1. Introduction
1. En dépit de manifestations
généralisées en Géorgie et des appels de la communauté internationale,
le Parlement géorgien a adopté la Loi sur la transparence de l’influence
étrangère le 14 mai 2024, en troisième lecture et à l’issue d’une
procédure menée inutilement à la hâte. Cette loi est parfois appelée
«loi sur les agents étrangers». Cette adoption précipitée, sans
attendre l’avis de la Commission européenne pour la démocratie par
le droit (Commission de Venise) qui devait être rendu seulement
quelques jours plus tard, a été vivement critiquée dans le pays
et par la communauté internationale, notamment par le Président
de l’Assemblée parlementaire et par la Secrétaire Générale du Conseil
de l’Europe.
2. Le 18 mai 2024, la Présidente géorgienne Salome Zourabichvili
a mis son veto à cette loi, invoquant son incompatibilité avec la
Constitution géorgienne, les normes et règles internationales et
les obligations et engagements de la Géorgie à l’égard de ses partenaires
internationaux.
3. Le 20 mai 2024, la Commission de Venise a rendu son avis urgent
au sujet de la loi, qui avait été demandé
par le Président de notre Assemblée. Les conclusions de cet avis,
que nous détaillerons dans la suite du document, sont sans équivoque:
la loi dans sa forme actuelle présente des défauts fondamentaux
qui portent atteinte à la liberté d’expression et à la liberté d’association
et qui nuisent au pluralisme politique et à la démocratie. La Commission
de Venise a donc recommandé l’abrogation complète de la loi dans
sa forme actuelle.
4. Préoccupée par les conséquences de cette loi pour la trajectoire
démocratique du pays et par les profonds clivages que son introduction
entraîne dans la société géorgienne, l’Assemblée a organisé un débat d’actualité
sur «La démocratie en Géorgie confrontée à de nouveaux défis» lors
de la réunion de sa Commission permanente qui s’est tenue à Vilnius,
le 24 mai 2024. Au cours de ce débat, un nouvel appel a été lancé
aux autorités géorgiennes pour qu’elles abrogent la loi. Ces efforts
sont restés vains. Le Parlement géorgien a procédé à un vote (66
voix pour et aucune contre), le 28 mai 2024, pour passer outre le
veto présidentiel à la Loi sur la transparence de l’influence étrangère.
Cette décision a été vivement condamnée dans le pays et par les
partenaires et amis internationaux de la Géorgie.
5. L’adoption de la Loi sur la transparence de l’influence étrangère
et les développements connexes amènent de toute évidence à s’interroger
sur l’engagement de la Géorgie à l’égard des normes et principes démocratiques
européens, ainsi que sur sa volonté de respecter ses obligations
et engagements en tant qu’État membre du Conseil de l’Europe. Pour
cette raison, le 24 juin 2024, sur proposition du Bureau, l’Assemblée
a décidé d’organiser un débat d’urgence sur «Les défis pour la démocratie
en Géorgie» et a saisi la commission pour le respect des obligations
et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission
de suivi) pour rapport. Le même jour, la Commission de suivi, conformément
à la procédure établie, nous a nommés corapporteurs.
6. Dans le présent rapport, nous exposons les évènements et le
climat qui ont conduit à l’adoption de la Loi sur la transparence
de l’influence étrangère ainsi que les préoccupations et les recommandations formulées
dans l’avis de la Commission de Venise sur cette loi.
2. Loi sur la transparence de l’influence
étrangère
7. Comme nous l’avons souligné
dans la note d’information sur notre visite à Tbilissi en mars 2023
et dans le rapport de 2023 sur l’évolution
de la procédure de suivi de l’Assemblée
, en février 2023, la majorité au pouvoir
a inscrit à l’ordre du jour du parlement un projet de loi controversé
sur la «transparence de l’influence étrangère» contraignant les
personnes morales (organisations et individus, y compris les médias)
dont plus de 20 % des ressources proviennent de l’étranger à s’enregistrer
en tant qu’ «agents de l’étranger» et à faire l’objet d’une surveillance
intensive de la part des autorités. Ce projet de loi, présentant
des similitudes troublantes avec la loi russe sur les agents de
l’étranger et la loi hongroise «Stop Soros», a suscité un tollé dans
la société géorgienne. La communauté internationale a également
émis des critiques à son égard, alertant les autorités géorgiennes
sur le fait que ce projet de loi soulevait de sérieuses questions
de compatibilité avec les normes européennes de démocratie et de
droits humains, notamment avec la Convention européenne des droits
de l’homme (STE no 5). Face aux manifestations
populaires massives qui prenaient de l’ampleur dans le pays, en
dépit des tentatives de la police de les disperser par la force,
la majorité au pouvoir a annoncé, le 9 mars 2023, qu’elle retirerait
le projet de Loi sur la transparence de l’influence étrangère. Le
parlement a ensuite rejeté le projet de loi lors de sa deuxième
lecture, le 10 mars 2023.
8. Contre toute attente et alors qu’elle s’était formellement
engagée à ne pas tenter de présenter à nouveau une législation de
ce type, la majorité au pouvoir a annoncé le 4 avril 2024 qu’elle
inscrirait une nouvelle fois le projet de Loi sur la transparence
de l’influence étrangère à l’ordre du jour du parlement. Quasiment
identique à la version que la majorité au pouvoir avait retirée
en mars 2023, ce projet contenait un seul changement mineur et de
pure forme
, à savoir le remplacement du terme
«agent de l’étranger» par «organisation poursuivant les intérêts
d’une puissance étrangère», ce qui est à peine moins stigmatisant
et moins litigieux.
