1. Introduction
1. Le droit à la liberté d'expression,
qui inclut la liberté d’information protégée par l’Article 10 de
la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5,
«la Convention»), est un élément fondamental de toute démocratie.
Toutefois, cette liberté peut faire l’objet d’abus, et la propagande
peut être utilisée pour manipuler l’opinion publique et menacer
le bon fonctionnement de nos systèmes démocratiques, nos valeurs communes
et la dignité humaine.
2. Le pouvoir de manipulation de la propagande est devenu encore
plus fort avec le développement des médias sociaux, donnant lieu
à un phénomène de pollution de l’information à l’échelle mondiale.
3. La propagande est particulièrement dangereuse lorsqu’elle
émane de médias appartenant à l’État, soutenus par l'État ou gérés
par l’État, même par procuration. Si elle est dominante dans un
pays donné, la propagande engendre l’autoritarisme, détruisant ainsi,
non seulement le pluralisme des médias, mais aussi d’autres fondements
essentiels de la démocratie.
4. Après le début de la guerre d'agression contre l'Ukraine,
certains médias russes accusés de «mener des actions de désinformation
et de manipulation de l'information» afin de «déstabiliser les pays
voisins» ont été sanctionnés par l’Union européenne en mars 2022
et leurs activités de radiodiffusion ont été suspendues. Certains
États membres du Conseil de l’'Europe (y compris l'Estonie, la Lituanie,
la Lettonie, la Pologne, la Roumanie, l'Ukraine et la République
de Moldova) ont imposé des sanctions ou des interdictions supplémentaires
à d’autres médias, russes ou nationaux, pour cause de propagande
ou de désinformation
.
5. L'un des indicateurs de l'approche juridique des mesures restrictives
est la considération de l'état d'origine, c'est-à-dire l'implication
et l'influence manifestes ou secrètes d'un État qui, en fin de compte,
crée un problème pour la communauté internationale en étant un agresseur
ou un commanditaire du terrorisme.
6. Un exemple peut être trouvé dans une partie du modèle de sanctions
de l'Ukraine, où, à la suite de la déclaration de son Parlement
désignant la Russie comme un «État agresseur» en 2015, l’Ukraine
a décrété une interdiction globale pour la durée de l'agression
et une période transitoire des 5 ans après, de la propriété ou de
la participation relative aux entités de radiodiffusion qui sont
enregistrées dans des pays officiellement reconnus comme un État
agresseur, ainsi que d’autres restrictions
.
7. Plusieurs pays voisins et le Parlement européen ont qualifié
la Russie d’«État soutenant le terrorisme», une autre désignation
qui joue un rôle important dans cette approche
. Les médias soumis au contrôle permanent
direct ou indirect d'un tel État perdent leur droit de pouvoir prétendre
au statut de médias indépendants et de présenter leur travail comme
du journalisme de qualité. Les modalités d’adoption de telles déclarations
ou la détermination de ces désignations et l’autorité compétente
en la matière, ainsi que les garanties procédurales à mettre en
place afin de prévenir toute application arbitraire et abusive,
restent des questions controversées qui méritent un examen approfondi.
8. Je voudrais rappeler ici que toute restriction de ce type
de liberté d’information en Europe doit être nécessaire dans une
société démocratique, poursuivre un but légitime conforme à la Convention
et respecter le droit international des droits humains. Les lois
conçues pour lutter contre la propagande et la possibilité de sanctionner
des médias ou des personnes sur cette base peuvent entraîner des
conséquences désastreuses en l’absence de système judiciaire indépendant
et de régulateurs des médias indépendants.
9. La censure de médias «problématiques» et celle de contenus
émanant de certains groupes, peut conforter le public dans son impression
que la régulation des médias est corrompue et orchestrée pour cacher la
«vérité». Cela pourrait ensuite alimenter les récits complotistes
et les discours extrémistes.
10. La commission de la culture, de la science, de l'éducation
et des médias a déjà adopté de nombreux rapports sur les troubles
de l’information et la propagande
. Mon rapport développera ces questions
plus en détail en soulignant particulièrement comment traiter la
propagande préjudiciable tout en préservant la liberté d'information.
Il s’articule autour des axes suivants:
- comprendre le problème et définir les notions;
- analyser les tendances et les défis de la propagande en
Europe;
- proposer des réponses et des bonnes pratiques face à la
propagande.
11. Mon analyse s'appuie sur le rapport de base du Dr Andrei Rikhter,
Professeur et chercheur à l'Université Comenius de Bratislava, et
sur les contributions d'autres experts que nous avons entendus
.
2. Comprendre le problème et définir les
notions
2.1. La
liberté d’information et ses limites
12. Les normes fondamentales et
universelles de la liberté d'expression, qui inclut la liberté d'information, sont
énoncées à l'Article 19 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques (PIDCP)
, qui dispose que:
«nul ne peut être inquiété pour ses opinions; toute personne a droit
à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher,
de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute
espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale,
écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.»
13. Le droit à la liberté d’expression n’est pas absolu: l'exercice
de ce droit «comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités
spéciales» et peut être soumis à des restrictions (Article 19(3)
et Article 20 PIDCP). Le Comité des droits de l’homme (CDH) de l’ONU
a relevé que «des restrictions au droit sont permises dans deux domaines
limitatifs seulement, qui peuvent avoir trait soit au respect des
droits ou de la réputation d’autrui soit à la sauvegarde de la sécurité
nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.
Toutefois, les restrictions qu’un État partie impose à l’exercice
de la liberté d’expression ne peuvent pas compromettre le droit
lui-même»
. Ces restrictions doivent en particulier
respecter les trois critères de la légalité, la légitimité et la
nécessité/proportionnalité: les restrictions admissibles doivent
être prévues par la loi, appliquées exclusivement aux fins pour
lesquelles elles ont été prescrites et avoir un rapport direct avec
l’objectif spécifique qui les inspire.
14. Ces trois critères sont également appliqués en Europe par
la Cour européenne des droits de l'homme quand elle évalue si une
atteinte à la liberté d'expression est justifiée à la lumière de
l'Article 10.2 de la Convention. La Cour détermine si une restriction
est «prévue par la loi», vise un but légitime et si elle est «nécessaire,
dans une société démocratique» pour atteindre ce but. S'agissant
du critère de la «nécessité», la Cour détermine si une restriction
correspond à un «besoin social impérieux», si elle est proportionnée
au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les autorités
nationales pour la justifier sont pertinents et suffisants (
Sunday
Times c. Royaume-Uni, § 62).
15. La Cour a souligné que le droit humain de communiquer des
informations et des idées «de toute sorte» ne peut être limité aux
déclarations jugées «correctes» par les autorités. Il s’étend ainsi
aux informations et aux idées qui peuvent choquer, heurter ou inquiéter
(
Feldek c.
République Slovaque, § 83). Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance
et l’esprit d’ouverture, sans lesquels il n’est pas de «société
démocratique» (
Oberschlick
c. Autriche, § 57). De plus, la Convention laisse peu de possibilités
d’imposer des restrictions à la liberté d’expression dans le discours
politique ou les débats sur des questions d’intérêt public car «le
libre jeu du débat politique se trouve au cœur même de la notion
de société démocratique» (
Lingens c.
Autriche, § 42).
