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Rapport | Doc. 16034 | 09 septembre 2024

Propagande et liberté d'information en Europe

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Stefan SCHENNACH, Autriche, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15594, Renvoi 4681 du 10 octobre 2022. 2024 - Quatrième partie de session

Résumé

La propagande peut être utilisée pour manipuler l'opinion publique et menacer nos valeurs communes et la dignité humaine, ainsi que le bon fonctionnement de nos systèmes démocratiques, en entravant le développement d'opinions libres et la participation éclairée des citoyens au débat public et à la prise de décision.

Le rapport souligne la nécessité de s'attaquer à la propagande préjudiciable de manière efficace et mieux coordonnée; il invite les États à ne pas limiter leur réponse à des restrictions, qui pourraient devenir un outil pour faire taire les voix critiques et l'opposition, mais plutôt à élaborer des stratégies globales qui préservent la liberté d'expression et la liberté d'information. Le rôle des régulateurs indépendants, la collaboration des secteurs des médias et de l'internet et un paysage médiatique indépendant et pluraliste, y compris des médias de service public dotés de ressources suffisantes, sont essentiels pour contrer la propagande préjudiciable et défendre une société démocratique.

Il est essentiel d'instaurer la confiance dans les institutions et de veiller à ce que le public reçoive des informations fiables sur les questions d'intérêt public. La transparence de la propriété des médias et de leurs sources de financement doit être renforcée, et l'égalité d'accès à l'information et aux médias, ainsi que l’éducation aux médias et à l’information, doivent être encouragées.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 26 juin
2024.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire est préoccupée par la diffusion généralisée de la propagande qui vise à biaiser l'opinion publique, met en péril le bon fonctionnement de nos systèmes démocratiques et menace nos valeurs communes et la dignité humaine. Cette propagande préjudiciable comprend à la fois la propagande illégale et la propagande qui, bien que non interdite, peut nuire au développement d'opinions libres et à la participation éclairée des citoyens au débat public et à la prise de décision, par le biais de méthodes de communication contraires à l'éthique, y compris la désinformation et les outils de manipulation psychologique.
2. Les États membres du Conseil de l’Europe doivent se protéger contre toutes les formes de propagande illicites au regard du droit international, comme la propagande en faveur de la guerre, l’incitation au génocide et à d'autres crimes internationaux, à la haine, au terrorisme ou à la discrimination. Ils doivent être en mesure de désamorcer une propagande qui va clairement à l’encontre des valeurs fondamentales de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention») et qui est préjudiciable à la démocratie. En effet, selon son article 17, la Convention n'autorise aucune propagande visant à la destruction des droits et des libertés qui y sont énoncés.
3. Les mesures de lutte contre la propagande préjudiciable doivent toutefois respecter le droit à la liberté d’expression (y compris la liberté d’information) protégé par l’article 10 de la Convention, qui est une composante fondamentale de toute démocratie. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les restrictions à ce droit doivent être prévues par la loi, justifiées par un but légitime et proportionnées au but poursuivi.
4. Ces mesures doivent en outre respecter la primauté du droit et la séparation des pouvoirs. En l’absence d’un système judiciaire indépendant et d’instances indépendantes de régulation des médias, des lois conçues pour lutter contre la propagande préjudiciable et la possibilité de sanctionner des médias ou des individus peuvent avoir des conséquences désastreuses pour la liberté des médias.
5. La lutte contre la propagande préjudiciable ne doit pas servir de prétexte à la censure. Les dispositions prises ne doivent pas produire un effet dissuasif sur le travail des médias y compris lorsqu’ils couvrent les conflits armés, ni empêcher ou décourager un débat sans entraves sur des questions d’intérêt général. La censure de médias «problématiques» ainsi que de contenus émanant de groupes extrémistes peut renforcer la perception du public selon laquelle la réglementation des médias est corrompue et orchestrée pour cacher la «vérité». Cela pourrait alimenter les théories conspirationnistes et renforcer les discours extrémistes.
