Rapport | Doc. 15795 | 20 juin 2023
Guerre d’agression contre l’Ukraine – Participation des athlètes russes et bélarussiens aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024?
Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias
Résumé
Toutes les institutions et organisations qui prétendent sincèrement défendre les droits fondamentaux et les valeurs démocratiques doivent soutenir l’Ukraine sans réserve, doute ou hésitation. Les pays doivent montrer l’exemple, mais tous les acteurs de la société mondiale ont un rôle à jouer. Cela s’applique à la communauté sportive et au Mouvement olympique, dont le rôle est essentiel et dont les décisions ont une immense résonance et de profondes répercussions à l’échelle mondiale.
Pour la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, la participation des athlètes russes et bélarussiens aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris dans le contexte actuel est inconcevable: cette participation serait certainement utilisée comme outil de propagande et elle empêcherait de facto d’autres athlètes, notamment les athlètes ukrainiens, d’y participer. Les efforts du Comité International Olympique (CIO) pour définir un ensemble de critères acceptables permettant la participation des athlètes russes et bélarussiens en tant que concurrents neutres et individuels ne peuvent pas fournir les garanties nécessaires et ne constitueront pas une réponse digne des valeurs de dignité humaine et de paix consacrées par la Charte olympique.
Surtout, les arguments en faveur de la participation des athlètes russes et bélarussiens, fondés sur la neutralité, l’indépendance du mouvement sportif et la non-discrimination, ne résistent pas face à l'impératif de condamner et de rejeter les atrocités commises et de démontrer le soutien total et indéfectible de la communauté internationale à l’Ukraine tandis que l'offensive se poursuit.
En conséquence, les représentants nationaux du CIO et les fédérations sportives nationales et internationales devraient exprimer leur opposition à la proposition du CIO d'autoriser les athlètes russes et bélarussiens à participer aux prochains Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Le CIO devrait maintenir la position exprimée en 2022 et interdire la participation des athlètes russes et bélarussiens aux Jeux olympiques et paralympiques et à toutes les autres grandes manifestations sportives tant que la guerre d'agression se poursuivra.
A. Projet de résolution
(open)B. Exposé des motifs par Mme Linda Hofstad Helleland, rapporteure
(open)1. Introduction
- L’interdiction pesant sur les athlètes russes et bélarussiens constitue-t-elle une violation de leurs droits fondamentaux?
- Cette interdiction est-elle cohérente avec les valeurs olympiques?
- Un appel de l’Assemblée au CIO à maintenir l’interdiction serait-il contraire au principe d’autonomie du sport?
- Un tel appel, ainsi que les déclarations de la plupart des États membres du Conseil de l’Europe qui ont exprimé des réserves concernant le retrait de l’interdiction serait-il incohérent ou autocentré, sachant que d’autres conflits n’ont pas provoqué les mêmes réactions de leur part?
2. L’interdiction constitue-t-elle une violation des droits fondamentaux des athlètes russes et bélarussiens?
- Le CIO et ses membres doivent respecter les droits humains.
- Le sport est l'une des nombreuses pratiques culturelles par lesquelles les personnes se développent et s'expriment, apprennent des autres et appartiennent à une communauté, et le droit de participer à la vie culturelle, qui est protégé par le droit international, inclut le droit de participer aux sports.
- La non-discrimination constitue un principe fondamental et général relatif à la protection des droits humains, et les droits humains doivent être exercés sans discrimination d’aucune sorte, notamment fondée sur la nationalité.
- Un traitement différencié fondé sur un des motifs interdits sera considéré comme discriminatoire, à moins que la justification de la différenciation ne soit raisonnable et objective. Cela comprendra une évaluation visant à déterminer si le but et les effets des mesures ou omissions sont légitimes, compatibles avec les normes des droits humains et visent uniquement à promouvoir le bien-être général dans une société démocratique. En outre, un rapport clair et raisonnable de proportionnalité doit exister entre le but recherché et les mesures ou omissions et leurs effets .