16. L’article 10 de la Convention ne garantit toutefois pas une
liberté d’expression sans aucune restriction même quand il s’agit
de rendre compte dans la presse de questions sérieuses d’intérêt
général. L’exercice de cette liberté comporte des «responsabilités
et des devoirs» particuliers, y compris pour les médias, qui ne peuvent
par exemple pas compromettre la sécurité nationale et l’intégrité
territoriale d’un État (
Han c. Turquie, § 32). Ces «devoirs et responsabilités» s’appliquent
aux médias œuvrant professionnellement, qui diffusent des «informations
exactes et fiables» dans le respect de l’éthique du journalisme
(
Goodwin c.
Royaume-Uni, § 39).
2.2. La
propagande par opposition à la désinformation
17. Au cours du siècle dernier,
la propagande a été étudiée et définie par de nombreux spécialistes
. Une récente étude juridique visant
à définir la propagande a conclu qu'elle implique un élément de
manipulation ou de distorsion de la volonté rationnelle d’une personne
et doit également avoir un pouvoir et un effet de persuasion
. La
plupart des définitions académiques modernes établissent que la
propagande vise à contrôler le flux de l’information et à manipuler
et/ou désinformer délibérément le public afin de modifier des attitudes
et des comportements, de faire obtenir un avantage à la partie qui
en est à l’origine par rapport à toutes les autres et/ou de diffuser
une idéologie.
18. Certains auteurs définissent clairement la propagande en faisant
référence à son objectif qui est contraire à l’éthique (c’est-à-dire
qui n’a pas d’égard pour la vérité, l'authenticité, le respect ou
l'égalité)
. Les définitions que les dictionnaires
donnent de la «propagande» soulignent aussi des aspects structurels,
comme l'influence et la manipulation
.
19. Le terme «propagande» n’est pas défini en droit international
. Il l’est cependant dans des textes intergouvernementaux
faisant autorité. Dans un avis publié en 2015, la Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) du Conseil
de l’Europe a déclaré que la «propagande» s’entend généralement
d’une activité de prosélytisme qui cherche à rallier des personnes
à certaines idées et opinions
. Dans leur déclaration conjointe
adoptée en 2017, les rapporteurs spéciaux sur la liberté d’expression
de plusieurs organisations intergouvernementales ont défini la propagande
comme étant conçue et mise en œuvre «de manière à induire en erreur
une population et à entraver le droit du public de savoir ainsi que
le droit des individus de rechercher, recevoir et répandre des informations
et des idées de toute espèce»
.
20. Les institutions européennes utilisent fréquemment le terme
«propagande» dans leur communication publique, parfois de manière
interchangeable avec le terme «désinformation», voire parfois ensemble
. C'est confondre les moyens et les
fins, car la désinformation n'est qu'un outil, certes important,
de la propagande. La propagande peut utiliser la désinformation
ou les demi-vérités, se fonder sur des théories conspirationnistes ou
sur des faits véridiques.
21. Le terme «désinformation» désigne, selon les institutions
de l’Union européenne, «les informations dont on peut vérifier qu’elles
sont fausses ou trompeuses, qui sont à la fois créées, présentées
et diffusées dans un but lucratif ou dans l’intention délibérée
de tromper le public, et susceptibles de causer un préjudice public.
Par préjudice public, on entend les menaces pesant sur les processus
démocratiques ainsi que sur les biens publics, tels que la santé,
l’environnement ou la sécurité des citoyens de l’UE»
.
22. La propagande s'appuie sur la manipulation, que je décrirais
comme le recours délibéré à des manœuvres indirectes ou dissimulées
pour contrôler, exploiter ou influencer de toute autre manière les émotions,
les relations et les comportements humains. L’influence sociale
n’est pourtant pas nécessairement néfaste. Par exemple, elle peut
être utilisée pour persuader des personnes de changer des habitudes
et des comportements manifestement préjudiciables. «La pression
sociale est généralement perçue comme inoffensive quand elle respecte
le droit des personnes influencées de l’accepter ou de la rejeter,
et qu’elle n'est pas abusivement coercitive» mais, «suivant les
contextes et les motivations, cette pression sociale peut constituer
une manipulation dissimulée»
.
23. Bien que je ne souhaite pas attribuer au terme «propagande»
une connotation négative en soi, ce rapport se concentrera sur la
propagande préjudiciable que je définirais comme une activité de
communication systématique à grande échelle qui vise à orienter
une pensée et un comportement particuliers, par le biais de méthodes
et d'outils de manipulation psychologique contraires à l'éthique,
et avec une intention contraire à la dignité humaine et aux valeurs
définies par les traités internationaux et nos constitutions démocratiques.
2.3. La
propagande illégale selon le droit international
24. Certaines utilisations de la
propagande ont été jugées inadmissibles en droit international.
L’article 20 du PIDCP dispose que toute «propagande en faveur de
la guerre est interdite par la loi» et que «tout appel à la haine
nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à
la discrimination, à l'hostilité ou à la violence est interdit par
la loi»
.
25. L’Assemblée générale des Nations Unies définit la propagande
en faveur de la guerre comme celle qui «indépendamment du pays qui
la mène, est destinée ou est de nature à provoquer ou à encourager
toute menace à la paix, toute rupture de la paix ou tout acte d’agression»
. Les critères d’illégalité comprennent donc
les notions d’intention ou de menace de déclencher des hostilités.
26. La propagande en faveur d’une guerre d’agression (ou «propagande
contre la paix») comprend les «mesures qui tendent à isoler les
peuples de tout contact avec l’extérieur en empêchant la presse,
la radio et les autres moyens d’information de fournir des renseignements
sur les évènements internationaux et en s’opposant à ce que les
peuples se connaissent et se comprennent»
.
27. La seule exception est «l’appel au droit souverain à la légitime
défense ou au droit des peuples à l’autodétermination et à l’indépendance
conformément à la Charte des Nations Unies»
. Dans
le contexte actuel en Europe, il est important d’être attentif aux
initiatives visant à inclure dans le périmètre de cette exception
la propagande et la «guerre idéologique», la «guerre de l’information»
ou la «guerre hybride»
.
28. Le Tribunal (grande chambre) de l’Union européenne (CJUE)
a indiqué en 2022
que la propagande en faveur de la
guerre comprend: (1) la propagande «en faveur de l’agression militaire
de l’Ukraine adressée à la société civile dans l’Union [européenne]
et dans les pays voisins», (2) la propagande de guerre au sens large,
décrite comme la propagande qui «intervient dans le cadre d’une
guerre en cours», provoquée par un État agresseur, «en violation
de l’interdiction d’usage de la force», et (3) «non seulement l’incitation
à une guerre future, mais aussi les propos tenus de manière continue,
répétée et concertée en faveur d’une guerre en cours», en violation
du droit international, «en particulier si ces propos émanent d’un
média contrôlé, directement ou indirectement, par l’État agresseur».
29. Le texte de la Convention ne contient aucune mention de la
«propagande en faveur de la guerre» et, à ce jour, la Cour européenne
l'a évoquée incidemment pour qualifier les atrocités commises par
l'Empire Ottoman contre le peuple arménien en 1915 de «génocide»
(
Perinçek c.
Suisse).
30. Le droit international interdit également la propagande menant
à l'incitation aux crimes de haine. L’article 20(2) du PIDCP impose
aux États parties d’interdire dans leur législation tout appel à
la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation
à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence. Tout comme
la propagande, l’incitation s’adresse à un groupe de personnes indéfini.