9. En vertu de la loi, toute personne morale non commerciale,
y compris les diffuseurs audiovisuels et les médias, ou toute personne
morale qui possède seule ou conjointement un média ou un domaine
internet/site web diffusant des informations en langue géorgienne
et dont le financement ou les revenus proviennent à plus de 20 %
de «puissances étrangères»
est
considérée comme une «organisation poursuivant les intérêts d’une puissance
étrangère» et est donc tenue de s’enregistrer auprès de l’Agence
nationale du registre public, lequel registre est accessible au
public.
10. Les organisations figurant dans le registre sont soumises
à des obligations déclaratives et comptables étendues et intrusives.
Le respect des exigences est contrôlé par le ministère de la Justice,
qui peut demander tout renseignement à caractère personnel, y compris
confidentiel, à toute personne physique, organisation publique ou
personne morale. La non-communication des renseignements demandés
expose les personnes physiques ou morales concernées à une pénalité
de 5 000 GEL (environ 1 650 EUR).
11. Comme on pouvait s’y attendre, la nouvelle présentation de
ce projet de loi très controversé a provoqué une autre vague de
manifestations massives, qui a réuni un large éventail de la société
géorgienne, notamment des jeunes et des étudiants, des universitaires,
des syndicats, des organisations de la société civile et des journalistes,
et l’opposition politique en Géorgie. Cette seconde présentation
du projet de loi a également été condamnée par la communauté internationale
qui a réitéré ses vives inquiétudes quant à sa compatibilité avec
les normes européennes de démocratie et de droits humains, ainsi
qu’à l’engagement des autorités géorgiennes dans le processus d’intégration
euro-atlantique du pays.
12. A la lumière des questions sérieuses que soulève cette loi
et soucieux de maintenir avec les autorités géorgiennes un dialogue
fondé sur les normes et principes européens, le Président de l’Assemblée
a demandé, le 15 avril 2024, un avis urgent de la Commission de
Venise concernant le projet de loi sur son contenu.
13. Dans l’intervalle, les manifestations contre la loi se sont
intensifiées. Cela a conduit à une polarisation politique de plus
en plus forte s’accompagnant d’un virulent discours polémique de
la part des autorités. Les tentatives de la police de mettre fin
aux manifestations se sont caractérisées par un usage disproportionné
de la force et il y a eu aussi des signalements d’intimidations
et d’attaques contre des manifestants, des militants de la société
civile, des journalistes et des responsables politiques de l’opposition.
Nous exposerons plus en détail nos préoccupations concernant cette
apparente répression des protestations contre la loi dans la suite de
ce document.
14. Malgré toutes les manifestations nationales et internationales,
le Parlement géorgien a adopté cette loi le 14 mai 2024, en troisième
et dernière lecture, sans attendre l’avis de la Commission de Venise
qui devait être rendu quelques jours plus tard. L’adoption menée
inutilement à la hâte et sans attendre l’avis de la Commission de
Venise a été vivement critiquée par la communauté internationale,
notamment par le Président de l’Assemblée, qui a également condamné
les attaques contre des militants de la société civile, des représentants
des médias et des membres de l’opposition
.
Dans sa déclaration du 15 mai 2024, la Secrétaire Générale du Conseil
de l’Europe s’est dite profondément déçue que la loi ait été adoptée
sans attendre la publication pourtant imminente de l’avis de la
Commission de Venise, ce qui «ne reflète pas un esprit de dialogue
constructif»
.
15. En réponse à ces critiques, le Premier ministre Irakli Kobakhidze
a déclaré que son parti serait disposé à étudier la possibilité
d’apporter des amendements à la loi dans le cadre de ses délibérations
sur le veto attendu de la Présidente géorgienne «si la communauté
internationale expose des arguments fondés sur le plan juridique»
– faisant probablement référence à l’avis de la Commission de Venise.
16. Or, la Présidente Zourabichvili a estimé que la loi présentait
des défauts si importants sur le fond et tant de contradictions
avec la Constitution géorgienne et le droit international qu’il
ne serait pas possible de l’améliorer par des amendements. Elle
a donc opposé son veto à la loi le 18 mai 2024, ne présentant qu’un seul
amendement à la loi limitant sa validité à une journée.
17. Les autorités ont condamné le veto de la Présidente, émis
avant la réception de l’avis de la Commission de Venise, l’accusant
d’anéantir toute possibilité de compromis
avec la communauté
internationale.
18. Une telle critique de la majorité au pouvoir est fallacieuse
et incorrecte. Pour que la procédure soit adéquate, le législateur
aurait dû attendre de recevoir l’avis de la Commission de Venise
afin de tenir compte de toute préoccupation et recommandation éventuelle
avant d’adopter la loi. Cette responsabilité, qui n’incombe pas
à la Présidente, aurait en effet signifié qu'elle aurait alors été
chargée de négocier avec le gouvernement au sujet de la conformité
de la loi avec les normes internationales. Par ailleurs, la procédure
de veto présidentiel n’est pas faite pour concilier un projet de
loi avec les normes internationales, et elle se limite strictement
à deux semaines, ce qui n’est pas propice au bon déroulement d’un
processus d’amendement de texte législatif présentant des défauts
fondamentaux.
19. Le 20 mai 2024, la Commission de Venise a publié son avis
urgent concernant la Loi sur la transparence de l’influence étrangère.
