1. Introduction
1.1. Contexte
et origine
1. Dans sa
Résolution 1344 (2003) «Menace des partis et mouvements extrémistes pour la
démocratie en Europe», attirant l’attention sur la tendance à l’extrémisme
politique en Europe, l’Assemblée parlementaire a encouragé les États
membres du Conseil de l’Europe à être plus vigilants que jamais
et à évaluer les menaces que l’extrémisme fait peser sur les valeurs
fondamentales que le Conseil de l’Europe entend défendre. Pour combattre
les effets néfastes de l’extrémisme et préserver l’État de droit
fondé sur le respect des principes démocratiques et des droits humains,
l’Assemblée a recommandé aux États membres d’adopter un ensemble de
mesures législatives et administratives, ainsi que des mesures dans
le domaine de l’éthique politique et de l’éducation. Elle a également
souligné que pour être efficaces, ces mesures devraient bénéficier
de l’appui de l’opinion publique et être soutenues par la société
civile.
2. Vingt ans plus tard, la commission des questions politiques
et de la démocratie (la commission) a entrepris la préparation d’un
rapport sur «Le défi de l’idéologie d’extrême droite pour la démocratie
et les droits humains en Europe», en vue d’élaborer des recommandations
visant à entraver la propagation de l’idéologie de l’intolérance
dans toute l’Europe et à éradiquer l’impunité pour les actes d’intimidation
et de violence commis par les représentants des mouvements d’extrême
droite
. La vérité est que, ces deux dernières décennies,
l’idéologie d’extrême droite a progressé et qu’elle s’est rapidement
propagée, tant en Europe qu’à l’échelle mondiale. Les illustrations
récentes de cette tendance incluent l’arrestation, en décembre 2022,
de dizaines de personnes associées au mouvement d’extrême droite
Reichsbürger (citoyen·ne·s du Reich), soupçonnées de fomenter un
coup d’État contre le Gouvernement allemand. En janvier 2023, faisant sinistrement
écho à l’invasion du Capitole aux États-Unis par les partisans de
l’ex-président Donald Trump en 2021, des centaines de manifestant·e·s
d’extrême droite, partisan·e·s de l’ancien président Jair Bolsonaro,
ont envahi et vandalisé des lieux de pouvoir à Brasília (Brésil).
3. Les piliers de notre sécurité démocratique – à savoir un système
judiciaire efficace et indépendant, la liberté d'expression, la
liberté de réunion et d'association, le fonctionnement efficace
des institutions démocratiques et la construction d'une société
inclusive et d'une citoyenneté démocratique – sont tous menacés
par l'idéologie extrémiste. Tant l'Assemblée, dans ses résolutions
, que les États membres
du Conseil de l'Europe ont qualifié cette sécurité démocratique
d’élément clé pour garantir la paix et la prospérité en Europe,
et se sont par conséquent engagés à contrer les actions qui portent
atteintes aux droits humains, à la démocratie et à l’État de droit.
Cette position a notamment été réaffirmée dans la Déclaration de
Reykjavík du quatrième Sommet des chefs d'État et de gouvernement
du Conseil de l'Europe (Déclaration de Reykjavík)
. Dans ce contexte, le présent
rapport est plus que jamais d’actualité.
1.2. Portée
du rapport
4. Après ma désignation comme
rapporteur en septembre 2021, la commission a tenu un premier échange de
vues sur cette question le 16 mars 2022. Au cours de cet échange,
les membres ont noté que l’idéologie d’extrême droite constituait
une menace sérieuse non seulement pour la démocratie, mais aussi
pour la paix et la stabilité internationales. Soulignant que la
violence ou la haine dans le discours et l’activité politiques devraient
être pleinement rejetées, les membres ont mis en garde contre la
manipulation, à des fins politiques, d’étiquettes telles que «extrémiste»
ou «extrême droite» pour les partis politiques, qui ne devraient
pas être utilisées à la légère.
5. Un nouvel échange de vues tenu par la commission le 27 avril
2023 a montré que les avis étaient partagés. Certains membres ont
estimé que je devais axer le rapport sur l'idéologie d'extrême droite,
tandis que d'autres ont attiré mon attention sur l'extrémisme d'extrême
gauche et m'ont suggéré d'élargir la portée du rapport de manière
à couvrir toutes les formes d'idéologies extrêmes.
6. Je suis d'accord sur le fait que les tendances de l’extrémisme
de gauche devraient continuer à être surveillées, d’autant qu’il
s’agit d’un phénomène qui continue de sévir sur le continent. En
effet, les rapports d'Europol pour la période 2006-2020 montrent
que plus de 414 attaques manquées, déjouées ou réalisées dans les
pays de l'Union européenne ont été inspirées par l'idéologie d'extrême
gauche et anarchiste
. Une grande partie de ces attaques
a donné lieu à des actes de vandalisme et à la destruction de biens,
et dans plusieurs cas importants ces attaques ont fait des blessés
et des victimes
.
Ces idéologies ont été considérées dans la stratégie du Conseil
de l'Europe contre le terrorisme (2023-2027) comme un sujet de préoccupation pour
certains pays, même si la menace de l'extrémisme violent d'extrême
gauche en Europe a été jugée faible
.
7. Après avoir examiné les deux points de vue, j'ai décidé de
respecter la portée définie dans la proposition initiale. J'en suis
arrivé à cette conclusion non seulement parce que l'idéologie d'extrême
droite a un héritage historique particulier en Europe, mais aussi
parce qu'elle est considérée comme la menace qui connaît l’expansion
la plus rapide dans de nombreux pays européens, une tendance soulignée
par le Comité du Conseil de l'Europe de lutte contre le terrorisme
.