L’«incitation» à commettre des crimes de haine désigne une activité
qui nécessite la création au préalable d’un certain climat rendant
possible la commission de tels crimes. Le Tribunal militaire international
à Nuremberg a déclaré que la propagande de haine conduit à l'instauration
d’un tel climat
.
31. Certains instruments des Nations Unies traitent de l’interdiction
de la discrimination raciale, ce qui inclut la prévention de la
propagande en faveur d’opinions et d’idées racistes. Ainsi, l’article
4 de la Convention internationale de 1965 sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale
, déclare que «toute propagande»
fondée sur des idées ou théories invoquant la supériorité d'une
race ou d'un groupe de personnes d'une certaine couleur ou d'une
certaine origine ethnique, ou prétendant justifier ou encourager toute
forme de haine et de discrimination raciales, constitue une infraction
internationale
.
32. La Convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide (article 3(c)) définit quant à elle l'infraction distincte
d’«incitation directe et publique à commettre le génocide»
. Le Protocole additionnel à la Convention
sur la cybercriminalité, relatif à l'incrimination d'actes de nature
raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques
(STE No. 185) appelle à ériger en infraction pénale la diffusion
en ligne de «matériel raciste et xénophobe», c’est-à-dire de tout
matériel écrit, toute image ou toute autre représentation d’idées
ou de théories qui préconise ou encourage la haine, la discrimination
ou la violence, contre une personne ou un groupe de personnes, en
raison de la race, de la couleur, de l’ascendance ou de l’origine nationale
ou ethnique, ou de la religion, dans la mesure où cette dernière
sert de prétexte à l’un ou l’autre de ces éléments, ou qui incite
à de tels actes (Article 2(1)); ainsi que la diffusion ou les autres
formes de mise à disposition du public par le biais d’un système
informatique, de matériel qui nie, minimise de manière grossière, approuve
ou justifie des actes Convention de génocide ou de crimes contre
l’humanité (Article 6(1))
.
33. D'après l’article 17 de la Convention européenne des droits
de l’homme, tout agissement visant la destruction des droits ou
libertés reconnus dans la Convention ou leur limitation excessive
sort du cadre des droits protégés par ladite Convention, y compris
la liberté d'expression. Cette disposition a été invoquée à de rares
occasions par la Cour, comme dans des affaires «extrêmes» impliquant
des discours niant l'Holocauste ou de la propagande raciste. Toutefois,
les restrictions imposées au droit à la liberté d’expression en
raison d’une propagande illégale ont fait l’objet de plusieurs arrêts
de la Cour, notamment en ce qui concerne la propagande d'organisations
terroristes.
34. La Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du
terrorisme (STCE no 196) appelle en outre à
ériger en infraction pénale la «provocation publique à commettre
une infraction terroriste», c’est-à-dire «la diffusion ou toute
autre forme de mise à disposition du public d’un message, avec l’intention
d’inciter à la commission d’une infraction terroriste, lorsqu’un
tel comportement, qu’il préconise directement ou non la commission
d’infractions terroristes, crée un danger qu’une ou plusieurs de
ces infractions puissent être commises»
. Le droit de l’Union européenne interdit
la diffusion, ou toute autre forme de mise à la disposition du public
par un quelconque moyen, de messages visant à inciter à commettre
une infraction terroriste, notamment l'apologie d’actes terroristes
et l’incitation à commettre des infractions terroristes
.
35. Il est important de distinguer la simple propagande et les
contenus destinés à inciter à commettre des actions terroristes.
Pour qu'il y ait incitation au terrorisme, il faudrait démontrer
une intention et un lien de causalité directe entre la supposée
propagande et le projet ou l’exécution effectifs d’un attentat terroriste.
36. En 2022, certaines institutions européennes ont exprimé leur
avis sur la propagande étrangère qui constitue une menace pour la
démocratie et la sécurité, en particulier pour la sécurité de l’information.
La Commission de Venise a ainsi estimé qu’il était légitime que
la République de Moldova interdise «la diffusion de contenus qui
mettent en danger la démocratie et constituent une menace claire
et directe pour la sécurité nationale»
. Il s’agissait notamment d'émissions
diffusant de la désinformation et des idées extrémistes ou faisant
l’apologie de crimes internationaux
.
Elle a conclu que tous les termes utilisés dans les dispositions de
la loi moldave examinée («haine», «désinformation», «propagande
d’agression militaire», «contenu extrémiste») avaient en commun
que les émissions incluant ces contenus, quel que soit leur pays
de production, «sont contraires aux valeurs fondamentales de la
CEDH et nuisent à la démocratie»
.
37. Le Conseil de l’Union européenne a adopté une décision et
un règlement en réaction à la diffusion, par certains médias d'Europe,
de récits de propagande manipulateurs liés à la guerre en Ukraine,
à l’initiative de la Russie
. Ces mesures ont été prises sur la
base du régime de sanctions prévu par les traités de l'Union européenne
. Les considérants de la décision
et du règlement faisaient valoir que la Fédération de Russie «a lancé
une campagne internationale systématique de manipulation des médias
et de déformation des faits afin de renforcer sa stratégie de déstabilisation
des pays voisins et de l’Union et de ses États membres», et qu’il est
particulièrement important de noter que «[c]es actions de propagande
ont utilisé comme canaux un certain nombre de médias placés sous
le contrôle permanent, direct ou indirect, des dirigeants de la
Fédération de Russie». Les mesures de restriction trouvent leur
légitimité dans le fait que «[d]e telles actions menacent directement
et gravement l’ordre et la sécurité publics de l’Union» et que «[c]es
médias jouent un rôle essentiel et déterminant pour faire avancer
et soutenir l’agression contre l’Ukraine et pour déstabiliser les
pays voisins».
38. Ces sanctions de l’Union européenne qui ont fait l'objet de
critiques
, ont été validées par le Tribunal de
l’Union européenne, qui a conclu qu’«il ne peut être affirmé que
le traitement de l’information en question, qui comporte des activités
de propagande […], fût de nature à appeler la protection renforcée
que l’article 11 de la Charte [des droits fondamentaux de l’UE (Liberté
d’expression et d’information)] confère à la liberté de la presse»
. Bien que dans les affaires nationales
et européennes, les sanctions prononcées pour des cas de propagande
«anti-démocratique» aient été motivées par l’agression russe en
Europe et qu’elles soient considérées comme des mesures spéciales
temporaires, d’autres motifs d’interdiction en vertu du droit international
peuvent s’appliquer à ce type de propagande.
39. En résumé, plusieurs formes d'expression publique peuvent
être jugées illégales en Europe. Elles nécessitent une action judiciaire
de la part des États parties aux conventions internationales pertinentes,
ainsi qu’un examen sérieux de la part des États dans d’autres contextes,
ces derniers devant prendre des mesures adéquates et conformes aux
normes du droit international des droits humains. Ce sont:
a. la propagande en faveur de la guerre;
b. l’incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la
violence fondée sur l’identité nationale, raciale ou religieuse;
c. la propagande inspirée d’idées ou de théories fondées
sur la supériorité d’une race ou d’un groupe de personnes d’une
certaine couleur ou origine ethnique;
d. l’incitation directe et publique à commettre un génocide
ou d'autres crimes internationaux;
e. la diffusion de contenus racistes et xénophobes;
f. la provocation publique à commettre une infraction terroriste;
g. la propagande étrangère qui met clairement et directement
en péril la démocratie et qui représente une menace pour la stabilité
et la sécurité nationale.