Comme nous l’avons déjà indiqué, les conclusions de cet avis sont
sans équivoque: la loi dans sa forme actuelle présente des défauts
fondamentaux et devrait être abrogée dans son intégralité (voir
chapitre 3).
20. Le parti au pouvoir a cependant dénoncé l’avis de la Commission
de Venise le lendemain de sa publication, le jugeant «infondé»,
«faux», «manipulateur», «injustifié» et même «paradoxal»
, et a remis
en question l’objectivité de la Commission de Venise elle-même.
Il a indiqué clairement qu’il ne tiendrait compte d’aucune des recommandations
de la Commission de Venise, notamment celle d’abroger la loi.
21. Le 28 mai 2024, dans un contexte de manifestations massives,
le Parlement géorgien est passé outre le veto présidentiel et a
adopté la loi avec 84 voix pour
.
Là encore, cette décision a été rapidement fermement condamnée par
la communauté internationale. Le Président du Conseil européen,
Charles Michel, a qualifié l’adoption de la loi de pas en arrière
qui éloignerait la Géorgie de l’Union européenne, tandis que le Gouvernement
américain a annoncé un réexamen complet des relations entre la Géorgie
et les États-Unis ainsi que de la mise en œuvre des sanctions, notamment
des restrictions de visas pour les détracteurs de la démocratie
en Géorgie. Dans une déclaration que nous soutenons pleinement,
la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe a déploré la décision
de la majorité au pouvoir de passer outre le veto présidentiel et
a mis en garde contre «les conséquences négatives de cette loi sur
le débat public éclairé, le pluralisme et l’équilibre démocratique
des pouvoirs, ce qui pourrait également mettre en péril un climat
propice à des élections libres et équitables»
.
22. Le 3 juin 2024, conformément aux dispositions constitutionnelles,
le Président du Parlement géorgien a signé la Loi sur la transparence
de l’influence étrangère, qui a été publiée au journal officiel
le 4 juin 2024. Les principales dispositions de la loi entreront
en vigueur 60 jours après sa publication. Toutes les organisations non
commerciales, y compris les organisations de la société civile et
les médias, dont plus de 20 % des fonds proviennent de l’étranger,
devront s’enregistrer auprès du ministère de la Justice, sous peine
de se voir infliger de lourdes amendes et de devoir éventuellement
cesser leurs activités. Malgré les pressions, plus d’une centaine
d’organisations de la société civile et de médias ont annoncé
qu’ils ne s’enregistreraient pas
en tant qu’agents de l’étranger.
23. Plusieurs organisations de la société civile ont annoncé qu’elles
allaient contester la Loi sur la transparence de l’influence étrangère
devant la Cour constitutionnelle géorgienne et qu’elles préparaient
en parallèle un recours devant la Cour européenne des droits de
l’homme
.
24. Tout en excluant la possibilité d’être elle-même candidate
aux prochaines élections, que ce soit à titre individuel ou dans
une liste de parti, la Présidente Zourabichvili a annoncé, le 26
mai 2024, son initiative de «Charte géorgienne»
devant
servir de feuille de route pour résoudre la crise politique en cours
et pour préserver les perspectives d’intégration du pays. Le 3 juin
2024, cette charte avait été signée par 17 partis politiques.
3. Avis
de la Commission de Venise
25. Pour bien comprendre les lacunes
de la loi et les préoccupations qu’elle suscite quant à sa compatibilité avec
les droits fondamentaux, nous recommandons vivement de prendre connaissance,
dans son intégralité, de l’excellent avis de la Commission de Venise
. Nous nous contenterons d’en résumer
brièvement ses principales conclusions.
26. Il est noté, dans l’avis, que la Géorgie dispose déjà d’un
cadre juridique bien établi régissant les obligations d’enregistrement
et de déclaration, y compris de nature financière, pour les organisations
non commerciales (notamment de la société civile) et les médias.
Selon le Code civil, les personnes morales non commerciales doivent
s’enregistrer et communiquer des informations, entre autres, sur
leurs employés et leurs sources de financement. Pour bénéficier
d’avantages fiscaux, tout donateur doit fournir au service des impôts des
informations détaillées publiées par la suite sur le site internet
du ministère des Finances, sur le programme ou projet qu’il finance,
y compris sur les personnes qui y participent. Par ailleurs, pour
obtenir une licence de diffusion, les diffuseurs audiovisuels sont
déjà tenus de présenter un plan détaillé du financement de leurs
activités et de leurs programmes. Plusieurs lois garantissent la
transparence financière des organisations commerciales et non commerciales
afin de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement
d’organisations terroristes, comme l’exigent le Comité d'experts
sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des
capitaux et le financement du terrorisme (Moneyval) et le Groupe
d'action financière (GAFI). Enfin, la loi sur le lobbying dispose
que toute personne ayant l’intention d’influer sur un représentant
d’organe exécutif ou sur la législation doit être inscrite dans
le registre des lobbyistes et doit rendre compte régulièrement de
ses activités de lobbying et des fonds reçus à cet effet
. L’existence
d’un cadre juridique déjà complet ne justifie pas l’adoption d’une
loi supplémentaire aussi controversée et intrusive que la Loi sur
la transparence de l’influence étrangère, ce qui amène à s’interroger
sur la nécessité et la finalité réelles de cette loi.
