de l'article 3 de la LDH, l'impact sur les obligations positives, les violations des droits humains résultant d'opérations militaires à l'étranger et les mesures provisoires.

4.1. L'abrogation de l'article 3 de la LDH

16. La suppression de l'obligation d'interprétation [article 3 de la LDH] qui exige que les tribunaux et les autorités publiques interprètent la législation de manière compatible avec les droits consacrés par la Convention européenne des droits de l'homme, «dans la mesure du possible», mérite un examen plus approfondi. Cette disposition est d’autant plus pertinente parce que des dispositions similaires ont été introduites par la suite dans d’autres projets de loi déposés devant le parlement, notamment l’article 1(5) du projet de loi sur l’immigration illégale, et les articles 42, 43 et 44 du projet de loi sur les victimes et les détenus, supprimant l'obligation d'interprétation de l'article 3 de la LDH pour cette législation.
17. Cette disposition semble inutile car «l'article 3 ne porte pas atteinte à la souveraineté parlementaire» 
			(29) 
			Rapport de la CMDH, <a href='https://committees.parliament.uk/publications/33649/documents/183913/default/'>«Legislative
Scrutiny: Bill of Rights Bill</a>», paragraphe 105.. À la suite de cette abrogation, les principes d’interprétation de la common law resteraient applicables et contribueraient à garantir que les dispositions législatives ambiguës ou imprécises soient interprétées de manière compatible avec les droits consacrés par la Convention européenne des droits de l'homme 
			(30) 
			Par
exemple, le principe énoncé dans l’affaire ex
parte Brind selon lequel, en cas d’ambiguïté ou d’incertitude,
le droit devrait être interprété conformément aux obligations internationales
du Royaume-Uni; ou le principe de légalité (affaire ex parte Simms) selon lequel les
droits fondamentaux ne peuvent être bafoués par des termes généraux
ou ambigus.. Toutefois, l’abrogation de l’article 3 de la LDH réduirait la portée de l’obligation d’interprétation aux seules dispositions ambiguës, incertaines ou excessivement générales. Cela signifie qu’il est probable qu’un plus grand nombre de lois seront interprétées d’une manière incompatible avec les droits consacrés par la Convention européenne des droits de l'homme, ce qui pourrait nécessiter davantage de déclarations d’incompatibilité et de requêtes devant la Cour européenne des droits de l'homme, et accroître la pression exercée sur le parlement et le gouvernement pour qu’ils consacrent suffisamment de temps à la résolution de ces incompatibilités. Le projet de charte crée également une certaine confusion quant au statut des interprétations préexistantes de la loi fondées sur l’article 3 de la LDH 
			(31) 
			L’article
40 confère au secrétaire d'État le pouvoir de «préserver» les interprétations
que les tribunaux britanniques ont faites en utilisant l'obligation
d'interprétation prévue à l'article 3 de la LDH. Cependant, il existe
une confusion importante quant au nombre d'interprétations de l'article
3 que les tribunaux britanniques ont faites en vertu de la LDH et quant
à leur contenu – notamment parce qu'il n'existe pas de liste centrale
de ces interprétations et parce que certains jugements ne précisent
pas clairement si le tribunal s'est fondé uniquement sur l'article
3 en question pour parvenir à son interprétation.. Cela ajoute au risque de voir émerger une période d’incertitude juridique après l’entrée en vigueur de la Charte des droits humains. Certes, le projet de Charte des droits humains pourrait ne pas entrer en vigueur, mais la disposition équivalente du projet de loi sur l’immigration illégale et du projet de loi sur les victimes et les détenus pourrait bien, quant à elle, l’être, ce qui écarterait l'obligation d'interprétation de l'article 3 de la LDH pour ces projets de loi. Il en résultera un risque accru d'interprétations incompatibles de ces lois et la nécessité de saisir les tribunaux nationaux et la Cour européenne des droits de l'homme pour régler de nouveaux litiges.

4.2. Obligations positives

18. La charte réduirait la capacité des tribunaux britanniques à faire respecter les obligations positives de l’État en matière de protection des droits humains. L’article 5 interdirait aux tribunaux britanniques d’appliquer toute nouvelle obligation positive développée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme après la promulgation de la Charte des droits humains. Cette disposition semble aller clairement à l'encontre de la doctrine de l'instrument vivant. Elle gèlerait le développement d'obligations positives, de sorte qu'à terme, aucune nouvelle obligation positive ne pourrait être directement appliquée au Royaume-Uni sans modification de la législation britannique. L’article 5 exigerait par ailleurs que les tribunaux, lorsqu’ils appliquent une obligation positive existante, accordent un «poids important» à l’évitement de certains problèmes, y compris la nécessité d’éviter de nuire à la capacité d’une autorité publique d’exercer ses fonctions ou celle d’éviter une interprétation qui déterminerait les priorités opérationnelles de la police, ou exigerait un niveau déraisonnable d’enquête ou d’instruction, ou serait en conflit avec des questions relatives à l’allocation des ressources 
			(32) 
			Les
exemples donnés dans la documentation fournie par le gouvernement
en faveur de l’inclusion de cette clause ont tendance à concerner
davantage l’application des droits consacrés par la Convention par
les autorités britanniques plutôt qu’un problème avec la loi ou
les obligations positives elles-mêmes. Par exemple, on fait grand
cas de l’ampleur des ressources policières dédiées aux «alertes
Osman» dirigées contre des membres de gangs criminels (avertissements émis
par la police indiquant que la vie d’une personne est peut-être
en danger). Le reproche porte sur l’ampleur des ressources consacrées
à donner de tels avertissements aux membres de gangs dans le cadre
des conflits entre gangs. Toutefois, ce reproche est en partie imputable
à la manière dont la police a choisi d’appliquer ses obligations
positives au titre de l’article 2 – plutôt qu’à un problème inhérent
aux obligations positives. Certains commentateurs ont dès lors suggéré
que l’article 5 se trompe de cible et ne fait que créer de nouveaux
problèmes.. Cela limiterait également l’application des obligations positives existantes dans le droit interne britannique.
19. L’article 5 semble encourager une application plus limitée des obligations positives que celle définie dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. La CMDH précise à cet égard que «les obligations positives découlant de la Convention figurent expressément ou implicitement dans les droits consacrés par la Convention et constituent un mécanisme important pour assurer la protection des droits de toutes les personnes relevant de la juridiction de l'État», et note leur importance dans la protection des personnes victimes de violence familiale, de violences «motivées par des considérations d'honneur» ou de harcèlement. Elle conclut ensuite que l’article 5 est «très susceptible» de conduire à des divergences d’interprétation des droits consacrés par la Convention au Royaume-Uni et par la Cour européenne des droits de l'homme, ainsi qu'à une incertitude et à une augmentation des litiges 
			(33) 
			Rapport de la CMDH, <a href='https://committees.parliament.uk/publications/33649/documents/183913/default/'>«Legislative
Scrutiny: Bill of Rights Bill</a>», paragraphe 83-86.. La baronne Hale constate que ce point est «particulièrement préoccupant pour les droits absolus et auxquels on ne peut pas déroger des articles 2, 3 et 4», à savoir l’interdiction de tuer, de torturer et de réduire en esclavage, chacun d'entre eux étant assorti d'une série d'obligations positives «de disposer d’un système de textes législatifs et réglementaires pour protéger le droit, d'enquêter sur les violations éventuelles et de traduire leurs auteurs en justice et, dans certaines circonstances, de protéger les victimes à risques 
			(34) 
			<a href='https://rm.coe.int/baroness-hale-intervention-to-as-jur-22-march-2023/1680aaa818'>Remarques</a> formulées par la baronne Hale. [en anglais uniquement]». L'impact potentiel sur les victimes de violence domestique, de violence à l'égard des femmes ou sur les personnes pouvant faire l’objet d’attaques ciblées a été jugé préoccupant 
			(35) 
			Voir «The Bill of Rights,
the Human Rights Act, and the Enemies of the European Convention», op.
cit..
20. Il existe un risque non négligeable que cette disposition oblige les individus à former un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme pour faire valoir leurs droits, et entraîne une augmentation des arrêts défavorables rendus par la Cour européenne des droits de l'homme à l’encontre du Royaume-Uni.

