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Rapport | Doc. 15998 | 07 juin 2024

Questions juridiques et violations des droits de l'homme liées à l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Davor Ivo STIER, Croatie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 4711 du 27 janvier 2023. 2024 - Troisième partie de session

Résumé

Plus d’un an après le Sommet de Reykjavík, l’Assemblée parlementaire devrait souligner à nouveau la nécessité de mettre en place un système complet d’établissement des responsabilités pour toutes les violations du droit international et les crimes internationaux découlant de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine. Il ne peut y avoir de paix sans justice et réparations pour l’Ukraine et son peuple.

Alors que les consultations sur un tribunal spécial pour le crime d’agression contre l’Ukraine sont toujours en cours entre les États membres du Conseil de l’Europe et d’autres partenaires au sein du Core Group, la proposition de créer un tel tribunal par un accord entre le Conseil de l’Europe et l’Ukraine est la meilleure option possible. Cela relèverait clairement du mandat de l’Organisation. Tous les États membres devraient soutenir ce processus et participer à l’accord final. Le tribunal spécial devrait avoir des caractéristiques qui le rendraient aussi international que possible et encourageraient le soutien interrégional.

L’Assemblée devrait condamner tous les autres crimes internationaux commis dans le contexte de l’agression, y compris la tentative de génocide ou l’incitation publique à le commettre, ainsi que les nombreux crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les États devraient soutenir les enquêtes menées par le Procureur de la Cour pénale internationale, notamment en exécutant les mandats d’arrêt déjà délivrés, ainsi que les enquêtes menées par les autorités ukrainiennes. Ces enquêtes devraient également couvrir les crimes du groupe Wagner, pour lesquels la Fédération de Russie porte l’entière responsabilité internationale.

En ce qui concerne la réparation des dommages causés, les États membres devraient procéder à la mise en place d’un mécanisme international d’indemnisation, assurant un rôle de premier plan au Conseil de l’Europe. Les États devraient saisir les avoirs gelés de l’État russe en vue de les transférer à un fonds international d’indemnisation pour l’Ukraine.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 21 mai 2024.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire réitère sa condamnation la plus ferme de la guerre d'agression illégale et injustifiée que mène actuellement la Fédération de Russie contre l'Ukraine. Cette invasion à grande échelle lancée il y a plus de deux ans est une violation flagrante et continue de la Charte des Nations Unies et constitue un acte d'agression, également selon l'Assemblée générale des Nations Unies. L'Assemblée a déjà déterminé que cette guerre, qui a en fait commencé en 2014 avec l'occupation et la tentative d’annexion illégale de la Crimée, est en soi un crime d'agression en vertu du droit international qui entraîne la responsabilité pénale individuelle des dirigeants politiques et militaires de la Fédération de Russie.
2. L'Assemblée réaffirme en outre son soutien indéfectible à l'indépendance, à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine à l'intérieur de ses frontières internationalement reconnues et sa non-reconnaissance de la tentative d'annexion illégale, par la Fédération de Russie, de toute partie du territoire ukrainien, y compris la République autonome de Crimée et la ville de Sébastopol, ainsi que certaines parties des oblasts de Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia de l'Ukraine. Cette tentative d'annexion viole clairement le principe du droit international selon lequel aucune acquisition territoriale résultant de l'usage de la force ne doit être reconnue comme légale. Le fait que l'élection présidentielle russe du 17 mars 2024 se soit également déroulée dans les territoires illégalement occupés de l'Ukraine, soumis de force à la loi russe, est un autre exemple du mépris flagrant des autorités russes pour l'indépendance politique et les droits politiques de l'Ukraine et de son peuple, ainsi que pour les principes les plus fondamentaux du droit international humanitaire, y compris les obligations qui incombent à une puissance occupante en vertu de la quatrième Convention de Genève, à laquelle la Fédération de Russie est liée depuis des décennies.
3. L'Assemblée est consternée par les nombreux rapports continus faisant état d'atrocités, de violations des droits humains et du droit international humanitaire commises par les forces militaires russes et leurs auxiliaires en Ukraine, au cours des hostilités ou dans les zones temporairement occupées. Il s'agit notamment d'attaques aveugles contre des civils et du personnel humanitaire et médical, ainsi que contre des biens civils tels que des installations médicales, des écoles, des centrales électriques, d’autres infrastructures essentielles, le patrimoine culturel et religieux; les enlèvements illégaux, la détention, les disparitions forcées, la torture, les mauvais traitements et les exécutions extrajudiciaires de citoyens ukrainiens; la torture, les mauvais traitements et les exécutions sommaires de prisonniers de guerre ukrainiens; le transfert illégal ou la déportation d'enfants ukrainiens; toutes les formes de violence sexuelle liée au conflit; l'utilisation d'armes chimiques et de bombes à fragmentation; les attaques causant des dommages importants, étendus, et à long terme à l'environnement; le pillage; la «passeportisation» et la conscription forcées de citoyens ukrainiens.
4. Nombre de ces violations constituent des crimes de guerre spécifiques au sens des conventions de Genève, du protocole additionnel I aux conventions de Genève et du statut de la Cour pénale internationale (CPI). D'autres, comme la torture et les mauvais traitements, semblent avoir été perpétrées de manière systématique et généralisée et peuvent donc également être qualifiées de crimes contre l'humanité. La plupart de ces atrocités violent en même temps de nombreux traités internationaux sur les droits de l'homme ratifiés par Fédération de la Russie, qui continuent de s'appliquer en temps de guerre. Tous ces actes ont causé la mort, des destructions, des dommages environnementaux et le déplacement massif de populations à l'intérieur et à l'extérieur de l'Ukraine.
5. Conformément à ses résolutions antérieures, notamment sa Résolution 2482 (2023) «Questions juridiques et violations des droits de l'homme liées à l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine», l'Assemblée considère que la rhétorique officielle et des médias publics russes utilisée pour justifier l'agression illégale peut constituer une incitation directe et publique au génocide ou révéler une intention génocidaire de détruire le groupe national ukrainien en tant que tel ou au moins une partie de celui-ci, au sens de la Convention sur le génocide de 1948. Cette rhétorique, qui émane souvent des plus hautes autorités de l'État russe, mais aussi de chefs religieux soutenant l'agression au sein de la hiérarchie de l'Église orthodoxe russe, utilise des récits tels que la négation de l'identité ukrainienne ou la «dénazification» ou «dé-satanisation» des Ukrainiens. L'intention génocidaire peut également être déduite des schémas d'atrocités observés à l'encontre des Ukrainiens, tels que les meurtres, les graves atteintes à l'intégrité physique ou mentale, les conditions d’existence délibérément imposées en vue d'entraîner la destruction physique du groupe et les transferts forcés et coordonnés d'enfants à un autre groupe. Il existe donc de plus en plus de preuves que la Fédération de Russie tente de commettre un génocide contre les Ukrainiens, ou du moins qu'elle y incite publiquement, dans le cadre de la propagande qu'elle déploie pour justifier sa guerre d'agression. Ces actes n'engagent pas seulement la responsabilité de l'État et la responsabilité pénale individuelle de la Fédération de Russie et de ses représentants officiels, mais déclenchent également pour tous les États parties à la Convention sur le génocide une obligation de prévenir le génocide, en fonction de leurs moyens et de leur capacité d'influencer les personnes soupçonnées de préparer ou de commettre un génocide.
6. En ce qui concerne le rôle du groupe Wagner et sa participation à la guerre, l'Assemblée note que son statut au regard du droit international humanitaire a longtemps été contesté. Après l'échec de la mutinerie de juin 2023 et la mort suspecte de ses dirigeants Evgueni Prigojine et Dmitri Outkine dans un accident d'avion deux mois plus tard, l'existence et la structure actuelles du groupe ont évolué, certains de ses combattants ayant été incorporés dans les forces armées russes ou recrutés par d'autres sociétés militaires et de sécurité privées russes ou par des groupes paramilitaires. En tout état de cause, le groupe Wagner continue d'opérer sous diverses formes et ses membres qui ont commis ou continuent de commettre des crimes de guerre et d'autres atrocités en Ukraine devraient être poursuivis et tenus de rendre des comptes devant les tribunaux ukrainiens ou la CPI. La Fédération de Russie porte l'entière responsabilité internationale de leurs actes, compte tenu des liens reconnus et du soutien financier et opérationnel apporté au groupe pendant sa participation à la guerre, y compris l'utilisation de condamnés graciés comme combattants et la coordination sur le terrain avec les forces régulières. La Fédération de Russie ne peut prétendre à un déni plausible pour échapper à la responsabilité internationale des actions du groupe Wagner.
7. L'Assemblée se félicite que plusieurs parlements nationaux, ainsi que l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et le Parlement européen, aient qualifié le groupe Wagner d'organisation terroriste ou demandé sa désignation en tant que telle, conformément à sa position énoncée dans la Résolution 2506 (2023) «Les conséquences politiques de la guerre d'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine». Étant donné que certains de ses crimes semblent avoir été commis dans le but de provoquer la terreur au sein de la population civile en Ukraine, ses actions relèvent de certaines des définitions du terrorisme figurant dans les textes internationaux existants, en plus de leur qualification en tant que crimes de guerre. Cela confirmerait le statut de la Russie en tant qu'État soutenant le terrorisme et aurait un effet dissuasif sur les États, en particulier en dehors de l'Europe, et les entités privées, qui seraient tentés de coopérer avec le groupe Wagner ou ses successeurs.
8. Plus d'un an après le 4e Sommet du Conseil de l'Europe (16 et 17 mai 2023) et la Déclaration de Reykjavík adoptée par ses chefs d’État et de gouvernement, l'Assemblée souligne une nouvelle fois la nécessité de mettre en place un système complet d’établissement des responsabilités pour toutes les violations du droit international et les crimes internationaux découlant de l'agression russe, afin de parvenir à une paix juste et durable pour l'Ukraine. Il ne peut y avoir de paix sans responsabilité, comme l’implique le Statut du Conseil de l'Europe (STE no 1) qui, dans son préambule, souligne «la consolidation de la paix fondée sur la justice et la coopération internationale». L'Assemblée salue et soutient donc toutes les initiatives et mesures prises jusqu'à présent au sein du Conseil de l'Europe en faveur de l’établissement des responsabilités, qui visent non seulement à contribuer à rendre justice et à accorder des réparations à l'Ukraine et à son peuple, mais aussi à lutter contre l'impunité, à rétablir le respect de la prééminence du droit et à prévenir de nouvelles attaques contre l'ordre juridique international. Elle salue en outre d'autres initiatives prises en dehors de l'Organisation, telles que la conférence ministérielle sur le thème «Rétablir la justice pour l'Ukraine», qui s'est tenue à La Haye le 2 avril 2024, et le premier sommet de la paix pour l'Ukraine, qui s'est tenu à Bürgenstock (Suisse) les 15 et 16 juin 2024. Tout processus de paix devrait être fondé sur les principes d'une paix juste et durable tels qu'ils sont énoncés dans la formule de paix du Président Zelensky, à laquelle l'Assemblée et les chefs d'État et de gouvernement ont déjà exprimé leur soutien.
9. L'Assemblée salue les efforts et les enquêtes en cours menées par les mécanismes existants internationaux et nationaux d’établissement des responsabilités compétents pour traiter certains des crimes internationaux et des violations des droits humains commis dans le cadre de l'agression, notamment les autorités ukrainiennes et le Bureau du Procureur général, le Bureau du Procureur de la CPI, l'équipe commune d'enquête (ECE), le Centre international chargé des poursuites pour le crime d'agression contre l'Ukraine (ICPA), la Commission d’enquête internationale indépendante sur l'Ukraine établie par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, le Mécanisme de Moscou de l'OSCE, et les autorités d'États tiers agissant sur la base du principe de la compétence universelle.
10. L'Assemblée note toutefois qu'il n'existe toujours pas de mécanisme d’établissement des responsabilités approprié pour traiter le crime international suprême, à savoir le crime d'agression commis par les dirigeants politiques et militaires de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, qui a permis tous les autres crimes et causé des souffrances incommensurables, au-delà même de la violation du droit international humanitaire. Plus de deux ans après l'invasion à grande échelle et le premier appel de l'Assemblée, en avril 2022, à créer un tribunal pénal international spécial pour le crime d'agression contre l'Ukraine, les consultations entre les États membres et les autres États et partenaires intéressés se poursuivent au sein du Core Group.
11. L'Assemblée note avec une grande satisfaction que les participants à ces consultations ont exprimé leur intérêt pour l'idée de créer un tribunal spécial par un accord entre le Conseil de l'Europe et l'Ukraine, qui pourrait être soutenu par un accord partiel élargi ouvert aux États non-membres et à d'autres organisations internationales. L'Assemblée considère qu'il s'agit de la meilleure option possible, en termes de base juridique et de légitimité politique. Elle s'inscrirait clairement dans le mandat du Conseil de l'Europe, tel que reflété dans son Statut et conformément aux priorités définies lors du Sommet de Reykjavík. En créant un tel tribunal, le Conseil de l'Europe garantirait la justice pour un crime qui a été et qui est toujours commis contre l'un de ses États membres par un ancien État membre. Cependant, il ne faut pas y voir une réponse purement européenne à un problème européen. Le Conseil de l'Europe se mettrait au service de la communauté internationale dans son ensemble, afin de faire respecter l'ordre juridique international et l'interdiction de l'agression. Le tribunal spécial devrait donc présenter des caractéristiques qui le rendraient aussi international que possible et encourageraient un soutien interrégional, en tenant compte de la nécessité de maximiser sa légitimité internationale et de minimiser les éventuelles contestations juridiques, notamment en ce qui concerne le recours éventuel à des immunités personnelles de la part des principaux suspects.
12. L'Assemblée souligne à nouveau que la Fédération de Russie doit assumer les conséquences juridiques de tous les faits internationalement illicites qu'elle a commis en Ukraine ou contre l'Ukraine, y compris en réparant les préjudices et les pertes causés par ces actes à l'Ukraine et à ses citoyens. L'Assemblée rappelle à cet égard ses résolutions antérieures sur ce sujet, notamment sa Résolution 2539 (2024) «Soutien à la reconstruction de l'Ukraine», ainsi que la Résolution A/RES/ES-11/5 de l'Assemblée générale des Nations Unies du 14 novembre 2022 «Agression contre l’Ukraine: recours et réparation», qui reconnaît la nécessité de mettre en place un mécanisme international de réparation. Elle salue la création du Registre des dommages causés par l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine en mai 2023 et se félicite de l'ouverture du processus de dépôt des demandes le 2 avril 2024. Elle rappelle que le Registre est destiné à constituer la première composante d'un mécanisme international global d'indemnisation.
13. A la lumière de ces considérations, en ce qui concerne le tribunal spécial pour le crime d'agression contre l'Ukraine, l'Assemblée:
13.1. se félicite de la décision du Comité des Ministres du 30 avril 2024 qui donne mandat à la Secrétaire Générale du Conseil de l'Europe de préparer tous les documents nécessaires pour le Core Group sur un éventuel projet d'accord entre le Conseil de l'Europe et le Gouvernement ukrainien relatif à la création d'un tribunal spécial pour le crime d'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, y compris son Statut, et sur un éventuel projet d'accord partiel élargi régissant les modalités de soutien à un tel tribunal, son financement et d'autres questions administratives;
13.2. note que cette décision a été prise à une majorité écrasante, ce qui exprime une volonté politique claire en faveur d'un rôle de premier plan du Conseil de l'Europe dans ce processus, conformément aux propres recommandations de l'Assemblée;
13.3. appelle le Core Group à parvenir à un accord sur le modèle et la forme juridique choisis pour le tribunal spécial dès que possible, en tenant compte de la nécessité de maintenir la dynamique actuelle et au vu des éventuels développements politiques;
13.4. appelle tous les États membres à soutenir ce processus et à participer à l'accord final conclu, y compris à l'éventuel accord partiel élargi;
13.5. appelle les autres États, y compris les États observateurs et les États dont les parlements bénéficient du statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l'Assemblée, l'Union européenne ainsi que toute autre organisation régionale potentiellement intéressée, y compris l'Organisation des États américains et l'Union africaine, à soutenir ce processus et la création d'un tribunal spécial;
13.6. appelle l'Assemblée générale des Nations Unies à soutenir ce processus en adoptant une résolution qui entérinerait le tribunal spécial, une fois qu'il aura été créé, conformément à sa position précédemment exprimée selon laquelle l'invasion à grande échelle de l'Ukraine constitue un acte d'agression et qu'il convient de veiller à ce que les auteurs des crimes les plus graves commis répondent de leurs actes;
13.7. appelle les États participant à l'ICPA et à l'ECE, ainsi que tous les États membres, à prévoir des accords de coopération leur permettant de partager avec le futur tribunal spécial les éléments de preuve recueillis sur le crime d'agression;
13.8. exprime sa gratitude aux Pays-Bas pour son offre d'accueillir le tribunal spécial sur son territoire;
13.9. considère que le tribunal spécial devrait en tout état de cause présenter les caractéristiques suivantes:
13.9.1. sa compétence devrait être limitée au crime d'agression commis contre l'Ukraine et devrait s'étendre ratione temporis à ladite agression qui a débuté en février 2014.
13.9.2. sa compétence devrait inclure le rôle et la complicité des dirigeants du Bélarus;
13.9.3. son statut devrait contenir une définition du crime d’agression pleinement conforme à l’article 8 bis du Statut de la CPI, qui reflète le droit international coutumier;
13.9.4. les immunités personnelles des principaux suspects ne s’appliqueront pas devant le tribunal spécial; son statut devrait laisser la question des immunités personnelles à l'interprétation des juges du tribunal spécial, en tenant compte de la pratique des autres tribunaux pénaux internationaux et des précédents en droit international;
13.9.5. les immunités fonctionnelles ne s’appliqueront pas devant le tribunal spécial;
13.9.6. son statut devrait contenir une liste des droits de l’accusé à un procès équitable, conformément au droit international des droits de l’homme;
13.9.7. son statut pourrait prévoir la possibilité d’une procédure in absentia avant le stade du procès, par exemple des audiences de confirmation des chefs d’accusation en l’absence du suspect;
13.9.8. son rôle devrait être complémentaire de la compétence de la CPI et son statut devrait régir la coopération et le partage des preuves entre le tribunal spécial et la CPI;
13.9.9. son statut devrait contenir des règles concernant la coopération avec les États participants et les autres États, qui pourraient être complétées par des accords de coopération spécifiques.
14. En ce qui concerne les autres crimes internationaux, tels que le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, l'Assemblée:
14.1. appelle tous les États membres, ainsi que les États observateurs et les États bénéficiant d’un statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès de l'Assemblée, à soutenir les enquêtes menées par le Bureau du Procureur de la CPI sur l'un quelconque de ces crimes commis en Ukraine, en partageant tout élément de preuve en leur possession, et en mettant à disposition leur expertise, y compris médico-légale, et appelle tous les États parties au Statut de la CPI à fournir durablement des ressources humaines et financières suffisantes à la Cour;
14.2. se félicite des mandats d'arrêt délivrés par la CPI à l'encontre de Vladimir Poutine, Maria Alekseyevna Lvova-Belova, Sergei Ivanovich Kobylash et Viktor Nikolayevich Sokolov dans le cadre de la situation en Ukraine et invite tous les États membres et les autres États à exécuter ces mandats si l'un de ces suspects venait à relever de leur juridiction;
14.3. condamne fermement les tentatives des autorités russes de poursuivre les juges et le Procureur de la CPI impliqués dans l'émission de ces mandats, en tant qu'ingérence flagrante dans l'indépendance judiciaire et le mandat de la CPI;
14.4. invite le procureur de la CPI à envisager d'examiner les allégations faisant état de génocide à l'encontre des Ukrainiens, de manière générale en ce qui concerne la situation en Ukraine et plus particulièrement le transfert d'enfants ukrainiens;
14.5. invite le Procureur de la CPI à envisager d'examiner la responsabilité pénale individuelle des membres du groupe Wagner qui ont participé à la commission de crimes internationaux en Ukraine et dans différents pays d'Afrique relevant de la compétence de la Cour;
14.6. encourage tous les États membres ainsi que d'autres États à continuer d'apporter leur aide aux autorités ukrainiennes et au Bureau du Procureur général, y compris par le biais du renforcement des capacités, de l'expertise et des ressources, en vue de renforcer leurs capacités à enquêter sur ces crimes et à les poursuivre, conformément au droit international des droits de l'homme et à la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5);
14.7. appelle les autorités ukrainiennes à continuer à se conformer à leurs obligations en vertu du droit international humanitaire et à continuer à mener des enquêtes approfondies sur toutes les allégations de crimes de guerre et de violations du droit international humanitaire, quelle que soit la nationalité de l’auteur;
14.8. appelle les autorités ukrainiennes à respecter le droit à un procès équitable et les autres droits prévus par la Convention européenne des droits de l'homme pour toutes les personnes accusées de crimes de guerre et d'autres crimes liés à l'agression, tout en notant que l'Ukraine continue de déroger à certains droits prévus par la convention en vertu de l'article 15 et de l'application de la loi martiale;
14.9. appelle l'Ukraine et les autres États membres à ratifier le statut de la CPI, y compris les amendements de Kampala sur le crime d'agression;
14.10. appelle tous les États membres à rejoindre ou à coopérer avec l'ECE mise en place par l'Ukraine et plusieurs États membres de l'Union européenne sous les auspices d'Eurojust;
14.11. encourage tous les États membres et les États observateurs à faire usage des instruments du Conseil de l'Europe et d'autres instruments internationaux sur l'entraide judiciaire en ce qui concerne les crimes commis en Ukraine, et à signer et ratifier la nouvelle «Convention de Ljubljana-La Haye pour la coopération internationale en matière d'enquête et de poursuite du crime de génocide, des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et autres crimes internationaux», ouverte à la signature le 14 février 2024;
14.12. invite le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies à envisager la création d'une commission d'enquête internationale indépendante chargée d'enquêter sur les allégations de violations du droit international des droits de l'homme et du droit international humanitaire commises par des membres du groupe Wagner et des entités affiliées en Ukraine et dans les pays concernés en Afrique, d'établir les faits, de recueillir, de consolider et d'analyser les preuves de ces violations et de préserver les éléments de preuve, y compris en vue d'une coopération dans le cadre de toute procédure judiciaire;
14.13. appelle les États membres et les États observateurs à envisager d'engager de nouvelles procédures en vertu de la Convention sur le génocide (sur la base de l'article IX) contre la Fédération de Russie devant la Cour internationale de justice, pour des allégations concrètes de génocide commis en Ukraine, y compris l'incitation au génocide et la tentative de génocide;
14.14. appelle les États membres et observateurs qui ne l'ont pas encore fait, ainsi que l'Union européenne, à envisager de désigner le groupe Wagner, d'autres groupes paramilitaires russes similaires et les entités qui les financent comme des organisations terroristes et à leur appliquer leur législation et leurs mesures antiterroristes, sans préjudice de l'examen de leurs crimes en tant que possibles crimes de guerre et autres crimes internationaux;
14.15. appelle les États membres ainsi que les autres États à envisager de désigner la Fédération de Russie comme un État soutenant le terrorisme.
15. Enfin, en ce qui concerne la réparation des dommages causés par l'agression, l'Assemblée, rappelant ses Résolutions 2434 (2022), 2482 (2023) et 2539 (2024):
15.1. appelle les États membres du Conseil de l'Europe et les États non membres éligibles à se joindre au Registre des dommages s'ils ne l'ont pas encore fait;
15.2. réitère son appel à la mise en place d'un mécanisme international d'indemnisation pour réparer les dommages causés à toutes les personnes physiques et morales affectées, ainsi qu'à l’État ukrainien, par les faits internationalement illicites de la Fédération de Russie découlant de son agression contre l'Ukraine. Ce mécanisme international d'indemnisation devrait:
15.2.1. comprendre une commission internationale indépendante chargée d'examiner et de statuer sur les demandes d'indemnisation, y compris celles enregistrées par le Registre des dommages;
15.2.2. comprendre un fonds international d'indemnisation, à partir duquel les indemnités seraient versées aux requérants ayant obtenu gain de cause;
15.2.3. être établi par un instrument international distinct, ouvert à tous les États partageant les mêmes idées et aux organisations internationales concernées, y compris les Nations Unies et l'Union européenne;
15.2.4. être établi en concertation avec le Registre des dommages, qui participe et facilite le travail visant à établir un tel mécanisme et qui devrait être transféré au mécanisme conformément à son statut;
15.2.5. être en principe établi sous les auspices du Conseil de l'Europe, étant donné que le Registre des dommages est un accord partiel élargi du Conseil de l'Europe et que l'Organisation joue un rôle de premier plan dans ce domaine, sans exclure d'autres options si elles garantissent un soutien plus interrégional;
15.2.6. couvrir les dommages causés par l'agression depuis février 2014, en particulier en ce qui concerne les violations du droit international confirmées par les tribunaux et organes juridictionnels internationaux tels que la Cour européenne des droits de l'homme;
15.2.7. couvrir les dommages causés par les sociétés militaires et de sécurité privées ou les groupes paramilitaires et auxiliaires qui ont participé à l'agression pour le compte de la Fédération de Russie, y compris en particulier le groupe Wagner sous toutes ses formes;
15.3. considère que la saisie et la réaffectation des avoirs de l'État russe, actuellement gelés par des États membres et non membres du Conseil de l'Europe, constitueraient des contre-mesures légales en vertu du droit international à l’égard de l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, qui constitue une violation manifeste d'une obligation erga omnes. Ces contre-mesures seraient destinées à inciter la Fédération de Russie à respecter ses obligations juridiques internationales, y compris son obligation de mettre fin à l'agression contre l'Ukraine et d’en réparer les conséquences; compte tenu des dommages considérables causés par l'agression russe, elles seraient proportionnées et réversibles dans la mesure où les fonds saisis pourraient être utilisés comme compensation à la demande de réparations dues à l'Ukraine;
15.4. se félicite que certains États, dont récemment les États-Unis, aient déjà adopté une législation autorisant de telles mesures au profit de l'Ukraine, sur la base de contre-mesures;
15.5. demande instamment aux États membres et à tout autre État d’adopter des mesures similaires au niveau national, en vue de transférer ces actifs à un futur fonds international d'indemnisation, tout en respectant les droits de tous les tiers concernés en vertu de la Cour européenne des droits de l’homme et d'autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme;
15.6. réitère son appel aux États membres pour qu'ils réaffectent également les avoirs gelés des citoyens russes soumis à des sanctions ciblées pour leur responsabilité dans la guerre d'agression, comme le demande la Résolution 2434 (2022);
15.7. appelle les États membres, le G7, l'Union européenne et toutes les parties prenantes concernées à continuer à œuvrer en faveur d'une compensation complète pour tous les dommages causés par la guerre d'agression et du processus global de soutien à l'Ukraine, y compris en mettant en œuvre d'autres propositions alternatives ou complémentaires qui font l'objet de discussions ou d'un accord, telles que la confiscation d'actifs privés à la suite d'une condamnation pénale pour violation des sanctions, l'introduction de taxes sur les intérêts ou les bénéfices exceptionnels tirés des actifs gelés de l'État russe, ou l'utilisation de ces actifs en tant que garantie pour des prêts à l'Ukraine.
16. L’Assemblée appelle tous les États membres et observateurs, ainsi que l’Union européenne et le G7, à créer un registre d’entités aidant la Fédération de Russie à se soustraire ou à contourner des mesures restrictives.
17. L'Assemblée réitère enfin toutes ses résolutions précédentes adressées à la Fédération de Russie depuis le lancement de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine et appelle à nouveau la Fédération de Russie à cesser l'agression et à retirer complètement et inconditionnellement ses forces d'occupation du territoire internationalement reconnu de l'Ukraine. Elle demande instamment à la Fédération de Russie de respecter les obligations qui lui incombent en vertu de la Charte des Nations Unies, de la Convention sur le génocide, du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme, en particulier dans les territoires occupés de l'Ukraine, et de coopérer avec tous les organes internationaux d'enquête et judiciaires qui traitent des conséquences de l'agression