27. Comme l’a souligné la Commission de Venise, une loi qui exige
la déclaration et l’enregistrement publics des dons étrangers par
des organisations et des individus qui y sont soumis, comme c’est
le cas de la loi géorgienne, interfère avec plusieurs droits humains
fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de
l’homme, notamment le droit à la liberté d’association, le droit
à la liberté d’expression, le droit au respect de la vie privée
et le droit de ne pas subir de discrimination. Comme le prévoient
plusieurs instruments relatifs aux droits humains et la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme, toute restriction de
ces droits dans une société démocratique doit répondre à des conditions
très précises de légalité, de légitimité, de proportionnalité, de
stricte nécessité et de non-discrimination. L’analyse de la Commission
de Venise montre clairement que la loi en question ne remplit aucune
de ces conditions et qu’elle est par conséquent incompatible avec
les normes européennes et d’autres normes internationales de droits humains
.
28. La Commission de Venise note que, d’après la loi considérée,
l’hypothèse qu’une personne ou organisation se trouve sous l’influence
d’une puissance étrangère repose uniquement sur la condition que
plus de 20 % de ses fonds proviennent de sources étrangères, indépendamment
du nombre et de la nature de ces sources. Cette hypothèse est à
la fois discutable et erronée. Elle va à l’encontre des normes européennes
et des lignes directrices de la Commission de Venise qui indiquent
clairement qu’aucune législation limitant les droits des personnes
ou organisations en leur imposant des obligations d’enregistrement
et de déclaration ne peut se fonder sur une telle hypothèse. En
particulier, dans le cas d’un pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne
et qui s’est donc engagé à aligner sa législation sur l’acquis de
l’Union européenne, il est pertinent de noter l’arrêt de la Cour
de justice de l'Union européenne dans l’affaire c78/18 concernant
une législation similaire sur la transparence en Hongrie. Elle a
estimé qu’une législation visant à accroître la transparence du financement
des associations ne pouvait se fonder uniquement sur cette hypothèse
erronée et qu’elle devait donc être retirée.
29. En classant de manière inappropriée les organisations recevant
des financements étrangers comme des organisations poursuivant des
intérêts étrangers, c’est-à-dire comme des «agents de l’étranger»,
la loi aurait objectivement pour effet de stigmatiser ces organisations
et de créer un climat de méfiance à leur égard
. L’affirmation
des autorités selon laquelle cette loi n’entraverait pas les activités
des organisations enregistrées en tant qu’agents de l’étranger n’est
pas valable. Il est clair que les organisations dont plus de 20 %
des fonds proviennent de sources étrangères devront soit renoncer
à ces fonds étrangers soit risquer de perdre leurs financements
géorgiens si elles sont enregistrées comme telles: de nombreux donateurs géorgiens
hésiteraient en effet à être associés à un «agent de l’étranger»
afin d’éviter toute connotation stigmatisante d’une telle étiquette.
À cela s’ajoutent les ressources et le temps que les organisations
doivent consacrer aux processus d’enregistrement et de déclaration
prévus. La loi pourrait entraîner la fermeture d’un nombre considérable
d’organisations indépendantes de la société civile
. Le Secrétaire
général de Rêve géorgien, Kakha Kaladze, a confirmé cet état de
fait lors d’une interview: «Si les ONG ne respectent pas la loi sur
les agents de l’étranger, des amendes leur seront imposées, puis
leurs actifs seront gelés. Elles ne pourront alors pas exercer leurs
activités, ni recevoir de fonds»
.
30. Comme indiqué, les organisations inscrites au registre seront
soumises à des obligations étendues et intrusives en matière déclarative
et comptable. De plus, le ministère de la Justice devra également
veiller, en amont, à ce que toutes les organisations financées à
plus de 20 % par des sources internationales soient enregistrées.
Pour ce faire, le ministère peut demander tout renseignement personnel,
y compris des données confidentielles, à toute personne physique,
organisation publique et personne morale concernée. Un défaut de communication
des renseignements demandés expose à une amende de 5 000 GEL (environ
1 650 EUR). Par ailleurs, des sanctions sévères sont prévues pour
les organisations qui ne s’enregistreraient pas ou qui ne feraient
pas de déclaration conformément à la loi. Comme l’a souligné la
Commission de Venise, beaucoup d’organisations pourraient rencontrer
des difficultés considérables et seraient très probablement contraintes de
se dissoudre si de telles amendes leur étaient imposées, même pour
des violations relativement mineures.
31. En résumé, pour reprendre les termes de la Commission de Venise,
«les obstacles persistants et stigmatisants concentrés entre les
mains de l’État ont un effet dissuasif»
et "[l]a loi, sous
le prétendu objectif d’assurer la transparence, a pour effet objectif
de risquer de stigmatiser, de réduire au silence et finalement d’éliminer
les associations et les médias qui reçoivent ne serait-ce qu’une
faible partie de leurs fonds de l’étranger. Le risque est grand
que les associations et les médias touchés soient ceux qui critiquent
le gouvernement, de sorte que leur suppression aurait un effet négatif
sur le débat public ouvert et informé, le pluralisme et la démocratie»
.
32. Les autorités géorgiennes ont affirmé à plusieurs reprises
que la loi géorgienne sur la transparence de l’influence étrangère
était similaire à la législation en vigueur dans d’autres pays,
notamment la loi américaine sur l’enregistrement des agents de l’étranger
(
Foreign Agents Registration Act ou
FARA). Cette affirmation est toutefois erronée, comme le souligne
l’avis. La FARA exige en effet que toute entité, commerciale ou
non
, qui agit pour le compte
d’un autre État ou d’un mandant étranger s’enregistre en tant qu’agent
de l’étranger, mais prévoit un niveau de contrôle très strict avant
que le cas soit considéré comme tel. En règle générale, les organisations
ne sont pas tenues de s’enregistrer simplement parce qu’elles reçoivent
un certain pourcentage de leur financement de l’étranger, comme
c’est le cas avec la loi géorgienne
. D’autres éléments
divergents distinguent nettement ces législations l’une de l’autre
.
