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Rapport | Doc. 16001 | 10 juin 2024

Renforcer la démocratie par des processus participatifs et délibératifs

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. George PAPANDREOU, Grèce, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15848, Renvoi 4774 du 28 novembre 2023. 2024 - Troisième partie de session

Résumé

Des pratiques innovantes sont nécessaires pour contrer et inverser le recul de la démocratie en Europe. Les processus de démocratie participative et délibérative peuvent contribuer à raviver la confiance des citoyennes et citoyens envers les pouvoirs publics et à renforcer leur engagement politique, y compris leur participation aux processus décisionnels, en complément des institutions représentatives.

Le Conseil de l'Europe est un pionnier dans l'élaboration de normes relatives à la démocratie participative et délibérative, et les soutient aux niveaux national, régional et local.

Les États membres et observateurs devraient continuer de promouvoir, concevoir et adopter des processus de démocratie participative et délibérative à tous les niveaux, conformément aux normes pertinentes. Ils devraient également veiller à ce que le cadre législatif et les ressources humaines, financières et techniques adéquats soient mis en place.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 30 mai 2024.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire estime que les processus de démocratie participative et délibérative peuvent contribuer à revitaliser et à renforcer la démocratie, en exploitant la sagesse collective des citoyens et des citoyennes et en leur donnant la capacité d’influencer directement les décisions qui affectent leur vie.
2. Il existe une interdépendance intrinsèque entre la démocratie et les droits humains et l’État de droit. La démocratie est donc le seul modèle politique compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5). Il est cependant regrettable que la démocratie recule en Europe et dans le monde. Cette érosion des normes démocratiques se manifeste par l’affaiblissement de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, avec la mise à l’écart des parlements et la diminution de l’indépendance du pouvoir judiciaire au profit d’un rôle accru de l’exécutif. L'espace civique se réduit en raison des restrictions imposées aux libertés de réunion et d’association, et la liberté des médias diminue.
3. Le recul démocratique alimente à son tour la méfiance des citoyens et des citoyennes envers les pouvoirs publics et leur désillusion à l’égard des partis politiques traditionnels, ce qui contribue aux tendances à la baisse de la participation électorale qui deviennent une caractéristique commune aux pays européens, sapant les fondements de la démocratie représentative. Dans ce contexte, le discours politique est devenu populiste, clivant et agressif, ouvrant la voie à la montée de partis extrémistes et conduisant, dans certains cas, à un discours de haine et à des violences physiques. Des acteurs malveillants s’ingèrent dans les processus démocratiques pour accentuer la polarisation et provoquer la déstabilisation.
4. Dans le même temps, les sociétés européennes sont confrontées à des défis sans précédent d’ampleur mondiale. Les clivages géopolitiques, les conflits gelés et armés, les chocs financiers et économiques, l’aggravation des inégalités, les questions liées à l’immigration et à l’identité nationale, les crises environnementales et climatiques, la révolution numérique et l’essor de l’intelligence artificielle sont autant de facteurs qui contribuent à un sentiment d’incertitude accru et répandu parmi les européens.
5. Des méthodes innovantes doivent être expérimentées afin de sauvegarder la démocratie et de veiller à combattre et à inverser le recul démocratique. Les processus de démocratie participative et délibérative peuvent contribuer à raviver la confiance des citoyens et des citoyennes envers les pouvoirs publics et à renforcer leur engagement politique, y compris leur participation aux processus décisionnels, en complément des institutions représentatives. Il faudrait donner aux citoyens et citoyennes un rôle actif à jouer dans le débat politique au-delà des élections et plus fréquemment qu’au rythme des rendez-vous électoraux. Toutes les couches de la société devraient être associées, y compris celles qui sont trop souvent sous-représentées.
6. Les chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe ont confirmé, dans leur Déclaration de Reykjavík intitulée «Unis autour de nos valeurs», la volonté des États membres de lutter contre le recul de la démocratie, en adoptant les «Principes de Reykjavík pour la démocratie» et en s’engageant à les mettre en œuvre. Le tout premier Principe indique que les États membres sont résolus à «permettre et encourager activement la participation démocratique, aux niveaux national, régional et local, par l’intermédiaire d’élections libres et équitables. Le cas échéant, les formes de démocratie participative, y compris la démocratie délibérative, peuvent être encouragées».
7. On peut envisager différents niveaux d’engagement citoyen, depuis les simples séances d’information et les consultations jusqu’aux groupes de discussion, aux plateformes participatives et enfin à la mise en place d’organes délibératifs, tels que les assemblées citoyennes. Ces processus ne s'excluent pas mutuellement et peuvent être adoptés en combinaison les uns avec les autres. Ils permettent aux citoyens et citoyennes d’exprimer leurs besoins, de soumettre leurs idées et même de participer au processus de prise de décision et d’élaboration des politiques. Les médias sociaux, l’intelligence artificielle et les outils numériques peuvent renforcer davantage le potentiel de la démocratie participative et délibérative s’ils sont utilisés à bon escient et de manière transparente.
8. L'Assemblée a déjà invité les États membres du Conseil de l'Europe à adopter des processus de démocratie participative et délibérative, par le biais de la Résolution 1746 (2010) «Démocratie en Europe: crise et perspectives», de la Résolution 2397 (2021) et de la Recommandation 2212 (2021) «Une démocratie plus participative pour faire face au changement climatique» et de la Résolution 2437 (2022) «Sauvegarder et promouvoir la démocratie véritable en Europe», et elle réaffirme les considérations et les recommandations qui y figurent.
9. En outre, l’Assemblée rappelle que le Conseil de l'Europe contribue activement à l'élaboration de normes relatives à la démocratie participative et délibérative, et à leur promotion par le biais d'activités de coopération technique aux niveaux national, régional et local. En particulier, le Comité des Ministres a adopté la Recommandation CM/Rec(2023)6 sur la démocratie délibérative, première norme internationale dans ce domaine, qui invite les États membres à envisager des processus délibératifs et suggère les principes de démocratie délibérative qui devraient être appliqués lors de leur mise en œuvre. Se félicitant de ces efforts, l'Assemblée invite les États membres et observateurs du Conseil de l'Europe:
9.1. à adopter des processus de démocratie participative et délibérative aux niveaux national, régional et local, conformément à la Recommandation CM/Rec(2023)6 et en veillant au respect des principes suivants dans leur conception et leur mise en œuvre:
9.1.1. «l’existence d'un cadre juridique;
9.1.2. la clarté du mandat et de la conception;
9.1.3. une représentation équitable;
9.1.4. une participation effective et dûment informée;
9.1.5. une modération de qualité;
9.1.6. la redevabilité (rendre des comptes);
9.1.7. une supervision et une bonne gouvernance;
9.1.8. l’évaluation et l’apprentissage»;
9.2. à participer activement aux travaux du Comité directeur sur la démocratie, y compris en ce qui concerne l’élaboration de paramètres visant à faciliter l’application et la mise en œuvre des Principes de Reykjavík pour la démocratie, et la rédaction d'un rapport d'examen de la mise en œuvre de la Recommandation CM/Rec(2023)6 et/ou d’un manuel présentant une synthèse de bonnes pratiques;
9.3. à tirer parti des connaissances spécialisées du Conseil de l'Europe dans le domaine de la coopération technique pertinente pour la mise en œuvre pratique des processus de démocratie participative et délibérative en augmentant, si nécessaire, les ressources financières.
10. En outre, l’Assemblée invite les États membres et observateurs du Conseil de l'Europe, ainsi que les États dont les parlements bénéficient du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie ou ont un autre statut auprès de l’Assemblée à envisager les mesures suivantes:
10.1. promouvoir l’utilisation des processus de démocratie participative et délibérative à tous les niveaux en créant un environnement favorable, notamment en veillant à ce que des ressources financières et humaines adéquates soient disponibles et que des délais suffisants soient prévus pour leur conception, leur mise en œuvre, leur suivi et leur évaluation appropriés;
10.2. encourager l’expérimentation de méthodes participatives et délibératives innovantes dans le cadre de la législation, de la réglementation et des dotations budgétaires pertinentes, y compris les mécanismes nécessaires au suivi, à l'évaluation et à l'élaboration des enseignements retirés;
10.3. veiller à ce que les médias sociaux, les plateformes numériques et les outils d’intelligence artificielle destinés à faciliter les processus de démocratie participative et délibérative soient utilisés dans le respect des principes des droits humains, de la démocratie et de l'État de droit, qu'ils soient inclusifs, transparents et à l’abri d’ingérences indésirables et de cyberattaques, et qu'ils ne soient pas manipulés par des algorithmes ou biaisés par la mésinformation et la désinformation susceptibles d’affecter les résultats finaux, en tenant également compte des dispositions contenues dans la Convention-cadre du Conseil de l'Europe sur l'intelligence artificielle et les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit;
10.4. prévoir la création d’écoles permanentes à plusieurs niveaux sur la démocratie participative, inspirées de celles qui ont déjà été créées par le Conseil de l'Europe, afin que les fonctionnaires et les facilitateurs impliqués dans les processus de démocratie participative et délibérative puissent avoir accès à des possibilités de formation spécialisée et disposent d'une plateforme pour l’échange de bonnes pratiques et d’enseignements retirés;
10.5. veiller à ce que les avis ou recommandations issus des processus de démocratie participative et délibérative soient dûment pris en considération par les décideurs, qu'ils fassent l’objet d’un débat ouvert et que des explications claires soient données au cas où ils ne seraient pas suivis;
10.6. institutionnaliser les processus de démocratie participative et délibérative à tous les niveaux, en adoptant la législation ou les réglementations nécessaires et en allouant les ressources financières et humaines appropriées, afin de créer des organes de citoyens et citoyennes permanents et pleinement légitimes qui puissent fonctionner parallèlement aux organes exécutifs et législatifs;
10.7. étudier la possibilité d’une collaboration à un niveau transnational afin de piloter et de mettre en œuvre des exercices de démocratie participative et délibérative multinationaux ou transfrontaliers.
11. Les citoyens et citoyennes devraient être correctement équipés et préparés à s'engager activement par le biais des processus de démocratie participative et délibérative. L'Assemblée invite donc les États membres et observateurs à concevoir et à inclure des éléments d'éducation à la citoyenneté démocratique et d'éducation aux droits humains dans les programmes d’enseignement formel aux niveaux préprimaire, primaire et secondaire, dans l’enseignement général et professionnel et dans les établissements d'enseignement supérieur, afin de veiller à ce que tous les Européens soient conscients de leurs droits et de leurs obligations en tant que citoyens et citoyennes, et de renforcer parmi eux la culture participative conformément aux dispositions de la Charte du Conseil de l'Europe sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l'homme et en suivant les orientations du Cadre de référence des compétences pour une culture de la démocratie.