Dans l’esprit de la proposition de résolution à son origine, ce rapport
mettra l’accent sur les manifestations de l’idéologie d’extrême
droite qui sont clairement contraires aux principes et aux valeurs
du Conseil de l’Europe, que la proposition définit comme une expansion
de l’intolérance, du discours de haine et de la discrimination s’accompagnant
souvent d’actes d’intimidation et de violence. C’est cette menace
extrémiste que le rapport abordera.
8. Dans le cadre de la préparation du rapport, la commission
a tenu, le 25 janvier 2023, une audition avec la participation de
deux expert·e·s: Mme Cynthia Miller-Idriss, directrice fondatrice,
Laboratoire de recherche et d’innovation sur la polarisation et
l’extrémisme, Université américaine, Professeure, École des affaires publiques
et École des sciences de l’éducation, Washington (USA), et M. Nicholas
Potter, journaliste et chercheur sur l’extrême droite à la Fondation
Amadeu Antonio (Berlin). Une deuxième audition s’est tenue le 20
juin 2023 avec la participation de M. Nicos Alivizatos (Grèce),
membre de la Commission européenne pour la démocratie par le droit
(Commission de Venise).
2. Définir l’idéologie d’extrême droite
9. Il n’existe pas de définition
universellement reconnue de l’extrême droite. En tant que terme
générique, il peut englober un ensemble hétérogène d’idéologies,
de croyances et de discours. Aux fins du présent rapport, trois
caractéristiques déterminantes sont décrites qui doivent toutes
être présentes pour répondre à la qualification d’extrémisme d’extrême
droite. Premièrement, une croyance en une forme d’inégalité naturelle
ou de hiérarchie entre les peuples ou groupes de personnes, qui
peut inclure le nationalisme, le nativisme, le racisme, la xénophobie,
l’antisémitisme, l’islamophobie et l’homophobie. Deuxièmement, une
croyance en l’autoritarisme. Troisièmement, un objectif implicite
ou explicite visant à détruire le système démocratique
.
10. Au sein des droites extrêmes, les chercheurs font généralement
la distinction entre la droite «radicale» et l’extrême (ou ultra)
droite. Tout en intervenant dans le cadre des processus démocratiques,
en acceptant la souveraineté populaire et les règles procédurales
minimales de la démocratie parlementaire, les groupes et les organisations
de la droite radicale sont hostiles à la démocratie libérale et
en critiquent les aspects essentiels tels que le pluralisme et les
droits des minorités, et ils condamnent publiquement l’utilisation
de la violence comme instrument politique.
11. En revanche, une caractéristique essentielle des groupes et
organisations d’extrême droite est le rejet des valeurs sous-jacentes
des démocraties et de l’État de droit
.
La caractéristique comportementale qui distingue donc la droite
radicale de l’extrême droite est pour cette dernière, la légitimation
du recours à la violence pour poursuivre ses objectifs. Cette menace
ou ce recours au harcèlement ou à la violence ont été définis comme
étant une caractéristique importante de l’extrémisme d’extrême droite
.
Ils englobent les attaques terroristes, les crimes de haine, la
violence spontanée, le discours de haine et l’incitation à la violence ou
à la haine
.
Parmi les exemples contemporains d’acteurs d’extrême droite figurent
Aube dorée en Grèce et les groupes suprémacistes blancs aux États-Unis
.
12. Le rapport utilise donc ce prisme idéologique, associé à la
caractéristique comportementale de légitimation de l'usage de la
violence, pour définir le phénomène.
13. En plus de sa complexité sur le plan idéologique, l’extrême
droite est variée sur le plan organisationnel. Outre les partis
politiques, il existe toute une série de sous-groupes ayant des
sympathies pour l’extrême droite, notamment des organisations relativement
formelles telles que des groupes de réflexion, des groupes de pression,
des organisations médiatiques, ainsi que des formations plus ponctuelles,
notamment des forums, des organisations de rue, des communautés
en ligne et hors ligne. L’espace de l’extrême droite se définit
de plus en plus par des réseaux plutôt que par des organisations
formelles, les individus intéressés entretenant des liens multiples
et évitant une adhésion formelle. L’extrême droite est également
composée en grande partie de militantes et militants qui, à titre
personnel, élaborent, suivent et promeuvent leur propre position
à partir de plateformes individuelles
. Le Comité
du Conseil de l’Europe de lutte contre le terrorisme a décrit cela
comme une tendance croissante à «l’activité post-organisationnelle»,
où les individus et groupes agissent indépendamment les uns des
autres et ne s’en remettent jamais à un commandement central ou
à un chef unique pour en recevoir des ordres ou des instructions
.
14. L’absence d’une définition commune de l’idéologie d’extrême
droite constitue un obstacle à une lutte et une réponse efficaces
contre ce phénomène, ainsi qu’à la compréhension et à l’évaluation
de l’ampleur du problème dans les différents États membres. Le chevauchement
partiel entre les crimes de haine, l’extrémisme violent de l’extrême-droite
et le terrorisme de l’extrême-droite complique la manière dont certaines
actions sont poursuivies et, par conséquent, la manière dont les
gouvernements peuvent évaluer le nombre d’attaques violentes d’extrême
droite commises sur leur territoire.
3. Principaux
moteurs et tendances de l’extrémisme de d’extrême droite
15. L’extrémisme de droite est
un phénomène récurrent qui s’est développé au cours des dernières décennies.
Son apparition et son fonctionnement ne sont pas sans contexte,
mais constituent une réponse à des facteurs socio-économiques et
culturels interdépendants, qui s’appuient sur des changements réels
ou perçus au sein de la société
. Ces vingt
dernières années, le monde a été confronté à une succession de crises
dues à la finance mondiale, aux migrations, à la pandémie de covid-19
et au retour d'une guerre d’agression à grande échelle sur le continent
européen, lesquelles ont eu de graves conséquences sociales, économiques
et politiques, entraînant frustration, peur et colère. Selon les
experts, il s’agit là d’un élément clé pour comprendre le soutien
croissant dont bénéficie l’extrémisme de droite, y compris dans
ses manifestations violentes.