2.4. La
propagande préjudiciable que le droit international n'interdit pas
40. Il convient de distinguer,
dans la législation et les politiques, la propagande interdite par
la loi internationale, et d'autres formes de propagande préjudiciable.
41. La propagande préjudiciable a recours à des pratiques agressives.
Il peut s’agir de publicité politique qui suscite des dissensions,
de publicité politique très ciblée visant à exploiter les vulnérabilités,
les peurs et les croyances des personnes, de fuites d’informations
privées, de violence verbale diffusée par des «trolls» recrutés
à cette fin ou des systèmes d’intelligence artificielle (IA), de
fomentation de divisions sociales et d'instauration d’un climat
de méfiance à l’égard des institutions publiques et de la société.
42. Cette propagande permet de manipuler les gens et de déformer
l’opinion publique. La liberté d’information, et en particulier
celle des personnes d’obtenir et de diffuser sans entrave des informations
sur l’actualité, ainsi que de participer au dialogue public et de
se prononcer sur la politique et les décisions relatives aux questions
d’intérêt public, peut ainsi être la cible de la propagande.
43. En outre, lorsqu’elle est omniprésente, massive et systématique,
la propagande préjudiciable porte atteinte à la liberté des médias
car elle corrompt et détruit la substance même de la profession
de journaliste et entame la confiance du public dans des médias.
44. L’une des finalités de la manipulation – par l’endoctrinement,
le «lavage de cerveau» ou l’édition de contenu – peut être de porter
atteinte à la liberté d’opinion des personnes, souvent à leur insu
et sans leur consentement. La propagande peut causer des dommages
graves et durables à la santé mentale du public, parce qu’elle le
soumet à des traumatismes, de la peur ou du chagrin ou engendre
une grave paranoïa suscitée par des théories complotistes.
45. Certains cas de propagande préjudiciable peuvent être déclarés
illégaux par les législations nationales et donc faire l'objet de
restrictions, car le respect du droit d'autrui et la protection
de la santé publique peuvent légitimement justifier des restrictions
de la liberté d'information. Cependant, ces restrictions doivent
toutefois toujours respecter les «trois critères».
46. Plusieurs États d’Europe et institutions européennes ont traité
de la propagande de certaines idéologies, interdisant par exemple
la promotion de l’idéologie et des symboles nazis. Certains pays
d’Europe centrale et orientale se sont aussi dotés de lois interdisant
la propagande communiste. Plusieurs autres ont interdit le recours
à une propagande totalitaire ou anticonstitutionnelle sans préciser
si la réglementation porte sur une idéologie particulière.
47. En 2015, la Commission de Venise et l’Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont publié un avis sur
la pratique consistant à interdire la diffusion d’idéologies et
de symboles des régimes communiste et nazi
. Cet avis insistait sur la question
de la
nécessité d’une interdiction
visant la propagande des «idéologies totalitaires», soulignant les
lacunes dans l’application d’autres éléments relevant des «trois
critères», et constatant ainsi que les lois examinées n’étaient
pas conformes aux normes européennes. En 2022, cependant, la Commission
de Venise est revenue sur ses conclusions dans le contexte spécifique
de l’agression russe contre l’Ukraine en déclarant que les autorités
nationales (moldaves) avaient le droit d’affirmer «que l’affichage
des symboles utilisés par les forces armées russes dans la guerre actuelle
produit un danger réel et immédiat de désordre et une menace pour
la sécurité nationale et les droits d’autrui», et qu’il existait
un besoin social urgent d’imposer une interdiction de cette utilisation
.
48. La propagande des idéologies totalitaires a également été
examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. Dans l’affaire
Vajnai
c. Hongrie, la Cour a souligné que «la possibilité que soit diffusée»
une «idéologie totalitaire offensante» qui serait véhiculée par
un symbole, «aussi abominable soit-elle, ne peut motiver à elle
seule la restriction en question au moyen d’une sanction pénale».
Pour la Cour, un régime juridique qui restreint les droits fondamentaux
selon ce que lui dictent les sentiments populaires – qu’ils soient raisonnés
ou non – ne saurait passer pour répondre aux besoins sociaux impérieux
reconnus dans une société démocratique, qui doit demeurer raisonnable
dans son jugement. Autrement, n’importe quelle perturbation supposée
pourrait être invoquée pour faire échec à la liberté d’expression
et d’opinion. La Cour a également jugé important que le propagandiste
en question ne nourrissait «aucune ambition totalitaire».
3. Tendances
et défis de la propagande en Europe
49. La propagande russe est à l'origine
de ce rapport et est au centre des préoccupations des États membres
du Conseil de l'Europe, non seulement dans les pays voisins de la
Russie mais aussi en Europe occidentale.
50. En raison de l'attaque russe contre l'Ukraine, les États européens,
en particulier ceux d'Europe centrale et orientale, ont désormais
des raisons légitimes de s'inquiéter pour leur sécurité nationale.
L’agression de l’Ukraine par la Fédération de Russie et le déplacement
d’un grand nombre de réfugiés de guerre ont également exacerbé les
tensions politiques, économiques et sociales internes. Dans ces
conditions exceptionnelles, certaines formes de propagande qui seraient
jugées acceptables en temps de paix représentent aujourd’hui un
danger immédiat de désordre et une menace pour la sécurité nationale
et les droits d’autrui, y compris ceux des réfugiés de guerre ukrainiens,
ce qui crée un besoin social urgent d’imposer l’interdiction de
leur utilisation. Dans l'affaire
Kirkorov c.
Lituanie, la Cour européenne des droits de l'homme a reconnu
que l'entrée en Lituanie d'un célèbre chanteur russe constituait
une menace pour la sécurité nationale étant donné que «divers moyens
de propagande, y compris [...] des chanteurs de musique populaire,
tels que le requérant, [...] avaient été utilisés par la Fédération
de Russie contre les États baltes». De même, dans l'affaire
Zarubin
et autres c. Lituanie, la Cour européenne des droits de l'homme a conclu que
l'expulsion de journalistes russes pour leur comportement agressif
et provocateur susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale
était conforme à la liberté d'expression.
51. Comme indiqué ci-dessus, le Conseil de l'Union européenne
a interdit les médias russes dans le cadre des sanctions de l'Union
européenne contre la Fédération de Russie. Certains États membres
de l'Union européenne (Bulgarie, Allemagne, Estonie, Lituanie, Lettonie
et Pologne) n'ont toutefois pas attendu l'Union européenne pour
agir à l'encontre des médias russes. Si certaines mesures ont été
prises sur la base de la directive de l’Union européenne sur les
services de médias audiovisuels (SMAV)
, dans certains cas, l'autorité nationale
de régulation concernée ou l'organisme public compétent a interdit
des chaînes sur la base de sanctions antérieures de l'Union européenne
à l'encontre de personnes physiques ou morales russes
.