4.3. Opérations militaires à l’étranger

21. La compétence extraterritoriale en cas de conflit en dehors de l’espace territorial européen est jugée discutable en raison des difficultés pratiques que représente la garantie des droits humains dans une zone sur laquelle un État a un contrôle limité et en raison des différences entre le droit international des droits humains et la lex specialis – le droit international humanitaire. Cependant, étant donné la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur l’article 1 relatif à la «compétence extraterritoriale», il est clair que l'exclusion, dans l’article 14 du projet de Charte, de la responsabilité pour les actes commis par des agents de l'État durant les opérations militaires à l'étranger, sans mettre en place un mécanisme alternatif d’accès à un recours effectif, ne serait pas compatible avec l’obligation du Royaume-Uni de fournir un mécanisme d’accès à un recours effectif (articles 1, 13 de la Convention, etc.) en cas de violation d’un droit consacré par la Convention.
22. Comme l'a déclaré Edward Fitzgerald KC, «cette situation est tout à fait contraire aux exigences de la Convention et du droit international, et créerait une divergence entre les obligations [du Royaume-Uni] nées des dispositions des traités et du droit interne» 
			(36) 
			Idem.. Il est à noter que l'examen indépendant de la loi sur les droits de l'homme 
			(37) 
			Chapitre
8, <a href='https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/1040525/ihrar-final-report.pdf'>Rapport</a> du panel indépendant d’évaluation de la LDH qui a conclu
que la portée extraterritoriale et temporelle de la Convention européenne
des droits de l'homme était «problématique» et devait être abordé
dans le cadre d’une «conversation nationale» sur l’application du
droit dans les situations de conflit armé, ainsi que par le biais
de l’«engagement des gouvernements» des États signataires de la
Convention sur la «réforme de la Convention» afin d’élaborer un
«nouveau Protocole à la Convention définissant une approche claire,
logiquement cohérente et réfléchie de son champ d’application territorial
et temporel, ainsi que de la relation de la Convention avec le droit
international humanitaire». et le document de consultation du Gouvernement britannique 
			(38) 
			Le document de consultation
du gouvernement britannique indique qu’«il ressort clairement des
travaux préparatoires de la Convention que les rédacteurs souhaitaient
que la Convention ne s’applique qu’aux territoires des États parties».
Le gouvernement a fait valoir que «l’extension aux conflits armés
du droit relatif aux droits de l’homme a … créé à son tour des incertitudes
juridiques et donc opérationnelles considérables pour nos forces
armées». semblent tous deux indiquer que le Gouvernement britannique pourrait souhaiter entamer un débat sur l'étendue de la compétence au titre de l'article 1 de la Convention pour les opérations militaires à l'étranger. Or la bonne manière de procéder, tout en respectant l'État de droit, consiste à débattre de ces questions au niveau international plutôt que de chercher à légiférer unilatéralement d'une manière qui laisse entendre une intention de ne pas se conformer au droit international. La mise en place dans la législation d'une disposition telle que l’article 14, qui, si elle entrait en vigueur, violerait les obligations internationales qui incombent au Royaume-Uni au titre de la Convention européenne des droits de l'homme, pose problème pour le respect de l'État de droit et des droits humains.

4.4. Mesures provisoires

23. Les mesures provisoires sont destinées à prévenir tout dommage irréparable dans une affaire pendante devant la Cour européenne des droits de l'homme. Celle-ci prend des mesures provisoires lorsqu’elle estime qu’il existe un «risque imminent de dommage irréparable» susceptible d’empêcher un requérant d’introduire une requête ou de rendre cette requête sans objet. Les mesures provisoires ne sont pas expressément mentionnées dans la Convention européenne des droits de l'homme, mais la Cour européenne des droits de l'homme a élaboré une jurisprudence et une pratique en vertu desquelles les mesures provisoires émises au titre de l'article 39 du règlement de la Cour sont contraignantes en droit international afin de donner pleinement effet au droit de requête individuelle prévu à l'article 34 de la Convention 
			(39) 
			Mamatkulov and Askarov c.Turkey (2005).. L'article 34 de la Convention n'a pas été incorporé en tant que tel dans le droit national britannique, mais le Gouvernement britannique a mis en place des procédures pour se conformer aux mesures provisoires selon le droit international 
			(40) 
			Une récente décision
de justice interne a toutefois mentionné les mesures provisoires
accordées par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire K.N. c. Royaume-Uni (n°
28774/22) le 14 juin 2022 concernant un demandeur d'asile irakien
faisant face à un renvoi imminent vers le Rwanda. Dans cette affaire,
la Cour européenne des droits de l'homme a indiqué au Gouvernement
britannique que le requérant ne devrait pas être renvoyé au Rwanda
avant trois semaines après le prononcé de la décision interne finale
dans le cadre de sa procédure de contrôle judiciaire en cours. Le
Gouvernement britannique a respecté cette mesure provisoire.. Le Gouvernement britannique, qui respecte généralement les mesures provisoires, semble accepter qu’elles soient contraignantes selon le droit international, nonobstant certaines opinions politiques exprimées à ce sujet. L’article 24 du projet de Charte des droits humains prévoit qu’il ne doit être tenu compte d’aucune mesure provisoire «aux fins de déterminer, en vertu du droit interne, les droits et obligations» d’une autorité publique ou de toute autre personne. Cette disposition pourrait être interprétée comme une affirmation forte du dualisme indiquant qu'il n'y aurait pas de véritable changement dans la conduite future du Royaume-Uni en matière de mesures provisoires. Toutefois, certains craignent qu'elle puisse indiquer une approche différente et, à première vue, elle a créé une certaine confusion en conduisant à se demander s’il fallait y voir un signe que le Royaume-Uni ne respecterait pas les mesures provisoires. L'ancien juge de la Cour suprême du Royaume-Uni, Lord Mance, a déclaré qu' «il est extraordinaire de voir une législation proposant d'interdire à l'avenir à tout tribunal national de tenir compte de toute mesure provisoire émise par la Cour européenne des droits de l'homme» 
			(41) 
			The Thomas More <a href='https://www.scribd.com/document/603723617/The-Protection-of-Rights-this-way-that-way-forwards-backwards'>Lecture</a> 2022, paragraphe 22. [en anglais]. Cette clause ne semble pas avoir d'autre effet que de semer la confusion et de suggérer un mépris potentiel de l'État de droit. Un article récemment inséré dans le projet de loi sur l'immigration illégale à ce sujet (voir les paragraphes 47-49 ci-dessous) n’a fait qu’ajouter à la confusion.

4.5. Commentaires généraux relatifs au projet de Charte des droits humains

24. Le projet de Charte des droits humains a fait l’objet de critiques et de scepticisme importants. La plupart, sinon la totalité, des organisations de la société civile du Royaume-Uni ont exprimé leur grande inquiétude et leur opposition à ce projet de loi, que beaucoup qualifient de «projet de loi de suppression des droits» 
			(42) 
			Voir,
par exemple, les déclarations faites par <a href='https://www.equallyours.org.uk/ministry-of-justice-policy-paper-bill-of-rights/'>Equally
Ours</a>, <a href='https://www.amnesty.org.uk/human-rights-act'>Amnesty
International</a>, <a href='https://www.libertyhumanrights.org.uk/issue/liberty-responds-to-government-bill-scrapping-human-rights-act/'>Liberty</a>, <a href='https://www.bihr.org.uk/our-work/our-policy-projects/protecting-our-hra/rights-removal-bill'>British
Institute of Human Rights</a>. [en anglais uniquement] Voir également les préoccupations
exprimées par la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’Europe, <a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/royaume-uni-%C3%A9viter-le-recul-des-droits-humains'>«Royaume-Uni:
éviter le recul des droits humains</a>», et dans le <a href='https://rm.coe.int/report-on-the-visit-to-united-kingdom-from-27-june-to-1-july-2022-by-d/1680a952a5'>rapport
par pays</a>.. Sir Peter Gross, qui a présidé les travaux du panel d'experts de l'IHRAR, a déclaré: «En général, une charte des droits reflète des valeurs fondamentales et durables et constitue un document édifiant, qui exige et inspire un large consensus. Ce projet de Charte des droits humains n’est pas une charte des droits humains. L'étiqueter comme tel ne sert qu'à encourager le cynisme» 
			(43) 
			«The
Independent Human Rights Act Review (IHRAR) and beyond», c<a href=''>onférence</a> de Sir Peter Gross, novembre 2022. [en anglais].
25. Certaines des clauses semblent être peu effectives mais créeraient très certainement une incertitude juridique et des obstacles potentiels à l’application des droits humains. D’autres clauses sont plus manifestement problématiques, comme celles qui imposent des limites à l’application des obligations positives ou à la prise en compte des violations des droits humains liées aux opérations militaires à l’étranger. Des doutes ont été exprimés quant à la conformité du projet de charte avec la Convention européenne des droits de l'homme. Lord Pannick QC a déclaré à cet égard qu’«aucune personne sérieuse ne peut raisonnablement penser que le projet de Charte des droits humains est conforme à la Convention européenne des droits de l’homme» 
			(44) 
			Dans un témoignage
oral devant la CMDH..
26. Lord Mance a noté un certain nombre de préoccupations pertinentes concernant les dispositions de ce projet de charte, tout en soulignant le rôle important que doit jouer l'État de droit, ainsi que la souveraineté parlementaire, en tant que deux piliers de la démocratie britannique. Il s'inquiète du fait que le projet de loi semble «inviter ou influencer les tribunaux à ‘s'écarter plus librement’ de la Cour de Strasbourg», et qu’il pourrait, «au niveau international, changer la relation de ce pays avec la Convention européenne des droits de l'homme et avec la Cour européenne des droits de l’homme en particulier 
			(45) 
			The Thomas More <a href='https://www.scribd.com/document/603723617/The-Protection-of-Rights-this-way-that-way-forwards-backwards'>Lecture</a> 2022, paragraphe 44.». Les dispositions du projet de charte des droits humains sont globalement susceptibles d'augmenter le nombre d'arrêts défavorables de la Cour européenne des droits de l'homme à l'encontre du Royaume-Uni et d'accroître le degré d'incompatibilité de la législation britannique avec les droits humains (ainsi que les retards dans la résolution de ces incompatibilités). Compte tenu du caractère potentiellement ambigu de certaines dispositions du projet de charte (par exemple l’article relatif aux mesures provisoires) et de l'augmentation globale du nombre d’arrêts défavorables, il est probable que le projet de charte aura pour incidence principale d'entraver l'application effective des droits humains au Royaume-Uni et d'accroître les tensions politiques qui leur sont liées. La baronne Hale a fait remarquer à ce sujet que le projet de charte «réduira la protection actuellement accordée aux droits consacrés par la Convention dans le droit britannique, dissociera le droit britannique des droits de l'homme de celui de Strasbourg, et soulèvera des doutes sur l’existence en droit britannique d’un recours interne effectif en cas de violation des droits consacrés par la Convention» 
			(46) 
			<a href='https://rm.coe.int/baroness-hale-intervention-to-as-jur-22-march-2023/1680aaa818'>Remarques</a> formulées par la baronne Hale..
27. Le projet de charte a fait couler beaucoup d'encre et je salue en particulier l'analyse et les conclusions de la CMDH sur ce sujet 
			(47) 
			Rapport de la CMDH, <a href='https://committees.parliament.uk/publications/33649/documents/183913/default/'>Legislative
Scrutiny: Bill of Rights Bill</a>, paragraphe 197.. Il est bon que le parlement dispose d'analyses aussi détaillées de l'incidence de la législation qui lui est soumis sur les droits humains. Une telle approche est conforme à la Résolution 1823 (2011) «Les parlements nationaux: garants des droits de l’homme en Europe», qui, à son paragraphe 6.4, «appelle tous les États membres à prévoir des procédures parlementaires adéquates pour vérifier systématiquement la compatibilité des projets de législation avec les normes de la Convention et éviter de futures violations de la Convention».
28. Il est peut-être possible de veiller à ce que l’analyse fournie initialement au parlement lors de la présentation d’un projet de loi du gouvernement soit à la fois suffisamment indépendante du gouvernement et de ses priorités politiques, et suffisamment franche et transparente. Bien que le Bureau de l’Attorney General joue un rôle interne au gouvernement en examinant la compatibilité des projets de loi du gouvernement avec l’État de droit, y compris le droit international, l’objectivité de tels conseils pourrait être perçue comme étant affectée par l’attitude du ministre (l’Attorney General) responsable de ce département à l’époque considérée. De plus, le fait que l’avis de l’Attorney General ne soit pas publié n’aide pas le législateur à déterminer si un projet de loi dont il est saisi risque de porter atteinte à l’État de droit. L’analyse qui est ensuite publiée par le gouvernement dans le mémorandum de la Convention européenne des droits de l'homme (ou les notes explicatives) risque donc d’être considérée comme une image partielle pouvant être politiquement motivée – et peut être indûment orientée sur les droits consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme, au détriment d’autres considérations importantes relatives à l’État de droit et aux droits humains. Alors que les commissions parlementaires, y compris la CMDH, tentent de pallier ce manque d’analyse objective, on pourrait réfléchir à la meilleure façon d’améliorer l’impartialité et la transparence de l’analyse initialement fournie. D’autres États ont des solutions alternatives avec, par exemple, un Conseil d’État fournissant des avis, habituellement publiés, sur les projets de loi. Une approche plus indépendante et transparente peut permettre de démontrer qu’un niveau approprié d’analyse a été entrepris pour s’assurer que les incidences de la législation sur l’État de droit ont été pleinement considérées. C’est sans doute d’autant plus important dans un pays sans constitution écrite où l’analyse de l’État de droit remplit donc une fonction encore plus importante.
29. Le Parlement et le Gouvernement du Royaume-Uni souhaiteront peut-être examiner la possibilité d’améliorer les mécanismes permettant d’assurer l’indépendance, la transparence et les délais de dépôt des évaluations des incidences des projets de loi sur l’État de droit et les droits humains. Les Chambres du Parlement voudront peut-être aussi examiner la meilleure façon de veiller à ce que ces évaluations relatives aux incidences des projets de loi sur l’État de droit et les droits humains, y compris sous la forme de rapports utiles existants des commissions parlementaires, puissent être dûment prises en considération et en temps opportun lorsque le parlement légifère.