1. Les athlètes possédant un passeport russe ou bélarussien ne peuvent concourir qu’en tant qu’athlètes individuels neutres.
2. La participation d’équipes dont les athlètes sont munis d’un passeport russe ou bélarussien ne peut être envisagée.
3. Les athlètes qui soutiennent activement la guerre ne peuvent pas concourir. Le personnel d’encadrement qui soutient activement la guerre ne peut pas être inscrit aux compétitions.
4. Les athlètes qui sont sous contrat avec l’armée russe ou bélarussienne ou avec des agences de sécurité nationales ne peuvent pas concourir. Le personnel d’encadrement qui est sous contrat avec l’armée russe ou bélarussienne ou avec des agences de sécurité nationales ne peut pas être inscrit aux compétitions.
5. Tous les athlètes individuels neutres, à l’instar des autres concurrents en lice, doivent satisfaire à toutes les exigences en matière de lutte contre le dopage qui leur sont applicables et, plus particulièrement, à celles énoncées dans les règles antidopage des FI.
6. Les sanctions prises à l’encontre de ceux qui sont responsables de la guerre – les États et gouvernements russes et bélarussiens – doivent rester en place:a. Aucune manifestation sportive internationale ne doit être organisée ni soutenue par une FI ou un comité national olympique en Russie ou au Bélarus.b. Aucun drapeau, aucun hymne, aucune couleur ni aucune autre identification de quelque nature que ce soit de ces pays ne doivent être présents lors de rencontres ou de manifestations sportives, y compris sur le site même de ces événements.c. Aucun(e) représentant(e) des gouvernements ou des États russes et bélarussiens ne peut être invité(e) ni accrédité(e) à une rencontre ou une manifestation sportive internationale .
- en ce qui concerne la définition de la neutralité, car cette question ne peut être examinée uniquement sous l’angle de la position formelle de chaque individu à un moment donné (par exemple, qu’en est-il des athlètes qui ne sont pas sous contrat avec l’armée russe ou bélarussienne ou avec des agences de sécurité nationales lorsqu’ils s’inscrivent à une compétition, mais qui l’étaient au moment où la guerre a éclaté? De même, qu’en est-il des athlètes qui ont bénéficié durant leur carrière du soutien financier de l’État russe, grâce à des fonds publics versés par d’autres organismes publics? Et qu’en est-il des athlètes qui pourraient exprimer leur soutien à la guerre une fois les Jeux terminés ou participer à des cérémonies de célébration de la guerre par le régime?);
- en ce qui concerne la possibilité d’assurer leur mise en œuvre effective avant, pendant et après les Jeux de Paris, car comme nous ne le savons que trop bien, nous pouvons difficilement compter sur les autorités russes et bélarussiennes et sur leur coopération réelle à tout mécanisme de contrôle.
3. L’interdiction est-elle cohérente avec les valeurs olympiques?
- «Le but de l’Olympisme est de mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine» (Principes fondamentaux de l’Olympisme, paragraphe 2);
- «Le but du Mouvement olympique est de contribuer à la construction d’un monde meilleur et pacifique en éduquant la jeunesse par le biais d’une pratique sportive en accord avec l’Olympisme et ses valeurs» (article 1.1);
- Le rôle du CIO est notamment «de coopérer avec les organisations et les autorités publiques ou privées compétentes aux fins de mettre le sport au service de l’humanité et de promouvoir ainsi la paix» (article 2.4).
4. Un appel de l’Assemblée au CIO porterait-il atteinte à l’autonomie du sport?
5. La position de ceux qui demandent le maintien de l’interdiction actuelle est-elle incohérente ou autocentrée, sachant que d’autres conflits ne provoquent pas la même réaction de leur part?
6. Conclusions
Annexe – Document envoyé par la Rapporteuse spéciale des Nations Unies dans le domaine des droits culturels, Mme Alexandra Xanthaki: «Questions et Réponses sur la participation des athlètes russes et bélarussiens aux compétitions sportives (4 May 2023)»
(open)1. Quelle est la chronologie de l’engagement de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies avec la décision du Comité international olympique (CIO) concernant la participation des athlètes russes et bélarussiens aux compétitions sportives?
