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Rapport | Doc. 16000 | 10 juin 2024

Le rôle des sanctions pour contrer la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteure : Mme Yelyzaveta YASKO, Ukraine, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15812, Renvoi 4769 du 9 octobre 2023. 2024 - Troisième partie de session

Résumé

La guerre d’agression menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine doit cesser et tous les responsables doivent rendre des comptes pour les crimes qu’ils ont commis.

L'Assemblée parlementaire a déjà reconnu qu'un large éventail de mesures juridiques, politiques et diplomatiques sont nécessaires pour faire cesser l'agression, et a donc pris clairement position en faveur de sanctions contre la Fédération de Russie et des personnalités importantes du régime russe.

Le système de sanctions est toutefois affaibli par des lacunes et des failles, qui sont exploitées par les autorités russes et les personnes ciblées pour éviter et contourner les restrictions.

L'Assemblée devrait exhorter les États membres et observateurs à adopter des mesures fortes qui renforcent l'efficacité du régime de sanctions, élargissent l'éventail des sanctions imposées, augmentent le nombre de pays participants et améliorent leur coordination, en tirant les enseignements de l'expérience acquise jusqu'à présent.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 30 mai 2024.

(open)
1. L’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, qui a débuté en 2014 et s’est transformée en une invasion militaire à grande échelle et non provoquée de l’Ukraine en 2022, est une violation majeure du droit international qui a entraîné l’expulsion de la Fédération de Russie du Conseil de l’Europe. Solidaire de l’Ukraine et de son peuple, l’Assemblée parlementaire réaffirme qu’elle condamne fermement la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine et les innombrables actes illicites et violations du droit international commis par la Fédération de Russie.
2. La guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine doit cesser et tous les responsables doivent rendre des comptes pour les crimes qu’ils ont commis. L’Assemblée se félicite des progrès accomplis en vue de la mise en place d’un système complet d’établissement des responsabilités, qui ont abouti, dans un premier temps, à la création d’un Registre des dommages causés par l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, sous l’égide du Conseil de l’Europe. L'Assemblée souligne la nécessité de veiller à ce que le Registre comprenne également tous les dommages causés aux territoires temporairement occupés.
3. L’Assemblée appelle à achever rapidement la mise en place du système d’établissement des responsabilités par la création d’un mécanisme d’indemnisation et d’un tribunal spécial chargé d’enquêter et de poursuivre les dirigeants politiques et militaires de la Fédération de Russie pour le crime d’agression. Le mécanisme international d'indemnisation devrait viser avant tout à indemniser les citoyennes et les citoyens, y compris celles et ceux qui ont été contraints de quitter les territoires temporairement occupés. L’Assemblée demande que des consultations soient lancées dès que possible sur le projet d’Accord entre le Conseil de l’Europe et le Gouvernement de l’Ukraine sur la création d’un tribunal spécial pour le crime d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, notamment sur son statut, et sur un éventuel projet d’accord partiel élargi régissant les modalités de soutien d’un tel tribunal, son financement et d’autres questions administratives.
4. L’Assemblée a déjà reconnu qu’un large éventail de mesures juridiques, politiques et diplomatiques s’imposent pour faire cesser la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine. Elle a donc pris clairement position en faveur de sanctions contre la Fédération de Russie et des personnalités importantes du régime de Vladimir Poutine, notamment dans ses Résolution 2506 (2023) «Les conséquences politiques de la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine», Résolution 2529 (2024) «La situation des enfants d’Ukraine» et Résolution 2539 (2024) «Soutien à la reconstruction de l’Ukraine». L’Assemblée réitère les recommandations qui figurent dans ces résolutions ainsi que dans ses Résolution 2252 (2019) «Lutter contre l’impunité par la prise de sanctions ciblées dans l’affaire Sergueï Magnitski et les situations analogues» et Résolution 2542 (2024) «Sanctions contre les personnes de la «liste Kara-Mourza»», dans lesquelles elle invite tous les États qui n’ont pas encore adopté de loi sur les sanctions ciblées de type Magnitski à le faire sans plus tarder. L'Assemblée réitère également son appel aux États membres du Conseil de l'Europe à déclarer le régime actuel russe comme un régime terroriste, conformément à la Résolution 2463 (2022) «Nouvelle escalade dans l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine».
5. L'Assemblée reconnaît que la propagande et la désinformation diffusées par les médias russes constituent un outil de guerre utilisé à la fois sur le territoire de la Fédération de Russie et à l'étranger, en particulier dans les pays dits du Sud. Les canaux utilisés par l’État agresseur pour influencer le monde extérieur devraient être sanctionnés. Pour ce faire, des sanctions devraient être imposées aux propagandistes individuels qui promeuvent l'idéologie du «monde russe» et qui incitent à la guerre et à la haine contre l'Ukraine.
6. Face à l’incapacité du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) de recourir à l’article 41 de la Charte des Nations Unies, étant donné que la Russie, État agresseur, est membre permanent du CSNU, une coalition d’États et l’Union européenne ont mis en place et régulièrement actualisé une série sans précédent de mesures restrictives visant à amener les autorités et les élites de la Fédération de Russie et leurs complices à rendre des comptes pour leurs actes illicites, et pour entraver la capacité de la Fédération de Russie à mener la guerre d’agression contre l’Ukraine en ciblant ses secteurs militaires et économiques. Par ailleurs, des sanctions ont été imposées à l’encontre du Bélarus, en réponse à son implication dans la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, et à l’encontre de l’Iran, en lien avec la fabrication et la fourniture de drones utilisés par l’armée russe en Ukraine. L’imposition de sanctions contribue à l’action menée pour rétablir la justice, pour mettre fin aux souffrances et pour faire en sorte que l’État agresseur russe ne soit pas tenté d’étendre davantage sa menace militaire en Europe.
7. Parmi les mesures restrictives les plus significatives prises à l’encontre de la Fédération de Russie figurent le plafonnement des prix du pétrole et le contrôle des exportations, ainsi que des sanctions spécifiques ciblant des personnes et des entreprises directement impliquées dans la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine. Ces sanctions ont permis de faire perdre à la Fédération de Russie 113 milliards $US de revenus liés aux exportations de pétrole, ce qui a considérablement réduit les entrées de devises. Les sanctions ont également limité fortement l’accès de la Fédération de Russie à des biens et des technologies essentiels pour son industrie militaire.
8. Malgré ces résultats, l’Assemblée est préoccupée par le fait que l'efficacité du système de sanctions soit affaibli par des lacunes et des failles qu’exploitent les autorités russes et les personnes ciblées pour contourner les restrictions. Par exemple, pour contourner le plafonnement des prix du pétrole, les autorités russes ont créé une «flotte fantôme» composée de navires vétustes, exploités sous différents pavillons et qui ne sont pas couverts par une assurance adéquate ni entretenus, ce qui présente un grave danger pour l’environnement. Le volume des échanges commerciaux de la Fédération de Russie avec des pays tels que la Chine, l’Iran, le Kazakhstan et le Kirghizistan, de même qu’avec certains États membres du Conseil de l’Europe, a fortement augmenté. Il est prouvé que cette augmentation est due à la réexportation de produits sensibles provenant de pays qui imposent des sanctions, malgré l’interdiction en vigueur.
9. Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée estime que des mesures d’envergure s’imposent de toute urgence pour accroître l’efficacité du système de sanctions, en tirant les enseignements de l’expérience acquise jusqu’à présent. L’Assemblée appelle par conséquent les États membres et les États non membres du Conseil de l’Europe à envisager les mesures suivantes pour consolider et élargir l’éventail de sanctions imposées:
9.1. renforcer le respect des sanctions relatives au plafonnement des prix du pétrole, en recensant les navires de la «flotte fantôme» constituée par la Fédération de Russie et ses complices, en les interdisant, et en établissant une liste blanche des courtiers autorisés à fournir des informations sur les transactions effectuées dans le cadre du plafonnement des prix;
9.2. veiller à ce que d’autres sources stratégiques de revenus russes soient également ciblées, notamment le gaz naturel liquéfié et celui des gazoducs, ainsi que les secteurs de l’agriculture, de la métallurgie et du nucléaire, en interdisant à la fois l’importation directe et la revente des produits concernés;
9.3. interdire l’accès aux plateformes de transit, aux services et à l’aide financière pour tous les transporteurs qui acheminent, vers la Fédération de Russie, des matières premières essentielles et des produits manufacturés destinés aux champs de bataille, en particulier ceux qui pourraient contribuer à l’effort de guerre;
9.4. interdire à toutes les banques de la Fédération de Russie et du Bélarus d’utiliser le système de messagerie de paiement international SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications), et exhorter les banques à cesser leurs opérations en Fédération de Russie;
9.5. étendre la liste des personnes sanctionnées également aux personnes directement responsables et complices de la persécution et des mauvais traitements infligés à Vladimir Kara-Mourza, de la persécution, des mauvais traitements et de la mort d’Alexeï Navalny, de la déportation, du transfert forcé et du retard injustifiable du rapatriement d’enfants ukrainiens, et de la destruction de villes ukrainiennes, telles que Marioupol, Bakhmut, Avdiivka et Marinka;
9.6. examiner les motifs juridiques possibles pour cibler également les membres de la famille des personnes sanctionnées.
10. Saluant la décision prise le 8 mai 2024 par le Conseil européen d’utiliser les bénéfices exceptionnels des avoirs gelés de la banque centrale russe pour financer le redressement de l’Ukraine et sa défense militaire, l’Assemblée réitère son appel à examiner toutes les options juridiques possibles pour confisquer les avoirs russes gelés et les intérêts accumulés et les utiliser pour indemniser les citoyens ukrainiens, à reconstruire les villes et les régions détruites et à reconstruire l’Ukraine.
11. L’efficacité du régime de sanctions devrait également être améliorée en augmentant le nombre de pays participants, en améliorant leur coordination et en comblant les lacunes et les failles juridiques. Pour ce faire, l’Assemblée invite les États membres et les États non membres du Conseil de l’Europe:
11.1. à rejoindre la coalition de pays qui imposent des mesures restrictives à la Fédération de Russie, s’ils ne l’ont pas encore fait;
11.2. à étendre et simplifier les mesures de contrôle des exportations, notamment en établissant un mécanisme de coordination des contrôles multilatéraux des exportations, et en mettant en place des systèmes de suivi et de vérification plus solides afin d'empêcher les biens et matériaux sanctionnés d'entrer par des voies indirectes sur les marchés mondiaux;
11.3. à renforcer la responsabilité des entreprises, en établissant des codes de responsabilité des entreprises empêchant les échanges avec la Fédération de Russie directement ou par l'intermédiaire de pays tiers et en donnant au secteur privé des orientations plus claires sur le régime des sanctions, tout en imposant la mise en place de systèmes de diligence raisonnable pour suivre l'itinéraire complet de leurs exportations et la responsabilité judiciaire de la direction des entreprises, ainsi qu'en augmentant le nombre d'inspections et d'enquêtes;
11.4. à lutter contre le contournement des sanctions facilité par les filiales d’entreprises opérant dans des pays tiers en demandant aux sociétés mères de rendre compte au niveau mondial;
11.5. à établir et publier un registre des personnes et des sociétés qui soutiennent les efforts déployés par la Fédération de Russie dans sa guerre d’agression contre l’Ukraine et qui sont impliquées dans la déportation illégale d’enfants ukrainiens, dans la destruction des infrastructures, de l'agriculture, de la flore et de la faune ukrainiennes, dans la violation et le contournement des sanctions, et dans la propagande et la désinformation, ainsi que des personnes physiques et morales (y compris les chercheurs et les établissements scientifiques de l’État agresseur) qui sont impliquées dans le nettoyage ou l’effacement culturel, la destruction délibérée du patrimoine culturel et le pillage de biens culturels ou qui exploitent les sites culturels ukrainiens à leurs propres fins (y compris pour des expositions, des ventes aux enchères et des publications scientifiques);
11.6. à élargir et diversifier l’adoption de sanctions secondaires pour cibler les pays, les entités et les personnes qui contribuent à la violation et au contournement des sanctions;
11.7. à suspendre l’aide financière et toute forme d’aide aux pays, entités et personnes qui soutiennent la Fédération de Russie dans sa guerre d’agression contre l’Ukraine;
11.8. à envisager d’appliquer le même éventail de mesures restrictives, de même nature, aux alliés les plus proches de la Fédération de Russie, tels que le Bélarus, l’Iran, la Corée du Nord et leurs élites;
11.9. à améliorer la coopération multilatérale aux fins d’harmonisation des législations nationales pertinentes, d’élimination des failles juridiques qui facilitent le contournement des sanctions, d’échange continu d’informations et de bonnes pratiques, et d’inspections et d’enquêtes menées conjointement;
11.10. à renforcer les capacités financières, humaines et techniques des autorités nationales chargées de l’application des sanctions afin qu’elles disposent de moyens suffisants pour s’acquitter correctement et efficacement de leurs tâches;
11.11. à alourdir les pénalités appliquées en cas de contournement des sanctions.
12. Pour éliminer les lieux de refuge et garantir une plus grande homogénéité du cadre juridique sur la criminalisation des violations ou le contournement des sanctions, l’Assemblée invite instamment les États membres de l’Union européenne à accélérer l’incorporation, dans leur législation nationale, des dispositions de la Directive (UE) 2024/1226 du Parlement européen et du Conseil du 24 avril 2024 relative à la définition des infractions pénales et des sanctions en cas de violation des mesures restrictives de l’Union et modifiant la Directive (UE) 2018/1673.
13. Par ailleurs, les candidats à l’adhésion à l’Union européenne devraient veiller à ce que leur législation nationale soit alignée sur les dispositions des Directives 2024/1226 et 2018/1673 et, d’une manière générale, sur les décisions prises dans le cadre de la Politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne. L’Assemblée invite instamment l’Union européenne à considérer cet alignement comme une condition nécessaire pour poursuivre les procédures de négociation d’adhésion.
14. Pour ce qui concerne les sanctions dans le domaine sportif, l’Assemblée déplore la décision prise par le Comité international olympique d’autoriser les athlètes russes et bélarussiens à participer aux Jeux olympiques de Paris 2024 à titre individuel en tant qu’athlètes neutres, contrairement à l’appel à interdire totalement leur participation qu’elle a lancé dans sa Résolution 2507 (2023) «Guerre d’agression contre l’Ukraine – Participation des athlètes russes et bélarussiens aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024?».
15. L’Assemblée salue et encourage les initiatives que le Conseil de l’Europe entreprend en matière de sanctions, notamment au titre des activités du Comité des Conseillers juridiques sur le droit international public (CAHDI), et celles de suivi du Comité d’experts sur l’évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL), ainsi que le projet conjoint du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne dans le cadre de l’instrument d’appui technique sur la «Mise en œuvre effective du régime de sanctions et le renforcement de la coopération transfrontalière dans les États membres de l’Union européenne».