B. Rapport explicatif par M. George Papandreou, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le terme même de «politique» est dérivé du grec ancien «polites», signifiant «citoyens». Aristote croyait que les humains sont intrinsèquement des êtres politiques en raison de leur capacité à parler, à s'engager dans un raisonnement moral et à se gouverner en créant des lois et des institutions politiques. La politique devrait en conséquence être considérée comme un moyen d’assurer la participation des citoyennes et citoyens à la vie publique. Cette participation tire parti de leur imagination collective pour imaginer un avenir meilleur et de leur sagesse collective pour élaborer et mettre en œuvre les politiques. La citoyenneté est fondamentalement liée à l'essence de la démocratie, où tous les citoyens et citoyennes ont une voix égale et participent activement au processus décisionnel.
2. Le grand philosophe des temps modernes sur la théorie de la justice, John Rawls, a théorisé le «principe de la participation», exigeant que tous les citoyens aient un droit égal de participer et de déterminer l'issue du processus constitutionnel qui établit les lois auxquelles ils doivent se conformer. Selon lui, la participation et la démocratie sont des exigences de justice.
3. Nos systèmes démocratiques actuels sont intrinsèquement liés au respect des droits humains et de l’État de droit, offrant ainsi aux individus le plus haut degré de protection, surtout par rapport à d’autres systèmes politiques. Néanmoins, on observe depuis quelques années des signes de lassitude politique dans la plupart des pays démocratiques, alors que nous faisons face à plusieurs défis sans précédent au niveau mondial: tensions géopolitiques et conflits, crises économiques et financières, transformations technologiques rapides, crises climatique et énergétique, pandémies mondiales et accroissement des inégalités, pour n’en citer que quelques-uns.
4. Ce sont des défis difficiles pour une gouvernance efficace partout dans le monde. Dans nos démocraties, toutefois, l’impact de ces crises sur les citoyens et les citoyennes se traduit souvent par une aliénation politique et une lassitude qui s’exprime par une baisse des taux de participation aux élections, par une diminution de la confiance dans les pouvoirs publics, et par la montée des partis extrémistes et populistes, qui s’accompagnent d’une augmentation exponentielle de la mésinformation, de la désinformation et des fausses nouvelles. Tous ces aspects contribuent au recul de la démocratie et au scepticisme envers les institutions démocratiques dans le monde entier.
5. Nous avons plus que jamais besoin d’un éventail plus large d’outils participatifs et délibératifs, pour lutter contre l’aliénation politique des citoyens et des citoyennes et le recul des démocraties représentatives traditionnelles. Cela n’a rien d’évident et exige un effort de la part des pouvoirs publics et de la société civile. Dans plusieurs pays, les gouvernements tendent à ne pas faire pleinement confiance aux connaissances ou à la capacité de leurs citoyens et citoyennes pour prendre des décisions importantes, et préfèrent donc ne pas les faire participer. En conséquence, les citoyennes et les citoyens se sentent ignorés et désabusés, ont le sentiment de ne pas être écoutés et perdent l’envie de participer. Ce cercle vicieux doit être brisé. Le présent rapport vise à montrer que des processus participatifs et délibératifs efficaces peuvent rétablir la confiance dans la démocratie, en permettant aux responsables politiques de prendre de meilleures décisions, plus inclusives et bien éclairées, qui offriront des solutions optimales aux problématiques actuelles.
6. Par le passé, j’ai plaidé en faveur de la création d’une quatrième branche de gouvernement, qui devrait être composée de citoyennes et citoyens délibérants et compléter les pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif 
			(2) 
			George
Papandreou, “<a href='https://www.nytimes.com/2019/10/08/opinion/fourth-branch-of-government.html'>We
Need a Fourth Branch of Government</a>”, New York Times,
8 octobre 2019.. J’ai également eu la possibilité de discuter de cette question, lors d’un débat qui y était consacré en novembre 2023 dans le cadre du Forum mondial de la démocratie organisé par le Conseil de l’Europe 
			(3) 
			<a href='https://www.coe.int/en/web/world-forum-democracy/forum-talk-12-the-4th-branch-of-government'>www.coe.int/en/web/world-forum-democracy/forum-talk-12-the-4th-branch-of-government</a>..
7. Le présent rapport donne un aperçu de la philosophie et des outils qui existent en matière de démocratie participative et délibérative, de leur influence sur la gouvernance moderne et des moyens d’assurer leur mise en œuvre effective.

2. Les défis de la démocratie représentative

8. Historiquement, les systèmes démocratiques européens ont été fondés sur le principe de la démocratie représentative: lorsqu’ils exercent leur droit de vote en déposant un bulletin de vote, les citoyens et citoyennes transfèrent le pouvoir à leurs représentant·es élus, qui à leur tour définissent la législation et mettent en œuvre les politiques en leur nom. En élisant leurs représentants aux niveaux local, régional, national ou transnational, les citoyens et les citoyennes jouent un rôle actif dans la vie politique des États membres du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. L’organisation d’élections équitables et transparentes est donc considérée comme l’un des principaux piliers d’une démocratie forte.
9. Ce principe est inscrit à l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), qui dispose clairement que:
  • toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis;
  • toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays;
  • la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote 
			(4) 
			<a href='https://www.un.org/fr/about-us/universal-declaration-of-human-rights'>Déclaration
universelle des droits de l'homme</a>..
10. Le Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (STE no 9), qui date de 1952, a par ailleurs intégré, dans l’instrument le plus important du Conseil de l’Europe, la reconnaissance du droit à ce que soient organisées, «à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif».
11. En outre, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), entré en vigueur en 1976, prévoit à son article 25 que tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables, de prendre part à la direction des affaires publiques, de voter et d’être élu et d’accéder, dans des conditions générales d’égalité aux fonctions publiques de son pays.
12. Globalement, cependant, selon le «Rapport sur la démocratie 2023: Défiance face à l’autocratisation» établi par Varieties of Democracy Foundation (V-Dem) 
			(5) 
			<a href='https://v-dem.net/publications/democracy-reports/'>https://v-dem.net/publications/democracy-reports/</a>., on observe une régression significative de la démocratie au niveau mondial. Le niveau moyen de démocratie vécu par les citoyens à l’échelle mondiale en 2022 est revenu aux niveaux observés pour la dernière fois en 1986, réduisant ainsi à néant les progrès réalisés au cours des 35 dernières années.
13. Le rapport relève aussi que 72 % de la population mondiale, soit environ 5,7 milliards de personnes, vivaient dans des autocraties en 2022. Il s’agit d’une augmentation considérable par rapport aux 46 % d’il y a dix ans. Pour la première fois depuis plus de vingt ans, il y a plus d’autocraties fermées que de démocraties libérales dans le monde. Le rapport souligne également la détérioration de la liberté d’expression, la censure des médias, la répression des organisations de la société civile et la qualité des élections dans de nombreux pays.
14. Le rapport constate que le nombre de pays en voie de démocratisation est tombé à 14, soit le plus bas niveau depuis 1973, ce qui ne représente qu’environ 2 % de la population mondiale. En revanche, un nombre record de 42 pays subissent une autocratisation, affectant 43 % de la population mondiale. Il s’agit d’une augmentation par rapport aux 33 pays, comptant pour 36 % de la population, qui avaient été recensés l’année précédente.
15. L’Europe est un phare de la démocratie à l’échelle mondiale, mais elle est confrontée à des défis démocratiques importants. Ces dernières années ont vu une tendance inquiétante à la baisse de la participation électorale dans de nombreux pays européens. La Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe a souligné, dans son rapport de 2023 sur la situation de la démocratie, des droits humains et de l’État de droit, que le taux de participation moyen aux élections législatives dans toute l’Europe est alarmant. À la fin de l’année 2020, 13 États membres avaient organisé des élections législatives avec une participation électorale inférieure à 50 % 
			(6) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/secretary-general/report-2023'>Situation
de la démocratie, des droits humains et de l’État de droit – Rapport
2023 de la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe.</a>.
16. Le rapport souligne également que le simple vote tous les quatre ou cinq ans est insuffisant pour que les citoyens et citoyennes puissent influencer de manière significative les décisions prises en leur nom. En outre, l’Europe est aux prises avec une multitude de défis régionaux et mondiaux sans précédent. Il s’agit notamment:
  • des crises financières, bancaire et de la dette mondiale, qui ont entraîné des ralentissements économiques, des inégalités accrues et un affaiblissement des systèmes de protection sociale, provoquant un mécontentement du public et diminuant la confiance dans les gouvernements et les institutions européennes;
  • des sombres perspectives d’avenir des jeunes générations, malgré les immenses richesses et les prouesses technologiques de l’humanité, qui suscitent frustration et colère;
  • des questions liées à l’immigration, aux réfugiés, à l’identité nationale et au rôle de l’Europe, qui sont devenues controversées et clivantes;
  • de la montée des médias sociaux et de l’intelligence artificielle en politique qui a contribué à créer des chambres d’écho et à diffuser des informations fausses ou trompeuses. La récente pandémie a mis en évidence la rapidité avec laquelle la désinformation peut se propager en ligne, exacerbant souvent la confusion et la méfiance du public à l’égard des médias conventionnels et des solutions fondées sur la science;
  • de la guerre d’agression contre l’Ukraine, qui a entraîné une augmentation des campagnes de désinformation ciblées, souvent liées à des acteurs extérieurs comme la Fédération de Russie, visant à influencer l’opinion publique et à saper les processus démocratiques;
  • de la mondialisation, qui, tout en réduisant la pauvreté dans certaines régions, a également intensifié les inégalités. La situation est d’autant plus complexe que les forces du marché mondial déterminent de plus en plus les revenus individuels, alors que la prise de décisions politiques se fait encore largement au niveau de l’État-nation. Elle a également conduit à une accumulation concentrée de richesses et de pouvoir, qui a nui à la politique, souvent par le lobbying et la corruption, affaiblissant ainsi l’État de droit et sapant les institutions démocratiques.
17. Ces questions, ainsi que la crise du multilatéralisme, les conflits géopolitiques, les préoccupations croissantes concernant l’intelligence artificielle et les crises environnementales et climatiques, ont contribué à un sentiment généralisé de vulnérabilité, d’injustice et d’impuissance parmi les citoyens et citoyennes.
18. S’il est évident que nos systèmes politiques font face à des défis complexes et sans précédent, les solutions ne sont pas toujours simples. Cette complexité entraîne souvent des frustrations, qui poussent certains à privilégier le «décisionnisme», c’est-à-dire le fait qu’un·e souverain·e ou un·e dirigeant·e prenne des décisions en dehors des contraintes de la loi pour «maintenir l’autorité et protéger l’État», en particulier dans les situations d’urgence et de crise. Cependant, cette approche est souvent utilisée pour justifier un régime autoritaire ou dictatorial, où les décisions du souverain ou de la souveraine l’emportent sur l’État de droit. Les pratiques et les personnes autoritaires, souvent perçues comme des solutions décisives aux problèmes ou des sauveurs venus du ciel, sont trompeuses. Ces régimes peuvent apporter des solutions à court terme, mais en fin de compte, ils laissent les sociétés plus divisées et mal équipées pour relever les défis actuels de transitions plus profondes.
19. L’autoritarisme crée une illusion d’efficacité mais n’apporte pas de solutions durables et inclusives. Il exacerbe les problèmes socio-économiques existants et réduit la capacité de dialogue et de consensus de la société. En substance, si le décisionnisme peut sembler efficace à court terme, il sape les institutions démocratiques et l’État de droit, ce qui conduit à une instabilité à long terme et à des problèmes sociétaux plus profonds. De plus, l’absence de freins et de contrepoids solides et de délibération aboutit souvent à des décisions erronées qui peuvent s’avérer désastreuses. Le plus souvent, les problèmes socio-économiques existants s’aggravent à mesure que la polarisation s’installe et que se limite, voire se perd la capacité d’une société à discuter et à trouver un consensus autour de problèmes.
20. Le plus grand risque réside dans le remplacement de notre confiance dans les valeurs et les institutions démocratiques par celle dans les soi-disant fortes personnalités. Ce changement conduit inévitablement au recul démocratique, à l’érosion des droits humains, au remplacement de l’État de droit par le règne des puissants, et à la polarisation politique accrue au sein des sociétés et entre elles. Le fatalisme, le rejet de la politique et même la violence remplacent la résolution de problèmes constructive, démocratique et inclusive.

