1. Introduction
1. La procédure de suivi de l’Assemblée
parlementaire s’appuie sur la
Résolution
1115 (1997) portant sur la création d'une commission de l'Assemblée
pour le respect des obligations et engagements des États membres
du Conseil de l'Europe (commission de suivi) (modifiée par les résolutions
suivantes:
Résolution 1431
(2005),
Résolution
1515 (2006),
Résolution
1698 (2009),
Résolution
1710 (2010),
Résolution
1936 (2013),
Résolution
2018 (2014),
Résolution
2261 (2019),
Résolution
2325 (2020),
Résolution
2357 (2021) et la
Résolution
2428 (2022). La
Résolution
1115 (1997) définit le mandat de la commission de suivi et stipule qu’elle
est «chargée de veiller au respect des obligations contractées par
les États membres aux termes du Statut du Conseil de l’Europe [(STE
no 1)], de la Convention européenne des
droits de l’homme [(STE no 5)] et de
toutes les autres conventions de l’organisation auxquelles ils sont
parties, ainsi qu’au respect des engagements pris par les autorités
des États membres lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe».
2. En vertu du paragraphe 14 de la
Résolution 1115 (1997) modifiée, la commission de suivi doit rendre compte
une fois par an de l’évolution générale des procédures de suivi.
Conformément à la pratique établie, la commission m’a chargé, en
ma qualité de président de la commission, de faire rapport sur ses
activités sur la période de janvier à décembre 2023.
3. Le mandat de la commission de suivi stipule qu’elle veille
au respect, par tous les États membres, des obligations découlant
de leur adhésion au Conseil de l’Europe et, le cas échéant, des
engagements spécifiques qu’ils ont contractés. Actuellement, 11
pays font l’objet d’une procédure de suivi complète, (Albanie, Arménie,
Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Géorgie, Hongrie, République de
Moldova, Pologne, Serbie, Türkiye et Ukraine).
4. Trois pays sont actuellement engagés dans un dialogue postsuivi
(Bulgarie, Monténégro et Macédoine du Nord). Le dialogue postsuivi
concerne les États ayant progressé jusqu’à ce stade à l’issue d’une
procédure de suivi complète. Il s’agit d’un processus moins intensif,
ciblant un nombre limité de questions non encore résolues et susceptibles
d’être réglées à brève échéance. C’est pourquoi le Règlement de
l’Assemblée précise que seuls deux rapports de dialogue postsuivi
seront publiés. Le deuxième de ces rapports doit définir si le dialogue
postsuivi peut être clos pour le pays concerné. À défaut, le pays
fait à nouveau l’objet d’une procédure de suivi complète.
5. Le mandat de la commission de suivi la charge d’assurer et
d’évaluer le respect des obligations contractées par tous les États
membres aux termes du Statut du Conseil de l’Europe, de la Convention
et de toutes les autres conventions de l’Organisation auxquelles
ils sont parties. Dès lors, comme le prévoit la
Résolution 2261 (2019), la commission de suivi prépare des rapports d’examen
périodique sur le respect des obligations découlant de l’adhésion
au Conseil de l’Europe pour tous les États membres qui ne font pas
l’objet de l’une des deux procédures spécifiques de suivi susmentionnées.
Comme le prévoit cette résolution, la commission de suivi sélectionne
les pays devant faire l’objet d’un examen périodique selon ses méthodes
de travail interne, pour des raisons de fond, tout en maintenant
l’objectif de consacrer, au fil du temps, des examens périodiques
à tous les États membres. Ces rapports ont pris une importance croissante
dans les travaux de la commission. Ceux concernant Saint-Marin et
la France ont été soumis à l’Assemblée en 2023. L’examen du rapport
sur les Pays-Bas a été reportée à 2024 en raison des élections législatives
anticipées du 22 novembre 2023. Le 5 décembre 2023, la commission
de suivi a tenu un échange de vues sur la sélection des trois prochains
pays devant faire l’objet de rapports d’examen périodique et, à
la suite d’un vote, a sélectionné la Grèce, l’Espagne et la Suède.
6. La commission de suivi a également une sous-commission sur
les conflits concernant les États membres du Conseil de l’Europe
conformément à l’article 49 du Règlement de l’Assemblée et à la
décision révisée de la commission du 24 mai 2022, qui définit comme
suit les conflits relevant de sa compétence: «situation dans laquelle
il est mis fin à un conflit armé actif, sans qu’un traité de paix
ou un autre cadre politique ne règle le conflit à la satisfaction
des belligérants. D'où la possibilité, sur le plan légal, d'une
reprise du conflit à tout moment et, dès lors, de la création d'un
climat d'insécurité et d'instabilité.»
7. Les commentaires par pays présentés dans la section ci-après
ont été élaborés en consultation avec les rapporteurs responsables
sur la base de leurs rapports, notes et déclarations et des discussions
au sein de la commission de suivi (avec la participation de représentants
de la majorité et de l’opposition des pays concernés conformément
à l’article 10 de la
Résolution
1115 (1997)), ainsi que des conclusions d’autres mécanismes de suivi
du Conseil de l'Europe.
2. Aperçu
des activités de la commission
2.1. Observations
générales
8. La commission a réussi à rattraper
une bonne partie du travail en attente et des retards causés par
la pandémie de covid-19. Malgré tout, les travaux et l’ordre du
jour de la commission ont une nouvelle fois été affectés en 2023
par les fréquents changements de rapporteurs et leurs agendas nationaux
très chargés, ce qui est compréhensible, mais aussi par les cycles
électoraux dans les pays sous suivi.
9. Au cours de la période considérée, les rapporteurs se sont
rendus à diverses reprises dans les pays relevant de leur responsabilité,
notamment deux visites en Arménie, deux visites en Azerbaïdjan,
et une visite dans chacun des pays suivants: Albanie, Bulgarie,
Bosnie-Herzégovine, France, Géorgie, Pays-Bas, Pologne, Serbie et
Türkiye.
10. À l’initiative des rapporteurs concernés, plusieurs auditions
ont été organisées au cours de réunions de commission, comme celle
sur les événements récents en Serbie sur le thème «la situation
juridique et le fonctionnement des institutions»; sur «La lutte
contre l’influence indue: la législation anti-oligarque en Ukraine, en
Géorgie et en République de Moldova» et sur les «Droits humains
et préoccupations humanitaires résultant de la situation dans le
corridor de Latchine». La commission a également organisé des auditions
conjointes sur les «Menaces d’atteinte à la vie et à la sécurité
des journalistes et des défenseurs des droits humains en Azerbaïdjan»
(avec la commission des questions juridiques et des droits de l'homme
et la commission de la culture, de la science, de l’éducation et
des médias); «Les SLAPP une menace pour le pluralisme des médias et
les mesures mises en œuvre pour les contrer» (avec la commission
de la culture, de la science, de l’éducation et des médias); «Le
financement des partis politiques» (avec la commission des questions politiques
et de la démocratie); et «Droits humains et situation humanitaire
des Arménien·ne·s du Karabakh et obligations internationales de
l’Azerbaïdjan» (avec la commission des questions juridiques et des
droits de l'homme et la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées).
11. La commission de suivi a soumis trois rapports par pays à
l’Assemblée au cours de la période couverte sur «Le respect des
obligations et engagements de la République de Moldova», «Le respect
par Saint-Marin des obligations découlant de l’adhésion au Conseil
de l’Europe» et «Le respect par la France des obligations découlant
de l’adhésion au Conseil de l’Europe». De plus, elle a préparé un
avis sur le rapport de la commission des questions politiques et
de la démocratie sur «Le rôle du Conseil de l’Europe dans la prévention
des conflits, le rétablissement de la crédibilité des institutions
internationales et la promotion de la paix dans le monde».
12. Le 5 décembre 2023, la commission de suivi a examiné un projet
de rapport sur «Le respect des obligations et engagements de l’Azerbaïdjan»
et a adopté un projet de résolution.
13. Les avant-projets de rapports sur «Le respect des obligations
et engagements de l’Albanie» et «Le dialogue postsuivi avec la Bulgarie»
ont été examinés par la commission le 5 décembre 2023 dans le but
de les communiquer aux autorités concernées en vue de débats à l’Assemblée
en avril 2024.
14. Au cours l’année 2023, la commission a examiné et déclassifié
des notes d’information sur le respect des obligations et engagements
de la Türkiye, de l’Arménie, de la Pologne, de la Géorgie et de
la Serbie.
15. Les rapporteurs pour l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie,
la Pologne et la Türkiye ont fait plusieurs déclarations sur les
événements survenus dans les pays sous leur responsabilité.
16. Tout comme les années précédentes, la coopération remarquable
avec la Commission de Venise s’est poursuivie en 2023. La commission
a sollicité des avis sur la loi ukrainienne sur la «Prévention des
menaces pour la sécurité nationale liées à l’influence excessive
de personnes ayant un poids économique ou politique important dans
la vie publique (oligarques)» (Reg. n° 5599); sur la loi relative
aux minorités nationales (communautés) en Ukraine; sur le projet
de loi ukrainien «modifiant certains actes législatifs de l’Ukraine
qui limitent la participation au pouvoir de l’État des personnes
associées à des partis politiques dont les activités sont interdites
en vertu de la loi»; sur la loi néerlandaise relative à l’organisation
du pouvoir judiciaire; sur les amendements à la loi organique sur
les tribunaux ordinaires tels qu’adoptés par le parlement géorgien
le 13 juin 2023; sur les amendements à la loi relative aux minorités
nationales (communautés) en Ukraine; ainsi qu’un avis urgent sur
la Loi sur la commission d’État chargée d’enquêter sur l’influence
russe sur la sécurité intérieure de la République de Pologne pendant
la période 2007-2022 ainsi que sur les amendements à cette loi proposés
par le Président Duda tels qu’adoptés par le Sejm le 16 juin 2023.
En outre, plusieurs échanges de vues ont été organisés avec la Secrétaire
et les membres de la Commission de Venise en rapport avec les avis
élaborés.
17. Comme le laissait prévoir la nature sensible de son mandat,
les travaux de la sous-commission sur les conflits concernant les
États membres du Conseil de l’Europe ont été influencés, et malencontreusement limités
par des facteurs extérieurs, y compris la situation sécuritaire
tendue et souvent imprévisible autour des conflits relevant de son
mandat. Le séminaire sur les aspects des droits humains dans le
processus de règlement transnistrien et le rôle du Conseil de l’Europe,
initialement prévue en avril 2023, a dû être annulé à cause des
grèves dans les transports en France. Il n’a malheureusement pas
été possible de parvenir à un accord sur de nouvelles dates pour
ce séminaire du fait de la situation sécuritaire tendue en République
de Moldova due à la poursuite de l’agression de la Fédération de
Russie contre l’Ukraine. Le conflit dans le Haut-Karabakh a bien
sûr continué d’attirer l’attention. Vu son importance pour l’ensemble
des travaux de la commission, il a été décidé d’examiner ces questions
dans le cadre des réunions plénières de la commission plutôt qu’au
niveau plus restreint de la sous-commission. En sa qualité de Président
de la sous-commission, M. Claude Kern (France, ADLE) a été nommé
rapporteur pour avis sur le rapport de la commission des questions
politiques et de la démocratie intitulé «Le rôle du Conseil de l’Europe
dans la prévention des conflits, le rétablissement de la crédibilité
des institutions internationales et la promotion de la paix dans
le monde». L’année prochaine, la commission examinera comment mettre
en œuvre les deux recommandations énoncées dans cet avis dans ses
activités générales. Sur proposition du président de la sous-commission,
la commission de suivi a tenu, le 5 décembre 2023, un échange de
vues sur les orientations futures de la sous-commission et de ses
travaux.
18. Comme évoqué plus haut, dans le contexte de sa procédure de
suivi sur l’Arménie et l’Azerbaïdjan, la commission a suivi de près
les événements en lien avec le conflit au Haut-Karabakh. Dans ce
contexte, elle a procédé à plusieurs échanges de vues avec les présidents
des deux délégations et, le 13 septembre 2023, à un échange de vues
avec M. Toivo Klaar, représentant spécial de l’Union européenne
pour le Caucase du Sud, sur les «Droits humains et préoccupations
humanitaires résultant de la situation dans le corridor de Latchine». Le
12 octobre, la commission a tenu une audition conjointe avec la commission
des questions juridiques et des droits de l'homme et la commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées sur les
«Droits humains et situation humanitaire des Arménien·ne·s du Karabakh
et obligations internationales de l’Azerbaïdjan». La commission
avait également décidé d’envoyer dans la région une mission conjointe
des corapporteurs pour l’Azerbaïdjan et l’Arménie afin d’observer
sur le terrain l’évolution des événements en rapport avec le conflit.
Il n’a toutefois pas été possible de réaliser cette mission conjointe
en raison des objections soulevées par la délégation de l’Azerbaïdjan.
À défaut, la question a été examinée par les corapporteurs respectifs
dans le contexte de leurs missions de suivi dans les pays concernés.
En février 2023, les corapporteurs pour l’Arménie se sont rendus
à Goris et à Vardenis et, en juin 2023, les corapporteurs pour l’Azerbaïdjan
se sont rendus à Aghdam.
19. S’agissant de la durée des mandats pour les rapports d’examen
périodique, et comme le mentionnait le précédent rapport d’activités,
le délai actuel de deux ans est insuffisant pour leur élaboration,
notamment du fait des conditions particulières et des exigences
procédurales liées à l’élaboration des rapports de suivi. Le Bureau
de l’Assemblée a, par la suite, décidé de renvoyer la question de
la durée du mandat pour les rapports d’examen périodique à la commission
du règlement, des immunités et des affaires institutionnelles, pour
prise en compte dans le cadre de la prochaine révision générale
du Règlement de l’Assemblée. Lors des consultations relatives au
prochain rapport sur la «Modification de certaines dispositions
du Règlement de l’Assemblée», les membres de la commission du règlement,
des immunités et des affaires institutionnelles, ainsi que la rapporteure
pour ce rapport, Mme Ingjerd Schie Schou
(Norvège, PPE/DC), ont soutenu la proposition d’allonger à au moins
3 ans le temps imparti pour élaborer les rapports d’examen périodique,
avec une possibilité de prolongation supplémentaire. Le rapport
sur la «Modification de certaines dispositions du Règlement de l’Assemblée»
n’a cependant pas encore été soumis à l’Assemblée. Il est à espérer
que cela se fera bientôt afin que les prochains rapports d’examen
périodique puissent être réalisés sur ce mandat de 3 ans.
20. Par ailleurs, plusieurs changements de rapporteurs sont intervenus
en 2023. Cet aspect rappelle le problème de la disponibilité des
rapporteurs de suivi et du temps dont ils disposent pour s’acquitter
de leurs missions qui prennent beaucoup de temps, des points qui
ont déjà été soulignés dans les rapports d’activités précédents.
Dans le prochain rapport d’activités, la commission prévoit de formuler
des propositions concrètes pour une révision éventuelle de la limite
actuelle du mandat unique de cinq ans pour les rapporteurs d'un
pays faisant l'objet d'une procédure de suivi complète ou engagé
dans un dialogue postsuivi, et d’opter pour trois mandats de trois
ans, ce qui permettrait tant de révoquer des rapporteurs que de
conserver des rapporteurs disponibles et compétents pour un pays
donné, conformément aux recommandations de la
Résolution 2483 (2023).
21. Dans son avis
sur le rapport «Le rôle du Conseil
de l’Europe dans la prévention des conflits, le rétablissement de
la crédibilité des institutions internationales et la promotion
de la paix dans le monde», M. Claude Kern insistait sur le rôle
des rapports de la commission de suivi, qui constituent un mécanisme d’alerte
précoce permettant de repérer et de traiter les diverses situations
et évolutions qui, dans nos États membres, risquent de constituer
une menace pour l'État de droit, la sécurité démocratique et les
relations de bon voisinage. Il notait en même temps que les rapports
de la commission de suivi ont certes permis de produire les avertissements
précoces nécessaires et d’alerter les membres de l’Assemblée et
le grand public, mais ils ont rarement abouti à des décisions de
mesures appropriées de l’Assemblée ou du Conseil de l'Europe. Dans
la
Résolution 2515 (2023), l’Assemblée a par conséquent décidé de «renforcer les
capacités tant de la commission des questions politiques et de la
démocratie que de la commission pour le respect des obligations
et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission
de suivi), en particulier en matière d’alerte précoce, en accord
avec les conclusions du Sommet du Conseil de l’Europe de 2023, et réfléchir
aux mécanismes pour garantir que ces alertes précoces seront dûment
prises en considération»
. Au cours de l’année
prochaine, la commission de suivi prévoit d’élaborer des propositions
concrètes destinées à mettre en œuvre cette décision pour ses travaux.
Dans ce contexte, la commission devrait également mener une réflexion
sur ses possibilités de renforcer sa réactivité et sa capacité à
réagir rapidement aux événements survenant dans les États membres
qui ne font pas l’objet d’une procédure de suivi complète, qui ne
sont pas engagés dans un dialogue postsuivi ni soumis à un examen
périodique de leurs obligations envers le Conseil de l’Europe.