Le 14 septembre 2022, la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels, avec la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciales, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée ont envoyé une lettre au Comité international olympique (CIO) (AL OTH 90/2022) exprimant leur inquiétude quant à la recommandation de la commission exécutive du CIO du 28 février 2022 d'exclure tous les athlètes russes et bélarussiens des compétitions sportives.
Cette recommandation faisait suite à une déclaration de la commission exécutive du 25 février 2022, au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie et de la violation de la trêve olympique, recommandant à toutes les fédérations internationales de sport de:
- «déplacer ou d’annuler leurs manifestations sportives actuellement prévues en Russie ou au Bélarus» et
- «de ne pas déployer le drapeau national russe ou bélarussien et de ne pas jouer l’hymne russe ou bélarussien dans le cadre de manifestations sportives internationales».
Le 28 février 2022, le CIO recommandait aux fédérations internationales de sport et aux organisateurs d’événements sportifs
- «de ne pas inviter ni autoriser la participation d'athlètes et d'officiels russes et bélarussiens aux compétitions internationales”, et
- lorsque cela est impossible à court terme pour des raisons organisationnelles ou juridiques, «de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour qu'aucun(e) athlète ou officiel(le) sportif(ve) russe ou bélarussien(ne) ne soit autorisé(e) à concourir sous le nom de la Russie ou du Bélarus».
Dans leur lettre du 14 septembre 2022 au CIO, les deux Rapporteuses spéciales notaient que certaines des décisions prises par la commission exécutive – telles que le déplacement ou l’annulation des évènements prévus en Fédération de Russie ou au Bélarus ou la recommandation de ne pas déployer les drapeaux nationaux et de ne pas jouer les hymnes nationaux de la Fédération de Russie et du Bélarus dans le cadre des évènements sportifs internationaux – pouvaient être considérées comme légitimes, puisqu’elles visaient directement les Etats directement ou indirectement impliqués dans l’invasion de l’Ukraine. En revanche, la recommandation d’exclure les athlètes et les officiels russes ou bélarussiens des compétitions internationales sur la seule base de leur nationalité soulevait de sérieuses préoccupations au regard du principe de non-discrimination et du droit de participer à la vie culturelle.
En février 2022, le CIO a répondu aux inquiétudes des Rapporteuses spéciales, expliquant le dilemme auquel il était confronté – s’efforcer de protéger la mission du mouvement olympique en tant que force unificatrice mais ne voyant aucune autre solution que d’exclure les athlètes russes et bélarussiens – et exprimant sa volonté d’explorer des manières de le surmonter.
2. Pourquoi le Comité international Olympique et ses membres devraient-ils respecter les droits humains?
Le CIO est une organisation internationale indépendante à but non lucratif. En tant que chef de file du Mouvement olympique, le CIO agit comme un catalyseur de la collaboration entre toutes les parties prenantes olympiques, y compris les athlètes, les Comités nationaux olympiques, les Fédérations internationales, les Comités d'organisation des Jeux Olympiques, les Partenaires olympiques mondiaux et les partenaires de diffusion olympique. Il collabore également avec les autorités publiques et privées, y compris les Nations Unies et d'autres organisations internationales.
En septembre 2022, le CIO a affirmé dans son Cadre stratégique en matière de droits humains son engagement à respecter les droits humains dans le champ de son mandat, conformément aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme (2012). Pour répondre à ces attentes en pratique, le CIO s'est engagé à continuer d'exercer une diligence raisonnable en matière de droits humains: un processus continu de gestion des risques pour identifier, prévenir, atténuer et rendre compte de tout impact négatif sur les droits humains dans l'ensemble de ses activités pertinentes. L'interdiction de la discrimination directe est depuis longtemps considérée comme un principe de droit international si important qu'il s'applique horizontalement, à toutes les entités, publiques et privées.