B. Exposé des motifs par Mme Yelyzaveta Yasko, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Les mesures restrictives ou «sanctions» ont montré à maintes reprises qu’elles constituaient un outil diplomatique efficace pour faire pression sur les gouvernements et les personnes responsables de violations du droit international et humanitaire, d’atteintes aux droits humains et de menaces pour la paix internationale. Elles sont également utilisées par les pays désireux de prendre leurs distances à l’égard des actes illégaux commis par les parties visées pour afficher une position morale et transmettre un message politique.
2. Les sanctions vont de l’interdiction de voyage, d’activités sportives ou culturelles à la rupture des liens diplomatiques, au gel des avoirs et à l’imposition de restrictions commerciales sectorielles ou d’embargos généralisés. Elles peuvent être appliquées de façon unilatérale ou dans un cadre multilatéral; elles peuvent aussi être formulées de manière à ne cibler que des personnes ou des entités spécifiques.
3. Depuis le lancement de son agression contre l’Ukraine en 2014, la Fédération de Russie est impliquée dans de graves violations du droit international des droits humains et du droit international humanitaire dans les parties temporairement occupées des régions ukrainiennes de Donetsk, Louhansk, Zaporijjia et Kherson, ainsi que dans la République autonome de Crimée et la ville de Sébastopol. L’invasion militaire à grande échelle et non provoquée commencée par la Fédération de Russie le 24 février 2022 contre l’Ukraine est un exemple frappant de l’effet dévastateur des guerres et des conflits sur les vies humaines, sur la stabilité régionale et sur la confiance dans les institutions mondiales.
4. En réaction à ces crimes, un groupe d’États de plus en plus vaste a déployé un nombre sans précédent de sanctions contre la Fédération de Russie, contribuant ainsi à l’isolement de ce pays sur la scène internationale et faisant de lui le plus sanctionné au monde. Le régime actuel de sanctions visant la Fédération de Russie constitue donc un cas unique.
5. Les sanctions prises à l’encontre de la Fédération de Russie s’avèrent efficaces pour réduire les capacités économiques, commerciales et militaires du pays et pour faire en sorte que le Gouvernement et les élites russes aient à rendre des comptes pour leurs actes illégaux au regard du droit international. En l’absence de sanctions, la Fédération de Russie disposerait de ressources financières, technologiques et matérielles bien plus conséquentes pour mener ses actes criminels de guerre d’agression contre l’Ukraine et sa population, les infrastructures et l’environnement ukrainiens. Cependant, les autorités russes et leurs partenaires trouvent constamment de nouveaux moyens de contourner les sanctions.
6. Afin de consolider les résultats obtenus jusqu’à présent et de resserrer l’étau des sanctions autour des secteurs clés de l’économie russe, le présent rapport propose l’introduction de nouvelles mesures susceptibles de combler les lacunes et les failles existantes et d’exercer une pression supplémentaire sur l’État agresseur russe.