22. Le rapport d'activités est un instrument important permettant
de faire le point sur les progrès accomplis par les États membres
en matière de respect de leurs obligations en tant que membres et,
le cas échéant, des engagements pris lors de leur adhésion au Conseil
de l'Europe, ainsi que de réfléchir à la manière d’affiner les procédures
de suivi proprement dites. Parallèlement, la préparation de ces
rapports suppose, chaque année, une charge de travail et une pression
considérables sur les ressources de la commission. Je suggère par conséquent
que la commission examine les possibilités de renforcer l’impact
des rapports d’activités et la fréquence de leur présentation.
2.2. Pays
faisant l’objet d’une procédure de suivi complète
2.2.1. Albanie
23. M. Joseph O’Reilly (Irlande,
PPE/DC), dont le mandat a pris fin, a été remplacé le 21 mars 2023
par M. Ionuţ-Marian Stroe (Roumanie, PPE/DC) en qualité de rapporteur.
Les corapporteurs, M. Asim Mollazada (Azerbaïdjan, CE/AD) et M. Ionuţ-Marian Stroe
ont effectué une visite d’information en Albanie du 25 au 28 septembre 2023.
Au cours de leur séjour, outre les réunions qu’ils ont tenues à
Tirana, ils se sont également rendus à Fier, Vlorë et Himarë pour
constater par eux-mêmes les résultats de la réforme administrative territoriale
qui visait à renforcer l’autonomie locale dans le pays, ainsi que
la situation des communautés minoritaires dans ces régions.
24. Comme l’ont salué les corapporteurs dans leur déclaration
faisant suite à leur visite, l’Albanie a continué, en 2023, à accomplir
des progrès notables et tangibles dans le respect de ses obligations
et engagements à l’égard du Conseil de l’Europe. Dans le même temps,
un certain nombre de points préoccupants restent à traiter et une
mise en œuvre plus cohérente des principales réformes qui ont été
adoptées s’avère nécessaire.
25. L’extrême polarisation de l’environnement politique se poursuit
sans relâche et reste un sujet de préoccupation. À la suite des
élections législatives de 2021, la crise politique systémique qui
a frappé le pays pendant de nombreuses années a été en grande partie
résorbée, même si bon nombre de ses causes n’ont pas été traitées.
Les polarisations politiques sont exacerbées par une fragmentation
de l’opposition, qui résulte également d’une crise de leadership
au sein du principal parti d’opposition. Combinés, ces deux phénomènes nuisent
au contrôle parlementaire et au bon fonctionnement du système d’équilibre
des pouvoirs, qui sont essentiels à la consolidation démocratique
du pays.
26. La procédure de contrôle de tous les juges et procureurs albanais
qui est un élément essentiel de la réforme du système judiciaire,
et les efforts déployés pour lutter contre la corruption persistante
et l’influence de la criminalité organisée dans le pays, se sont
poursuivis sans relâche en 2023. Au 30 septembre 2023, 694 postes
de juges et de procureurs sur un total de 805 avaient été contrôlés.
Les résultats de la procédure sont impressionnants. Plus de 62 %
de l’ensemble des personnes contrôlées ont été démises de leurs fonctions,
essentiellement parce qu’elles n’ont pas été en mesure de justifier
leur patrimoine, ou ont démissionné pour échapper à la procédure
de vérification. Ce bilan souligne l’importance et la nécessité
d’une telle pratique. Compte tenu de la charge de travail considérable,
le délai imparti à la Commission indépendante de vérification des
qualifications pour achever sa mission a été prolongé jusqu’au 31 décembre 2024.
Celle-ci a fait savoir qu’elle comptait mener à bien ses travaux
dans les temps. La date limite pour traiter d’éventuels recours
est fixée au 17 juin 2026.
27. La Structure spécialisée dans la lutte contre la corruption
et la criminalité organisée est désormais pleinement opérationnelle
et commence à produire des résultats tangibles, notamment dans des
affaires de haut niveau. Le 25 septembre 2023, le tribunal spécialisé
dans la lutte contre la corruption et la criminalité organisée a
condamné sept fonctionnaires, dont un ancien ministre de l’Environnement
de la majorité au pouvoir, à de lourdes peines de prison pour corruption
dans le cadre du «scandale des incinérateurs». Il importe à présent
de transformer ces premiers résultats concrets en tendance irréversible,
afin de montrer que l’impunité n’est plus de mise pour les comportements
corrompus en Albanie.
28. Les élections locales qui se sont déroulées le 14 mai 2023
ont été largement perçues comme un baromètre du climat politique
au niveau national. Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
du Conseil de l’Europe a observé les élections et a conclu qu’elles
avaient été bien organisées mais marquées par une forte polarisation
persistante entre les principales forces politiques et une domination
des questions d’intérêt national lors de la campagne. À l’instar
de ce qui avait déjà été constaté lors des élections législatives
de 2021, une utilisation abusive des ressources administratives
et des informations concordantes faisant état d’achat de voix et
de pressions exercées sur les employés du secteur public ont été
signalées. On ne peut que déplorer cette tendance.
29. Le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales (STE no 157) a
adopté son cinquième avis sur l’Albanie le 6 juin 2023. Dans ce
rapport, le Comité consultatif saluait le caractère divers et multiculturel
de la société albanaise, qui a une longue tradition de tolérance
et de dialogue interreligieux. Cependant, il regrettait que trois
décrets essentiels à l’exécution de la loi relative à la protection des
minorités nationales n’aient pas encore été adoptés, plus de cinq
ans après l’adoption de la loi en 2017, entravant ainsi sa mise
en œuvre. Les autorités sont instamment invitées à adopter sans
plus tarder les décrets en souffrance, après consultation du Comité
consultatif.
30. Il y a lieu de se féliciter du retrait de l’Albanie, le 27 octobre 2023,
par le Groupe d’action financière, de la «liste grise» des pays
soumis à une surveillance renforcée pour remédier aux défaillances
systémiques de leurs régimes de lutte contre le blanchiment de capitaux,
le financement du terrorisme et le financement de la prolifération.
31. Les corapporteurs ont élaboré un avant-projet de rapport sur
le respect des obligations et engagements de l’Albanie qui a été
examiné par la commission lors de sa réunion tenue à Rome, les 4
et 5 décembre 2023. Conformément aux règles régissant la préparation
des rapports de suivi, l’avant-projet a ensuite été transmis aux
autorités albanaises pour commentaires et devrait être présenté
à l’Assemblée plénière lors de la partie de session d’avril 2024.
2.2.2. Arménie
32. Tout au long de la période
considérée, le conflit avec l’Azerbaïdjan et le sort de la population
de souche arménienne du Haut-Karabakh ont éclipsé les autres questions
en Arménie. À la fin de l’année 2022, les autorités azerbaïdjanaises
ont fermé le corridor de Latchine, seule route reliant l’Arménie
à la région séparatiste du Haut-Karabakh, placée sous la responsabilité
des forces de maintien de la paix russes. L’Arménie a saisi la Cour
européenne des droits de l’homme et la Cour internationale de Justice
pour demander des mesures provisoires. Malgré les décisions rendues
par ces deux tribunaux internationaux, le blocage s’est poursuivi
et la population de souche arménienne vivant dans la région du Haut-Karabakh
a souffert de pénuries de nourriture et de médicaments, ainsi que
d’un manque d’approvisionnement en énergie. Au moment même où les
négociations diplomatiques laissaient entrevoir un éventuel acheminement
de l’aide humanitaire dans la région, l’Azerbaïdjan a décidé de
recourir à la force militaire pour s’emparer du territoire habité
par des Arméniens de souche et placé sous la protection des forces
russes de maintien de la paix. L’entrée des troupes azerbaïdjanaises
sur le territoire, le 20 septembre 2023, a provoqué la fuite de
la quasi-totalité de la population locale vers l’Arménie en l’espace
de quelques jours. L’Arménie a dû prendre en charge la réinstallation
de plus de 100 000 réfugiés, ce qui représente environ 3 % de sa
population.
33. Il convient de saluer la réaction de l’Arménie face à cet
incroyable défi. Grâce aux mesures prises par les autorités et à
la solidarité de la population, les réfugiés ont bénéficié d’un
logement et d’une aide d’urgence. Cependant, à long terme, le pays
aura besoin d’un soutien international plus important. La commission
souscrit à l’appel lancé par la Commissaire aux droits de l’homme
aux «États membres du Conseil de l’Europe à soutenir pleinement
la pérennisation de l’assistance nécessaire pour répondre aux besoins
des personnes récemment déplacées en Arménie, notamment en ce qui
concerne leur situation à moyen et long terme».
34. L’appui de la communauté internationale aux négociations sur
un accord de paix global entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan est également
primordial. Le 14 mai 2023, lors d’une réunion à Bruxelles organisée
par le président du Conseil européen Charles Michel, les dirigeants
arméniens et azerbaïdjanais ont confirmé leur attachement sans équivoque
à la déclaration d’Almaty de 1991 et à l’intégrité territoriale
respective de l’Arménie (29 800 km2)
et de l’Azerbaïdjan (86 600 km2). Cela
signifie que les frontières administratives des anciennes républiques
soviétiques sont désormais les frontières étatiques des pays et
que leur inviolabilité doit être respectée. L’établissement de liaisons
de transport dans la région selon des modalités arrêtées d’un commun
accord et dans le respect de la souveraineté de toutes les parties
est extrêmement important pour le développement économique et la
stabilité à long terme de la région, comme l’indique la
Résolution 2517 (2023).
35. Ces évolutions d’une importance cruciale pour la société arménienne
n’ont pas entamé la détermination du pays à continuer d’améliorer,
conformément aux normes internationales, le fonctionnement de ses institutions
démocratiques et son respect des droits humains et de l’État de
droit.
36. Des élections locales au conseil municipal de la ville d’Erevan
ont eu lieu le 17 septembre 2023. Ce scrutin revêtait une importance
nationale puisqu’un tiers de l’électorat arménien est inscrit sur
les listes électorales d’Erevan. Le Congrès des pouvoirs locaux
et régionaux, qui a observé le déroulement des élections, a salué
un scrutin pacifique et bien administré et souligné les efforts
importants déployés par la Commission électorale centrale pour réduire
les risques de fraude et renforcer la confiance des électeurs dans les
processus électoraux. La cheffe de la délégation du Congrès a déclaré:
«Nous avons été satisfaits de voir que certaines de nos recommandations
avaient été mises en œuvre sur le terrain et nous nous sommes félicités
que tous les candidats aient largement accepté les résultats».
37. Le 9 octobre 2023, la Commission de Venise a rendu un avis
sur les projets de modification du Code électoral, à la demande
des autorités arméniennes. Elle a estimé que: «Les projets d’amendements
proposés témoignent d’un effort continu des autorités pour mettre
la législation électorale en conformité avec les obligations internationales
[et] les normes du Conseil de l’Europe (…)». Cependant, certaines
de ses recommandations antérieures n’ont pas été prises en compte
et d’autres modifications sont nécessaires pour y donner suite.
Cela dit, la Commission de Venise a conclu que «bon nombre des amendements
proposés sont positifs et constituent une amélioration bienvenue,
notamment en ce qui concerne la transparence et l’accessibilité
des élections, l’égalité des conditions de campagne pour tous les
candidats, ainsi que la structure et le fonctionnement de la Commission
électorale centrale».
38. Au cours de la visite qu’ils ont effectuée à Erevan du 6 au
8 novembre 2023, les corapporteurs ont abordé la question de la
loi électorale avec les partis politiques, les membres du gouvernement
et la Commission électorale centrale. Selon eux, les progrès accomplis
en matière d’intégrité du processus électoral sont impressionnants.
Leurs conclusions et recommandations seront présentées dans leur
prochain rapport de suivi.
39. En décembre 2022, la Commission de Venise a rendu un avis,
à la demande des autorités arméniennes, sur le projet de loi constitutionnelle
visant à compléter et à modifier la loi constitutionnelle sur le
Code judiciaire. Elle s’est félicité «de l’ouverture des autorités
arméniennes à un véritable dialogue avec le Conseil de l’Europe, et
de leurs efforts continus pour améliorer le système de gouvernance
judiciaire conformément aux normes européennes, dans les limites
fixées par la Constitution nationale, et compte tenu du contexte
juridique et politique global du pays».
40. La question de la responsabilité disciplinaire des juges est
essentielle pour améliorer la situation du système judiciaire. Après
consultation des organes spécialisés du Conseil de l’Europe, le
recours à des mesures disciplinaires pour répondre aux allégations
de corruption parmi les magistrats a été préféré à une procédure
de contrôle à l’égard de l’ensemble du corps judiciaire. Des institutions
indépendantes ont été établies, telles que le Comité d’éthique et
de discipline de l’Assemblée générale des juges, mais il doit encore s’acquitter
pleinement du mandat qui lui a été confié. Dans l’intervalle, le
ministère de la Justice reste habilité à engager des poursuites
disciplinaires, ce qui suscite des préoccupations quant à la neutralité
politique de la procédure disciplinaire. Le ministère de la Justice
a soumis pour avis à la Commission de Venise un projet de réforme
du Comité d’éthique et de discipline. Les corapporteurs ont demandé
instamment aux autorités de donner suite à toutes les préoccupations
et recommandations formulées par la Commission de Venise dans l’avis
qu’elle rendra prochainement.
41. La lutte contre la corruption est une priorité pour le gouvernement
et plusieurs mesures importantes ont été prises en ce sens. Deux
nouveaux organes ont été mis en place au cours des trois dernières
années: la Commission de prévention de la corruption et l’Agence
de lutte contre la corruption. Ces organes sont dotés de larges
attributions et de réels pouvoirs. Au cours des dernières années,
des responsables de haut rang, y compris des ministres de l’actuel
gouvernement, ont été arrêtés pour des faits de corruption. Les
salaires des juges, des procureurs et des enquêteurs ont été revus
à la hausse. De plus, une réforme de la police de la route a permis
d’éliminer presque totalement la petite corruption. Il reste cependant
des problèmes systémiques à résoudre, et les autorités viennent
d’adopter à cette fin une stratégie anticorruption 2023-2026.
2.2.3. Azerbaïdjan
42. En 2022, la commission de suivi
s’est attachée à élaborer un rapport de suivi sur l’Azerbaïdjan.
Les corapporteurs, M. Ian Liddell-Granger (Royaume-Uni, CE/DA) et
Mme Lise Christoffersen (Norvège, SOC)
se sont rendus dans le pays (à Bakou et Aghdam) en juin 2023
.
Le 13 septembre 2023, la commission a examiné un avant-projet de
rapport et le 5 décembre 2023, elle a examiné un projet de rapport
final et adopté un projet de résolution.
43. Un certain nombre de préoccupations soulignées dans la
Résolution 2184 (2017) de l’Assemblée concernant la démocratie pluraliste,
l’État de droit et les droits humains restent sans réponse. En ce
qui concerne la démocratie pluraliste, la loi sur les partis politiques
adoptée le 16 décembre 2022 et critiquée par la Commission de Venise
et le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme
de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (BIDDH
de l’OSCE), pourrait avoir un effet dissuasif et nuire au pluralisme
dans le pays. Après son entrée en vigueur, certains partis politiques
ont rencontré des difficultés pour renouveler leur enregistrement.
44. En ce qui concerne le respect de l’État de droit, des mesures
supplémentaires s’imposent pour lutter contre la corruption et assurer
la pleine indépendance de l’appareil judiciaire, conformément aux recommandations
du Groupe d’États contre la corruption (GRECO). Il convient toutefois
de saluer la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM),
approuvée par le parlement le 9 juin 2023. À la suite de son adoption,
le CSM ne comprend plus de représentant nommé par le Président de
l’Azerbaïdjan; le ministre de la Justice et le président de la Cour
suprême n’en sont plus membres de droit; et son président doit être
élu parmi les juges qui le composent. Le nombre de juges au sein
du CSM a été augmenté et désormais 9 des 15 membres du Conseil sont
élus par la Conférence des juges et un membre est désigné par la
Cour constitutionnelle.
45. La situation des droits humains ne s’est malheureusement pas
améliorée au cours de l’année passée. De graves préoccupations subsistent
concernant les restrictions imposées à la liberté d’expression, d’association
et de réunion (qui ont un impact négatif sur la situation générale
de la société civile), ainsi que le recours à la torture ou aux
mauvais traitements par les forces de l’ordre et les mauvaises conditions
de détention. Les corapporteurs pour l’Azerbaïdjan ont également
fait part de leurs inquiétudes quant au phénomène persistant de
l’emprisonnement de personnes pour des raisons politiques. Par ailleurs,
dans sa
Résolution 2494
(2023) «Mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des
droits de l’homme»
du 26 avril 2023, l’Assemblée fait observer
que l’Azerbaïdjan est l’un des pays qui comptent le plus grand nombre d’arrêts
de la Cour non mis en œuvre et font toujours face à de graves problèmes
structurels ou complexes, dont certains sont non résolus depuis
plus de dix ans. Dans sa
Résolution
2509 (2023) «La répression transnationale, une menace croissante
pour l’État de droit et les droits humains», elle condamne l’utilisation par
les autorités azerbaïdjanaises de certaines techniques de répression
transnationale, telles que les restitutions et les enlèvements transfrontaliers,
principalement à l’encontre de journalistes
. Enfin, comme souligné dans sa
Résolution 2513 (2023) «Le logiciel espion Pegasus et autres types de logiciels
similaires et la surveillance secrète opérée par l’État», il existe
des «preuves solides» attestant de l’utilisation par l’Azerbaïdjan
du logiciel espion Pegasus contre des journalistes et des militants
de la société civile, y compris dans le cadre du conflit avec l’Arménie
.