5. Le projet de loi sur l'immigration illégale

30. Le projet de loi sur l’immigration illégale a été présenté à la Chambre des communes le 7 mars 2023. Alors que les questions de migration relèvent de l'examen spécialisé de la commission des migrants, des réfugiés et des personnes déplacées de l'Assemblée parlementaire, le projet de loi soulève un certain nombre de questions fondamentales relatives au respect du droit international, notamment de la Convention européenne des droits de l'homme, en lien avec les thèmes relatifs à la réforme de la législation britannique en matière de droits humains 
			(48) 
			En lien avec les modifications
proposées par le gouvernement dans le projet de Charte des droits
humains, le projet de loi sur l’immigration illégale contient une
disposition visant à ne pas appliquer l'obligation prévue à l'article
3 de la LDH d'interpréter la législation de manière compatible avec
les droits protégés par la Convention «dans la mesure du possible» [clause
1(5)]; elle semble également créer un conflit avec l'obligation
de se conformer aux mesures provisoires indiquées par la Cour européenne
des droits de l'homme.. En outre, si le processus législatif du projet de Charte des droits humains semble ralenti au sein du parlement, le projet de loi sur l’immigration illégale, quant à lui, a progressé à un certain rythme. Il est donc opportun d'examiner certains aspects de ce projet de loi dans le cadre de ces travaux.
31. Le projet de loi sur l'immigration illégale contient des dispositions relatives, en particulier, au renvoi; aux griefs et recours à effet suspensif et non suspensif; aux restrictions des droits des victimes de l'esclavage moderne et de la traite des êtres humains; aux demandes d'asile irrecevables; aux recours provisoires et aux mesures provisoires; à la détention; aux enfants; aux restrictions aux permis d'entrée et de séjour et à l'obtention de la nationalité; aux itinéraires d'accès sûrs et légaux. De nombreuses dispositions de ce texte (y compris celles relatives aux mesures provisoires) ont été déposées en tant que «clauses suspensives» (en effet, les clauses proprement dites ont été introduites à un stade ultérieur dans l'examen parlementaire du projet de loi), nuisant à un contrôle parlementaire efficace.
32. Le projet de loi soulève des préoccupations quant à la compatibilité avec la Convention européenne des droits de l'homme, la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son Protocole de 1967 (la Convention des Nations Unies sur les réfugiés), la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197) et la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant 
			(49) 
			<a href='https://rm.coe.int/baroness-hale-intervention-to-as-jur-22-march-2023/1680aaa818'>Remarques</a> formulées par la baronne Hale, qui a déclaré: «On peut
aisément faire valoir que certaines de ses dispositions sont incompatibles
avec les obligations qui nous incombent en vertu de la Convention
des Nations Unies sur les réfugiés, de la Convention du Conseil
de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains et de
la Convention européenne des droits de l'homme.» Voir aussi, par
exemple, le <a href='https://www.bihr.org.uk/media/4nmkmqms/what-does-the-refugee-ban-bill-mean-for-peoples-human-rights.pdf'>document
d’analyse</a> de l'Institut britannique des droits de l'homme. [en
anglais uniquement]. Voir également les préoccupations exprimées
dans une <a href='https://rm.coe.int/commhr-2023-8-letter-to-united-kingdom-speaker-of-the-houses-of-parlia/1680aaad61'>lettre</a> de la Commissaire aux droits de l’homme.. Comme l'a déclaré le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), «le projet de loi, s'il était adopté, enfreindrait les obligations du Royaume-Uni découlant de la Convention sur les réfugiés, de la Convention de 1954 relative au statut des apatrides, de la Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie et du droit international en matière de droits humains» 
			(50) 
			<a href='https://www.unhcr.org/uk/media/unhcr-legal-observations-illegal-migration-bill-02-may-2023'>Observations</a> juridiques du HCR sur le projet de loi sur l'immigration
illégale, paragraphe 4. [en anglais uniquement]. En outre, d’aucuns estiment que «le projet de loi est utilisé comme prétexte pour créer un différend avec la Cour européenne des droits de l'homme sur la mise en oeuvre de tout arrêt défavorable ou déclaration d'incompatibilité devant les tribunaux nationaux, ce qui pourrait précipiter les propositions de retrait de la Convention» 
			(51) 
			Bibliothèque de la
Chambre des Communes sur le projet de loi sur l’immigration illégale
2022-23, chapitre 7.4. [en anglais uniquement]; “<a href='https://www.ein.org.uk/blog/uk-vs-ecthr-anatomy-politically-engineered-collision-course'>The
UK vs the ECtHR: Anatomy of A Politically Engineered Collision Course</a>”, op. cit..
33. Le Gouvernement britannique a exprimé son inquiétude compréhensible face au nombre de demandeurs d'asile qui entreprennent des voyages dangereux, souvent sur de petites embarcations précaires, à travers la Manche. De tels trajets présentent en eux-mêmes un risque pour le droit à la vie (article 2), étant donné leur nature périlleuse dans l'une des voies de navigation les plus fréquentées au monde et souvent dans des eaux agitées 
			(52) 
			Voir également la <a href='https://www.unhcr.org/eu/what-we-do/protect-human-rights/asylum-and-migration/new-york-declaration-refugees-and-migrants'>Déclaration
de New York pour les réfugiés et les migrants</a> de 2016, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale
des Nations Unies, qui stipule: «Nous sommes déterminés à lutter
contre les mouvements dangereux de réfugiés et de migrants, en particulier
les mouvements irréguliers de réfugiés et de migrants. Nous le ferons sans
préjudice du droit de demander l’asile. Nous combattrons l’exploitation,
les abus et la discrimination dont sont victimes de nombreux réfugiés
et migrants.». Toutefois, il est important que toutes les mesures prises pour répondre à ces préoccupations respectent elles-mêmes les droits humains, y compris les droits des enfants, des réfugiés et des personnes exploitées par les trafiquants d'êtres humains. Comme l'a noté le HCR, l'un des moyens d'y parvenir pourrait être d'assurer une prise de décision rapide, équitable et efficace au sein du système d'asile 
			(53) 
			<a href='https://www.unhcr.org/uk/media/unhcr-legal-observations-illegal-migration-bill-02-may-2023'>Observations</a> juridiques du HCR sur le projet de loi sur l'immigration
illégale, paragraphe 19..
34. Dans une déclaration adoptée à l’unanimité le 24 avril 2023, la commission des migrants, des réfugiés et des personnes déplacées de l’Assemblée a déjà exprimé son inquiétude quant aux conséquences du projet de loi sur l’immigration illégale 
			(54) 
			<a href='https://pace.coe.int/fr/news/9050/pace-committee-expresses-grave-concerns-regarding-the-united-kingdom-s-illegal-migration-bill'>Déclaration</a> de la commission des migrations, des réfugiés et des