3. Qu’ont les droits culturels à voir avec le sport?
La préoccupation de la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels concernant l'exclusion des athlètes russes et bélarussiens des manifestations sportives fait partie de sa préoccupation plus large concernant les exclusions inutiles et continues des Russes et des Bélarussiens de la participation à la vie culturelle. Les artistes ont également été exclus des événements culturels, festivals et autres plateformes en raison de leur nationalité et leur liberté artistique a été restreinte.
Le sport est l'une des nombreuses pratiques culturelles par lesquelles les personnes se développent et s'expriment, apprennent des autres et appartiennent à une communauté. Le droit de participer à la vie culturelle, qui est protégé par le droit international ainsi que par de nombreuses constitutions à travers le monde, inclut le droit de participer aux sports. Cela a été affirmé, entre autres, par le Comité des Nations Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels et par les précédentes titulaires de ce mandat.
Dans la lettre adressée au CIO, les expertes soulignent que, conformément au droit international des droits humains, chacun a le droit de participer à la vie culturelle. Ce droit est consacré à l'article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et à l'article 27, paragraphe 1, de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Des références aux droits culturels sont également incluses dans un grand nombre d'instruments relatifs aux droits humains.
Dans l'Observation générale n° 21 (2009), le Comité des droits économiques, sociaux et culturels observe que «la culture est un concept large et inclusif englobant toutes les manifestations de l'existence humaine» (par. 11), y compris, entre autres, «le sport et les jeux» (par. 13). Le Comité observe également que le droit de participer ou de prendre part à la vie culturelle comprend trois composantes principales interdépendantes: (a) la participation à, (b) l'accès à, et (c) la contribution àla vie culturelle. Le droit international des droits humains interdit toute discrimination dans l'exercice des droits culturels.
La Charte olympique reconnaît expressément, dans son Principe fondamental 4, que «la pratique du sport est un droit de l'homme» et prévoit que tout individu «doit avoir la possibilité de pratiquer le sport, sans discrimination d'aucune sorte».
4. Pourquoi la décision du CIO d'interdire les athlètes et officiels russes et bélarussiens des compétitions internationales est-elle discriminatoire et incompatible avec la responsabilité du CIO de respecter les droits humains?
La non-discrimination constitue un principe fondamental et général relatif à la protection des droits humains. Il est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans pratiquement tous les principaux traités relatifs aux droits humains, y compris le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 2, paragraphe 1) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (article 2, paragraphe 2).
Les droits humains doivent être exercés sans discrimination d’aucune sorte.
La «discrimination» constitue toute distinction, exclusion, restriction ou préférence ou autre traitement différentiel qui est directement ou indirectement fondé sur des motifs de discrimination interdits et qui a l'intention ou l'effet d'annuler ou d'entraver la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice égal des droits humains.
Un traitement différencié fondé sur un des motifs interdits sera considéré comme discriminatoire, à moins que la justification de la différenciation ne soit raisonnable et objective. Cela comprendra une évaluation visant à déterminer si le but et les effets des mesures ou omissions sont légitimes, compatibles avec les normes des droits humains et uniquement dans le but de promouvoir le bien-être général dans une société démocratique. En outre, un rapport clair et raisonnable de proportionnalité doit exister entre le but recherché et les mesures ou omissions et leurs effets.
5. Dans quelles circonstances le droit de participer à la vie culturelle, incluant le sport, peut-il être limité?
Le droit international autorise des limitations ou des restrictions à la plupart des droits humains, mais dans des conditions précises.
Les limitations au droit de participer à la vie culturelle, y compris sportive, doivent être déterminées par la loi, poursuivre un but légitime, être compatibles avec la nature du droit et être strictement nécessaires à la promotion du bien-être général dans une société démocratique. Toute limitation doit donc être proportionnée, c'est-à-dire que les mesures les moins restrictives doivent être prises lorsque plusieurs types de limitation peuvent être imposés,
Lorsque les restrictions s'accompagnent d'une violation du principe de non-discrimination, c'est-à-dire qu'elles ne s'appliquent qu'à certaines personnes, il existe une forte présomption d'incompatibilité avec le droit international et le test doit être plus strict.