3. La démocratie participative et délibérative

21. Si l’autoritarisme doit être rejeté, nous devons également rejeter ce que Roberto Unger 
			(7) 
			<a href='https://americanaffairsjournal.org/2024/02/overthrowing-the-dictatorship-of-no-alternatives/'>https://americanaffairsjournal.org/2024/02/overthrowing-the-dictatorship-of-no-alternatives/.</a> a appelé la «dictature de l’absence d’alternatives», à savoir l’acceptation passive de «l’ordre des choses». Il convient de mettre l’accent sur des méthodes créatives qui renforcent les processus démocratiques et permettent de trouver des solutions inclusives et durables à des défis politiques complexes. Des méthodes démocratiques innovantes peuvent aider à inverser le recul de la démocratie et contribuer à rétablir la confiance des citoyens et citoyennes et la redevabilité à leur égard.
22. La démocratie participative et délibérative a pour principe fondamental que la participation citoyenne est essentielle dans la vie politique et à tous les niveaux de gouvernement. Il ne suffit pas de voter aux élections.
23. Ce qui est vraiment nécessaire, c’est plus de démocratie, de faire avancer les citoyens et citoyennes et de leur donner une voix et un rôle plus forts dans le processus décisionnel. Une participation accrue et active des citoyens peut contribuer à réduire la concentration et les abus de pouvoir et à réduire au minimum les conflits en réglant les différends par des moyens pacifiques de délibération et de dialogue, qui sont un attribut essentiel des idéaux et des pratiques démocratiques.
24. Tirer parti de la sagesse collective de nos citoyens peut devenir à la fois un projet plus inclusif, juste et démocratique, ainsi qu’un moyen beaucoup plus efficace de faire face à des défis complexes et sans précédent.
25. Les pratiques de démocratie participative et délibérative garantissent un engagement direct des citoyens et citoyennes en politique. Lorsqu’il s’agit de traiter des questions politiques complexes. Ces pratiques peuvent améliorer la qualité des décisions démocratiques en prenant compte la diversité des points de vue tout en luttant contre la polarisation et la simplification excessive dans le discours public. L’engagement actif à tous les niveaux de gouvernement, par des moyens tels que les consultations publiques, la participation de la population et l’éducation civique, garantit la prise en considération de diverses perspectives dans les processus décisionnels. Parallèlement, ces pratiques soulignent la nécessité d’un débat éclairé dans le cadre de la prise de décisions.
26. Dans la demande actuelle de transparence et de responsabilité gouvernementales, ce modèle renforce les liens entre les décideurs politiques et les citoyennes et citoyens et permet à ces derniers d’influencer les décisions ayant un impact sur leur vie.
27. L’adoption de ces processus, en complément de la démocratie représentative, peut contribuer à générer des décisions et des politiques que l’on s’approprie, justes et légitimes, conduisant finalement au rétablissement de la confiance dans le système politique.
28. Ces processus ne représentent pas seulement un outil pour résoudre des problèmes spécifiques, mais un virage vers une éthique plus participative et délibérante dans la gouvernance, qui est cruciale pour la santé et la durabilité des démocraties au XXIe siècle.
29. Le développement des plateformes numériques et des médias sociaux a, lui, renforcé la viabilité de la démocratie participative. Ces nouveaux outils permettent aux citoyens de participer au processus à distance, facilitent l’organisation des débats et des scrutins et donnent accès à diverses sources d’information. Parallèlement, ils posent aussi la question d’une possible manipulation des résultats par les entités qui contrôlent les plateformes, par exemple au moyen d’algorithmes spécifiques ou de l’application transformatrice récente de l’intelligence artificielle.
30. Le Conseil de l’Europe reconnaît qu’il existe différents niveaux et méthodologies connexes de démocratie participative et délibérative, qui complètent la démocratie représentative.
31. Le tout premier niveau correspond à la communication d’informations, grâce auxquelles les pouvoirs publics veillent à ce que les citoyens et citoyennes soient correctement informés au cours des différentes étapes du processus décisionnel, par exemple au moyen de campagnes médiatiques ou de séances d’information.
32. Les autorités publiques peuvent ensuite décider de renforcer la participation de leurs citoyens et citoyennes au moyen de consultations et de dialogues, qui permettent de recueillir leur point de vue, des informations sur leurs besoins et des retours d’information sur les politiques en cours et futures. Pour ce faire, elles peuvent recourir à des consultations écrites (sondages, questionnaires et enquêtes, par exemple) ou à des réunions restreintes ad hoc, notamment de groupes consultatifs.
33. D’autres pratiques innovantes ont été développées ou sont en cours d’élaboration en tirant parti des connaissances collectives citoyennes 
			(8) 
			<a href='https://nimbusweb.me/blog/why-collective-knowledge-matters/'>https://nimbusweb.me/blog/why-collective-knowledge-matters/</a>., telles que la recherche participative 
			(9) 
			<a href='https://aph-qualityhandbook.org/set-up-conduct/study-preparation/participatory-research/general/what-is-participatory-research/'>https://aph-qualityhandbook.org/set-up-conduct/study-preparation/participatory-research/general/what-is-participatory-research/</a>. ou la recherche-action 
			(10) 
			www.sciencedirect.com/topics/social-sciences/action-research.. Ces concepts ne voient pas les citoyens et citoyennes comme des êtres passifs qui devraient simplement être informés ou consultés sur leurs problèmes, mais les considèrent comme des ressources inestimables de connaissances collectives contribuant à la résolution collective de problèmes. Les assemblées citoyennes sont bien sûr de cette nature.
34. Une pratique importante, récemment développée, celle de «science citoyenne» illustre l’importance et la large application du concept de sagesse collective. «De nombreux scientifiques ont su voir la valeur de cette résolution collective de problèmes et ont utilisé des théories conceptuelles de jeux dans leurs recherches. Notre curiosité est ce qui nous rend humains. C’est notre superpuissance» 
			(11) 
			Yoon, Songyee. «Push
Play: Gaming For a Better World»
(p. 43), Forbes Books.. La science citoyenne peut, à certains moments, non seulement améliorer, mais aussi faire avancer les pratiques de recherche conventionnelles. Des projets tels que «Foldit» («Plie-le») ont développé une participation collaborative contribuant à «l’une des plus grandes découvertes [qui] était la solution à une protéine liée à un virus semblable au sida [pouvant] s’avérer révolutionnaire pour la recherche médicale future» 
			(12) 
			Ibid.
(p. 46)..
35. La science citoyenne a contribué à la sagesse collective pour résoudre des problèmes sociopolitiques, que ce soit dans les domaines de la justice environnementale, de l’équité en matière de santé ou de la responsabilité des communautés. En particulier, les projets de science citoyenne ont permis de résoudre des problèmes de justice sociale en faisant participer le grand public à des recherches scientifiques qui affectent directement leurs communautés, en donnant aux citoyens et citoyennes les moyens de s’appuyer sur des connaissances et des données pour promouvoir des changements et en pesant sur les processus politiques et décisionnels. La science citoyenne a été utilisée dans différents domaines pour répondre à des préoccupations en matière de justice sociale 
			(13) 
			L.
Herzog et R. Lepenies, «<a href='https://link.springer.com/article/10.1007/s11024-022-09467-8'>Citizen
Science in Deliberative Systems: Participation, Epistemic Injustice,
and Civic Empowerment </a>», Minerva 60, p. 489 à 508 (2022).:
  • justice environnementale: c’est grâce à des projets de science citoyenne que des injustices environnementales, comme la répartition inégale des risques environnementaux et des aménagements entre les différentes communautés, ont pu être documentées 
			(14) 
			L. Ceccaroni, et al., «<a href='https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-58278-4_12'>Citizen
Science, Health, and Environmental Justice</a>», in: Vohland, K., et al. The Science of Citizen Science.
Springer, 2021.;
  • équité en matière de santé: des initiatives de science citoyenne ont aussi été utilisées pour promouvoir l’équité en matière de santé, notamment en ce qui concerne l’exposition aux contaminants environnementaux et l’activité physique. Ainsi des chercheurs citoyens ont participé à des études en recueillant des données sur les niveaux d’arsenic dans les sols et ont utilisé les résultats dans leur action pour militer en faveur de changements de politique 
			(15) 
			L. G. Rosas, P. Rodriguez
Espinosa, F. Montes Jimenez, A. C. King, «<a href='https://link.springer.com/article/10.1007/s11024-022-09467-8'>The
Role of Citizen Science in Promoting Health Equity</a>», Annu. Rev. Public Health, 2022.;
  • recherche inclusive et empouvoirement: les projets qui tendent à décomplexer la science citoyenne et collaborer avec des acteurs de la société civile ou des mouvements sociaux peuvent favoriser l’inclusion et la justice épistémique. En faisant coïncider les objectifs de la recherche avec les priorités de la communauté, la science citoyenne peut donner aux groupes marginalisés les moyens d’agir et faire en sorte que leurs voix et leurs préoccupations soient entendues et prises en compte dans la recherche scientifique et l’action politique 
			(16) 
			<a href='https://case.hks.harvard.edu/race-and-social-justice-case-collection/'>https://case.hks.harvard.edu/race-and-social-justice-case-collection/</a>.;
  • éducation et apprentissage: la science citoyenne est un moyen de susciter l’intérêt du public pour la science, et ce dans le cadre d’expériences individuelles, et de créer un espace unique combinant participation, suivi et changement social 
			(17) 
			<a href='https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fsoc.2020.613814/full'>www.frontiersin.org/articles/10.3389/fsoc.2020.613814/full</a>.;
  • plaidoyer et activisme: les projets de science citoyenne peuvent favoriser l’activisme et le plaidoyer, en ce qu’ils répondent à des objectifs sociopolitiques en fournissant aux citoyens des données et des connaissances qui leur permettent de militer en faveur de changements, dans les politiques et les pratiques, pour résoudre des problèmes de justice sociale 
			(18) 
			<a href='https://journals.plos.org/globalpublichealth/article?id=10.1371%2Fjournal.pgph.0000664'>https://journals.plos.org/globalpublichealth/article?id=10.1371%2Fjournal.pgph.0000664</a>.;
  • surveillance communautaire et responsabilité: des projets tels que Movement for Change and Social Justice en Afrique du Sud ont utilisé des données relatives à la santé pour informer la population et la mobiliser, montrant ainsi que la science citoyenne est un moyen de responsabiliser les systèmes de santé et d’améliorer l’accès aux soins 
			(19) 
			Ibid.;
  • souveraineté des données et élaboration des méthodes: là où la situation politique compromet les droits fondamentaux et la sécurité des participant·es, les projets de science citoyenne peuvent contribuer à la reconnaissance, à l’empouvoirement et à la sensibilisation à l’environnement des communautés, en protégeant la souveraineté des données et en élaborant des méthodes adaptées au contexte local 
			(20) 
			<a href='https://theoryandpractice.citizenscienceassociation.org/articles/10.5334/cstp.514'>https://theoryandpractice.citizenscienceassociation.org/articles/10.5334/cstp.514</a>..
36. Ces exemples montrent que les projets de science citoyenne peuvent être de puissants outils de justice sociale si leur conception est inclusive, s’ils répondent aux préoccupations de la communauté et s’ils permettent aux citoyens d’acquérir les connaissances et les données dont ils ont besoin pour changer les choses 
			(21) 
			<a href='https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/00027162221092697'>https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/00027162221092697</a>..
37. Les exemples ci-dessus mettent également en évidence un principe plus large et très important de la participation citoyenne: les citoyens et les citoyennes ont la capacité de comprendre les politiques et de prendre des décisions judicieuses, et ce sur la base de faits scientifiques et d’arguments raisonnables. En outre, ils et elles veulent participer, faire entendre leur voix et se faire respecter. La sagesse collective peut devenir un outil démocratique majeur pour une bonne politique si ces processus sont bien structurés. Par le biais de cocréations et de «partenariats» entre les pouvoirs publics et leurs citoyens, il est alors possible de mettre en place des formes plus durables de démocratie participative, telles que les activités de mise en réseau, les groupes de discussion, la budgétisation participative ou la création de comités citoyens 
			(22) 
			<a href='https://rm.coe.int/civil-participation-in-decision-making-toolkit-/168075c1a5'>Centre
of Expertise for Good Governance, «Civil Participation in Decision-Making
Toolkit», April 2020.</a>.
38. Le professeur James Fishkin, qui a pratiqué le sondage délibératif, a fait œuvre de pionnier en matière de délibération structurée. Il s’est avéré que les sondages délibératifs avaient un effet «dépolarisant» sur les participant·es de parties adverses, tout en offrant un forum pour une participation significative du public sur des questions importantes, et en éduquant et en responsabilisant les citoyens 
			(23) 
			<a href='https://deliberation.stanford.edu/what-deliberative-pollingr'>https://deliberation.stanford.edu/what-deliberative-pollingr.</a>.
39. La démocratie délibérative, en tant que forme de démocratie participative, se situe à l’extrémité de ce spectre: grâce à des délibérations plus structurées, qui peuvent être facilitées et accompagnées par des spécialistes, les citoyens et citoyennes proposent des politiques ou prennent directement des décisions de façon éclairée 
			(24) 
			Comité européen sur
la démocratie et la gouvernance, <a href='https://rm.coe.int/rapport-sur-la-democratie-deliberative/1680ab0fd0'>«Rapport
sur la démocratie délibérative», 31 janvier 2023.</a>.
40. Ces différents processus ne sont pas exclusifs et peuvent être adoptés à la fois consécutivement et en parallèle. Il n’existe pas de solution qui puisse s’adapter à toutes les situations: différentes méthodologies devraient être adoptées et adaptées en fonction du moment et du contexte spécifiques.
41. Ce qui importe, c’est que le processus repose sur des principes tels que la transparence, la clarté, l’ouverture, la responsabilité et l’inclusion, et qu’il soit partagé et convenu entre les pouvoirs publics, les citoyens et citoyennes et la société civile.