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 21 mai 2024.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire attire l'attention du Comité des Ministres sur sa Résolution ... (2024) «Questions juridiques et violations des droits de l’homme liées à l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine», qui souligne à nouveau la nécessité de mettre en place un système complet d’établissement des responsabilités pour toutes les violations du droit international et les crimes internationaux, y compris le crime d'agression, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le génocide, qui auraient été commis dans le contexte et à la suite de l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine.
2. L'Assemblée se réfère à ses Résolutions 2436 (2022) «L'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine: faire en sorte que les auteurs de graves violations du droit international humanitaire et d'autres crimes internationaux rendent des comptes», 2482 (2023) «Questions juridiques et violations des droits de l'homme liées à l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine», 2516 (2023) «Garantir une paix juste en Ukraine et une sécurité durable en Europe» et 2539 (2024) «Soutien à la reconstruction de l'Ukraine». Elle rappelle également ses Recommandations 2231 (2022) «L'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine: faire en sorte que les auteurs de graves violations du droit international humanitaire et d'autres crimes internationaux rendent des comptes» et 2271 (2024) «Soutien à la reconstruction de l'Ukraine».
3. À la lumière des résolutions et recommandations susmentionnées, l'Assemblée invite le Comité des Ministres:
3.1. à continuer de mobiliser le Conseil de l'Europe et tous ses instruments politiques et juridiques pour soutenir l'Ukraine et à garantir un système complet d’établissement des responsabilités pour l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine et toutes ses conséquences juridiques et en matière de droits de l'homme;
3.2. à veiller à ce que le Conseil de l'Europe continue d'apporter un soutien expert et technique à la création et au fonctionnement d'un tribunal spécial pour le crime d'agression contre l'Ukraine, y compris par la participation et les contributions de la Secrétaire Générale aux consultations au sein du Core Group sur un éventuel projet d'accord entre le Conseil de l'Europe et le Gouvernement ukrainien relatif à la création d'un tribunal spécial pour le crime d'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, y compris son Statut, et sur un éventuel projet d'accord partiel élargi régissant les modalités de soutien à un tel tribunal, son financement et d'autres questions administratives;
3.3. à tenir compte du résultat de ces consultations et de toute proposition qui pourrait être faite par la Secrétaire Générale, et à travailler à la création d'un tribunal spécial sur le crime d'agression contre l'Ukraine dès que possible, y compris, le cas échéant, par le biais d'un accord entre le Conseil de l'Europe et le Gouvernement ukrainien et d'un projet d'accord partiel élargi, en tenant dûment compte des considérations et des caractéristiques énoncées dans la Résolution ... (2024);
3.4. à prendre des dispositions en vue de la mise en place d'un mécanisme international d'indemnisation pour tous les dommages causés par l'agression russe, y compris une commission internationale des demandes d’indemnisation et un fonds d'indemnisation, en coopération avec tous les partenaires internationaux concernés et l'Ukraine, en veillant à ce que le Conseil de l'Europe joue un rôle de premier plan et en tenant compte des travaux du Registre des dommages causés par l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine.

C. Exposé des motifs par M. Davor Ivo Stier, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. À la suite de l’adoption par l’Assemblée parlementaire de la Résolution 2482 (2023) «Questions juridiques et violations des droits de l’homme liées à l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine» le 26 janvier 2023, sur la base d’un rapport de Damien Cottier (Suisse, ADLE), le Bureau de l’Assemblée a décidé de saisir la commission des questions juridiques et des droits de l’homme pour un nouveau rapport sur le même sujet 
			(3) 
			Le
Bureau a également transmis à la commission les renvois suivants
pour prise en compte dans le cadre de ce rapport: Doc. 15720 («Le ‘groupe Wagner’ russe doit être déclaré organisation
terroriste», Renvoi 4732 du 26 mai 2023); Doc. 15712 («Garantir le droit à un procès équitable dans le contexte
des immunités des États: comment trouver le juste équilibre?», Renvoi
4725 du 24 avril 2023); Doc.
15638 («Reconnaître les partis politiques bellicistes russes
comme des groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme
passibles de sanctions institutionnelles», Renvoi 4700 du 23 janvier
2023); Doc. 15923 («Créer un Registre des sociétés qui aident les entités
russes à échapper aux sanctions et lutter contre le contournement
des mesures restrictives prises à l’encontre des entités russes»,
Renvoi 4804 du 15 avril 2024). 
			(3) 
			La commission a également
préparé un avis sur le rapport de la commission des questions politiques et
de la démocratie «Soutien à la reconstruction de l’Ukraine», voir Doc. 15732, Doc. 15941; Résolution
2539 (2024) et Recommandation
2271 (2024). 
			(3) 
			La question des enfants ukrainiens déportés
ou transférés ne sera pas au centre de ce rapport, car elle est
examinée à la fois par la commission des questions sociales, de
la santé et du développement durable et par la commission des migrations,
des réfugiés et des personnes déplacées.. Lors de sa réunion tenue du 25 au 27 avril 2023 à Strasbourg, la commission m’a désigné rapporteur.
2. Depuis l’adoption du rapport de M. Cottier, l’Assemblée a adopté plusieurs résolutions sur les conséquences politiques ou autres de la guerre d’agression livrée par la Fédération de Russie, préparées par d’autres commissions 
			(4) 
			Résolution 2495 (2023) «Déportations et transferts forcés d’enfants et d’autres
civils ukrainiens vers la Fédération de Russie ou les territoires
ukrainiens temporairement occupés: créer les conditions de leur
retour en toute sécurité, mettre fin à ces crimes et sanctionner
leurs auteurs», Résolution
2516 (2023) «Garantir une paix juste en Ukraine et une sécurité durable
en Europe». . Le Conseil de l’Europe dans son ensemble a également pris de nombreuses initiatives pour mettre en œuvre certaines des propositions de l’Assemblée, dont celles énoncées dans la Résolution 2482 (2023) et dans le rapport de M. Cottier, afin de veiller à ce que la Fédération de Russie rende pleinement compte des violations des droits humains et des violations graves du droit international découlant de l’agression. En mai 2023, lors du Sommet de Reykjavík, les chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe ont créé le Registre des dommages causés par l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine (en tant qu’Accord partiel élargi du Conseil de l’Europe), première étape vers un mécanisme international d’indemnisation des victimes de l’agression russe, conformément à ce qu’avait demandé l’Assemblée dans sa Résolution 2482 (2023). À ce jour, 43 États et l’Union européenne ont adhéré au Registre en tant que membres ou membres associés. En ce qui concerne la création d’un tribunal spécial pour le crime d’agression commis contre l’Ukraine par les dirigeants politiques et militaires de la Fédération de Russie, une idée appuyée en premier lieu par l’Assemblée dans sa Résolution 2436 (2022) (rapport de M. Aleksander Pociej, Pologne, PPE/DC), en tant que première instance internationale à le faire, et plus tard dans la Résolution 2482 (2023), les progrès ont été malheureusement plus lents. À Reykjavík, les chefs d’État se sont félicités des efforts et des progrès réalisés au niveau international en vue de la création d’un tel tribunal et ont reconnu que le Conseil de l’Europe devrait jouer un rôle en appuyant ce processus. Depuis lors, le secrétariat du Conseil de l’Europe participe aux consultations en cours au sein du Core group, groupe composé de 40 États prêts à soutenir la création d’un tribunal spécial.
3. Je mettrai l’accent, dans le présent rapport, sur les progrès réalisés en ce qui concerne les différents éléments d’un système complet d’établissement des responsabilités pour l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine et ses conséquences juridiques et relatives aux droits humains, en vue de faire de nouvelles propositions aux États membres, au Conseil de l’Europe dans son ensemble et aux différents acteurs internationaux. J’examinerai les mesures mises en œuvre ou encore nécessaires pour que les auteurs du crime d’agression (section 2) et d’autres crimes internationaux (crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide) (section 3) répondent de leurs actes ainsi que la question de l’indemnisation pour les dommages causés par l’agression, en particulier les moyens juridiques possibles pour veiller à ce que les demandes d’indemnisation présentées par l’État ukrainien et les autres victimes individuelles soient non seulement enregistrées, mais aussi traitées et exécutées vis-à-vis de l’État russe (section 4). Je traiterai également de la nécessité de veiller à ce que le groupe Wagner et d’autres auxiliaires russes soient tenus de rendre compte de leurs crimes, en tenant compte d’une proposition de résolution sur ce sujet visant à ce qu’ils soient déclarés organisation terroriste (section 5) 
			(5) 
			Doc. 15720.
4. Dans le cadre de la préparation du présent rapport, la commission des questions juridiques et des droits de l'homme a procédé à deux auditions et deux échanges avec des experts. Le 8 septembre 2023, nous avons entendu Mme Jelena Aparac, ancienne présidente du Groupe de travail de l’ONU sur l’utilisation de mercenaires, et Mme Nathalia Dukhan, enquêtrice principale spécialisée dans les crimes de guerre et les organisations criminelles transnationales à The Sentry (Washington). Elles ont toutes deux évoqué les difficultés que pose la qualification du groupe Wagner au regard du droit international et la nécessité d’adopter des mesures ciblées pour établir les responsabilités du groupe pour les crimes et les violations des droits humains qu’il a commis en Ukraine, mais aussi dans d’autres régions du monde (en particulier en Afrique). Le 12 octobre 2023, la commission a eu un échange de vues avec M. James Goldston, directeur exécutif, Open Society Foundations, qui a fait le point sur les récents développements concernant la création d’un tribunal spécial pour le crime d’agression. Pendant la partie de session de janvier 2024, la commission a tenu un échange de vues avec M. Markiyan Kliuchkovskyi, directeur exécutif du Registre des dommages. Enfin, le 4 mars 2024, la commission a tenu une audition sur le thème de l'indemnisation avec trois experts différents: M. Anton Moiseienko, maître de conférences à l'Australian National University; Mme Yuliya Ziskina, juriste senior, Razom for Ukraine (Washington); et M. Rupert Skilbeck, Directeur, Redress (Londres). Permettez-moi de remercier à nouveau nos experts de leurs précieuses contributions. Le secrétariat de la commission a également assisté à différentes conférences en lien avec ces sujets et a rencontré une délégation ukrainienne du bureau du procureur général, de la police nationale, du bureau national d’enquête et du service de sécurité lors de sa venue au Conseil de l’Europe à Strasbourg (novembre 2023).