16. En effet, en s’appuyant sur le mécontentement social, l’extrémisme
propose des solutions simplistes et stéréotypées en réponse aux
angoisses et aux incertitudes qui affectent nos sociétés. Il rejette
la responsabilité de ces difficultés sur l’incapacité de la démocratie
à relever les défis du monde actuel et l’incapacité des élu·e·s et
des institutions à répondre aux attentes des citoyen·ne·s, ou encore
il incite à discriminer certains groupes en les accusant d’être
responsables de l’insécurité et des problèmes socio-économiques,
ou en laissant entendre qu’ils sont une menace potentielle pour
l’État
.
17. La perspective de l’insécurité économique a également été
associée à d’autres courants de soutien à l’extrémisme de droite
découlant d’une réaction contre des changements culturels perçus
ou réels qui menacent la vision du monde de segments de population
autrefois prédominants
.
Les interactions entre les facteurs socio-économiques et culturels
se combinent pour amener certains groupes de la société à contester la
légitimité des démocraties.
18. Les services de renseignement ont observé ces dernières années
l’évolution des caractéristiques du milieu d’extrême droite. Les
formes traditionnelles de l’extrême droite, telles que le néo-nazisme
et la culture skinhead, sont dépassées dans certains États par l’activisme
anti-islam et anti-migrants qui deviennent les sujets prédominants
de l’extrémisme d’extrême droite
. L’évolution des tendances a également connu
un changement plus radicalement anti-institutionnel, les extrémistes
d’extrême droite ciblant de plus en plus les institutions, avec
une accélération de cette tendance après le début de la pandémie
de covid-19.
19. D'autres facteurs de risque associés à l'émergence de manifestations
d'extrémisme de droite ont été identifiés comme suit: problèmes
identitaires non résolus, mauvaise gouvernance systémique et dysfonctionnements
administratifs. Cela peut être aggravée par une faible confiance
dans les médias grand public, un manque d’éducation aux médias et
l’absence d’un journalisme critique et indépendant qui, combinés,
peuvent amplifier la vulnérabilité à la désinformation
.
20. En 2021, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance
(ECRI) s'est alarmée du recours à des discours incendiaires et de
la diffusion de contenus haineux et déshumanisants, et a rappelé
que ne pas prévenir et combattre le discours de haine ultranationaliste
et raciste peut conduire à des violations graves de la Convention
européenne des droits de l'homme (STE n° 5) et à une plongée dans
la violence
.
21. Les idéologies deviennent un sujet de profonde inquiétude
lorsqu’elles préconisent le recours à la violence ou à d’autres
activités illégales pour promouvoir des convictions particulières.
L’utilisation d’un discours idéologique susceptible de dénigrer
d’autres personnes ou de constituer une discrimination à leur égard
en est une manifestation.
3.1. L’extrémisme
violent d’extrême droite: une menace croissante et de plus en plus transnationale
22. Le paysage de l’extrême droite
s’étend aux quatre coins du monde. Si son importance en Europe s’est considérablement
accrue au cours des années 2000, l’extrême droite détient une présence
historique et contemporaine en Amérique latine, en Inde et en Indonésie,
ainsi qu’en Amérique du Nord et en Océanie
.
23. Les manifestations violentes de l’idéologie d’extrême droite
sont également mondiales. Aujourd’hui, la violence politique associée
à l’extrême droite est largement considérée comme une menace croissante
dans le monde entier
.
Le Rapport sur les menaces terroristes émergentes en Europe, élaboré
sous les auspices du Comité du Conseil de l’Europe de lutte contre
le terrorisme (CDCT), le confirme pour l’Europe. Il souligne que
le terrorisme d’extrême droite est une menace croissante dans un
certain nombre d’États membres
..
24. Ces dernières années, outre les fusillades de masse (Utøya
(Norvège), 2011; Charlottesville (États-Unis), 2017; Christchurch
(Nouvelle-Zélande), 2019), les extrémistes de droite ont perpétré
des assassinats politiques (la députée britannique Jo Cox, 2016;
l’homme politique allemand Walter Lübcke, 2019) et des actes d’insurrection,
y compris armés (invasion du Capitole américain, 2021; et plus récemment
l’insurrection au Brésil) ou comploté en vue de tels actes (Allemagne,
2022). La menace extrémiste persistante s’est également manifestée
à travers les attaques contre les mosquées, les synagogues et les
centres d’accueil des demandeurs d’asile observées en Europe ces
dernières années.
25. Le caractère de plus en plus transnational de l’extrémisme
violent d’extrême droite tient également à la coopération croissante,
par-delà les frontières nationales, entre des groupes et des réseaux
extrémistes qui partagent des motifs, des inspirations et des objectifs
en ligne et hors ligne
.
Les conclusions de la Conférence internationale sur les «Menaces
terroristes transnationales émanant des mouvements extrémistes violents
émergents et réémergents» confirment que les plateformes en ligne
sont largement utilisées pour le recrutement et la diffusion d’idéologies
extrémistes, ainsi que de matériels pédagogiques. Cela permet aux groupes
et aux individus d’apprendre et de s’inspirer les uns des autres
.
Les réseaux en ligne peu organisés sont de plus en plus un moyen
pour les acteurs violents d’extrême droite de nouer des contacts
avec d’autres personnes et groupes au niveau international, les
acteurs isolés inspirés par ces réseaux ou groupes devenant la principale
tactique pour mener des attentats violents. Motivés par la propagande
extrémiste violente, ces acteurs agissant de leur propre initiative
sont particulièrement difficiles à détecter et intercepter en temps utile
.