personnes déplacées.. Elle y indique que «les dispositions de ce projet de loi constituent une distorsion délibérée des conventions fondamentales des Nations Unies et européennes, que le Royaume-Uni a lui-même contribué à élaborer. Ces dispositions compromettraient le droit à un recours effectif, violeraient le principe de non-refoulement, mettraient en danger les victimes du travail forcé et de l'esclavage moderne, et priveraient les demandeurs d’une protection internationale de leur droit à demander l'asile, sans tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant». La commission a poursuivi en notant que «La non-discrimination, la non-pénalisation et le non-refoulement sont les piliers de la Convention relative au statut des réfugiés qui exigent un accès effectif à des procédures équitables et individualisées. Dans la pratique, l'application de ces principes fondamentaux peut s'avérer difficile pour les autorités nationales et locales lorsqu'il s'agit de statuer équitablement sur les demandes individuelles. Néanmoins, les changements législatifs répétés au Royaume-Uni aboutissent à la suppression d'une protection indispensable pour les réfugiés et les victimes de la traite, ce qui constitue un grave manque de respect des normes fondamentales relatives aux droits humains. De telles mesures ne constituent pas une réponse politique valable au regard des questions en jeu». Je partage pleinement ces préoccupations.
35. La déclaration de la commission des migrations fait suite à l’adoption de la Résolution 2408 (2021) «70e anniversaire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés: le Conseil de l’Europe et la protection internationale des réfugiés», dans laquelle l’Assemblée soulignait «l’urgence de renforcer l’engagement des États membres du Conseil de l’Europe à veiller au respect des droits fondamentaux des personnes qui fuient leurs pays d’origine pour des motifs spécifiés dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés» 
			(55) 
			Résolution 2408 (2021).. La même année, l’Assemblée, dans sa Résolution 2379 (2021) «Rôle des parlements dans la mise en œuvre des pactes mondiaux des Nations Unies pour les migrants et les réfugiés», a réitéré son appel «à protéger et promouvoir les droits des personnes en situation de déplacement, conformément aux normes internationales en matière de protection humanitaire, de droits de l’homme, de démocratie et d’État de droit» 
			(56) 
			Résolution 2379 (2021)..
36. Le projet de loi sur l’immigration illégale est la troisième occasion depuis l'entrée en vigueur de la LDH qu'un ministre fait une «déclaration au titre de l'alinéa 19(1)(b)» selon laquelle il n’est pas «en mesure» de déclarer que les dispositions du projet de loi sont compatibles avec les droits garantis par la Convention 
			(57) 
			Les occasions précédentes
étaient: 1) une reprise de l'article 28 de la loi de 1988 sur le
gouvernement local qui interdisait la promotion de l'homosexualité
et qui a été abrogée peu de temps après; et 2) la loi de 2003 sur
les communications, en raison de la compatibilité incertaine de
l'interdiction de la publicité politique par le Royaume-Uni avec l'article
10. Cette disposition a ensuite été jugée compatible avec les droits
de la Convention dans l'affaire Animal Defenders
International c. Royaume-Uni.. Le gouvernement a expliqué que cela ne signifie pas que les dispositions du projet de loi sont incompatibles avec les droits consacrés dans la Convention, mais qu'il y a plus de 50 % de chances qu'elles le soient 
			(58) 
			Pour plus d'informations
sur ce qui a été dit à propos de la déclaration faite au titre de
l’alinéa 19(1)(b), voir <a href='https://researchbriefings.files.parliament.uk/documents/CBP-9747/CBP-9747.pdf'>l’exposé</a> de la bibliothèque de la Chambre des Communes sur le
projet de loi sur l'immigration illégale 2022-23, chapitre 7.2.
[en anglais uniquement]. Fait important et inhabituel, cette déclaration faite au titre de l'alinéa 19(1)(b) ne vise pas seulement une question complexe ou problématique. Les mémorandums sur la Convention européenne des droits de l'homme élaborés par le ministère de l'Intérieur indiquent clairement qu'un certain nombre de dispositions du projet de loi sur l’immigration illégale ont empêché le gouvernement d'affirmer que le projet de loi est conforme aux obligations du Royaume-Uni découlant de la Convention. D'importantes questions ont été soulevées quant à la compatibilité avec un certain nombre de droits énoncés dans la Convention, ce qui montre une tendance accrue au sein du Gouvernement britannique à ne pas se conformer à l'État de droit. Le projet de loi est passé de la Chambre des communes à la Chambre des lords le 27 avril 2023, à la suite d'un certain nombre d'amendements. C'est sur cette version du projet de loi que sont fondées les considérations que je présente ci-après 
			(59) 
			Pour obtenir les dernières
informations et le texte du projet de loi, voir <a href='https://bills.parliament.uk/bills/3429'>ici</a>. Deux améliorations ont été apportées au projet de loi
depuis sa présentation à la Chambre des communes: i) la suppression
de la disposition qui aurait permis la détention et le renvoi de
personnes du Royaume-Uni au motif que des membres de leur famille
étaient entrés au Royaume-Uni sans l'autorisation requise, ce qui
aurait soulevé des préoccupations évidentes du point de vue de l'équité, du
droit des réfugiés et des droits humains; et ii) l'obligation de
fournir un rapport sur les itinéraires «sûrs et légaux» d'entrée
au Royaume-Uni et l'accès à la protection. D'autres dispositions
soulèvent toutefois des inquiétudes..
37. Les mémorandums sur la Convention européenne des droits de l'homme élaborés par le Gouvernement britannique présentent une analyse de la compatibilité du projet de loi sur l’immigration illégale avec les normes internationales en matière de droits humains 
			(60) 
			<a href='https://www.bing.com/ck/a?!&&p=b1e0e0d62f9f4097JmltdHM9MTY3OTI3MDQwMCZpZ3VpZD0yMDI5NWE4OS1iMTQzLTYyODUtMGUwMS00ODM3YjBmYTYzNmQmaW5zaWQ9NTE4OQ&ptn=3&hsh=3&fclid=20295a89-b143-6285-0e01-4837b0fa636d&psq=Illegal+Migration+Bill+ECHR+Memorandum&u=a1aHR0cHM6Ly9hc3NldHMucHVibGlzaGluZy5zZXJ2aWNlLmdvdi51ay9nb3Zlcm5tZW50L3VwbG9hZHMvc3lzdGVtL3VwbG9hZHMvYXR0YWNobWVudF9kYXRhL2ZpbGUvMTE0MDk3Ny9FQ0hSX21lbW9fSWxsZWdhbF9NaWdyYXRpb25fQmlsbF9GSU5BTC5wZGY&ntb=1'>Mémorandum</a> et <a href='https://publications.parliament.uk/pa/bills/cbill/58-03/0284/SuppECHRmemo.pdf'>mémorandum</a> additionnel sur la Convention européenne des droits
de l’homme; il s’agit de documents dans lesquels le gouvernement
effectue une analyse de la compatibilité avec les droits humains
pour expliquer sa déclaration au titre de l'article 19 de la LDH.
[en anglais uniquement]. Le gouvernement considère que les droits à la vie (article 2), l'interdiction des traitements inhumains ou dégradants (article 3), l'interdiction de l'esclavage (article 4), le droit à la liberté et à la sûreté (article 5), le droit à un procès équitable (article 6), le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8), le droit à un recours effectif (article 13), l'interdiction de la discrimination (article 14) et le droit à l'éducation (article 2 du protocole additionnel à la Convention (STE no 9)) sont pertinents pour l'analyse du projet de loi. Le fait que le Gouvernement britannique soumette une analyse de ses projets de loi au parlement est une pratique à saluer. Elle aide à débattre en connaissance de cause de la conformité de la législation proposée aux obligations internationales qui incombent au Royaume-Uni, et en particulier à ses obligations en matière de droits humains, notamment celles qui découlent de la Convention européenne des droits de l'homme. Les États du Conseil de l'Europe pourraient être encouragés à appliquer cette bonne pratique nationale. Toutefois, je réitère les commentaires formulés aux paragraphes 28 et 29 selon lesquels une réflexion plus approfondie pourrait être menée, dans le cadre du système constitutionnel britannique, afin de savoir si ce mécanisme pourrait être encore amélioré pour garantir l’indépendance et la transparence de ces évaluations, en particulier à la lumière de l’absence de tout autre contrôle de la «constitutionnalité» ou de «l’État de droit» au sein du système constitutionnel du Royaume-Uni.