2. Le tribunal spécial pour le crime d'agression contre l'Ukraine

5. Dans sa Résolution 2436 (2022) «L’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine: faire en sorte que les auteurs de graves violations du droit international humanitaire et d’autres crimes internationaux rendent des comptes», adoptée deux mois après le lancement de l’invasion à grande échelle, l’Assemblée s’est prononcée à l’unanimité en faveur de la création d’un tribunal pénal international ad hoc chargé d’enquêter et d’engager des poursuites pour le crime d’agression commis contre l’Ukraine par les dirigeants politiques et militaires de la Fédération de Russie. L'Assemblée a donc été la première instance internationale à soutenir la création d'un tel tribunal. En ce qui concerne les modalités de sa création, la résolution recommandait que le tribunal soit créé dans le cadre d’un traité multilatéral entre des États qui partagent les mêmes idées 
			(6) 
			Dans son
exposé des motifs, le rapporteur, tout en évoquant également la
possibilité de créer le tribunal par le biais d'un accord entre
l'Ukraine et une organisation internationale, par exemple le Conseil
de l'Europe, a exprimé une préférence pour l'option du «traité multilatéral». .
6. Dans sa Résolution 2482 (2023) «Questions juridiques et violations des droits de l’homme liées à l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine», l'Assemblée a expressément déclaré que les actes d'agression commis par la Fédération de Russie correspondent au seuil du crime d'agression défini dans le Statut de la Cour pénale internationale (CPI) (Article 8 bis). Étant donné que la CPI n'est pas compétente pour juger le crime d'agression en cours (en l'absence d’un renvoi par le Conseil de sécurité des Nations Unies et sachant que la Russie n'est pas un État partie au Statut de la CPI), l'Assemblée a réitéré son appel aux États membres et observateurs du Conseil de l'Europe pour qu'ils instituent un tribunal pénal international spécial pour le crime d'agression contre l'Ukraine, qui devrait être approuvé et soutenu par le plus grand nombre possible d'États et d'organisations internationales, et en particulier par l'Assemblée générale des Nations Unies. Elle a aussi demandé aux chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe, lors de leur 4e sommet, d’apporter leur soutien politique à la création d'un tel tribunal, et de fournir l’expertise et le soutien technique du Conseil de l’Europe au processus de sa création, en étroite coordination avec d’autres organisations internationales et États intéressés. Selon l'Assemblée, le Conseil de l'Europe devrait jouer un rôle actif et de premier plan dans la création du tribunal spécial et participer aux consultations et négociations pertinentes. La résolution présente les principales caractéristiques du tribunal spécial (compétence ratione materiae, ratione temporis, traitement de la question des immunités personnelles, liste des droits à un procès équitable, complémentarité avec la CPI, et siège). En ce qui concerne le type de tribunal (purement international ou hybride internationalisé) et son fondement juridique (traité multilatéral ou accord entre une organisation internationale et l'Ukraine), la résolution laisse ces questions en suspens. S’il se montre favorable à un modèle pleinement international, le rapporteur a estimé que la forme juridique finale de l’instrument devrait être décidée de manière pragmatique, en visant à associer le plus grand nombre d’États possible, idéalement représentatifs des différentes régions du monde.
7. En mai 2023, lors du Sommet de Reykjavik, les chefs d'État et de gouvernement ont reconnu le rôle joué par l'Assemblée en apportant une réponse solide à la guerre d'agression de la Russie. En ce qui concerne le tribunal spécial, ils ont salué les efforts internationaux visant à exiger des comptes aux dirigeants politiques et militaires de la Fédération de Russie pour sa guerre d’agression et les progrès en vue en vue de la création d’un tribunal spécial pour le crime d’agression. Conformément aux propositions de l’Assemblée, ils ont déclaré que le Conseil de l'Europe devrait participer, le cas échéant, aux consultations et négociations pertinentes et apporter une expertise et un soutien technique concrets au processus. Depuis lors, le secrétariat du Conseil de l'Europe (Direction du conseil juridique et du droit international public, DLAPIL) participe aux consultations tenues au sein du Core Group.
8. Plus récemment, dans la Résolution 2516 (2023) «Garantir une paix juste en Ukraine et une sécurité durable en Europe» (Commission des questions politiques et de la démocratie), l’Assemblée a demandé au Core Group de «parvenir à un accord sur la forme juridique [d’un tel mécanisme] dès que possible, en tenant compte de la nécessité de maximiser sa légitimité internationale et d’éviter autant que possible les éventuels problèmes juridiques, s’agissant en particulier de la possibilité que des suspects clés se prévalent d'une immunité personnelle ou fonctionnelle».
9. Lors de l’échange de vues que notre commission a tenu le 12 octobre 2023, James Goldston a noté qu’une juridiction purement internationale établie par l’Assemblée générale des Nations Unies, éventuellement par le biais d’un accord entre l’ONU et l’Ukraine, serait la meilleure solution. Ce modèle serait probablement celui qui aurait le plus de chances d'être reconnu comme juridiction internationale, ce qui faciliterait le refus des immunités personnelles et fonctionnelles des plus hauts responsables russes. Il a déclaré cependant que les États soutenant un modèle strictement international (y compris l’Ukraine et une grande partie de l’Europe orientale) sont de plus en plus minoritaires au sein du Core Group. D'autres modèles devraient donc être étudiés. Un modèle uniquement régional pourrait être créé par un accord entre l’Ukraine et l’Union européenne ou le Conseil de l’Europe. Ce modèle aurait également une certaine légitimité en tant que juridiction internationale, surtout s’il est approuvé par la plupart ou la totalité des États membres du Conseil de l’Europe. Un modèle multilatéral pourrait être créé par un traité multilatéral entre l’Ukraine et un ou plusieurs autres États. Sa légitimité en qualité de «juridiction internationale» dépendrait du nombre d'États qui ratifieraient le traité. Un modèle hybride internationalisé, soutenu par les États du G7, dont l’Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis, impliquerait une juridiction ancrée dans le système judiciaire ukrainien, mais composée de juges internationaux. Cela pourrait également soulever des problèmes, car la Constitution ukrainienne n'autorise pas les juges étrangers et interdit expressément la création de juridictions spéciales. En outre, le tribunal pourrait ne pas être en mesure de surmonter les immunités personnelles en raison de ses liens avec le système national ukrainien 
			(7) 
			Voir également: «<a href='https://www.justsecurity.org/85019/why-hybrid-ukrainian-tribunal-on-crime-of-aggression-is-not-the-answer/'>Why
a “Hybrid” Ukrainian Tribunal on the Crime of Aggression Is Not
the Answer» (justsecurity.org)</a>; «<a href='https://www.justsecurity.org/88373/making-counter-hegemonic-international-law-should-a-special-tribunal-for-aggression-be-international-or-hybrid/'>Making
Counter-Hegemonic International Law: Should A Special Tribunal for
Aggression be International or Hybrid?» (justsecurity.org)</a>; «<a href='https://www.justsecurity.org/84783/the-ukraine-war-and-the-crime-of-aggression-how-to-fill-the-gaps-in-the-international-legal-system/'>The
Ukraine War and the Crime of Aggression: How to Fill the Gaps in
the International Legal System» (justsecurity.org)</a>; voir cependant: «<a href='https://opiniojuris.org/2023/02/06/the-jordan-appeal-judgment-supports-a-hybrid-tribunal-denying-personal-immunity/'>The
Jordan Appeal Supports a Hybrid Tribunal Denying Personal Immunity»
- Opinio Juris</a>. . Selon M. Goldston, un compromis potentiel entre le modèle purement international et l’option hybride soutenue par le G7 serait un modèle internationalisé (hybride) hébergé dans un État tiers et non en Ukraine. Il semble que, bien que ce ne soit clairement pas son premier choix, l’Ukraine serait disposée à accepter ce modèle, à condition qu’il soit basé sur le système judiciaire d’un autre État et que ce système inspire confiance. Au sein du Core Group, le Service pour l’action extérieure de l’Union européenne a également proposé une «transmission de procédure» (une juridiction ukrainienne siégeant dans un autre pays, par exemple aux Pays-Bas).
10. Le 14 novembre 2023, en ma qualité de rapporteur, j'ai envoyé le message suivant aux pays du Core Group, en vue de leur réunion le 16 novembre à Berlin: «Pour maximiser la légitimité et l'autorité internationales du futur tribunal, et pour éviter les risques juridiques potentiels liés aux questions d'immunité personnelle et fonctionnelle de hauts fonctionnaires, le tribunal devrait être aussi international que possible – il devrait idéalement être mis en place par un accord entre l’ONU et l’Ukraine basé sur un vote majoritaire de l'Assemblée générale de l’ONU, ou par un traité multilatéral entre les pays du «Groupe restreint» [Core Group], approuvé par le plus grand nombre possible d’organes internationaux, y compris le Conseil de l'Europe, ou même sous la forme d’un tribunal ukrainien hybride fortement internationalisé, situé à La Haye et composé de juges et de procureurs ukrainiens et internationaux. Le Conseil de l'Europe pourrait apporter une contribution substantielle au futur tribunal. Il pourrait accueillir une conférence diplomatique pour négocier un traité multilatéral établissant le tribunal et mettre à disposition son savoir-faire juridique et son expérience en matière de négociation d’accords internationaux, avec la participation des États non-membres intéressés. Après l’adoption du traité, il pourrait faire office de dépositaire, de sorte qu’aucun État partie n’ait à se distinguer pour cette tâche. Le Conseil de l'Europe pourrait également contribuer à créer des synergies avec les mécanismes d'indemnisation, y compris le Registre des dommages nouvellement créé, et avec la Cour européenne des droits de l’homme».
11. Au cours des derniers mois, les participants au Core Group ont considéré qu’il serait intéressant d’étudier plus avant l’idée de créer un tribunal spécial dans le cadre d’un accord bilatéral entre l'Ukraine et le Conseil de l'Europe. Bien qu'aucune décision n'ait encore été prise et qu'une proposition alternative fondée sur un traité multilatéral indépendant continue d’être examinée, la solution d’un «accord bilatéral approuvé par le Conseil de l'Europe» semble gagner du terrain. La DLAPIL a examiné sa faisabilité juridique et ce à quoi pourraient ressembler un accord et un statut. Cette initiative s’inscrit également dans un contexte politique plus large dans lequel l'ONU et son Assemblée générale sont devenues moins disposées à agir dans ce domaine, en particulier depuis le déclenchement du conflit à Gaza. En outre, la solution centrée sur un traité multilatéral est considérée par certains comme une procédure plus complexe qui nécessite d’engager de nombreuses procédures de ratification par les parlements nationaux. Elle soulève également la question de la légitimité (combien faut-il d'États parties pour qu’un tribunal soit suffisamment international?).
12. Le 10 avril 2024, un séminaire sur le tribunal spécial s’est tenu en marge de la 66e réunion du CAHDI (Comité des Conseillers juridiques sur le droit international public) 
			(8) 
			Pour le texte intégral
de toutes les interventions, voir: <a href='https://www.coe.int/en/web/cahdi/seminar-on-the-special-tribunal-for-the-crime-of-aggression-against-ukraine'>Seminar
on the Special Tribunal for the Crime of Aggression against Ukraine
- Committee of Legal Advisers on Public International Law (coe.int)</a> [anglais uniquement].. Son titre était «Quel rôle pour des organisations régionales comme le Conseil de l'Europe?». Dans son discours liminaire, M. Claus Kreß a rappelé le rôle important de l'Assemblée (en particulier sa Résolution 2482 (2023) 
			(9) 
			Qu'il a
décrit comme «le document officiel le plus éclairé sur l’obligation
de rendre des comptes pour le crime d'agression contre l'Ukraine». ) et la capacité du Conseil de l'Europe à faire aboutir cette entreprise. Il a estimé que l’initiative ne devrait pas être considérée comme une solution européenne à ce qui est un défi mondial, mais devait être comprise dans le sens où «l'Europe place le Conseil de l'Europe au service de la communauté internationale dans son ensemble». À cet égard, il a vivement recommandé d’appliquer la définition du crime d'agression figurant à l'article 8 bis du Statut de la CPI au lieu de s'appuyer sur le droit pénal national de l'Ukraine, tout en critiquant l'idée de fonder la compétence du tribunal spécial sur un transfert de procédures nationales ukrainiennes. Il a également proposé, à des fins de légitimité internationale, que des juges non européens soient également élus au tribunal spécial et que son architecture institutionnelle soit approuvée à un moment donné par l'Assemblée générale des Nations Unies (conformément à la position de l'Assemblée). Mme Chiara Giorgetti a donné un aperçu du rôle des organisations régionales dans la recherche de la justice pénale internationale, en mettant l'accent en particulier sur trois exemples récents (les Chambres africaines extraordinaires instituées par un accord entre l'Union africaine et le Sénégal pour juger les crimes internationaux commis au Tchad; les Chambres spécialisées du Kosovo* 
			(10) 
			* Toute référence au
Kosovo, que ce soit le territoire, les institutions ou la population,
doit se comprendre en pleine conformité avec la Résolution 1244
du Conseil de sécurité des Nations Unies et sans préjuger du statut
du Kosovo. dans le cadre d'un accord entre le Kosovo et l'Union européenne; et un projet de cour hybride examiné par la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) et la Gambie). Elle a conclu que «la création d'un tribunal serait particulièrement appropriée dans le cadre du Conseil de l'Europe, une organisation régionale multilatérale composée de membres aussi nombreux que variés, ce qui conférerait également une grande légitimité au tribunal». Mme Anne Peters a fait remarquer que le Conseil de l'Europe avait le pouvoir de conclure des traités et qu'un tribunal qui cherche à établir la responsabilité du crime d'agression relève clairement du mandat de l’Organisation, dont le Statut (préambule) fait en effet référence à «la recherche d'une paix fondée sur la justice» et à l'État de droit. Enfin, le président de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, Lord Keen, a présenté la contribution de l'Assemblée à ce jour et a conclu que «s'il existe une volonté politique suffisante pour que le Conseil de l'Europe comble le vide laissé par d'autres organisations internationales et prenne l'initiative, il apparaît évident que l'Assemblée soutiendra cette démarche afin d’être cohérente avec ses positions antérieures, son soutien indéfectible à l'Ukraine et l'obligation de rendre des comptes».
13. Le 30 avril 2024, le Comité des Ministres a adopté à une écrasante majorité une décision autorisant la Secrétaire Générale «à préparer tous les documents nécessaires pour contribuer aux consultations au sein du Core Group sur un éventuel projet d'Accord entre le Conseil de l'Europe et le Gouvernement de l'Ukraine relatif à la création d'un Tribunal spécial pour le crime d'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, y compris son Statut, et sur un éventuel projet d'accord partiel élargi régissant les modalités de soutien d’un tel Tribunal, son financement et d'autres questions administratives» 
			(11) 
			<a href='https://search.coe.int/cm'>CM/Del/Dec(2024)1497/10.2</a>. La décision fait référence à l'article 15.c du Statut
du Conseil de l’Europe qui énonce que le Comité des Ministres «examine
(...) les mesures propres à réaliser le but du Conseil de l'Europe,
y compris la conclusion de conventions et d'accords».. S’il n’est pas possible à ce stade de préjuger du résultat des consultations du Core Group et de la décision finale du Comité des Ministres sur toute autre mesure, l'Assemblée devrait se féliciter vivement de cette décision, qui donne un mandat exprès à la Secrétaire Générale (et à la DLAPIL) et montre que les États membres sont très largement en faveur d'un rôle de plus en plus prépondérant du Conseil de l'Europe dans ce processus, y compris en créant éventuellement le tribunal dans son cadre institutionnel 
			(12) 
			Voir
les réactions à la décision: <a href='https://twitter.com/DmytroKuleba/status/1785336262531920160'>Dmytro
Kuleba on X: «I welcome today's decision by @coe's Committee of
Ministers on the Special Tribunal for the Crime of Aggression Against
Ukraine, and I thank all of its members who supported the move.
This significant decision directs the CoE Secretary General to prepare
the necessary documents» / X (twitter.com)</a>. , ce qui serait pleinement conforme aux aspirations précédemment exprimées par l'Assemblée.
14. Si le modèle de «l'accord bilatéral du Conseil de l'Europe» devait être retenu par le Core Group, il resterait un grand nombre de questions juridiques à traiter en détail dans le cadre des négociations de l'accord et du statut du tribunal. L'Assemblée devrait réitérer certaines des caractéristiques que le tribunal devrait présenter, qui ont déjà été mentionnées dans sa Résolution 2482 (2023) et qui sont toujours valables: définition du crime d'agression conformément à l'article 8 bis du Statut de la CPI et au droit international coutumier 
			(13) 
			J'ai
tendance à dire, en accord avec M. Kreß, que ce serait un indicateur
fort de la nature internationale du tribunal, même s'il était créé
sous les auspices d'une organisation régionale. M. Kreß soutient
de manière convaincante que la définition de la CPI «ne constitue
rien de moins que l'aboutissement d'un siècle de recherche visant
à définir le crime d'agression en droit international», et «reflète
un consensus international obtenu après un travail de négociation
minutieux auquel des États, qui ne sont pas encore parties au Statut
de la CPI, ont pris une part active, des États tels que la Chine, la
Russie et, à la fin des négociations, en particulier les États-Unis».
En ce qui concerne la définition ukrainienne du crime d'agression,
voir: «<a href='https://www.ejiltalk.org/are-you-a-leader-ukraines-supreme-court-clarifies-the-definition-of-the-crime-of-aggression/?utm_source=mailpoet&utm_medium=email&utm_campaign=ejil-talk-newsletter-post-title_2'>Are
You a Leader? Ukraine’s Supreme Court Clarifies the Definition of
the Crime of Aggression» – EJIL: Talk! (ejiltalk.org)</a>. ; compétence temporelle couvrant le conflit depuis le début de l'agression contre l'Ukraine en février 2014 
			(14) 
			L'un
des arguments utilisés pour limiter la compétence temporelle du
tribunal au 24 février 2022 est que l'Assemblée générale des Nations
Unies n'a qualifié d'acte d'agression que l'invasion à grande échelle
commencée à cette date. Il faut cependant garder à l'esprit que
l'Assemblée a toujours soutenu dans ses résolutions que l'agression
avait commencé le 20 février 2014 avec l'invasion, l'occupation
et l'annexion illégale de la Crimée. ; compétence personnelle couvrant également le rôle et la complicité des dirigeants bélarussiens 
			(15) 
			Voir
également la Résolution 2530 (2024) «Un avenir démocratique pour
le Bélarus», paragraphe 11.4. ; siège à La Haye; droits de l'accusé, conformément à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et complémentarité avec la CPI, qui a compétence pour d'autres crimes internationaux commis en Ukraine. La question de savoir si certains de ces éléments devraient être réglementés dans l'accord lui-même ou dans le statut du futur tribunal (annexé à l'accord) ne semble pas fondamentale à ce stade.
15. En ce qui concerne la question délicate des immunités, certains soutiennent que les immunités personnelles s'appliqueraient en tout état de cause à la Troïka (chef d'État, chef de gouvernement et ministre des Affaires étrangères en exercice), quel que soit le modèle choisi (traité multilatéral autonome ou accord bilatéral entre une organisation régionale et l'Ukraine). Je considère qu’il s’agit d’une interprétation très restrictive de la jurisprudence et de la pratique internationales. L'Assemblée devrait continuer à soutenir la position selon laquelle: «les immunités personnelles ne s'appliqueront pas aux représentants de l'État en exercice, conformément à la pratique d'autres tribunaux pénaux internationaux, et (...) les immunités de fonction ne seront, en tout état de cause, pas applicables au crime d'agression» (Résolution 2482 (2023), paragraphe 7.3 et exposé des motifs, paragraphes 26-27). Nous devrions considérer qu'un tribunal qui serait institué par un accord entre une organisation régionale telle que le Conseil de l'Europe (représentant 46 États) et l'Ukraine, qui comprendrait des juges internationaux (également d'États non européens), qui bénéficierait du soutien et des contributions financières d'États non membres et d'autres organisations internationales (y compris les États observateurs et l'Union européenne dans le cadre d'un accord partiel élargi qui soutiendrait le tribunal spécial), et qui s’appuierait sur une définition internationale du crime d'agression, serait clairement considéré comme un tribunal pénal suffisamment «international». Le tribunal spécial n'agirait pas uniquement au nom de l'Ukraine ou des États membres du Conseil de l'Europe, mais au nom de la communauté internationale dans son ensemble, afin de faire respecter l'ordre juridique international et l'interdiction du recours à la force énoncée à l'article 2.4 de la Charte des Nations Unies. Avec un tel statut et en appliquant les précédents de la CPI 
			(16) 
			CPI, Le Procureur c. Omar Hassan Ahmad Al Bashir, arrêt
du 6 mai 2019, Chambre d'appel, paragraphes 113 et 115. et du Tribunal spécial pour la Sierra Leone 
			(17) 
			Tribunal spécial pour
la Sierra Leone, Le Procureur contre
Charles Ghankay Taylor, «Décision sur l'immunité de juridiction»,
Chambre d'appel, 31 mai 2004, paragraphes 52-53. En rendant sa conclusion,
la Chambre d'appel a précisé que «le Tribunal spécial n'est pas
un tribunal national de la Sierra Leone et ne fait pas partie du
système judiciaire de la Sierra Leone qui exerce les pouvoirs judiciaires
de la Sierra Leone» (paragraphe 40)., les immunités personnelles de la Troïka ne seraient pas applicables et ne constitueraient pas un obstacle aux poursuites 
			(18) 
			Voir également: <a href='https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2022/702574/EXPO_IDA(2022)702574_EN.pdf'>www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2022/702574/EXPO_IDA(2022)702574_EN.pdf</a>, 9 décembre 2022, pages 25-29 [anglais uniquement].. En tout état de cause, compte tenu de l'absence d'unanimité sur la question des immunités parmi les éventuels partisans du tribunal, je suis d'avis que la meilleure solution serait de ne pas traiter cette question expressément dans le statut mais de la laisser à l'interprétation des juges du futur tribunal, comme l'a soutenu Philippe Sands 
			(19) 
			<a href='https://www.youtube.com/watch?v=VL3j7J0wtd8'>London -
Conference on Special Tribunal for the crime of aggression against
Ukraine - YouTube</a>, 1er février 2024..
16. Certains ont avancé que la question des immunités personnelles de la Troïka n'était pas si essentielle car il est très peu probable que Vladimir Poutine ou Sergueï Lavrov soient arrêtés et poursuivis tant qu'ils sont encore en fonction. J’ai tendance à ne pas partager ce point de vue. Le tribunal spécial devrait avoir compétence dès le départ sur les dirigeants politiques et militaires qui ont mené la guerre d'agression contre l'Ukraine. Cela inclurait le pouvoir d'enquêter, d'émettre des mandats d'arrêt, d'inculper, de juger et enfin de condamner. En admettant que les procès par contumace ne soient pas acceptés dans le futur statut (conformément aux précédents d'autres tribunaux pénaux internationaux 
			(20) 
			Seul le Tribunal spécial
pour le Liban a autorisé expressément les procès par contumace. et aux traditions juridiques de certains États membres), on pourrait envisager un modèle nuancé de procédure par contumace devant une chambre préliminaire, où une audience de confirmation des chefs d’accusation pourrait avoir lieu en l'absence du suspect, avec présentation de preuves, audition de témoins, de victimes, etc. Il pourrait s’agir d’un modèle similaire à celui de l'article 61.2 b) du Statut de la CPI, qui permet des audiences de confirmation in absentia lorsque le suspect a fui ou ne peut être retrouvé, et que toutes les mesures raisonnables ont été prises pour assurer sa comparution 
			(21) 
			Voir ICC-02/04-01/05-466, <a href='https://www.icc-cpi.int/court-record/icc-02/04-01/05-466'>Le
Procureur c. Joseph Kony</a>, 23 novembre 2023,
Chambre préliminaire II. Voir à cet égard la contribution de Vincent
de Graaf au séminaire du CAHDI «État des lieux des discussions au
sein du Core Group. Groupe de travail sur la coopération», tenu
le 10 avril 2024 [anglais uniquement].. Les mandats d'arrêt délivrés par le futur tribunal à l'encontre de Poutine et d'autres dirigeants pourraient avoir d'autres effets délégitimants et dissuasifs que la limitation plus concrète de leur liberté de mouvement 
			(22) 
			«<a href='https://www.aljazeera.com/news/2023/7/19/south-africa-putin-to-miss-brics-summit-by-mutual-agreement'>Putin
to miss BRICS summit by mutual agreement, South Africa says» | News
| Al Jazeera</a> (suite au mandat d'arrêt de la CPI à son encontre) [anglais
uniquement]. . L'avancement des enquêtes et des procédures in absentia jusqu'au stade du procès pourrait également servir à l'établissement de la vérité, par l’évaluation des preuves pendant qu'elles sont encore fraîches, ainsi qu'aux intérêts des victimes de l'agression (en premier lieu l'État et le peuple ukrainiens) et, enfin et surtout, à des fins de dissuasion.
17. Il convient également de rappeler que l'Assemblée ne reconnaît plus la légitimité de Vladimir Poutine en qualité de président de la Fédération de Russie, étant donné que la suppression des limites du mandat présidentiel à son profit a violé non seulement les principes juridiques internationaux bien établis, mais aussi la Constitution russe elle-même (Résolution 2519 (2023), fondée sur les conclusions de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise). Elle a donc appelé les États membres à ne plus reconnaître Vladimir Poutine comme président légitime de la Fédération de Russie après la fin de son précédent mandat présidentiel, à la suite de l'élection fictive de mars 2024 
			(23) 
			<a href='https://pace.coe.int/fr/news/9402/presidential-election-in-russia-let-s-not-recognise-putin-s-legitimacy-as-president-pace-president-says'>Élection
présidentielle en Russie: «Ne reconnaissons pas la légitimité de
Poutine en tant que président», déclare le Président de l'APCE (coe.int)</a>.. De même, en ce qui concerne le Bélarus, l'Assemblée refuse de reconnaître les résultats des élections de 2020 et considère M. Loukashenka comme un président autoproclamé de fait (Résolution 2519 (2023). Bien que le présent rapport n'ait pas pour objet d'examiner les conséquences juridiques de ces considérations, y compris pour la reconnaissance des immunités de MM. Poutine et Loukachenka en vertu du droit international, l'Assemblée pourrait inviter le Comité des Ministres, la communauté internationale et le futur tribunal spécial à approfondir ces questions.
18. En tout état de cause et à ce stade, l'Assemblée devrait soutenir fermement les consultations au sein du Core Group en vue de trouver un compromis final sur le modèle de tribunal spécial dans les meilleurs délais, tout en marquant sa nette préférence pour l'option fondée sur un accord bilatéral du Conseil de l'Europe. Comme l'ont montré avec éloquence les experts lors du séminaire du CAHDI, le Conseil de l'Europe est particulièrement bien placé pour mettre en place un tribunal spécial pour le crime d'agression contre l'Ukraine. L’obligation de rendre des comptes pour les violations du droit international et les crimes internationaux commis en Ukraine et contre ce pays relève manifestement du mandat de l'Organisation, tel qu'il ressort de son Statut (et de son préambule): «la consolidation de la paix fondée sur la justice et la coopération internationale», la protection de l'État de droit et le respect des droits humains. La protection de l'État de droit (y compris l'ordre juridique international) et des droits fondamentaux des citoyens ukrainiens justifie l'action du Conseil de l'Europe tendant à veiller à ce que le «crime international suprême», à savoir le crime d'agression, ne reste pas impuni. Le Conseil de l'Europe agirait au nom de la communauté internationale et comblerait ainsi un vide dans l'ordre juridique international. Nous ne devons pas oublier que lorsqu’elle a commencé son agression contre l'Ukraine en 2014 et qu'elle a lancé son invasion à grande échelle en 2022, la Fédération de Russie était encore un État membre du Conseil de l'Europe. Cela justifie d'autant plus la compétence du Conseil de l'Europe pour agir afin que justice soit rendue pour un tel crime, qui a été et est encore commis contre l'un de ses États membres par un ancien État membre. Cette mesure sans précédent pour le Conseil de l'Europe serait conforme à la priorité que les chefs d'État et de gouvernement ont accordée à l’obligation de rendre des comptes lors du Sommet de Reykjavík 
			(24) 
			Voir aussi: <a href='https://pace.coe.int/fr/news/9374/russia-s-full-scale-aggression-against-ukraine-two-years-on-council-of-europe-leaders-reiterate-support-and-solidarity'>«Agression
à grande échelle de la Russie contre l'Ukraine: deux ans après,
les dirigeants du Conseil de l'Europe réitèrent leur soutien et
leur solidarité» (coe.int)</a>; <a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectID=0900001680ae974c'>CM/Del/Dec(2024)1490/2.3.</a>, Conséquences de l'agression de la Fédération de Russie
contre l'Ukraine, 21 et 23 février 2024. . Elle confirmerait également que l'Organisation a la volonté et la capacité d'innover et de relever les défis juridiques posés par l'agression russe, comme le montre déjà la création d'un Registre des dommages pour l'Ukraine dans le cadre d'un accord partiel élargi. Le temps presse car certains faits nouveaux politiques ont lieu en 2024 (élections au Parlement européen, élections américaines). Il existe un risque que la décision à prendre sur le modèle du tribunal ou sur les questions juridiques en suspens connaisse de nouveaux retards et entraînent un ralentissement de la dynamique 
			(25) 
			«<a href='https://www.passblue.com/2024/02/21/ukraine-warns-the-world-its-now-or-never-for-prosecuting-putin/'>Ukraine
Warns the World: It's Now or Never for Prosecuting Putin» - PassBlue</a> [anglais uniquement]. . L'option du Conseil de l'Europe repose sur un fondement juridique solide et une forte légitimité, il ne manque plus que la volonté politique de saisir l'occasion et de la concrétiser.
19. Enfin, l'Assemblée devrait réitérer son appel lancé aux États membres et observateurs pour qu'ils renforcent le système de justice pénale internationale existant, sa légitimité et son universalité. Il est donc essentiel, parallèlement à la création d’un tribunal spécial, de soutenir et de faire progresser la modification du statut de la CPI, dans le but d'harmoniser le régime juridictionnel du crime d'agression avec celui des autres crimes internationaux. Il est également essentiel d'exhorter tous les États membres et observateurs, y compris l'Ukraine, à ratifier le Statut de la CPI et les amendements de Kampala 
			(26) 
			«<a href='https://www.justsecurity.org/94104/prosecuting-aggression-ukraine-and-beyond/'>Prosecuting
the Crime of Aggression in Ukraine and Beyond» (justsecurity.org) </a>[anglais uniquement].. Je note avec intérêt que depuis notre appel de l'année dernière, plusieurs propositions ont été faites dans le sens d'une modification du Statut de la CPI, y compris par des parlementaires et des fonctionnaires de haut rang 
			(27) 
			«<a href='https://www.pgaction.org/news/proposal-to-amend-kampala-amendment-crime-of-aggression.html'>Proposal
to Amend the Rome Statute Kampala Amendment on the Crime of Aggression»
- News Center (pgaction.org)</a>; «<a href='https://www.auswaertiges-amt.de/en/newsroom/news/strengthening-international-law-in-times-of-crisis/2573492'>Strengthening
International Law in Times of Crisis - Speech by Federal Foreign
Minister Annalena Baerbock in The Hague» - Federal Foreign Office
(auswaertiges-amt.de)</a>; «<a href='https://www.justsecurity.org/84949/ending-selective-justice-for-the-international-crime-of-aggression/'>Ending
Selective Justice for the International Crime of Aggression» (justsecurity.org)</a>; «<a href='https://opiniojuris.org/2023/10/02/amending-the-kampala-amendments-a-proposal-to-harmonize-the-iccs-jurisdiction/'>Amending
the Kampala Amendments: A Proposal to Harmonize the ICC’s Jurisdiction»
- Opinio Juris</a> [anglais uniquement]..