46. En ce qui concerne le conflit avec l’Arménie, la commission
de suivi et ses corapporteurs ont suivi de près la situation humanitaire
et des droits humains dans le corridor de Latchine
. Le 13 septembre 2023,
lors de sa réunion tenue à Paris, la commission a procédé à un échange
de vues avec M. Toivo Klaar, représentant spécial de l’Union européenne
pour le Caucase du Sud. L’Assemblée s’est également penchée sur
cette question dans la
Résolution
2508 (2023) «Assurer un accès libre et sûr par le corridor de Latchine»
adoptée le 22 juin 2023
et
sa
Résolution 2517 (2023) «Situation humanitaire dans le Haut-Karabakh» du 12 octobre 2023
.
Dans cette dernière, elle condamnait fermement l’opération militaire
lancée par l’armée azerbaïdjanaise le 19 septembre 2023 et regrettait
que la quasi-totalité de la population arménienne du Haut-Karabakh
(plus de 100 600 personnes) ait quitté cette région et fui en Arménie,
ce qui a donné lieu à des allégations de nettoyage ethnique. De
ce fait, l’Assemblée n’a pas exclu la possibilité d’ouvrir une procédure complémentaire
conjointe.
2.2.4. Bosnie-Herzégovine
47. La période considérée a été
marquée par le rétablissement du fonctionnement de la plupart des principales
institutions de Bosnie-Herzégovine. Les corapporteurs de la commission
de suivi, M. Zsolt Németh (Hongrie, CE/DA) et M. Aleksandar Nikoloski
(Macédoine du Nord, PPE/DC) se sont rendus à Sarajevo et à Banja Luka
en septembre 2023 dans le cadre d’une visite d’information. Ils
ont conclu qu’à la suite de la décision du Conseil européen du 15 décembre 2022
d’accorder officiellement à la Bosnie-Herzégovine le statut de pays
candidat à l’Union européenne, et après de nombreuses années d’impasse
politique et de stagnation, le pays affiche désormais une dynamique
politique en faveur de la mise en œuvre des réformes demandées par
le Conseil de l’Europe et l’Union européenne.
48. Dans le sillage des élections législatives qui ont eu lieu
en octobre 2022, le Conseil des ministres au niveau de l’État a
été formé en janvier 2023, soutenu par une coalition au pouvoir
comprenant l’Alliance des sociaux-démocrates indépendants (SNSD),
l’Union démocratique croate de Bosnie-Herzégovine (HDZ BiH), et
la «troïka» (Parti social-démocrate (SDP), Parti du peuple et de
la justice (NiP), Naša Stranka). Mme Borjana Krišto
(HDZ BiH) a été nommée présidente du Conseil des ministres, sachant
que c’est la première fois que ce poste est occupé par une femme.
Les nouvelles assemblées législatives ont été entièrement constituées
en mars 2023 et le budget de l’État pour 2023 a été adopté. Par
ailleurs, le Conseil des ministres a adopté une stratégie sur la
criminalité organisée, des plans d’action sur la lutte contre le blanchiment
de capitaux et le financement du terrorisme, ainsi qu’en matière
de migration et de terrorisme. Des lois importantes sur l’intégrité
du système judiciaire, la prévention de la torture et la liberté
d’accès à l’information ont été ensuite adoptées en août et septembre 2023,
offrant ainsi un contraste appréciable avec la production législative
quasi-inexistante de l’ancien Parlement.
49. Cependant, le cadre constitutionnel et la législation électorale
sont toujours contraires à la Convention européenne des droits de
l’homme depuis l’arrêt rendu en 2009 dans l’affaire Sejdić et Finci.
Le 7 juin 2023, le Comité des Ministres a demandé instamment aux
dirigeants politiques et à toutes les autorités compétentes de «prendre
toutes les mesures requises pour garantir l’adoption des amendements
constitutionnels et législatifs visant à éliminer la discrimination
fondée sur l’appartenance ethnique lors des élections à la présidence
et à la Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine». Dans son rapport
de 2023 sur la Bosnie-Herzégovine, la Commission européenne a souligné
«que le Parlement n’avait pris aucune mesure pour supprimer de la
Constitution toute discrimination fondée sur l’appartenance ethnique
et la résidence en matière de droit de vote, conformément aux arrêts
de la Cour européenne des droits de l’homme. Le pays doit de toute urgence
mener à bien les réformes constitutionnelles et électorales en suspens.
Il convient de faire progresser ces réformes en toute priorité».
50. Les corapporteurs ont poursuivi leur dialogue avec les élus
de toutes les communautés. Plusieurs de ces interlocuteurs ont expliqué
qu’une solution à cette question fondamentale était peut-être imminente
et des pistes de réforme ont été examinées. La commission de suivi
suivra de très près l’évolution de la situation dans ce domaine,
sachant que la réforme de la législation électorale et de la Constitution
est essentielle pour l’avenir d’une Bosnie-Herzégovine démocratique.
51. En ce qui concerne la réglementation électorale, toutes les
parties prenantes ont préconisé l’adoption d’une réforme visant
à améliorer l’intégrité du processus électoral. Les décisions de
la Commission électorale centrale n’ont pas permis de dissiper les
allégations de fraude lors des élections de 2022. La Commission
de Venise et le BIDDH de l’OSCE ont formulé un certain nombre de
recommandations à ce sujet, et la législation requise doit être
adoptée dans un avenir proche.
52. Concernant la répartition des biens étatiques entre l’État
et les autres niveaux d’autorité (Entités et cantons), une solution
acceptable et durable doit être trouvée, mais les positions semblent
difficilement conciliables. La Cour constitutionnelle a annulé à
deux reprises les lois adoptées en Republika Srpska dans ce domaine,
après que le haut représentant les ait suspendues. En réaction,
les autorités de la Republika Srpska ont décidé que les décisions
du haut représentant ne seraient pas appliquées et ont remis en
question l’autorité de la Cour constitutionnelle. Les relations
entre les autorités de la Republika Srpska et le Bureau du haut
représentant se sont fortement tendues, au point que M. Milorad Dodik,
Président de la Republika Srpska, a été inculpé pour avoir refusé
de mettre en œuvre les décisions du haut représentant. Par ailleurs,
l’incapacité des parlements des deux Entités à élire de nouveaux
juges met en danger le fonctionnement de la Cour constitutionnelle.
Le départ à la retraite de l’un des juges en janvier 2024 pourrait
plonger l’institution dans une impasse, alors que le bon fonctionnement
de la Cour est essentiel au respect de l’État de droit et à la protection des
droits des citoyens.
53. En septembre 2023, des amendements de la loi sur le Conseil
supérieur des juges et des procureurs (CSJP) ont été adoptés afin
de mettre en place des contrôles d’intégrité pour les juges, les
procureurs et les membres du CSJP. Ces amendements constituent une
étape importante et opportune, mais le président du CSJP a critiqué
plusieurs points du projet adopté qui ne répondaient pas aux recommandations
de la Commission de Venise, et les corapporteurs ont été informés
de l’adoption prévue de nouvelles modifications pour donner suite
à ces remarques.
54. Le 8 novembre 2023, la Commission européenne a adopté le paquet
«élargissement» 2023, qui fournit une évaluation détaillée de la
situation et des progrès réalisés par la Bosnie-Herzégovine sur
la voie de l’adhésion à l’Union européenne. Tout en reconnaissant
la dynamique positive insufflée depuis les élections, la Commission
européenne a rappelé l’urgence d’adopter des réformes importantes
concernant l’État de droit et le pouvoir judiciaire et de faire
progresser les réformes constitutionnelles et électorales. Elle
recommande d’ouvrir les négociations d’adhésion à l’Union européenne
dès que le degré nécessaire de conformité aux critères d’adhésion
aura été atteint. Ceci montre à quel point la Bosnie-Herzégovine
se trouve à un moment charnière: le pays a la possibilité d’avancer
rapidement sur la voie des réformes indispensables pour assurer sa
stabilité et sa prospérité, alors que ses institutions sont confrontées
à des défis importants qui menacent leur viabilité.
2.2.5. Géorgie
55. Les corapporteurs pour la Géorgie,
M. Claude Kern (France, ADLE) et Mme Edite Estrela
(Portugal, SOC) se sont rendus en Géorgie du 27 au 29 mars 2023.
Pour mémoire, à la suite de la demande d’adhésion à l’Union européenne
déposée par la Géorgie, conjointement avec l’Ukraine et la République
de Moldova, la Commission européenne a décidé, en juin 2022, de
donner à la Géorgie la perspective d’adhérer à l’Union européenne
et de pouvoir lui accorder le statut de pays candidat une fois qu’elle
aura traité de manière satisfaisante douze conditions, également
appelées domaines prioritaires. En 2023, la Géorgie s’est fixée comme
priorité essentielle de remplir ces conditions ou domaines prioritaires,
qui coïncident dans une large mesure avec les préoccupations et
les recommandations de l’Assemblée exprimées dans sa
Résolution 2438 (2022).
56. Malheureusement, le climat politique en Géorgie demeure extrêmement
polarisé et la coopération et le dialogue entre l’opposition et
la majorité au pouvoir semblent rares et épisodiques. Cela a eu
des effets importants sur la mise en œuvre des différentes réformes
dans le pays, y compris celles nécessaires à l’obtention du statut
de candidat à l’Union européenne. Le processus de réforme est laborieux,
même si des progrès ont été réalisés dans certains domaines. Et
il est regrettable que les réformes mises en œuvre ne répondent
souvent que partiellement aux principales préoccupations et recommandations.
57. Signe de la polarisation politique persistante dans le pays,
le 1 septembre 2023, le parti au pouvoir a fait part de son intention
d’entamer une procédure de destitution à l’encontre de la Présidente Salomé Zourabichvili,
estimant qu’elle avait enfreint la Constitution en se rendant dans
plusieurs pays de l’Union européenne pour plaider en faveur de l’octroi
à la Géorgie du statut de pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne,
sans l’approbation du gouvernement. Quelques jours plus tard, le
12 septembre, 80 députés de la majorité au pouvoir ont déposé une
plainte formelle devant la Cour constitutionnelle de la Géorgie.
Après trois jours de réunions apparemment houleuses, axées principalement
sur les articles constitutionnels régissant les visites présidentielles,
la Cour constitutionnelle a conclu, par 6 voix pour et 3 contre,
que la Présidente Zourabichvili avait violé la Constitution en effectuant
des visites de travail à l’étranger sans l’accord du gouvernement.
Cette décision donnait au parlement la possibilité de se prononcer sur
la destitution de la Présidente. Le 18 octobre 2023, la motion déposée
en ce sens par la majorité au pouvoir n’a pas obtenu les 100 voix
requises au parlement, mettant ainsi fin à la procédure.
58. Le 6 mars 2023, à l’initiative de la majorité au pouvoir,
la commission des affaires juridiques du Parlement géorgien a adopté
un projet de loi sur la transparence de l’influence étrangère. Celui-ci
présentait des similitudes troublantes avec la loi russe sur les
agents étrangers et les «lois Stop-Soros» hongroises. Il a suscité
un tollé au sein de la société géorgienne et de profondes inquiétudes
au sein de la communauté internationale, y compris l’Assemblée,
qui a mis en doute sa compatibilité avec les normes européennes
en matière de démocratie et de droits humains. Face aux protestations
de plus en plus nombreuses au sein de la population géorgienne,
la majorité au pouvoir a fait savoir qu’elle ne soutiendrait plus
le projet de loi. Ce dernier a ensuite été rejeté par le parlement,
ce dont on ne peut que se féliciter.
59. Le 30 novembre 2022, le mandat de la précédente défenseure
publique (médiatrice), Mme Nino Lomjaria,
a pris fin. Conformément aux dispositions légales, le défenseur
public est nommé par le Parlement géorgien à la majorité qualifiée
des 3/5 (90 voix). Le 7 mars 2023, dans le cadre d’une évolution positive,
le Parlement géorgien est parvenu à un accord sur un candidat consensuel
et a élu M. Levan Ioseliani au poste de défenseur public pour un
mandat de six ans (non renouvelable). Jusqu’à son élection à cette fonction,
M. Ioseliani était membre de l’opposition au Parlement géorgien
et membre de la délégation géorgienne auprès de l’Assemblée.
60. La Géorgie a traditionnellement été à l’avant-garde de la
lutte contre la corruption. Toutefois, les organes anticorruption
internationaux, dont le GRECO, ont mis en garde les autorités géorgiennes
contre toute complaisance et les ont appelées instamment à renforcer
davantage le cadre juridique et les mécanismes institutionnels de
lutte contre ce phénomène à tous les niveaux. La lutte contre la
corruption et contre l’influence indue des intérêts financiers sont
2 des 12 conditions fixées par l’Union européenne pour accorder à
la Géorgie le statut de pays candidat. En réponse, le Parlement
géorgien a notamment établi un bureau de lutte contre la corruption
et a adopté un projet de loi sur la désoligarchisation, lequel a
été transmis pour avis à la Commission de Venise. Dans l’avis qu’elle
a rendu
, la Commission de Venise a exprimé
des doutes quant à «l’approche personnelle» adoptée dans le projet
de loi qui, selon elle, est trop large, soulève des questions quant
à sa compatibilité avec la Convention et ouvre la voie à des abus
politiques dans l’environnement politique extrêmement polarisé du
pays. Par conséquent, elle a préconisé l’adoption d’une approche
systémique qui se concentrerait sur le renforcement des outils juridiques
et des mécanismes institutionnels pour lutter contre la corruption
et l’influence politique excessive d’intérêts économiques particuliers.
Dans le cadre d’une évolution positive, le Parlement géorgien, a
par la suite rejeté, à l’initiative de la majorité au pouvoir, le
projet de loi sur la désoligarchisation en troisième lecture le
20 septembre 2023 et le 27 novembre 2023, a adopté une stratégie
de désoligarchisation (plan d’action pour éviter l’influence excessive des
intérêts dans la vie politique, économique et publique en Géorgie),
fondée sur l’approche systémique recommandée par la Commission de
Venise et la Commission européenne.
61. L’approfondissement de la réforme du système judiciaire, en
vue de garantir les réelles impartialité et indépendance de ce dernier,
constitue une priorité de l’Assemblée telle qu’exprimée dans sa
Résolution 2438 (2022), et l’un des 12 domaines prioritaires définis par la
Commission européenne. Malheureusement, peu de progrès ont été réalisés
à cet égard. Comme indiqué dans la
Résolution 2438 (2022), le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature
est l’un des principaux obstacles à l’indépendance et à l’impartialité
du système judiciaire. Une réforme en profondeur de cette institution
et de ses processus décisionnels est par conséquent essentielle.
Le 13 juin 2023, le Parlement géorgien a adopté une série d’amendements
à la loi organique sur les tribunaux ordinaires. Le 23 juin 2023,
la commission de suivi a demandé un avis à la Commission de Venise
sur ces amendements. Dans l’avis rendu
, la Commission de Venise a conclu
que, malgré certaines améliorations, ces amendements ne sauraient
être considérés comme une réforme globale du Conseil supérieur de
la magistrature conformément à ses recommandations et à celles de
l'Assemblée.
62. Le 5 octobre 2023, le Parlement géorgien a adopté, par une
procédure accélérée, une modification de la loi relative aux rassemblements
et aux manifestations qui permet à la police d’interdire la mise
en place de structures temporaires, telles que des tentes, lors
de manifestations et de rassemblements dès lors qu’il est estimé,
entre autres, qu’elles constituent une menace pour la sécurité des
participants ou un trouble à l’ordre public. Le 18 octobre 2023,
la Présidente Zourabichvili a opposé son veto aux amendements, craignant
qu’ils ne portent atteinte aux libertés fondamentales de réunion
et d’expression. Le même jour, invoquant les mêmes préoccupations,
le médiateur géorgien a demandé un avis du BIDDH de l’OSCE sur ces
amendements. Le 10 novembre 2023, ce dernier a rendu un avis urgent
y afférent
dans lequel il conclut que
les projets d’amendements ne répondent pas aux exigences strictes
prévues par le droit international en matière de restriction du
droit à la liberté de réunion pacifique et qu’il convient de ce
fait de renoncer à leur adoption. Par conséquent, les autorités
géorgiennes sont invitées instamment à retirer ces amendements.