4. Les travaux du Conseil de l’Europe

42. Le Conseil de l’Europe a été un pionnier dans le développement et le renforcement des processus de démocratie participative et délibérative dans ses États membres par le biais de ses différents organes et instruments. Les principes fondamentaux sont notamment inscrits dans la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (STCE no 5) et ses protocoles additionnels, ainsi que dans le Protocole additionnel à la Charte européenne de l’autonomie locale sur le droit de participer aux affaires des collectivités locales (STCE no 207).
43. L’Assemblée parlementaire reconnaissait déjà en 2010, dans sa Résolution 1746 (2010) «Démocratie en Europe: crises et perspectives», que des éléments de démocratie directe devaient être intégrés dans le processus de prise de décision, et appelait les États membres du Conseil de l’Europe à mettre en place des processus et des structures participatives et délibératives, ainsi qu’à améliorer l’éducation à la citoyenneté et la formation politique.
44. Dans la continuité de cette initiative, l’Assemblée a adopté la Recommandation 2212 (2021), «Une démocratie plus participative pour faire face au changement climatique», pour laquelle j’étais rapporteur. Ce texte recommandait au Comité des Ministres d’«encourager son comité directeur compétent à rédiger un rapport sur les nouvelles formes de démocratie participative en vue de partager les bonnes pratiques entre États membres», et invitait les États membres à «promouvoir des moyens efficaces pour améliorer les compétences des citoyens en matière de culture démocratique».
45. Dans sa Résolution 2437 (2022) «Sauvegarder et promouvoir la démocratie véritable en Europe», l’Assemblée invitait à nouveau les États membres à «associer les citoyens, en particulier les jeunes, à la prise de décisions politiques, y compris par le biais de consultations et d’autres formes inclusives de participation et de délibération».
46. Dans une démarche similaire, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux a adopté en 2022 la Résolution 480 (2022) et la Recommandation 472 (2022), «Au-delà des élections: l’utilisation de méthodes délibératives dans les municipalités et régions européennes» 
			(25) 
			<a href='https://search.coe.int/congress/pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680a5b04e'>«Au-delà
des élections: l’utilisation de méthodes délibératives dans les
municipalités et régions européennes».</a>, qui invitait les États membres à envisager la mise en œuvre de méthodes délibératives aux niveaux local et/ou régional.
47. Le Comité des Ministres a également adopté plusieurs textes traitant de ces questions au cours des dernières années, notamment les Lignes directrices relatives à la participation civile aux décisions politiques 
			(26) 
			«Lignes
directrices relatives à la participation civile aux décisions politiques», <a href='https://search.coe.int/cm#{%22CoEObjectId%22:[%2209000016807509e3%22],%22sort%22:[%22CoEValidationDate%20Descending%22]}'>CM(2017)83-final</a>, adoptées par le Comité des Ministres le 27 septembre
2017., adoptées en 2017, et par la suite la Recommandation CM/Rec(2018)4 sur la participation des citoyens à la vie publique au niveau local 
			(27) 
			<a href='https://rm.coe.int/16807954c4'>https://rm.coe.int/16807954c4.</a>.
48. Enfin, il convient de mentionner le Code révisé de bonne pratique pour la participation civile au processus décisionnel, adopté par la Conférence des organisations internationales non-gouvernementales (OING) du Conseil de l’Europe en 2019 
			(28) 
			<a href='https://rm.coe.int/code-of-good-practice-civil-participation-revised-301019-en/168098b0e3'>https://rm.coe.int/code-of-good-practice-civil-participation-revised-301019-en/168098b0e3.</a>.
49. Compte tenu de tous les éléments cités plus haut, les chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe, lors de leur 4e sommet tenu en mai 2023, ont pris une position résolue en énonçant les Principes de Reykjavík pour la démocratie, dans lesquels ils déclaraient que les États membres s’engageaient à «permettre et encourager activement la participation démocratique, aux niveaux national, régional et local, par l’intermédiaire d’élections libres et équitables», ajoutant que «[l]e cas échéant, les formes de démocratie participative, y compris la démocratie délibérative, peuvent être encouragées» 
			(29) 
			Conseil de l’Europe,
«<a href='https://edoc.coe.int/en/the-council-of-europe-in-brief/11618-unis-autour-de-nos-valeurs-declaration-de-reykjavik.html'>Unis
autour de nos valeurs – Déclaration de Reykjavík</a>», 16-17 mai 2023..
50. Par la suite, le Comité des Ministres a adopté la Recommandation CM/Rec(2023)6 sur la démocratie délibérative, qui dispose expressément que «la participation de tous les citoyens est au cœur même de la démocratie, que les citoyens attachés aux valeurs démocratiques, conscients de leurs devoirs civiques et actifs dans la vie publique sont les forces vives de tout système démocratique, et que le dialogue entre citoyens et décideurs est essentiel pour la démocratie car il renforce la confiance, la légitimité des institutions démocratiques et l’efficacité de leur action».
51. La recommandation invitait les États membres à envisager d’utiliser des processus délibératifs et énonçait les principes de la démocratie délibérative à appliquer dans ce cadre 
			(30) 
			<a href='https://search.coe.int/cm/pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680ac627b'>https://search.coe.int/cm/pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680ac627b</a>.:
  • existence d’un cadre juridique: les processus délibératifs devraient être conformes au cadre réglementaire global et aux obligations internationales; une législation ou une réglementation formelle devrait définir clairement le champ d’application et les exigences requises pour des processus délibératifs;
  • clarté du mandat et de la conception: compte tenu du thème examiné, le mandat devrait être clairement défini; il doit fixer un calendrier, préciser les responsabilités et les ressources, et prévoir un suivi des résultats; la portée du processus doit être gérable et faisable;
  • représentation équitable: le processus de recrutement devrait être géré par une entité indépendante, être transparent, inclusif, redevable et vérifiable par un contrôleur indépendant; des techniques de sélection aléatoire devraient être adoptées, de manière à inclure, si nécessaire, les groupes socio-démographiques concernés – tout en veillant à une participation équilibrée des femmes et des hommes et en garantissant l’accessibilité et l’inclusivité, notamment par la prise en charge des frais de participation;
  • participation effective et informée: les participant·es devraient pouvoir demander et recevoir des informations vérifiables, diverses, accessibles et compréhensibles; ils devraient disposer de suffisamment de temps pour réfléchir au sujet et, le cas échéant, avoir la possibilité de demander des explications complémentaires; ils devraient être libres de fournir la réponse qu’ils souhaitent, en dehors de toute consigne ou suggestion extérieure; des possibilités de formation préparatoire et d’apprentissage continu devraient être prévues tout au long du processus;
  • modération de qualité: des modérateurs expérimentés veillent au bon déroulement du processus, à ce que les débats et les désaccords y aient leur place et à ce que les participant·es puissent parvenir à leurs propres conclusions et formuler leurs propres réponses, sans aucune ingérence;
  • redevabilité: le lien entre le processus délibératif et le processus décisionnel global devrait être clairement défini et maîtrisé; un mécanisme transparent et d’un accord commun sur la manière dont le processus délibératif produira des recommandations et dont celles-ci seront suivies par les responsables politiques qui, à leur tour, devront expliquer leurs choix au public, devrait être établi; des garanties contre toute influence abusive devraient être prévues et un plan de mobilisation du public être élaboré pour promouvoir le processus et ses résultats, ainsi que la manière dont les participant·es interagiront avec le grand public;
  • supervision et bonne gouvernance: un mécanisme de gouvernance ouvert et transparent, prévoyant un contrôle indépendant, devrait être mis en place pour garantir la légitimité du processus, en veillant à ce que des ressources suffisantes soient disponibles et à ce qu’une formation adaptée sur les techniques de délibération soit dispensée avant ou pendant le processus.
  • évaluation et apprentissage: l’évaluation devrait faire partie du processus dès sa conception et être réalisée au moyen de procédures d’autoévaluation ou par une entité indépendante; les résultats de l’évaluation devraient être rendus publics et servir de base à un cycle de réflexion plus large au sein de l’entité publique, de manière à favoriser l’amélioration et l’apprentissage.
Il est important de souligner le caractère novateur de cette recommandation, qui constitue la première norme internationale dans ce domaine 
			(31) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/democracy-and-human-dignity/home/-/asset_publisher/Zfc1ZIcQBPOF/content/deliberative-democracy-first-international-standard-adopted-by-the-council-of-europe-/16887348'>«Démocratie
délibérative: Le Conseil de l’Europe adopte la première norme internationale!»,
6 septembre 2023.</a>.
52. Enfin, il convient de rappeler que, dans un rapport récent, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a souligné que le bicamérisme pouvait renforcer la démocratie participative et, en particulier, qu’une deuxième chambre pourrait « fournir un forum inclusif qui pourrait offrir une meilleure représentation à divers groupes de la société dont la voix a du mal à se faire entendre, par exemple les femmes, les réfugiés, les migrants, les personnes handicapées, les minorités ethniques ou linguistiques» 
			(32) 
			Commission européenne
pour la démocratie par le droit, «<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2024)007-e'>Rapport
sur le bicamérisme»,</a> 18 mars 2024..