3. Autres crimes internationaux (crimes de guerre, crimes contre l'humanité et possible génocide) et violations des droits humains commis dans le cadre de l'agression

3.1. Allégations de crimes internationaux et de violations des droits humains

20. L'Assemblée devrait à nouveau condamner tous les autres crimes internationaux commis dans le cadre de la guerre d'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, y compris les mauvais traitements, voire l'exécution de prisonniers de guerre, l'utilisation d'armes chimiques, les attaques illégales contre des civils et du personnel humanitaire et médical, ainsi que contre des biens civils tels que des installations médicales, des écoles, des centrales électriques, des infrastructures et des sites du patrimoine culturel; l'enlèvement et la détention illégale, les disparitions forcées, la torture, les mauvais traitements et les exécutions extrajudiciaires de citoyens ukrainiens en Fédération de Russie et dans les territoires temporairement occupés ou contrôlés par la Russie; le transfert illégal d'enfants ukrainiens dans ces territoires et/ou leur déportation vers la Russie ou le Bélarus; toutes les formes de violence sexuelle et de crimes fondés sur le genre liés au conflit; et les attaques illégales causant des dommages étendus, à long terme et graves à l'environnement. Je n'oublierai jamais la visite que j’ai effectuée dans les banlieues de Kiev, à Boutcha et Irpine, en qualité de membre de la sous-commission ad hoc chargée de visiter l’Ukraine 
			(28) 
			Sous-commission ad hoc de la commission juridique
et des droits de l’homme chargée d’effectuer une visite d’information
en Ukraine afin de recueillir des informations sur d’éventuels crimes
de guerre et crimes contre l’humanité commis pendant la guerre d’agression
lancée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine. en juin 2022, peu après que les occupants russes aient été chassés de la région de Kiev 
			(29) 
			Voir
le <a href='https://assembly.coe.int/LifeRay/JUR/Pdf/DocsAndDecs/2022/AS-JUR-2022-27-FR.pdf'>rapport
de la sous-commission </a>ad hoc.. Ce que nous avons vu et entendu personnellement est tout simplement horrible.
21. Depuis l'adoption du rapport de M. Cottier en janvier 2023, de nombreux rapports internationaux font état de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de violations des droits humains qui semblent avoir été commis par les forces russes au cours de la guerre d'agression en cours. Par exemple, le rapport du Mécanisme de Moscou de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) publié le 24 mai 2023 et intitulé «Rapport sur les violations et les abus du droit international humanitaire et des droits de l'homme, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, liés au transfert forcé et/ou à la déportation d'enfants ukrainiens vers la Fédération de Russie», a conclu qu'un grand nombre d'enfants ukrainiens ont été, depuis le 24 février 2022, déplacés du territoire de l'Ukraine vers les territoires temporairement occupés et vers le territoire de la Fédération de Russie 
			(30) 
			OSCE, <a href='https://www.osce.org/odihr/542751'>Moscow
Mechanism «Report on Violations and Abuses of International Humanitarian
and Human Rights Law, War Crimes and Crimes Against Humanity, related
to the Forcible Transfer and/or Deportation of Ukrainian Children to
the Russian Federation</a>», 24 mai 2023, pages 76-78 [anglais uniquement].. Placés dans diverses institutions, dans des familles russes ou adoptés, les enfants ukrainiens sont exposés à des campagnes de propagande pro-russe qui s'apparentent à une rééducation ciblée. Le rapport a également établi qu'aucun mécanisme fonctionnel facilitant le regroupement familial n'a été mis en place. Les pratiques d'évacuation, de transfert et de déplacement prolongé non consentis d'enfants ukrainiens constituent des violations du droit international humanitaire et, dans certains cas, des infractions graves à la quatrième Convention de Genève et des crimes de guerre, voire des crimes contre l'humanité 
			(31) 
			Voir l'article 49 (transferts
forcés ou déportations), l'article 50(2) (modification du statut
personnel des enfants) de la quatrième Convention de Genève et l'article
7(1)(d) du Statut de Rome (déportation ou transfert forcé de population).. Elles violent également de nombreuses dispositions de la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant 
			(32) 
			Voir également les
résolutions de l'Assemblée sur les enfants ukrainiens: Résolution
2529 (2024) «La situation des enfants d'Ukraine» et Résolution 2495
(2023) «Déportations et transferts forcés d'enfants et d'autres
civils ukrainiens vers la Fédération de Russie ou les territoires
ukrainiens temporairement occupés: créer les conditions de leur
retour en toute sécurité, mettre fin à ces crimes et sanctionner
leurs auteurs». .
22. Le 4 octobre 2023, la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe a présenté au Comité des Ministres un rapport sur la situation des droits humains en République autonome de Crimée et dans la ville de Sébastopol depuis le début de l’invasion à grande échelle 
			(33) 
			<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680ac6e0f'>SG/Inf(2023)29,
«Situation des droits humains en République autonome de Crimée et
dans la ville de Sébastopol, Ukraine»</a>, 31 août 2023.. Le rapport souligne que, même si la péninsule n’a pas été le théâtre d’hostilités à grande échelle au cours de l’année passée, les forces russes ont largement exploité la Crimée pour leur offensive terrestre ainsi que pour mener de nombreuses attaques aériennes, notamment à l’aide de la flotte de la mer Noire, dont le quartier général se situe à Sébastopol. L'effort militaire russe s'est également appuyé sur la conscription et l’enrôlement militaire illégal de la population de la péninsule, sur ses capacités logistiques et sanitaires, ainsi que sur l’exploitation d’autres ressources du territoire temporairement occupé. En outre, il apparait que nombre des pratiques abusives en matière de droits humains et de violations ont été reconduites et amplifiées dans les territoires occupés illégalement et temporairement depuis 2022 des régions de Donetsk, Kherson, Louhansk et Zaporijjia. Le Comité des Ministres a donc invité la Secrétaire Générale à examiner plus avant la situation des droits humains dans tous les territoires de l’Ukraine temporairement contrôlés ou occupés par la Fédération de Russie, et a encouragé la Commissaire aux droits de l’homme à faire de même 
			(34) 
			Comité
des Ministres, 1477e réunion, <a href='https://search.coe.int/cm/pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680accd66'>Décisions
CM/Del/Dec(2023)1477/2.4</a>, 4 octobre 2023. Le nouveau Commissaire aux droits de
l'homme du Conseil de l'Europe a effectué sa première visite en
Ukraine en avril 2024: «<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/human-rights-commissioner-o-flaherty-calls-for-stronger-support-to-ukraine'>Le Commissaire
aux droits de l'homme O’Flaherty appelle au renforcement du soutien
à l'Ukraine» - Commissaire aux droits de l'homme (coe.int).</a>.
23. La Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a effectué une visite officielle en Ukraine entre le 4 et le 10 septembre 2023 et a publié un rapport le 15 février 2024. Le document fait état d'allégations crédibles de torture et de traitements inhumains infligés à des civils ukrainiens et à des prisonniers de guerre par les forces armées de la Fédération de Russie, voire par d'autres acteurs soutenant la guerre russe. Il s’agit de traitements tels que l'envoi de décharges électriques sur les oreilles et les parties génitales, l'utilisation de chiens, des simulacres d'exécution et des «cérémonies d'humiliation» au cours desquelles les détenus étaient obligés de courir tout en étant battus. Le rapport mentionne également des conditions de détention abusives et des allégations de torture sexuelle à l'encontre d'hommes et de femmes. Sur la base d'entretiens et d'autres documents, la rapporteuse a constaté «une situation répétitive et continue dans laquelle la torture et d'autres mauvais traitements ou punitions ont été pratiqués de manière organisée et systématique, dans le cadre d'une politique élaborée à un niveau hiérarchique plus élevé» 
			(35) 
			Conseil des droits
de l’homme, Visite en Ukraine: Rapport de la Rapporteuse spéciale
des Nations Unies sur la torture ou autre peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants, 15 février 2024, A/HRC/55/52/Add.1, paragraphes
34-50. Le rapport aborde également les conditions de détention et
le traitement des prisonniers de guerre russes et des collaborateurs
présumés détenus en Ukraine. .
24. La Commission internationale indépendante d'enquête sur l'Ukraine, dont le mandat a été prorogé par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies pour une nouvelle période d'un an en avril 2024, a publié son dernier rapport le 15 mars 2024, détaillant les violations continues du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme 
			(36) 
			Conseil
des droits de l’homme de l’ONU, <a href='https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/hrbodies/hrcouncil/coiukraine/a-hrc-55-66-auv-en.pdf'>«Report
of the Independent International Commission of Inquiry on Ukraine»</a>, Doc. A/HR/55/66, 15 mars 2024 [anglais uniquement].. La commission a trouvé d'autres preuves montrant que, dans le cadre de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine, les autorités russes ont commis un large éventail de violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, y compris des crimes de guerre. Il s'agit notamment d’attaques aveugles contre des civils et des biens de caractère civil, des établissements médicaux et des biens culturels, en violation du droit international humanitaire, et de crimes de guerre que sont la torture, l'homicide volontaire, le viol et les violences sexuelles, ainsi que le transfert forcé d'enfants. Ces pratiques violent également le droit international des droits de l’homme. Les preuves recueillies ont renforcé les conclusions de la Commission selon lesquelles les autorités russes ont eu recours à la torture de prisonniers de guerre et de civils ukrainiens de manière généralisée et systématique. La Commission a fourni dans ce rapport une première évaluation de l'impact des violents combats et du siège de la ville de Marioupol au début de l'invasion à grande échelle (du 1er mars au 20 mai 2022), qui ont causé un grand nombre de morts, de blessés, de destruction et des souffrances insupportables. Les habitants de la ville de Marioupol ont décrit un manque d'accès aux produits de première nécessité, ainsi que des attaques à l'aide d'armes explosives et des frappes aériennes sur des zones peuplées, entraînant la destruction de bâtiments, de maisons et d'installations médicales. La Commission a conclu que les attaques contre les installations médicales étaient aveugles et constituaient des crimes de guerre 
			(37) 
			Articles 51(4)-(5)
et 85(3)(b) du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève.. Elle continuera d'enquêter pour déterminer si la conduite des hostilités et le siège de Marioupol, ainsi que le recours généralisé à la torture, peuvent également constituer des crimes contre l'humanité. En ce qui concerne le génocide, la commission a examiné les allégations selon lesquelles les discours véhiculés par les médias d'État russes et d'autres médias constituent une incitation directe et publique à commettre un génocide. Tout en recommandant la poursuite des enquêtes sur cette question, elle a exprimé des préoccupations particulières concernant les déclarations d'individus soutenant l'invasion et appelant au meurtre d'un grand nombre de personnes.
25. Le Haut-Commissariat aux droits de l'homme (HCDH) a récemment publié un rapport consacré à la situation des droits humains pendant l'occupation russe du territoire de l'Ukraine et ses conséquences, du 24 février 2022 au 31 décembre 2023, sur la base des travaux de la Mission de surveillance des droits de l'homme des Nations Unies en Ukraine 
			(38) 
			UN,
OHCHR Ukraine, «<a href='https://www.ohchr.org/en/documents/country-reports/human-rights-situation-during-russian-occupation-territory-ukraine-and'>Human
rights situation during the Russian occupation of territory of Ukraine
and its aftermath</a>», 20 mars 2024 [anglais uniquement].. Le rapport décrit les violations persistantes du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par la Fédération de Russie dans les territoires occupés. Il met l’accent sur le territoire de l'Ukraine qui est tombé sous l'occupation russe après l'invasion à grande échelle, en particulier des zones des régions de Donetsk, Kharkiv, Kherson, Louhansk, Mikolaïv et Zaporijjia. Le rapport fait état d'un démantèlement systématique des droits et libertés fondamentaux, de mesures intersectorielles visant à étouffer la dissidence, de la subversion des systèmes ukrainiens de gouvernance, d'administration, de justice et d'éducation, de l'imposition de systèmes et de cadres juridiques russes et de la suppression des expressions de la culture et de l'identité ukrainiennes. Les forces armées russes ont procédé à de nombreuses détentions arbitraires, y compris des disparitions forcées, au cours des premiers mois d'occupation. Elles ont d’abord visé les vétérans des forces armées ukrainiennes, puis les personnes soupçonnées d'avoir des liens avec les services de sécurité ukrainiens et leurs familles. Cette pratique s'est ensuite étendue à différentes catégories de civils qu’elles considéraient comme opposés à l'occupation. Pendant leur détention, de nombreux détenus ont subi des tortures ou des mauvais traitements (passages à tabac, coups de pied, simulacres d'exécutions, simulacres de noyade et décharges électriques) et ont été maintenus dans des conditions de détention inhumaines (cellules surpeuplées, manque de soins médicaux, températures extrêmes). La mission a également répertorié des violences sexuelles liées au conflit dans les zones occupées et commises en détention, notamment des pratiques telles que le viol, le viol collectif, les menaces de viol, les mutilations génitales, les coups et les chocs électriques sur les parties génitales et les seins, la nudité forcée et les attouchements sexuels. Le rapport mentionne le pillage généralisé de biens privés ainsi que d’équipements appartenant à des établissements éducatifs et médicaux. Les forces russes ont fréquemment procédé à des fouilles de personnes et des perquisitions au cours desquelles elles ont commis des actes de violence physique et infligé des traitements dégradants tels que les insultes, le déshabillage forcé, les menaces et la destruction de biens. Le nombre élevé de ces actes a fait régner un climat de terreur pour les résidents et créé une atmosphère d'impunité généralisée. Au 31 décembre 2023, les autorités russes n'avaient ouvert d’enquête pénale que dans quatre cas d'allégations d’actes répréhensibles. La Fédération de Russie a adopté en juin 2023 une loi qui amnistie de fait les militaires russes pour un large éventail de crimes, notamment des violations flagrantes du droit international des droits de l’homme ou des violations graves du droit international humanitaire. La quatrième Convention de Genève exige que la puissance occupante minimise les changements apportés au statu quo ante 
			(39) 
			Articles 27 à 34 et
articles 47 à 78 de la quatrième Convention de Genève. mais le rapport révèle de nombreuses violations de ses dispositions. Il s’agit notamment de l'imposition de systèmes russes de gouvernance et d'administration qui obligent les fonctionnaires à continuer à occuper des postes clés et à faire allégeance aux institutions russes, et de l'application du droit russe, qui touche toutes les sphères de la vie politique, sociale, culturelle et économique. À la suite de l'annexion illégale des zones occupées, la Fédération de Russie a intensifié les pressions exercées sur les résidents locaux pour qu'ils obtiennent des passeports russes. Elle a également discriminé les personnes qui n'en sont pas titulaires en leur refusant l'accès aux soins de santé et à l'aide humanitaire, la liberté de mouvement ou le paiement des salaires. Le rapport décrit également comment le système russe a cherché à supprimer les expressions de la culture et de l'identité ukrainiennes en appliquant des politiques qui visent les enfants (par exemple, les enfants étudient en langue russe en suivant un programme scolaire russe imposé qui comporte des récits justifiant l'agression). La mission a recensé des violations liées à l'enrôlement d'enfants et à l'utilisation de groupes de jeunes russes dans lesquels ils apprennent le patriotisme russe et sont préparés à servir dans les forces armées russes 
			(40) 
			Article 50 de la quatrième
Convention de Genève.. D'importants mouvements de population, notamment la fuite ou l'évacuation de civils ukrainiens des zones touchées par les hostilités et le transfert forcé ou la déportation de personnes protégées par les autorités russes, ont entraîné des changements démographiques considérables dans les territoires occupés de l'Ukraine.
26. Dans son dernier rapport actualisé sur la situation en Ukraine (1 décembre 2023-29 février 2024), le HCDH a signalé une augmentation du nombre de victimes civiles causée par une intensification des attaques lancées par les forces armées russes qui ont utilisé des missiles et des munitions téléopérées au cours de cette période. Au moins 128 civils ont été tués et 584 blessés 
			(41) 
			HCDH, <a href='https://reliefweb.int/report/ukraine/report-human-rights-situation-ukraine-1-december-2023-29-february-2024-enuk'>«Report
on the human rights situation in Ukraine», 1 December 2023 – 29
February 2024</a>, 26 mars 2024 [anglais uniquement].. Dans la ville de Kharkiv, l'une des localités les plus ciblés, le HCDH a recensé des attaques qui ont frappé des zones résidentielles, des internats, différents hôtels ainsi que des établissements d'enseignement et de soins de santé. Depuis le début de l'attaque armée à grande échelle lancée le 24 février 2022, le HCDH a estimé, preuves à l’appui, que le conflit avait tué au moins 10 675 civils et en avait blessé 20 080 
			(42) 
			Les chiffres
réels sont probablement beaucoup plus élevés, car les victimes civiles
que le HCDH n'a pas été en mesure de vérifier ne sont pas incluses. . Le rapport fait également état de violations des dispositions relatives au traitement des prisonniers de guerre. Les prisonniers de guerre ont continué à subir des tortures et des mauvais traitements courants et généralisés (passages à tabac, décharges électriques, menaces d'exécution, simulacres d'exécution, torture positionnelle, privation de sommeil) et ont été détenus dans de mauvaises conditions (manque de nourriture, accès limité à l'assistance médicale, manque d'articles d'hygiène personnelle de base, propagation de maladies). Certains prisonniers de guerre ont subi des violences sexuelles pendant leur détention, notamment des tentatives de viol, des menaces de viol et de castration, et des décharges électriques sur les parties génitales. Le HCDH a reçu des informations selon lesquelles 32 prisonniers ukrainiens qui avaient été capturés ont été sommairement exécutés. Il a vérifié trois de ces incidents au cours desquels des militaires russes ont exécuté sept militaires ukrainiens hors de combat. Dans les territoires occupés, les autorités russes ont continué à imposer les systèmes politiques, juridiques et administratifs russes en violation des obligations qui leur incombent, en qualité de puissance occupante, en matière de droit international humanitaire. Contrairement à l'interdiction de contraindre les habitants à prêter un serment d'allégeance à la puissance occupante, les autorités russes ont systématiquement exercé des pressions sur les résidents pour qu'ils acquièrent la nationalité et les passeports de la Fédération de Russie et qu'ils s'engagent dans d'autres activités «patriotiques» pour démontrer leur loyauté. Le HCDH a fait part de ses préoccupations au sujet d’un projet de loi déposé en Ukraine qui prévoirait la possibilité d'être déchu de la nationalité ukrainienne en cas d'acquisition volontaire de la nationalité d'un «État agresseur» 
			(43) 
			Ukraine, projet de
loi n° 10425 relatif à certaines questions qui se posent dans le
domaine de la migration concernant les motifs et les procédures
d'acquisition et de perte de nationalité. . Étant donné que de nombreuses personnes vivant dans les territoires occupés ont acquis la nationalité russe sous la contrainte des autorités d'occupation ou par peur, le HCDH a fait remarquer que cette acquisition de nationalité ne devait pas être considérée comme une «acquisition volontaire».
27. Les allégations selon lesquelles la Fédération de Russie et ses représentants commettent un génocide en Ukraine ont continué d'être formulées, principalement par des dirigeants politiques et des parlements nationaux 
			(44) 
			Ukraine,
Lettonie, Lituanie, Estonie, Pologne (Sejm), Canada (chambre basse). . Comme indiqué plus haut, la commission d'enquête internationale indépendante des Nations Unies s'est déclarée préoccupée par le discours des médias russes, qui pourrait constituer une incitation au génocide, et continuera d'examiner cette question.
28. L'Assemblée parlementaire a exprimé des préoccupations similaires. Dans sa Résolution 2482 (2023) «Questions juridiques et violations des droits de l'homme liées à l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine», elle a souligné que le discours officiel russe utilisé pour justifier l'agression contre l'Ukraine et défendre le processus dit de «désukrainisation» révèle une intention génocidaire de détruire le groupe national ukrainien en tant que tel ou au moins une partie de celui-ci au sens de la Convention sur le génocide de 1948. Elle a noté également que certains des actes commis par les forces russes contre les civils ukrainiens pourraient relever de l’article II de la Convention sur le génocide (à laquelle l’Ukraine et la Fédération de Russie sont toutes deux parties), notamment les meurtres et le transfert forcé d’enfants à des fins de russification.
29. De même, dans sa Résolution 2495 (2023) «Déportations et transferts forcés d’enfants et d’autres civils ukrainiens vers la Fédération de Russie ou les territoires ukrainiens temporairement occupés: créer les conditions de leur retour en toute sécurité, mettre fin à ces crimes et sanctionner leurs auteurs», l’Assemblée a approfondi ces questions en défendant la nécessité de recueillir, d’enregistrer et d’évaluer de façon méticuleuse les preuves du crime de génocide. En outre, elle a invité la Cour pénale internationale à examiner les possibilités d’engager une action pénale pour crime de génocide contre la politique d’État de la Fédération de Russie à l’égard des enfants ukrainiens 
			(45) 
			Voir
aussi les commentaires de l'Ukraine au Mécanisme de Moscou de l’OSCE: <a href='https://www.osce.org/odihr/542751'>«Report
on Violations and Abuses of International Humanitarian and Human
Rights Law, War Crimes and Crimes Against Humanity, related to the
Forcible Transfer and/or Deportation of Ukrainian Children to the
Russian Federation</a>», dans le sens où le transfert forcé ou la déportation
d'enfants ukrainiens vers le groupe national russe peut également
constituer un génocide [anglais uniquement]. .
30. L'édition actualisée du rapport 2022 produit par New Lines Institute et le Centre Raoul Wallenberg pour les droits de l'homme (mentionné dans le rapport de M. Cottier), a été publiée en juillet 2023. Ce document établit qu'il existe: 1) des motifs raisonnables de conclure que la Russie est responsable d’une incitation directe et publique à commettre un génocide; 2) des motifs raisonnables de croire que la Russie est responsable de la commission d'un génocide à l'encontre du groupe national ukrainien, sur la base d'un ensemble d'atrocités dont on peut déduire l'intention de détruire en partie le groupe national ukrainien et de preuves attestées d'un ou de plusieurs des actes prohibés en violation de la Convention sur le génocide; et 3) des signes de génocide et d'incitation au génocide graves et croissants en Ukraine 
			(46) 
			Kristina Hook, New
Lines Institute and Raoul Wallenberg Centre for Human Rights, «<a href='https://newlinesinstitute.org/rules-based-international-order/genocide/the-russian-federations-escalating-commission-of-genocide-in-ukraine-a-legal-analysis/'>The
Russian Federation’s Escalating Commission of Genocide in Ukraine:
A Legal Analysis»</a>, juillet 2023 [anglais uniquement]. Voir aussi un recueil de
discours russes: «<a href='https://www.justsecurity.org/81789/russias-eliminationist-rhetoric-against-ukraine-a-collection/'>Russia's
Eliminationist Rhetoric Against Ukraine: A Collection» (justsecurity.org)</a> [anglais uniquement].. Le rapport s'appuie sur la campagne de propagande officielle russe pour établir l'incitation au génocide. Il analyse le renouvellement et la résurgence du slogan «nous pouvons le refaire», une allusion historique à certaines des périodes les plus sombres de l'histoire de l'Ukraine au XXe siècle. Les acteurs de l'État russe semblent croire que les atrocités du passé «peuvent être reproduits». Le rapport mentionne également cinq récits et dynamiques clés utilisés pour inciter au génocide: 1) la négation de l'identité ukrainienne, 2) l'accusation en miroir (par laquelle les auteurs accusent le groupe ciblé d'atrocités similaires à celles qu’ils prévoient de commettre contre eux), 3) l'utilisation d'un discours déshumanisant sur les Ukrainiens, y compris le fait que les Ukrainiens doivent être «dénazifiés» ou «dé-satanisés», 4) la représentation des Ukrainiens comme une menace existentielle, et 5) le conditionnement du public russe à commettre ou à tolérer des atrocités. L'incitation au génocide provient du plus haut niveau des autorités de l'État russe et des autorités d'occupation de l'État russe qui exercent un contrôle direct sur les Ukrainiens dans les territoires occupés.
31. Le rapport affirme à nouveau qu'il existe des preuves de l'existence d'un «plan général» et d'une intention génocidaire, qui sont des éléments subjectifs essentiels pour la qualification du crime spécifique de génocide. Selon le rapport, ces éléments sont visibles dans les méthodes ou modes terrifiants de commission d'atrocités qui indiquent une politique systématique de l'État et de l'armée. Il énumère des exemples d'actes dirigés contre le groupe national ukrainien susceptibles de constituer au moins l'un des cinq actes matériels constitutifs du crime de génocide au sens de l'article II de la Convention sur le génocide, tels que le meurtre de membres du groupe national, l'atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale et la soumission intentionnelle à des conditions d'existence devant entraîner la destruction physique totale ou partielle du groupe. Le rapport recense également des actes visant à empêcher les naissances au sein du groupe, tels que le recours généralisé au viol et à la violence sexuelle à l'encontre des femmes et des témoignages de castration d'Ukrainiens de sexe masculin dans des centres de détention russes. Il présente également des preuves du transfert forcé systématique et coordonné d'un grand nombre d'enfants ukrainiens vers la Russie, ainsi que des signes de tentatives d'éradication de leur identité ukrainienne et d'obstruction à leur retour dans leur pays d'origine. Le rapport conclut qu'au vu des éléments de plus en plus nombreux qui montrent que les tentatives de commission et d'incitation au génocide faites par la Russie contre les Ukrainiens se sont intensifiées et ont évolué, les États parties à la Convention sur le génocide doivent redoubler d'efforts pour s'acquitter de leur obligation de prévenir le génocide en vertu de l'article I de la Convention 
			(47) 
			En
référence à la jurisprudence de la Cour internationale de justice,
Application de la Convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro),
arrêt du 26 février 2007, paragraphes 430-431. Selon la CIJ, «l'obligation
de prévention et le devoir d'agir qui en est le corollaire prennent naissance,
pour un État, au moment où celui-ci a connaissance, ou devrait normalement
avoir connaissance, de l'existence d'un risque sérieux de commission
d'un génocide. Dès cet instant, l'État est tenu, s'il dispose de
moyens susceptibles d'avoir un effet dissuasif à l'égard des personnes
soupçonnées de préparer un génocide, ou dont on peut raisonnablement
craindre qu'ils nourrissent l'intention spécifique (dolus specialis), de mettre en œuvre
ces moyens, selon les circonstances.» La CIJ fait également référence
dans ce domaine à l'évaluation de la «diligence raisonnable», en examinant
des facteurs tels que la capacité de l’État «à influencer effectivement
l’action des personnes susceptibles de commettre, ou qui sont en
train de commettre, un génocide». .