6. Comment cela s’applique-t-il à l’exclusion des athlètes russes et bélarussiens aux compétitions sportives?
Une exclusion générale fondée uniquement sur la nationalité est la mesure la plus restrictive, et non la moins restrictive, comme l'exige le droit international des droits humains. Elle est disproportionnée au but qu'elle cherche à atteindre. Pour cette raison, elle est contraire au droit international des droits de l'homme, à la fois en tant que restriction des droits culturels et plus encore en tant que mesure créant une discrimination directe.
La Rapporteuse spéciale n'exclut pas la possibilité d'une série de mesures progressivement plus restrictives au cas par cas et si nécessaire, en fonction de l'évolution de la situation. Cependant, des mesures moins restrictives, telles que l'inclusion d'athlètes russes et bélarussiens, ou du moins de certains de ces athlètes, sous bannière neutre, doivent être adoptées en premier. Il importe notamment de privilégier les exclusions fondées sur des comportements individuels, quelle que soit la nationalité, plutôt que les interdictions collectives, pour lesquelles le seuil de nécessité est élevé. En outre, toute mesure doit avoir un effet clair sur l'objectif spécifique qu'elle vise à atteindre, tel que le maintien de la paix.
7. Est-ce que le droit international des droits humains permet des restrictions pour combattre les discours haineux et la propagande en faveur de la guerre?
Veiller à ce que les événements sportifs ne deviennent pas des plates-formes de propagande en faveur de la guerre est une préoccupation légitime. Les normes internationales relatives aux droits humains fournissent des orientations précises et claires.
Les athlètes faisant de la propagande en faveur de la guerre, quelle que soit leur nationalité, peuvent être exclus. Ce serait une restriction légitime des droits culturels. L'article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule que toute propagande en faveur de la guerre est interdite par la loi. Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence est interdit par la loi
Qui plus est, l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques autorise les restrictions à la liberté d'expression si elles sont prévues par la loi, nécessaires au respect des droits ou de la réputation d'autrui, ou pour la protection de la sécurité nationale ou de l'ordre public, ou de la santé ou de la morale publiques, et lorsqu’elles sont proportionnées pour atteindre ces objectifs. Ainsi, les athlètes s'engageant dans des discours qui ne constituent pas de la propagande en faveur de la guerre en tant que telle mais qui viole les droits d'autrui ou l'ordre public peuvent également voir leur liberté d’expression et leur participation restreintes.
En outre, en vertu de l'article 4 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, toute incitation à, ou acte de, discrimination raciale doivent être éradiqués.
Là encore, comme mentionné ci-dessus, les mesures les moins restrictives doivent être adoptées.
La Rapporteuse spéciale des Nations Unies est d'avis que la mise en œuvre efficace des dispositions ci-dessus peut grandement contribuer à répondre aux préoccupations à l'origine de l'exclusion générale des athlètes russes et bélarussiens. Combiné à l'interdiction de la Fédération de Russie et du Bélarus et au soutien actif aux athlètes ukrainiens, cet ensemble de mesures donnerait le bon message et garantirait que les droits humains l'emportent sur l'agression et l'illégalité.
8. Peut-on demander aux athlètes russes et bélarussiens de signer un formulaire exprimant leur désaccord avec la guerre en Ukraine?
Une distinction doit être faite entre la liberté d'opinion et la liberté d'expression. Alors que cette dernière peut être soumise à des restrictions, la première est un droit absolu et ne peut faire l'objet d'aucune exception ou restriction. Dans le cas du sport, cela signifie qu'aucun athlète ne doit être exclu sur la base de son opinion sur la guerre, mais uniquement en ce qui concerne l'expression de cette opinion. Par conséquent, toute question des associations sportives concernant le soutien des athlètes à la guerre franchirait cette ligne.