26. En 2011, l’attentat terroriste perpétré par un extrémiste
d’extrême droite à Oslo et sur l’île d’Utøya, en Norvège, qui a
fait 77 morts, a choqué le monde. Quelques années plus tard, un
autre extrémiste d’extrême droite, s’inspirant des idées et des
actions extrêmes de l’auteur des attentats d’Utøya, tuait 51 fidèles musulmans
à l’autre bout du monde, à Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Quelques
mois plus tard encore, un autre extrémiste de droite «inspiré» par
le tireur de Christchurch tuait deux personnes à Halle, en Allemagne.
Ces manifestations d’extrémisme de droite, relevant de l’imitation
d’actes antérieurs, montrent le danger de ce que les psychosociologues
ont appelé la contagion comportementale et la portée mondiale de la
violence d’extrême droite
.
27. L’infiltration de l’idéologie d’extrême droite chez les militaires
et dans les forces armées et les forces de l’ordre ainsi que la
circulation de matériaux extrémistes de droite au sein de ces groupes
suscitent également une inquiétude continue. Dans ce contexte, il
convient de noter que parmi les personnes arrêtées dans le cadre du
complot contre le Gouvernement allemand, on compte un juge et d’anciens
membres de l’armée, y compris des forces spéciales. Des poursuites
contre des agents des forces de l'ordre et de sécurité ont eu lieu
ces dernières années, tant pour préparation d'attentats terroristes
dirigés contre des hommes politiques et des personnalités publiques
que pour affiliation à des groupes interdits. De même, il est affirmé
que l’insurrection au Brésil a été possible en raison d’une collusion
avec des personnes situées au plus haut niveau de la police militaire.
Il va sans dire qu’une menace particulière existe lorsque les personnes
qui sont chargées de défendre et de protéger la population se laissent
gagner par des idéologies extrémistes.
3.2. L’environnement
extrémiste en ligne
28. Depuis la dernière fois que
l’Assemblée s’est penchée sur ce sujet dans la
Résolution 1344 (2003), les progrès technologiques ont encore facilité les
efforts internationaux de réseautage des extrémistes d’extrême droite.
Les réseaux sociaux et les plateformes de jeux en ligne, ainsi que
les sous-cultures internet au sens large, sont largement utilisés
pour diffuser une idéologie d’extrême droite et cibler des individus
en vue de les recruter
.
La forte augmentation du volume de matériels en ligne prônant les
idéologies d’extrême-droite a amplifié les processus de radicalisation
et éliminé le besoin d’un contact «réel».
29. On a assisté sur internet à la prolifération de contenus,
y compris la propagande performative, les «manifestes», les mèmes,
des vidéos d’influenceurs popularisant l’extrémisme de droite et
des documents idéologiques en ligne. Des difficultés se posent concernant
la modération des espaces en ligne, à l’heure où les extrémistes
sont capables de migrer vers un éventail de plateformes aux structures
réglementaires différentes, et l’utilisation de messageries codées
entre groupes, qui a été décrite comme poussant à l’extrême les
limites de la liberté d’expression, de sorte qu’il est difficile
pour les forces de l’ordre d’intervenir en utilisant les outils
existants
.
30. La façon dont les internautes passent du temps en ligne peut
avoir des effets importants. Les chambres d’écho amplifient le risque
de radicalisation en ligne à travers des contenus extrêmes présents
sur toutes les plateformes et qui se renforcent mutuellement. La
radicalisation algorithmique, par laquelle les algorithmes des médias
sociaux poussent les utilisatrices et utilisateurs vers des contenus
de plus en plus extrêmes, peut conduire à ce que l’on appelle des
«puits sans fond» de désinformation, de théories du complot et de consommation
de propagande.
31. La pandémie de covid-19 a contribué à amplifier les discours
de l’extrême-droite en ligne, qu’illustre la nette progression à
l’échelle mondiale des théories du complot anti-asiatiques et antisémites.
La pandémie a également contribué à l’émergence de nouvelles idéologies
et à la pollinisation croisée entre des groupes idéologiques et
démographiques disparates. Les multiples griefs liés aux réponses
apportées à la pandémie, les sentiments généralisés de peur, d’anxiété
et d’incertitude, ainsi que l’isolement croissant, ont créé un environnement
propice à l’exploitation par les mouvements d’extrême droite cherchant
à transférer les peurs et les frustrations en ciblant des individus
et groupes «autres». Cette évolution s’est accompagnée d’une augmentation
du temps passé en ligne, ce qui a créé des conditions propices à
la circulation de la propagande et de la désinformation et, par
conséquent, à un risque accru de radicalisation en ligne.
3.3. La
banalisation de l’idéologie d’extrême-droite
32. Il est crucial de qualifier
l’extrémisme de menace pour la démocratie elle-même. Il représente
à la fois une menace directe, dans la mesure où il met en péril
l’ordre constitutionnel démocratique et les libertés, et une menace
indirecte, en ce qu’il peut altérer la vie politique. En 2003, l’Assemblée
a mis en garde contre la tentation éventuelle des partis politiques
traditionnels d’adopter la posture et le discours démagogique propres aux
partis extrémistes afin de combattre la popularité électorale croissante
de ces derniers. En 2010, elle s’est également inquiétée du risque
non négligeable que les partis politiques traditionnels tendent
à s’appuyer sur un discours raciste pour éviter la perte d’une partie
de leur électorat
. Cela montre que nos démocraties
ne sont pas à l’abri de la politique d’extrême droite. Plus récemment,
l’Assemblée a constaté que le discours de haine et l’intolérance
faisaient désormais partie du discours politique, où ils sont utilisés
non seulement par des groupes populistes et extrémistes, mais de
plus en plus par des représentant·e·s de mouvements et de partis de
tout l’éventail politique
.
Il s’agit là d’une tendance inquiétante, à laquelle il faut mettre
un terme.