5. Les travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

53. L’OCDE travaille aussi activement sur la question de la participation des citoyennes et citoyens, et son rapport sur le thème «Participation citoyenne innovante et nouvelles institutions démocratiques: la vague délibérative» propose une description utile et complète des principales caractéristiques d’un processus délibératif 
			(33) 
			<a href='https://web-archive.oecd.org/2021-06-14/592012-OCDE-Participation-citoyenne-innovante-et-nouvelles-institutions-d%C3%A9mocratiques-2020.pdf'>OCDE,
«Participation citoyenne innovante et nouvelles institutions démocratiques:
la vague délibérative»</a>..
54. Selon la définition de l’OCDE, un processus délibératif représentatif est un processus «où un groupe de personnes largement représentatif évalue les éléments tangibles, délibère pour trouver un terrain d’entente et élabore des recommandations détaillées sur des questions de fond à l’intention des autorités publiques» 
			(34) 
			OCDE, <a href='https://www.oecd.org/governance/innovative-citizen-participation/deliberative-democracy-toolbox-overview.pdf'>«Deliberative
Democracy Toolbox</a>»..
55. Plus précisément, les processus délibératifs représentatifs sont engagés lorsqu’un problème public doit être résolu. L’autorité publique à l’origine de ce processus procède normalement à un tirage au sort afin de constituer un petit groupe de personnes représentatif. Ce groupe s’informe d’abord, auprès d’expert·e·s et de parties prenantes, des éléments caractéristiques et des différents points de vue concernant le problème; les éléments recueillis sont ensuite évalués avec l’aide de facilitateurs et facilitatrices, afin de parvenir à un consensus et d’élaborer enfin des recommandations visant à traiter problème. À l’issue du processus, l’autorité publique examine s’il convient d’adopter les recommandations et de les transformer en politique ou en texte législatif, en motivant leur décision dans chaque cas 
			(35) 
			Ibid..
56. Il convient par ailleurs de mentionner les principes de bonne pratique en matière de processus délibératifs dans la formulation des décisions publiques, qui ont été définis par l’OCDE 
			(36) 
			<a href='https://web-archive.oecd.org/2021-06-14/592012-OCDE-Participation-citoyenne-innovante-et-nouvelles-institutions-d%C3%A9mocratiques-2020.pdf'>«Participation
citoyenne innovante et nouvelles institutions démocratiques: la
vague délibérative»</a>, op. cit.. Ces principes cristallisent les principales caractéristiques que les processus délibératifs devraient présenter, sur la base des éléments recueillis et analysés dans le rapport de l’OCDE, et peuvent donner des orientations aux responsables politiques lorsqu’ils conçoivent des processus délibératifs. Les principes sont parfaitement en phase avec les principes de la démocratie délibérative adoptés par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe et mentionnés ci-dessus. Ils sont définis comme suit:
  • Objectif: l’objectif devrait être clair, formulé de manière neutre et lié à un problème public défini;
  • Redevabilité: l’autorité publique à l’origine du processus devrait s’engager à réagir aux recommandations formulées à l’issue du processus ou à y donner des suites concrètes;
  • Transparence: le processus devrait être annoncé publiquement, et les modalités de sa conception, ses supports, ses sources de financement ainsi que la réaction de l’autorité publique devraient être rendus publics;
  • Inclusivité: les groupes sous-représentés devraient être associés au processus, et la participation devrait être encouragée et soutenue chaque fois que nécessaire;
  • Représentativité: les participant·es sélectionnés devraient représenter un microcosme du grand public, en procédant à un échantillonnage aléatoire de la population, fondé sur une stratification par catégorie démographique et, dans certains cas, par profil psychologique. La procédure de sélection doit garantir à tous et toutes une même chance d’être sélectionnés;
  • Information: les participant·es devraient avoir accès à un large éventail de données factuelles et d’expertises exactes et diverses sur le sujet traité, et devraient être en mesure de faire intervenir et de choisir eux-mêmes les intervenant·es et les expert·es;
  • Délibération de groupe: les participant·es devraient être en mesure de parvenir à un consensus afin d’élaborer leurs recommandations collectives à l’intention de l’autorité publique, notamment en ayant recours à des facilitateurs et facilitatrices;
  • Durée: les participant·es devraient avoir suffisamment de temps pour s’informer, évaluer les données factuelles et formuler des recommandations éclairées;
  • Intégrité: l’ensemble du processus devrait être piloté par une équipe de coordination extérieure à l’autorité publique à l’origine du processus;
  • Protection de la vie privée: afin de garantir l’indépendance des participant·es et de les préserver de l’influence de groupes d’intérêts ou de lobbies extérieurs, leur vie privée devrait être respectée et leur identité ne devrait pas être rendue publique au cours du processus;
  • Évaluation: le processus devrait être évalué de manière anonyme par les participant·es, et faire l’objet d’évaluations internes ou indépendantes, afin d’apprécier les améliorations à apporter à l’avenir et de déterminer l’impact des recommandations sur les politiques.

6. La démocratie participative et délibérative: perspectives et bonnes pratiques

57. Plusieurs États membres du Conseil de l’Europe ont déjà adopté des bonnes pratiques qui peuvent s’avérer utiles pour mettre en œuvre des mécanismes de démocratie participative et délibérative dans d’autres pays. Le rapport de 2022 du Conseil de l’Europe, intitulé «Cartographie de la démocratie délibérative dans les États membres du Conseil de l’Europe», constitue une excellente source de références utiles et d’analyses d’exemples pratiques. Surtout, il contient un ensemble de recommandations et une check-list des bonnes pratiques en matière d’initiatives délibératives, qui reposent sur les bonnes pratiques présentées dans le rapport et peuvent fournir des orientations utiles aux responsables politiques qui élaborent un processus délibératif pour la première fois 
			(37) 
			https://rm.coe.int/cddg-2022-3e-mappingdeliberativedemocracy-2-2-2765-5446-0166-v-1/1680a62671..
58. Dans mon précédent rapport intitulé «Une démocratie plus participative pour faire face au changement climatique» 
			(38) 
			Doc. 15351., j’ai déjà analysé et présenté un ensemble de processus délibératifs différents, qui mettent particulièrement l’accent sur la question du changement climatique: l’Assemblée citoyenne irlandaise, le Jury citoyen du Poitou-Charentes, la Convention citoyenne pour le climat en France et l’Assemblée britannique sur le climat.
59. De la même manière, le rapport accompagnant la Résolution 480 (2022) du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux (mentionnée ci-dessus) propose une description détaillée de quatre cas différents aux niveaux local et régional, à savoir le Forum pour l’avenir de l’eau douce de la commune d’Oud-Heverlee, en Belgique; l’Assemblée citoyenne de Mostar, en Bosnie-Herzégovine, qui bénéficie d’un soutien direct du Congrès dans le cadre de l’un de ses projets; l’Assemblée écossaise sur le climat, au Royaume-Uni, et le Conseil citoyen ou «Ostbelgien Model», dans la Communauté germanophone de Belgique.
60. L’OCDE a constitué ce qui est peut-être la compilation de cas la plus complète: plus de 700 exemples différents provenant du monde entier sont répertoriés dans sa base de données 
			(39) 
			<a href='https://airtable.com/appP4czQlAU1My2M3/shrX048tmQLl8yzdc/tblrttW98WGpdnX3Y/viwX5ZutDDGdDMEep'>https://airtable.com/appP4czQlAU1My2M3/shrX048tmQLl8yzdc/tblrttW98WGpdnX3Y/viwX5ZutDDGdDMEep</a>., la plupart d’entre eux servant de base à l’analyse qui figure dans son rapport phare sur la «vague délibérative».