2. Le rôle des sanctions

2.1. Catégories de sanctions

7. La première moitié du 20ème siècle a été marquée par les deux guerres mondiales, qui furent de loin les conflits les plus importants et les plus meurtriers de l’histoire de l’humanité. En 1945, au lendemain de la seconde guerre mondiale, ont été créées les Nations Unies grâce à la ratification de la Charte des Nations Unies, dans le but principal de maintenir la paix et la sécurité internationales en prenant «des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix». La Charte des Nations Unies codifie les grands principes des relations internationales, depuis l’égalité souveraine des États jusqu’à l’interdiction d’employer la force dans ces relations 
			(2) 
			<a href='https://www.un.org/fr/about-us/un-charter'>Charte des
Nations Unies, 1945</a>..
8. Le continent européen a été l’épicentre des deux guerres mondiales. En 1949, faisant écho aux principes fondateurs des Nations Unies, le Conseil de l’Europe a été créé dans l’idée que «la consolidation de la paix fondée sur la justice et la coopération internationale est d’un intérêt vital pour la préservation de la société humaine et de la civilisation» et dans le but de réaliser «une union plus étroite entre ses Membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun et de favoriser leur progrès économique et social» 
			(3) 
			<a href='https://rm.coe.int/1680935bd1'>Statut du
Conseil de l’Europe (STE n° 5)</a>..
9. Après la fin de la guerre froide, les premières décennies du XXIe siècle ont vite constitué une occasion manquée pour la paix et la stabilité internationales. Nous vivons désormais dans un monde de plus en plus multipolaire, confronté à de graves problèmes de sécurité. De nombreux cas de violations systématiques des droits humains et des libertés persistent dans différentes régions, exacerbant les tensions sociales et alimentant les conflits. On recense à l’heure actuelle plus de 100 conflits armés dans le monde 
			(4) 
			<a href='https://www.icrc.org/fr/document/2023-besoins-humanitaires-criants-les-crises-que-le-monde-ne-peut-ignorer'>www.icrc.org/fr/document/2023-besoins-humanitaires-criants-les-crises-que-le-monde-ne-peut-ignorer</a>., qui portent atteinte aux libertés fondamentales des personnes et entravent le développement économique national ainsi que la sécurité et la paix internationales.
10. Pour atteindre les objectifs poursuivis par les Nations Unies et le Conseil de l’Europe et garantir la sécurité mondiale et le respect du droit international, il faut disposer de mécanismes et d’instruments efficaces, surtout lorsqu’un État menace la souveraineté d’un autre État ou viole les droits humains, les libertés et les principes démocratiques à grande échelle au niveau national.
11. À cet égard, les sanctions peuvent être un moyen d’amener les gouvernements à rendre compte de leurs actes. Lorsqu’un gouvernement se livre à des activités contraires aux valeurs démocratiques ou mène des actions agressives contre sa propre population ou contre des États voisins, les sanctions constituent à la fois un moyen de dissuasion et une mesure coercitive. Au moyen de sanctions, les «émetteurs» (les États ou organisations internationales qui imposent des sanctions) tentent de modifier le comportement des «cibles» (les autorités gouvernementales et, dans certains cas, des personnes ou des acteurs non étatiques sanctionnés).
12. Les sanctions peuvent s’appliquer aux relations culturelles, diplomatiques, économiques et militaires. Elles peuvent en particulier être classées en plusieurs catégories en fonction de leur cible et de leur portée:
  • des sanctions globales visant à restreindre la totalité ou la plupart des relations avec le pays ciblé. Il peut s’agir d’embargos commerciaux, de restrictions financières ainsi que de mesures restrictives concernant les relations culturelles et diplomatiques et les voyages;
  • des sanctions sectorielles visant des secteurs spécifiques de l’économie d’un pays, tels que la finance, l’énergie ou la défense. Elles visent à restreindre ou à interdire certains types d’échanges commerciaux ou de transactions au sein de ces secteurs;
  • des sanctions individuelles dirigées contre des personnes ou des entités considérées comme responsables d’actions ou de comportements spécifiques. Elles peuvent inclure des interdictions de voyager, des gels d’avoirs, ou des restrictions sur les transactions financières;
  • des sanctions secondaires visant des tiers, tels que des personnes physiques, des sociétés ou des pays qui exercent certaines activités avec l’entité ou le pays sanctionné. Ces sanctions visent à dissuader d’autres entités d’entrer en affaires avec le pays ciblé en leur imposant des sanctions ou des restrictions.
13. En vertu de la Charte des Nations Unies, le Conseil de sécurité de l’ONU peut décider la nécessité d’adopter des mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée pour le maintien ou le rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. L’article 41 de la Charte éclaire sur le type de mesures que les États membres des Nations Unies peuvent être amenés à adopter, par exemple «l’interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques» 
			(5) 
			<a href='https://www.un.org/fr/about-us/un-charter'>Charte
des Nations Unies, 1945</a>..
14. Pendant la guerre froide, le Conseil de sécurité de l'ONU n’a adopté des sanctions qu’à très peu d’occasions, les membres permanents étant rarement d’accord d’y recourir: des sanctions obligatoires n’ont été imposées qu’à deux reprises, à la Rhodésie du Sud en 1968 et à l’Afrique du Sud en 1977. Le taux d’adoption a progressivement augmenté après l’effondrement de l’Union soviétique, et le recours aux sanctions a été plus fréquent dans les années quatre-vingt-dix. À titre d’exemple, des sanctions ont été prises à l’encontre de l’Irak (1990-2003), lors de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie (1991-1996), à l’encontre d’Haïti (1993-1994), ainsi que dans le cadre de conflits intra-étatiques, en particulier envers certains pays d’Afrique 
			(6) 
			Rapport du Conseil
de sécurité, «<a href='https://www.securitycouncilreport.org/research-reports/un-sanctions.php'>Sanctions
des Nations Unies»</a>, 2013..
15. Il existe actuellement 14 régimes de sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU, qui ont pour objectif de soutenir le règlement politique des conflits, de faire face à la prolifération des armes nucléaires et de lutter contre le terrorisme 
			(7) 
			<a href='https://www.un.org/securitycouncil/fr/sanctions/information'>www.un.org/securitycouncil/fr/sanctions/information</a>.. Compte tenu de la polarisation actuelle entre les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, il est extrêmement difficile de parvenir à un accord sur l’imposition de nouvelles sanctions et même de gérer les régimes de sanctions en vigueur. Le dernier exemple en date est le veto opposé le 28 mars 2024 par la Fédération de Russie à un projet de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui prévoyait de proroger jusqu’au 30 avril 2025 le mandat du Groupe d’experts chargé d’assister le Comité des sanctions créé par la Résolution 1718 (2006) sur la Corée du Nord 
			(8) 
			<a href='https://press.un.org/fr/2024/cs15648.doc.htm'>https://press.un.org/fr/2024/cs15648.doc.htm</a>..
16. En raison également de l’impasse au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, les États adoptent de plus en plus de sanctions de manière unilatérale, que ce soit individuellement ou en coordination avec d’autres pays partageant les mêmes valeurs, afin d’atteindre des objectifs de politique étrangère, et en particulier pour protéger les droits humains, la démocratie et le droit international contre un gouvernement bafouant ou menaçant de bafouer ces principes. Toutefois, dans d’autres cas, des sanctions unilatérales sont appliquées en plus de celles prescrites par le Conseil de sécurité de l’ONU, le plus souvent afin de les renforcer. Il s’agit d’une pratique courante de l’Union européenne ou des États-Unis, comme l’illustre les multiples trains de sanctions imposés à l’Iran dans le cadre de son programme de prolifération nucléaire.
17. Dans un certain nombre de cas, des sanctions unilatérales sont actuellement adoptées en dehors du cadre du Conseil de sécurité de l’ONU. Ainsi, les États-Unis appliquent un embargo économique total sur Cuba depuis 1962. Citons également le régime de sanctions adopté à l’encontre du Myanmar par l’Union européenne, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie, à la suite du coup d’État militaire mené en 2021 et des graves violations des droits humains commises dans le pays. Plus récemment, la Türkiye a décidé d’interrompre ses échanges commerciaux avec Israël en raison du conflit dans la bande de Gaza; les États-Unis, quant à eux, ont menacé de suspendre la fourniture d’armes à Israël s’il décidait de procéder à l’invasion de la ville de Rafah.
18. Selon les différents scénarios possibles décrits ci-dessus, les sanctions peuvent donc remplir les fonctions suivantes:
  • servir de moyen de dissuasion contre les actions indésirables, en faisant passer le message aux États, personnes ou acteurs non étatiques ciblés selon lequel certains comportements, tels que les agressions, le terrorisme ou les violations des droits humains, auront des conséquences diplomatiques, financières ou économiques;
  • être un outil coercitif pour faire pression sur les États, personnes ou acteurs non étatiques qui se livrent déjà à de tels comportements, et faire en sorte qu’ils aient du mal à continuer d’agir ainsi;
  • constituer un levier diplomatique pour encourager la négociation, la médiation ou le respect des exigences internationales;
  • servir de moyen de pression pour amener les régimes autoritaires à initier des réformes démocratiques.