63. Le 19 octobre 2023, le Parlement géorgien a adopté une série
d’amendements à la loi sur la radiodiffusion afin de mettre la législation
géorgienne en conformité avec la directive de l’Union européenne sur
les services de médias audiovisuels. Ces amendements controversés,
adoptés par procédure accélérée, accordent des prérogatives plus
larges à l’autorité nationale de régulation des médias, à savoir
la Commission nationale géorgienne des communications. Les organisations
de la société civile et les acteurs des médias ont fait part de
leurs inquiétudes quant à ces modifications qui, selon eux, pourraient
être utilisées de manière abusive pour restreindre la liberté des
médias et faire taire les radiodiffuseurs critiques. Le 21 février 2023,
la Direction générale droits humains et État de droit du Conseil
de l’Europe a fourni un avis d’experts
sur la loi initiale – donc avant
l’adoption des amendements d’octobre – dans lequel elle estime que
cette loi n’est pas conforme aux normes de l’Union européenne et
du Conseil de l’Europe et qu’un certain nombre de dispositions pourraient
être contraires à l’article 10 de la Convention. Par ailleurs, elle
a souligné que l’autorité nationale de régulation ne saurait être
considérée comme une institution indépendante au regard des normes
du Conseil de l’Europe relatives à l’indépendance des organes de
régulation. Les amendements adoptés en octobre ne semblent pas avoir
pris en compte les préoccupations et les recommandations du Conseil
de l’Europe mentionnées dans cet avis d’experts et, dans certains
cas, auraient même aggravé la situation. De plus, dans la perspective
des prochaines élections législatives prévues en Géorgie en 2024,
l’Assemblée devrait inviter instamment les autorités géorgiennes
à demander au Conseil de l’Europe une expertise sur les suites données et
à répondre pleinement à toutes les préoccupations et recommandations
qui y seront formulées, ainsi qu’à celles du précédent avis.
64. Il convient de saluer une évolution importante. Le 8 novembre 2023,
la Commission européenne a recommandé
d’accorder le statut de
pays candidat à la Géorgie, sous réserve que les mesures concrètes suivantes
soient prises: «(1) lutter contre la désinformation et les activités
de manipulation de l’information et d’ingérence menées depuis l’étranger
contre l’UE et ses valeurs; (2) améliorer l’alignement de la Géorgie
sur la politique étrangère et de sécurité commune de l’UE; (3) continuer
de s’attaquer à la question de la polarisation politique, y compris
par un travail législatif plus inclusif avec les partis d’opposition
au parlement, notamment en ce qui concerne la législation relative
à l’intégration européenne de la Géorgie; (4) garantir un processus
électoral libre, équitable et compétitif, notamment en 2024, et
appliquer pleinement les recommandations du BIDDH de l’OSCE. Achever
les réformes électorales, y compris en assurant une représentation
adéquate de l’électorat, bien avant le jour du scrutin; (5) continuer
à améliorer la mise en œuvre du contrôle parlementaire, notamment
des services de sécurité. Garantir l’indépendance institutionnelle
et l’impartialité des principales institutions, notamment l’administration
électorale, la Banque nationale et la commission des communications;
(6) achever et mettre en œuvre une réforme globale et efficace du
système judiciaire, y compris une réforme globale du Conseil supérieur
de la justice et du parquet, en mettant pleinement en œuvre les
recommandations de la Commission de Venise et en suivant un processus transparent
et inclusif; (7) renforcer l’efficacité et garantir l’indépendance
institutionnelle et l’impartialité du bureau de lutte contre la
corruption, du service spécial d’enquête et du service de protection
des données à caractère personnel. Donner suite aux recommandations
de la Commission de Venise relatives à ces organismes, dans le cadre
d’un processus inclusif. Obtenir de bons résultats en matière d’enquêtes
sur les affaires de corruption et de criminalité organisée; (8)
améliorer le plan d’action actuel afin de mettre en œuvre une approche
multisectorielle et systémique du démantèlement des oligarchies,
conformément aux recommandations de la Commission de Venise et à
la suite d’un processus transparent et inclusif associant les partis
d’opposition et la société civile; (9) améliorer la protection des
droits de l’homme, notamment en mettant en œuvre une stratégie ambitieuse
en matière de droits de l’homme et en garantissant la liberté de réunion
et d’expression. Mener des enquêtes impartiales, efficaces et rapides
en cas de menaces contre la sécurité des groupes vulnérables, des
professionnels des médias et des militants de la société civile,
et traduire en justice les organisateurs et les auteurs de violences.
Consulter la société civile et dialoguer avec elle, afin de lui
permettre de participer de manière significative aux processus législatifs
et d’élaboration des politiques et de veiller à ce qu’elle puisse
fonctionner librement.»
65. À travers cette recommandation, la Commission européenne reconnaît
les efforts déployés par le pays en matière de réforme et le soutien
massif de la population géorgienne à l’intégration européenne et
à l’adhésion à l’Union européenne. Dans le même temps, elle souligne
que la polarisation persistante et le manque de coopération entre
les acteurs politiques – ainsi que les obstacles à la participation
de la société civile – ont entravé les processus décisionnels et
la mise en œuvre de réformes importantes, comme en témoigne le fait
que seuls 3 des 12 domaines prioritaires ont été pleinement traités
. Par conséquent, la Commission
a exhorté les parties prenantes à intensifier leurs efforts pour
surmonter l’extrême polarisation politique et a appelé à une collaboration
plus positive du parti au pouvoir avec les partis d’opposition et
la société civile.
66. L’Assemblée a réitéré à plusieurs reprises son soutien total
à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la Géorgie à
l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues, fait
part de ses inquiétudes et condamné l’occupation illégale et l’annexion
rampante par la Fédération de Russie des régions géorgiennes d’Abkhazie
et de Tskhinvali/Ossétie du Sud, qui causent une situation désastreuse
sur le terrain en matière sécuritaire et humanitaire, et du point
de vue des droits humains, avec une militarisation et des restrictions
de la liberté de circulation illégales qui prennent de plus en plus
d’ampleur. Le coût humain et les risques liés à cette occupation
illégale sur le terrain sur le plan des droits humains ont été tristement
illustrés par le décès, le 6 novembre 2023, d’un citoyen géorgien
tué par les forces d’occupation russes qui tentaient de l’arrêter
près de la ligne de démarcation administrative avec la région de
Tskhinvali/Ossétie du Sud. Cet acte déplorable commis par les troupes
militaires de la Fédération de Russie doit être condamné avec la
plus grande fermeté.
2.2.6. Hongrie
67. Dans sa
Résolution 2460 (2022), l’Assemblée a conclu que les effets cumulés des mesures préjudiciables
à l'indépendance du pouvoir judiciaire, à la situation des médias,
à la transparence et à l'obligation de rendre des comptes des institutions
de l'État compromettaient globalement le fonctionnement des institutions
démocratiques en Hongrie. En conséquence, l’Assemblée a décidé d’ouvrir
une procédure de suivi à l’égard de la Hongrie. La commission de
suivi a désigné M. Eerik-Niiles Kross (Estonie, ADLE) et M. George Papandreou
(Grèce, SOC) en qualité de corapporteurs en janvier et mars 2023.
68. L’Assemblée avait alors instamment invité les autorités hongroises
à renforcer l'autonomie du système judiciaire et à garantir plus
efficacement son indépendance, conformément aux recommandations
de la Commission de Venise. Dans le domaine des médias, l’Assemblée
a conclu que la grande concentration du marché des médias résultant
de la création, en 2018, de la Fondation pour la presse et les médias
d'Europe centrale (KESMA) – un conglomérat de plus de 470 médias –
et la distribution d'une part écrasante de la publicité par l’État
ou les entreprises publiques aux médias progouvernementaux ont entraîné
une distorsion du pluralisme des médias et la mainmise de l'État
sur ces derniers. L’Assemblée a également appelé les autorités hongroises
à abroger la législation menaçant les journalistes de trois ans
d’emprisonnement en cas de diffusion de fausses informations.
69. Dans sa résolution, l’Assemblée s’est également inquiétée
de nouvelles structures juridiques connues sous le nom de «fondations
d’intérêt public». Ces structures privées sont chargées de fournir
des services publics dans les domaines de l’enseignement supérieur,
de la santé et de la gestion des fonds publics. La plupart des universités
et un grand nombre d’actifs nationaux ont été transférés à ces fondations.
Elles sont gérées par un conseil d’administration désigné par le
gouvernement et, après leur création, l’État hongrois n’a plus aucun
pouvoir de contrôle sur ces structures, ce qui prive le parlement
de sa fonction de contrôle budgétaire et de la possibilité de surveiller
les politiques mises en œuvre.
70. En décembre 2022, l’Union européenne a décidé d’imposer des
mesures contre les conséquences des violations des principes de
l’État de droit, en ce qui concerne les marchés publics, l’efficacité
de l’action des procureurs et la lutte contre la corruption en Hongrie.
Parmi les mesures correctives que la Hongrie doit mettre en œuvre,
quatre visent à restaurer l’indépendance du pouvoir judiciaire et
une porte sur la transparence des fondations d’intérêt public. Le
3 mai 2023, le Parlement hongrois a adopté, après consultation de
la Commission européenne, un plan de réforme judiciaire afin de
satisfaire à certaines de ces exigences. La Commission européenne
évalue actuellement la mise en œuvre pratique de ces réformes avant
de se prononcer sur le respect des conditions. Le 30 octobre 2023,
le gouvernement a fait part de sa décision de lancer une consultation
nationale sur les litiges avec les institutions européennes. Le
15 novembre 2023, le Conseil des affaires générales de l’Union européenne
a fait le point de la situation concernant le respect des valeurs
de l'Union européenne en Hongrie. La Commission a informé les ministres
des progrès réalisés dans les domaines de l’indépendance de la justice
et de la lutte contre la corruption depuis la dernière audition
de la Hongrie, tout en faisant état des mesures qu’il reste à prendre
à cet égard. Elle a également évoqué les graves préoccupations qui
subsistent dans d’autres domaines, tels que l’indépendance et le
pluralisme des médias, les droits des migrants et des personnes
appartenant à des minorités, y compris les personnes LGBTI, la pression
exercée sur la société civile et le recours généralisé aux pouvoirs
d’urgence par le gouvernement.
71. L’Assemblée a également exprimé son inquiétude quant au fait
que le pays est régi par un ordre juridique spécial depuis 2020.
La Loi fondamentale a été modifiée pour permettre au gouvernement
de déclarer «l’état de danger» «en cas de conflit armé, de situation
de guerre ou de catastrophe humanitaire dans un pays voisin». Depuis,
un état de danger permanent est en place en Hongrie, en raison de
la guerre en Ukraine. Le 6 novembre 2023, le Parlement a prorogé
cet état de danger jusqu’au 23 mai 2024. Conformément à la
Résolution 2460 (2022), «l’Assemblée rappelle que le recours à des ordres juridiques
particuliers doit être circonscrit à ce qui est strictement nécessaire,
doit être proportionné et doit être limité dans le temps. Elle souligne
également que le contrôle parlementaire, les délibérations politiques
auxquelles participent toutes les forces politiques au sein du parlement
et l’existence de freins et contrepoids adéquats sont essentiels
en temps de crise».
72. Le 21 novembre 2023, le Parlement hongrois a entamé l’examen
d’un projet de loi sur la «défense de la souveraineté», dont les
effets potentiels sur le fonctionnement des institutions démocratiques
ont suscité des inquiétudes tant en Hongrie qu’au niveau international.
Les corapporteurs ont exhorté le Parlement hongrois à reporter l’examen
de ce projet de loi jusqu’à ce qu’un avis de la commission de Venise
ait été émis
,
et la Commissaire aux droits de l’homme a estimé que le projet de
loi présente «un risque important pour les droits humains et devrait
être abandonné».
2.2.7. République
de Moldova
73. Le 26 janvier 2023, l’Assemblée
a adopté la
Résolution 2484 (2023) sur le respect des obligations et engagements de la
République de Moldova, sur la base d’un rapport élaboré par les
corapporteurs M. Pierre-Alain Fridez (Suisse, SOC) et Mme Inese Lībiņa-Egnere
(Lettonie, PPE/DC). Le 20 juin 2023, la commission a désigné Mme Zanda Kalniņa-Lukaševica
(Lettonie, PPE/DC) en tant que corapporteure en remplacement de Mme Lībiņa Egnere,
qui a quitté l’Assemblée. En conséquence de ce changement, et en
raison des événements nationaux et internationaux, aucune visite
de suivi n’a eu lieu en 2023.
74. Dans sa
Résolution 2484 (2023), l’Assemblée a salué la volonté d’intégration européenne
des autorités actuelles et leur ambitieux programme de réformes,
notamment dans le domaine judiciaire et dans celui de la lutte contre
la corruption, qui vise à s’attaquer aux racines de la «captation
de l’État» et à restaurer l’intégrité des institutions de l’État
et la confiance de la population en elles. Parallèlement, l’Assemblée
s’est inquiétée de la manière et de la rapidité avec lesquelles
les réformes ont été élaborées et mises en œuvre, et avec lesquelles
les responsables des institutions de l’État et des organes indépendants
ont été nommés, cela nuisant à la transparence et à l’inclusivité
du processus de réforme. L’Assemblée a donc exhorté les autorités à
veiller à ce que les réformes soient mises en œuvre, et les personnes
nommées, conformément aux dispositions juridiques et aux normes
du Conseil de l’Europe et sur la base d’un processus de consultation bipartite
inclusif, cela étant indispensable pour que le programme de réformes
bénéficie d’un large soutien transfrontalier et soit accepté par
la société moldave.
75. La réforme du système judiciaire est une priorité majeure
pour la République de Moldova, qui a réalisé des progrès considérables
dans sa mise en œuvre. Un élément essentiel de la réforme de la
justice, ainsi que de la lutte contre la corruption et la captation
de l’État, est le processus de contrôle préalable des candidats
au Conseil supérieur de la magistrature et au Conseil supérieur
des procureurs, les principaux organes autonomes de l’administration
judiciaire, et à leurs organes spécialisés. La commission chargée
d’évaluer les activités des juges et des procureurs («commission
de contrôle préalable»), mise en place en avril 2022, se compose
de membres nationaux et internationaux. Elle a achevé le contrôle
préalable des candidats au Conseil supérieur de la magistrature
en janvier 2023: huit personnes seulement ont passé le contrôle
– cinq candidats juges et trois candidats non juges. Le 30 mars 2023,
le parlement a adopté une loi sur l’évaluation externe des juges
en exercice et des candidats à la Cour suprême, sur la même base
que pour le Conseil supérieur de la magistrature et le Conseil supérieur
des procureurs. À l’annonce de ce projet de loi en février 2023,
20 des 25 juges de la Cour suprême ont démissionné en signe de protestation.
Cependant, cela n’a pas empêché l’adoption de la loi et des juges
des tribunaux de droit commun ont été transférés à la Cour suprême
pour assurer son fonctionnement. En juillet 2023, le parlement a
adopté une loi étendant la procédure de contrôle préalable à tous
les juges et procureurs de haut rang. Cette loi a ensuite été modifiée
pour répondre aux recommandations de la Commission de Venise. Ces
modifications ont été soumises à la Commission de Venise pour avis
en septembre 2023. Dans son avis de suivi
, adopté lors de sa session des 6
et 7 octobre 2023, la Commission de Venise s’est félicitée que toutes
ses recommandations aient été prises en compte dans ces modifications,
mais a recommandé qu’une «disposition garantissant le principe de
non-rétroactivité de la loi, qui était présente au stade de la rédaction
de la loi, soit réintroduite dans le texte final de la loi»
.
Compte tenu du caractère sensible de cette question, il est important
que les autorités appliquent pleinement toutes les recommandations
de la Commission de Venise relatives à ces modifications.
76. Il y a lieu de se féliciter de l’adoption, le 30 mars 2023,
d’une nouvelle loi sur la Cour suprême qui en modifie et en réduit
la composition, conformément aux recommandations de la Commission
de Venise.
77. La République de Moldova a poursuivi ses efforts visant à
lutter contre la corruption omniprésente dans le pays. La loi sur
les lanceurs d’alertes a été modifiée pour renforcer la protection
de ces derniers. La lutte contre la captation de l’État et l’influence
excessive des oligarques et des intérêts financiers dans la vie publique
est un défi majeur pour le pays et une condition essentielle à l’ouverture
des négociations d’adhésion à l’Union européenne. Pour résoudre
ce problème, les autorités ont élaboré un projet de loi visant «à
limiter l’influence économique et politique excessive dans la vie
publique (désoligarchisation)», fondé sur la législation relative
aux oligarques adoptée par la Rada ukrainienne. Comme dans le cas
de la loi ukrainienne et de la législation similaire en Géorgie,
la Commission de Venise a exprimé des doutes sur l’approche dite «personnelle»
adoptée dans cette loi, qui soulève des questions quant à sa compatibilité
avec les normes internationales, notamment la Convention européenne
des droits de l’homme, et qui est susceptible d’être utilisée de
manière abusive sur le plan politique. Par conséquent, la Commission
de Venise a recommandé l’adoption d’une approche dite systémique,
axée sur le renforcement des outils juridiques et des mécanismes institutionnels
existants pour lutter contre la corruption et l’influence politique
excessive des intérêts économiques particuliers. Cette recommandation
a été suivie par les autorités: en mai 20213, à la suite d’une procédure
de consultation publique, elles ont adopté un plan d’action visant
à renforcer les mécanismes et les outils existants pour lutter contre
l’influence excessive des intérêts oligarques dans la vie publique.
78. En ce qui concerne les élections, un nouveau code électoral
a été adopté en décembre 2022. Entrée en vigueur en janvier 2023,
cette nouvelle législation donne suite à plusieurs recommandations
du BIDDH de l’OSCE et de la Commission de Venise portant sur la
législation électorale précédente.