33. L’Assemblée a souligné le rôle important des partis politiques
dans la lutte contre le racisme et l’intolérance et dans la promotion
d’une société inclusive. La Charte révisée des partis politiques
européens pour une société non raciste et inclusive engage ses signataires
à défendre les droits humains fondamentaux et les principes démocratiques
et à rejeter toutes les formes de racisme et d’intolérance, le discours
de haine, l’incitation à la haine raciale et le harcèlement
. J’encourage tous les partis politiques
à signer la Charte révisée, afin de marquer leur attachement aux
valeurs du Conseil de l’Europe.
34. Il existe des équilibres sensibles pour les médias. Les salles
de rédaction sont confrontées à la question de savoir comment remplir
leur rôle démocratique qui consiste à informer le public, tout en
évitant de donner un poids disproportionné aux extrémistes ou aux
personnalités clés de l’extrême droite. Fournir par inadvertance,
une plateforme démesurée aux opinions extrémistes marginales risque
de légitimer et de faire avancer ces idées et leurs objectifs.
4. Le
défi de l’idéologie d’extrême droite pour nos valeurs communes
4.1. Porter
atteinte aux normes démocratiques
35. La diffusion d’idées extrêmes,
à la fois hors ligne et en ligne, et leur acceptation croissante
représentent une grave menace pour l’ordre juridique démocratique.
36. Des événements tels que l’assaut du Capitole américain en
2021 démontrent la menace continue et active que représentent les
idéologies d’extrême-droite à l’échelle mondiale. Les activités
de militant·e·s extrêmes ont joué un rôle décisif dans la mobilisation
de milliers de personnes qui ont tenté de faire annuler le résultat
d’une élection légitime.
37. Les attaques contre l’ordre constitutionnel, comme celles
perpétrées contre le pouvoir judiciaire ou les processus électoraux,
ainsi que les actions visant à dégrader ou subvertir notre culture
démocratique sont de plus en plus préoccupantes. Les tentatives
implicites et explicites visant à affaiblir l’équilibre des pouvoirs
au sein des institutions publiques constituent une menace pour la
démocratie, et le Conseil de l'Europe a mis en garde à plusieurs
reprises contre cette menace de recul de la démocratie. En s'engageant
à respecter les principes de Reykjavík lors du quatrième Sommet
des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe en mai
2023, les États membres ont convenu de protéger et de promouvoir
les principes de la démocratie, de l’État de droit et des droits
de l'homme, de s'opposer fermement aux tendances autoritaires, de
prévenir le recul de la démocratie en Europe et d’y résister.
38. Les manifestations violentes de l'extrémisme sont fondamentalement
un rejet de nos valeurs démocratiques communes de tolérance, respect,
inclusion et diversité. Le fonctionnement de l’ordre démocratique
est entravé par des manifestations d’extrémisme telles que le discours
de haine systématique, la distillation de la peur, la propagation
de la désinformation, la diabolisation et l’intimidation
.
39. Les efforts déployés pour exercer une influence ont été particulièrement
prononcés lors des manifestations contre les mesures relatives à
la covid-19, les manifestations publiques ayant vu l’apparition
de groupes non affiliés d’idéologues d’extrême droite contestant
la légitimité de l’action gouvernementale, les institutions démocratiques,
et amplifiant les théories du complot. Le recours à la violence
lors d’un certain nombre de ces événements et l’abus du droit de
manifester sont inacceptables.
40. Les incidents de harcèlement et les menaces proférées à l’encontre
d’élu·e·s ont été coordonnés par des groupes d’extrême droite. Cette
intimidation ne peut être tolérée dans notre culture démocratique.
4.2. Porter
atteinte aux droits humains
41. Les droits humains reposent
sur le principe de la dignité inhérente à tous les êtres humains
et de leur égalité, de sorte que promouvoir un ensemble de droits
tout en portant atteinte aux droits d’autres personnes ou en violant
ces droits est contraire aux principes des droits humains.
42. Les idéologies d’extrême droite englobent et promeuvent des
visions xénophobes, racistes et nativistes, incluant d’autres formes
d’intolérance ou se revendiquant d’une conviction religieuse ou
autre croyance. Le fait de distinguer comme les «Autres», des personnes
considérées comme faisant partie d’un groupe extérieur expose ces
personnes à la haine et les prive de leurs droits humains. Les «récits
de griefs» exposent certaines personnes et communautés à un risque
particulier. Il s’agit notamment des groupes ethniques et religieux,
de la communauté LGBTQ, ainsi que des responsables politiques et
d’autres personnalités publiques
.
Le discours de haine, les appels à des politiques restrictives qui
portent atteinte aux droits humains des groupes minoritaires et
la propagation d’une idéologie d’intolérance doivent être combattus.
5. Lutter
contre la menace
43. La présence et la menace de
groupes non démocratiques impliquent que des mesures doivent être prises
pour renforcer les démocraties. L’internationalisation de l’idéologie
d’extrême-droite, le rôle démesuré des contenus extrémistes en ligne
et la banalisation de l’extrémisme de droite montrent qu’il est
nécessaire de lutter contre la désinformation, la mésinformation
et la propagande. Le risque que les principes démocratiques fondamentaux
soient sapés est trop grand pour ne pas agir.
44. Cette action devrait consister, notamment, en un renforcement
des valeurs et des pratiques démocratiques au sein du grand public
et en des actions stratégiques à la fois légales, politiques et éducationnelles.
Le concept de «démocratie défensive» (également appelé «démocratie
militante») peut être instructif pour ces actions, étant définies
comme «toutes les activités, qu’il s’agisse de dispositions formelles ou
de stratégies politiques, visant explicitement et directement à
protéger le système démocratique de la menace de ses opposants internes»
.