2.2. Efficacité des sanctions

19. Des études empiriques ont montré que les sanctions peuvent causer des dommages importants aux pays cibles, en particulier lorsqu’elles visent à asphyxier les échanges commerciaux et les opérations financières et affectent ainsi fortement leur produit intérieur brut. En revanche, l’efficacité globale des sanctions pour améliorer la protection des droits humains et encourager les changements démocratiques dans les pays ciblés reste contestée par la recherche universitaire 
			(9) 
			J. Gutmann, M. Neuenkirch
et F. Nuemeir, «<a href='https://www.cesifo.org/en/publications/2023/article-journal/impact-economic-sanctions-target-countries'>The
Impact of Economic Sanctions on Target Countries: A Review of the Empirical
Evidence»</a>, Forum EconPol, 2023 et C. von Soest et M. Wahman, «<a href='https://wcfia.harvard.edu/publications/underestimated-effect-democratic-sanctions-0'>The
Underestimated Effect of Democratic Sanctions</a>», E-International Relations, 2014..
20. Se fondant sur la base de données «Global Sanctions Database» 
			(10) 
			<a href='https://www.globalsanctionsdatabase.com/'>www.globalsanctionsdatabase.com/</a>., qui couvre quelque 1 325 exemples de sanctions recensés depuis 1950, une étude publiée en 2020 est parvenue aux principales conclusions suivantes: «(i) le recours aux sanctions a augmenté au fil du temps; (ii) les pays européens sont les principaux utilisateurs et les pays africains les principales cibles, les sanctions étant le plus souvent non réciproques; (iii) les sanctions sont de plus en plus diversifiées, sachant que la proportion de sanctions commerciales diminue tandis que celle des sanctions financières et des restrictions de voyage augmente; (iv) les sanctions répondent de plus en plus à des objectifs liés à la démocratie et/ou aux droits humains et moins à des questions classiques de diplomatie internationale; (v) le taux d’efficacité des sanctions a augmenté jusqu’en 1995 et a chuté depuis lors, s’établissant en moyenne à près de 30 %» 
			(11) 
			G. Felbermayr, A. Kirilakha,
C. Syropoulos, E. Yalcin, and Y. Yotov, «<a href='https://ideas.repec.org/p/ris/drxlwp/2020_002.html'>The
Global Sanctions Data Base</a>», School of Economics Working Paper Series 2020-2, LeBow
College of Business, Drexel University, 2020 (en anglais seulement)..
21. Il convient également de prendre en considération le fait que les sanctions peuvent avoir des conséquences négatives, tant pour les pays émetteurs que pour la population du pays cible 
			(12) 
			Le rapport intitulé
«Faire face aux effets sociaux et économiques des sanctions» actuellement
en cours d’élaboration par la Commission des questions sociales,
de la santé et du développement durable (rapporteure: Sibel Arslan,
Suisse, SOC) analysera plus en détail cet aspect.. Pour cette raison, les sanctions «intelligentes» ciblées sont souvent privilégiées, car elles mettent essentiellement la pression sur des individus, des entités et des acteurs non étatiques spécifiques, responsables de violations du droit international ou des droits humains. Quoi qu’il en soit, les sanctions de toutes sortes constituent généralement une solution alternative bien moins onéreuse qu’une confrontation militaire directe et rencontrent, en ce sens, moins de réticences aussi bien au plan national qu’international.
22. Par ailleurs, l'application de sanctions traduit parfaitement une prise de position morale et un message politique de la part des pays émetteurs. Un pays émetteur peut décider de limiter et de restreindre ses relations avec un pays ou des personnes cibles en imposant des sanctions afin de se distancier clairement d’un comportement déplorable et signaler ainsi qu’il refuse de fournir des moyens à celles et ceux qui agissent en violation des normes reconnues du droit international ou de protection des droits humains. C’est le cas, notamment, des sanctions prises récemment par l’Union européenne, le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis contre des colons israéliens établis en Cisjordanie pour leurs actes de violence et d’incitation à de tels actes envers des Palestiniens. Elles consistent en un gel de leurs avoirs et une restriction de leur capacité à se rendre à l’étranger.
23. Dans certains cas, l’efficacité des sanctions n’est pas immédiatement perceptible, car il peut falloir du temps (éventuellement plusieurs années) avant qu’un changement n’intervienne réellement. La pression économique exercée sur les pays cibles entraîne alors une érosion progressive au compte-goutte de leurs ressources financières et une instabilité accrue de leurs fondamentaux macro-économiques. L’impact se faisant sentir à long terme, les pays émetteurs doivent faire preuve d’une grande détermination dans leur engagement en vue de parvenir à leurs objectifs.
24. Pour autant, les sanctions se sont déjà avérées efficaces dans plusieurs dossiers internationaux, notamment pour prévenir des conflits, réduire les tensions géopolitiques et encourager des changements de régime. Par exemple, en 1921, la menace de sanctions économiques brandie par la Société des Nations a empêché la Yougoslavie d’envahir l’Albanie; en 1925, un conflit entre la Bulgarie et la Grèce a été évité de la même manière 
			(13) 
			<a href='https://www.washingtonpost.com/news/worldviews/wp/2014/04/28/13-times-that-economic-sanctions-really-worked/'>www.washingtonpost.com/news/worldviews/wp/2014/04/28/13-times-that-economic-sanctions-really-worked/</a>.. Les sanctions ont également contribué aux réformes démocratiques et au renversement du régime de l’apartheid en Afrique du Sud, à l’introduction d’une démocratie multipartite au Malawi et à l’abandon des plans taïwanais de développement d’armes nucléaires 
			(14) 
			Ibid..
25. Dans les années 1980, les sanctions imposées à l’URSS ont eu un impact profond sur son économie, exacerbant la crise au sein du système étatique, isolant l’Union soviétique des pays technologiquement avancés et contribuant en fin de compte à son effondrement. Les sanctions qui ont permis de conclure l’accord nucléaire avec l’Iran constituent un autre exemple de réussite: bien que celui-ci ne soit plus en vigueur, c’est grâce au régime de sanctions que l’Iran a officiellement accepté de ne pas utiliser son programme nucléaire pour produire des armes nucléaires 
			(15) 
			Briefing
du Parlement européen: «<a href='https://www.europarl.europa.eu/thinktank/fr/document/EPRS_BRI(2024)760416'>EU
sanctions: A key foreign and security policy instrument</a>», avril 2024..
26. Les sanctions ne sont pas une panacée et il serait illusoire de croire qu’elles peuvent à elles seules changer la donne. Elles peuvent cependant jouer un rôle majeur lorsqu’elles sont associées à d’autres outils comme les mécanismes d’alerte précoce, les négociations diplomatiques et, dans les cas de figure les plus graves et les plus regrettables, l’intervention militaire. Elles revêtent une importance morale, symbolique et politique considérable, qui est indépendante de leur efficacité immédiate. Elles constituent également une alternative plus viable et plus économique qu’une opération militaire. Les responsables politiques doivent prendre en compte ces différents aspects chaque fois qu’ils envisagent d’adopter des sanctions en conjonction avec d’autres instruments de politique étrangère ou en remplacement de ceux-ci.

3. Les conséquences de la guerre d’agression à grande échelle et non provoquée menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine

27. Depuis le lancement de son agression contre l’Ukraine en 2014, la Fédération de Russie est responsable de graves violations du droit international des droits humains et du droit international humanitaire dans les parties temporairement occupées des régions ukrainiennes de Donetsk, Louhansk, Zaporijjia et Kherson, ainsi que dans la République autonome de Crimée et la ville de Sébastopol. Elle a induit par la force des changements démographiques, réprimé des communautés religieuses, militarisé la péninsule de Crimée et imposé des restrictions à l’éducation et à la liberté d’expression et de réunion, qui ont conduit à des arrestations et à des persécutions politiques visant en particulier les Ukrainien·nes et les Tatars de Crimée.
28. L’invasion militaire à grande échelle, illégale, non provoquée et injustifiée commencée par la Fédération de Russie le 24 février 2022 contre l’Ukraine dans la continuité de la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine qui se poursuit depuis le 19 février 2014, est un exemple frappant de l’effet dévastateur des guerres et des conflits sur les vies humaines, sur la stabilité régionale et sur la confiance dans les institutions mondiales. Des milliers de personnes ont péri sous des bombardements intensifs qui ont détruit des maisons, des écoles et des hôpitaux, provoquant des inondations et perturbant l’alimentation en eau des systèmes d’irrigation. Ces actes constituent une violation directe des articles 3, 18, 25 et 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ainsi que de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
29. La mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine (HRMMU), sous l’égide des Nations Unies, a recensé au moins 31 366 victimes civiles en Ukraine, dont 10 810 morts et 20 556 blessés, depuis le 24 février 2022. La grande majorité de ces victimes (91 %) résulte de l’utilisation d’armes explosives à large rayon d’impact, notamment de tirs d’artillerie, de chars et de systèmes de roquettes à lancement multiple, de missiles de croisière et balistiques (air, mer et sol) et de frappes aériennes, dont des munitions rôdeuses et d’autres véhicules aériens sans pilote. Les statistiques officielles ne tiennent pas compte des victimes civiles dans les territoires temporairement occupés. En particulier, les données préliminaires indiquent que plus de 22 000 civils ont été tués à Marioupol. De plus, la HRMMU a également constaté que 1 109 établissements scolaires et 482 établissements médicaux avaient été détruits ou endommagés, de même que des infrastructures essentielles 
			(16) 
			<a href='https://ukraine.un.org/en/265434-protection-civilians-armed-conflict-%E2%80%94-march-2024'>Ukraine:
Protection of civilians in armed conflict – March</a> 2024 update.. Le montant total des dommages causés aux infrastructures en Ukraine pouvait atteindre 155 milliards $US selon l’estimation établie par l’Institut de l’école d’économie de Kiev en janvier 2024 
			(17) 
			<a href='https://kse.ua/about-the-school/news/155-billion-the-total-amount-of-damages-caused-to-ukraine-s-infrastructure-due-to-the-war-as-of-january-2024/'>https://kse.ua/about-the-school/news/155-billion-the-total-amount-of-damages-caused-to-ukraine-s-infrastructure-due-to-the-war-as-of-january-2024/</a>.. En particulier, le montant des destructions subies par la seule ville de Marioupol entre le 24 février et le 20 mai 2024, est estimé à environ 14,5 milliards $US (selon le conseil municipal de Marioupol), y compris les dommages résultant de la destruction de deux usines métallurgiques, estimés par la Banque mondiale à 4,2 milliards $US.
30. D’après le rapport spécial du Commissaire aux droits humains du Parlement ukrainien sur le respect des droits des personnes touchées par la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, au moins 19 500 enfants ukrainiens ont été illégalement enlevés et déportés vers la Fédération de Russie. Le nombre réel d’enfants ukrainiens emmenés par les autorités russes depuis le début de l’invasion militaire à grande échelle et non provoquée de la Fédération de Russie contre l’Ukraine pourrait toutefois dépasser plusieurs centaines de milliers 
			(18) 
			<a href='https://childrenofwar.gov.ua/en/'>https://childrenofwar.gov.ua/en/</a>.. En outre, plus de 2 090 enfants sont portés disparus, 535 ont été tués, 1 257 ont subi des blessures et 13 ont été victimes de violences sexuelles. Le 17 mars 2023, la Cour pénale internationale (CPI) a délivré des mandats d’arrêt contre le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, et la Commissaire aux droits de l’enfant, Maria Alekseïevna Lvova-Belova; l’un comme l’autre «serait responsable du crime de guerre de déportation illégale de population (enfants) et du crime de guerre de transfert illégal de population (enfants), et ce, des zones occupées de l’Ukraine vers la Fédération de Russie». Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (BIDDH/OSCE) a enjoint à la Fédération de Russie de cesser immédiatement les pratiques de transfert forcé ou de déportation d’enfants ukrainiens vers les territoires temporairement occupés et en Fédération de Russie 
			(19) 
			BIDDH/OSCE, «<a href='https://www.osce.org/odihr/542751'>Report
on Violations and Abuses of International Humanitarian and Human
Rights Law, War Crimes and Crimes Against Humanity, related to the
Forcible Transfer and/or Deportation of Ukrainian Children to the
Russian Federation</a>», mai 2023..
31. De plus, des habitants des territoires temporairement occupés de l’Ukraine sont enrôlés contre leur gré dans les forces armées russes. Depuis avril 2015, environ 35 000 personnes originaires des territoires temporairement occupés de Crimée et de la ville de Sébastopol ont été enrôlées illégalement et, depuis février 2022, jusqu’à 90 000 personnes résidant dans les parties temporairement occupées des régions ukrainiennes de Donetsk, Louhansk, Zaporijjia et Kherson ont été engagées malgré elles dans des unités des 1er et 2e corps d’armée du district militaire sud des forces armées russes.
32. Les forces armées russes n’ont cessé de se livrer à un pillage organisé et à grande échelle de biens privés et publics et d’autres biens dans toute l’Ukraine, ciblant en particulier les produits agricoles et les produits métalliques. Des usines sont pillées et du matériel est démantelé pour la ferraille. Ces biens pillés sont ensuite transportés en Fédération de Russie par des routes passant par la Crimée temporairement occupée et le Bélarus. Or, le pillage est expressément interdit dans le droit international humanitaire coutumier, conformément aux articles 28 et 47 du Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (Règlement de La Haye), qui figure en annexe à la Convention (IV) de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre 
			(20) 
			<a href='https://ihl-databases.icrc.org/fr/ihl-treaties/hague-conv-iv-1907'>https://ihl-databases.icrc.org/fr/ihl-treaties/hague-conv-iv-1907</a>.. La Fédération de Russie est liée par cette convention, qui est toujours en vigueur. Reconnu comme un crime de guerre depuis la première guerre mondiale, le pillage est expressément interdit également dans des documents juridiques tels que le Statut du tribunal de Nuremberg et actuellement défini comme un crime de guerre en vertu de l’article 8(2)(b)(xvi) du Statut de Rome de la CPI 
			(21) 
			<a href='https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/Publications/Statut-de-Rome.pdf'>www.icc-cpi.int/sites/default/files/Publications/Statut-de-Rome.pdf</a>..
33. En 2022 et 2023, les forces de l’ordre ukrainiennes ont constaté que des navires battant pavillon russe transportaient des céréales volées provenant des territoires temporairement occupés, en particulier des régions de Kherson et de Zaporijjia vers des pays tiers via des ports de Crimée fermés depuis 2014. L’administration d’occupation russe a falsifié des documents d’expédition afin de «blanchir» et de légitimer le transport de céréales volées. En outre, selon la HRMMU, depuis le 11 juillet 2023, des dizaines d’attaques ont endommagé ou détruit des installations liées à la production et à l’exportation de céréales sur le territoire contrôlé par l’Ukraine, notamment des installations portuaires, des silos à céréales et des véhicules de transport de céréales. De plus, des produits métalliques et du matériel épargné ont été volés aux entreprises métallurgiques de la ville de Marioupol, ainsi que du territoire de son port maritime, et ont été transportés via le port de commerce maritime de Marioupol.
34. L’armée russe vole systématiquement les objets du patrimoine culturel ukrainien. Depuis le 24 février 2022, au moins 245 cas de ce type ont été officiellement enregistrés 
			(22) 
			<a href='https://nazk.gov.ua/en/news/bring-back-what-s-ours-nacp-launches-a-new-section-stolen-heritage-within-the-project-war-and-art/'>https://nazk.gov.ua/en/news/bring-back-what-s-ours-nacp-launches-a-new-section-stolen-heritage-within-the-project-war-and-art/</a>.. Les biens culturels volés sont transportés à travers le territoire de la Fédération de Russie et rejoignent des expositions et des collections privées de particuliers russes, font l’objet de recherches de diverses institutions et sont utilisés à des fins de propagande russe, en particulier pour alimenter le concept de «monde russe» en démontrant la soi-disant «riche culture russe». De plus, depuis les premiers jours de la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, les troupes russes ont endommagé ou détruit sans scrupules au moins 1 062 sites du patrimoine culturel ukrainien. Parmi ces sites, on dénombre 307 monuments d’architecture, 316 monuments d’architecture et d’urbanisme, 226 monuments historiques, 21 œuvres d’art monumentales, 19 œuvres d’art monumentales et d’urbanisme et 56 monuments archéologiques. Ces actes constituent une violation directe de l’article 56 du Règlement de La Haye.
35. L’ampleur des frappes russes ne diminue pas. Comme l’a indiqué l’Institute for the Study of War, dans la nuit du 21 au 22 mars 2024, les forces russes ont mené la plus grande attaque combinée de drones et de missiles contre les infrastructures énergétiques ukrainiennes depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, lançant 151 drones et missiles qui ont ciblé 136 installations énergétiques dans les oblasts de Zaporijjia, de Khmelnytskyï, d’Odessa, de Dnipropetrovsk, de Poltava, de Mykolaïv, de Vinnytsia, de Lviv et d’Ivano–Frankivsk. Le 22 mars, des tirs de missiles russes ont détruit toutes les unités de production d’électricité et les équipements auxiliaires de la centrale thermique de Zmiivska dans la région de Kharkiv et ont gravement endommagé les unités HPP-1 et HPP-2 de la centrale hydroélectrique de Dnipro (HPP) à Zaporijjia. Le ciblage des infrastructures énergétiques a un effet significatif sur la population ukrainienne et vise à dégrader les capacités industrielles de défense de l'Ukraine 
			(23) 
			Institute for the Study
of War, <a href='https://www.understandingwar.org/backgrounder/russian-offensive-campaign-assessment-march-30-2024'>Russian
Offensive Campaign Assessment, 30 mars 2024</a>..