5.1. Renvoi

38. La loi créerait l'obligation de prendre des dispositions pour expulser les personnes qui entrent au Royaume-Uni sans l'autorisation requise et qui ne sont pas «venues directement» d'un territoire où leur vie ou leur liberté était menacée (ce qui exclut les personnes qui ont transité par un pays sûr ou qui s'y sont arrêtées 
			(61) 
			Article
2 du projet de loi sur l’immigration illégale, qui comprend des
dispositions spécifiques relatives à l'éloignement des enfants non
accompagnés.). Ces personnes seraient renvoyées «dès que cela est raisonnablement possible», soit vers leur pays d'origine, soit vers le pays d'où elles sont arrivées, soit vers un pays où elles seront admises, à condition qu'il s'agisse d'un pays considéré comme sûr en général 
			(62) 
			Article 5 du projet
de loi sur l’immigration illégale, tel qu'interprété au regard de
l'annexe 1.. Il n'y aurait donc pas d'évaluation individualisée permettant de déterminer si l'expulsion vers ce pays est sans danger pour la personne concernée, ce qui fait craindre une violation des droits humains et du droit des réfugiés dans des cas individuels 
			(63) 
			Voir
les préoccupations exprimées dans les <a href='https://www.unhcr.org/uk/media/unhcr-legal-observations-illegal-migration-bill-02-may-2023'>observations</a> juridiques du HCR sur le projet de loi relatif à la
migration illégale, paragraphe 15. En particulier, l'article 32
de la Convention relative au statut des réfugiés interdit l'expulsion
des réfugiés qui se trouvent légalement sur le territoire d'un État,
et l'article 33 interdit le retour ou l'expulsion d'un réfugié (refoulement)
vers un territoire où «sa vie ou sa liberté seraient menacées» en
raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son groupe
social ou de ses opinions politiques.. À cet égard, je rappelle la résolution et la recommandation adoptées par l’Assemblée parlementaire en octobre 2022 sur des pays sûrs pour les demandeurs d’asile, dans lesquelles l’Assemblée soulignait qu'«aucune présomption absolue de sûreté ne peut être établie» et encourageait l’élaboration de règles de procédure au niveau du Conseil de l’Europe afin que les demandeurs d’asile aient une possibilité équitable de réfuter la présomption de sûreté» 
			(64) 
			Recommandation 2238 (2022) et Résolution
2461 (2022)..
39. Cette obligation d'éloignement dans le projet de loi s'applique indépendamment de toute demande d'asile, de toute allégation de violation des droits humains, ou d'esclavage ou de traite des êtres humains 
			(65) 
			Articles
4(1) et 21 du projet de loi sur l’immigration illégale.. Outre les préoccupations relatives aux préjudices graves qu'une personne peut subir à son retour ou à l’impact sur les victimes de l'esclavage ou de la traite des êtres humains, la compatibilité de cette disposition avec le droit de demander l'asile au titre de la Convention relative au statut des réfugiés 
			(66) 
			Voir,
par exemple, les<a href='https://www.unhcr.org/uk/media/unhcr-legal-observations-illegal-migration-bill-02-may-2023'> observations</a> juridiques du HCR sur le projet de loi sur la migration
illégale. [en anglais] et le droit relatif aux droits humains suscite des inquiétudes solidement étayées.

5.2. Demandes et recours à effet suspensif et non suspensif

40. La loi limiterait la possibilité (et les délais) de faire appel d'un renvoi vers un pays tiers sûr, et rendrait la plupart des recours non suspensifs (c'est-à-dire qu'une personne pourrait être renvoyée dans l'attente de l'issue de son recours). Cela pourrait soulever des préoccupations quant à la compatibilité de ces dispositions avec les droits humains, y compris le droit à un recours effectif en vertu de l’article 13 de la Convention.
41. Lorsqu'il existe un «risque réel, imminent et prévisible» de «préjudice grave et irréversible», une personne peut présenter un «recours suspensif pour préjudice grave» dans les huit jours à compter de la réception de son avis de renvoi. Cette disposition vise à garantir que les mesures d'éloignement ne contreviennent pas aux exigences de la Convention relative au statut des réfugiés, en particulier le principe de non-refoulement, et de la Convention européenne des droits de l'homme (en particulier les articles 2 et 3), et le critère a pour but de tenir compte du seuil appliqué par la Cour européenne des droits de l'homme pour l'octroi de mesures provisoires 
			(67) 
			Home
Office, <a href='https://publications.parliament.uk/pa/bills/cbill/58-03/0262/ECHR memo Illegal Migration Bill FINAL.pdf'>Mémorandum</a> sur la Convention européenne des droits de l’homme,
paragraphe 63. Il semble que la similitude avec le critère des mesures
provisoires vise à éviter d'éventuels conflits, notamment lorsqu’une
personne pourrait bénéficier de mesures provisoires contre l’éloignement;
cependant, ce lien est expressément uniquement établi dans l'exposé
des motifs, et non dans le libellé du projet de loi.. Cependant, on craint que cela ne soit pas compatible avec les exigences du droit relatif aux droits humains, par exemple en ce qui concerne un risque réel de préjudice grave et irréversible pour la santé d’une personne. 
			(68) 
			Comparez
l’article 38 du projet de loi avec la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l'homme dans l’affaire Paposhvili
c. Belgique [GC], 2016, indiquant les circonstances dans
lesquelles l’éloignement violerait l’article 3 de la Convention
en raison de l’absence d’une certaine norme de soins de santé disponibles
dans le pays d’éloignement. Une personne peut également présenter un «recours suspensif factuel» contre l'éloignement, en faisant valoir qu'une erreur factuelle a été commise lorsqu'il a été décidé qu’elle remplissait les conditions d'éloignement.
42. Le délai normal dont dispose le secrétaire d'État pour statuer sur ces demandes est de quatre jours; si elle obtient gain de cause, la personne ne sera pas renvoyée 
			(69) 
			Articles 37-42 du projet
de loi sur l’immigration illégale.. Il est possible de faire appel devant la juridiction supérieure d'une décision portant sur le caractère suspensif du recours (ce qui impose d’obtenir l'autorisation de faire appel dans une procédure dont la nature «manifestement infondée» est avérée) – cet appel devrait prendre au total moins de 30 jours 
			(70) 
			Articles
43-49 du projet de loi sur l’immigration illégale. Il est également
prévu d'interjeter appel devant la juridiction supérieure pour déterminer
si une demande est manifestement infondée, si elle est tardive et
si elle porte sur de nouvelles questions. Les recours sont formés
devant la Commission spéciale des recours en matière d'immigration
dans les cas où le Secrétaire d'État certifie que les informations
invoquées ne devraient pas être rendues publiques pour des raisons
de sécurité nationale, de relations internationales ou d'intérêt
public (article 51).. Il existe des obstacles procéduraux à la présentation de nouveaux arguments, informations ou éléments de preuve au cours des différentes étapes de l'appel, sauf s’il existe des «motifs impérieux» justifiant un tel retard dans la présentation de nouveaux arguments. Une personne ne peut pas être éloignée pendant les périodes durant lesquelles la demande de recours suspensif est examinée ou peut être contestée 
			(71) 
			Article 46 du projet
de loi sur l’immigration illégale.. Il est à craindre que la suppression de certains niveaux de recours (par exemple le contrôle juridictionnel) soit incompatible avec l'article 13 de la Convention 
			(72) 
			Home
Office, <a href='https://publications.parliament.uk/pa/bills/cbill/58-03/0262/ECHR memo Illegal Migration Bill FINAL.pdf'>Mémorandum</a> sur la Convention européenne des droits de l’homme,
paragraphe 65..