45. Ces mesures de «démocratie défensive» prennent un certain
nombre de formes. Premièrement, grâce à une législation qui limite
les menaces pesant sur l’ordre démocratique et ses principes clés
que sont les droits humains, la démocratie et l’État de droit. Deuxièmement,
à travers des réponses culturelles et sociales, c’est-à-dire des
stratégies éducatives et sociales qui renforcent la résilience contre
la manipulation par la propagande, la désinformation et les techniques
extrémistes persuasives notamment la désignation de boucs émissaires.
Cela comprend des stratégies pour donner à la population les outils
nécessaires pour construire ses propres contre-arguments, reconnaître
et rejeter la désinformation, ainsi qu’un soutien au rôle important joué
par la société civile dans ces efforts
.
5.1. Réponses
juridiques
46. Afin de lutter efficacement
contre la menace de l'extrémisme, les États membres ont élaboré
un certain nombre de mesures législatives pour faire face à l'extrémisme
de droite et les activités qui y sont liées. Outre la codification
des activités criminelles ayant des aspects extrémistes, les États
membres ont également élaboré des législations pour faire face aux
menaces qui pèsent sur l'ordre démocratique ou constitutionnel.
5.1.1. Le
discours de haine
47. Lorsque des organisations se
sont livrées à des actes tels que le discours de haine, la discrimination
et la violence, les États membres ont adopté des mesures pour dissoudre
ces organisations. Citons notamment les mesures prises par le Gouvernement
français en 2021 contre l'organisation Génération Identitaire; le
décret de la Cour suprême de Finlande du 22 septembre 2020 selon
lequel le Mouvement de résistance nordique et Pohjoinen Perinne
ry (tradition nordique) devaient être dissous; l'interdiction d'Action
nationale au Royaume-Uni en 2016 et la reconnaissance de l'organisation
Aube dorée en tant qu'organisation criminelle en Grèce en octobre
2020.
48. La législation relative à la dissolution des organisations
d'extrême droite peut prendre un certain nombre de formes, par exemple
des lois sur les associations ou sur les crimes de haine ou encore
des lois interdisant les organisations soupçonnées d'être impliquées
dans le terrorisme. Face aux défis similaires auxquels tous les
pays d'Europe sont confrontés, et à la lumière des aspects transnationaux
de la menace, il apparaît nécessaire de continuer à coopérer et
à contribuer à l'élaboration d'approches juridiques communes. Il conviendrait
également de prendre des mesures utiles pour renforcer cette coopération,
notamment accorder un soutien accru aux autorités nationales pour
coordonner les enquêtes transfrontières et encourager les organismes
d'enquête compétents à partager les connaissances sur les meilleures
pratiques en matière d'enquêtes et de poursuites relatives à l'extrémisme
de droite.
49. En ce qui concerne les contenus extrémistes en ligne, l'intervention
des pouvoirs publics s'est intensifiée ces dernières années, un
nombre croissant de gouvernements ayant proposé et adopté des lois
pour lutter contre la prolifération des contenus terroristes et
extrémistes en ligne
.
Les services de partage de contenus en ligne tendent à interdire
eux-mêmes l'utilisation de leurs technologies à des fins extrémistes
violentes, et une coopération accrue avec ces services pourrait
contribuer à renforcer la coordination des approches visant à améliorer
la définition des contenus extrémistes violents pour mieux cibler
ces efforts.
50. En réponse à la montée persistante et inquiétante du discours
de haine, notamment en ligne, telle qu’elle est décrite en détail
par les organes de suivi du Conseil de l'Europe, le Comité des ministres
a adopté des recommandations sur la lutte contre ce phénomène, y
compris des appels à la mise en place de cadres juridiques complets
et efficaces qui consistent en des dispositions de droit civil,
administratif et pénal bien calibrées. Le Comité des Ministres recommande
que les dispositions du droit pénal relatives au discours de haine
ne soient appliquées qu’en dernier recours et pour les expressions
de haine les plus graves
.
5.1.2. Restrictions
imposées aux partis politiques
51. Face aux inquiétudes concernant
les tentatives des antidémocrates et des extrémistes d'entrer dans
les institutions démocratiques d'un pays afin d'abuser de l'ordre
démocratique et de le subvertir, un certain nombre de mécanismes
ont été développés pour surveiller, contenir et poursuivre les discours
et les activités extrémistes. Les instruments pertinents prévoient
notamment des mesures qui limitent directement ou indirectement
la présence de groupes extrémistes et antidémocratiques au sein
des institutions démocratiques.
52. Les recommandations de l’ECRI prévoient le retrait de toute
forme de soutien financier ou autre de la part des organismes publics
aux partis politiques et autres organisations qui utilisent le discours
de haine ou ne sanctionnent pas l'utilisation de ce discours par
leurs membres. Les États membres devraient également prévoir, dans
le respect du droit à la liberté d'association, la possibilité d'interdire
de telles organisations ou de les dissoudre lorsque le recours au
discours de haine a pour but ou peut avoir pour effet d'inciter
à commettre des actes de violence, d'intimidation, d'hostilité ou
de discrimination à l'encontre des personnes visées
.
53. L'Assemblée a déclaré que «les restrictions ou dissolutions
de partis politiques ne peuvent être que des mesures d’exception,
ne se justifiant que dans les cas où le parti concerné fait usage
de violence ou menace la paix civile et l’ordre constitutionnel
démocratique du pays», et que «le recours à des mesures moins radicales
que la dissolution doit, autant que possible être privilégié
». Cela a été repris par la Commission européenne
pour la démocratie par le droit, qui a recommandé que «la possibilité
pour des autorités gouvernementales de dissoudre un parti politique
ou interdire à un parti politique de se former doit concerner des
circonstances exceptionnelles, être étroitement encadrée et ne doit
être appliquée que dans des cas extrêmes. Un niveau de protection
aussi élevé est approprié, compte tenu du rôle fondamental des partis politiques
dans le processus démocratique, ce qui exige également un niveau
de contrôle plus strict par rapport aux associations autres que
les partis politiques»
.