79. Le 19 juin 2023, la Cour constitutionnelle de la République
de Moldova a déclaré le parti Şor inconstitutionnel en raison du
fait qu’il n’avait eu de cesse, avec ses dirigeants, de participer
à des actions préjudiciables à la souveraineté et à l’indépendance
de la République de Moldova. Par la suite, le 31 juillet 2023, le
Parlement moldave a adopté une série d’amendements à la législation
électorale qui prévoient la possibilité d’exclure, pendant cinq
ans, des membres de l’organe exécutif et des personnes exerçant
une fonction élective des partis politiques qui ont été déclarés
inconstitutionnels par la Cour constitutionnelle. Ces amendements
ont été déclarés contraires à la Constitution par la Cour constitutionnelle le
3 octobre 2023. Le lendemain de la décision de la Cour constitutionnelle,
de nouveaux amendements ont été présentés puis adoptés par le parlement
qui, selon lui, autoriseraient l’interdiction de certains membres
de partis inconstitutionnels, mais conformément à la décision de
la Cour constitutionnelle. Comme la Commission de Venise l’a indiqué
dans son avis sur les amendements originaux, ces restrictions portent
atteinte au droit d’éligibilité tel qu’il est consacré par l’article 3
du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de
l’homme (STE no 9) et devraient donc
être rigoureusement limitées à des motifs juridiques clairement définis,
avec la possibilité d’un contrôle juridictionnel. Le 4 novembre 2023,
la Cour constitutionnelle de la République de Moldova a soumis à
la Commission de Venise une demande de mémoire d’amicus curiae sur l’inéligibilité
des personnes liées à des partis politiques déclarés inconstitutionnels.
Il est important que toutes les recommandations formulées par la
Commission de Venise dans ce mémoire soient pleinement mises en œuvre.
Malheureusement, la décision de la Cour constitutionnelle sur la
constitutionnalité des amendements du 4 octobre est toujours en
suspens, ce qui explique que les élections locales aient eu lieu
en vertu de ces amendements.
80. Les élections du bashkan (gouverneur) de la région autonome
de Gagaouzie ont eu lieu le 30 avril 2023 (premier tour) et le 14 mai 2023
(second tour). Elles ont été remportées par Mme Evghenia Guțul,
avec 52,3 % des voix. Mme Guțul était
une candidate du parti prorusse
Șor
(qui n’avait pas encore été déclaré inconstitutionnel au moment
de ces élections). Le 16 mai 2023, des agents du Centre national
de lutte contre la corruption de la République de Moldova ont perquisitionné
la Commission électorale centrale de Gagaouzie après des allégations
de fraude électorale. Le même jour, l’Assemblée populaire de Gagaouzie
a validé l’élection de Mme Guțul, qui
a également été confirmée par la Cour d’appel de Comrat (capitale
de la région autonome de Gagaouzie) le 22 mai 2023. Malheureusement,
les événements entourant les élections au poste de bashkan en Gagaouzie
ont soulevé des tensions entre Comrat et Chisinau. Il est important
que toutes les parties prenantes coopèrent de manière constructive
et prennent toutes les mesures nécessaires pour réduire les tensions
entre elles.
81. Le 5 novembre 2023, des élections locales se sont tenues en
République de Moldova. Elles ont été organisées dans le cadre de
l’état d’urgence déclaré à la suite de la guerre en Ukraine. Ces
élections ont été observées par le Congrès des pouvoirs locaux et
régionaux du Conseil de l’Europe, dans le cadre d’une mission internationale
d’observation électorale (MIOE) menée conjointement avec le Parlement
européen et le BIDDH de l’OSCE. La MIOE a conclu que l’ingérence
de l’étranger et les mesures restrictives imposées pour des raisons
de sécurité nationale avaient eu une incidence négative sur les
élections, bien qu’elles se soient déroulées de manière pacifique
et efficace. Deux jours avant le scrutin, les 8 605 candidats du
parti Change, qui est lié au parti Șor, ont tous été radiés sans
possibilité réelle de recours. De plus, la commission des situations
exceptionnelles a interdit 12 chaînes de télévision pour cause de
désinformation et menaces à la sécurité nationale, tandis que le
service de sécurité a bloqué l’accès à 73 sites internet pour des
motifs similaires, ce qui, selon la MIOE, a limité la liberté d’expression
de manière disproportionnée. Un second tour pour les élections locales
à l’issue desquelles aucun des candidats n'avait obtenu 50% des
voix a eu lieu le 19 novembre 2023.
82. Le 8 novembre 2023, la Commission européenne a publié sa communication
2023 sur la politique d’élargissement de l’Union européenne. Tout
en saluant les efforts de réforme importants déployés par la République
de Moldova, malgré les graves répercussions de la guerre d’agression
menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine, la Commission
a recommandé d’engager des négociations d’adhésion avec la République
de Moldova – étant entendu qu’elle poursuivrait ses efforts de réforme
sur les neuf étapes nécessaires à l’ouverture des négociations d’adhésion
– qu’elle continuerait de faire des progrès significatifs dans la
nomination dans le cadre d’une procédure de contrôle préalable,
des juges de la Cour suprême, des membres des organes autonomes
du système judiciaire et du Parquet, et la nomination d’un nouveau procureur
général dans le cadre d’un processus transparent et fondé sur le
mérite; qu’elle mettrait des ressources et des structures appropriées
à la disposition du procureur anticorruption de la République de Moldova;
et qu’elle prendrait de nouvelles mesures de désoligarchisation.
En outre, la Commission européenne a estimé que la République de
Moldova devait continuer à lutter contre la corruption en améliorant son
bilan en matière d’enquêtes et de condamnations liées à la corruption.
2.2.8. Pologne
83. En 2023, la vie politique en
Pologne a été dominée par les préparatifs et la tenue des élections législatives
du 15 octobre 2023, considérées à la fois par la majorité au pouvoir
et l’opposition comme déterminantes pour l’avenir du pays. Les corapporteurs
ont effectué une visite d’information en Pologne du 13 au 15 mars 2023.
84. Dans la note d’information qui a suivi cette visite, les corapporteurs,
Mme Azadeh Rojhan (Suède, SOC) et M. Peter Omtzigt
(Pays-Bas, PPE/DC) ont fait part de leur préoccupation quant au
fait que la profonde polarisation entre l’opposition et la majorité
au pouvoir se détériore et gagne de nombreux niveaux de la société polonaise,
nuisant au système d’équilibre des pouvoirs et au fonctionnement
global des institutions démocratiques du pays.
85. La situation relative au respect de l’État de droit continue
de dominer les débats politiques internes et les relations du pays
avec ses partenaires internationaux, notamment le Conseil de l’Europe
et l’Union européenne. Malheureusement, la situation a continué
de se détériorer à cet égard. Si certains acteurs politiques ont
exprimé l’espoir que cette situation puisse changer à la suite des
dernières élections, la plupart ont exclu toute possibilité de régler
rapidement la crise de l’État de droit.
86. Comme indiqué dans le précédent rapport d’activités, la Cour
européenne des droits de l’homme a estimé que certaines chambres
de la Cour constitutionnelle, ainsi que la chambre disciplinaire
et la chambre de révision extraordinaire et des affaires publiques
de la Cour suprême, ne pouvaient être considérés comme des tribunaux
établis par la loi au sens de la Convention. Il importe de noter
que les affaires en question sont des affaires de référence. La
Cour a déjà communiqué aux autorités polonaises au moins 57 autres
affaires concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire. Au total,
le nombre de requêtes pendantes devant la Cour portant sur un ou
plusieurs aspects de la réforme du système judiciaire s’élevait
à 195 en octobre 2022.
87. Malheureusement, les autorités actuelles continuent d’indiquer
qu’elles n’ont pas l’intention de se conformer aux arrêts susmentionnés
de la Cour européenne des droits de l’homme. Cette situation est
d’autant plus compliquée que la Cour constitutionnelle polonaise
a rendu une décision contestable selon laquelle, dans certaines
conditions, l’article 6 de la Convention n’est pas compatible avec
la Constitution polonaise et que, par conséquent, les arrêts susmentionnés
ne peuvent pas être mis en œuvre.
88. L’exécution de ces arrêts est désormais entre les mains du
Comité des Ministres, mais il n’y a pas encore de solution. Il convient
de souligner que s’agissant des deux chambres de la Cour suprême,
les arrêts sont fondés, selon les termes de la Cour européenne des
droits de l’homme, sur des violations manifestes de la procédure
de nomination des juges de ces chambres nouvellement créées; en
effet, ces juges sont proposés par le Conseil national de la magistrature
réformé, également connu sous l’acronyme KRS. À la suite de sa réforme,
le KRS, selon la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour
de justice de l'Union européenne, ne peut plus être considéré comme
un organe indépendant des pouvoirs législatif ou exécutif, comme
l’exigent les normes européennes en la matière. Il est clair que
ce raisonnement de la Cour européenne des droits de l’homme pourrait
également s’appliquer à d’autres chambres lorsque de nouveaux juges
y seront nommés en nombre suffisant, et même à toutes les chambres
composées de juges nommés par le KRS réformé. Cette question doit
être traitée de toute urgence, car elle sape la légitimité de l’ensemble
du système judiciaire.
89. Dans la
Résolution 2513 (2023) «Le logiciel Pegasus et autres types de logiciels similaires
et la surveillance secrète opérée par l’État», l’Assemblée estime
qu’en Pologne, «le logiciel espion de surveillance Pegasus a été
déployé illégalement à des fins politiques pour espionner des journalistes,
des responsables politiques de l’opposition, des avocats, des procureurs
et des acteurs de la société civile», ce qui a nui à l’équité des
élections législatives de 2019. Je souhaite réitérer les recommandations
formulées dans cette résolution, qui devraient être prises en considération
sans délai.
90. Dans le cadre des enquêtes menées par le Sénat polonais sur
l’utilisation abusive du logiciel espion Pegasus par les autorités,
il a été souligné que le nombre de services (secrets) et de services
répressifs autorisés à exercer une surveillance secrète avait proliféré
en Pologne après l’indépendance. Le contrôle judiciaire et parlementaire
est tout aussi fragmenté et n’est manifestement plus approprié.
Il est en outre permis de se demander si les mécanismes de contrôle
sont bien adaptés au paysage politique et social de plus en plus
polarisé de la Pologne. Il est donc recommandé aux autorités d’envisager
de réformer les fonctions de surveillance secrète des différents
services secrets et organes répressifs en vue de créer un organisme
unique doté des capacités techniques et du mandat nécessaires pour
exécuter cette surveillance, ainsi que des mécanismes permettant
d’assurer un contrôle judiciaire et parlementaire bipartite approprié
de ses opérations.
91. À l’approche des élections législatives, la majorité au pouvoir
a présenté un projet de loi controversé relatif à «la Commission
d’État chargée d’enquêter sur l’influence russe sur la sécurité
intérieure de la République de Pologne pendant la période de 2007-2022».
Cette loi a été adoptée par la Diète (Chambre basse du Parlement)
le 14 avril 2023. Le 11 mai 2023, le Sénat a mis son veto, lequel
a été annulé par la Diète le 26 mai 2023. Finalement, la loi a été
signée par le Président Duda le 29 mai 2023. Cependant, face au
tollé national et international suscité par cette loi, le Président
Duda a proposé, le 2 juin 2023, un certain nombre d’amendements
afin de répondre à certaines des critiques formulées.
92. Profondément préoccupée par les questions graves relatives
à la compatibilité de cette loi avec les normes et principes européens
en matière de procédure régulière et d’État de droit, et par ses
effets éventuels sur la nature démocratique des prochaines élections,
la commission de suivi a soumis, le 21 juin 2023, une demande d’avis
urgent à la Commission de Venise sur cette loi ainsi que sur les
amendements proposés par le Président Duda. La Commission de Venise
a rendu son avis urgent
le 26 juillet 2023, dans lequel
elle concluait que la loi comporte des vices de fond et pourrait
conduire à de graves violations des droits humains et des normes
et règles de l’État de droit. De plus, la Commission de Venise s’inquiétait
de l’éventuelle répercussion de la loi sur le processus démocratique
et les élections législatives d’octobre 2023, car elle ne prévoit
pas de garanties contre les abus politiques et pourrait facilement
devenir un outil permettant à la majorité d’éliminer les opposants
politiques. Enfin, la Commission de Venise concluait que les amendements proposés
par le Président Duda ne corrigeraient pas les défauts de la loi
et a donc recommandé que la loi soit abrogée dans son intégralité.
Malheureusement, ce conseil a été ignoré par la Diète qui, le 31 août 2023,
sans la participation de l’opposition, a désigné les membres de
la commission d’enquête. Néanmoins, cette commission ne s’est jamais
réunie avant le mois d’octobre 2023. Il est à espérer qu’elle sera
maintenant dissoute dans les plus brefs délais.
93. Le 15 octobre 2023, des élections législatives ont eu lieu
en Pologne dans un environnement social et politique extrêmement
polarisé, la majorité au pouvoir et l’opposition ayant publiquement
qualifié ces élections de tournant pour l’avenir et l’identité du
pays. Cela s’est également reflété dans le taux de participation
très élevé à ces élections, plus de 72 %, soit le taux le plus haut
depuis la chute du communisme en Pologne. Ces élections ont été
observées par l’Assemblée dans le cadre d’une MIOE menée avec l’Assemblée
parlementaire de l’OSCE et le BIDDH de l’OSCE. La MIOE a conclu
que les élections avaient été compétitives, avec un large choix
d’options politiques pour les électeurs, mais que le parti au pouvoir
avait bénéficié d’un net avantage grâce à une influence indue sur
les ressources de l’État et les médias publics. Comme l’ont noté
les observateurs, la campagne a été entachée par «l’usage généralisé
d’une rhétorique intolérante, xénophobe et misogyne», ce qui est
préoccupant. Alors que le parti sortant Droit et Justice (PiS) a
obtenu le plus grand nombre de suffrages, toutefois insuffisant
pour former son propre gouvernement, les trois principaux partis d’opposition,
Coalition civique (PO), Troisième voie (PL2050/PSL) et la Gauche
(NL), qui disposent ensemble d’une majorité de 248 sièges sur 460
au parlement, se sont dits prêts à former un gouvernement de coalition. Le
parti d’extrême droite Confédération a annoncé qu’il ne soutiendrait
aucun gouvernement, qu’il soit formé par PO ou par PiS.
2.2.9. Serbie
94. En 2023, les corapporteurs
de la commission de suivi ont tenu un échange de vues sur la situation juridique
et le fonctionnement des institutions avec M. Oliver Kask, membre
suppléant de la Commission de Venise au titre de l’Estonie. Du 2
au 4 octobre 2023, M. Axel Schäfer (Allemagne, SOC), corapporteur,
a effectué une visite d’information en Serbie (Belgrade et Novi
Sad) (en l’absence de Mme Eva Decroix (République
tchèque, CE/AD)). Il s’agissait de la première visite d’un rapporteur
de la commission de suivi depuis 2017.
95. Le 13 octobre 2023, le Président Aleksandar Vučić a annoncé
que des élections législatives anticipées, ainsi que des élections
locales à Belgrade et dans la province de Voïvodine, se tiendraient
le 17 décembre 2023. Cette décision est le résultat de la pression
croissante à laquelle le parti au pouvoir, le parti progressiste
(SNS), fait face de la part de l’opposition après les deux fusillades
meurtrières du mois de mai, qui ont suscité l’indignation de l’opinion
publique et déclenché des manifestations massives
.
96. Dans sa
déclaration à l’issue de sa visite en Serbie, le rapporteur de la
commission de suivi a rappelé que depuis 2000, toutes les élections
législatives sauf une avaient été des élections anticipées. Il a
également souligné que «l’organisation fréquente d’élections à intervalles
rapprochés déstabilise le fonctionnement de la démocratie et des
institutions de l’État». En outre, en ce qui concerne le cadre électoral,
d’autres changements sont nécessaires pour mettre en œuvre les recommandations
qui figurent dans
l’avis con
joint de la Commission de Venise et du BIDDH de l’OSCE émis
en décembre 2022 (à la demande de la commission de suivi), en particulier
concernant le recours aux médias pour promouvoir l’action du gouvernement,
le manque d’indépendance de la Commission électorale centrale, le
financement des partis politiques et des campagnes électorales,
l’absence de vérification des listes électorales, l’utilisation
abusive des ressources administratives et l’accès limité aux procédures
de règlement des litiges.
97. En ce qui concerne la récente réforme du système judiciaire
lancée à la suite des révisions constitutionnelles adoptées le 9 février 2022
(après un référendum), les nouvelles lois – qui concernent l’organisation
des tribunaux, les juges, le Parquet général, le Conseil supérieur
de la magistrature et le Conseil supérieur des procureurs – ont
été mises en conformité avec les révisions constitutionnelles et
sont entrées en vigueur le 10 mai 2023. Ces lois, qui ont fait l’objet
d’avis relativement positifs de la Commission de Venise en
octobre et
décembre 2022, visent à renforcer l’indépendance et l’efficacité du
pouvoir judiciaire et à réduire l’influence de l’exécutif et du
parlement en matière de nomination des juges et des procureurs.
Le rapporteur de la commission de suivi a salué l’engagement des
autorités à mettre pleinement en œuvre cette réforme conformément
aux recommandations de la Commission de Venise et du BIDDH de l’OSCE
ainsi que du GRECO, et a encouragé les autorités à adopter les textes
d’application dès que possible et conformément au calendrier adopté.