5.3. Restrictions des droits des victimes de l'esclavage moderne et de la traite des êtres humains

43. L'obligation d'éloignement s'applique indépendamment du fait que la personne soit ou non une victime de l'esclavage moderne ou de la traite des êtres humains 
			(73) 
			Article 21 du projet
de loi sur l’immigration illégale.. Le projet de loi restreint également l'assistance et le soutien dont pourraient bénéficier les victimes de l'esclavage moderne ou de la traite des êtres humains. Toutefois, les dispositions limitant cette assistance et ce soutien comportent une «clause de caducité» qui indique qu'elles peuvent être conçues comme des mesures temporaires 
			(74) 
			Articles 22-25 du projet
de loi sur l’immigration illégale..
44. L'article 4 de la Convention (interdiction de l'esclavage et du travail forcé) s'applique à la traite des êtres humains 
			(75) 
			Voir S.M. c.
Croatie [GC], Court européenne des droits de l’homme. et exige des États i) qu'ils mettent en place un cadre législatif et administratif pour se assurer une protection contre les violations de l'article 4; ii) qu'ils prennent des mesures opérationnelles (par exemple pour protéger et soutenir les victimes et pour empêcher d’agir ceux qui cherchent à exploiter les victimes); et iii) qu'ils enquêtent sur les violations présumées de l'interdiction de l'esclavage. Des protections similaires sont prévues dans les dispositions détaillées de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. La loi risquerait d'enfreindre ces obligations de prendre des mesures pour protéger les victimes et d'enquêter sur les infractions commises. Comme la loi a pour objectif la détention et l’expulsion des victimes (potentiellement vers des lieux où elles pourraient être à nouveau victimes de la traite), il ne permet pas de leur accorder une protection réelle ni de prendre des mesures d’enquête et de sanction contre les trafiquants. Comme l’a déclaré le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), «s'il était adopté, le projet de loi irait à l'encontre des obligations du Royaume-Uni en vertu de la Convention contre la traite, en matière de prévention de la traite des êtres humains ainsi que pour l’identification et la protection des victimes de la traite, sans discrimination» 
			(76) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/portal/-/%C2%AB%C2%A0le-projet-de-loi-du-royaume-uni-sur-la-migration-ill%C3%A9gale-devrait-%C3%AAtre-r%C3%A9examin%C3%A9-afin-d-assurer-sa-conformit%C3%A9-avec-la-convention-contre-la-traite%C2%A0%C2%BB-d%C3%A9clare-le-greta'>Déclaration</a> du GRETA..
45. Le Gouvernement britannique affirme qu'il peut prendre cette mesure pour renvoyer les victimes de la traite des êtres humains et de l'esclavage moderne au motif qu'elles constituent une «menace pour l'ordre public, née des circonstances exceptionnelles liées à l'entrée illégale au Royaume-Uni» 
			(77) 
			Home Office, <a href='https://publications.parliament.uk/pa/bills/cbill/58-03/0262/ECHR memo Illegal Migration Bill FINAL.pdf'>Mémorandum</a> sur la Convention européenne des droits de l’homme,
paragraphe 45.. Le fait qu'une personne soit entrée au Royaume-Uni par le biais de la traite des êtres humains ne fait pas d'elle une menace pour l'ordre public. Par ailleurs, la mention de l‘«ordre public» se rapporte à l'article 13, paragraphe 3, de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, et non à la protection accordée aux victimes de l'esclavage et de la traite en vertu de l'article 4 de la Convention. Le Gouvernement britannique fait valoir que cette disposition est néanmoins compatible avec l'article 4 de la Convention dans la mesure où une personne ne doit pas être renvoyée si elle coopère à une enquête (même s’il faut des «circonstances impérieuses» pour qu'elle soit présente au Royaume-Uni pour que cette règle s’applique); une demande peut être suspensive si la personne est exposée à un «risque réel de préjudice grave et irréversible» et le gouvernement doit veiller à ce que les pays d'accueil puissent enquêter sur les allégations de traite et apporter un soutien direct aux victimes 
			(78) 
			Home Office, <a href='https://publications.parliament.uk/pa/bills/cbill/58-03/0262/ECHR memo Illegal Migration Bill FINAL.pdf'>Mémorandum</a> sur la Convention européenne des droits de l’homme,
paragraphe 46.. En résumé, il n’est pas certain que, dans l’ensemble, les dispositions de la nouvelle loi assurent une protection adéquate des victimes de l'esclavage moderne ou de la traite des êtres humains, conformément aux obligations du Royaume-Uni en vertu de l'article 4 de la Convention et de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains.

5.4. Demandes d'asile irrecevables

46. Le projet de loi sur l’immigration illégale prévoit que les demandes de protection et de respect des droits humains qui émanent de personnes faisant l'objet d'une mesure d'expulsion et ne venant pas directement d'un territoire où elles sont menacées sont irrecevables, de même que les demandes déposées par les ressortissants de certains États membres du Conseil de l'Europe 
			(79) 
			Article 4(2)-(5) et
article 57 du projet de loi sur l’immigration illégale. Ce dernier
insère une disposition qui indique que 32 États membres du Conseil
de l'Europe sont des «États sûrs»; les demandes d'asile ou de respect
des droits humains déposées par leurs ressortissants seront irrecevables,
sauf «circonstances exceptionnelles» (telles qu'une dérogation à
la Convention européenne des droits de l'homme ou le déclenchement
du mécanisme de l'État de droit de l'UE en vertu de l'article 7
du traité sur l'Union européenne). Il convient de noter que le HCR
s'est déclaré préoccupé par le fait que l'Albanie figure sur cette
liste, en faisant remarquer que «certains groupes de ressortissants
albanais peuvent être menacés de persécution» – <a href='https://www.unhcr.org/uk/media/unhcr-legal-observations-illegal-migration-bill-02-may-2023'>Observations</a> juridiques du HCR sur le projet de loi sur la migration
illégale, paragraphe 17.. Comme l'a déclaré le HCR, cela «supprimerait pratiquement le droit de demander l'asile au Royaume-Uni» et priverait effectivement les réfugiés de la protection dont ils ont besoin, tout en risquant de les laisser dans l'incertitude si, en réalité, ils ne peuvent pas être expulsés du Royaume-Uni 
			(80) 
			<a href='https://www.unhcr.org/uk/media/unhcr-legal-observations-illegal-migration-bill-02-may-2023'>Observations</a> juridiques du HCR sur le projet de loi sur l'immigration
illégale, paragraphes 11, et 20-36..

5.5. Mesures provisoires et réparations provisoires

47. L’article 52 interdit à une juridiction nationale d'accorder une réparation provisoire qui empêcherait ou retarderait l'expulsion d'une personne du Royaume-Uni. L’article 53 prévoit que lorsque la Cour européenne des droits de l'homme indique des mesures provisoires liées à l'expulsion d'une personne du Royaume-Uni dans le cadre du projet de loi sur l’immigration illégale, un ministre peut décider (en tenant compte de toute question qu'il juge pertinente, y compris la procédure de mesure provisoire et son calendrier probable) de ne pas expulser cette personne. L'obligation d'expulser une personne ne s'applique pas tant que le ministre n'a pas décidé de prendre ou non une décision après indication des mesures provisoires [clause 53(9)]. À moins que le ministre n'écarte l'obligation d'éloignement, il est expressément interdit à l'exécutif et aux tribunaux de tenir compte de la mesure provisoire lorsqu'ils prennent des décisions relatives au renvoi de cette personne du Royaume-Uni. Comme nous l’avons précisé ci-dessus, la Cour européenne des droits de l'homme a clairement indiqué que le non-respect de mesures provisoires, notamment celles qui empêchent l'expulsion d'une personne lorsqu'elle court un risque réel de subir un préjudice grave, constitue en soi une violation des articles 1 et 34 de la Convention. L'article 52 risque donc clairement de mettre le Royaume-Uni en infraction avec les obligations que lui impose la Convention.
48. Dans une déclaration conjointe publiée le 26 avril 2023, George Katrougalos (Grèce, GUE), rapporteur sur la «Convention européenne des droits de l'homme et les constitutions nationales», et Constantinos Efstathiou (Chypre, SOC), rapporteur sur «La mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme», se sont inquiétés du fait que l'article 52, s'il était adopté, «inscrirait dans la loi une disposition qui envisage que le Gouvernement britannique viole délibérément son obligation internationale de se conformer aux mesures provisoires» 
			(81) 
			Voir la <a href='https://pace.coe.int/fr/news/9069/pace-rapporteurs-react-to-vote-on-uk-s-illegal-migration-bill'>Déclaration
commune</a>.. Ils ont jugé «très préoccupant de constater que ce projet de loi prévoit que le Royaume-Uni enfreindra le droit international, sapant ainsi l'État de droit. Si une telle disposition devient une loi, cela enverra un message négatif, non seulement au Royaume-Uni mais aussi au niveau international». Je soutiens pleinement leur déclaration et partage leurs préoccupations.
49. Certains commentateurs ont laissé entendre que les critères auxquels un ministre peut se référer pour déterminer s'il convient ou non de ne pas appliquer l'obligation d'éloignement à la suite de l'indication de mesures provisoires par la Cour européenne des droits de l'homme ressemblent à une initiative de «négociation par voie de législation» similaire aux préoccupations exprimées à propos de l’article relatif aux opérations militaires à l'étranger du projet de Charte des droits humains 
			(82) 
			Voir,
par exemple, Joshua Rozenberg, «<a href='https://rozenberg.substack.com/p/interim-measures'>Interim
measures</a>: Negotiation by legislation or legislation by negotiation?».. Si les États doivent être en mesure de coopérer concrètement avec les instances du Conseil de l'Europe pour améliorer les processus, la négociation par voie de législation est une approche qui ne semble pas favorable à l'État de droit et qui se dirige plutôt vers un conflit de normes. Le fait de légiférer unilatéralement d'une manière qui risquerait d’amener cet État à ne pas respecter ses obligations au titre de la Convention européenne des droits de l'homme n’est pas, semble-t-il, la meilleure méthode pour entamer un dialogue constructif et sincère sur ces questions. Cette façon de procéder n’apparaît pas non plus conforme aux obligations d'un État de mettre en œuvre de bonne foi ses obligations conventionnelles 
			(83) 
			Convention de Vienne
sur le droit des traités, voir par exemple l'article 31..