6. L’enjeu pour les États démocratiques est de neutraliser la propagande préjudiciable tout en préservant le droit à la liberté d’expression et notamment la liberté et le pluralisme des médias. Ils doivent veiller à ce que toutes les restrictions et contre-mesures revêtent un caractère nécessaire dans une société démocratique afin de préserver les valeurs fondamentales sur lesquelles elle repose.
7. À cet égard, l’Assemblée considère que la propagande préjudiciable appelle une réponse multidimensionnelle. La priorité des États ne devrait pas être de lutter contre la propagande en tant que telle, mais plutôt d’agir en faveur des valeurs démocratiques et des droits fondamentaux.
8. La propagande préjudiciable a une dimension transnationale. Pour y mettre fin, les États membres doivent renforcer leur coopération. Le Conseil de l’Europe a un rôle important à jouer à cet égard.
9. Une collaboration plus étroite entre les pouvoirs publics et le secteur privé s’impose par ailleurs. Les médias et les journalistes ont leur part de responsabilité dans la lutte contre la diffusion de la propagande. Ils devraient s’attaquer aux perceptions négatives véhiculées par les grands médias de masse, afin de restaurer la confiance du public et maintenir le lien avec leurs auditoires.
10. Enfin et surtout, il faut protéger le droit du public à l’information, donner aux citoyens les moyens de faire des choix éclairés, renforcer la confiance dans les institutions démocratiques et accroître la résilience de la société tout entière contre les trop nombreuses tentatives de manipulation de l'opinion publique qui reposent sur des pratiques trompeuses et systématiques.
11. L’Assemblée recommande par conséquent aux États membres de développer des stratégies globales pour lutter contre la propagande illégale et apporter des réponses efficaces à la diffusion de toute propagande qui, bien que légale, serait préjudiciable. À cet égard, ils devraient notamment:
11.1. veiller à ce que la propagande interdite par le droit international et la propagande constituant une menace grave pour la démocratie et les droits humains soient déclarées illégales dans le droit interne;
11.2. ratifier la Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur l'intelligence artificielle et les droits de l'homme (STCE no 225), la démocratie et l'État de droit, et veiller à sa mise en œuvre en tenant dûment compte de l'impact des technologies de l'intelligence artificielle sur la production et la diffusion de la désinformation et de la propagande illégale;
11.3. réexaminer, en tant que de besoin, la législation nationale afin de prévoir des poursuites judiciaires appropriées contre le parrainage, la production et la diffusion de propagande illégale, tout en respectant pleinement le droit à la liberté d’expression et en veillant à ce que les restrictions et les sanctions répondent strictement au triple test de légalité, de légitimité et de nécessité;
11.4. instaurer des garanties, notamment de procédure, afin que les mesures restrictives soient appliquées scrupuleusement, en évitant leur utilisation abusive ou impropre et en assurant qu’elles ne se transformeront pas en outils pour faire taire les voix critiques et l’opposition;
11.5. mettre en place des mécanismes appropriés et indépendants de surveillance des médias, confiés à des régulateurs indépendants, afin d’examiner la légalité, la légitimité et la nécessité des restrictions destinées à lutter contre la propagande préjudiciable, ainsi que leurs modalités concrètes de mise en œuvre;
11.6. fournir des informations fiables et dignes de confiance sur des questions d’intérêt général, telles que l’économie, la santé publique, la sécurité, la protection des droits humains pour tous et de l’environnement, en particulier sur des sujets controversés, comme le changement climatique et ses conséquences ou les droits des minorités, des migrants ou des personnes LGBTIQ+, les questions de sexe et de genre, entre autres;
11.7. assurer la transparence des activités gouvernementales grâce à des mesures proactives et réactives pour ceux qui recherchent des informations officielles, conformément à la Convention du Conseil de l’Europe sur l’accès aux documents publics (STCE no 205), et maintenir le droit d’accès à l’information pendant les états d’exception, afin de renforcer la confiance dans le processus d’information gouvernemental;
11.8. prendre des mesures efficaces pour favoriser l’égalité d’accès à l’information pour tous, y compris les femmes, les jeunes et les groupes défavorisés;
11.9. promouvoir l’éducation aux médias et à l’information et investir dans des programmes d’éducation aux médias et d’instruction civique pour encourager la pensée critique;