52. Certains pays non-membres de l'Union européenne ont également
pris des mesures à l'encontre des chaînes russes. Un instrument
clé à cet égard est la Convention européenne sur la télévision transfrontière (CETT)
, qui crée un cadre juridique pour
la libre circulation des programmes de télévision en Europe. Comme
la Russie n'a jamais ratifié la CETT et que le Bélarus n'y est pas
partie, certains pays ont introduit des mesures restrictives pour
les radiodiffuseurs des pays qui n'ont pas ratifié la CETT. En fait,
la CETT pourrait être un outil utile pour coordonner les mesures
contre la propagande dans toute l'Europe. Malheureusement, le Conseil
de l'Europe a décidé d'interrompre les travaux sur la télévision
transfrontière en 2011 et, par conséquent, il n'existe plus d'organisme
chargé de superviser l'application de la CETT
. De plus, la CETT n'inclut pas les
services de vidéo à la demande et les plateformes de partage de
vidéos dans son champ d'application. Par conséquent, une révision
de la CETT, ou une nouvelle convention, pourrait avoir un impact bénéfique
sur la lutte contre la propagande sur les écrans européens. L'Assemblée
l'a déjà recommandé en 2014
.
53. Malgré toutes ces sanctions, la propagande russe continue
d'opérer en Europe. En Italie, divers rapports indiquent que la
propagande russe a réussi à s'infiltrer dans les médias grand public
, notamment parce que les producteurs
de télévision voulaient augmenter la part d'audience de certaines
émissions grâce à des débats animés. En France, un rapport de renseignement
publié en février 2024 par le Cabinet du Premier Ministre a fait
état de «réseaux structurés et coordonnés de propagande» dans le
pays
, visant
à couvrir le conflit entre la Russie et l'Ukraine en présentant
sous un jour positif «l'opération militaire spéciale» et en dénigrant
l'Ukraine et ses dirigeants.
54. Dans une résolution adoptée le 8 février 2024, le Parlement
européen s’inquiète des récits dont la Russie alimente les partis
et acteurs politiques d’extrême droite d’Allemagne et de France
dans le but de «miner le soutien du public à l’Ukraine», et de la
quantité massive de désinformation et de contenus illicites diffusés
sur le réseau social X, anciennement Twitter
.
55. La désinformation et la propagande sont souvent partagées
en dehors des grands médias, et les influenceurs jouent un rôle
vraiment important dans la façon dont les gens vont obtenir des
informations sur les conflits et la politique. Les blogueurs russes
ont vraiment pris de l'ampleur, ils ont un accès extraordinaire à
la ligne de front de la guerre et jouent un rôle clé dans la façon
dont les gens obtiennent et interprètent les informations à ce sujet.
56. Les États ont de plus en plus recours à la fermeture d'internet
en période de conflit
. Cela peut être en partie la conséquence
de l'utilisation croissante des plateformes en ligne par les parties
à un conflit armé, y compris les États et les acteurs non étatiques,
pour diffuser de la propagande de guerre ou de la propagande parrainée
par l'État. Cette tendance s'est manifestée lors de l'invasion illégale
de l'Ukraine. En réponse à cette propagande, les plateformes ajustent
constamment leurs politiques. Ces acteurs privés doivent interpréter
et appliquer des normes juridiques très complexes. Cela peut entraîner
des lacunes en termes de protection des droits fondamentaux, car
les plateformes ne sont pas soumises à la transparence dans tous
les pays. De plus, dans les pays où il n'y a pas de contrôle juridique,
les plateformes autorisent des contenus illégaux tels que la propagande
en faveur de la guerre ou l'incitation au génocide, contrairement
aux pays où le contrôle et la pression publique sont beaucoup plus
forts.
57. Le deuxième «Rapport sur la manipulation de l’information
et l’ingérence menées depuis l’étranger»
du Service européen pour l’action
extérieure (SEAE) a relevé les cinq principales cibles de la propagande
en Europe: la consommation d'informations, l'aptitude des citoyens
à voter, les candidats et les partis politiques, la confiance dans
la démocratie et les infrastructures électorales. Ainsi, quelques
mois avant les élections de 2023 en Pologne, les médias bélarusses
proches de l'État ont créé sur les réseaux sociaux des chaines en polonais
ciblant le public de Pologne avec du contenu publié quotidiennement.
Ces chaînes ont diffusé des informations manipulées russes et bélarusses
en langue polonaise pendant toute la période préélectorale.
58. Un autre rapport, publié par l’Observatoire européen des médias
numériques (EDMO)
en novembre 2023, s'est appuyé sur
900 articles de vérification des faits publiés dans le contexte
de 11 élections organisées dans 10 pays d'Europe pour démontrer
que virtuellement tous les thèmes potentiels sont visés par la désinformation
et les récits de propagande: la guerre en Ukraine, le changement
climatique, les institutions de l'Union européenne, les questions
de genre et la communauté LGBTIQ+, l'immigration, les réfugiés,
la religion, la santé et les politiques relatives à la Covid-19.
59. Les personnes LGBTIQ+ sont spécifiquement ciblées par la propagande.
Dans un rapport publié en octobre 2023
, le SEAE a identifié 31 cas de manipulation
de l'information et d'ingérence étrangère (FIMI) à l'encontre des
personnes LGBTIQ+ de juin 2022 à juillet 2023. «L'ampleur des affaires
de FIMI ciblant les LGBTIQ+ dépasse le cadre de cette communauté.
(…) Les acteurs de ces FIMI ont cherché à provoquer l’indignation
du public non seulement contre des personnes, communautés ou organisations
LGBTIQ+ identifiées, mais aussi contre des mesures gouvernementales,
la notion de démocratie en tant que telle et des événements locaux
ou géopolitiques.» En arrière-plan du thème commun aux nombreux
cas de FIMI identifiés, le dénigrement des personnes LGBTIQ+, l'idée
essentielle de plusieurs d'entre eux est «le déclin de l'Occident».
60. La «propagande médicale» est une préoccupation majeure en
Europe depuis la pandémie de Covid-19. Dans certains États membres,
les médecins et les chercheurs appellent à qualifier ce type de
désinformation de propagande manipulatrice, constitutive d'un «trouble
à l'ordre public» et d'une «menace pour la santé publique»
. Cela pourrait s'appuyer sur des
exemples législatifs antérieurs, comme le cas de la France, où depuis
2017 la diffusion de fausses informations concernant l'avortement
sur les plateformes numériques est considérée comme une infraction
spécifique
.
61. Le changement climatique fait aussi l'objet d'une propagande,
parfois dans une intention manifeste de manipulation sur les réseaux
sociaux. D'après une étude réalisée en 2023
«la part des comptes Twitter présentant
des comportements malhonnêtes [concernant le changement climatique]
a nettement augmenté depuis 2019 dans le monde, laissant supposer
d’éventuelles opérations d'astroturfing». La plupart de ces comptes
partagent également de la propagande favorable au Kremlin concernant
la guerre en Ukraine.
62. Il existe une corrélation entre l'ouverture à la propagande
et la confiance dans le gouvernement. Selon des études menées en
Europe centrale et orientale
, dans les pays où la population a
peu confiance dans son gouvernement, comme la Pologne, la Bulgarie
et la République Slovaque, l'idée selon laquelle «la démocratie
n'existe pas parce que des élites dirigent le monde dans l'ombre»
a de meilleures chances de se diffuser dans la population, et plus
de 50 % des répondants de République Slovaque et de Bulgarie sont d'accord
avec cette vision.