98. En ce qui concerne la lutte contre la corruption, aucune information
n’a encore été communiquée sur la manière dont la Serbie entend
mettre en œuvre les recommandations figurant dans le
Rapport
d’évaluation du GRECO sur le cinquième cycle d’évaluation, consacré à la prévention de la corruption et à la promotion
de l’intégrité au sein des gouvernements centraux (hautes fonctions
de l’exécutif) et des services répressifs.
99. Comme l’a souligné le rapporteur de la commission de suivi,
la situation de la liberté d’expression et des médias reste préoccupante,
principalement en raison du monopole de l’État sur la majorité des
médias et du harcèlement subi par les journalistes qui expriment
des critiques ou enquêtent sur des cas de corruption et de criminalité
organisée. La Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la
protection du journalisme et la sécurité des journalistes a émis
neuf alertes concernant la Serbie en 2023
.
100. Dans un
rapport
établi à l’issue de sa visite en Serbie en mars 2023
, Dunja Mijatović, Commissaire aux
droits de l’homme du Conseil de l’Europe, a fait observer que les
pressions exercées sur les voix indépendantes, notamment les journalistes
indépendants, s’étaient intensifiées en réponse aux manifestations publiques
contre les fusillades massives de mai 2023. Elle a également fait
part de sa préoccupation quant au recours généralisé aux poursuites
stratégiques contre la mobilisation publique à l’encontre non seulement
des journalistes, mais aussi des défenseurs des droits humains et
des militants, aux restrictions à la liberté de réunion pacifique,
à la surveillance biométrique des espaces publics et au traitement
des données biométriques, ainsi qu’à la persistance de stéréotypes
de genre discriminatoires et à l’ampleur de toutes les formes de
violence à l’égard des femmes. Selon les conclusions de la Commissaire
aux droits de l’homme, il est nécessaire que la Serbie s’engage
résolument à enquêter et à statuer sur les affaires de crime de
guerre. En particulier, elle devrait redoubler d’efforts pour veiller
à ce que les quelque 9 800 affaires pendantes concernant des personnes
disparues dans la région soient résolues et pour lutter contre la
glorification publique généralisée des criminels de guerre, le déni
et la relativisation des crimes de guerre et du génocide.
101. Au 30 septembre 2023, la Serbie occupait la neuvième place
dans le classement des pays selon le nombre de requêtes pendantes
devant la Cour européenne des droits de l’homme, avec 1 750 requêtes
(soit 2,3 % du nombre total de requêtes). En ce qui concerne l’exécution
des arrêts de la Cour, on compte actuellement 62 affaires pendantes
devant le Comité des Ministres
. Trois grands groupes d’affaires
relèvent de la «procédure soutenue» du Comité des Ministres: les
mauvais traitements par des policiers et l’inefficacité des enquêtes
sur ce type d’allégations (groupe d’affaires Stanimirović), la durée
excessive des différents types de procédures judiciaires (groupe
d’affaires Jevremović) et la non-exécution ou l’exécution tardive
de décisions internes à l’encontre d’entreprises détenues par la
société/l’État (groupe d’affaires Kačapor). Si, en 2023, des progrès
ont été réalisés en matière d’exécution dans le groupe d’affaires
Jevremović, aucune information n’a encore été communiquée sur les
mesures d’exécution requises dans les deux autres groupes d’affaires.
102. L’environnement politique a également été marqué par des tensions
avec le Kosovo, notamment à la suite des attaques terroristes perpétrées
le 24 septembre 2023 contre des policiers kosovars par des paramilitaires
serbes dans le nord du Kosovo.
2.2.10. Türkiye
103. En 2023, la commission de suivi
s’est concentrée sur l’élection présidentielle et les élections
législatives anticipées en Türkiye, ainsi que sur le cas de M. Osman Kavala,
philanthrope et défenseur des droits humains, maintenu en détention
depuis 2017 malgré deux arrêts de la Cour européenne des droits
de l’homme ordonnant sa libération
.
104. Les corapporteurs de l’Assemblée sur le suivi de la Türkiye,
M. John Howell (Royaume-Uni, CE/AD) et M. Stefan Schennach (Autriche,
SOC), désigné en qualité de rapporteur le 24 janvier 2023 après
le départ de M. Boriss Cilevičs (Lettonie, SOC), ont participé aux
missions d’observation électorale menées par l’Assemblée lors des
élections législatives et présidentielle des 14 et 28 mai 2023.
Peu avant les élections, ils ont condamné les descentes de police
du 25 avril 2023, visant des responsables politiques du Parti démocratique
des peuples (HDP), des avocats, des journalistes et des militants
de la société civile, et appelé les autorités à mettre fin à toutes
les formes de représailles à leur encontre
.
105. En ce qui concerne le premier tour des élections qui s’est
tenu le 14 mai 2023 (à la suite des séismes dévastateurs), le taux
de participation a été élevé, avec 87 % des quelque 61 millions
de personnes inscrites sur les listes électorales dans le pays,
et 3,5 millions à l’étranger. L’Alliance populaire, dirigée par
le Parti de la justice et du développement (AKP), a remporté 323
des 600 sièges de la Grande Assemblée. Le Parti républicain du peuple
(CHP) et son Alliance pour la nation ont remporté 212 sièges, tandis
que les autres petits partis (Alliance du travail et de la liberté)
se partagent 65 sièges. Le seuil pour qu’un parti siège au parlement avait
été abaissé de 10 % à 7 % avant les élections.
106. Selon la mission d’observation conjointe menée par le BIDDH
de l’OSCE, l’Assemblée parlementaire de l’OSCE et l’Assemblée, les
élections du 14 mai ont été «bien gérées» et «ont offert aux électeurs
le choix entre de véritables alternatives politiques». Cependant,
le Président Recep Tayyip Erdoğan et les partis au pouvoir ont bénéficié
d’un «avantage injustifié», principalement grâce à une couverture
médiatique partiale. Les restrictions persistantes des droits à
la liberté de réunion, d’association et d’expression ont entravé
la participation de certains responsables politiques et partis d’opposition,
ainsi que de la société civile et des médias indépendants. Les observateurs
ont également constaté que le cadre juridique n’offrait pas une
base tout à fait adéquate à la tenue d’élections démocratiques et
que les femmes étaient sous-représentées en tant que candidates,
et d’une manière générale dans la vie politique.
107. Après le second tour des élections présidentielles le 28 mai,
le Président sortant Erdoğan a été réélu avec 52,18 % des voix face
au candidat de l’opposition Kemal Kılıçdaroğlu, qui a obtenu 47,82 %.
La mission d’observation conjointe a constaté que le second tour
des élections avait été bien géré et avait offert aux électeurs
le choix entre de véritables options politiques. Elle a, toutefois,
déploré le langage de plus en plus incendiaire et discriminatoire
utilisé par les deux camps pendant la campagne et l’avantage injustifié
accordé au Président sortant, lié à la partialité des médias et
aux restrictions continues de la liberté d’expression.
108. La composition du nouveau gouvernement a été annoncée le 3 juin
2023, après l’investiture du Président Erdoğan. Le gouvernement
comprend un Vice-Président et 17 ministres (tous nouvellement nommés,
à deux exceptions près, et tous membres de l’AKP ou ayant des liens
étroits avec le parti ou le Président). La nouvelle ministre de
la Famille et des Services sociaux, Mme Mahinur Özdemir Göktaş,
est la seule femme au sein du gouvernement. Des élections locales
auront lieu en 2024.
109. Les 12 et 13 janvier 2023, les corapporteurs de l’Assemblée
MM. Howell et Cilevičs ont effectué une visite d’information dans
le pays pour examiner le cas de M. Osman Kavala. Au cours de la
visite, ils ont rencontré M. Kavala dans la prison de Marmara
.
110. Le 29 septembre 2023, les corapporteurs ont exprimé leur «profonde
consternation» face à la décision rendue le 28 septembre par la
Cour de cassation turque, qui a confirmé la peine de réclusion à
perpétuité aggravée prononcée contre M. Kavala.
111. Le 9 octobre 2023, l’Assemblée a décerné à M. Osman Kavala
le 11e Prix des droits de l’homme Václav Havel
et, le 12 octobre, elle a adopté la
Résolution 2518 (2023) «Appel à la libération d’Osman Kavala»
. L’Assemblée a estimé que M. Kavala relevait
de sa définition de «prisonnier politique» et appelé une nouvelle
fois à sa libération immédiate. Elle a également appelé les autorités
turques à «améliorer d’urgence le cadre juridique et les conditions
de respect de l’État de droit, de l’indépendance du pouvoir judiciaire,
de la protection des droits humains et de l’exécution des arrêts
de la Cour», et en particulier à procéder à une «réforme urgente
du Conseil des juges et des procureurs»
. Par conséquent, à la lumière
de ces «circonstances exceptionnelles», elle a estimé que «le moment
[était] venu de prendre des mesures pour engager la procédure complémentaire
conjointe prévue dans sa
Résolution 2319 (2020)»
. L’Assemblée a également appelé
les États membres du Conseil de l’Europe à appliquer la «législation
Magnitsky» à l’égard des fonctionnaires «qui sont responsables de
la privation illégale et arbitraire de liberté de M. Osman Kavala»
. De plus, dans sa
Recommandation 2261 (2023) sur le même sujet, l’Assemblée a appelé le Comité des
Ministres à mettre en place un suivi national de l’exécution par
la Türkiye des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
dans le cadre du processus de la Déclaration de 1994.
112. En ce qui concerne l’exécution des arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme en général, l’Assemblée observe, dans sa
Résolution 2494 (2023) du 26 avril 2023, que la Türkiye fait partie des pays
qui comptent le plus grand nombre d’arrêts de la Cour non mis en
œuvre et qui font toujours face à de graves problèmes structurels
ou complexes, non résolus depuis parfois plus de 10 ans.
2.2.11. Ukraine
113. En raison de la guerre d’agression
de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, aucune visite en Ukraine n'a
pu être effectuée par les corapporteurs, en dépit de leurs efforts
et de ceux de la délégation ukrainienne pour en organiser une. Si
la situation le permet, les corapporteurs se rendront dans le pays
au cours de la première moitié de l’année 2024. De toute évidence,
tant que la guerre perdure, aucun suivi normal des obligations et
engagements ne peut avoir lieu, mais les corapporteurs ont néanmoins
continué à suivre attentivement la situation dans le pays en ce
qui concerne les réformes en cours et le fonctionnement des institutions
démocratiques.
114. L'Assemblée a continué de suivre de près l'évolution de la
situation en ce qui concerne l'agression en cours de la Fédération
de Russie contre l'Ukraine. Courant 2023, elle a débattu des rapports
suivants concernant les conséquences de l’agression de la Fédération
de Russie contre l’Ukraine: «Questions juridiques et violations
des droits de l’homme liées à l’agression de la Fédération de Russie
contre l’Ukraine» (
Doc.
15689); «Soutenir l’Ukraine un an après le déclenchement,
par la Fédération de Russie, d’une guerre d’agression à grande échelle:
le rôle du Conseil de l'Europe», débat d’actualité; «Déportations
et transferts forcés d’enfants et d’autres civils ukrainiens vers
la Fédération de Russie ou les territoires ukrainiens temporairement
occupés: créer les conditions de leur retour en toute sécurité,
mettre fin à ces crimes et sanctionner leurs auteurs» (
Doc. 15748); «Les conséquences politiques de la guerre d’agression
de la Fédération de Russie contre l’Ukraine» (
Doc. 15797); «Garantir une paix juste en Ukraine et une sécurité durable
en Europe» (
Doc. 15842).
115. Dans le précédent rapport d'activités, l’Assemblée avait déjà
salué les efforts déployés par les autorités ukrainiennes, et de
fait par la société dans son ensemble, pour assurer le fonctionnement
continu des institutions démocratiques et de l’État de droit, malgré
la situation difficile causée par la guerre. Ces efforts se sont
poursuivis sans relâche en 2023.
116. Le 28 février 2022, l’Ukraine a introduit une demande d’adhésion
à l’Union européenne. Le 23 juin 2022, à la suite d’un avis positif
de la Commission européenne, le Conseil européen a accordé le statut
de candidat à l’Ukraine, étant entendu que l’Ukraine mettrait en
œuvre un certain nombre d’étapes dites clés, à savoir: mettre en
œuvre la législation relative à une procédure de sélection, incluant
une évaluation de l’intégrité et des compétences professionnelles,
pour les juges à la Cour constitutionnelle d’Ukraine; finaliser
l’examen des candidatures au Conseil supérieur de la magistrature
et la sélection de candidats pour établir la Haute Commission de
qualification des juges de l’Ukraine; renforcer la lutte contre
la corruption, en particulier à haut niveau, et achever la nomination
d’un nouveau chef du Bureau du procureur spécialisé dans la lutte
contre la corruption, ainsi que d’un nouveau directeur du Bureau
national de lutte contre la corruption de l’Ukraine; veiller à ce
que la législation contre le blanchiment d’argent soit conforme
aux normes du Groupe d’action financière et adopter un plan stratégique
pour la réforme de l’ensemble du secteur de l’application des lois;
mettre en œuvre la loi anti-oligarques pour limiter l’influence
excessive des oligarques dans la vie économique, politique et publique,
conformément à l’avis de la Commission de Venise sur cette loi;
adopter une nouvelle loi sur les médias qui limite l’influence des
intérêts particuliers dans le secteur des médias, qui donne du pouvoir
à l’autorité indépendante de régulation des médias et qui aligne
la législation ukrainienne sur la Directive européenne sur les services
de médias audiovisuels; réformer le cadre juridique pour la protection
des minorités nationales conformément aux recommandations de la
Commission de Venise.
117. La mise en œuvre de ces étapes clés a été la priorité du processus
de réformes en cours en Ukraine. La décision du Conseil européen
d’octroyer le statut de candidat à l’Ukraine souligne le caractère
essentiel de la conformité de ces réformes aux recommandations de
la Commission de Venise et accorde une place centrale aux avis de
la Commission de Venise dans son propre processus d’évaluation.
Cela mérite d’être vivement salué.
118. En ce qui concerne la législation anti-oligarques, le projet
de loi a été présenté dès juillet 2021. À ce moment-là, tout en
soutenant l’objectif déclaré de la loi, les corapporteurs, ainsi
que d’autres acteurs nationaux et internationaux, ont exprimé leurs
préoccupations quant à la méthodologie adoptée dans la loi, dont
ils craignaient qu’elle ne soit pas conforme à la Convention européenne
des droits de l’homme et qu’elle soit propice aux abus politiques.
Le 23 septembre 2021, le président de la Verkhovna Rada a demandé
un avis de la Commission de Venise sur cette loi, qui a malheureusement
été adoptée sans attendre l'avis de cette commission. L’adoption
de l’avis a été retardée à la demande des autorités ukrainiennes,
notamment en raison de la situation de guerre dans le pays. Entre-temps,
la législation anti-oligarques ukrainienne, avec ses lacunes, a
servi de base à une législation similaire en Géorgie et en République
de Moldova.
119. La Commission de Venise a adopté l’avis
sur cette loi en juin 2023. À l’instar
de ses conclusions dans les avis sur les législations anti-oligarques
en Géorgie et en République de Moldova, la Commission a exprimé sa
réticence quant à l’«approche personnelle» adoptée dans cette loi
qui, selon elle, est trop vaste, soulève des questions quant à sa
compatibilité avec la Convention et ouvre la voie à des abus politiques.
La Commission de Venise a donc recommandé une approche dite systémique
qui se concentrerait sur le renforcement des outils juridiques et
des mécanismes institutionnels existants pour lutter contre la corruption et
l’influence politique excessive des intérêts économiques particuliers.
Les autorités ukrainiennes ont annoncé qu’elles suspendaient la
mise en œuvre de la législation anti-oligarques afin de tenir compte
des recommandations de la Commission de Venise.
120. La lutte contre la corruption endémique dans le pays est depuis
longtemps un élément central de la procédure de suivi et une priorité
essentielle pour les autorités actuelles. Cela est devenu d’autant
plus important que la communauté internationale a apporté une aide
considérable à l’Ukraine dans le contexte de la guerre d’agression
menée par la Fédération de Russie. Soulignant sa détermination à
éradiquer la corruption dans les forces armées, et compte tenu des
préoccupations liées à la gestion des contrats militaires, le président
Zelensky, en septembre 2023, a remplacé le ministre de la Défense
et a renvoyé tous
les chefs des bureaux de recrutement régionaux. Le gouvernement
a nommé un nouveau directeur du Bureau national de lutte contre
la corruption (NABU) le 6 mars 2023. Cette nomination fait suite
à celle, en juillet 2022, d’un nouveau procureur spécialisé dans
la lutte contre la corruption. Ces nominations ont commencé à produire
des résultats tangibles comme le montre, entre autres, l’arrestation
du président de la Cour suprême d’Ukraine pour avoir accepté un
pot-de-vin de 2,5 millions d’euros.