3.2. Mécanismes d’établissement des responsabilités existants

32. Le 2 mars 2022, le procureur de la CPI, M. Karim Khan, a annoncé l’ouverture d’une enquête sur la situation en Ukraine, sur la base de renvois effectués par 39 États parties au Statut de la CPI (dont 34 États membres du Conseil de l’Europe) 
			(48) 
			Ce nombre
a ensuite augmenté, pour passer à 43 États. . Le champ d’investigation englobe toutes les allégations passées et présentes de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide commis par toute partie au conflit sur quelque partie du territoire ukrainien que ce soit à partir du 21 novembre 2013 
			(49) 
			Compétence accordée
sur la base de deux déclarations faites par l'Ukraine en 2014 et
2015 en vertu de l'article 12(3) du Statut de la CPI, qui permet
à un État non-partie au Statut d'accepter l'exercice de la compétence
de la CPI à l'égard de crimes allégués commis sur son territoire..
33. Dans le cadre de cette enquête, le 17 mars 2023, la Chambre préliminaire II de la CPI a délivré des mandats d'arrêt à l'encontre de deux personnes: Vladimir Poutine, et Maria Alekseyevna Lvova-Belova, Commissaire aux droits de l'enfant au sein du Cabinet du Président de la Fédération de Russie. La Chambre préliminaire II a estimé qu'il existait des motifs raisonnables de croire que la responsabilité de chacun des suspects était engagée à raison du crime de guerre de déportation illégale de population (enfants) et du crime de guerre de transfert illégal de population (enfants) depuis certaines zones occupées de l’Ukraine vers la Fédération de Russie, ces crimes ayant été commis à l’encontre d’enfants ukrainiens 
			(50) 
			En
vertu des articles 8(2)(a)(vii) et 8(2)(b)(viii) du Statut de Rome.
CPI, «<a href='https://www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-karim-khan-kc-la-suite-de-la-delivrance-des-mandats-darret-emis'>Déclaration
du Procureur Karim A. A. Khan KC à la suite de la délivrance des
mandats d’arrêt émis à l’encontre du Président Vladimir Poutine
et de Mme Maria Lvova Belova</a>», 17 mars 2023.. En ce qui concerne plus spécifiquement Vladimir Poutine, la Chambre a considéré qu'il pouvait être tenu pour responsable d'avoir commis les actes directement, conjointement avec d'autres et/ou par l'intermédiaire d'autres personnes, pour avoir omis d’exercer le contrôle qui convenait sur les subordonnés civils et militaires ayant commis ces crimes ou permis qu’ils soient commis. Le 5 mars 2024, la Chambre préliminaire II de la CPI a délivré deux autres mandats d'arrêt à l'encontre de deux personnes: Sergei Ivanovich Kobylash, lieutenant général des forces armées russes, qui était à l'époque des faits le commandant de l'aviation à long rayon d'action des forces aérospatiales, et Viktor Nikolayevich Sokolov, amiral de la marine russe, qui était à l'époque des faits le commandant de la flotte de la mer Noire. La Chambre préliminaire II a estimé qu'il existait des motifs raisonnables de croire que chaque suspect est responsable du crime de guerre consistant à diriger des attaques contre des biens civils, du crime de guerre consistant à causer incidemment des dommages excessifs à des civils ou des dommages à des biens civils, et du crime contre l'humanité consistant à commettre des actes inhumains 
			(51) 
			En vertu des articles
8(2)(b)(ii), A8(2)(b)(iv) et 7(1)(k) du Statut de Rome de la CPI;
CPI, Communiqué de presse «<a href='https://www.icc-cpi.int/news/situation-ukraine-icc-judges-issue-arrest-warrants-against-sergei-ivanovich-kobylash-and'>Situation
en Ukraine: les juges de la CPI délivrent des mandats d'arrêt contre
Sergei Ivanovich Kobylash et Viktor Nikolayevich Sokolov</a>», 5 mars 2024.. Il est également important de noter qu'un bureau satellite de la CPI a été ouvert à Kiev.
34. En Ukraine, le Code pénal érige en infraction la violation des lois et coutumes de la guerre et le génocide, mais pas les crimes contre l'humanité. Au 31 décembre 2023, selon les chiffres du Bureau du Procureur général, 138 044 crimes liés à l'invasion à grande échelle avaient été enregistrés, dont 119 071 crimes de guerre. En ce qui concerne spécifiquement les crimes de guerre (article 438 du Code pénal), 472 suspects ont été notifiés, 314 personnes ont été inculpées et 73 personnes ont été condamnées 
			(52) 
			En ce qui concerne
le crime d'agression, les chiffres sont plus élevés: 684 suspects
notifiés, 410 personnes inculpées et 138 condamnations. . Au 6 mai 2024, 131 325 crimes d'agression et crimes de guerre avaient été enregistrés, dont 127 432 crimes de guerre.
35. Il existe d’autres enquêtes en dehors de celles menées par le procureur de la CPI et le procureur général d’Ukraine. Dès la fin du mois de mars 2022, une équipe commune d'enquête (ECE) a été mise en place par la Pologne, la Lituanie et l'Ukraine sous les auspices d'Eurojust. Cette équipe vise à échanger des preuves et des informations dans le cadre des enquêtes menées dans ces pays sur les allégations de crimes internationaux (crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide) commis en Ukraine. Elle permet également aux enquêteurs d’opérer dans les pays partenaires, avec le consentement de l’État concerné. Le procureur de la CPI et Europol ont rejoint l’ECE, de même que l’Estonie, la Lettonie, la République slovaque et la Roumanie 
			(53) 
			«<a href='https://www.eurojust.europa.eu/news/agreement-extend-joint-investigation-team-alleged-core-international-crimes-ukraine-two-years'>Agreement
to extend the joint investigation team into alleged core international
crimes in Ukraine for two years» Eurojust | Agence de l'Union européenne
pour la coopération en matière de justice pénale (europa.eu) </a>[anglais uniquement]. Également basé à Eurojust, le Centre
international pour la poursuite du crime d'agression contre l'Ukraine (ICPA)
a été créé en juillet 2023. Il s'agit d'une plateforme de coordination
destinée à soutenir les enquêtes nationales sur le crime d'agression
et à recueillir des éléments de preuve essentiels pour les poursuites
futures. . Les sept autorités nationales de l'ECE ont également signé un protocole d'accord avec le ministère américain de la Justice.
36. L'Assemblée devrait saluer et reconnaître le travail de tous les mécanismes en vigueur destinés à amener les responsables à répondre de leurs actes pour les crimes de droit international commis en Ukraine et appeler tous les États membres et observateurs à continuer de les soutenir en s’appuyant sur l'expertise, le renforcement des capacités, les ressources financières, le détachement de personnel et la coopération. Elle devrait appeler tous les États à prendre acte des mandats d'arrêt délivrés par la CPI et à les exécuter si l'un des suspects relève de leur juridiction. L'Assemblée devrait condamner fermement les tentatives de la Fédération de Russie de poursuivre les juges et le procureur de la CPI ayant participé à la délivrance de ces mandats d'arrêt. Il s’agit en effet d’une ingérence flagrante dans l'indépendance judiciaire, le mandat et l'intégrité de la CPI 
			(54) 
			«<a href='https://www.theguardian.com/law/2023/may/19/russia-arrest-order-international-criminal-court-prosecutor-karim-khan'>Russia
issues arrest order for British ICC prosecutor after Putin warrant»
| International criminal court | The Guardian</a>; «<a href='https://www.aljazeera.com/news/2023/3/20/arrest-warrant-for-putin-russia-opens-own-case-against-icc'>After
arrest warrant for Putin, Russia opens case against ICC» | Russia-Ukraine
war News | Al Jazeera</a> [anglais uniquement]. . L'Assemblée devrait également inviter la CPI à envisager d'examiner les allégations de génocide qui ont été signalées, notamment en ce qui concerne la situation en Ukraine et plus particulièrement le transfert d'enfants ukrainiens.
37. Le Conseil de l'Europe devrait renforcer et développer ses activités d'assistance et de coopération avec les autorités ukrainiennes, en particulier avec le Bureau du Procureur général, dans le cadre de son Plan d'action pour l'Ukraine, intitulé «Résilience, relance et reconstruction» (2023-2026).
38. Enfin, il ne faudrait pas oublier les autres mécanismes internationaux en vigueur capables de juger la Fédération de Russie et d’établir sa responsabilité internationale (à savoir l’État et non ses représentants) pour les nombreuses violations des droits humains commises au cours de l'agression. Tout d'abord, la Cour européenne des droits de l'homme, qui reste compétente pour traiter les requêtes contre la Russie qui portent sur les violations de la Convention européenne des droits de l’homme survenues jusqu'au 16 septembre 2022. L’Ukraine a déposé une requête interétatique devant la Cour européenne des droits de l’homme (Ukraine c. Russie (X) (no 11055/22) pour des allégations de violations massives et flagrantes des droits humains commises par la Fédération de Russie dans le contexte de la guerre contre l’Ukraine depuis le 24 février 2022. La Cour a joint cette affaire à une autre affaire précédemment introduite, Ukraine et Pays-Bas c. Russie, à propos de la guerre dans l'est de l'Ukraine depuis 2014 et la destruction du vol MH17, qui a été déclarée partiellement recevable le 30 novembre 2022 
			(55) 
			Trois autres
requêtes interétatiques et des milliers de requêtes individuelles
sont actuellement pendantes devant la Cour concernant les événements
en Crimée, dans l’est de l’Ukraine et dans la mer d’Azov. .
39. L'Ukraine a également engagé une procédure en vertu de la Convention sur le génocide devant la Cour internationale de justice (CIJ), affirmant que les accusations russes selon lesquelles l'Ukraine aurait commis un génocide dans les oblasts de Louhansk et de Donetsk n'étaient pas fondées et ne pouvaient justifier l'invasion à grande échelle lancée en 2022. Après avoir indiqué des mesures provisoires ordonnant à la Fédération de Russie de suspendre immédiatement les opérations militaires commencées en février 2022, mesures qui ont été ignorées de manière flagrante, la CIJ a rendu un arrêt sur les objections préliminaires, qui peut être jugé plutôt décevant pour l'Ukraine. La CIJ a estimé qu'elle n'était pas compétente pour examiner deux des requêtes de l'Ukraine, à savoir i) le recours à la force par la Fédération de Russie en Ukraine et contre l'Ukraine à partir du 24 février 2022 viole les articles I et IV de la Convention sur le génocide; et ii) la reconnaissance par la Russie de l'indépendance des «République populaire de Donetsk» et «République populaire de Louhansk» le 21 février 2022 viole les articles I et IV de la Convention sur le génocide. La CIJ a considéré que même si ces actions entreprises par la Fédération de Russie étaient fondées sur une application de mauvaise foi de la Convention sur le génocide, cela ne constituait pas en soi une violation des obligations de la Convention. La CIJ a uniquement admis sa compétence à l'égard d'une seule requête présentée par l'Ukraine, qui lui demandait de déclarer qu'il n'existait aucune preuve crédible que l'Ukraine soit responsable d'un génocide dans les oblasts de Donetsk et de Louhansk 
			(56) 
			CIJ, Allégations de
génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), arrêt du
2 février 2024. . A supposer que la décision sur le fond soit favorable à l'Ukraine et puisse servir à l'avenir à réfuter l'un des arguments que la Russie utilise pour justifier sa guerre d'agression, la CIJ ne sera cependant pas en mesure de déterminer si la Russie elle-même a violé la Convention sur le génocide ou d'ordonner le versement de réparations en faveur de l'Ukraine. Toutefois, il ne peut être exclu que l'Ukraine ou d'autres États engagent, en vertu de la Convention sur le génocide, de nouvelles procédures contre la Russie devant la CIJ afin qu’elle examine des allégations concrètes de génocide commis contre les Ukrainiens, au moins sous la forme d'incitation au génocide ou de tentative de génocide. L'Assemblée devrait les inviter à le faire, étant donné que l'interdiction du génocide est une obligation erga omnes en droit international et que tout État partie à la Convention peut saisir la CIJ d’un contentieux à propos de la responsabilité d'un autre État partie pour génocide en vertu de l’article IX de la Convention.