9. Les athlètes russes et bélarussiens peuvent-ils être interdits des compétitions sportives pour des raisons de sécurité et pour protéger la sécurité et le bien-être physique et émotionnel des athlètes ukrainiens?
La Rapporteuse spéciale comprend la détresse émotionnelle causée par l'agression contre l'Ukraine, ainsi que par l'idée que les athlètes ukrainiens pourraient rivaliser avec des athlètes russes et bélarussiens si ceux-ci sont autorisés à concourir.
Le droit international des droits humains autorise des restrictions à la plupart des droits humains, y compris le droit de participer à la vie culturelle par le sport, pour des raisons de sécurité ainsi que pour protéger les droits d'autrui. Les mêmes normes s'appliquent toujours. Les restrictions doivent être déterminées par la loi, être nécessaires et proportionnées pour poursuivre un objectif légitime. Comme précisé ci-dessus, les mesures les moins restrictives doivent être adoptées en priorité.
De nombreux athlètes du monde entier viennent de zones de conflit et peuvent se rencontrer lors de compétitions sportives. Les fédérations sportives internationales ont l'habitude d'adopter des mesures de protection et d'atténuation dans de telles circonstances. Il existe déjà de nombreuses expériences de tensions, de conflits et de catastrophes naturelles auxquelles le monde du sport a été confronté, et les mesures adoptées pour y faire face pourraient être reprises et adaptées à la situation actuelle.
10. Quels pourraient être des critères légitimes pour justifier l’exclusion d’athlètes individuels aux compétitions sportives?
Lors de ses discussions avec le CIO, la Rapporteuse spéciale a proposé que, si toutes les mesures d'atténuation échouent et qu'une décision est prise d'exclure des athlètes individuels, les critères suivants s'appliquent:
- Toute interdiction ou restriction doit s'appliquer à tous les athlètes, quelle que soit leur nationalité/origine nationale (ainsi que pour tout motif interdit par le droit international). Aucune restriction ne devrait être appliquée à un athlète qui ne s'applique pas à tous.
- Toute restriction doit être fondée sur une évaluation transparente, équitable et non discriminatoire, chaque cas étant évalué selon ses propres mérites, et des dispositions claires pour une procédure d'appel équitable et indépendante doivent être comprises.
- Toute mesure doit traiter chaque situation et chaque cas individuel sur une base ad hoc, évitant ainsi les «punitions collectives».
- Toute décision doit s'appuyer sur des normes concernant d'éventuelles limitations des droits humains en vertu du droit international. Cela comprend notamment les:
a. Exclusions fondées sur l'article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques: toute propagande en faveur de la guerre et tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse constituant une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence.b. Exclusions fondées sur l'article 4 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale concernant l'élimination de toute incitation à ou acte de discrimination raciale.c. Exclusions dans les situations où il existe des allégations graves et crédibles de crimes de droit international (crimes de guerre, crimes contre l'humanité, génocide, agression, torture, discrimination raciale…)d. Exclusions en cas de soutien ouvert à ces crimes ou guerres d'une manière permettant une qualification en vertu de ce qui précède.
11. Les militaires qui participent activement à la guerre devraient-ils être exclus de toute participation aux compétitions sportives internationales?
La Rapporteuse spéciale note que, dans sa recommandation du 28 mars 2023, le CIO a recommandé que les athlètes qui soutiennent activement la guerre ne puissent concourir. Les athlètes qui sont sous contrat avec l'armée russe ou bélarussienne ou les agences de sécurité nationale sont considérés comme soutenant la guerre et ne peuvent donc pas concourir.
La Rapporteuse spéciale est d’avis que limiter les athlètes qui seront exclus à ceux qui sont militaires de carrière est un pas dans la bonne direction. Cela correspond à son point de vue selon lequel la seule conscription forcée, par exemple, ne suffirait pas à priver un athlète de la possibilité de concourir. Le financement par l'État ne doit pas non plus être assimilé à un soutien à la guerre, de la même manière que d'autres athlètes d'autres États ne sont pas présumés soutenir les décisions de leur gouvernement en raison de leur financement.