4. Le régime actuel de sanctions contre la Fédération de Russie

36. En réponse à l’invasion militaire à grande échelle et non provoquée menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine, des États à titre individuel et l’Union européenne ont imposé un nombre et un éventail sans précédent de sanctions contre l’État agresseur russe, contribuant ainsi à son isolement sur la scène internationale: environ 14 000 sanctions distinctes ciblent désormais des personnes physiques et des personnes morales russes, ce qui fait de la Fédération de Russie le pays le plus sanctionné au monde et limite considérablement son champ d’action sur les plans militaire et économique.
37. Le vaste régime de sanctions actuellement appliqué à la Fédération de Russie vise principalement à obliger le gouvernement et les élites responsables à rendre des comptes pour la guerre d’agression à grande échelle menée contre l’Ukraine et les innombrables violations des droits humains qui en découlent. Les sanctions contribuent à contrer l’effort militaire de la Fédération de Russie sur le champ de bataille. Elles empêchent notamment l’utilisation de ses actifs financiers détenus à l’étranger, limitent les entrées financières liées aux exportations de pétrole et d’autres produits et réduisent l’accès de l’industrie aux technologies et aux biens à double usage qui sont essentiels pour la production d’armes et de matériel militaire.
38. Le 23 février 2024, l’Union européenne a adopté son 13e train de sanctions: ces trains de mesures visent les personnes et entités qui permettent l’effort de la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, y compris celles d’autres pays tels que le Bélarus, l’Iran et la Corée du Nord 
			(24) 
			<a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions-against-russia/sanctions-against-russia-explained/'>Conseil
européen, «Le point sur les sanctions de l'UE contre la Russie»</a>.. Le même jour, les États-Unis ont annoncé plus de 500 nouvelles sanctions contre des personnes et entités basées en Fédération de Russie et dans d’autres pays, en lien avec la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine et des violations des droits humains, en particulier la mort en détention de l’opposant politique russe Alexeï Navalny 
			(25) 
			<a href='https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy2117'>https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy2117</a>..
39. Le 22 mars 2024, l’Union européenne a adopté des mesures restrictives supplémentaires contre 33 personnes et deux entités liées à la mort soudaine de ce dernier 
			(26) 
			<a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2024/03/22/death-of-alexei-navalny-eu-sanctions-33-individuals-and-two-entities-under-its-global-human-rights-sanctions-regime/'>Conseil
européen, Décès d'Alexeï Navalny: l'UE sanctionne trente-trois personnes
et deux entités au titre de son régime mondial de sanctions en matière
de droits de l'homme, 22 mars 2024</a>.. Le 1er mai 2024, les États-Unis ont pris de nouvelles sanctions à l’encontre de 280 personnes et entités qui participent au développement des futures capacités de production et d’exportation de la Fédération de Russie dans les domaines de l’énergie, des métaux et de l’exploitation minière; à l’évitement et au contournement des sanctions; et au renforcement de la capacité de la Fédération de Russie à mener sa guerre contre l’Ukraine. En particulier, le département d’État américain accuse la Fédération de Russie d’avoir eu recours à des armes chimiques (notamment à de la chloropicrine et des agents anti-émeutes) contre les forces ukrainiennes, en violation de la Convention sur les armes chimiques, à laquelle la Fédération de Russie est partie 
			(27) 
			<a href='https://www.state.gov/imposing-new-measures-on-russia-for-its-full-scale-war-and-use-of-chemical-weapons-against-ukraine-2/'>www.state.gov/imposing-new-measures-on-russia-for-its-full-scale-war-and-use-of-chemical-weapons-against-ukraine-2/</a>..
40. Le Canada, l’Australie, le Japon et d’autres pays ont également rejoint la «coalition des sanctions», adoptant des mesures similaires depuis le début de l’agression militaire à grande échelle et non provoquée menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine.