4. Réparation pour les dommages causés par l'agression

40. Le principe juridique selon lequel un pays doit «réparer intégralement le préjudice causé par [un] acte internationalement illicite» est bien établi. Il existe également un précédent récent d’un État qui a agi de la sorte, après l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990 
			(57) 
			La Commission d'indemnisation
des Nations unies (UNCC), créée par le Conseil de sécurité des Nations
unies, a fonctionné à partir de 1991 et a effectué des paiements
(provenant en partie des fonds issus de l'exportation du pétrole irakien)
à des particuliers, des entreprises, des gouvernements et des organisations
internationales. . L’Assemblée générale de l’ONU a déjà déclaré qu’un mécanisme international de réparation était nécessaire 
			(58) 
			Résolution
ES-11/5 de l'Assemblée générale des Nations Unies, 14 novembre 2022. . Elle a également appelé ses membres à mettre en place un registre des réclamations contre la Russie. C’est pourquoi le Conseil de l’Europe a mis en place un tel registre. Bien qu’il n’y ait pas eu jusqu’à présent de décision sur l’organe qui devrait statuer sur les réclamations enregistrées, le soutien de l’Assemblée générale des Nations Unies donne une légitimité aux actions visant à tenir la Russie responsable des dommages de guerre causés par son agression 
			(59) 
			Voir «<a href='https://www.euractiv.com/section/global-europe/news/reparation-bonds-could-unlock-300-billion-for-ukraine/'>Reparation
bonds could unlock $300 billion for Ukraine» – Euractiv</a> (15 janvier 2024) [anglais uniquement]. .
41. Le Registre des dommages a été créé lors du Sommet de Reykjavík en mai 2023, sous les auspices du Conseil de l'Europe (sous la forme d'un accord partiel élargi). Il servira d’enregistrement, sous forme documentaire, de toutes les réclamations et preuves à l’appui des dommages, pertes ou préjudices causés par l’agression à grande échelle de la Russie contre l’Ukraine (à compter du 24 février 2022) sur le territoire ukrainien. Le Registre a pour but de recevoir et traiter les demandes de dommages présentées par des particuliers, des personnes morales et l’État ukrainien, ainsi que toute preuve à l’appui de ces demandes; il catégorisera, classera et triera ces demandes; évaluera et déterminera l’admissibilité des demandes aux fins de leur inclusion dans le registre et enregistrera les demandes admissibles aux fins d’une décision par un futur mécanisme d’indemnisation. Le Registre a son siège à La Haye et un bureau satellite à Kiev. À ce jour, 43 pays (tous les États membres du Conseil de l’Europe à l’exception de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan, de la Bosnie-Herzégovine, de la Hongrie, de la Serbie et de la Türkiye, ainsi que le Canada, le Japon et les États-Unis) et l’Union européenne participent au Registre, soit en tant que membres à part entière, soit en tant qu’associés. Son Conseil, présidé par Robert Spano, ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme, a tenu sa réunion inaugurale à La Haye du 11 au 15 décembre 2023. D’après le Conseil, les catégories de demandes comprennent: la perte de vies humaines, la torture et les violences sexuelles, ainsi que les dommages corporels; les déplacements involontaires et le transfert forcé de personnes; la perte de biens et de revenus, ainsi que d’autres formes de pertes économiques; dommages aux infrastructures essentielles et à d’autres installations gouvernementales; dommages au patrimoine historique et culturel; et dommages environnementaux. Le dépôt des demandes a été ouvert le 2 avril 2024. Actuellement, et étant donné que le registre sera lancé par étapes, seules les réclamations relatives aux dommages ou à la destruction de biens immobiliers résidentiels peuvent être soumises 
			(60) 
			<a href='https://rd4u.coe.int/en/'>Homepage - Register
of Damage for Ukraine (coe.int)</a> [anglais uniquement]..
42. Lors de la Conférence qui s’est tenue à Riga le 11 septembre 2023, les ministres de la Justice du Conseil de l’Europe ont adopté une déclaration qui énonce les principes (Principes de Riga) que les États membres du Registre des dommages doivent prendre en compte afin d’assurer le bon fonctionnement du Registre. Il s’agit notamment d’une approche centrée sur la victime; une base juridique solide en droit international sur la responsabilité des États; l’autorité et la légitimité, y compris en tenant dûment compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme; l’appui aux autorités nationales ukrainiennes afin de faciliter la coordination des efforts nationaux visant à soutenir le Registre; la cohérence, la complémentarité et l’interopérabilité; l’engagement de la société civile; et œuvrer à la réparation effective et complète de tous les dommages.
43. Comme l’Assemblée l’a déjà déclaré, le Registre ne peut être que la première étape d’un mécanisme global d’indemnisation, qui comprendra une commission internationale chargée d’examiner sur les demandes inscrites au Registre et de statuer sur ces demandes, ainsi qu’un fonds d’indemnisation chargé de payer les dommages accordés par la commission 
			(61) 
			Résolution
2516 (2023), paragraphe 15.2; Résolution 2482 (2023), paragraphe
19. . L’instrument juridique établissant le mécanisme d’indemnisation devra réglementer des questions telles que le financement du fonds d’indemnisation, l’exécution des sommes allouées et la manière dont les décisions prises par d’autres organes et tribunaux internationaux, y compris celles de la Cour européenne des droits de l’homme, pourraient être exécutées dans le cadre de ce mécanisme 
			(62) 
			Résolution 2482 (2023),
paragraphe 19.. Dans la résolution portant création du Registre, les participants sont convenus de continuer à travailler en coopération avec l'Ukraine et les organisations et organes internationaux compétents en vue de l'établissement, par un instrument international distinct, d'un futur mécanisme international d'indemnisation. Le Registre participe aux travaux visant à mettre en place un tel mécanisme d’indemnisation et les facilite, le cas échéant, et prend les mesures nécessaires pour préparer son transfert au futur mécanisme d’indemnisation à part entière 
			(63) 
			<a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680ab2596'>Statut
du Registre</a>, articles 2 et 14. . Les États devraient donc continuer à travailler à la création de ce mécanisme, et le Conseil de l'Europe, en tant qu'organisation qui a créé sa première composante (le Registre), devrait être prêt à jouer un rôle de premier plan dans sa mise en place et sa gestion. Tout récemment, dans sa Recommandation 2271 (2024) «Soutien à la reconstruction de l'Ukraine» (commission des questions politiques et de la démocratie, rapporteur M. Luzlim Basha (Albanie, PPE/DC); avec un avis de notre commission préparé par moi-même), l'Assemblée a appelé le Comité des Ministres à «prendre des dispositions en vue de la création, sous les auspices du Conseil de l'Europe, d’un mécanisme international d'indemnisation (...); créer un fonds fiduciaire international, où seront déposés tous les avoirs de l’État russe qui auront été saisis (...); approuver la mise en place d’une commission internationale chargée d’examiner les demandes d’indemnisation des dommages consignés au Registre, sous les auspices du Conseil de l'Europe». Notre commission a proposé avec succès d'ajouter à la recommandation que le Comité des Ministres devrait envisager d'inclure dans le champ d'application du futur mécanisme international d'indemnisation, une fois mis en place, les dommages causés par les actes illicites au regard du droit international de la Fédération de Russie commis dans la République autonome de Crimée et les territoires temporairement occupés des oblasts de Donetsk et de Louhansk avant le 24 février 2022 (date fixée dans le Statut du Registre), conformément à la position constante de l'Assemblée qui rappelle que l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine a en fait commencé en février 2014, avec l'annexion de la Crimée et la guerre par procuration menée dans l'est de l'Ukraine.
44. En ce qui concerne les options éventuelles de paiement effectif des indemnités qui pourraient être accordées aux victimes de l'agression (l’État ukrainien et les personnes physiques et morales), l'Assemblée a déjà affirmé que les avoirs russes confisqués devraient être utilisés pour payer les dommages de guerre en Ukraine 
			(64) 
			Résolution 2434 (2022),
paragraphe 9.6, avec référence aux avoirs des citoyens et des entreprises
publiques russes frappés de sanctions ciblées en raison de leurs
responsabilités dans la guerre d’agression lancée contre l’Ukraine
par la Russie; Résolution 2516 (2023), paragraphe 15.3, avec référence
plus générale aux avoirs de la Fédération de Russie. . Le rapport précédent de M. Cottier n'avait pas encore adopté de position définitive à ce sujet, mais avait plutôt évoqué les différentes questions juridiques que la confiscation des avoirs russes pourrait soulever au regard du droit des immunités des États et du droit international des droits de l'homme, y compris la Convention européenne des droits de l’homme 
			(65) 
			Rapport
explicatif, paragraphes 67-72. .
45. Lors de notre audition du 4 mars 2024, M. Moiseienko a défendu la possibilité de saisir et de transférer les avoirs gelés de l'État russe à l'Ukraine en se fondant sur la doctrine des contre-mesures collectives ou tierces, conformément aux articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite (ARSIWA). Des contre-mesures tierces ou collectives y sont prévues, à l’article 54, qui fait référence au «droit de tout État, habilité en vertu de l’article 48, paragraphe 1, à invoquer la responsabilité d’un autre État, de prendre des mesures licites à l’encontre de ce dernier afin d’assurer la cessation de la violation ainsi que la réparation dans l’intérêt de l’État lésé ou des bénéficiaires de l’obligation violée». L'article 48, paragraphe 1, prévoit le droit pour les États non lésés d'invoquer la responsabilité d'un autre État lorsque l'obligation violée est due à la communauté internationale dans son ensemble (erga omnes) 
			(66) 
			Voir: «<a href='https://www.ejiltalk.org/funding-ukraines-aid-new-challenges/'>Funding
Ukraine’s Aid: New Challenges» – EJIL: Talk! (ejiltalk.org)</a>; <a href='https://academic.oup.com/ejil/advance-article/doi/10.1093/ejil/chad050/7334319'>Legal:
«The Freezing of the Russian Central Bank’s Assets | European Journal
of International Law» | Oxford Academic (oup.com)</a>; «<a href='https://www.justsecurity.org/92816/transferring-russian-assets-to-compensate-ukraine-some-reflections-on-countermeasures/'>Transferring
Russian Assets to Compensate Ukraine: Some Reflections on Countermeasures»
(justsecurity.org) </a>[anglais uniquement].. M. Moiseienko a avancé que ces contre-mesures seraient légales et répondraient aux exigences de temporalité et de réversibilité. À l'objection selon laquelle il s'agit d'une mesure sans précédent, il a répondu que le fait que des centaines de milliards d'actifs russes gelés soient disponibles dans les États qui s'engagent à respecter le principe selon lequel la Russie doit payer les dommages qu'elle a causés par son agression est également unique et sans précédent. Mme Ziskina a présenté les points de vue américains et canadiens sur la «réaffectation» des avoirs russes gelés. Le gouvernement américain a approuvé l'utilisation de contre-mesures pour débloquer les 300 milliards d'actifs gelés et les utiliser pour soutenir l'Ukraine, et le projet de loi bipartite appelé REPO Act (applicable uniquement à l'Ukraine) repose explicitement sur la doctrine des contre-mesures. Ce texte donnerait au président le pouvoir de confisquer les avoirs russes et le chargerait d’œuvrer avec les alliés des États-Unis à la mise en place d'un mécanisme international d’indemnisation qui regrouperait tous les avoirs gelés 
			(67) 
			La loi REPO (Rebuilding
Economic Prosperity and Opportunity for Ukrainians) a finalement
été signée par le président Biden le 24 avril 2024. «<a href='https://www.jdsupra.com/legalnews/repo-for-ukrainians-act-provides-for-7160056/'>REPO
for Ukrainians Act Provides for the ‘Repurposing’ of Seized Russian
Sovereign Assets | Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom LLP»
- JDSupra</a> [anglais uniquement]. . Le Canada est également favorable à la confiscation des avoirs puisqu'il a adopté en juin 2022 une législation novatrice autorisant le gouvernement à confisquer et à réaffecter des avoirs privés ou publics et à les utiliser pour la reconstruction d'un État étranger lésé par une atteinte grave à la paix et à la sécurité internationales, ainsi que pour l'indemnisation des victimes. Le Royaume-Uni est également favorable à l’option de la saisie. Cependant, comme environ deux tiers des réserves étaient gelées dans l'Union européenne, ces trois pays ont proposé d'agir de concert avec les pays de l'Union européenne pour saisir lesdites réserves et éliminer ainsi tout danger pour la stabilité de l'euro. M. Skilbeck a souligné l'importance des réparations qui vont de pair avec la reconstruction, tout en admettant qu'il n'existe actuellement aucun principe ou orientation sur la manière d'équilibrer les deux. Il a recommandé d’adopter une approche centrée sur les survivants dans le fonctionnement du Registre des dommages et d'autres mécanismes, et d'examiner comment la réparation s'inscrit dans le cadre de la justice pénale internationale. Il a également recommandé d'envisager d'autres solutions pour financer les réparations, comme la confiscation d'actifs à la suite d’amendes imposées pour violation des sanctions.
46. J’ai déjà indiqué dans mon avis que le rapport de M. Basha sur le «Soutien à la reconstruction de l'Ukraine» défend de manière convaincante la légalité du transfert des avoirs russes gelés à un mécanisme international d'indemnisation pour l'Ukraine dans le cadre de contre-mesures collectives 
			(68) 
			Doc.15932. Voir aussi la note juridique publiée le 20 novembre
2023 par d'éminents juristes dont MM. Dapo Akande, Philippe Sands,
Christian Tams et d'autres: <a href='https://www.bing.com/ck/a?!&&p=48043786689d75f0JmltdHM9MTcxNDg2NzIwMCZpZ3VpZD0zMzFmMTI5Yy0yMDg2LTYxNjMtMWUxOC0wNjhiMjE4MzYwYjMmaW5zaWQ9NTIwOA&ptn=3&ver=2&hsh=3&fclid=331f129c-2086-6163-1e18-068b218360b3&psq=legal+memorandum+dapo+akande+philippe+sands&u=a1aHR0cHM6Ly9kMWUwMGVrNGViYWJtcy5jbG91ZGZyb250Lm5ldC9wcm9kdWN0aW9uL3VwbG9hZGVkLWZpbGVzL2xlZ2FsJTIwbWVtbyUyMG9uJTIwY291bnRlcm1lYXN1cmVzLTVhNjdlM2JiLWIwNGItNDY4MS1iZWIyLWEwYWFjNzM3NGU4Ni5wZGY&ntb=1'>Legal
Memorandum - d1e00ek4ebabms.cloudfront.net </a>[anglais uniquement]; et l’étude préparée par Philippa
Webb pour le Service de recherche du Parlement européen, février
2024: <a href='https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2024/759602/EPRS_STU(2024)759602_EN.pdf'>«Legal
options for confiscation of Russian state assets to support the
reconstruction of Ukraine» | Think Tank | European Parliament (europa.eu) </a>[anglais uniquement].. L'interdiction de l'agression est une norme de droit international qui a été reconnue comme une obligation erga omnes par la Cour internationale de justice. Par conséquent, les États tiers qui ne sont pas directement lésés par l'agression ont le droit de prendre des contre-mesures contre une violation grave du droit international telle qu'une guerre d'agression reconnue par l'Assemblée générale des Nations Unies comme une violation de la Charte des Nations Unies. Pour que ces actions soient légales, les États tiers doivent respecter des conditions analogues aux contre-mesures d'un État lésé, notamment la proportionnalité, le caractère temporel et la réversibilité 
			(69) 
			Articles 49 et 51 de
la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État
pour fait internationalement illicite. . Compte tenu des dommages considérables causés par l’agression qui, selon la Banque mondiale s’élevaient déjà à 411 milliards de dollars 
			(70) 
			En mars 2023, la Banque
mondiale estimait que les dommages s’élevaient jusqu’ici à 411 milliards
de dollars (voir <a href='https://apnews.com/article/ukraine-russia-war-damage-world-bank-6ecb537d2ab78a347306883603e65c33'>https://apnews.com/article/ukraine-russia-war-damage-world-bank-6ecb537d2ab78a347306883603e65c33</a>) [anglais uniquement]. en mai 2023, même le gel des 300 milliards de dollars ne semble pas poser de problèmes de proportionnalité. Le simple gel des avoirs ne pose pas non plus la question de la réversibilité. Reste à savoir si la doctrine des contre-mesures peut également justifier la «réaffectation» des avoirs gelés pour aider l’Ukraine à lutter contre l’agression et à obtenir réparation des dommages causés par celle-ci. On peut faire valoir que la possibilité ultérieure d’une compensation contre une demande de réparations dues en vertu du droit international dans le cadre d’un futur règlement de paix serait considérée comme une «annulation» du gel et de la réaffectation des fonds, qui sont après tout fongibles. La question de savoir quelle partie des avoirs gelés serait réaffectée au fonds d’indemnisation et quelle proportion serait consacrée à la reconstruction et au redressement immédiats de l'Ukraine devrait également être abordée 
			(71) 
			Le rapport de M. Basha
propose de les utiliser pour les deux, étant donné qu'un processus
de demandes internationales prendra du temps et ne pourra pas répondre
rapidement aux besoins de reconstruction. .
47. D’aucuns affirment que les fonds gelés pourraient être traités comme des «garanties» pour les prêts accordés à l’Ukraine par ses alliés et confisqués si l’Ukraine n’obtenait pas les réparations dues en vertu du droit international qui lui permettraient de rembourser ces prêts 
			(72) 
			«<a href='https://www.ejiltalk.org/collateralising-russias-frozen-currency-reserves-a-creative-solution-playing-for-time-or-both/'>Collateralising
Russia’s Frozen Currency Reserves: A Creative Solution, Playing
for Time, or Both?» – EJIL: Talk! (ejiltalk.org) </a>[anglais uniquement]: Anton Moiseinko soutient que cette
option ne ferait que reporter les difficultés liées à un transfert
des actifs. Philippa Webb estime que l'utilisation des actifs comme
garantie entraînerait également une confiscation, puisque la Russie
en perdrait la propriété, et que la confiscation devrait donc être
justifiée comme une contre-mesure découlant du droit international. . Une version plus élaborée de cette proposition est la suggestion faite à l’Ukraine d’émettre des «titres de réparation» garantis par de futures demandes de dommages de guerre contre la Russie. Étant donné que les réserves accumulent des intérêts, elles pourraient être utilisées pour payer à la fois le principal et les coupons des titres. Ce serait différent de la confiscation, car les avoirs ne seraient transférés que si un mécanisme d’indemnisation légitime décidait d’abord que les dommages étaient dus à l’Ukraine. On peut soutenir que la base juridique de l’utilisation des réserves de devises étrangères de la Russie pour rembourser les titres de réparation serait particulièrement solide si l’Ukraine cédait des demandes de dommages contre la Russie aux États occidentaux qui ont acheté les titres. Les gouvernements pourraient invoquer le principe de common law de la «compensation», en vertu duquel les actifs d’une entité peuvent être utilisés pour payer ses dettes 
			(73) 
			Voir
l’article d’Euractiv/Reuters mentionné dans la note de bas de page
58..
48. Tandis que le débat juridique sur la confiscation complète des avoirs et leur transfert se poursuit, les gouvernements et les universitaires ont étudié d’autres options telles que: la confiscation des avoirs à la suite d’une condamnation pénale pour violation des sanctions et la réaffectation des sanctions pécuniaires, ou la mise en place de taxes sur les intérêts ou les bénéfices exceptionnels tirés d’avoirs gelés 
			(74) 
			«<a href='https://www.justsecurity.org/92708/reparations-for-ukraine-three-proposals-from-europe/'>Reparations
for Ukraine: Three Proposals from Europe» (justsecurity.org) </a>[anglais uniquement]. . Le Conseil de l'Union européenne a adopté en février 2024 une décision et un règlement qui précisent les obligations des dépositaires centraux de titres détenteurs d’actifs et de réserves immobilisés de la Banque centrale de Russie. La décision indique que les dépositaires centraux de titres qui détiennent plus d'un million EUR d'actifs de la Banque centrale de Russie doivent comptabiliser séparément les soldes de trésorerie extraordinaires accumulés en raison des sanctions de l'Union européenne et n'ont pas le droit de céder les bénéfices nets qui en découlent. Ce texte ouvre la voie à une éventuelle contribution financière au budget de l'Union européenne prélevée sur ces bénéfices nets et visant à soutenir l'Ukraine et sa reconstruction à un stade ultérieur 
			(75) 
			«<a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2024/02/12/immobilised-russian-assets-council-decides-to-set-aside-extraordinary-revenues/'>Avoirs
russes immobilisés: le Conseil décide de mettre en réserve les recettes
exceptionnelles» (europa.eu)</a>. La Belgique a pris une mesure similaire en saisissant
récemment les bénéfices générés par les réserves gelées de la Banque
centrale de Russie, qui s'élèvent à 1,7 milliard EUR. . La Commission européenne élabore actuellement une nouvelle législation pour saisir les bénéfices qui seront mis de côté et les transférer à un fonds pour l'Ukraine. Cette option soulève des questions quant à la propriété des bénéfices (Russie ou dépositaires centraux de titres) et aux effets sur la réputation de l'euro. Certains soutiennent que la justification juridique devrait être similaire à celle qui est nécessaire pour confisquer les actifs principaux 
			(76) 
			«<a href='https://www.ejiltalk.org/immobilised-assets-extraordinary-profits-the-eu-council-decision-on-russias-central-bank-reserves-and-its-legal-challenges/'>Immobilised
Assets, Extraordinary Profits: The EU Council Decision on Russia’s
Central Bank Reserves and Its Legal Challenges» – EJIL: Talk! (ejiltalk.org) </a>[anglais uniquement].. En outre, sur le plan pratique, la somme produite par cette proposition serait faible par rapport aux dommages estimés causés à l'Ukraine 
			(77) 
			L'Union européenne
a estimé qu'environ 15 milliards EUR de ces bénéfices pourraient
être retirés pour l'Ukraine au cours des 4 prochaines années. . De nouvelles propositions législatives sont également en cours de discussion au sein de l'Union européenne pour utiliser les bénéfices exceptionnels des actifs russes afin de financer l'achat d'armes pour l'Ukraine 
			(78) 
			«<a href='https://www.euractiv.com/section/europe-s-east/news/eu-to-discuss-compromise-text-on-windfall-profits-from-immobilised-russian-assets-next-week/'>EU
to discuss compromise text on windfall profits from immobilised
Russian assets next week» – Euractiv</a> [anglais uniquement]. .
49. Si l'Assemblée se doit de privilégier la saisie et le transfert des biens au futur fonds d'indemnisation, elle pourrait néanmoins laisser la porte ouverte à d'autres propositions complémentaires ou alternatives pour assurer l'indemnisation. Comme dans le cas du tribunal spécial sur le crime d'agression, la confiscation et le transfert des avoirs sont juridiquement possibles, mais ces mesures exigent la détermination et la volonté politique de tous les acteurs concernés, y compris le G7 et l'Union européenne. Le principal argument politique contre la confiscation est qu'elle pourrait ébranler la confiance dans l'euro et sa stabilité. Mais que se passera-t-il si l'occasion de confisquer ces actifs est manquée et que les contribuables occidentaux en ont assez de payer pour soutenir l'Ukraine? Qu'adviendra-t-il de la stabilité de l'euro si la Russie gagne en Ukraine et menace ensuite la zone euro? La question de la confiance peut être abordée en précisant clairement que le précédent créé par le gel et la confiscation des avoirs de l'État justifiés par des contre-mesures ne s'applique qu'aux violations flagrantes du droit international, telles qu'une guerre d'agression reconnue comme telle par l'Assemblée générale des Nations Unies. Les États qui n'ont pas l'intention d'attaquer leurs voisins n'ont rien à craindre et aucune raison de fuir l'euro ou le dollar, et pour les remplacer par quelle autre monnaie?
50. En plus des 300 milliards de dollars d'actifs publics russes (principalement des réserves de change), les États occidentaux ont également gelé environ 80 milliards de dollars d'actifs détenus par des oligarques russes soutenant le régime de Vladimir Poutine. Ces biens sont des propriétés privées, protégées par l'article 1 du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 9). Mais la protection de la propriété privée n'est pas absolue. La Cour européenne des droits de l'homme a accepté le «modèle irlandais» de confiscation des avoirs illégaux sans condamnation, avec renversement de la charge de la preuve de la légalité de l'origine des avoirs en question. L'Italie, le Royaume-Uni et d'autres pays ont adopté une législation similaire pour lutter contre la criminalité organisée. Dans sa Résolution 2218 (2018), l'Assemblée a recommandé le recours à la confiscation des avoirs illégaux sans condamnation avec renversement de la charge de la preuve. Mutatis mutandis, une présomption (réfragable) pourrait être invoquée selon laquelle les énormes actifs détenus par les oligarques russes ont été acquis illégalement – en substance, volés au peuple russe, sachant que le régime de Vladimir Poutine a illégalement fait don des richesses naturelles aux oligarques pour acheter leur soutien. Ces actifs pourraient donc également être transférés à l'Ukraine, qui pourrait les compenser avec une partie de la dette due par la Russie à l'Ukraine, comme l’envisageait l'Assemblée dans la Résolution 2434 (2022) 
			(79) 
			Voir
en particulier le paragraphe 9.6..
51. Je n'ai pas examiné dans ce rapport l'utilisation possible des avoirs russes gelés pour l'exécution des arrêts de satisfaction équitable rendus par la Cour européenne des droits de l'homme à l'encontre de la Russie. Cette question est actuellement examinée par le CAHDI et fera également l'objet d'une audition devant la sous-commission sur l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme. En outre, la Cour mettra du temps à rendre des arrêts (sur le fond et sur la satisfaction équitable) sur les conséquences de l'agression contre l'Ukraine et nous devons trouver des solutions à plus court terme pour obtenir des compensations. Quoi qu'il en soit, ma position est que le futur mécanisme international de compensation devrait également inclure dans son mandat l'exécution de tout arrêt de satisfaction équitable que la Cour européenne des droits de l'homme pourrait rendre en rapport avec l'agression contre l'Ukraine (depuis 2014).