33. La Commission de Venise déplore que cette loi particulièrement
sensible et controversée ait été préparée et adoptée selon une procédure
inutilement menée à la hâte et sans que les parties prenantes aient été
véritablement consultées, ce qui est en contradiction flagrante
avec les normes et procédures démocratiques européennes. Nous notons
que des préoccupations similaires ont été exprimées à propos d’autres
textes législatifs importants et controversés qui ont été adoptés
récemment en Géorgie.
34. En conclusion, la Commission de Venise a recommandé vivement
aux autorités «d’abandonner le régime spécial d’enregistrement,
de déclaration et d’obligation d’information du public pour les
organisations de la société civile, les médias en ligne et les radiodiffuseurs
bénéficiant d’un soutien étranger, y compris les sanctions administratives»
et d’abroger la loi
dans sa forme actuelle
.
4. Attaques
et intimidations
35. Malgré leur ampleur et hormis
quelques incidents isolés, les manifestations se sont déroulées globalement
dans un esprit pacifique. Elles se sont toutefois heurtées à des
réactions politiques de plus en plus hostiles, voire répressives,
à l’encontre de toute dissidence.
36. Nous sommes vivement préoccupés par les signalements crédibles
et récurrents d’un recours excessif et disproportionné à la force
de la part de la police pour tenter de disperser des manifestations
pourtant pacifiques. Les signalements selon lesquels la police vise
tout particulièrement les dirigeants de l’opposition
et les journalistes
pour les empêcher
d’informer sur les manifestations sont extrêmement préoccupants.
La communauté internationale a condamné ce recours excessif et disproportionné
à la force
. Le
Défenseur géorgien des droits humains (médiateur) a également condamné
cette répression fermement et sans équivoque et a appelé les autorités
à mener une enquête effective sur les signalements de violence policière et
d’usage excessif de la force
. Pour sa part,
le Service d’enquête spécial géorgien a annoncé, le 8 mai 2024, avoir
ouvert une enquête sur les allégations de violences policières,
notamment l'agression policière brutale contre Levan Khabeichvili,
président du Mouvement national uni (MNU).
37. Il est regrettable que ces enquêtes ne semblent pas avoir
donné de résultats concrets. Après une brève accalmie pendant le
week-end de Pâques orthodoxe, la police n’aurait pas cessé de recourir
à la force de manière excessive et disproportionnée
, en toute impunité.
Le 28 mai 2024, Zviad Kharazichvili, chef du Service des Forces
spéciales rattaché au ministère de l’Intérieur, – organisme qui
a la réputation de faire un usage excessif de la force – aurait
admis
que des manifestants ont
été passés à tabac et aurait reconnu l’existence d’une liste de
manifestants ciblés par la police
.
Nous notons avec une grande inquiétude qu’aucune enquête formelle
du ministère des Affaires étrangères ne semble avoir débuté sur
ces aveux et que M. Kharazishvili n’a pas été suspendu de ses fonctions
en attendant qu’une enquête soit menée.
38. Les signalements récurrents d’attaques violentes et de campagnes
d’intimidation contre des militants de la société civile, des représentants
des médias et des membres de l’opposition qui s’opposent à la Loi
sur la transparence de l’influence étrangère sont tout aussi préoccupants,
voire encore plus. En effet, des militants de la société civile,
des responsables politiques de l’opposition et des membres de leurs
familles sont harcelés et menacés de mort par téléphone et des affiches
montrant leur photo et des inscriptions telles qu’«agents» ou «ennemis
de l’État», voire pire, sont placardées près de leurs lieux de résidence
ou de travail
. Les signalements de manifestants
et de militants de la société civile pris en embuscade et passés
à tabac par des groupes d’inconnus montrent clairement qu’il ne
s’agit pas de menaces en l’air
.
39. Malheureusement, les attaques menées contre des militants
de la société civile ne sont pas nouvelles. Nous avions déjà fait
part de notre préoccupation quant aux attaques de plus en plus fréquentes
contre des organisations de la société civile et leurs dirigeants
dans la note d’information sur notre visite dans le pays en mars
2023
.
40. Alors que ces attaques et campagnes d’intimidation sont menées
par des anonymes, de nombreuses victimes ont signalé que les personnes
qui les agressent ou qui tentent de les intimider, elles-mêmes et
des membres de leur famille, semblent avoir connaissance d’informations
pourtant privées, qu’elles estiment ne pouvoir être connues que
des autorités
.
Dans un tel climat, l’annonce faite par le Président du Parlement géorgien
selon laquelle le parti au pouvoir a décidé de créer «une base de
données contenant des informations sur toutes les personnes «impliquées
dans des actes de violence, du chantage, des menaces et d’autres
actes illégaux» ou «qui soutiennent publiquement ces agissements»»
est particulièrement
préoccupante.