4. Conclusion:
approches constructives pour lutter contre la propagande en Europe
63. La lutte contre la propagande
appelle des réponses internationales, pluridimensionnelles et multipartites dans
le respect de la liberté d’information, ainsi que l’engagement proactif
des organisations intergouvernementales, des États, des entreprises
commerciales, de la société civile, y compris les médias et tous
les autres acteurs concernés.
64. La volonté de trouver une solution internationale aux défis
de la propagande se renforce aujourd’hui avec le rôle transfrontalier
que jouent les médias en ligne et les médias de radiodiffusion,
ainsi que les réseaux sociaux et les plateformes numériques dans
l’information du public. Les menaces liées à la propagande ont conduit
à une intervention élargie des institutions et des pouvoirs publics
européens sur les aspects relatifs à la liberté d’information, avec
l’octroi de licences, la réglementation de la radiodiffusion transfrontière
et de la publicité politique, la corégulation de la surveillance
des réseaux sociaux, et des sanctions directes pour des médias étrangers,
par exemple. Aujourd’hui, ces outils sont mis à l’épreuve des engagements
pris à l’échelle mondiale sur la liberté d’expression, la liberté
d’information et la liberté des médias
. Les réponses à la propagande devraient
varier en fonction du type de propagande.
4.1. Lutter
contre la propagande illégale
65. L’article 17 de la Convention
européenne des droits de l’homme est un instrument solide pour combattre la
propagande, mais il convient de l’utiliser avec précaution et à
titre exceptionnel. Cette norme empêche qu’une activité visant la
destruction de tout droit humain reconnu par la Convention (notamment
le droit à la vie et à la non-discrimination) puisse s’appuyer sur
la protection qu’offre la Convention. En particulier, tout «propos dirigé
contre les valeurs qui sous-tendent la Convention» est soustrait
à la protection de l’article 10 par l’article 17 (
Lehideux et Isorni c.
France). À titre d’exemple,
dans une affaire concernant la contestation des crimes contre l’humanité
commis par les nazis envers la communauté juive, la Cour a jugé
incompatible avec les valeurs fondamentales de justice et de paix
le grief soulevé par le requérant sur le terrain de l’article 10,
et a déduit de ce constat que le requérant tentait de détourner
l’article 10 de sa vocation en utilisant son droit à la liberté
d’expression à des fins contraires à la lettre et à l’esprit de
la Convention (
Garaudy c. France). Dans le contexte de la propagande d'organisations
terroristes, l’article 17 a été appliqué dans l'affaire
Roj
TV A/S c. Danemark, où le retrait des licences de l'organisme de radiodiffusion
qui faisait la promotion des opérations terroristes du Parti des
travailleurs du Kurdistan (PKK) a été jugé compatible avec la Convention.
66. Toutefois, dans l'affaire
Perinçek
c. Suisse, qui concernait la négation du génocide arménien, la
Cour a estimé qu'«il n'était pas nécessaire, dans une société démocratique,
de condamner pénalement le requérant afin de protéger les droits
de la communauté arménienne qui étaient en jeu en l’espèce». En
vertu de l'article 17 de la Convention, le point décisif était de
savoir si les propos du requérant avaient pour but d’attiser la
haine ou la violence et si, en les tenant, il avait cherché à invoquer
la Convention de manière à se livrer à une activité ou à commettre
des actes visant à la destruction des droits et libertés y consacrés.
Selon la Cour européenne des droits de l'homme, cette question «ne
se prêtait pas à une solution immédiate» et se recoupait avec celle de
savoir si l’ingérence dans l’exercice par le requérant du droit
à la liberté d’expression était «nécessaire dans une société démocratique».
67. La question de savoir si la propagande incite la population
«à la haine et à l’hostilité» est fondamentale à cet égard. Dans
l’affaire
Zana c. Turquie, la Cour a jugé que la sanction pénale imposée par les
juridictions nationales répondait à un besoin social impérieux.
Dans son arrêt, elle a notamment indiqué que, «alors que des troubles
graves faisaient rage dans le sud-est de la Turquie», une déclaration
d’une personnalité politique bien connue dans la région sur la question
kurde, lors d'une interview avec des journalistes dans laquelle
il a indiqué son soutien au mouvement de libération nationale du
PKK, et qui a coïncidé avec les meurtres de civils par des militants
du PKK, «pouvait avoir […] un impact de nature à justifier l'adoption
par les autorités nationales d'une mesure visant à préserver la
sécurité nationale et la sûreté publique».
69. À titre d’exemple, dans l’affaire
Ceylan c. Türkiye, le requérant, dirigeant syndical, a été emprisonné
et privé de certains droits politiques et sociaux pour «infraction
d’incitation du peuple à la haine et à l’hostilité en faisant des
distinctions fondées sur l’origine ethnique ou régionale ou l’appartenance
à une classe sociale.» La Cour a jugé la condamnation du requérant
disproportionnée dans la mesure où les messages, malgré leur virulence,
n’encourageaient pas la violence, la résistance armée ou l’insurrection.
Pour la Cour, il s’agit d’un facteur qu’il faut prendre en considération.
70. Pour être compatibles avec la liberté d’information, les restrictions
sur la propagande doivent être mises en œuvre dans le respect des
principes de l’État de droit. Il en va de même lorsque nos démocraties
sont confrontées à la propagande sous forme de guerre hybride menée
par un «État agresseur» ou un «État soutenant le terrorisme»: toute
restriction visant à lutter contre cette propagande ne sera efficace
que si elle repose fermement sur des notions clairement définies
et une base solide d’actes normatifs.
4.2. Faire
face à la propagande préjudiciable mais pas illégale
71. La propagande peut être préjudiciable
sans être illégale. Cela ne signifie pas qu'elle ne doit pas être combattue.
Au cours de l’année écoulée, plusieurs «mesures de renforcement
de la résilience des médias» ont été prises, telles que la mise
en place d’une «communication stratégique» consistant à équilibrer
l’espace d’information avec des discours pro-démocratiques / positifs,
la démystification et la vérification des faits (et notamment concernant
les personnalités politiques)
,
en plus de limiter la propagation de la désinformation en bloquant
et en interdisant les sites internet, les comptes de réseaux sociaux
et les contenus préjudiciables
. Cependant, les coupures temporaires d’internet
et/ou la contrepropagande gouvernementale ne sont pas toujours appropriées
ni efficaces. Les efforts de contrepropagande déployés par l’Ukraine
restent considérés comme moins efficaces que la propagande russe
.
74. Ces huit dernières années, les institutions de l’Union européenne
ont systématiquement adopté et mis en œuvre plusieurs résolutions,
communications stratégiques et plans d’action destinés notamment
à combattre la propagande nuisible mais légale. Il s’est probablement
agi de la réponse politique la plus complète de toutes les organisations
intergouvernementales.
75. Le règlement sur les services numériques (DSA pour Digital
Service Act)
de 2022 constitue un pilier fondamental
de la stratégie de l'Union européenne. Le DSA «harmonise pleinement
les règles applicables aux services intermédiaires dans le marché
intérieur dans le but de garantir un environnement en ligne sûr, prévisible
et de confiance, en luttant contre la diffusion de contenus illicites
en ligne et contre les risques pour la société que la diffusion
d’informations trompeuses ou d’autres contenus peuvent produire».