6.1. Au niveau local

61. Depuis quelques dizaines d’années, on observe que de plus en plus de pays adoptent avec succès des processus de démocratie participative et délibérative à l’échelon local. Ces processus sont logiquement plus faciles à organiser, à gérer et à financer, compte tenu de la portée réduite de leur mandat et du nombre réduit de citoyennes et citoyens concernés, qui ont en outre tendance à tisser des liens plus étroits avec les niveaux de gouvernance les plus proches d’eux, en l’occurrence les autorités locales, et donc à s’engager et à participer plus activement. De façon générale, on peut affirmer que les responsables politiques peuvent déjà s’inspirer d’une multitude d’expériences positives en provenance du monde entier.
62. L’un des exemples de démocratie participative les plus anciens et les plus cités se trouve au Brésil, où la budgétisation participative permet aux citoyens de décider directement de l’affectation d’une partie du budget municipal. Lancé en 1989 à Porto Alegre, ce processus a été adopté par plus de 140 autres villes du pays et a favorisé une distribution plus équitable des ressources et une participation plus importante de la population, en particulier des groupes à faible revenu. Cette pratique exemplaire est devenue une source d’inspiration et a été reprise de diverses manières dans différentes villes à travers le monde.
63. Le modèle de la Belgique de l’Est («modèle Ostbelgien») élaboré par la Communauté germanophone de Belgique est un autre dispositif particulièrement innovant, en ce qu’il est le premier au monde à avoir institutionnalisé par la loi (en 2019) l’adoption de processus délibératifs en complément des institutions démocratiques traditionnelles. Chaque année, jusqu’à trois Assemblées citoyennes composées de citoyennes et citoyens tirés au sort examinent une question politique spécifique et font des recommandations au parlement régional. Un Conseil des citoyens permanent, composé de 24 personnes (choisies au hasard parmi celles qui ont déjà participé à une Assemblée citoyenne), décide des sujets qui seront débattus lors des Assemblées et supervise l’organisation de ces dernières. Le parlement régional a l’obligation d’organiser des auditions et des réunions publiques afin de débattre des propositions qui lui sont soumises 
			(40) 
			<a href='https://www.bertelsmann-stiftung.de/en/our-projects/democracy-and-participation-in-europe/shortcut-archive/shortcut-7-the-ostbelgien-model'>www.bertelsmann-stiftung.de/en/our-projects/democracy-and-participation-in-europe/shortcut-archive/shortcut-7-the-ostbelgien-model</a>..
64. D’autres collectivités locales ont entrepris d’institutionnaliser des mécanismes participatifs et délibératifs; les exemples suivants figurent parmi les plus connus: en 2021, la municipalité de Paris et l’arrondissement de Newham, à Londres, ont établi des assemblées permanentes de citoyennes et citoyens; en 2022, d’autres municipalités, dont Bruxelles et Milan leur ont emboîté le pas. Toutes ces assemblées sont composées de personnes choisies par tirage au sort.
65. Le Conseil de l'Europe soutient dans une large mesure la promotion et la mise en œuvre de processus de démocratie participative et délibérative au niveau local, à travers des activités de coopération émanant de sa Direction de la Démocratie ainsi que du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux.
66. À titre d’exemple, la Direction de la Démocratie soutient depuis 2019 les autorités publiques en leur apportant une assistance technique pour mettre en place des mécanismes participatifs en Ukraine. À l’heure actuelle, l’assistance technique est axée sur la mise à l’essai de méthodologies de démocratie délibérative afin de veiller à ce que les voix et les préoccupations des citoyennes et citoyens soient entendues dans le cadre de la relance et de la reconstruction du pays, devenues nécessaires à la suite de la guerre d’agression à grande échelle menée par la Fédération de Russie. Parmi les autres activités de coopération technique couronnées de succès figure l’aide à la mise en place de mécanismes participatifs et délibératifs en Albanie, en Géorgie, en Macédoine du Nord, en Tchéquie et en Türkiye. Par ailleurs, un programme complet de renforcement des compétences sous le format d’Écoles du Conseil de l’Europe sur la démocratie participative a été élaboré et mis en œuvre dans divers pays, offrant une formation spécialisée aux représentant·e·s des autorités publiques et des organisations de la société civile.
67. Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux a encouragé, dans son rapport sur l'utilisation de méthodes délibératives dans les villes et régions européennes mentionnées ci-dessus, l'adoption de méthodologies de démocratie délibérative. Le rapport du Congrès offre des lignes directrices pratiques pour les municipalités et les régions illustrées par des études de cas aux niveaux local et régional et mettant en évidence les aspects clés pour la mise en œuvre réussie des méthodes délibératives. Le Congrès a soutenu leur mise en œuvre pratique en Bosnie-Herzégovine ces dernières années, d'abord dans la ville de Mostar, et aujourd’hui aussi dans la ville de Banja Luka. Ces expériences ont permis aux citoyens de jouer un rôle actif dans l’élaboration des politiques. Les assemblées citoyennes étaient composées de citoyennes et citoyens sélectionnés au hasard et couvraient des sujets tels que la propreté de l’espace public, l’attrait touristique et l’esprit d’entreprise des jeunes. La principale valeur ajoutée apportée par ces processus a été d’ouvrir véritablement le débat avec la participation, sur un pied d'égalité, de personnes d'origines sociales et ethniques diverses, y compris celles qui sont sous-représentées dans d'autres initiatives participatives.
68. Parallèlement aux assemblées citoyennes, qui impliquent que les participant·es soient physiquement présents, les plateformes de participation numérique peuvent s’avérer intéressantes en tant qu’outil participatif. Elles permettent en effet de toucher assez facilement un très grand nombre de citoyens dans une communauté et de les mobiliser de bien des manières. Ce type d’outils est largement utilisé dans toute l’Europe dans de grandes comme dans de petites villes, notamment grâce au marché florissant des nombreuses sociétés de technologie privées qui fournissent des plateformes pouvant être adaptées aux besoins de leurs clients au niveau local.
69. L’Observatoire de la ville de Madrid est un exemple particulièrement éloquent. Il était parvenu à concilier l’utilisation d’une plateforme de participation numérique (decide.madrid) qui permettait aux citoyens et citoyennes de soumettre leurs propositions, et la démocratie délibérative, puisque les membres de l’Observatoire, tirés au sort, étaient ensuite appelés à évaluer ces propositions. En 2020, l’Observatoire a retrouvé sa fonction et sa composition initiales, à savoir celles d’un organe de contrôle où ne siègent que des élus et des agents de la municipalité.
70. Dans tous les cas, ce qui est intéressant avec les plateformes de participation numérique, c’est qu’elles permettent à la municipalité de consulter les citoyens de manière classique sur des sujets spécifiques, mais aussi de les associer à l’élaboration du budget participatif ou de jouer un rôle actif en lançant des débats ou des propositions citoyennes. Le principal point préoccupant est leur exposition à un risque de manipulation par des algorithmes incontrôlés ou de cyberattaques; par ailleurs, dans la mesure où elles reposent par nature sur l’utilisation d’outils de communication informatiques, elles risquent d’exclure des groupes de personnes qui n’ont pas facilement accès à ces outils ou qui ne savent pas les utiliser.
71. D’autres organisations que le Conseil de l’Europe soutiennent activement les initiatives de démocratie participative et délibérative au niveau local. Parmi celles-ci, on peut citer l’Observatoire international de la démocratie participative (OIDP), un réseau international de l’organisation Cités et gouvernements locaux unis (CGLU), qui rassemble des villes, des organisations et des centres de recherche qui veulent en savoir plus sur l’apprentissage de la démocratie participative à l’échelon local, les échanges et l’application d’expériences dans ce domaine. Le prix «Bonne pratique en participation citoyenne» décerné chaque année par l’OIDP récompense les pratiques adoptées par les gouvernements locaux et régionaux dans le domaine de la démocratie participative et délibérative. La base de données de son site web contient un grand nombre d’exemples provenant du monde entier 
			(41) 
			<a href='https://www.oidp.net/en/practices.php'>www.oidp.net/en/practices.php</a>..
72. L’Union européenne, par le biais de son Centre de compétence en matière de démocratie participative et délibérative, fournit des services, des conseils et des outils visant à soutenir le développement de processus politiques «socialement solides» grâce à la participation des citoyens et citoyennes.