41. La grande majorité des attaques et des campagnes d’intimidation
ont été dirigées contre des manifestants, des militants de la société
civile, des journalistes et des membres du parlement qui s’opposent à
la Loi sur la transparence de l’influence étrangère. D’ampleur et
de portée moindres, un nombre croissant d'incidents ont été signalés
au cours desquels des membres de la majorité au pouvoir ayant voté
en faveur de la loi ont été insultés par d'autres personnes en les
qualifiant d'«esclaves» et de «traîtres», ou ont vu leurs biens
dégradés
. Ces incidents doivent
également être condamnés et cesser immédiatement.
42. De nombreux citoyens ont reçu des amendes importantes ou ont
été arrêtés pour leur participation aux manifestations. Ces sanctions
sont perçues par de nombreux interlocuteurs comme une tentative
de dissuader les citoyens de prendre part aux manifestations. Les
amendes et arrestations ont été appliquées pour la plupart sur la
base de la loi géorgienne relative aux infractions administratives
qui est en elle-même problématique. Nous avions déjà fait part de
nos préoccupations concernant cette loi dans notre rapport de 2022
à l’Assemblée sur le respect des obligations et engagements de la
Géorgie
. Dans ce rapport, nous soulignions que
la loi concernée «date de l’époque soviétique et [que] sa révision
complète aurait dû avoir lieu il y a longtemps. Bon nombre de ses
dispositions ont déjà été jugées inconstitutionnelles par la Cour constitutionnelle
de Géorgie, et il en irait de même pour plusieurs autres si elles
étaient contestées devant cette dernière. Le cadre juridique permet
donc une application de portée excessive de la détention administrative, ainsi
que des amendes beaucoup trop élevées, et il favorise les abus»
. Il est regrettable que, malgré
des lacunes fondamentales, le parlement ait adopté, en avril 2021,
une série d’amendements controversés à la Loi sur les infractions
administratives. Comme nous l’avons souligné dans notre rapport,
«[p]armi les nouvelles dispositions figurent notamment le durcissement
considérable des peines pour les infractions de hooliganisme avec
récidive et de désobéissance à la police, ainsi que l’augmentation
de la durée de la détention administrative. Ces nouveautés ont suscité
des critiques au sein de l’opposition, de la société civile et de
la communauté internationale, pour qui elles vont à l’encontre des
principes de la liberté d’expression et de réunion». Les recommandations
de l’Assemblée concernant l’élaboration et l’adoption d’une loi
entièrement nouvelle sur les infractions administratives
n’ont pas été suivies
d’effet, malgré les promesses faites en ce sens. Les arrestations
et les amendes imposées en vertu de cette loi lors des manifestations
actuelles sont donc préoccupantes.
5. Recul
de la démocratie et élections à venir
43. Les évolutions récentes concernant
l’adoption de la Loi sur la transparence de l’influence étrangère mettent
sérieusement en doute l’engagement des autorités géorgiennes en
faveur de la trajectoire démocratique du pays et de la poursuite
de l’intégration euro-atlantique, y compris l’adhésion à l’Union européenne.
Malheureusement, comme nous le verrons par la suite, l’adoption
de cette loi a été le point d’orgue d’une série de développements
qui amènent également à s’interroger sur la volonté des autorités
de respecter les obligations et les engagements de la Géorgie à
l’égard du Conseil de l’Europe.
44. Dès notre visite de mars 2023, nous avions déclaré que la
Géorgie se trouvait à la croisée des chemins et nous avons fait
part de nos inquiétudes, à un moment charnière du processus d’intégration
du pays, quant au fait que les réformes étaient manifestement au
point mort
.
L’état des réformes nécessaires pour garantir l’indépendance de
la justice nous a semblé particulièrement préoccupant. Au lieu des
réformes globales demandées, entre autres, par l’Assemblée et la
Commission européenne, seul un petit nombre de réformes partielles
a été adopté, n’ayant pas répondu aux principales préoccupations
soulevées. Cela vaut surtout pour le Conseil supérieur de la magistrature
(CSM), dont le fonctionnement est largement considéré comme l’un des
principaux obstacles à une justice véritablement indépendante et
impartiale en Géorgie. Au lieu des réformes globales recommandées,
le Parlement géorgien a adopté, le 30 décembre 2021, dans le cadre
d’une procédure accélérée
, des amendements
à la loi sur les tribunaux de droit commun qui ont considérablement renforcé
les pouvoirs du CSM, surtout en matière disciplinaire
, ce qui risque de renforcer le contrôle
déjà problématique du CSM sur le système judiciaire
.
45. Comme le souligne le rapport d’activité sur la procédure de
suivi de l’Assemblée (de janvier à décembre 2023)
, le 19 octobre 2023,
le Parlement géorgien a adopté, dans le cadre d’une procédure accélérée,
une série d’amendements controversés à la Loi sur la radiodiffusion
qui accordent des prérogatives plus larges à la Commission nationale
géorgienne des communications, autorité nationale de régulation
des médias. Les organisations de la société civile et les acteurs
des médias ont exprimé leur inquiétude face à ces modifications qui
pourraient restreindre la liberté des médias et faire taire les
radiodiffuseurs critiques. Selon un avis d’experts sur le projet
de loi fourni par la Direction générale des droits de l’homme et
de l’État de droit du Conseil de l’Europe, un certain nombre de
dispositions pourraient être contraires à l’article 10 de la Convention européenne
des droits de l’homme. Par ailleurs, cette expertise a souligné
que l’autorité nationale de régulation ne saurait être considérée
comme une institution indépendante au regard des normes du Conseil
de l’Europe relatives à l’indépendance des organes de régulation
des médias. Ces problèmes n’ont pas été traités de manière satisfaisante
lorsque la législation a été adoptée.