76. Les contenus illégaux sont définis par les États membres et
les législations de l'Union européenne. Le DSA ne fait que créer
les règles sur la manière de lutter contre les contenus illégaux
par le biais d'un certain nombre de dispositions, par exemple sur
les injonctions d’agir contre des contenus illicites, les obligations
en matière de rapports de transparence, le traitement interne des
réclamations et les obligations d’infirmer les décisions, le statut
de «signaleurs de confiance» (trusted
flaggers) pour les organismes experts, etc. Les règles concernant
le traitement individuel des contenus potentiellement préjudiciables
(mais non illégaux) sont assez limitées car elles ne se réfèrent
qu'aux conditions générales. Par exemple, s'il existe une sorte
de règle interne contre les informations préjudiciables, elle peut
être traitée via le traitement interne des réclamations, mais il n'y
a pas d'autres obligations en vertu du DSA.
77. Le DSA s'applique à quatre types de services: les intermédiaires,
les services d'hébergement, les plateformes en ligne et les très
grandes plateformes en ligne et très grands moteurs de recherche
en ligne (VLOPSEs pour Very Large Online Platforms and Very Large
Online Search Engines), avec des obligations croissantes en fonction
du type de service. Il a une approche systémique et basée sur les
risques. Rien dans le DSA ne demande le retrait du contenu qui n'est
pas strictement illégal, mais il vise à l'atténuation des risques. En
ce qui concerne les utilisateurs, il est très protecteur de leur
liberté d'expression, mais aussi de la liberté d’entreprise des
plateformes elles-mêmes.
78. Le DSA s'intéresse tout particulièrement aux VLOPSEs en raison
de leur portée en termes de destinataires de ces services. Les VLOPSEs
doivent évaluer les risques systémiques découlant de la conception,
du fonctionnement et de l’utilisation de leurs services, ainsi que
des abus potentiels par les destinataires du service, et devraient
prendre des mesures d’atténuation appropriées, dans le respect des droits
fondamentaux (Article 34 DSA). Cette évaluation des risques doit
inclure les risques systémiques suivants: a) la diffusion de contenus
illicites par l’intermédiaire de leurs services; b) tout effet négatif
réel ou prévisible pour l’exercice des droits fondamentaux; c) tout
effet négatif réel ou prévisible sur le discours civique, les processus
électoraux et la sécurité publique; d) tout effet négatif réel ou
prévisible lié aux violences sexistes et à la protection de la santé
publique et des mineurs et les conséquences négatives graves sur
le bien-être physique et mental des personnes.
79. Les VLOPSEs doivent mettre en place des mesures d’atténuation
raisonnables, proportionnées et efficaces, adaptées aux risques
systémiques spécifiques recensés mentionnés ci-dessus, en tenant
compte en particulier de l’incidence de ces mesures sur les droits
fondamentaux (article 35 DSA).
80. Le DSA a également introduit un «mécanisme de réponse aux
crises» (article 36 DSA) qui permet à la Commission européenne d'exiger
des VLOPSEs qu'ils «initient d’urgence une réaction aux crises»
lorsque «des circonstances extraordinaires entraînent une menace
grave pour la sécurité publique ou la santé publique dans l’Union
ou dans des parties importantes de l’Union». En outre, la Commission
européenne peut lancer l'élaboration de protocoles de crise volontaires
afin de coordonner une réaction rapide, collective et transfrontalière
dans l'environnement en ligne (article 48 DSA).
81. Un autre pilier de la stratégie de l'Union européenne contre
la désinformation est le code de bonnes pratiques renforcé contre
la désinformation
de 2022, qui énonce 44 engagements
étendus et précis des plateformes et de l'industrie pour lutter
contre la désinformation et 128 mesures spécifiques, dans les domaines
suivants: démonétisation; transparence de la publicité politique;
garantie de l'intégrité des services; autonomisation des utilisateurs;
autonomisation des chercheurs; autonomisation de la communauté de vérification
des faits; centre et groupe de travail sur la transparence; et cadre
de surveillance renforcé.
82. En ce qui concerne les processus électoraux, la Commission
européenne a publié le 26 mars 2024 des lignes directrices pour
les VLOPSEs afin d'atténuer les risques systémiques en ligne susceptibles
d'avoir une incidence sur l'intégrité des élections, avec des conseils
spécifiques pour les élections du Parlement européen en juin 2024
. Entre autres, les VLOPSEs doivent:
mettre en œuvre des mesures d'atténuation des risques spécifiques
aux élections, adaptées à chaque période électorale individuelle
et au contexte local; adopter des mesures d'atténuation spécifiques
liées à l'IA générative; faciliter l'utilisation de mesures d'atténuation adéquates,
y compris dans les domaines de la manipulation de l'information
étrangère et de l'ingérence, de la désinformation et de la cybersécurité;
adopter des mesures spécifiques, y compris un mécanisme de réponse aux
incidents, pendant une période électorale pour réduire l'impact
des incidents qui pourraient avoir un effet significatif sur le
résultat de l'élection ou le taux de participation; évaluer l'efficacité
des mesures par le biais d'examens postélectoraux.
83. L’EDMO s'emploie à renforcer et à permettre la collaboration
entre une communauté multidisciplinaire de parties prenantes s'attaquant
à la désinformation en ligne. Il peut compter sur un réseau de 14
hubs nationaux ou multinationaux actifs dans 28 pays de l'Union
européenne et de l'Espace économique européen, qui apportent un
potentiel unique pour comprendre et agir sur les vulnérabilités
spécifiques des médias numériques dans les domaines qu'ils couvrent.
84. Le règlement européen sur la liberté des médias
pourrait présenter un intérêt pour
les États membres du Conseil de l'Europe qui ne sont pas membres
de l’Union européenne et servir de modèle aux gouvernements nationaux
pour gérer les menaces de la propagande. Les médias de qualité y
sont présentés comme un antidote contre la propagande, y compris
contre la manipulation de l’information et l’ingérence étrangères.
85. Cette notion de «médias de qualité» comprend plusieurs éléments,
notamment l’indépendance éditoriale vis-à-vis des partis politiques
et des pays étrangers, l’indépendance des structures de gouvernance des
médias de service public, une plus grande transparence de la propriété
des médias et des critères transparents, objectifs, proportionnés
et non discriminatoires concernant l’attribution des financements
publics pour l’achat de publicités.
86. La relation des Européens avec les médias varie d’un pays
à l’autre mais, dans la majorité des pays, la confiance que les
citoyens accordent aux médias est faible; ils estiment que nombre
de médias traditionnels sont partisans et partiaux. Cette perception
des médias est importante: en effet, elle détermine non seulement les
sources d’information que la population recherche mais augmente
aussi leur probabilité de consommer des «médias alternatifs» ou
d’éviter toute information ce qui, dans les deux cas, peut les rendre
plus vulnérables à la propagande
. La Recommandation CM/Rec(2022)4
du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe sur la promotion
d’un environnement favorable à un journalisme de qualité à l’ère
du numérique comprend des orientations sur la vérification et le
contrôle de la qualité afin de rétablir la crédibilité et la confiance
du public dans les médias, mais reconnaît aussi explicitement le
rôle de l'éducation aux médias et à l'information dans le renforcement
de la résilience sociale face à la désinformation.