54. Des mesures visant à restreindre ou à dissoudre les partis
politiques ont été imposées par un certain nombre de pays européens.
En février 2023, le Parlement grec a adopté des dispositions législatives
pour disqualifier les partis dirigés par des responsables politiques
reconnus coupables de délits graves et considérés comme une menace
potentielle pour la démocratie s’ils se présentent aux élections.
Ces mesures ont été confirmées par un arrêt de la Cour suprême de
Grèce du 2 mai 2023. La Cour suprême a ainsi décidé de bannir le
Parti national hellénique en raison de l’incitation à la violence,
du manque de respect à la démocratie, de la promotion d’idéologies
totalitaires, de la diffusion d’idées racistes, intolérantes et
incitant à la haine qui menaçaient la coexistence pacifique des
groupes sociaux dans le pays
.
55. Il existe d’autres exemples de décisions rendues par des cours
constitutionnelles sur la question de l'interdiction d'un parti,
notamment la décision de 2017 de la Cour constitutionnelle fédérale
allemande qui s'est prononcée contre l'interdiction du Parti national-démocrate
d'Allemagne
. Ce parti prône l'abolition de l'ordre fondamental
libre et démocratique existant et son remplacement par un État national
autoritaire qui adhère à l'idée d'une communauté définie par l'ethnie.
Le raisonnement de la Cour constitutionnelle a consisté notamment
à déterminer s'il existait des indicateurs spécifiques et importants
montrant qu'un parti pouvait atteindre ses objectifs antidémocratiques.
En l’absence de preuves que le parti en question pouvait y parvenir, la
Cour a jugé que l'interdiction n'était pas nécessaire pour la protection
de la démocratie
.
56. Les mesures prises pour défendre la démocratie peuvent en
elles-mêmes soulever des questions quant à leur conformité avec
les normes en matière de droits humains. Si les instruments de défense
des droits humains reconnaissent qu’il existe des motifs valables
de restriction de la liberté d'association, notamment la nécessité
de lutter contre l'extrémisme violent, les mesures doivent dans
ce cas être les moins intrusives possibles pour atteindre l'objectif
visé. Toute mesure prise pour atteindre un objectif légitime doit
être nécessaire dans une société démocratique et ne pas être appliquée
à d'autres fins que celles pour lesquelles elle a été prescrite
.
57. La Cour européenne des droits de l'homme a toujours estimé
qu'en raison de leur rôle important dans le fonctionnement de la
démocratie, les restrictions à la formation des partis politiques
devraient être utilisées avec modération et uniquement lorsqu'elles
sont nécessaires dans une démocratie
.
5.2. Réponses
culturelles et sociétales
58. La lutte contre l’extrémisme
d’extrême droite nécessite une approche multidimensionnelle qui
combine à la fois des mesures d’application de la loi et des mesures
de sécurité adéquates, avec des réponses non juridiques qui mettent
l’accent sur la prévention, l’éducation et la lutte contre les causes
profondes.
59. Compte tenu de la nature transnationale de l’extrémisme violent
de droite, il est important de renforcer la coopération internationale
en tant qu’outil clé pour avoir un échange sur les défis et les
bonnes pratiques et créer des synergies entre les États, les organisations
internationales et les entités spécialisées. Les efforts coordonnés
et multipartites visant à identifier et analyser les facteurs politiques,
sociétaux et autres à l’origine de l’adhésion croissante aux idéologies
d’extrême droite sont des mesures bienvenues pour évaluer les évolutions
et y réagir de manière proactive. Des définitions et des pratiques
communes peuvent contribuer à améliorer la collecte de données sur
l’ampleur de la menace, tout en apportant une plus grande clarté conceptuelle
à la manière d’aborder le phénomène.
60. La recherche et l’expérience pratique ont montré l’importance
d’associer tous les niveaux de la société à la prévention et la
lutte contre l’extrémisme violent
.
L’approche consistant à impliquer l’ensemble de la société, y compris
les acteurs publics, privés et non gouvernementaux, dans la lutte
contre les différents aspects de la radicalisation et du désengagement
et pour la réintégration sociale est une stratégie encourageante
pour contrer les récits extrémistes qui font peser une menace sur
la démocratie et les droits humains.
61. Une autre mesure importante pour les gouvernements peut être
d’investir davantage dans des approches éducatives et préventives
visant à remédier aux vulnérabilités vis-à-vis de la propagande
extrémiste au sein du grand public. L’exemple allemand de l’intervention
financée par le gouvernement «Demokratie leben» (vivre la démocratie)
replace l’extrémisme dans un cadre plus général afin de renforcer
et de protéger une démocratie inclusive et diversifiée et de travailler
contre la radicalisation et la polarisation de la société
. L’éducation
démocratique proactive est un élément important pour renforcer la
résilience démocratique contre les phénomènes des idéologies d’extrême
droite et des discours de haine dans nos sociétés.
62. Le Conseil de l'Europe a souligné à plusieurs reprises que
les mesures visant à renforcer la capacité de la société à rejeter
toutes les formes d'extrémisme par le biais de l'éducation formelle
et informelle, des activités de jeunesse et de la formation des
principaux acteurs (tels que les médias, les responsables politiques et
les acteurs sociaux) jouent un rôle essentiel à cet égard.
Le développement
de compétences en matière de pensée critique et d'éducation aux
médias peut renforcer la résilience face à la désinformation et
aux contenus en ligne qui incitent à l'extrémisme et aux efforts
de recrutement des groupes d’extrême droite.