5.6. Détention

50. La loi prévoit la détention des personnes qui, «n’arrivant pas directement» d’un territoire où leur vie ou leur liberté était menacée, entrent au Royaume-Uni sans l'autorisation requise et qui pourraient donc faire l’objet d’un renvoi en vertu de la loi sur l’immigration illégale. La détention est prévue pour des périodes parfois longues dans l'attente de l'éloignement (ou d'une décision) 
			(84) 
			Article
11 du projet de loi sur l’immigration illégale.. Si les personnes concernées peuvent demander une libération sous caution au Secrétaire d'État, elles ne peuvent pas contester le refus qui leur est opposé devant les tribunaux pendant les 28 premiers jours de leur détention, sachant qu’elles peuvent toujours demander une ordonnance d'habeas corpus pour contester leur mise en détention 
			(85) 
			Article 12 du projet
de loi sur l’immigration illégale.. Il est important de noter dans ce contexte qu’on continue de s’inquiéter, au Royaume-Uni, de l’adéquation des conditions dans certains lieux de détention 
			(86) 
			Voir les préoccupations
concernant le centre de détention de Marston en 2022; les préoccupations
concernant la disparition de 404 enfants demandeurs d’asile non
accompagnés des logements du ministère de l’Intérieur en 2022, dont environ
la moitié sont toujours portés disparus [voir la <a href='https://questions-statements.parliament.uk/written-questions/detail/2023-01-24/hl5041'>question
parlementaire</a> à ce sujet]; ainsi que des préoccupations connexes telles
que la qualité des soins de santé disponibles dans de tels logements..
51. Ces pouvoirs de détention mettent clairement en jeu le droit à la liberté prévu à l’article 5 de la Convention et il est à craindre que la détention puisse ainsi être déterminée sans garanties procédurales suffisamment indépendantes. Si l'on peut espérer qu'un recours en habeas corpus permette aux tribunaux de contester la légalité de la détention, on peut se demander s’il ordonnera le moyen d'évaluer correctement la conformité de la mesure avec l'article 5. Il semble étonnant que l’habeas corpus, méthode de contestation de la détention illégale qui date du XIIe siècle, ait été choisie pour traiter ces affaires au détriment d’autres procédures plus modernes et plus adaptées qui permettent de contester les décisions de mise en liberté sous caution dans le cadre de l'immigration. Cette méthode devrait sans doute être «développée» par les tribunaux eu égard aux obligations que leur impose l'article 6 de la LDH d'agir dans le respect des droits garantis par la Convention afin de se conformer de manière adéquate aux obligations qui incombent au Royaume-Uni en vertu de l'article 5 de la Convention. En outre, compte tenu des difficultés prévisibles à trouver un pays vers lequel renvoyer les détenus, il existe un risque réel que de nombreuses personnes (y compris des enfants, des femmes enceintes et des adultes vulnérables) soient effectivement détenues pour une durée indéterminée. La compatibilité de ces dispositions avec le droit à la liberté protégé par l'article 5 de la Convention suscite donc de vives inquiétudes.
52. Il existe également des pouvoirs de perquisition et de saisie de documents électroniques qui concernent une personne détenue [articles 14, 60(2) et annexe 2]. On peut se demander si leur utilisation relève de l'une des justifications prévues à l'article 8, paragraphe 2, de la Convention 
			(87) 
			Voir
Home Office,<a href='https://publications.parliament.uk/pa/bills/cbill/58-03/0284/SuppECHRmemo.pdf'> Mémorandum
additionnel sur la Convention européenne des droits de l’homme, </a>paragraphes 31-45 et en particulier paragraphes 37 et
40. [en anglais uniquement]. En effet, ces dispositions sont l'une des raisons pour lesquelles le ministre de l'Intérieur n'a pas été en mesure de déclarer que le projet de loi était compatible avec la Convention européenne des droits de l'homme (et en particulier au respect du droit à la vie privée (article 8 de la Convention) et le droit de jouir paisiblement de ses biens (article 1 du Protocole 1)).

5.7. Enfants

53. Plusieurs dispositions concernent spécifiquement les enfants 
			(88) 
			Articles
3, 10, 13 (voir l'explication au paragraphe 32 du mémorandum sur
la Convention européenne des droits de l’homme), 15-20, 55-56 du
projet de loi sur l’immigration illégale., notamment l'obligation de prendre des dispositions en vue de l'éloignement, qui est facultative (et non obligatoire) pour les mineurs non accompagnés (mais devient obligatoire à l’âge de 18 ans), et obligatoire pour les mineurs accompagnés. La détention perturbe les enfants et peut avoir de profondes répercussions négatives sur leur développement. Une réflexion poussée est nécessaire pour déterminer si le fait de placer un enfant en détention pour des raisons d’immigration permet de respecter les droits de l'enfant, tels que protégés par la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Le mémorandum du ministère de l'Intérieur sur la Convention européenne des droits de l'homme indique qu'un certain nombre de droits humains pourraient être mis en cause par la détention d'enfants (et de femmes enceintes), mais conclut que «les groupes familiaux seront détenus ensemble dans des locaux appropriés, les femmes enceintes et les mineurs non accompagnés seront détenus dans des locaux adéquats et des dispositions appropriées seront prises pour répondre aux besoins éducatifs et à tous les besoins de soutien pertinents».
54. La non-application de l'obligation de consulter le Comité indépendant sur le retour des familles pour les enfants qui font l'objet d'un renvoi dans le cadre de la loi est censée faciliter le renvoi rapide des enfants et de leurs familles, mais peut évidemment réduire les garanties procédurales et les protections prévues pour les enfants. Il existe également des dispositions relatives à l'hébergement et au soutien des enfants non accompagnés, ainsi que des dispositions relatives à l'évaluation de leur âge.
55. Il convient de noter en particulier que le ministère de l'Intérieur déclare que le ministre n'a pas été «en mesure de faire une déclaration» de compatibilité avec la Convention européenne des droits de l'homme à propos de l'article 55 (qui limite les recours contre la décision relative à l’évaluation de l'âge des personnes soumises à l'expulsion) parce qu’il risque de ne pas être compatible avec l'article 6 de la Convention, même si le gouvernement «est convaincu que la disposition est susceptible d'être appliquée de manière compatible avec l'article 6 de la Convention 
			(89) 
			Home
Office, <a href='https://publications.parliament.uk/pa/bills/cbill/58-03/0262/ECHR memo Illegal Migration Bill FINAL.pdf'>Mémorandum</a> sur la Convention européenne des droits de l’homme,
paragraphe 24.». La compatibilité de cette disposition avec le droit à un recours effectif prévu à l'article 13 de la Convention semble susciter des préoccupations similaires.
56. En droit britannique, l'article 55 de la loi de 2009 sur les frontières, la citoyenneté et l'immigration exige que toute fonction gouvernementale concernée par l'immigration, l'asile ou la nationalité soit exercée «en tenant compte de la nécessité de sauvegarder et de promouvoir le bien-être des enfants qui se trouvent au Royaume-Uni». Cela devrait contribuer à garantir que l'intérêt supérieur de l'enfant soit une considération primordiale dans toutes les décisions gouvernementales qui concernent les enfants (comme l'exige l'article 3 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant). Toutefois, compte tenu de certaines exigences, par exemple en matière de détention ou d’éloignement d'enfants, un examen plus approfondi peut être nécessaire pour garantir que le bien-être des enfants est effectivement protégé de manière satisfaisante lorsqu'il s'agit d'enfants migrants.
57. Assurer le respect des droits des enfants migrants a été une préoccupation pour l’Assemblée 
			(90) 
			L’Assemblée a examiné
la protection des droits des enfants migrants et réfugiés dans la Résolution 2354 (2020) et la Recommandation
2190 (2020) «Une tutelle efficace pour les enfants migrants non
accompagnés et séparés», ainsi que dans la Résolution 2195 (2017) et la Recommandation
2117 (2017) «Enfants migrants non accompagnés: pour une détermination
de l’âge adaptée à l’enfant».. Plus récemment, l’Assemblée, dans sa Résolution 2449 (2022) «Protection et prise en charge des enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ou séparés», a appelé les États membres «à répondre correctement aux besoins des enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ou séparés, en leur apportant une aide qui préserve l'unité familiale et qui leur permette de rester auprès de parents ou d'autres personnes qui s'occupent d'eux. À cette fin, les États membres devraient adopter, à titre de mesures provisoires, des solutions de prise en charge qui dureront jusqu’à ce que les enfants puissent être réunis avec les membres de leur famille» 
			(91) 
			Résolution 2449 (2022). L’Assemblée réaffirme que, dans les cas où le retour
de l’enfant dans sa famille n’est pas possible, les États membres
devraient concevoir et mettre en œuvre diverses solutions de prise
en charge adaptées et de qualité, qui répondent aux besoins spécifiques
et individuels des enfants migrants ou réfugiés non accompagnés
ou séparés. Rappelant les Lignes directrices des Nations Unies relatives
à la protection de remplacement pour les enfants, l’Assemblée exhorte
les États membres à proposer les modèles suivants en la matière:
la prise en charge par des proches, dispositif dans lequel l’enfant
vit avec un adulte qui fait partie de sa famille élargie; le placement
en famille d’accueil, dispositif dans lequel l’enfant est confié
formellement à des adultes compétents qui assument la fonction de parents
d’accueil; les centres d’accueil d’urgence et de transit, dispositifs
utilisés dans des circonstances exceptionnelles, le temps d’examiner
et de régler la situation qui est à l’origine de la séparation familiale.
Si des mineurs sont placés dans des centres d’accueil d’urgence
et de transit, ils ne devraient pas être placés avec des adultes..

5.8. Les restrictions à l'entrée, au séjour et à l'obtention de la nationalité

58. La loi interdirait définitivement aux personnes qui entrent au Royaume-Uni sans l’autorisation requise «n’arrivant pas directement» d’un territoire où leur vie ou leur liberté était menacée, de revenir légalement au Royaume-Uni, d'obtenir l'autorisation d’y rester ou de s'y installer, ou d'obtenir la nationalité par la naturalisation ou l'enregistrement 
			(92) 
			Articles 29-36 du projet
de loi sur l’immigration illégale.. Ces dispositions sont assorties de réserves relatives au respect des obligations découlant de la Convention européenne des droits de l'homme.