87. Pour distinguer les médias d’information indépendants reconnus
bona fide et les propagandistes (d’État),
il convient de recourir à des indicateurs qui reflètent le fondement
des médias indépendants et du journalisme de qualité
, tels que l’adhésion à des consignes
éditoriales et leur utilisation effective, l’existence de règles
de déontologie du journalisme, la mise en place de mécanismes d’autorégulation,
le niveau de contrôle public et la transparence de la propriété
des médias. La liste de ces indicateurs n’est pas exhaustive, mais
ils permettent de se faire une idée du niveau d’opacité qui est
incompatible avec les médias indépendants et le journalisme de qualité
.
88. Différentes formes d’autorégulation, comme les conseils de
presse indépendants, les médiateurs (numériques) ou l’organisation
d’examens par les pairs, peuvent aider à trouver l’équilibre entre l’indépendance
et la protection contre la censure politique. Outre les questions
d’indépendance et de garantie de professionnalisme, elles servent
aussi d’outil pour la responsabilisation des médias. Les décisions
des organes d’autorégulation peuvent aussi préparer le terrain aux
tribunaux et autorités nationales de régulation chargés de faire
la distinction entre les journalistes reconnus
bona fide et les propagandistes
déguisés en acteurs médiatiques. En 2016, les conseils des médias
des pays du Partenariat oriental de l’Union européenne (et de la
Russie) ont même approuvé des critères pratiques spécifiques pour
différencier la propagande et le journalisme dans les médias
.
89. L’IA, qui est de plus en plus présente dans les contenus médiatiques,
principalement sur les plateformes numériques, mérite une attention
particulière. L'IA peut être un instrument de propagande très puissant, notamment
par le biais de ce que l'on appelle les
deep
fakes (une image ou un enregistrement qui a été modifié et
manipulé de manière convaincante pour présenter quelqu'un comme
ayant fait ou dit quelque chose qui n'a pas été fait ou dit en réalité).
Pour contrer ce phénomène, le
Conseil
de l'Europe et
l'Union
européenne sont en train de finaliser des instruments juridiques
novateurs qui réglementent de nombreux aspects de l'IA. En particulier,
la loi européenne sur l'IA stipule que le contenu généré ou modifié
à l'aide de l'IA – images, fichiers audio ou vidéo – doit être clairement
étiqueté comme étant généré par l'IA. Garantir la transparence des données
est certainement nécessaire à cet égard, mais la transparence seule
n'aura pas d'impact substantiel sans règles sur la manière dont
les systèmes algorithmiques doivent être conçus. En ce sens, les
autorités de régulation chargées de superviser ces systèmes joueront
un rôle fondamental
.
90. Entre-temps, l'industrie technologique s'autorégule déjà.
En voici un exemple: en février 2024, plusieurs entreprises technologiques
de premier plan ont signé un accord visant à combattre l’utilisation
trompeuse de l’IA dans les élections 2024 («Tech Accord to Combat
Deceptive Use of AI in 2024 Elections»)
, où elles se sont engagées à «déployer
des technologies pour contrer les contenus préjudiciables générés
par l’IA destinés à tromper les électeurs». Les signataires ont
décidé de concevoir ensemble des outils permettant de détecter et
de gérer la diffusion en ligne des contenus générés par l’IA, de
définir des campagnes d’éducation, et d’assurer la transparence.
Les contenus numériques visés sont des enregistrements audios, des
vidéos et des images qui sont «frauduleux ou modifient l’apparence,
la voix, ou les actes des candidats politiques, des responsables
électoraux et d’autres parties prenantes clés dans une élection
démocratique, ou qui fournissent de fausses informations aux électeurs
sur quand, où et comment voter».
91. D’autres outils classiques permettent de faire face à la propagande.
Ils comprennent les règles sur l’équilibre et l’exactitude de la
radiodiffusion; l’indépendance des autorités de régulation des médias
dotées des compétences et des moyens financiers adéquats; la place
importante des médias de service public avec une mission spéciale
consistant à inclure tous les points de vue; une distinction claire
entre les faits et les opinions dans le journalisme; la transparence
de la propriété des médias, etc. Comme l’indique l’Assemblée dans
son rapport intitulé «Garantir la liberté des médias et la sécurité
des journalistes: une obligation des États membres»
, la défense des médias de service
public et la lutte contre l’appropriation des médias sont deux éléments
clés pour contrer la propagande, ainsi qu’une éthique professionnelle
des médias. Une des principales caractéristiques des médias de propagande
est notamment qu’ils évitent de divulguer leurs consignes éditoriales
(s’il en existe) ou leurs principes de programmation, leurs statuts,
leurs codes professionnels, leurs codes de déontologie des journalistes,
ou toute autre norme professionnelle
.
92. De bonnes pratiques existent pour lutter contre la propagande
dans le secteur des médias. Plusieurs diffuseurs de service public
comme la BBC ont créé un service spécial de lutte contre la désinformation
. France
Télévisions a lancé un «MédiaLab de l’information» contre la propagande
et la désinformation
. Beaucoup d’autres grands médias,
y compris les médias traditionnels écrits et les agences de presse,
ont intégré la démystification et la vérification des faits dans
leurs activités.
93. Un dernier élément à prendre en considération est la participation
des citoyens à la lutte contre la propagande. Dans la lutte contre
la désinformation et la propagande, il est essentiel de doter le
public des compétences et des connaissances dont il a besoin pour
reconnaître, utiliser et apprécier des informations et un journalisme
de qualité, ainsi que pour discerner les informations et interagir
avec elles de manière critique. Les programmes d'éducation aux médias
et à l'information devraient permettre de mettre en contexte l’actualité et
les droits humains, améliorer la compréhension de l’importance de
la liberté des médias et de démystifier les accusations de partialité
qui font douter des médias et finalement aider au développement
du sens critique et encourager la population à s’intéresser aux
informations, en particulier les personnes défavorisées sur le plan
éducatif et les jeunes. Ces programmes devraient avoir pour objectif
principal de placer la vulnérabilité à la propagande au cœur des
questions prioritaires et d’aider les participants à discerner eux-mêmes
les faits et les points de vue, à reconnaître la partialité dans
les reportages et les récits conspirationnistes, à corroborer et
à vérifier l’exactitude des informations, et à répondre à des contenus
et des acteurs problématiques. En outre, d'autres initiatives utiles
pourraient être des activités de renforcement communautaire qui
aident à sortir des réseaux sociaux et ciblent l’isolement, des
initiatives de démocratie participative pour renforcer la confiance
à l’égard de la gouvernance locale/régionale, et l’utilisation de
la psychologie et des sciences comportementales pour cibler les
communautés vulnérables avec des messages dans un langage qu’elles comprennent.
4.3. Synthèse
94. Les solutions contre les contenus
de propagande doivent nécessairement être multidimensionnelles.
Il faut traiter la propagande afin de préserver le pluralisme des
médias et la liberté d’information. Cependant, les États ne devraient
pas s’attacher à lutter contre la
propagande, mais plutôt à agir en faveur des
droits fondamentaux comme la liberté d’expression et la liberté
d’information. Ils devraient faire la distinction entre les réponses
apportées aux formes d'expression illégales et celles apportées
aux formes d'expression légales mais préjudiciables, et ne devraient
restreindre que la distribution de contenus illégaux. De même, les plateformes
devraient utiliser le retrait de contenu comme mesure de dernier
recours.
95. Au vu de ces conclusions, des actions concrètes sont proposées
dans le projet de résolution.