121. S’agissant de la procédure de sélection des juges à la Cour
constitutionnelle, rappelons que cette dernière est composée de
18 juges, dont six sont désignés par le Président ukrainien, six
par la Verkhovna Rada et six par le Congrès des juges. Comme indiqué
dans les rapports précédents, l’impartialité et l’intégrité des
juges de la Cour constitutionnelle ont suscité de vives inquiétudes,
ce qui a conduit à la crise de la Cour constitutionnelle en 2020
et à la réforme ultérieure de cette juridiction. Dans son avis sur
la réforme de la Cour constitutionnelle
, la Commission de Venise a constaté
que les procédures de sélection existantes pour chacun de ces trois
groupes ne garantissaient pas le plus haut niveau de qualifications
morales et professionnelles des candidats. Elle a donc recommandé
la création d’un organe spécial de sélection dans lequel la communauté
internationale jouerait un rôle décisif. Le 12 août 2022, la Verkhovna
Rada a adopté en première lecture une série d’amendements à la législation
relative à la nomination des juges de la Cour constitutionnelle,
établissant un groupe consultatif d’experts chargés d’aider les
trois organes de nomination à évaluer l’intégrité et les qualifications
professionnelles des candidats. Conformément aux recommandations
de la Commission de Venise, la communauté internationale est représentée
dans cet organe par trois membres, dont l’un est nommé par la Commission
de Venise. Ces amendements ont été transmis à la Commission de Venise
pour avis. Dans le cadre d’un processus louable de coopération étroite
entre les autorités et la Commission de Venise, d’autres amendements
ont été rédigés par la Verkhovna Rada, et des avis sur les suites
données ont été adoptés afin de répondre aux recommandations et
préoccupations exprimées par la Commission de Venise à propos de
cette procédure de nomination. En conséquence, le 25 septembre 2023, la
Commission de Venise a adopté un avis sur les suites données
à ces amendements, dans lequel elle concluait
que ses principales recommandations avaient toutes été prises en
compte dans les amendements finaux adoptés le 27 juillet 2023 et
que par conséquent, la Commission de Venise serait prête à nommer
un membre et un suppléant au sein du groupe d’experts.
122. L’Ukraine a une population diverse et multiethnique et une
forte tradition multiculturelle. Selon le recensement de 2001, l’Ukraine
compte plus de 130 nationalités différentes, dont la plupart sont
très peu nombreuses. Selon ce recensement, la population s’auto-identifie
comme suit: 77,8 % d’Ukrainiens, 17,3 % de Russes, 1,1 % de Roumains
(dont 0,8 % de Moldaves), 0,6 % de Bélarusses, 0,5 % de Tatars de
Crimée, 0,4 % de Bulgares, 0,3 % de Hongrois, 0,3 % de Polonais,
1 % de Juifs et 1,8 % d’autres nationalités. Les minorités et leurs
droits sont des questions complexes et sensibles en Ukraine, aggravées
par l’agression illégale de la Fédération de Russie contre l’Ukraine,
qui était notamment justifiée par la négation de l’existence d’une
identité ukrainienne par la Fédération de Russie. Le renforcement
du système juridique pour la protection des droits des minorités
est depuis longtemps un élément d’attention de la procédure de suivi
et a été l’une des sept étapes exigées par la Commission européenne
pour entamer les négociations d’adhésion.
123. Dans ses avis sur les lois de 2017 sur l’éducation et de 2019
sur la loi relative au soutien de la fonction de l’ukrainien en
tant que langue officielle, la Commission de Venise avait recommandé
aux autorités ukrainiennes d’adopter une nouvelle loi relative aux
minorités pour remplacer la législation obsolète en vigueur. Le
13 décembre 2022, la Verkhovna Rada a adopté la loi relative aux
minorités nationales (communautés) en Ukraine. Le 26 janvier 2023,
la commission de suivi a sollicité l’avis de la Commission de Venise
sur cette loi. Dans son avis
, la Commission de Venise s’est félicitée
de cette loi mais a estimé qu’un certain nombre de dispositions
devraient être réexaminées afin de rendre la loi pleinement conforme
aux normes internationales. En outre, elle a recommandé que d’autres
lois soient amendées en conséquence, en particulier les dispositions de
ces lois limitant l’usage des langues minoritaires dans les médias
et le système éducatif. Les autorités ukrainiennes ont annoncé par
la suite qu’elles avaient préparé un certain nombre d’amendements
à cette loi en vue de la rendre pleinement compatible avec la Convention-cadre
sur les minorités nationales et de respecter les recommandations
de la Commission de Venise. Le président de la Verkhovna Rada tout
comme la commission de suivi ont demandé à la Commission de Venise
un avis sur les suites données à ces amendements. Dans cet avis
, la Commission de Venise a accueilli
favorablement plusieurs amendements qui mettaient en œuvre ses recommandations.
Toutefois, un certain nombre de recommandations n’ont pas été suivies,
ou ne l’ont été que partiellement, notamment en ce qui concerne
la transposition des dispositions relatives à l’utilisation de la
langue russe dans le contexte de l’agression en cours dans une législation spécifique,
et les dispositions relatives à l’utilisation de la langue russe
qui permettraient de maintenir des restrictions à son utilisation
après la fin de la guerre. Les amendements prévoient également la
révision des lois relatives à la langue d’État, aux médias et à
l’éducation. Les autorités sont instamment priées de rédiger ces
amendements en étroite consultation avec la Commission de Venise
et les minorités concernées.
124. Le 8 novembre 2023, la Commission européenne a publié sa Communication
de 2023 sur la politique d’élargissement de l’Union européenne,
dans laquelle elle recommandait l’ouverture de négociations d’adhésion
avec l’Ukraine dès que le pays aura augmenté le plafond des effectifs
du Bureau national anti-corruption de l’Ukraine, supprimé les dispositions
limitant les pouvoirs de vérification de ce bureau dans la loi relative
à la prévention de la corruption, adopté une loi réglementant le
lobbying, conforme aux normes européennes dans le cadre du plan
d’action contre les oligarques, et adopté une législation concernant
les recommandations restantes de la Commission de Venise à propos
de la loi relative aux minorités nationales, notamment celles liées
aux lois relatives à la langue d’État, aux médias et à l’éducation.
2.3. Dialogue
postsuivi
2.3.1. Bulgarie
125. Le dernier rapport sur le dialogue
postsuivi avec la Bulgarie a été examiné par l’Assemblée en juin 2019. L’Assemblée
a décidé de poursuivre le dialogue postsuivi et a invité la commission
de suivi à soumettre, en 2020, son évaluation des progrès accomplis
par la Bulgarie dans certains domaines de préoccupation spécifiques,
notamment la corruption à haut niveau, la transparence de la propriété
des médias, les droits humains des minorités, le discours de haine
et la lutte contre les violences faites aux femmes.
126. Toutefois, depuis juillet 2020 et jusqu’à très récemment,
la Bulgarie a dû faire face à une crise politique majeure qui a
abouti à cinq élections législatives consécutives en deux ans: le
4 avril 2021, le 11 juillet 2021, le 14 novembre 2021 (le jour de
l’élection présidentielle), le 2 octobre 2022 et le 4 avril 2023.
Pendant la plus grande partie de cette période, la Bulgarie a été
gouvernée par des gouvernements désignés chargés de la gestion des
affaires courantes.
127. Cette crise a été déclenchée par des manifestations de masse
dans les rues en réaction à des scandales de corruption et leurs
causes sous-jacentes, notamment le manque de respect de l’État de
droit. La situation a été aggravée par des préoccupations économiques
croissantes et une polarisation sur les politiques énergétiques
et l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie.
128. A la suite des élections législatives d'avril 2023, six partis
politiques et coalitions sont entrés au parlement. Le 6 juin 2023,
un nouveau gouvernement de coalition a été approuvé. Il se compose
des deux plus grands groupes politiques: le GERB-SDS et le PP-DB.
Selon l’accord de coalition, M. Nikolay Denkov du PP-DB sera Premier
Ministre pendant les neuf premiers mois et après cette période,
le poste sera occupé par Mme Mariya Gabriel
du GERB, qui jusque-là occupera le poste de vice-Première Ministre
et ministre des Affaires étrangères.
129. Le gouvernement de coalition s’est mis d’accord sur un programme
pro-Union européenne incluant des priorités absolues: appartenance
à l’espace Schengen et adhésion à l’euro – Union monétaire. Il est
déterminé à lutter contre l’influence russe dans le secteur de la
sécurité en Bulgarie. Le gouvernement a aussi décidé de mener une
réforme constitutionnelle, ce qui est une condition indispensable
pour la réforme du pouvoir judiciaire et la lutte effective contre
la corruption à haut niveau.
130. Dans le cadre du programme ambitieux de réformes, un certain
nombre de projets de loi sont actuellement examinés par le parlement,
notamment des amendements au Chapitre VI de la Constitution concernant
le système de gouvernance du pouvoir judiciaire et du ministère
public, des amendements au Code de procédure pénale et à la loi
relative au pouvoir judiciaire. Tous les projets de loi ont été
soumis à la Commission de Venise pour avis. Si elles sont adoptées,
en tenant compte des recommandations de la Commission de Venise,
ces lois permettront de remédier à des préoccupations de longue
date relatives au fonctionnement des institutions démocratiques
en Bulgarie, exprimées par l’Assemblée dans ses résolutions sur
le suivi concernant la Bulgarie, et en particulier la
Résolution
2296 (2019).
131. Les corapporteurs ont effectué une visite dans le pays du
17 au 19 septembre 2023, où ils ont rencontré les plus hauts représentants
des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ainsi que des représentants
de la société civile.
132. L'avant-projet de rapport a été soumis à la commission de
suivi le 5 décembre 2023 et envoyé aux autorités bulgares pour commentaires
en vue d'un examen final par la commission en mars 2024.
133. Conformément au règlement révisé de la procédure de suivi
parlementaire, la commission de suivi peut préparer seulement deux
rapports dans le cadre du dialogue postsuivi; le second rapport
devrait proposer soit la clôture du dialogue postsuivi, soit le
retour à la procédure de suivi complète.
2.3.2. Monténégro
134. La période de référence a été
dominée par les élections nationales. A la fin août 2022, l’ancien gouvernement
a perdu la confiance du parlement. Il agit depuis par intérim. Cette
situation empêche l’adoption des réformes attendues dans le domaine
de l’État de droit et des institutions démocratiques pour progresser sur
la voie de l’adhésion à l’Union européenne. Quelques jours avant
l’élection présidentielle du 19 mars 2023, le président sortant
Đukanović a annoncé qu’il convoquait des élections législatives
anticipées en juin, déclenchant un renouvellement complet des institutions
politiques nationales.
135. L’élection présidentielle a été marquée par le refus de la
Commission électorale d’État (CEE) d’interdire la candidature de
M. Spajić – qui était en tête des sondages d’opinion à ce moment –
sur le fondement d’informations contradictoires au sujet de sa citoyenneté
et son lieu de résidence permanente. La MIOE, dont l’Assemblée faisait
partie, a conclu que: «le refus de la CEE d’inscrire M. Spajić,
le manque de cohérence de la prise de décision et le manque de transparence
de la vérification des signatures de soutien et d’autres documents
de nomination ont considérablement nui à l’inclusivité du processus
d’inscription des candidats et ont eu un effet sur la confiance
à l’égard de l’administration électorale.» M. Spajić a été remplacé
par M. Milatović comme candidat du parti nouvellement créé «L’Europe
maintenant!»
.
136. L’élection présidentielle a été remporté par M. Jakov Milatović,
qui a battu M. Milo Đukanović par 58,88 % des voix. La MIOE a estimé
que l'élection présidentielle avait été compétitive mais que les
lacunes de longue date dans le cadre juridique et les règlements
relatifs au financement des campagnes électorales n’ont pas été
corrigées.
137. Lors des élections législatives subséquentes le 11 juin 2023,
«Europe Now!» a remporté la majorité des voix et 24 des 81 sièges
du Parlement. Sans majorité absolue, le parti avait besoin de trouver
des partenaires pour une coalition. Le Président Milatović a chargé
M. Milojko Spajić de former un gouvernement de coalition, en tant
que Premier Ministre désigné.
138. Le 31 octobre 2023, le Parlement du Monténégro a nommé le
gouvernement du Premier Ministre Milojko Spajić, avec une majorité
de 46 des 81 députés. La coalition soutenant le gouvernement est
composée de «l’Europe maintenant!», des Démocrates (DCG), du Parti
socialiste populaire (SNP) ainsi que de partis représentant la minorité
albanaise et de partis pro-Serbes (NSP et DNP). M. Andrija Mandić,
président du parti de la Nouvelle démocratie serbe (NSD) a été élu
comme président du parlement. Son élection a provoqué des protestations
en raison des critiques qu’il a formulées lors de la campagne électorale
contre l’appartenance à l’OTAN et l’indépendance du Monténégro vis-à-vis
de la Serbie ainsi que ses appels à des liens plus étroits avec
la Fédération de Russie. Néanmoins, M. Mandić s’est engagé à «réconcilier
les divisions». M. Spajić a exposé les priorités de son gouvernement
comme étant: «l’adhésion à part entière à l’Union européenne, l’adhésion
active et crédible à l’OTAN et l’amélioration des relations de bon
voisinage». Dans sa communication de 2023 sur la politique d’élargissement,
la Commission européenne a déclaré, concernant le Monténégro que «les
progrès dans les négociations sur l’adhésion dépendront des réformes
dans le domaine de l’État de droit». La capacité de ce gouvernement
à tenir ses promesses dépendra de la cohésion de la coalition au
pouvoir et de sa volonté de s'écarter des débats nationalistes et
religieux qui divisent le pays et de donner la priorité à la recherche
d'un consensus pour entreprendre les réformes économiques, sociales
et judiciaires tant attendues.
139. Afin de clore le dialogue postsuivi, le Monténégro doit améliorer
l’indépendance du pouvoir judiciaire, la confiance dans le processus
électoral, la lutte contre la corruption et la situation des médias,
conformément à la
Résolution
2374 (2021) de l'Assemblée.
2.3.3. Macédoine
du Nord
140. En 2023, les corapporteurs
n’ont effectué aucune visite dans le cadre du dialogue postsuivi
avec la Macédoine du Nord, en raison de changements dans les postes
de rapporteurs: la corapporteure, Mme Ria Oomen-Ruijten
(Pays-Bas, PPE/DC) a démissionné en avril 2023 et a été remplacée
par M. Joseph O’Reilly (Irlande, PPE/DC) le 13 septembre 2023
. Cependant,
les corapporteurs ont suivi de près l’évolution de la situation
dans le pays.
141. Aucun progrès n’a été enregistré concernant la révision de
la Constitution afin d’inclure une référence à la minorité bulgare
ainsi qu’aux autres minorités dans le préambule de la Constitution.
Cette révision est une exigence pour l’adhésion de la Macédoine
du Nord à l’Union européenne. La polarisation persistante au parlement
entre les partis au pouvoir et l’opposition, notamment le principal
parti d’opposition VMRO-DPMNE, a empêché l’adoption des amendements
constitutionnels, qui nécessite la majorité des deux-tiers; un débat parlementaire
sur ce sujet tenu le 18 août 2023 s’est terminé sans vote.
142. S’agissant de la lutte contre la corruption, dans son
Second
Rapport de Conformité publié en octobre 2023 dans le cadre du Cinquième cycle
d’évaluation sur la prévention de la corruption et promotion de l’intégrité
au sein des gouvernements centraux (hautes fonctions de l’exécutif)
et des services répressifs, le GRECO a conclu que la Macédoine du
Nord n’avait pas atteint «un niveau suffisant de conformité», car
elle avait mis en œuvre seulement 13 de ses 23 recommandations.
Toutefois, le GRECO a constaté quelques progrès pour ce qui est
des évaluations du risque d’intégrité au sein du gouvernement central,
l'augmentation des ressources de la Commission nationale de prévention
de la corruption, ainsi que des mesures prises pour améliorer l'intégrité
au sein de la police.
143. En mai 2023, MONEYVAL a adopté son
Rapport
d’évaluation mutuelle du cinquième cycle sur la Macédoine du Nord, dans lequel il exhortait les
autorités à redoubler d’efforts pour lutter contre le blanchiment de
capitaux et le financement du terrorisme. Tout en concluant que
le pays avait fait des progrès dans la consolidation de son cadre
juridique pour enquêter et engager des poursuites dans les affaires
de blanchiment de capitaux, il a constaté que seuls de modestes
résultats avaient été obtenus en termes d’enquêtes et de poursuites
en la matière.
144. Le Comité des Ministres surveille actuellement l'exécution
de 28 arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concernant
la Macédoine du Nord, dont 13 arrêts de principe. Les affaires/groupes
d’affaires suivants sont sous la procédure de surveillance soutenue:
affaires concernant des brutalités policières et l’absence d’enquête
effective en la matière (groupe Kitanovski
), l’affaire X.
concernant l’absence
de législation sur les conditions et procédures pour modifier, sur
les certificats de naissance, le sexe des personnes transgenres
(une question qui a aussi été soulevée par la Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe dans une
lettre envoyée au parlement le 3 juillet 2023) et les affaires
concernant le refus d’enregistrer certaines associations en tant
qu’entités religieuses (groupe Orthodox Ohrid Archdiocese
). S’agissant du premier
groupe d’affaires, seuls quelques progrès limités ont été enregistrés
en 2023, tandis que pour les deux autres groupes d’affaires, des
informations sur les mesures d’exécution n’avaient toujours pas été
reçues.
145. En octobre 2023, le Comité européen pour la prévention de
la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT) a effectué une visite périodique dans le pays afin d’évaluer
principalement le traitement des personnes incarcérées et les progrès
accomplis pour développer un système professionnel de gestion des
prisons
.