46. Dans une évolution positive, la Géorgie a obtenu le statut
de candidat à l’Union européenne le 8 novembre 2023, en reconnaissance
du soutien écrasant de la population géorgienne à l’intégration européenne
et à l’adhésion à l’Union européenne même si le pays n’avait traité
de manière satisfaisante que trois des douze domaines prioritaires
définis à l’origine comme condition pour obtenir le statut de candidat. Outre
le traitement des domaines prioritaires restants, le Conseil européen
a fixé neuf conditions supplémentaires pour l’ouverture des négociations
d’adhésion, dont une réforme globale du système judiciaire et du
CSM, ainsi que la mise en place d’une procédure de contrôle du système
judiciaire
.
Cependant, la mise en place d’une telle procédure a essuyé un refus
catégorique de la part des autorités géorgiennes, au motif qu'une
telle procédure constituerait une violation de la souveraineté du
pays. Ce refus d'une condition s'inscrit dans l'apparente indifférence
des autorités aux avertissements clairs et répétés des partenaires
européens concernés, selon lesquels l'adoption de la Loi sur la
transparence de l'influence étrangère porterait un coup à la trajectoire
d'intégration de la Géorgie dans l'Union européenne. Il est donc
très surprenant que, le 28 mai 2024, après l’adoption de la Loi
sur la transparence de l’influence étrangère, le Premier ministre
Kobakhidze a déclaré que cela «jetterait des bases plus solides
en vue de l’adhésion de la Géorgie à l’Union européenne»
.
47. Malheureusement, dans le domaine de la législation électorale,
les développements sont préoccupants. Des changements ont été apportés
au cadre juridique régissant ces élections, qui pourraient avoir
des effets néfastes sur la conduite du scrutin et sur la confiance
du public dans l’issue du vote, susceptibles de nuire à la légitimité
des élections.
48. Le 5 octobre 2023, le Parlement géorgien a adopté en première
lecture une série d’amendements au Code électoral et au Règlement
du parlement qui modifie la composition de la Commission électorale
centrale de la Géorgie et le mode d’élection de son président ainsi
que de ses membres non partisans. D’après ces amendements, les candidatures
aux fonctions de président et de membres non partisans de la CEC
seront proposées par le président du parlement et non plus par la
Présidente de la Géorgie. Alors que les amendements fixent une majorité
qualifiée de 3/5 pour l’élection de ces membres au premier tour
de scrutin, la majorité sera abaissée à une majorité simple pour
les tours suivants afin d’éviter les blocages. Par ailleurs, les
amendements suppriment les fonctions de vice-président de la CEC
nommé par l’opposition.
49. Ces projets d’amendements ont ensuite été communiqués à la
Commission de Venise pour avis par le Président du Parlement. Dans
son avis
, la Commission de Venise note que
les amendements concernent des éléments fondamentaux de la législation
électorale ne reposant pas sur un large consensus des différentes parties
prenantes et qui seraient adoptés moins d’un an avant la date prévue
des élections, ce qui est contraire aux normes européennes. De plus,
tout en reconnaissant la nécessité d’un mécanisme permettant d’éviter
les blocages, la Commission de Venise a vivement recommandé la mise
en place de majorités qualifiées pour les tours de scrutin suivants
afin de veiller à ce que le président et les membres non partisans
de la CEC puissent compter sur le soutien et la confiance d’un large
éventail de parties prenantes
.
La Commission de Venise a noté qu’en effet, selon les règles proposées
par les amendements, la seule majorité au pouvoir aurait la possibilité
de sélectionner et de nommer le président et les membres non partisans
de la CEC, ce qui lui donnerait une majorité à cette commission.
50. Nonobstant cet avis, le 20 février 2024, le parlement a adopté
les amendements au Code électoral et au Règlement en dernière lecture,
sans rien changer au projet tel qu’adopté en première lecture, ignorant
ainsi les recommandations et les préoccupations formulées par la
Commission de Venise dans son avis. Le 5 mars 2024, la Présidente
géorgienne a mis son veto aux amendements, citant les recommandations
de la Commission de Venise, veto que le parlement a outrepassé le
19 mars 2024.
51. Ces amendements qui permettront au parti au pouvoir de contrôler
la composition de la Commission électorale centrale, ont été renforcés
par l’adoption, le 30 mai 2024, d’une série d’amendements à la législation électorale
modifiant les règles décisionnelles de la CEC. Combinés aux modifications
du processus de nomination des membres de la CEC décrites ci-dessus,
ces amendements soutenus par la majorité au pouvoir au motif qu’ils
permettent d’éviter les blocages, permettraient de fait à cette
dernière de contrôler toutes les décisions de la CEC.
52. Nous tenons à préciser que, si notre intention n’est pas de
remettre en question l’intégrité des membres de la CEC, de toute
évidence, la somme de ces différentes modifications aura des répercussions
majeures sur le rapport de confiance des parties prenantes dans
l’impartialité et l’équité de l’administration électorale, ce qui ne
sera pas non plus sans effets sur la manière dont la légitimité
et l’équité des élections et de leurs résultats seront perçues et
acceptées par les parties prenantes comme par l’opinion publique.
Il serait particulièrement problématique qu’en conséquence de la
Loi sur la transparence de l’influence étrangère, des organisations respectées
de la société civile et ayant une grande expérience de l’observation
d’élections ne soient plus en mesure de jouer leur rôle d’observateur.