5. Le rôle du groupe Wagner 
			(80) 
			La commission des questions
juridiques et des droits de l'homme travaille sur un rapport parallèle
intitulé «Les sociétés militaires privées, les mercenaires, les
combattants étrangers et leur impact sur les droits de l'homme» (Rapporteur
M. Andrea Orlando, Italie, SOC). Voir note introductive: <a href='https://rm.coe.int/on-private-military-companies-mercenaries-foreign-fighters-and-their-i/1680af6e1b'>AS/Jur(2024)05.</a>

52. Depuis 2014, la société militaire privée Wagner (communément appelée groupe Wagner) est devenue la société militaire privée (SMP) russe la plus connue. Bien qu’initialement entourée de secret, on a appris qu’elle avait été fondée par un oligarque russe et ancien détenu, Evgueni Prigojine 
			(81) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2022/sep/26/putin-ally-yevgeny-prigozhin-admits-founding-wagner-mercenary-group'>www.theguardian.com/world/2022/sep/26/putin-ally-yevgeny-prigozhin-admits-founding-wagner-mercenary-group </a>[anglais uniquement]<a href=''>.</a>, et un ancien opérateur de la GRU (le service de renseignement militaire de la Russie) et des Spetsnaz, vétéran des guerres de Tchétchénie et sympathisant nazi, Dmitri Outkine 
			(82) 
			<a href='https://www.france24.com/en/live-news/20230825-utkin-the-nazi-tattooed-commander-who-gave-wagner-its-name'>www.france24.com/en/live-news/20230825-utkin-the-nazi-tattooed-commander-who-gave-wagner-its-name</a> [anglais uniquement]. (dont le nom de guerre était «Wagner», en référence au compositeur favori d’Hitler).
53. Le monde a vu pour la première fois des combattants de Wagner lors de l’annexion illégale de la Crimée en 2014, puis pendant la guerre dans l’est de l’Ukraine, où les membres du groupe Wagner ont non seulement contribué à l’objectif de la Russie de porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, mais ont aussi participé à l’assassinat de dirigeants désobéissants des républiques populaires autoproclamées 
			(83) 
			<a href='https://russianpmcs.csis.org/'>https://russianpmcs.csis.org/ </a>[anglais uniquement].. Depuis lors, le groupe Wagner a également établi une forte présence en Syrie, en Libye, en République centrafricaine, au Mali, au Soudan et dans certains autres États africains 
			(84) 
			<a href='https://www.cfr.org/in-brief/what-russias-wagner-group-doing-africa'>www.cfr.org/in-brief/what-russias-wagner-group-doing-africa </a>[anglais uniquement]<a href=''>.</a>, exploitant souvent les ressources naturelles de ces États pour augmenter ses propres recettes et celles de la Russie et permettre à cette dernière de contourner les sanctions économiques. Malgré des preuves solides de la dépendance du groupe Wagner à l’égard de l’infrastructure des forces armées russes et du soutien des hauts responsables politiques et militaires russes, le Gouvernement russe avait toujours nié l’existence de tout lien. La législation russe interdisant expressément le fonctionnement des sociétés militaires privées, la SMP Wagner n’existait donc pas officiellement, permettant ainsi à la Russie de la déployer sous couvert de dénégation (plus ou moins plausible) 
			(85) 
			<a href='https://www.csis.org/blogs/post-soviet-post/band-brothers-wagner-group-and-russian-state'>www.csis.org/blogs/post-soviet-post/band-brothers-wagner-group-and-russian-state </a>[anglais uniquement]<a href=''>.</a>.
54. Après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine le 24 février 2022, la SMP Wagner a combattu aux côtés des troupes russes régulières, subissant de lourdes pertes 
			(86) 
			<a href='https://www.independent.co.uk/news/world/europe/russia-wagner-3000-troops-killed-ukraine-b2062198.html'>www.independent.co.uk/news/world/europe/russia-wagner-3000-troops-killed-ukraine-b2062198.html </a>[anglais uniquement]. et commettant de nombreux crimes de guerre 
			(87) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2023/apr/18/wagner-mercenary-admits-tossing-grenades-at-injured-ukrainian-pows'>www.theguardian.com/world/2023/apr/18/wagner-mercenary-admits-tossing-grenades-at-injured-ukrainian-pows </a>[anglais uniquement].. Afin de fournir des renforts et d’éviter une nouvelle mobilisation partielle, la direction du groupe Wagner s’est tournée vers le recrutement de condamnés. Selon notre experte, Jelena Aparac, des détenus de divers établissements se seraient vu offrir une amnistie ou la grâce présidentielle après six mois de service au sein du groupe Wagner, ainsi qu’un paiement mensuel de 1 600 à 3 200 euros à verser à leurs proches. Selon les informations fournies, à la fin du mois d’octobre 2022, des recruteurs du groupe Wagner s’étaient rendus dans environ 63 établissements pénitentiaires dans 34 régions russes et environ 7 130 détenus avaient été recrutés. Dans certains cas, les recruteurs ont offert une indemnisation pouvant aller jusqu’à 68 000 euros aux proches d’un détenu tué au combat et environ 4 000 euros en cas de blessures. En outre, les membres du groupe Wagner auraient recruté principalement des condamnés pour meurtre ou vol en bonne condition physique, à l’exclusion semble-t-il des personnes condamnées pour des délits sexuels ou pour terrorisme. Bellingcat, groupe indépendant de journalisme d’investigation, a indiqué que plusieurs condamnés pour meurtre et d’anciens chefs de gangs (appelés «détachements de volontaires» par les médias russes) condamnés à de longues peines d’emprisonnement étaient morts au service du groupe Wagner 
			(88) 
			«<a href='https://www.bellingcat.com/news/2023/02/13/how-wagner-gave-three-90s-russian-crime-bosses-a-new-lease-of-death/'>How
Wagner Gave Three Russian Crime Bosses from the 90s a New Lease
of Death» - bellingcat</a> [anglais uniquement]<a href=''>.</a>. D’autres médias ont diffusé l’histoire de membres du groupe Wagner graciés, y compris ceux qui admettent ouvertement avoir commis des crimes de guerre, qui sont retournés dans leurs villages, terrorisant la population locale 
			(89) 
			«<a href='https://www.theguardian.com/world/2023/apr/22/alcohol-and-prostitutes-wagner-convicts-pardoned-by-putin-return-to-terrorise-home-towns'>Murder,
‘alcohol and prostitutes’: Wagner convicts pardoned by Putin return
to terrorise home towns» | Russia | The Guardian</a> [anglais uniquement]<a href=''>.</a>. Le personnel de Wagner a utilisé des avions de chasse, des avions, des hélicoptères, des pièces d’artillerie et d’autres armes sophistiquées russes 
			(90) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2023/jul/12/wagner-hands-thousands-of-tonnes-of-weaponry-to-russian-army'>www.theguardian.com/world/2023/jul/12/wagner-hands-thousands-of-tonnes-of-weaponry-to-russian-army </a>[anglais uniquement], «Accountability for Crimes of Personnel
of the Wagner Group in Ukraine», briefing paper, Open Society Justice
Initiative, novembre 2023, p. 38., sans même essayer de cacher sa dépendance de l’armée russe et sa symbiose avec cette dernière. Le ministère russe de la Défense a ouvertement reconnu le rôle du groupe Wagner dans des actions militaires spécifiques en Ukraine, par exemple dans la prise des villes de Soledar et de Bakhmout 
			(91) 
			«Accountability
for Crimes of Personnel of the Wagner Group in Ukraine», note d’information,
Open Society Justice Initiative, novembre 2023, page 35. . Le Gouvernement russe a également accordé le statut d'anciens combattants aux contractants de Wagner qui ont participé à l'invasion de l'Ukraine par la Russie 
			(92) 
			<a href='https://meduza.io/en/news/2023/04/20/state-duma-passes-law-giving-wagner-mercenaries-combat-veteran-status'>«State
Duma passes law giving Wagner mercenaries ‘combat veteran’ status»
— Meduza </a>[anglais uniquement]. .
55. En juin 2023, un important contingent de membres du groupe Wagner s’est dirigé pratiquement sans opposition vers Moscou. L’apparente mutinerie a été stoppée moyennant un accord avec Vladimir Poutine qui a permis aux combattants du groupe Wagner de s’installer au Bélarus 
			(93) 
			<a href='https://www.bbc.com/news/world-europe-66211121'>www.bbc.com/news/world-europe-66211121 </a>[anglais uniquement]<a href=''>.</a>. Peu après, Vladimir Poutine a admis que la SMP Wagner avait été financée par des dizaines de milliards de roubles prélevés sur le budget de l’État 
			(94) 
			<a href='https://www.politico.eu/article/vladimir-putin-yevgeny-prigozhin-russia-kremlin-gave-wagner-group-nearly-1-billion-in-the-past-year/'>www.politico.eu/article/vladimir-putin-yevgeny-prigozhin-russia-kremlin-gave-wagner-group-nearly-1-billion-in-the-past-year/ </a>[anglais uniquement]<a href=''>.</a>, confirmant ainsi ce que la communauté internationale savait depuis longtemps et que le Kremlin niait farouchement 
			(95) 
			<a href='https://www.wsj.com/articles/eu-sanctions-russias-wagner-group-to-thwart-private-military-11636995416'>www.wsj.com/articles/eu-sanctions-russias-wagner-group-to-thwart-private-military-11636995416 </a>[anglais uniquement]<a href=''>.</a>. Selon un document divulgué par des sources secrètes qui a été qualifié de document fondateur du groupe Wagner, le principe fondateur de Wagner consistait à mener la guerre de la Russie en Ukraine en étant loyal à Vladimir Poutine et à la «nation russe» 
			(96) 
			<a href='https://www.newsweek.com/putin-russia-ukraine-wagner-leak-document-1811833'>www.newsweek.com/putin-russia-ukraine-wagner-leak-document-1811833 </a>[anglais uniquement]<a href=''>.</a>.
56. Deux mois plus tard, les principaux dirigeants du groupe Wagner (dont E. Prigojine et D. Outkine) ont péri dans un accident d’avion, dont on pense généralement qu’il s’agit d’un assassinat ordonné par Vladimir Poutine en représailles à la mutinerie susmentionnée. Selon la version officielle des événements, présentée par Vladimir Poutine lui-même, l’avion s’est écrasé parce que ses passagers étaient en état d’ébriété et jouaient avec des grenades à main 
			(97) 
			<a href='https://www.aljazeera.com/news/2023/10/6/putin-suggests-wagner-mercenary-chiefs-plane-brought-down-by-grenade-blast'>www.aljazeera.com/news/2023/10/6/putin-suggests-wagner-mercenary-chiefs-plane-brought-down-by-grenade-blast </a>[anglais uniquement]. . Après la mort des dirigeants de Wagner, certains de leurs combattants ont été incorporés dans l'armée russe et la Rosgvardiya (Garde nationale) ou engagés par d'autres SMP russes, telles que Redut 
			(98) 
			<a href='https://www.politico.eu/article/new-wagner-russian-mercenary-group-recruits-prigozhins-ex-fighters-redut/'>www.politico.eu/article/new-wagner-russian-mercenary-group-recruits-prigozhins-ex-fighters-redut/ </a>[anglais uniquement]<a href=''>.</a>. Le 26 août 2023, Vladimir Poutine a signé un décret obligeant les combattants paramilitaires à prêter un serment d'allégeance à l'État russe qui les lie ainsi plus étroitement à ses forces armées. Le décret s’applique à tous les membres des «formations de volontaires», expression utilisée pour décrire les sociétés militaires privées, dont l’existence est toujours illégale au regard du droit russe 
			(99) 
			<a href='https://www.rferl.org/a/russia-putin-decree-paramilitary-forces-oath/32564923.html'>www.rferl.org/a/russia-putin-decree-paramilitary-forces-oath/32564923.html </a>[anglais uniquement]. . En septembre 2023, l'armée ukrainienne a signalé qu'environ 500 combattants du groupe Wagner étaient revenus se battre dans l'oblast de Donetsk pour la première fois depuis l'échec de sa mutinerie 
			(100) 
			<a href='https://kyivindependent.com/ukraines-military-confirms-wagner-fighters-return-to-front/'>Ukraine's
military confirms Wagner fighters return to front (kyivindependent.com) </a>[anglais uniquement]. . Les mois suivants ont vu une expansion de l’activité des SMP russes en Afrique. Les médias ont rapporté que le groupe Wagner, désormais sous la stricte supervision du ministère russe de la Défense, a subi un «changement de marque» de ses opérations africaines et a été rebaptisé «Africa Corps» – une autre référence évidente à l’Allemagne nazie.
57. Qu’il s’agisse de massacres de civils ou d’autres crimes de guerre en Ukraine 
			(101) 
			<a href='https://www.spiegel.de/international/germany/possible-evidence-of-russian-atrocities-german-intelligence-intercepts-radio-traffic-discussing-the-murder-of-civilians-in-bucha-a-0a191c96-634f-4d07-8c5c-c4a772315b0d'>www.spiegel.de/international/germany/possible-evidence-of-russian-atrocities-german-intelligence-intercepts-radio-traffic-discussing-the-murder-of-civilians-in-bucha-a-0a191c96-634f-4d07-8c5c-c4a772315b0d </a>[anglais uniquement]<a href=''>.</a> et au Mali 
			(102) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2023/may/20/russian-mercenaries-behind-slaughter-in-mali-village-un-report-finds'>www.theguardian.com/world/2023/may/20/russian-mercenaries-behind-slaughter-in-mali-village-un-report-finds.</a> ou encore de l’assassinat brutal de ses propres militants 
			(103) 
			<a href='https://www.reuters.com/world/europe/sledgehammer-execution-russian-mercenary-who-defected-ukraine-shown-video-2022-11-13/'>www.reuters.com/world/europe/sledgehammer-execution-russian-mercenary-who-defected-ukraine-shown-video-2022-11-13/.</a>, partout où le groupe Wagner s’est manifesté, de nombreuses preuves d’atrocités ont suivi (souvent partagées volontairement par leurs auteurs par vantardise et désir d’intimidation, en toute impunité). Les services de renseignement ukrainiens ont découvert un complot dans lequel une unité d’opérations spéciales, composée de quelque 400 militants appartenant au groupe Wagner, avait été déployée à Kyiv pour assassiner le Président ukrainien, Volodymyr Zelensky, et les membres de son cabinet 
			(104) 
			<a href='https://www.businessinsider.com/russia-orders-mercenaries-assassinate-ukraine-president-report-2022-2?r=US&IR=T'>www.businessinsider.com/russia-orders-mercenaries-assassinate-ukraine-president-report-2022-2?r=US&IR=T.</a>.
58. Face aux preuves de plus en plus nombreuses de violations graves du droit des droits de l’homme et de crimes de droit international, le Gouvernement russe a toujours nié l’existence du groupe Wagner, ce qui lui a permis d’agir en toute impunité dans diverses zones de conflit à travers le monde. Cette situation a suscité de vives inquiétudes quant à l’obligation de rendre compte de ces actes et à la nécessité d’une réponse juridique internationale pour rendre justice aux victimes. À cette fin, l’Assemblée parlementaire de l’OSCE a adopté une résolution dans laquelle elle indique que les actions menées par le groupe Wagner au nom du Gouvernement russe peuvent à juste titre être qualifiées de terroristes par nature et par intention, et que la désignation du groupe Wagner en tant qu’organisation terroriste par les autorités nationales est donc justifiée. L’OSCE a aussi appelé ses États membres à prendre des mesures contre le groupe Wagner, notamment en le qualifiant d’organisation terroriste 
			(105) 
			Résolution
sur la nature et les actions terroristes du groupe Wagner adoptée
par l’Assemblée parlementaire de l’OSCE lors de sa 30e session
annuelle (Vancouver, 30 juin-4 juillet 2023) dans le cadre de la
Déclaration et des résolutions de Vancouver.. Le Parlement européen a lancé un appel similaire dans sa résolution du 23 novembre 2022 
			(106) 
			Résolution
du Parlement européen du 23 novembre 2022 sur la reconnaissance
de la Fédération de Russie en tant qu’État soutenant le terrorisme
(2022/2896(RSP)). . Le Conseil de l’Union européenne a sanctionné le groupe Wagner pour ses actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine 
			(107) 
			Règlement
d’exécution (UE) 2023/755 du Conseil du 13 avril 2023 mettant en
œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant
des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant
l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
JO L 100I, 13/04/2023, pages 1-3.. L’Assemblée parlementaire a également invité les parlements nationaux des États membres du Conseil de l’Europe à qualifier le groupe Wagner (ainsi que la Garde de Kadyrov) d’organisations terroristes et à demander que tous les groupes militaires et paramilitaires qui participent à l’agression russe contre l’Ukraine rendent pleinement compte de leurs actes (Résolution 2506 (2023) «Les conséquences politiques de la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine», sur la base d’un rapport préparé par M. Emmanuelis Zingeris (Lituanie, PPE/DC) pour la commission des questions politiques et de la démocratie) 
			(108) 
			Cette résolution appelle
également les États membres à émettre des notices rouges INTERPOL
(mandats d’arrêt) à l’encontre des dirigeants et des membres de
ces groupes terroristes internationaux; elle demande à la CPI d’émettre
des mandats d’arrêt à leur encontre, et appelle les pays représentés
à la Conférence des participants au Registre des dommages à préciser
que le registre devra également répertorier les actes commis par
des groupes militaires privés, des groupes paramilitaires et d’autres
groupes militaires combattant pour la Fédération de Russie, notamment
le groupe Wagner et les forces de Kadyrov. L’Assemblée a même appelé
les États membres à déclarer le régime russe actuel terroriste (Résolution
2463 (2022) «Nouvelle escalade dans l’agression de la Fédération
de Russie contre l’Ukraine», paragraphe 13.7). .
59. Plusieurs parlements nationaux d’États membres du Conseil de l’Europe ont également décidé de désigner la SMP Wagner comme une organisation terroriste (notamment la Lituanie 
			(109) 
			<a href='https://www.rferl.org/a/ukraine-wagner-terrorist-organization-lithuania/32317062.html'>www.rferl.org/a/ukraine-wagner-terrorist-organization-lithuania/32317062.html.</a>, l’Estonie 
			(110) 
			<a href='https://www.riigikogu.ee/en/news-from-committees/foreign-affairs-committee/riigikogu-declared-russia-a-terrorist-regime/'>www.riigikogu.ee/en/news-from-committees/foreign-affairs-committee/riigikogu-declared-russia-a-terrorist-regime/.</a>, la France 
			(111) 
			<a href='https://www.lemonde.fr/en/politics/article/2023/05/10/french-parliament-calls-on-eu-to-list-wagner-as-terrorist-group_6026136_5.html'>www.lemonde.fr/en/politics/article/2023/05/10/french-parliament-calls-on-eu-to-list-wagner-as-terrorist-group_6026136_5.html.</a> et le Royaume-Uni 
			(112) 
			<a href='https://www.gov.uk/government/news/wagner-group-proscribed'>www.gov.uk/government/news/wagner-group-proscribed.</a>). Le département du Trésor des États-Unis l’a sanctionnée en tant qu’organisation criminelle transnationale, ce qui a eu pour effet de perturber ses opérations au niveau mondial 
			(113) 
			<a href='https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy1220'>https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy1220.</a>.