La Rapporteuse spéciale souligne également qu'à mesure que la situation évolue et que les athlètes russes et bélarussiens sont réintégrés dans les compétitions sportives en tant qu'athlètes neutres, le CIO pourrait adopter une série de mesures progressive ment plus restrictives si cela s'avérait nécessaire. Il est également de la responsabilité du CIO de lever les mesures restrictives, lorsque cela est possible, notamment en ce qui concerne les équipes d'athlètes.
12. La Rapporteuse spéciale voit-elle des violations des droits humains dans les autres mesures recommandées par le CIO concernant l’interdiction de la Russie et du Bélarus aux évènements sportifs internationaux et le soutien aux athlètes ukrainiens?
Non. Dans leur lettre de septembre 2022, les Rapporteuses spéciales comprenaient le déplacement ou l'annulation d'événements prévus en Fédération de Russie et au Bélarus, ainsi que la recommandation de ne pas déployer les drapeaux nationaux et de ne pas jouer les hymnes russes ou bélarussiens lors de manifestations sportives internationales, comme des sanctions pouvant être considérées comme légitimes, car elles visent directement ces États ou leurs représentations officielles.
La distinction entre les États et les individus est d'une importance primordiale. Les droits humains ont été établis et adoptés par toutes les nations pour protéger les individus et les groupes contre les abus de pouvoir des États et contre la tyrannie des majorités. Punir des individus uniquement sur la base de leur nationalité pour les actes odieux de dirigeants sur lesquels ils n'ont aucun contrôle, saperait cette distinction. Mais interdire ces États des événements sportifs peut être une mesure légitime.
En outre, les mesures soutenant activement les athlètes ukrainiens sont accueillies par la Rapporteuse spéciale comme des mesures positives et autorisées par le droit international pour garantir une égalité réelle.
13. Qu'en est-il des États qui ont appelé au boycott des compétitions sportives internationales si les athlètes russes et bélarussiens sont admis en tant qu'athlètes neutres?
Compte tenu de la discussion ci-dessus sur les questions relatives aux droits humains, les États qui envisagent un boycott compétions sportives internationales devraient considérer comment un tel boycott serait compatible avec leurs obligations en matière de droits humains. Une telle restriction des droits de leurs propres athlètes sera-t-elle une réponse proportionnée à la participation de certains athlètes russes qui rempliraient les conditions de neutralité fixées, alors même que les États agresseurs seraient exclus? Est-ce la mesure la moins restrictive à laquelle ces États peuvent penser pour déclarer leur désaccord avec la guerre illégale en Ukraine ou/et la violation de la trêve olympique par la Fédération de Russie?
La Rapporteuse spéciale exhorte tous les États à participer aux compétitions sportives internationales et à respecter les principes de non-discrimination et d'universalité des droits humains, principes au cœur de notre coexistence commune en tant qu'humanité.
14. Finalement, que fait la Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels concernant les violations des droits culturels en Ukraine par la Fédération de Russie?
Depuis le début de l‘invasion, la Rapporteuse spéciale a fait plusieurs déclarations publiques concernant les effets de la guerre sur le patrimoine culturel en Ukraine et sur les droits culturels des personnes vivant en Ukraine ou ayant été chassées de l'Ukraine à cause de la guerre. Elle a critiqué la Fédération de Russie pour avoir violé le droit à l'autodétermination et les droits culturels des Ukrainiens. Elle a également critiqué la destruction intentionnelle du patrimoine culturel et a demandé instamment que les droits culturels soient respectés . À cet égard, elle salue le soutien actif et efficace apporté aux athlètes ukrainiens et la recommandation du CIO pour que ce soutien se poursuive. De telles mesures contribuent à l'égalité réelle, telle qu’établie dans le droit international des droits humains.