Pour garantir la légitimité des élections, il est essentiel non
seulement que leur déroulement et leur administration soient impartiaux
et équitables, mais aussi qu’elles soient perçues comme telles par
les parties prenantes et par l’électorat.
53. Enfin, le 25 mars 2024, la majorité au pouvoir a déposé deux
projets de lois constitutionnelles
sur
la «protection des valeurs familiales et des mineurs». Ces projets
de loi interdisent, entre autres, toutes les activités ou rassemblements
considérés comme promouvant ou popularisant les relations entre
personnes de même sexe ou le changement de sexe, restreignent le
mariage aux couples «génétiquement» hétérosexuels, limitent l’adoption
ou l’accueil d’enfants aux couples hétérosexuels et interdisent
toute décision prise par une autorité ou une personne de nature
à restreindre directement ou indirectement l’emploi de termes définissant le
genre. Ces propositions sont très préoccupantes en raison de leur
incompatibilité avec les normes internationales en matière de droits
humains, et en particulier avec la Convention européenne des droits
de l’homme. Le 16 avril 2024, la commission de suivi a sollicité
l'avis de la Commission de Venise sur ces projets de lois constitutionnelles.
Il est préoccupant que des propositions aussi controversées sur
un sujet aussi passionnel soient lancées dans un environnement politique
préélectoral polarisé. Nous regrettons les indications claires que
leur introduction était en fait principalement due à des fins électorales,
dans ce que la précédente Commissaire aux droits de l'homme, Dunja
Mijatović
,
a qualifié de manipulation politique de la LGBTI-phobie à l'approche
des élections. Nous demandons instamment aux autorités de prendre
pleinement en compte toutes les conclusions et recommandations contenues
dans l'avis de la Commission de Venise
sur
ces lois.
6. Conclusions
54. Jusque récemment, la Géorgie
faisait figure d’exemple dans la région pour ses capacités de réforme
et sa volonté de coopérer avec le Conseil de l’Europe afin de respecter
ses obligations et engagements d’État membre. En pays exemplaire,
la Géorgie se distinguait par sa volonté affichée de s’engager dans
un dialogue ouvert et constructif de nature à garantir que ses politiques
et ses réformes respectent les règles et les normes européennes
les plus strictes.
55. Malheureusement et à notre grand regret, les récents développements
remettent sérieusement en question la volonté du pays de respecter
ses obligations et ses engagements d’État membre du Conseil de l’Europe.
La coopération et le dialogue constructifs ont été remplacés par
un discours virulent et intransigeant et par des attaques contre
quiconque exprimerait des inquiétudes ou un désaccord au sujet des
politiques mises en œuvre par les autorités. Le progrès a cédé la
place au recul.
56. La Loi sur la transparence de l’influence étrangère et la
façon dont elle a été adoptée –– sont de toute évidence contraires
aux normes européennes en matière de démocratie et de droits humains
ainsi qu’aux obligations et engagements de la Géorgie à l’égard
du Conseil de l’Europe. Cette loi n’a rien à voir avec la transparence
– pour laquelle un cadre juridique complet existe déjà en Géorgie
– ni avec la prévention d’une ingérence étrangère secrète à des
fins malveillantes. Au contraire, elle vise clairement à établir
un contrôle politique sur la société civile et les médias. Cette
loi devrait être abrogée dans son intégralité sans plus attendre.
57. Les manifestations et la réaction de la société géorgienne
à l’instauration de la Loi sur la transparence de l’influence étrangère
traduisent les attentes élevées des citoyens et leur attachement
à la consolidation démocratique du pays et à la poursuite de l’intégration
euro-atlantique. Par conséquent, nous restons convaincus et nous
gardons l’espoir que la Géorgie sera tout à fait capable de surmonter
les défis, aussi profonds soient-ils, qui se dressent sur son chemin.
58. Une question claire et simple devrait donc être posée aux
autorités actuelles: sont-elles toujours déterminées à assurer la
consolidation démocratique du pays et à poursuivre l’intégration
européenne? Si tel est le cas, sont-elles prêtes et disposées à
respecter les engagements découlant de l’adhésion du pays au Conseil
de l’Europe?
59. Pour notre part, nous réitérons l’engagement de l’Assemblée
en faveur de la coopération et d’un dialogue constructif. Cela étant,
les préoccupations valablement exprimées sur l’orientation démocratique
de la Géorgie doivent être abordées dans un esprit d’ouverture et
de manière constructive. La confrontation doit céder la place à
la coopération et au dialogue.
60. L’adoption de la Loi sur la transparence de l’influence étrangère
et les développements connexes ne peuvent être dissociés des élections
législatives qui auront lieu prochainement en Géorgie. Il est clair
que ces développements auront des conséquences majeures sur le climat
et les processus électoraux, ainsi que sur la manière dont l’équité
et la légitimité des élections et de leurs résultats seront perçues
par les acteurs concernés et par l’électorat géorgien.
61. Compte tenu de l’importance des prochaines élections et de
la nécessité qu’elles soient acceptées et légitimes, il sera important
que l’Assemblée déploie une délégation d’observateurs aussi importante
que possible, dans le cadre d’une mission internationale d’observation
des élections.
62. Nous avons l’intention de participer activement à l’observation
des élections et nous retournerons dans le pays dès qu’elles auront
eu lieu, dans le cadre de la préparation de notre prochain rapport
sur le respect des obligations et engagements de la Géorgie auprès
du Conseil de l’Europe.