60. Comme l’a fait remarquer notre expert, Jelena Aparac, en raison du champ d’application étroit de l’article 47, paragraphe 2, du Protocole additionnel aux Conventions de Genève, il est peu probable que le groupe Wagner remplisse les six critères cumulatifs qui y sont énoncés et qui permettraient de qualifier ses combattants de «mercenaires» en vertu du droit international humanitaire. J’ai tendance à partager cette position, d’autant que la plupart des membres du groupe Wagner seraient des ressortissants russes 
			(114) 
			L’obligation de ne
pas être «ressortissant d’une Partie au conflit, ni résident d’un
territoire contrôlé par une Partie au conflit» exclurait automatiquement
les membres du groupe Wagner de la définition des mercenaires en
Ukraine, mais pas en Afrique. et qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour conclure qu’on leur promet «une rémunération matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées».
61. Étant donné que le personnel des SMP russes est censé intervenir dans le cadre d’un contrat privé et non qu’en tant que membres officiels des forces armées russes, il ne s’agit pas non plus de soldats réguliers.
62. Malgré de nouvelles informations sur l’ancienne direction de la SMP Wagner, sa structure réelle et son évolution après les événements de 2023 restent largement inconnues. Mme Aparac et le Groupe de travail de l’ONU sur l’utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’ont trouvé aucune preuve de l’inscription au registre du commerce du groupe Wagner, ce qui rend peu probable sa qualification officielle de «société militaire et de sécurité privée» (dont l’activité serait en tout état de cause illégale au regard du droit russe).
63. Compte tenu de ce qui précède et du peu d’éléments de preuve concernant l’organisation interne de la SMP Wagner et de sa structure de commandement effective, la question se pose de savoir si ses combattants satisfont ou ont satisfait aux critères nécessaires pour être qualifiés de «combattants», au sens de l’article 43(2) du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève 
			(115) 
			Article 43(2): «Les
membres des forces armées d'une Partie à un conflit (...) sont des
combattants». L'article 43(1) contient une définition des forces
armées: les forces, les groupes et les unités armés doivent être
«organisés» et sont «placés sous un commandement responsable de
la conduite de ses subordonnés devant cette Partie». Ces forces armées
doivent être soumises à un «régime de discipline interne qui assure,
notamment, le respect des règles du droit international applicable
dans les conflits armés».. S'ils ne peuvent être qualifiés de «combattants», cela ne les priverait évidemment pas des garanties fondamentales du droit international humanitaire applicable aux civils, mais ces combattants «illégaux», une fois capturés, pourraient être jugés et sanctionnés en vertu du droit national pour leur belligérance non privilégiée (c’est-à-dire leur simple participation aux hostilités) puisqu’ils ne pourraient pas bénéficier de l’immunité de combattant applicable aux prisonniers de guerre 
			(116) 
			Dörmann, K. (2003).
«The legal situation of ‘unlawful/unprivileged combatants’». International Review of the Red Cross,
85(849), pages 70-71. Pour d'autres références, voir également «Accountability
for Crimes of Personnel of the Wagner Group in Ukraine», note d’information,
Open Society Justice Initiative, novembre 2023. Selon cette note d'information,
certains facteurs plaident en faveur d'une assimilation générale
du personnel du groupe Wagner à des combattants (sous réserve d'une
détermination au cas par cas): «Le groupe Wagner peut satisfaire
à l'exigence d'être ‘organisé’, puisqu'il a démontré sa capacité
à mener des opérations militaires complexes et de grande envergure,
y compris dans la prise stratégique de plusieurs villes en Ukraine
(...) La question de savoir si le groupe Wagner satisfait à l'exigence
de ‘commandement responsable’ est plus incertaine (...) Plusieurs
faits suggèrent que la Russie a organisé, coordonné et planifié
les actions militaires du groupe Wagner en Ukraine (...) Il est
significatif que le président Poutine ait expressément admis que
la Russie a financé le groupe Wagner.». . En tout état de cause, ils pourraient être poursuivis pour les allégations de crimes de droit international commis en Ukraine, devant la CPI ou dans un autre État compétent, y compris l'Ukraine ou tout autre État en vertu du principe de compétence universelle 
			(117) 
			Voir à titre d'exemple
la confession d’un ancien combattant de Wagner concernant d’éventuels
crimes de guerre commis en Ukraine: <a href='https://www.theguardian.com/world/2023/apr/18/wagner-mercenary-admits-tossing-grenades-at-injured-ukrainian-pows'>www.theguardian.com/world/2023/apr/18/wagner-mercenary-admits-tossing-grenades-at-injured-ukrainian-pows</a>. .
64. Indépendamment de la qualification juridique des combattants du groupe Wagner dans le droit international humanitaire, la Russie devrait assumer l'entière responsabilité internationale des actes de ses sociétés militaires ou paramilitaires privées en Ukraine et ailleurs. Afin d'établir la responsabilité internationale des États pour le comportement de personnes privées ou de groupes de personnes, nous devons nous référer aux articles de la Commission du droit international sur la responsabilité des États pour des actes internationalement illicites. L'article 8 exige que les actes soient commis sous les instructions, la direction ou le contrôle de l'État pour être imputables à cet État 
			(118) 
			Application de la Convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie et Monténégro),
arrêt, CIJ, recueil 2007, paragraphe 398.. Dans l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d'Amérique), la CIJ a établi le critère dit du «contrôle effectif», selon lequel les faits commis par un acteur non étatique peuvent être attribués à l’État lui-même, si cet État «a dirigé ou imposé la perpétration d’actes contraires» 
			(119) 
			Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, CIJ; recueil 1986, paragraphe 115. au droit international. Bien que ce critère détermine un seuil assez élevé pour l’attribution du comportement illégal d’une partie privée à un État (puisqu’il exige que le contrôle effectif soit exercé «pour chaque opération au cours de laquelle les violations alléguées ont été commises, et non généralement pour l'ensemble des mesures prises par les personnes ou groupes de personnes ayant commis les violations» 
			(120) 
			Application
de la Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie et
Monténégro), arrêt, CIJ, recueil 2007, paragraphe 400.
Voir également: «<a href='https://lieber.westpoint.edu/wagner-group-status-accountability/'>Ukraine
Symposium – The Wagner Group: Status and Accountability» - Lieber
Institute West Point</a>. ), je pense que ce seuil a été atteint dans le cas du groupe Wagner et sa participation à la guerre d'agression contre l'Ukraine. Nous ne devrions pas non plus oublier que la responsabilité de l'État pourrait être déterminée également à partir du moment ou celui-ci reconnaît et adopte le comportement du groupe Wagner comme étant le sien (en vertu de l'article 11 de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite) 
			(121) 
			«<a href='https://opiniojuris.org/2023/04/28/recalling-an-outlier-for-gauging-russian-responsibility-in-its-relationship-with-the-wagner-group/'>Recalling
an Outlier for Gauging Russian Responsibility in its Relationship
with the Wagner Group» - Opinio Juris.</a>.
65. En tout état de cause, ce qui est clairement imputable à la Russie, c’est son mépris total et complet pour les obligations qui découlent du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme. Selon l’article 1 des Conventions de Genève, «[l]es Hautes Parties contractantes s'engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances». Cette obligation inclut clairement l’obligation de prévenir et de poursuivre les crimes de guerre. Dans ce contexte, je note également qu’une affaire contre la Russie est pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme, concernant le meurtre présumé d’un journaliste syrien par des membres du groupe Wagner, dans laquelle la Cour devra examiner la responsabilité de l'État russe en vertu de la Convention 
			(122) 
			<a href='https://www.fidh.org/fr/regions/maghreb-moyen-orient/syrie/crimes-commis-par-wagner-en-syrie-plainte-deposee-aupres-de-la-cedh'>www.fidh.org/fr/regions/maghreb-moyen-orient/syrie/crimes-commis-par-wagner-en-syrie-plainte-deposee-aupres-de-la-cedh</a>. .
66. Je tiens à souligner que ni un voile corporatif, ni un «brouillard de guerre» ne devraient nous empêcher de veiller à ce que tout dommage causé par les combattants du groupe Wagner et d’autres auxiliaires russes aux hostilités en Ukraine soit inscrit au Registre des dommages pour l’Ukraine, comme l'a déjà demandé l'Assemblée 
			(123) 
			<a href='https://www.coe.int/en/web/kyiv/-/ukraine-register-of-damage-should-also-record-loss-caused-by-wagner-and-kadyrov-groups-says-pace-president'>www.coe.int/en/web/kyiv/-/ukraine-register-of-damage-should-also-record-loss-caused-by-wagner-and-kadyrov-groups-says-pace-president</a> [anglais uniquement].. La communauté internationale doit tenir la Russie pour responsable des actes de toutes les troupes placées sous son contrôle ou combattant en son nom, qu’il s'agisse de soldats réguliers, de SMP ou de combattants lors d’opérations clandestines.
67. Avant que les responsables de ces crimes soient traduits en justice, nous devons également nous pencher sur le risque que le groupe Wagner et d’autres SMP russes continuent de faire peser sur la communauté internationale. Les actes barbares perpétrés en Ukraine, en Afrique et au Moyen-Orient ne laissent aucun doute sur le fait que les Wagner et autres SMP russes ne reculeront devant rien pour faire avancer le programme politique du Kremlin. Dans ce contexte, je félicite l'Assemblée parlementaire de l’OSCE et plusieurs États membres du Conseil de l’Europe qui ont déjà qualifié le groupe Wagner d’organisation terroriste. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que des actes tels que le meurtre aveugle de civils innocents 
			(124) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2023/may/20/russian-mercenaries-behind-slaughter-in-mali-village-un-report-finds'>www.theguardian.com/world/2023/may/20/russian-mercenaries-behind-slaughter-in-mali-village-un-report-finds </a>[anglais uniquement]. et le piégeage de jouets d'enfants 
			(125) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2022/may/25/russian-mercenaries-accused-over-use-of-mines-and-booby-traps-in-libya'>www.theguardian.com/world/2022/may/25/russian-mercenaries-accused-over-use-of-mines-and-booby-traps-in-libya </a>[anglais uniquement]. afin de provoquer un état de terreur au sein de la population civile justifient de les désigner comme tels. La Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme de 1999 inclut dans la définition du terrorisme (aux fins d’ériger en infraction le financement du terrorisme) «tout autre acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque» 
			(126) 
			Convention
des Nations Unies pour la répression du financement du terrorisme,
article 2(1)(b).. Cette définition a également été incorporée dans la Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE no 198, Varsovie, 2005). Les deux conventions obligent les États parties à saisir, confisquer ou mettre sous séquestre tous les fonds utilisés aux fins de commettre le terrorisme ou les produits du crime. Compte tenu de la nature de certaines des atrocités commises par le groupe Wagner, je considère qu'il est pleinement justifié de qualifier ses crimes contre la population civile de terrorisme (en plus de leur qualification de crimes de guerre 
			(127) 
			Par exemple, l'article
51(2) du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève énonce
que «[s]ont interdits les actes ou menaces de violence dont le but
principal est de répandre la terreur parmi la population civile.».
Pour une application de cette disposition, voir TPIY, Chambre de
première instance, Procureur c. Stanislav
Galic, jugement du 5 décembre 2003, affaire No IT-98-29. ) et le groupe d'organisation terroriste. Nos experts du groupe Wagner semblaient considérer que cela ne changerait pas grand-chose 
			(128) 
			L’Union européenne,
par exemple, a déjà sanctionné le groupe Wagner dans le cadre d'un
autre régime de sanctions de l'Union européenne, mais pas dans le
cadre de la liste des terroristes de l'Union européenne. . Il ne faut cependant pas sous-estimer l'importance symbolique d'une telle qualification. Cela confirmerait en outre le statut de la Russie en tant qu’État soutenant le terrorisme et aurait un effet dissuasif supplémentaire sur les entités qui envisageraient de coopérer avec le groupe Wagner ou des SMP russes.
68. Enfin, l'Assemblée devrait inviter la CPI à envisager d'examiner la responsabilité pénale individuelle des membres du groupe Wagner et d'autres SMP russes et, le cas échéant, de délivrer des mandats d'arrêt à leur encontre, dans le cadre des différentes enquêtes et des examens préliminaires ouverts en relation avec l'Ukraine et différents pays d'Afrique. Afin de renforcer l’obligation de rendre des comptes et la recherche de la vérité, elle devrait également recommander aux organes des Nations Unies, en particulier au Conseil des droits de l'homme, de mettre en place une commission d'enquête indépendante sur toutes les violations alléguées du droit international des droits de l’homme et les crimes internationaux commis par les membres du groupe Wagner dans différents conflits à travers le monde, y compris en Ukraine et dans de nombreux pays d'Afrique. Cela pourrait également permettre d'examiner plus largement le rôle que le groupe Wagner a joué dans la promotion de la politique étrangère agressive de la Russie, en mettant l'accent sur sa dimension transnationale.

6. Conclusions

69. Depuis le début de l'agression à grande échelle de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, le Conseil de l'Europe, et en particulier l'Assemblée parlementaire, ont élaboré un programme ambitieux pour soutenir l'Ukraine et sa population et garantir la justice et l’obligation de rendre des comptes pour toutes les violations du droit international qui ont été commises. Un Registre des dommages pour l'Ukraine, qui a été créé en 2023, lors du sommet de Reykjavík, a commencé à recevoir des demandes d'indemnisation de la part de victimes ukrainiennes. Même s'il faudra du temps pour rendre la justice et accorder des réparations, il apparaît nécessaire de redoubler d’efforts pour répondre aux attentes du peuple ukrainien et à nos propres ambitions.
70. L'Assemblée devrait donc demander instamment aux États membres et observateurs de continuer à travailler sur un système complet d’établissement des responsabilités pour toutes les violations du droit international découlant de l'agression, y compris le crime d'agression commis par les dirigeants politiques et militaires de la Russie. L'Assemblée devrait soutenir fermement les consultations qui sont en cours au sein du Core Group en vue de trouver un compromis sur le modèle de tribunal spécial pour le crime d'agression, et ce dans les plus brefs délais. Le modèle fondé sur un accord bilatéral entre le Conseil de l'Europe et l'Ukraine semble gagner du terrain et nous devrions soutenir cette option, qui semble la plus viable, tout en insistant sur les caractéristiques qui rendraient le tribunal aussi international que possible (par exemple, la définition du crime d'agression conformément au statut de la CPI, la composition, etc.) Certains ont déclaré à cet égard qu’en créant un tribunal dans le cadre d'un accord avec l'Ukraine, le Conseil de l'Europe n'agirait pas uniquement au nom de ses États membres. Il se mettrait au service de la communauté internationale dans son ensemble, afin de faire respecter l'ordre juridique international auquel la Russie a délibérément porté atteinte.
71. En outre, l'Assemblée devrait condamner fermement tous les autres crimes de droit international commis dans le cadre de l'agression, y compris les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et très probablement le génocide. Elle devrait se féliciter des travaux en cours entrepris par tous les mécanismes en vigueur destinés à amener les responsables à répondre de leurs actes, en particulier la CPI et les autorités ukrainiennes, et inviter tous les États membres à contribuer à ces travaux par leur expertise, leur assistance, leur renforcement des capacités et leurs ressources. En ce qui concerne l'indemnisation, et conformément aux résolutions précédentes, l'Assemblée devrait inviter le Comité des Ministres à procéder, dès que possible et en consultation avec le Registre des dommages, à la mise en place d'un mécanisme international d'indemnisation sous les auspices du Conseil de l'Europe. Ce mécanisme comprendrait une commission internationale des réclamations et un fonds fiduciaire international, où seraient transférés tous les avoirs saisis de l'État russe actuellement gelés. L'Assemblée devrait clairement soutenir la saisie et le transfert de ces avoirs et indiquer qu’il s’agit d’une option juridique tout à fait valable en vertu du droit international, comme l'ont démontré de nombreux experts en droit international, dont certains ont été entendus par notre commission et d'autres commissions de l'Assemblée. Cette solution semble la plus appropriée si nous voulons assurer l’indemnisation de tous les dommages causés à l'Ukraine à la suite de l'agression et si nous voulons éviter d’imposer un fardeau injuste aux contribuables de nos pays. En outre, l'Assemblée devrait exprimer son soutien à toutes les autres options actuellement examinées pour utiliser les avoirs publics gelés et réitérer son appel à la communauté internationale pour qu'elle réaffecte également les avoirs gelés des oligarques russes à l'aide à l'Ukraine.
72. Enfin, l'Assemblée devrait se pencher sur le rôle du groupe Wagner et sa participation à l'agression russe contre l'Ukraine. La responsabilité pénale individuelle pour les crimes commis en Ukraine devrait faire l'objet d'une enquête de la part de la CPI ou d'autres États en vertu du principe de compétence universelle. Une nouvelle commission mandatée par l'ONU pourrait examiner le rôle du groupe Wagner dans différents conflits à travers le monde et ses multiples violations des droits humains. La Fédération de Russie devrait assumer l'entière responsabilité des violations commises par le groupe Wagner en Ukraine et les dommages qui en découlent devraient être couverts par le futur mécanisme d’indemnisation.