5. Impact du régime de sanctions contre la Fédération de Russie

41. Les sanctions ont porté un sérieux coup à l’économie russe et à la capacité de Moscou de financer sa guerre d’agression contre l’Ukraine, comme l’ont décrit plusieurs spécialistes lors des auditions au sein de la commission des questions politiques et de la démocratie qui se sont tenues le 12 décembre 2023 et le 18 avril 2024, ainsi que lors de l’événement parallèle co-organisé le 23 janvier 2024 par la délégation ukrainienne auprès de l’Assemblée et par l’Institut de l’école d’économie de Kiev. Cela a également été souligné par l’envoyé spécial international pour la mise en œuvre des sanctions de l’Union européenne, David O’Sullivan, lors de la réunion en ligne tenue avec lui le 24 mai 2024.
42. En l’absence de sanctions, la Fédération de Russie aurait bénéficié de ressources financières bien plus importantes et aurait eu accès à un arsenal plus vaste de technologies militaires cruciales. Elle aurait ainsi été en mesure d’augmenter ses dépenses militaires et, in fine, de causer encore plus de dommages à la population, aux infrastructures et à l’environnement ukrainiens. En ce sens, l’efficacité des sanctions adoptées contre la Fédération de Russie ne peut être remise en question. Elles jouent un rôle déterminant pour parvenir à une paix globale, juste et durable en Ukraine 
			(28) 
			Résolution
2516 (2023) «Garantir
une paix juste en Ukraine et une sécurité durable en Europe»..
43. Une considération évoquée par les expert·es consulté·es lors des échanges susmentionnés a trait à la mésinformation diffusée par la propagande russe au sujet des coûts que représentent les sanctions pour les pays émetteurs. Il est important de souligner que ces coûts sont massivement exagérés, ou même imputés aux sanctions de manière fallacieuse. L’augmentation des prix de l’énergie en Europe en 2022 en est un exemple: il n’y avait pas de sanctions importantes contre les exportations d’énergie russe à l’époque et cette augmentation résultait plutôt de la tentative de la Fédération de Russie d’utiliser les flux de gaz comme une arme. Les sanctions ont en réalité un fort impact sur la Fédération de Russie et il faudrait les renforcer par des mesures supplémentaires afin de resserrer l’étau autour de l’économie et de la stabilité financière de ce pays.
44. La balance extérieure russe s’est ainsi fortement dégradée en 2023, avec une baisse de 63 % de l’excédent commercial et une baisse de 79 % de l’excédent du compte courant par rapport à 2022. La diminution des entrées de devises a entraîné une dévaluation importante du rouble, qui a perdu environ 40 % de sa valeur par rapport à l’euro et au dollar américain depuis l’automne 2022. Cela a accentué les pressions inflationnistes et contraint la Banque centrale de la Fédération de Russie à relever les taux d’intérêt et à rétablir le contrôle des capitaux 
			(29) 
			Kyiv School of Economics
Institute – Russia Chartbook: «<a href='https://kse.ua/about-the-school/news/kse-institute-s-russia-chartbook-further-weakening-of-russian-macroeconomic-stability-will-require-additional-measures/'>Further
Weakening Of Russian Macroeconomic Stability Will Require Additional
Measures</a>», 21 mars 2024.. Ces mesures auront une incidence sur l’économie russe également à plus long terme.
45. La Fédération de Russie dépend fortement de son Fonds de la richesse nationale pour répondre à ses impératifs budgétaires. Depuis le début de sa guerre d’agression contre l’Ukraine, la Fédération de Russie a dépensé au moins 4 700 milliards de roubles (environ 55 milliards $US) des actifs liquides de ce Fonds pour étayer son budget et aider les entreprises en difficulté. Les actifs du Fonds s’élevaient au total à 12 300 milliards de roubles (133,4 milliards $US, soit 6,8 % du PIB) en février 2024. Seuls 41 % des actifs sont aujourd’hui liquides, ce qui pose des difficultés pour assurer une réaffectation immédiate des fonds à des fins de soutien budgétaire. Alors que les actifs en euros ont atteint le niveau zéro en décembre 2023, la partie liquide n’est maintenant plus constituée que d’actifs libellés en yuan et d’or: le financement budgétaire par le biais du Fonds de la richesse nationale deviendra plus difficile, car ces actifs sont plus compliqués à utiliser à grande échelle.
46. Avant l’invasion militaire à grande échelle et non provoquée de l’Ukraine, les réserves de change de la Fédération de Russie, qui représentent une partie de ce qu’on qualifie de «forteresse russe», se chiffraient à 634 milliards $US. Grâce aux sanctions imposées à la Banque centrale russe et au Fonds de la richesse nationale, environ 313 milliards $US de ces réserves sont actuellement immobilisés. Le pays a ainsi accès à environ 153 milliards $US d’or monétaire et à environ 118 milliards $US de devises (yuan principalement). Parallèlement, les banques et les entreprises russes ont pu acquérir 187 milliards $US d’actifs à l’étranger – un élément qui devrait être surveillé et pris en compte dans l’élaboration de futures mesures 
			(30) 
			Ibid..
47. Dans le même temps, la situation budgétaire semble s’être stabilisée ces derniers mois sous l’effet de la croissance des recettes pétrolières et gazières (+71 % en janvier-février 2024 par rapport à la même période en 2023) et de l’affaiblissement du rouble. Cela étant, si le déficit budgétaire en janvier-février 2024 a été moins important que l’année précédente, les dépenses ont fortement augmenté en raison de la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine. Le budget 2024 de la Fédération de Russie alloue 10 775 milliards de roubles en matière de «défense nationale», ce qui représente une augmentation de 70 % par rapport au budget 2023 de 6 800 milliards de roubles et triple les dépenses d’avant la guerre de 2021 contre l’Ukraine. Un tiers de ces fonds sont destinés à l’entretien de l’armée et de l’industrie de la défense. Au total, près de 40 % du budget sera consacré aux dépenses militaires. En outre, le financement de la politique d’information et de la propagande de l’État se poursuivra à un niveau record de 121,3 milliards de roubles.
48. Afin de contenir le déficit, les autorités russes ont imposé en août 2023 un impôt sur les bénéfices exceptionnels des entreprises 
			(31) 
			Reuters – <a href='https://www.reuters.com/markets/europe/putin-signs-law-windfall-tax-2023-08-04/'>«Putin
signs law on windfall tax »</a>, 4 août 2023.. Elles pourraient être amenées à augmenter encore les impôts 
			(32) 
			«<a href='https://kse.ua/about-the-school/news/kse-institute-s-russia-chartbook-further-weakening-of-russian-macroeconomic-stability-will-require-additional-measures/'>Further
Weakening Of Russian Macroeconomic Stability Will Require Additional
Measures</a>», op. cit.. À cet égard, il convient de rappeler que les sanctions ont fait perdre à la Fédération de Russie 113 milliards $US liés aux exportations de pétrole, un montant qui aurait certainement été utilisé par l’agresseur russe pour financer ses coûts militaires croissants.
49. Les sanctions ont fortement limité la capacité de la Fédération de Russie à fabriquer des véhicules aériens sans pilote, des chars et des missiles de croisière et à réparer l’équipement militaire, en raison d’une pénurie de machines (telles que les machines-outils à commande numérique), de composants et de semi-conducteurs étrangers. Elles ont aussi provoqué le retrait de sociétés internationales du marché russe.
50. Uralvagonzavod, premier constructeur de chars russes, a arrêté sa production, faute de composants. L’usine de tracteurs de Tcheliabinsk, spécialisée dans la réparation de machines, a dû elle aussi cesser ses activités. JSC Kalashnikov Concern a également interrompu la production de produits civils spécifiques dans certaines de ses usines. Autre exemple parlant à cet égard, le dépôt de bilan de JSC Vostochnaya Verf, le 18 octobre 2022, est dû à l’incapacité de fabriquer des pétroliers et des navires lance-missiles, conjuguée à la difficulté de les réparer par manque de composants étrangers indisponibles sur les marchés russe et asiatique. Par ailleurs, face à la pénurie d’armes semi-automatiques, la Fédération de Russie est contrainte d’utiliser des munitions plus économiques, mais obsolètes et moins fiables.
51. Toutefois, entre le 11 septembre 2022 et le 21 mars 2024, la Russie a mené 1 309 attaques de missiles, d’artillerie et de drones kamikaze sur des infrastructures et des cibles civiles en Ukraine. Cela inclut le déploiement de drones iraniens, à savoir le Shahed-136/131. L’Assemblée parlementaire devrait exhorter la communauté internationale à redoubler d’efforts pour surveiller et contrôler le transfert de technologies de pointe vers la Fédération de Russie. Il est important d’empêcher la diffusion de technologies de pointe vers la Fédération de Russie et vers d’autres régimes autoritaires qui menacent les nations démocratiques. Tous les schémas possibles utilisés par la Fédération de Russie pour contourner les sanctions et accéder aux dernières technologies doivent être identifiés et contrés.

6. Comment la Fédération de Russie contourne les sanctions

52. L’une des plus grandes difficultés pour s’assurer de l’application effective des sanctions contre l’État agresseur russe consiste à limiter les possibilités de contournement de ces sanctions. Un volume considérable de marchandises et de composants a été acheminé vers la Fédération de Russie par l’intermédiaire de pays tiers. La Fédération de Russie s’efforce d’échapper aux sanctions en empruntant des itinéraires qui traversent la Chine, l’Inde, Taïwan et les Émirats arabes unis, ainsi que le Kazakhstan, le Kirghizstan et certains États membres du Conseil de l’Europe, tels que l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Serbie et la Türkiye.
53. Ces pays constituent en particulier une route commerciale indirecte pour les technologies et les biens à double usage occidentaux à destination de la Fédération de Russie, aidant en fin de compte à contourner les sanctions, probablement avec l’approbation implicite des producteurs occidentaux. Certains de ces pays facilitent également la réexportation de produits russes vers des pays tiers 
			(33) 
			Serious Organised Crime
and Anti-Corruption Evidence, «<a href='https://static1.squarespace.com/static/63e4aef3ae07ad445eed03b5/t/64e475c92e4c9a18a632ec63/1692693964468/SOCACE-RP18-UnderTheRadar-Aug23.pdf'>Under
the Radar: How Russia Outmanoeuvres Western Sanctions with Help
from its Neighbours</a>», août 2023..
54. Par ailleurs, les autorités russes ont autorisé en 2022 une pratique connue sous le nom «d’importations parallèles» de marchandises, qui permet d’importer des articles sans le consentement du fabricant d’origine. Cette pratique était considérée auparavant comme de la contrebande au regard du droit russe. Le Gouvernement russe a cependant établi une liste de marchandises pour lesquelles les importations parallèles sont désormais permises, comprenant à la fois des équipements et des composants militaires essentiels, ainsi que des biens de consommation.
55. L’une des principales mesures adoptées pour cibler les revenus pétroliers de la Fédération de Russie a été de fixer, fin 2022, un prix plafond de 60 $US le baril. L’idée était d’obliger la Fédération de Russie à accepter une baisse de revenus en échange de l’accès aux services de transport maritime proposés par les pays émetteurs, sachant que 80 % du pétrole russe transporté par voie maritime doit passer par les eaux territoriales européennes. L’objectif était ainsi de réduire les revenus pétroliers de la Fédération de Russie tout en évitant une pénurie de pétrole sur les marchés mondiaux.
56. Au fil des mois, les autorités russes ont réussi de façon croissante à trouver différents moyens de contourner la sanction du plafonnement des prix. En particulier, les exportateurs russes utilisent de fausses «attestations de prix» qui permettent de déclarer à un prix inférieur à sa valeur réelle la marchandise aux services de transport maritime des pays émetteurs; ils ont aussi constitué une «flotte fantôme» de 300 à 600 pétroliers qui ne fait pas appel aux services fournis par les pays émetteurs.
57. Selon l’Institut de l’école d’économie de Kiev, il apparaît qu’en octobre 2023, plus de 99 % des exportations maritimes de pétrole brut russe ont été vendues à un prix supérieur au plafond 
			(34) 
			Kyiv School of Economics
Institute – Russia Chartbook: «<a href='https://kse.ua/about-the-school/news/kse-institute-russia-chartbook-widespread-price-cap-violations-do-not-leave-room-for-error-action-to-improve-enforcement-is-needed/'>Widespread
Price Cap Violations Do Not Leave Room For Error — Action to Improve
Enforcement Is Needed</a>», 21 novembre 2023.. La flotte fantôme représente également une grave menace pour l’environnement, car elle est composée en grande partie de pétroliers très anciens, mal entretenus, et dépourvus de polices d’assurance appropriées.
58. Les pays émetteurs des sanctions commencent à adopter des mesures visant à réduire l’utilisation de la flotte fantôme: ces derniers mois, le département du Trésor des États-Unis a inscrit 41 navires sur la liste des actifs d’entités sous sanctions; sur ce nombre, seuls cinq pétroliers poursuivent les trajets qui précédaient les sanctions. Ce signe encourageant montre qu’on peut et qu’on devrait cibler la flotte fantôme 
			(35) 
			Kyiv
School of Economics Institute – Russia Chartbook: «<a href='https://kse.ua/about-the-school/news/kse-institute-s-russia-chartbook-further-weakening-of-russian-macroeconomic-stability-will-require-additional-measures/'>Further
Weakening Of Russian Macroeconomic Stability Will Require Additional
Measures</a>», 21 mars 2024.. En réaction, Sovcomflot, l’entreprise publique russe de transport d’hydrocarbures, a récemment rebaptisé quatre de ses pétroliers et les a fait passer sous pavillon gabonais, dans le but de les soustraire à la liste des navires sous sanctions 
			(36) 
			<a href='https://shippingwatch.com/carriers/Tanker/article17068855.ece'>https://shippingwatch.com/carriers/Tanker/article17068855.ece</a>..