63. Les activités ciblant la jeunesse revêtent une importance
particulière en raison du risque élevé de radicalisation des jeunes
qui a été constaté ces dernières années. Dans certains États membres,
les services de renseignement ont observé une évolution démographique
des personnes associées à des activités extrémistes d’extrême droite
touchant des personnes sans antécédents criminels, aux connaissances techniques
sophistiquées et de plus en plus âgées de moins de 18 ans
. La Déclaration de Reykjavík
a noté la priorité à accorder à la participation des jeunes à la
vie démocratique, y compris à l’éducation aux droits humains et
aux valeurs démocratiques fondamentales telles que le pluralisme,
l’inclusion et la non-discrimination
.
64. Les groupes communautaires et les organisations de la société
civile jouent un rôle important dans le travail de sensibilisation,
l’éducation et la réaction aux efforts de déradicalisation. La coopération
et les relations entre le gouvernement et ces groupes sont d’une
importance constante pour garantir une approche consistant à impliquer
l’ensemble de la société dans la lutte contre les conditions propices
à l’extrémisme d’extrême droite et dans les efforts visant à empêcher
l’intolérance et l’extrémisme violent de s’établir dans les communautés.
Cela inclut le rôle des organisations de la société civile éduquant
aux valeurs démocratiques, menant des activités communautaires visant
à renforcer les fondements démocratiques et aidant les victimes d’activités
extrémistes. Il comprend également la fourniture d’un soutien aux
personnes qui souhaitent quitter un groupe extrémiste violent ou
se réinsérer dans les communautés à la suite de leur association
avec des groupes extrémistes.
65. Les questions relatives à l’utilisation abusive de l’espace
en ligne en lien avec l’extrémisme de droite sont à la fois d’une
importance capitale et d’une grande complexité. Il demeure essentiel
de mettre l’accent sur les messages, le discours de haine, la propagande
et le recrutement de l’extrême droite. En même temps, l’utilisation
de messageries codées, de mèmes, d’une pléthore de plateformes différentes
et de communications chiffrées rend le suivi et la détection difficiles.
En outre, une grande partie des contenus d’extrême droite apparaissent
parmi des contenus qui restent en-deçà des seuils pénaux. Une coopération accrue
devrait être encouragée entre les gouvernements et les prestataires
de services de communication dans le cadre des efforts visant à
détecter et à supprimer de manière proactive les contenus préjudiciables.
66. Dans sa
Résolution
2443 (2022) «Le rôle des partis politiques dans la promotion de
la diversité et de l’inclusion: une nouvelle charte pour une société
non raciste», l’Assemblée a réaffirmé que les représentant·e·s des
gouvernements et les responsables politiques en général devraient
mener avec détermination les efforts visant à éliminer le racisme,
la haine et l’intolérance et donner l’exemple en contestant, rejetant
et condamnant publiquement les expressions de haine, quelle que
soit leur provenance. Cela contribue de manière essentielle à promouvoir
un modèle de société qui encourage la diversité et respecte la dignité
humaine et à orienter la tonalité du discours public.
67. L'Assemblée a également appelé, dans la même résolution, tous
les partis politiques démocratiques à signer et à appliquer la Charte
révisée des partis politiques européens pour une société non raciste
et inclusive, qui comprend l'adhésion à la défense des droits humains
fondamentaux et des principes démocratiques et au rejet de toutes
les formes de racisme et d'intolérance, de discours de haine, d'incitation
à la haine raciale et de harcèlement.
6. Conclusions
68. Le quatrième Sommet des chefs
d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe a donné un nouvel élan
à l'Organisation en tant que pierre angulaire de la sécurité démocratique
européenne, à la protection de nos fondements démocratiques et à
la lutte contre les atteintes aux droits humains.
69. L’essor et la propagation rapide de l’idéologie d’extrême
droite en Europe se caractérisent par une montée de l’intolérance,
du discours de haine et de la discrimination, et cette tendance
a été identifiée dans nombre de pays européens comme la plus grande
menace que doit affronter leur démocratie. Nous ne pouvons accepter
des actes d’intimidation et de violence qui représentent un risque
pour nos structures démocratiques et mettent en péril les droits
humains et les libertés fondamentales.
70. Les attaques perpétrées ces dernières années par des extrémistes
de droite, tant en Europe que dans le monde, doivent également nous
rappeler que nous ne pouvons pas sous-estimer le danger que représente cet
extrémisme de droite. Les activités destinées à mettre à mal la
société démocratique, nos valeurs et nos principes requièrent une
réponse ferme et vigoureuse à la fois au niveau national et international
afin de préserver une Europe libre, sûre et démocratique. Les défis
auxquels nos sociétés sont confrontées, tels que l’incertitude économique,
la polarisation sociétale et l’instabilité géopolitique, ont encore
élargi l’opportunité pour les extrémistes d’extrême droite de promouvoir
des solutions suprémacistes et d’atteindre des publics mécontents.
71. Une coopération internationale et la mise en œuvre efficace
de politiques cohérentes et responsables sont nécessaires pour faire
face aux évolutions de plus en plus transnationales, à la prolifération
des contenus extrémistes en ligne et à la banalisation de l’idéologie
d’extrême droite dans la sphère publique. Des politiques de prévention
doivent être ajustées, affinées et étendues aux manifestations et
tactiques modernes de l’extrémisme d'extrême droite.
72. Les gouvernements doivent garantir qu’il existe des contrepoids
aux discours extrémistes en les contestant publiquement et en veillant
à la mise en place d’une éducation qui renforce le respect des droits humains
et encourage la compréhension et la tolérance.
73. Les responsables politiques devraient être en première ligne
dans cette action, jouer pleinement leur rôle de défense des droits
humains et des principes démocratiques et rejeter sans équivoque
toutes les formes de racisme et d’intolérance, de discours de haine,
d’incitation à la haine raciale et de harcèlement.