6.2. Au niveau national

73. L'intérêt pour la démocratie participative et délibérative n'est pas limité, ni ne devrait l'être, au niveau local. En fait, les processus au niveau national suscitent de plus en plus d’intérêt depuis quelques années, et certaines expériences encourageantes ont été développées dans certains pays, offrant l'occasion d'expérimenter et de tirer des leçons précieuses dont on pourrait s’inspirer ailleurs. Il suffit de mentionner quelques exemples pour comprendre qu’il faut approfondir nos connaissances, nos bonnes pratiques et les moyens les plus efficaces d’utiliser les processus délibératifs et participatifs dans nos démocraties.
74. L’une des premières expériences de démocratie délibérative au niveau national a été menée au Canada, en Colombie-Britannique (2003) et en Ontario (2006), où des citoyennes et citoyens tirés au sort ont été invités à débattre d’un projet de réforme électorale. Dans ces deux provinces, les recommandations faites par les assemblées citoyennes ont fait l’objet de référendums, sans toutefois emporter l’approbation des électeurs. L’une des principales critiques soulevées à l’issue de ces expériences est que la population n’avait pas été suffisamment informée sur les travaux de ces assemblées. Malgré tout, elles sont considérées comme des exemples novateurs de participation citoyenne à l’élaboration des politiques.
75. Les assemblées citoyennes créées en Irlande sont, avec celles du Canada, les plus fréquemment citées, car elles ont participé au processus décisionnel lié à d’importants problèmes juridiques et politiques auxquels la société irlandaise a été confrontée au cours des dernières années. En rassemblant 99 membres de la population sélectionnés au hasard, elles ont adressé des recommandations éclairées au Gouvernement et au Parlement irlandais sur des questions complexes 
			(42) 
			<a href='https://citizensassembly.ie/about/'>https://citizensassembly.ie/about/</a>., conduisant dans certains cas à des révisions de la Constitution 
			(43) 
			<a href='https://oecd-opsi.org/innovations/the-irish-citizens-assembly/'>https://oecd-opsi.org/innovations/the-irish-citizens-assembly/</a>., par exemple dans le cas de la légalisation du mariage homosexuel et de l’avortement.
76. Conformément aux principes présentés précédemment, l’une des valeurs ajoutées de l’expérience irlandaise est qu’en choisissant au hasard des citoyennes et citoyens par tirage au sort – une pratique qui remonte à l’Athènes antique – l’ensemble de la société est représenté au sein du groupe, garantissant une voix pour celles et ceux qui normalement n’en auraient pas, seraient marginalisés ou ne participeraient pas aussi activement que les autres. Cette pratique de création d’assemblées citoyennes enrichit la conversation, permet un dialogue constructif et évite une polarisation délibérée, même sur des questions controversées. En outre, en l’espèce, il est plus difficile pour des intérêts spécifiques de pouvoir concentré d’influencer le résultat final, car les participant·es ne sont pas connus à l’avance et ont un mandat limité, de sorte qu’ils n’ont pas d’intérêts particuliers à défendre et peuvent se concentrer uniquement sur le bien commun et l’intérêt général.
77. De la même manière, en France et au Royaume-Uni, les assemblées citoyennes sur le climat mentionnées plus haut ont été structurées selon un format standard – formation, délibérations et vote. Dans les deux cas, leurs membres ont été choisis par tirage au sort et par échantillonnage stratifié. Au Royaume-Uni, l’assemblée sur le climat a constitué un exercice délibératif visant à informer les assemblées politiques, comportant un ensemble préétabli de sujets à analyser et une structure de gouvernance claire. En France, la Convention Citoyenne pour le Climat se voulait quant à elle une assemblée politique censée permettre à la société civile de participer à la définition d’un ordre du jour et aux participant·es de se structurer et d’organiser eux-mêmes leurs activités.
78. Dans les deux cas, les citoyens et citoyennes ont pu faire des recommandations en fonction de leurs préférences pour lutter contre le changement climatique. Au Royaume-Uni, le fait d’avoir dû diviser l’assemblée en groupes thématiques a limité les possibilités de formation de nombreux membres et les responsables politiques ne se sont pas sentis obligés d’adopter des recommandations émanant d’une partie seulement de l’assemblée 
			(44) 
			<a href='https://www.mdpi.com/2071-1050/13/20/11272'>www.mdpi.com/2071-1050/13/20/11272</a>.. L’expérience française a débouché sur un ensemble complet de propositions, mais le grand public a semblé sceptique quant à ce que le gouvernement en ferait. De plus, les citoyens de l’Assemblée ont décidé de ne pas soumettre au référendum un certain nombre de propositions techniques, pour diverses raisons: certains estimaient que le grand public n’était pas aussi bien informé qu’ils l’étaient devenus; d’autres craignaient qu’il ne se transforme en un vote d’approbation pour le Président de la République, ignorant ainsi les véritables sujets en jeu; d’autres encore s’inquiétaient de devoir faire campagne en cas de référendum. Qui sait, un référendum sur les propositions de l’assemblée des citoyens aurait pu renforcer leur légitimité 
			(45) 
			<a href='https://www.nature.com/articles/s41599-022-01212-6'>www.nature.com/articles/s41599-022-01212-6</a>..
79. En 2022, suivant ces exemples, l’Espagne a elle aussi établi une Assemblée des citoyens pour le climat, qui a largement utilisé les outils informatiques et les logiciels de collaboration pour délibérer essentiellement en ligne. Les citoyens ont été désignés de manière aléatoire, puis répartis entre plusieurs groupes. Une dernière réunion s’est tenue en personne à Madrid, au cours de laquelle ses 172 recommandations ont été soumises au vote des participant·es, puis présentées au Gouvernement espagnol, pour examen.
80. Le cas de l’Islande est un autre exemple intéressant développé à la suite de la crise financière de 2008, quand le pays s’est lancé dans un processus de réécriture de sa constitution. Un Conseil constitutionnel élu de 25 membres, largement représentatif de la population islandaise, a été nommé par le Parlement islandais pour rédiger une nouvelle constitution. Ce Conseil a fait usage des médias sociaux et autres plateformes pour solliciter les commentaires et les réactions du public. Le projet de constitution final élaboré par le Conseil intégrait bon nombre de suggestions et d’avis du public. Il convient toutefois de noter que, bien qu’ayant été considérée comme innovante et inclusive, car elle demandait aux citoyens de fournir un retour d’information et l’intégrait ensuite dans les suggestions finales, il a été également controversée, car la Cour suprême a annulé l’élection initiale des membres de l’Assemblée constitutionnelle et le parlement s’est ensuite opposé à l’adoption des propositions de l’Assemblée.
81. Établie en 2019, l’Assemblée citoyenne d’Écosse prévoyait la participation d’une centaine de citoyennes et citoyens choisis au hasard pour délibérer sur l’avenir de l’Écosse, notamment pour faire face aux défis posés par le Brexit. Elle s’est réunie quatre fois en ligne et quatre fois en personne, et a délivré un ensemble de recommandations. Les participant·es ont notamment proposé de faire davantage appel aux assemblées et mini-assemblées citoyennes, même au niveau local, pour renforcer la participation des citoyens. La proposition la plus intéressante portait sur la création d’une «chambre des citoyens» chargée d’examiner les propositions du gouvernement et d’approuver les projets de loi du parlement, dont les membres seraient désignés pour une durée limitée et qui serait représentative de la population écossaise et composée de la même manière que l’Assemblée citoyenne 
			(46) 
			<a href='https://webarchive.nrscotland.gov.uk/20211201193424/https://www.citizensassembly.scot/'>https://webarchive.nrscotland.gov.uk/20211201193424/https://www.citizensassembly.scot/</a>..
82. Bien que cette proposition n’ait pas été adoptée (pour l’instant), elle montre assurément que les citoyens sont tout à fait disposés et prêts à assumer leurs responsabilités. Une Chambre des citoyens permanente, structurée comme une deuxième chambre parlementaire habilitée à contrôler les travaux des pouvoirs législatif et exécutif et à prendre part aux processus décisionnels, permettrait de cristalliser le concept de «quatrième pouvoir du gouvernement» que j’ai déjà longuement analysé par ailleurs.
83. Les comités ou panels de citoyens sont d’autres options. Également organisés au niveau national, ils se concentrent toutefois sur un thème plus précis, sont de courte durée et demandent moins de ressources. On en trouve des exemples en Belgique et en Finlande, où ils se penchent sur une multitude de questions liées au développement durable.
84. En tant que Premier ministre de la Grèce, j’ai présenté ce qu’on a appelé la «procédure de loi wiki», qui impliquait une consultation publique en ligne pour chaque projet de loi avant qu’il ne soit soumis au parlement pour vote. Cela a enrichi et amélioré les projets de texte législatif avec la connaissance collective de la société grecque, y compris les points de vue et les expériences de personnes d’origines différentes.
85. De cette expérience on pourrait envisager la création d’une «e-agora»: un espace public en ligne pour les délibérations sur toutes les questions liées aux politiques et sur la législation. Cette plateforme offrirait à tous les membres de la société la possibilité de participer, via internet et de leur propre voix, aux débats autour des politiques qui affectent leur vie. L’intelligence artificielle, au moyen d’algorithmes transparents – sous contrôle public – pourrait être utilisée pour renforcer le débat et analyser les domaines de consensus, ainsi que pour éviter les tentatives de manipulation et de polarisation grâce à l’utilisation de robots et du discours de haine. Un tel instrument renforcerait le dialogue et permettrait de tirer parti des connaissances collectives afin d’améliorer les processus décisionnels, ce qui permettrait de trouver des solutions communes et durables aux principaux défis rencontrés aux niveaux local, régional et mondial.
86. Les médias de service public et l’Union européenne de radio-télévision (UER) devraient également jouer un rôle important dans la démocratie participative et délibérative, en encourageant les pratiques participatives, tout en étant ouverts aux besoins des citoyens et des citoyennes et à l’évaluation des médias. Plusieurs membres de l’UER ont déjà lancé des initiatives innovantes en faveur de la participation et du dialogue avec les citoyens dans le cadre de la «Contribution des médias de service public à la société». La Radiodiffusion télévision grecque (ERT) a invité les citoyens à participer à un Conseil chargé d’évaluer ses activités et d’apporter leurs contributions. Les travaux du Conseil d’audit citoyen menés entre 2015 et 2018 ont été présentés dans une émission de télévision intitulée «Polites» (Citoyens). Le Conseil était composé de 55 citoyens et citoyennes tirés au sort et de 55 parties intéressées (société civile, universités, municipalités, Églises, partenaires sociaux). Les assemblées générales ont été retransmises en direct sur un site web dédié et ont suscité des milliers de réactions de la part du public (par courrier électronique et par téléphone). Les médias de service public de tous les pays du Conseil de l’Europe pourraient – et devraient – devenir des piliers de la participation et de l’expérimentation citoyennes.

6.3. Au niveau transnational

87. Les processus participatifs et délibératifs sont encore peu développés au niveau transnational et consistent principalement en de vastes consultations. L’ONU en a déployé à différentes occasions. En 2020, l’Organisation a lancé une consultation mondiale à l’occasion de son 75e anniversaire. Plus d’un million de participant·es ont fait part de leurs espoirs et de leurs craintes, et de ce qu’ils attendaient de l’ONU pour y répondre. Si ces exercices ont une portée impressionnante, ils se limitent à la collecte d’idées susceptibles de donner une orientation générale aux travaux des Nations Unies, et leurs effets sur la vie des citoyens et des citoyennes sont très limités.
88. Un autre exemple intéressant est celui des consultations citoyennes européennes (2018), concernant l’avenir de l’Europe, qui visaient à associer les citoyennes et citoyens au processus décisionnel de l’Union européenne. Si les participant·es, et en particulier celles et ceux qui ont été choisis pour participer aux consultations citoyennes, se sont montrés très positifs quant à leur expérience, le processus a été critiqué pour la faible sensibilisation et participation du public et pour son incidence limitée sur l’élaboration des politiques.
89. Dans ce sens, et sur la base de l’expérience ci-dessus, une nouvelle campagne a été lancée par l’Institut universitaire européen intitulée l’«Odyssée démocratique». Comme l’ont indiqué ses représentant·e·s lors de leur audition par la Commission des questions politiques et de la démocratie qui s’est tenue le 5 mars 2024, l’initiative a réuni un réseau de différents partenaires, qui travaillent actuellement à l’élaboration d’un concept et d’une stratégie pour institutionnaliser une assemblée populaire efficace et permanente, un écosystème participatif au sein de l’Union européenne 
			(47) 
			<a href='https://democraticodyssey.eui.eu/about'>https://democraticodyssey.eui.eu/about</a>. et du Conseil de l’Europe. Cette institution aurait un caractère transnational et ne serait donc pas limitée à une administration locale ou à un État membre.