7. Autres mesures visant à prévenir et à contrer le contournement des sanctions

59. La Résolution 2506 (2023) de l’Assemblée contenait déjà toute une série de recommandations adressées aux États membres, aux États observateurs et à l’Union européenne pour lutter contre l’évitement des sanctions, et encourageait à poursuivre la réflexion sur la question des sanctions contre la Fédération de Russie 
			(37) 
			Résolution
2506 (2023) «Les conséquences
politiques de la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine».. Ces recommandations sont toujours d’actualité et devraient être prises en compte lors de l’adoption de futures politiques et législations relatives au contournement des sanctions.
60. La Résolution du Parlement européen du 9 novembre 2023 sur l’efficacité des sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Russie (2023/2905(RSP)) appelait également l’Union européenne et ses États membres à prendre un certain nombre de mesures visant à lutter contre le contournement des sanctions et à renforcer l’application de ces dernières; elle leur demandait notamment «de renforcer et de centraliser, au niveau de l’Union, le contrôle de la mise en œuvre des sanctions et d’élaborer un mécanisme de prévention et de contrôle du contournement des sanctions». Il importe de souligner que la Commission européenne veille à ce que tous les États membres de l’Union européenne mettent en œuvre et appliquent les sanctions européennes, mais le contrôle effectif repose sur plus de 160 autorités nationales compétentes désignées dans les États membres et ces derniers s’appuient sur des systèmes nationaux de mise en œuvre des sanctions très différents 
			(38) 
			Étude du Parlement
européen «<a href='https://www.europarl.europa.eu/thinktank/fr/document/EXPO_STU(2023)702603'>Mise
en œuvre et suivi des régimes de sanctions de l’UE, y compris des recommandations
visant à renforcer les capacités de l’UE à mettre en œuvre et à
surveiller les sanctions»</a>, octobre 2023..
61. Par ailleurs, les expert·es consulté·es ces derniers mois dans le cadre de l’élaboration du présent rapport ont suggéré une série d’actions que les pays devraient entreprendre pour renforcer le régime de sanctions et empêcher le plus possible la Fédération de Russie de le contourner. Les principales propositions sont résumées ci-dessous.
62. Le respect du plafonnement des prix du pétrole doit être renforcé. La flotte fantôme russe peut être ciblée en augmentant le nombre de pétroliers fantômes figurant sur la liste de sanctions et en faisant respecter les dispositions en vigueur en matière d'assurance obligatoire contre les marées noires: les pays côtiers de l’Union européenne devraient tirer parti des «goulots d'étranglement» situés dans leur zone géographique pour intervenir sur les pétroliers qui traversent leurs eaux territoriales, notamment en limitant ou en empêchant l'accès à leurs ports, et en interdisant aux navires fantômes de bénéficier de services ou d'une assistance financière. Il est notamment recommandé d'interdire le passage (entrée/sortie) des pétroliers transportant du pétrole russe dans les détroits maritimes contrôlés par le Danemark et la Türkiye. L'établissement d'une liste blanche de courtiers autorisés à donner des informations sur les transactions dans le cadre du plafonnement des prix (par exemple, des attestations) 
			(39) 
			Kyiv School of Economics
Institute – <a href='https://kse.ua/about-the-school/news/energy-sanctions-starts-biting-russia-but-their-stronger-enforcement-is-needed-to-deprive-russia-from-windfall-earnings-and-shorten-the-war/'>Energy
sanctions starts biting Russia, but their stronger enforcement is
needed to deprive Russia from windfall earnings and shorten the
war,</a> 11 septembre 2023. ainsi que l’intensification des enquêtes et des sanctions pourraient également modifier les calculs de risque effectués par les sociétés de négoce. Il faudrait en outre baisser davantage le prix plafond, de manière à priver la Fédération de Russie d’entrées essentielles de devises 
			(40) 
			Kyiv School of Economics
Institute – Russia Chartbook: «<a href='https://kse.ua/about-the-school/news/kse-institute-s-russia-chartbook-further-weakening-of-russian-macroeconomic-stability-will-require-additional-measures/'>Further
Weakening Of Russian Macroeconomic Stability Will Require Additional
Measures</a>», 21 mars 2024..
63. D’autres secteurs clés de la Fédération de Russie doivent être ciblés. Le plafonnement du prix concerne uniquement le pétrole, alors que le gaz naturel liquéfié (GNL) russe continue d’arriver sur le marché européen, où il représente environ 15 % de l’offre totale 
			(41) 
			<a href='https://www.reuters.com/business/energy/new-west-east-route-keeps-europe-hooked-russian-gas-2024-04-03/'>www.reuters.com/business/energy/new-west-east-route-keeps-europe-hooked-russian-gas-2024-04-03/</a>.. Diversifier les approvisionnements énergétiques européens et atteindre l’indépendance énergétique vis-à-vis du pétrole et du gaz russes constituent des impératifs stratégiques. À cet effet, à moyen terme, les achats de GNL et de gaz par gazoducs russes devraient être progressivement supprimés. En outre, les services liés au pétrole et au gaz pour la production et les exportations offerts par des sociétés étrangères devraient également être interdits, afin d'augmenter les coûts russes de production de pétrole 
			(42) 
			Ibid.. Par ailleurs, les importations en provenance de la Fédération de Russie devraient être interdites, pour cibler en particulier les produits des secteurs agricoles (céréales), métallurgiques et nucléaires, afin de réduire davantage les entrées de devises étrangères. Les établissements financiers devraient être inclus dans les trains de sanctions, notamment par l’interdiction à toutes les banques russes d’utiliser le système de messagerie de paiement international SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications). Enfin, les banques devraient être exhortées à cesser leurs activités en Rédération de Russie, afin de réduire les profits excessifs, qui entraînent des contributions fiscales substantielles au budget russe.
64. Les contrôles sur les exportations vers la Fédération de Russie doivent être étendus, simplifiés et harmonisés entre les pays. Sur la période allant de janvier à octobre 2023, les producteurs des pays émetteurs ont été à l’origine de 44 % des importations russes de biens utilisés sur le champ de bataille. Pour remédier à cette situation, il convient de rétablir un mécanisme similaire au Comité de coordination des contrôles multilatéraux à l'exportation (CoCom – créé par les pays occidentaux pendant la guerre froide afin de coordonner leurs contrôles nationaux sur les exportations de technologies vers l’Union soviétique et d’autres régimes communistes) 
			(43) 
			International Working
Group on Russian Sanctions, Working Group Paper n.19 «<a href='https://fsi.stanford.edu/working-group-sanctions'>Action
Plan 3.0: Strengthening Sanctions Against the Russian Federation</a>», Mai 2024.. De plus, les exemptions et les dérogations aux mesures restrictives devraient être limitées et rendues publiques, une responsabilité pénale pour les violations des sanctions devrait être introduite en particulier en ce qui concerne l’exportation de biens utilisés sur le champ de bataille, de biens à double usage, de puces électroniques et de technologies de pointe. Des systèmes de suivi et de vérification plus solides devraient être mis en place afin d’empêcher les biens et matériaux sanctionnés d’entrer sur les marchés mondiaux par des voies indirectes.
65. Le secteur privé devrait être associé et la responsabilité des entreprises renforcée. D’une part, des orientations plus claires devraient être diffusées au secteur privé pour expliquer le fonctionnement du régime des sanctions; d’autre part, le respect des règles tout au long de la chaîne d’approvisionnement devrait être garanti, en procédant à des audits réguliers, en renforçant les enquêtes externes et en encourageant les contrôles internes de «diligence raisonnable». Le durcissement des amendes peut avoir un effet dissuasif si, pour une entreprise, le risque et au final le coût de se faire prendre en train de contourner le régime des sanctions sont supérieurs aux bénéfices qu’elle pourrait tirer de tels agissements. De plus, un registre des entreprises et entités impliquées dans le contournement des sanctions pourrait être créé et rendu public.
66. Les sanctions secondaires doivent être étendues. Les pays tiers qui facilitent ou réalisent des échanges avec la Fédération de Russie doivent être sanctionnés: les exportations vers ces pays devraient être restreintes et visées par des sanctions secondaires supplémentaires. Les pays émetteurs s’efforcent déjà d’adopter de telles mesures et ces initiatives donnent quelques résultats: par exemple, les banques en Türkiye et en Chine refusent désormais les paiements russes, ce qui entraîne un gel massif ou l’annulation des transactions. Cela a déjà été reflété dans les statistiques des transactions avec la livre turque. Le volume des transactions dans cette monnaie sur la Bourse de Moscou en janvier 2024 était de 13,9 milliards de RUB, soit près de quatre fois moins qu’en décembre 2023. Le montant du RMB (Yuan en monnaie chinoise) détenu par les banques russes à l’étranger est tombé à son plus bas niveau depuis an et demi. Au 1er janvier 2024, les banques détenaient des soldes RMB de 6,8 milliards $US en comptes correspondants à l’étranger. En décembre, les soldes du RMB sur les comptes correspondants détenus par des banques hors de la Fédération de Russie ont diminué d’un quart (de 25,7 %, soit 2,3 milliards $US). De même, le 2 avril, le système de paiement national du Kirghizistan, Elkart, a annoncé qu’il cesserait de traiter les transactions utilisant le système de paiement russe «Mir» afin d’éviter les sanctions secondaires 
			(44) 
			Institute for the Study
of War, <a href='https://www.understandingwar.org/backgrounder/russian-offensive-campaign-assessment-april-2-2024'>«Russian
Offensive Campaign Assessment», 2 avril 2024</a>..
67. Les possibilités juridiques de confisquer les avoirs russes gelés et de les utiliser pour reconstruire l’Ukraine devraient être examinées. La Résolution 2539 (2024) adoptée le 16 avril 2024 par l’Assemblée a déjà fourni une analyse approfondie de la question 
			(45) 
			Résolution 2539 (2024)
«Soutien à la reconstruction
de l'Ukraine».. Les États membres devraient veiller à donner dûment suite aux recommandations qui y figurent, notamment en ce qui concerne l’établissement, sous les auspices du Conseil de l’Europe, d’un mécanisme international d’indemnisation qui permette de traiter de manière complète la question des dommages subis par les personnes physiques et morales touchées, dont l’État ukrainien, en raison des actions illégales menées par la Fédération de Russie dans le cadre de son invasion militaire à grande échelle et non provoquée de l’Ukraine. Ils devraient également veiller au transfert des avoirs russes gelés qu’ils détiennent à ce mécanisme et à leur mise à disposition pour la relance et la reconstruction de l’Ukraine. Le mécanisme international d'indemnisation devrait viser avant tout à compenser les dommages causés aux citoyennes et citoyens, y compris celles et ceux qui ont été contraints de quitter les territoires temporairement occupés.
68. Les sanctions personnelles devraient être étendues, afin qu’elles couvrent toutes les personnes qui apportent un soutien actif à la guerre de la Fédération de Russie contre l’Ukraine et au régime russe, ainsi que les entités qui leur sont affiliées, de manière à ce qu’elles aient à rendre des comptes pour leurs actes. Par ailleurs, il faudrait approfondir la réflexion sur les mécanismes qui permettraient d’élargir la liste des personnes visées aux membres de leurs familles, sans enfreindre les dispositions du droit international et celles relatives aux droits humains.
69. La violation et le contournement des sanctions devraient être érigés en infractions pénales. L’Union européenne a déjà fait un pas important dans cette voie en publiant, le 29 avril 2024, dans son Journal officiel une directive relative à la définition des infractions pénales et des sanctions en cas de violation des mesures restrictives de l’Union 
			(46) 
			<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=OJ:L_202401226'>Directive
(UE) 2024/1226 du Parlement européen et du Conseil du 24 avril 2024
relative à la définition des infractions pénales et des sanctions
en cas de violation des mesures restrictives de l’Union et modifiant
la directive (UE) 2018/1673</a>.. Ce texte vise à établir des règles minimales communes à tous les États membres, qui disposeront d’un délai de 12 mois pour intégrer ses dispositions dans leur législation nationale. La directive définit les comportements que les États membres seront tenus de considérer comme des infractions pénales lorsqu’ils sont intentionnels ou adoptés par négligence grave et en violation d’une interdiction qui constitue une mesure restrictive de l’Union. Elle donne également des indications sur le type de sanctions applicables aux personnes physiques et morales au titre des différentes infractions. Les États membres de l’Union européenne devraient faire en sorte d’accélérer la transposition de ces dispositions dans leur législation nationale, et les États non membres de l’Union européenne devraient s’efforcer de s’aligner autant que possible sur ces dispositions.
70. La coopération multilatérale entre les pays doit être améliorée. Cela concerne notamment l’harmonisation des différentes législations, des listes de biens contrôlés, ainsi que des listes des personnes et entités ciblées; l’échange d’informations essentielles; la mise en place de dispositifs communs de surveillance et de suivi; et la conduite d’inspections et d’enquêtes communes. En outre, il sera crucial d’élargir le nombre de pays émetteurs. La Résolution 2506 (2023) de l’Assemblée appelait déjà «les pays qui aspirent à adhérer à l’Union européenne, notamment les États membres du Conseil de l’Europe, à se mettre pleinement en conformité avec les décisions prises dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne». L’Union européenne pourrait établir un organe centralisé chargé d’harmoniser l’application des sanctions dans ses États membres et de coordonner leur action avec les États non membres de l’Union européenne.
71. Les capacités et les ressources des autorités nationales compétentes doivent être renforcées. Au niveau national, les autorités nationales compétentes chargées de l’application et du suivi des sanctions devraient être renforcées sur le plan des ressources humaines, financières et techniques, et leur travail devrait être rationalisé, en créant des structures de mise en œuvre unifiées. À cet effet, il convient d’encourager et de soutenir, en y consacrant les moyens financiers nécessaires, d’autres initiatives telles que celle actuellement mise en œuvre par la Division de la criminalité économique et de la coopération du Conseil de l’Europe (mentionnée plus bas).