5.9. Des itinéraires sûrs et légaux

59. Le ministre de l'Intérieur est tenu de publier un rapport sur les itinéraires sûrs et légaux par lesquels des personnes peuvent entrer au Royaume-Uni et doit fixer un nombre annuel de personnes qui pourront s’y installer après avoir emprunté des itinéraires sûrs et légaux 
			(93) 
			Articles 58-59 du projet
de loi sur l’immigration illégale.. À cet égard, il est important de noter que, selon le HCR, «en réalité, pour la plupart des demandeurs d'asile, il n'existe pas d’itinéraires sûrs et légaux pour entrer au Royaume-Uni» et que «aucune disposition de la loi ne propose la création de tels itinéraires 
			(94) 
			<a href='https://www.unhcr.org/uk/media/unhcr-legal-observations-illegal-migration-bill-02-may-2023'>Observations</a> juridiques du HCR sur le projet de loi sur l'immigration
illégale, au paragraphe 8 [en anglais].». Étant donné que le gouvernement condamne les réfugiés qui arrivent au Royaume-Uni par des moyens irréguliers, il conviendrait peut-être de réfléchir davantage à la possibilité d'offrir à ces personnes des itinéraires sûrs et légaux. Les Gouvernements français et britannique devraient notamment examiner attentivement les raisons pour lesquelles des personnes risquent leur vie en traversant la Manche depuis la France, ainsi que les mécanismes améliorés qui pourraient être mis en place, tant en France qu'au Royaume-Uni, pour protéger les réfugiés confrontés à de tels dilemmes.

5.10. Terminologie

60. Les réfugiés disposent rarement d'itinéraires sûrs et légaux pour quitter le pays où ils sont persécutés. C'est pour cette raison que la Convention relative au statut des réfugiés prévoit que les réfugiés ne devraient pas être pénalisés «du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers» lorsqu'ils arrivent «directement d'un territoire où leur vie ou leur liberté était menacée», «sous la réserve qu'ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières» [article 31 de la Convention sur les réfugiés]. Cependant, la loi mentionne une «immigration illégale» et le mémorandum sur la Convention européenne des droits de l'homme évoque une «délinquance liée à l'immigration». S'il est normal que les États veuillent contrôler leurs frontières, il est parfaitement inutile de faire l'amalgame entre les migrants et les réfugiés, d'une part, et les délinquants, d'autre part. Les migrants et les réfugiés peuvent se trouver dans une situation irrégulière pour les documents d'immigration, mais cela ne fait pas d'eux des délinquants. Confondre le statut d'immigrant avec la délinquance risque de conduire à la déshumanisation de certaines des personnes les plus vulnérables de la société. Les réfugiés méritent d'être traités avec humanité. Les États et les acteurs publics devraient s'abstenir d'utiliser une terminologie qui associe le sort des réfugiés à la délinquance.

6. Conclusions

61. Il se peut que certaines dispositions du projet de Charte des droits humains n'aient jamais force de loi et que d'autres soient interprétées par les tribunaux d'une manière qui ne soit pas aussi préjudiciable aux droits humains qu’on puisse le craindre. Mais la teneur générale de certaines de ces récentes propositions de réforme est préoccupante, en particulier l'apparente volonté d'aller à l'encontre des obligations juridiques internationales du Royaume-Uni. Comme l'a indiqué la baronne Hale, «c'est pour le moins surprenant dans un pays qui a toujours été fier de défendre l'ordre juridique international».
62. Il est essentiel de reconnaître l’importance centrale des principes de subsidiarité et de la marge d’appréciation dans la manière dont les États membres choisissent de donner effet à leurs obligations en leur qualité de Parties à la Convention européenne des droits de l'homme, ainsi que de reconnaître les différences que présentent les ordres juridiques constitutionnels des États membres du Conseil de l’Europe. Néanmoins, tous les États auraient grand intérêt à mieux connaître leurs systèmes respectifs visant à donner effet aux droits humains protégés par la Convention européenne des droits de l'homme.
63. Le système mis en place par le Royaume-Uni en vertu de la LDH pour donner effet aux droits humains protégés par la Convention européenne des droits de l'homme est manifestement efficace, étant donné que la grande majorité des préoccupations relatives aux droits humains sont traitées de manière adéquate au niveau national, avec tous les avantages d’une meilleure compréhension des lois, des pratiques et des sensibilités nationales qu’implique le traitement au niveau national. En conséquence, le Royaume-Uni affiche l’un des plus faibles nombres de violations de la Convention européenne des droits de l'homme constatées par la Cour européenne des droits de l'homme, rapporté au nombre d’habitants. Les éléments de la LDH particulièrement pertinents pour obtenir ce résultat concernent la relation entre la jurisprudence nationale et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme; l’obligation pour les pouvoirs publics d’agir de manière compatible avec les droits consacrés par la Convention européenne des droits de l'homme; et l’obligation d’interpréter la législation, dans la mesure du possible, de manière compatible avec les droits consacrés par la Convention européenne des droits de l'homme. Bien qu’il n’existe pas d’obligation juridique qui impose au Royaume-Uni de conserver cette méthode pour donner effet aux droits humains, il serait regrettable de perdre un système qui fonctionne manifestement si bien, comme modèle pour d’autres pays également d’application effective des droits humains au niveau national (plutôt qu’international). On peut se demander quel précédent cela crée au niveau international en matière de respect des droits humains et de l'État de droit, y compris le respect du droit international.
64. À cet égard, je me félicite du processus de participation des parlementaires à l'analyse des droits humains au Royaume-Uni, notamment grâce aux informations fournies au parlement par le gouvernement et à l'analyse des droits humains effectuée par la commission des droits de l'homme du Parlement britannique. Une telle approche pourrait être une source d'inspiration pour d'autres pays lorsqu'ils évaluent la conformité de leur législation nationale avec les normes internationales en matière de droits humains lors de son adoption par leur parlement. Je proposerais toutefois de réfléchir davantage, y compris au Royaume-Uni, sur les moyens d’assurer que les évaluations initiales fournies au Parlement soient suffisamment indépendantes et transparentes et à la mise en place de méthodes plus structurées, en vue de garantir que ce travail utile d'examen de la compatibilité des projets de loi avec le droit international des droits humains garantis par le droit international soit pleinement pris en compte au cours des débats parlementaires. Cette méthode pourrait contribuer à améliorer le respect de l'État de droit, qui suppose nécessairement le respect du droit international.
65. Certains articles du projet de Charte des droits humains seraient particulièrement préoccupants s’ils entraient en vigueur et devraient faire l'objet d'une attention particulière, notamment i) la compatibilité de l’article 5 et le respect des obligations positives; ii) la compatibilité et les motifs de l’article 14 relatif aux opérations militaires à l'étranger; et iii) les motifs et l'impact prévu de l’article 24 relatif aux mesures provisoires. Plus généralement, cependant, le projet de Charte des droits humains risque de créer une période d'instabilité et d'incertitude juridiques pendant laquelle les juridictions nationales devront interpréter et appliquer les nouvelles dispositions, ce qui risque d'entraver l'application effective des droits humains.
66. Au cours de ce travail, j'ai également été frappé par le manque apparent de compréhension de la valeur intrinsèque de principes fondamentaux tels que État de droit, institutions démocratiques solides et garanties efficaces de protection des droits humains. Cette lacune semble être associée à l’importante vague de désinformation qui vise les droits humains et l'État de droit.
67. Il conviendrait donc de redoubler d’efforts pour intégrer l’éducation aux droits humains, notamment en élaborant des initiatives d’éducation et de formation sur les droits humains et l’État de droit afin de promouvoir une culture qui comprenne et respecte le rôle important que jouent l’État de droit et les droits humains dans une démocratie saine. Cela devrait inclure des outils améliorés permettant de mieux expliquer ce que la Convention européenne des droits de l'homme et la LDH ont permis de réaliser jusqu’à présent, y compris pour le Royaume-Uni, et la manière dont ces réalisations peuvent être préservées et développées au mieux.
68. En particulier, j’estime que les États membres et le Conseil de l’Europe pourraient faire davantage pour veiller à ce que des processus adéquats soient en place pour corriger les malentendus ou la mésinformation concernant l’État de droit et l’impact du système de la Convention européenne des droits de l’homme; et utiliser les informations disponibles sur le fonctionnement du système de la Convention européenne des droits de l'homme.
69. À cet égard, je salue des initiatives telles que le travail visant à mettre en évidence l’impact du système de la Convention européenne des droits de l'homme et j’encourage une plus grande utilisation de ces supports de communication. J’encourage également la poursuite de la réflexion sur la meilleure façon de renforcer le travail de communication en ce qui concerne le rôle de la Cour européenne des droits de l’homme et la mise en œuvre de ses arrêts.
70. Quant au projet de loi sur l'immigration illégale, il suscite clairement de nombreuses préoccupations au sujet de sa compatibilité avec le droit international, notamment la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, la Convention européenne des droits de l'homme, la Convention sur l'apatridie et la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. Dans ce rapport, je n’ai pas examiné les détails du projet de loi – les questions de migration sont traitées plus en détail par la commission des migrants, des réfugiés et des personnes déplacées et, de plus, les détails du projet de loi relèvent nécessairement de la compétence des autorités britanniques. Cependant, il existe manifestement des préoccupations importantes, exprimées notamment par le HCR: ce projet de loi conduirait le Royaume-Uni à ne pas respecter ses obligations internationales. À ce sujet, il convient de souligner que la crise des réfugiés représente une question de portée internationale, qui pourrait sans doute être résolue plus efficacement par des méthodes internationales de règlement des problèmes communs. Les tentatives unilatérales de légiférer pour se soustraire à des obligations internationales contraignantes ont peu de chances de faire progresser la paix et la coopération internationales, ainsi que la protection des personnes les plus vulnérables dans le monde. À cet égard, il est important de rappeler que le droit international fait partie de l'État de droit et que nous devons tous nous efforcer de l'apprécier et de l'aborder en toute bonne foi. Si ce rapport est surtout consacré à la législation britannique, les points d’ordre général que j'y ai soulevés sont, je l'espère, tout aussi pertinents pour tous les États qui cherchent à trouver le meilleur moyen de protéger les droits humains.