146. En mars 2023, le Groupe d'experts sur la lutte contre la traite
des êtres humains (GRETA) a adopté son
rapport sur la Macédoine du Nord dans le cadre de son Troisième
cycle d’évaluation: Accès à la justice et à des recours efficaces
pour les victimes de la traite des êtres humains, sur la base duquel,
en juin 2023, le Comité des Parties a adopté la Recommandation
CP/Rec(2023)04 appelant les autorités à prendre sans délai des dispositions
supplémentaires pour faciliter et garantir aux victimes de la traite
l’accès à la justice.
147. S’agissant de la lutte contre la discrimination et de la protection
des droits des minorités, en juin 2023, l’ECRI a publié son
Rapport
sur la Macédoine du Nord (sixième cycle de monitoring), dans lequel elle a conclu que
depuis 2016, des progrès ont été accomplis et de bonnes pratiques
ont été adoptées dans un certain nombre de domaines (entre autres,
la création d’un nouvel organisme de promotion de l’égalité, la
Commission pour la prévention de la discrimination et la protection
contre la discrimination (CPPD), et la nouvelle loi sur la prévention
de la discrimination et la protection contre la discrimination,
ainsi que de nombreuses mesures prises pour améliorer l’inclusion
des Roms dans les domaines du logement, de la santé, de l’éducation
et de l’emploi). Cependant, elle a également signalé certains sujets
de préoccupation (comme le manque d’indépendance financière de la
CPPD et de l’institution du médiateur, des épisodes de violences
contre les personnes LGBTI et les personnes se considérant comme
Bulgares et la marginalisation sociale des Roms). En outre, à la
suite du
Cinquième
avis sur la Macédoine du Nord du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la
protection des minorités nationales de mai 2022, le Comité des Ministres
a adopté, le 8 février 2023, la Résolution
CM/ResCMN(2023)2, dans laquelle il appelle les autorités à prendre de
nouvelles mesures pour promouvoir «une société intégrée fondée sur
le respect et la confiance entre les diverses communautés», prévenir
les affaires de violations des droits humains commises par des policiers
à l’encontre des Roms et améliorer l’accès des enfants roms à une
éducation de qualité.
148. En septembre 2023, le Groupe d’experts sur la lutte contre
la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO)
a publié son
Rapport
d’évaluation de référence sur la Macédoine du Nord, dans lequel il félicitait les autorités d’avoir mis
en place un cadre juridique solide pour prévenir et combattre les violences
faites aux femmes et la violence domestique mais regrettait d’importantes
lacunes dans sa mise en œuvre et déplorait les croyances traditionnelles
selon lesquelles ces violences relèvent de la sphère privée.
2.4. Rapports
de suivi périodiques
2.4.1. France
149. En 2019, la France a été sélectionnée
par la commission de suivi pour faire l’objet d’un rapport de suivi périodique
sur son respect des obligations imposées à chaque État membre du
Conseil de l’Europe en matière de démocratie, d’État de droit et
de droits humains. Mme Yelyzaveta Yasko
(Ukraine, PPE/DC) et Mme Fiona O’Loughlin
(Irlande, ADLE) ont été nommées corapporteures en avril 2021.
150. En avril 2022, M. Emmanuel Macron a été élu Président de la
République pour un second mandat. Les élections à l’Assemblée nationale
qui ont suivi en juin 2022 ont abouti à un parlement sans majorité.
Un gouvernement minoritaire a été mis en place avec à sa tête Mme Élisabeth
Borne comme Première Ministre.
151. Une fois le parlement et le gouvernement formés, les corapporteures
ont effectué une première visite à Paris en septembre 2022 pour
rencontrer des représentants d’organisations de la société civile.
Lors d’une deuxième visite effectuée en janvier 2023, les corapporteures
ont rencontré des représentants des autorités gouvernementales et
des autorités administratives indépendantes, ainsi que des membres
de l’Assemblée nationale. Certains sujets de préoccupation qui avaient
été signalés par les organisations de la société civile et divers
organes de suivi ont été présentés et discutés.
152. Le 27 avril 2023, la commission a décidé, conformément au
Règlement, d'envoyer l'avant-projet de rapport aux autorités françaises
pour qu'elles fassent part de leurs commentaires. Parallèlement,
elle a décidé de demander deux avis à la Commission de Venise: un
sur l’article 65 de la Constitution française concernant la composition
du Conseil supérieur de la magistrature et le statut du pouvoir
judiciaire et un autre sur l’article 49 de la Constitution française.
153. La Commission de Venise et la Direction générale droits humains
et État de droit ont publié un avis consultatif conjoint sur le
Conseil supérieur de la magistrature et le statut du pouvoir judiciaire
le 10 juin 2023. Cet avis consultatif rappelait que les récentes
réformes avaient progressivement renforcé la séparation des autorités
judiciaires du pouvoir exécutif et le principe de l’indépendance
du pouvoir judiciaire, et que des amendements éventuels aux niveaux
constitutionnel et législatif étaient en cours de préparation afin
de poursuivre ce processus de réforme. Dans ce contexte, la Commission
de Venise a recommandé de modifier la composition du Conseil supérieur
de la magistrature et de réformer les procédures de nomination et
de promotion des magistrats ainsi que les procédures disciplinaires
à leur encontre.
154. La Commission de Venise a adopté un avis intérimaire sur l’article
49.3 de la Constitution française et, avant de rendre ses conclusions
définitives, a décidé de procéder à une analyse comparative de la
manière dont les constitutions et les textes législatifs de ses
États membres réglementent les motions de censure et autres moyens
par lesquels l’exécutif peut intervenir dans les pouvoirs législatifs
des parlements.
155. Les commentaires des autorités françaises ont été pris en
considération dans le projet de rapport et la résolution qui a été
adoptée par l’Assemblée le 10 octobre 2023.
156. Dans sa
Résolution
2512 (2023), l’Assemblée a reconnu la longue tradition démocratique
et le respect des droits humains en France mais a également fait
part de certaines préoccupations. Elle s’est déclarée particulièrement
alarmée par le nombre élevé de blessés lors de manifestations et
a exhorté les autorités à fournir des statistiques plus détaillées
sur le nombre de personnes blessées ou tuées lors des manifestations, appelant
à mener des réflexions sur les techniques de maintien de l’ordre.
Elle a également encouragé les autorités à améliorer le traitement
pénal des cas de violences illégitimes par les forces de l’ordre
et à mener une réforme des corps d’inspection de la police et de
la gendarmerie afin d’améliorer la perception de leur indépendance
et de leur impartialité, et à augmenter les moyens qui leur sont
consacrés. Concernant la lutte contre la discrimination, l’Assemblée
a appelé les autorités françaises à ouvrir un large débat au sujet
des pratiques policières et à prendre en considération la recommandation
de l’ECRI, qui appelle les autorités à introduire sans délai un
dispositif efficace de traçabilité des contrôles d’identité par
les forces de l’ordre.
157. L’Assemblée a approuvé les recommandations de la Commission
de Venise sur la composition du Conseil supérieur de la magistrature
et le statut des membres du pouvoir judiciaire et invité les autorités
à adopter ces recommandations dans le cadre d’une future réforme
constitutionnelle.
158. L’Assemblée a rappelé la série d’arrêts ordonnant à la France
de mettre fin à une situation de surpopulation carcérale systémique
entraînant des conditions de détention contraires à l’interdiction
des traitements ou peines inhumains ou dégradants inscrite à l’article
3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Se félicitant
des multiples mesures décidées par les autorités pour réduire la
surpopulation carcérale, l’Assemblée a cependant constaté que les
statistiques sur la population carcérale montraient une aggravation
continue de la situation. Elle a rappelé la décision du Comité des
Ministres qui, au regard de recommandations concordantes de plusieurs
institutions nationales compétentes et de l’urgence de la situation,
a «invit[é] à nouveau les autorités à envisager rapidement de nouvelles
mesures législatives qui réguleraient, de manière plus contraignante,
la population carcérale». L’Assemblée a par conséquent appelé les
autorités à mettre en place un mécanisme contraignant de régulation
carcérale, au moins jusqu’à ce que les autres mesures de réduction
de la population carcérale produisent leurs effets et rendent un
tel mécanisme inutile.
159. L’Assemblée a également salué la protection de la liberté
des journalistes et la réforme prévue pour améliorer la protection
contre les procédures abusives à l’encontre des journalistes, s’est
félicitée des avancées dans l’encadrement du financement de la vie
politique ainsi que des efforts pour lutter contre les violences
faites aux femmes. Elle suit par ailleurs avec intérêt les expériences
de démocratie participative menées en France.
2.4.2. Pays-Bas
160. En janvier 2021, la commission
de suivi a sélectionné les Pays-Bas pour un examen périodique et
a été saisie pour préparer un rapport en mars 2021. En raison de
nombreux changements parmi les rapporteurs, ainsi que de l’appel
à des élections législatives anticipées pour novembre 2023, la validité
du renvoi a été étendue par le Bureau de l’Assemblée jusqu’à mars
2024.
161. Les corapporteurs, Mme Stephanie
Krisper (Autriche, ADLE) et M. Titus Corlăţean (Roumanie, SOC),
se sont rendus à La Haye du 17 au 19 avril 2023 et ont instauré
un dialogue politique direct avec les autorités néerlandaises sur
les problèmes identifiés avant la visite, notamment pendant l’échange
de vues sur le rapport de 2021 concernant l’État de droit aux Pays-Bas
avec un représentant de la Commission européenne, tenu le 9 mars
2021.
162. Durant leurs discussions avec des représentants des pouvoirs
judiciaire, exécutif et législatif, les corapporteurs ont notamment
cherché à évaluer si les problèmes identifiés dans l’avis de la
Commission de Venise sur la protection juridique des citoyens, préparé
à la suite dudit scandale des allocations familiales, avaient été
résolus.
163. Le scandale des allocations familiales a révélé le dysfonctionnement
des institutions démocratiques dans le contexte d’informations révélant
d'importantes malversations dans les procédures de recouvrement
de l'administration fiscale depuis 2005. Si, au départ, les garanties
démocratiques, incluant les institutions judiciaires, n’ont pas
permis de remédier à la situation, une commission d’enquête parlementaire
a finalement été constituée en 2020, dont le rapport a entraîné
la démission du gouvernement en janvier 2021.
164. Les questions suivantes ont en particulier été soulevées pendant
la visite: le rôle du parlement dans la nomination des juges à la
Cour suprême; le Conseil d’État, le double mandat des conseillers
d’État et le régime disciplinaire de ses membres juges; le rôle
du ministre de la Justice et de la Sécurité eu égard au Conseil supérieur
de la magistrature et aux conseils d’administration des tribunaux
en matière de nominations et de pouvoirs disciplinaires contre les
différents membres, et eu égard au ministère public; le double mandat
des juges et des parlementaires.
165. La lutte contre la corruption et le crime organisé était une
autre question importante discutée pendant la visite.
166. Le 30 mai 2023, la commission de suivi a demandé un avis à
la Commission de Venise sur la loi relative à l’organisation du
pouvoir judiciaire, et plus particulièrement ses aspects énumérés
ci-dessus. Le 6 octobre 2023, un avis conjoint de la Commission
de Venise et de la DGI du Conseil de l’Europe sur les garanties juridiques
de l'indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis du pouvoir exécutif
a été adopté par la Commission de Venise.
167. La Commission de Venise et la DGI, tout en rappelant que,
d'une manière générale, elles estiment que les Pays-Bas sont un
État qui fonctionne bien, doté d'institutions démocratiques solides
et de bonnes garanties en matière d’État de droit, ont formulé un
certain nombre de recommandations pour remédier aux faiblesses, notamment
en ce qui concerne: la transparence du processus par lequel la Chambre
des représentants désigne les juges de la Cour suprême ainsi que
le processus par lequel le ministre de la Justice et de la Sécurité
nomme les membres du Conseil supérieur de la magistrature; l'alignement
de la position des conseillers de la Division du contentieux administratif
du Conseil d'État sur celle des autres juges en matière disciplinaire
et, en ce qui concerne la possibilité pour le vice-président d'émettre
un avertissement écrit à l'encontre d'un conseiller, la mise en
place d'un recours auprès d'une instance indépendante; l’intégration
dans le droit réglementaire à la fois de la nouvelle procédure de
nomination des administrateurs judiciaires et des mécanismes (à
développer et à mettre en œuvre) visant à assurer une représentation
plus large de tous les niveaux et types de tribunaux au sein du
Conseil supérieur de la magistrature; la définition plus concrète
et plus précise du concept d'«inaptitude» et la reformulation du
«soupçon sérieux» d'inaptitude requis pour la suspension ou la révocation
d'un membre du Conseil supérieur de la magistrature et des conseils d'administration
des tribunaux, en incluant une référence à des éléments de preuve
concrets, ainsi que l’abolition des différences de traitement entre
les membres judiciaires et non judiciaires en matière disciplinaire et
la suppression du pouvoir du ministre de donner l’instruction de
ne pas poursuivre dans certains cas spécifiques, ou au moins de
limiter cette prérogative à des circonstances exceptionnelles clairement
définies.
168. Lors de sa réunion du 30 mai 2023, la commission a examiné
un avant-projet de rapport et décidé de l’envoyer aux autorités
néerlandaises pour commentaires en vue de le soumettre ensuite pour
discussion à l’Assemblée en octobre 2023.
169. Toutefois, le 7 juillet 2023, le gouvernement de M. Rutte
s’est effondré en raison de désaccords sur les politiques d’immigration.
Des élections générales anticipées ont été programmées pour le 22
novembre 2023. Conformément à la pratique de la commission de suivi,
aucun rapport de pays ne peut être débattu pendant une campagne
électorale afin d'éviter d'éventuels abus politiques.
170. Les corapporteurs ont l’intention de rencontrer les autorités
une fois que le nouveau gouvernement sera formé afin qu’elles confirment
leur engagement à répondre aux préoccupations identifiées par la
Commission de Venise.
2.4.3. Saint-Marin
171. Le 3 février 2021, Saint-Marin
a été sélectionné pour un examen périodique sur le respect de ses obligations
découlant de l’adhésion au Conseil de l’Europe. Le 19 avril 2021,
MM. Andrej Hunko (Allemagne, GUE) et Viorel-Riceard Badea (Roumanie,
PPE/DC) ont été nommés corapporteurs pour Saint-Marin. Le 26 janvier
2023, la commission a désigné M. Joseph O’Reilly (Irlande, PPE/DC)
en remplacement de M. Badea, qui a quitté l’Assemblée. Le rapport
sur le respect par Saint-Marin des obligations découlant de l’adhésion
au Conseil de l’Europe a fait l'objet d'un débat à l'Assemblée le
6 avril 2023, qui a abouti à l'adoption de la
Résolution 2497 (2023).
172. Dans sa résolution, l'Assemblée reconnaissait la structure
unique de pouvoir collégial de Saint-Marin, réparti entre les citoyens
qui ne le détiennent que pour une durée limitée. Ce pouvoir collégial,
adapté aux besoins d’une société en évolution, reflète l’héritage
démocratique du pays et sa spécificité en tant que micro-État. Dans
le même temps, l'Assemblée a pris acte des inquiétudes quant à l’efficacité
du système d’équilibre des pouvoirs dans le pays et à la vulnérabilité
des institutions démocratiques et de leurs représentants à la corruption
et aux conflits d’intérêts. Elle s'est par conséquent réjouie des
nombreuses réformes mises en œuvre pour renforcer le fonctionnement
et la résilience des institutions démocratiques garantes de l’État
de droit à Saint-Marin.
173. L’Assemblée a salué le rôle central du Grand Conseil général,
le Parlement saint-marinais, dans la gouvernance du pays. Parallèlement,
elle a constaté que le Grand Conseil général est un parlement à
temps partiel, dont les membres ne perçoivent pas de salaires de
plein temps pour leurs travaux parlementaires. L’Assemblée a fait
part de sa préoccupation concernant l’absence de dispositions légales
obligeant les employeurs du secteur privé à octroyer aux membres
du Grand Conseil général le temps libre nécessaire à la poursuite
de leurs travaux parlementaires, comme cela est le cas pour ceux
qui travaillent dans le secteur public et elle a recommandé aux
autorités de se pencher sur cette question. Cela accroîtrait également
l’égalité des armes entre les pouvoirs législatif et exécutif à
Saint-Marin, équilibre qui penche actuellement en faveur de l’exécutif.
174. Saint-Marin dispose, depuis toujours, d’un solide cadre institutionnel
et juridique de protection des droits humains et fondamentaux. Il
ne faudrait cependant pas relâcher la vigilance, d’autant que, dans
un certain nombre de cas, le cadre juridique de la protection des
droits humains est en retard sur l’évolution actuelle et l’acceptation
des droits dans la société saint-marinaise. Dans ce contexte, l'Assemblée
s'est félicitée de la mise en œuvre de réformes profondes de la
justice en vue d’en renforcer l’indépendance et la résistance aux ingérences
extérieures, ce qui constituait un sujet de préoccupation.
175. Tout en se félicitant de la diversité et du pluralisme de
l’environnement médiatique à Saint-Marin, l’Assemblée s’est inquiétée
du fait que des lois strictes sur la protection de la vie privée
et la poursuite de l’incrimination de la diffamation entravent l’accès
à l’information publique et pourraient conduire à l’autocensure des
journalistes. Elle a instamment prié les autorités de répondre à
ces préoccupations.