6.4. L’esprit de participation et de délibération

90. Si les pratiques participatives actuelles s’inspirent de l’Athènes antique et de penseurs tels que Jean-Jacques Rousseau et John Stuart Mills, les processus participatifs et délibératifs existent en réalité dans de nombreuses cultures, y compris dans les communautés préhistoriques et aborigènes.
91. On peut citer plusieurs exemples de conseils tribaux, dans lesquels les dirigeant·es ou les ancien·nes se réunissaient pour discuter et prendre des décisions au nom de la communauté, avec une rotation des dirigeant·es pour éviter la concentration du pouvoir, ou encore où les décisions étaient souvent prises par consensus, avec la participation de tous les membres adultes et un dialogue approfondi: la Confédération iroquoise, les Hurons-Wendats ou la nation Muscogee (Creek) (Amérique du Nord), les communautés aborigènes australiennes, le peuple des Kuna (Panama), la communauté Masaï (Kenya et Tanzanie), ou les communautés Inuites (régions arctiques). Cela montre que la pratique de la participation et de la délibération est plus universelle et ne se limite pas à la tradition occidentale 
			(48) 
			D. Graeber, D. Wengrow, The Dawn of Everything: A New History of Humanity,
Allen Lane, 2021..
92. Outre ce qui a été décrit précédemment dans ce rapport, il existe de nombreuses formes diverses de pratiques participatives et délibératives, qui ont été développées et sont présentes dans bon nombre de nos sociétés, parmi lesquelles:
  • les forums publics, les réunions des conseils municipaux et les conseils consultatifs communautaires;
  • la diplomatie citoyenne et la diplomatie de la deuxième voie dans les situations de conflit;
  • une plus grande participation des membres et des citoyens et citoyennes aux élections internes des dirigeants et dirigeantes de partis politiques;
  • la représentation des salarié·e·s dans les conseils d’administration des entreprises, ainsi que les sociétés détenues par les travailleurs et travailleuses;
  • les coopératives de producteurs et productrices, travailleurs et travailleuses, consommateurs et consommatrices, etc.;
  • les clubs d’investissement, dans lesquels des groupes locaux participent à des investissements collectifs;
  • les conseils consultatifs pour l’inclusion des parties prenantes au sein des organisations, comme la participation des jeunes à la gouvernance, avec l’exemple phare du Conseil mixte sur la jeunesse du Conseil de l’Europe;
  • la participation au système judiciaire: les systèmes de jury et les tribunaux mixtes qui incluent des citoyennes et des citoyens non professionnels dans les processus judiciaires, le contrôle ou l’élection de juges par les citoyens et citoyennes, les personnes qui exercent des attributions de juré et la participation directe à l’administration de la justice;
  • les activités d’apprentissage coopératif, une approche pédagogique fondée sur une collaboration des citoyens et des citoyennes en petits groupes qui vise à améliorer l’apprentissage grâce à une participation active;
  • la cartographie participative, qui fait participer les citoyens et les citoyennes à des projets de cartographie visant à influencer certains domaines ou à y contribuer, tels que l’aménagement urbain et la conservation de l’environnement;
  • la recherche-action participative, qui permet à des chercheurs et chercheuses et d’autres personnes de collaborer afin de comprendre et traiter des situations problématiques, en se concentrant sur le changement social et la participation collective;
  • les hackathons, les pétitions en ligne, ainsi que les plateformes de financement participatif et de production participative;
  • les plateformes de médias sociaux utilisées pour la mobilisation politique et l’expression de l’opinion publique.
93. Cette liste n’est pas exhaustive. Cependant, avec les différents cas décrits ci-dessus, elle prouve qu’il existe de nombreux choix, de nombreuses formes, de nombreuses institutions différentes, qui ont néanmoins un fil conducteur commun: l’esprit démocratique de la participation et de la délibération citoyennes.

6.5. L’importance de l’éducation

94. L’éducation est une composante essentielle de toutes les initiatives ci-dessus. Pour que les citoyennes et citoyens soient réceptifs et utilisent des dispositifs au-delà de la démocratie représentative traditionnelle qui leur demanderont de participer activement à la vie politique de leur communauté ou de leur pays, ils devront être informés de leurs droits démocratiques et humains et davantage sensibilisés à l’importance de leur devoir civique.
95. En général, il manque à la plupart de nos systèmes éducatifs des méthodes et des modules complets de formation à la démocratie destinés aux jeunes générations. Or, les jeunes devraient apprendre à débattre et à respecter les autres, à gérer les conflits et la diversité, à travailler en équipe, ils devraient connaître leurs droits et leurs devoirs, comprendre l’importance du vote et de la participation, et s’approprier pleinement des principes fondamentaux de la démocratie. Lorsqu’il s’agit d’enseigner la démocratie, que ce soit à de jeunes étudiant·e·s ou à des adultes, il convient de veiller à ce que la pédagogie, l’expérience éducative, soit en soi un exemple pratique de participation démocratique: les élèves doivent être considérés comme des «acteurs autonomes» actifs et non comme les destinataires passifs de connaissances. De plus, l’apprentissage devrait se faire par le dialogue, la collaboration, la recherche et la pratique plutôt que par la simple transmission d’un contenu par les enseignants et les enseignantes 
			(49) 
			Voir <a href='https://files.eric.ed.gov/fulltext/EJ1188587.pdf'>https://files.eric.ed.gov/fulltext/EJ1188587.pdf</a>..
96. La Charte du Conseil de l’Europe sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme est le cadre idéal pour ce faire, et son application doit être davantage encouragée et renforcée 
			(50) 
			<a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectID=09000016805cf01f'>Recommandation
CM/Rec(2010)7 du Comité des Ministres aux États membres sur la Charte
du Conseil de l’Europe sur l’éducation à la citoyenneté démocratique
et l’éducation aux droits de l’homme</a>.. Elle donne aux États membres des orientations quant à la manière d’élaborer leurs politiques en matière d’éducation à la citoyenneté démocratique et aux droits de l’homme, et les invite en particulier à les inclure dans les programmes de l’éducation formelle, depuis l’école maternelle jusqu’à l’enseignement supérieur.

7. Conclusions

97. Le Conseil de l’Europe considère que «la démocratie représentative, fondée sur le droit des citoyens d’élire librement leurs représentants à des intervalles raisonnables, fait partie du patrimoine commun des États membres». En parallèle, il estime que «la participation des citoyens est au cœur même de l’idée de démocratie» et que «le droit à la participation civile à la prise de décision politique devrait être assuré aux individus, aux organisations non gouvernementales (ONG) et à la société civile dans son ensemble» 
			(51) 
			CM(2017)83-final, op. cit..
98. Selon cette conception, la démocratie participative et délibérative peut venir compléter la démocratie représentative, en offrant aux citoyennes et citoyens un lieu leur permettant directement de faire entendre leur voix, y compris celle des groupes les plus marginalisés. Les citoyens et citoyennes sont ainsi en mesure de contribuer à la prise de décision sur les questions qui concernent leur vie, ce qui renforce leur lien avec les gouvernements à tous les niveaux et qui, en fin de compte, consolide les systèmes démocratiques dans leur ensemble face aux défis pluridimensionnels du XXIe siècle.
99. Sur la base des expériences ci-dessus, un certain nombre de propositions et de recherches ont été menées sur le concept d’une «quatrième branche de gouvernement délibérant». Comme mentionné ci-dessus, ce concept a été présenté par le professeur Byong-Jin Ahn 
			(52) 
			https://youtu.be/tVSyUeDrc4Y. et moi-même 
			(53) 
			https://thelivinglib.org/we-need-a-fourth-branch-of-government/. au Forum mondial de la démocratie du Conseil de l’Europe 2023 lors d’un atelier intitulé «La 4e branche du gouvernement» 
			(54) 
			<a href='https://www.coe.int/en/web/world-forum-democracy/forum-talk-12-the-4th-branch-of-government'>www.coe.int/en/web/world-forum-democracy/forum-talk-12-the-4th-branch-of-government</a>..
100. Le Conseil de l’Europe joue déjà un rôle de pionnier en élaborant des processus participatifs et délibératifs et en encourageant leur mise en œuvre parmi ses États membres. Conformément à la Déclaration de Reykjavík adoptée par ses chefs d’État et de gouvernement en mai 2023, et en synergie avec d’autres organisations, telles que l’OCDE, il devrait continuer à porter son attention sur cette question. Étant donné que des méthodologies innovantes sont actuellement mises au point par différentes parties prenantes, et qu’il existe un potentiel d’évolution dans ce domaine, leur mise en œuvre devrait être surveillée, accompagnée et encouragée par les organes du Conseil de l’Europe à différents niveaux.
101. À cet égard, les futurs travaux du Comité directeur sur la démocratie (CDDEM), créé par le Comité des Ministres, revêtiront une importance particulière. Conformément à son mandat, le CDDEM élaborera des paramètres visant à faciliter l’application et la mise en œuvre des Principes de Reykjavík, et établira un rapport d’examen de la mise en œuvre de la Recommandation CM/Rec(2023)6 sur la démocratie délibérative et/ou un manuel rassemblant les meilleures pratiques 
			(55) 
			<a href='https://rm.coe.int/terms-of-reference-of-the-steering-committee-on-democracy-cddem-/1680ade019'>https://rm.coe.int/terms-of-reference-of-the-steering-committee-on-democracy-cddem-/1680ade019</a>..
102. Les travaux du CDDEM, de la Direction de la démocratie, et du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, y compris dans le domaine de la promotion des processus de démocratie participative et délibérative, doivent être soutenus.
103. L’adoption de méthodologies participatives et délibératives demande des ressources financières, techniques et humaines suffisantes. En outre, des programmes de formation adaptés à la démocratie et aux droits humains sont nécessaires pour que les citoyennes et citoyens comprennent les droits et les devoirs qui sont les leurs dans un régime démocratique.
104. Lorsqu’ils examinent la possibilité d’adopter des processus de démocratie participative et délibérative à tous les niveaux, les responsables politiques doivent tenir compte des leçons tirées des expériences passées, en particulier lorsqu’ils définissent les modalités d’un processus efficace – sélection des participant·es, inclusivité, financement, calendrier, gouvernance, transparence, publicité, évaluation et suivi des résultats obtenus. On trouve de plus en plus de sources et de bases de données intéressantes dans ce domaine.
105. La dernière étape consisterait à examiner la possibilité d’institutionnaliser les processus de démocratie participative et délibérative, tant au niveau local que national, afin de faire de la quatrième branche du gouvernement une réalité, comme cela a déjà été fait avec succès dans quelques pays au niveau local.
106. La démocratie en tant que système de gouvernement devrait être synonyme de changement positif et d’innovation. La mise en place de processus participatifs et délibératifs peut grandement contribuer à éviter le recul de la démocratie.