8. Les travaux du Conseil de l’Europe dans le domaine des sanctions

72. Le Conseil de l’Europe étudie la question des sanctions sous différents angles et par l’intermédiaire de différents mécanismes. En particulier, le Comité d’experts sur l’évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL) évalue ses membres à l’aune des normes d’application internationale élaborées par le Groupe d’action financière (GAFI). Les normes du GAFI font obligation aux pays de mettre en œuvre plusieurs résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU concernant l’établissement de mécanismes permettant l’application de mesures de gel d’actifs à l’encontre de personnes associées au terrorisme, à sa prolifération ou à son financement. Par conséquent, MONEYVAL contrôle la mise en œuvre des recommandations du GAFI et suit les mesures législatives pertinentes adoptées par l’Union européenne ainsi que la jurisprudence correspondante de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme 
			(47) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/moneyval/implementation/targeted-financial-sanctions'>www.coe.int/fr/web/moneyval/implementation/targeted-financial-sanctions</a>..
73. De la même manière, le Comité des Conseillers juridiques sur le droit international public (CAHDI) inscrit systématiquement à l’ordre du jour de ses réunions un point spécifique sous l’intitulé «Mesures nationales d’application des sanctions des Nations Unies et respect des droits de l’homme». Chaque réunion est l’occasion pour les membres du Comité de discuter des récentes évolutions liées à la mise en œuvre des sanctions, en particulier en ce qui concerne la jurisprudence et la législation nationales pertinentes dans leurs systèmes nationaux ou régionaux respectifs. Le Comité tient également et met régulièrement à jour une base de données publique sur la «Mise en œuvre des sanctions des Nations Unies et le respect des droits humains», qui contient des informations détaillées sur les pratiques nationales en matière d’application des sanctions 
			(48) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/cahdi/united-nations-sanctions'>www.coe.int/fr/web/cahdi/united-nations-sanctions</a>..
74. La Division de la criminalité économique et de la coopération aborde la question de l’application des sanctions dans le cadre de projets d’assistance technique, cofinancés par l’Union européenne. La première initiative a pris fin en 2023 et a produit quatre études dont les conclusions aident les autorités nationales compétentes d’États membres de l’Union européenne à perfectionner leur travail afin de garantir une meilleure mise en œuvre du régime des sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Fédération de Russie 
			(49) 
			<a href='https://www.coe.int/en/web/corruption/completed-projects/tsi-sanctions'>www.coe.int/en/web/corruption/completed-projects/tsi-sanctions</a>.. La seconde initiative, actuellement en cours, vise à renforcer les capacités des autorités nationales compétentes à identifier, directement ou indirectement, les personnes morales ou les entités désignées, et à obtenir et échanger des informations aux niveaux national et international ainsi qu’avec les opérateurs économiques 
			(50) 
			<a href='https://www.coe.int/en/web/corruption/projects/tsi-sanctions-ii'>www.coe.int/en/web/corruption/projects/tsi-sanctions-ii</a>..

9. Conclusions

75. L’impact positif des sanctions pour protéger les droits humains, prévenir les conflits internationaux ou encourager la démocratisation et un changement de régime s’est confirmé dans plusieurs cas. Le nombre et l’éventail sans précédent de sanctions prises contre la Fédération de Russie, en réaction à la guerre d’agression à grande échelle, non provoquée, injustifiée et illégale qu’elle mène contre l’Ukraine, ont réduit les capacités financières et militaires russes et limité ainsi considérablement les conséquences de ses actes illégaux à l’encontre de la population, des infrastructures et de l’environnement ukrainiens, qui auraient sans cela été encore plus importantes.
76. Le Conseil de l’Europe et ses États membres ont montré leur solidarité avec l’Ukraine face à la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine. Leur détermination s’est avérée cruciale pour définir des mécanismes propres à obliger les autorités et les élites russes, ainsi que leurs complices, à rendre compte de leurs actes illégaux au regard du droit international, en particulier avec la création du Registre des dommages causés par l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine.
77. Cet engagement doit se poursuivre: le régime de sanctions actuel, bien qu’efficace, présente encore certaines lacunes, failles et incohérences dont les autorités, les entreprises et les personnes visées continuent de tirer parti pour contourner les sanctions adoptées à leur encontre.
78. Les États membres et non membres du Conseil de l’Europe qui s’opposent à la guerre d’agression contre l’Ukraine doivent agir de manière coordonnée pour adopter de nouvelles mesures susceptibles de remédier à ces failles et de contribuer à l’atteinte d’une paix globale, juste et durable pour l’Ukraine, selon les termes de la formule de paix du Président Zelensky.