11.10. promouvoir un environnement d’information et de communication libre, indépendant et diversifié, y compris un paysage médiatique diversifié et pluraliste;
11.11. veiller à ce que les médias de service public soient indépendants et disposent de moyens suffisants pour remplir leur mission d’intérêt public;
11.12. encourager et soutenir un journalisme de qualité ainsi que l’existence de normes professionnelles et leur mise en œuvre effective par les différents acteurs des médias;
11.13. renforcer la transparence de la propriété des médias et des sources financières;
11.14. encourager la recherche sur la propagande préjudiciable, afin de contribuer à éclairer les stratégies locales, nationales et européennes visant à y faire face;
11.15. renforcer leur collaboration et chercher à mettre en place des réponses coordonnées dans le cadre du Conseil de l’Europe, en faisant un meilleur usage des outils et mécanismes de coopération fournis par l’Organisation.
12. L’Assemblée invite les professionnels et les organismes du secteur des médias:
12.1. à refuser de devenir des instruments de propagande en faveur de la guerre, la violence, la discrimination et la haine, et à jouer un rôle dans la diffusion des principes de paix et de dignité humaine pour favoriser une culture de tolérance, de compréhension mutuelle et de respect entre les différents groupes de la société;
12.2. à adhérer aux normes professionnelles les plus élevées pour assurer la qualité de l’information, notamment lors de l'utilisation d'outils d'intelligence artificielle générative et de la diffusion d'informations par le biais de systèmes automatisés;
12.3. à promouvoir la collaboration, à mutualiser les efforts de lutte contre la désinformation et la mésinformation et à partager l'expérience acquise dans la lutte contre la propagande préjudiciable;
12.4. à procéder à un examen par les pairs pour détecter la propagande éventuelle et les contenus préjudiciables dans les médias, afin de les désactiver lorsqu’ils sont illégaux et de les contrebalancer dans d’autres cas.
13. L’Assemblée invite les intermédiaires d’internet:
13.1. à mettre au point des outils adéquats – y compris des outils d'intelligence artificielle sous contrôle humain – pour identifier la propagande illégale et en bloquer la diffusion, éventuellement avant qu'elle ne devienne accessible aux internautes, et à retirer le contenu rapidement et efficacement lorsque les autorités compétentes en font la demande;
13.2. à coopérer activement avec les entités publiques, sociales et privées pour promouvoir et soutenir l’éducation aux médias, notamment pour lutter contre la désinformation et le discours de haine;
13.3. à améliorer la transparence des algorithmes;
13.4. à veiller à ce que les systèmes d’intelligence artificielle qu’ils développent ou utilisent respectent les normes du Conseil de l’Europe, y compris la nouvelle Convention-cadre sur l’intelligence artificielle et les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit;
13.5. à prendre des mesures pour démonétiser la diffusion de la désinformation et de la propagande préjudiciable;
13.6. à faciliter l'accès aux données pertinentes lisibles par machine à des fins de recherche, ce qui est nécessaire pour élaborer des contre-mesures fondées sur des preuves contre la désinformation et la propagande préjudiciable.

B. Exposé des motifs par M. Stefan Schennach, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le droit à la liberté d'expression, qui inclut la liberté d’information protégée par l’Article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5, «la Convention»), est un élément fondamental de toute démocratie. Toutefois, cette liberté peut faire l’objet d’abus, et la propagande peut être utilisée pour manipuler l’opinion publique et menacer le bon fonctionnement de nos systèmes démocratiques, nos valeurs communes et la dignité humaine.
2. Le pouvoir de manipulation de la propagande est devenu encore plus fort avec le développement des médias sociaux, donnant lieu à un phénomène de pollution de l’information à l’échelle mondiale.
3. La propagande est particulièrement dangereuse lorsqu’elle émane de médias appartenant à l’État, soutenus par l'État ou gérés par l’État, même par procuration. Si elle est dominante dans un pays donné, la propagande engendre l’autoritarisme, détruisant ainsi, non seulement le pluralisme des médias, mais aussi d’autres fondements essentiels de la démocratie.
4. Après le début de la guerre d'agression contre l'Ukraine, certains médias russes accusés de «mener des actions de désinformation et de manipulation de l'information» afin de «déstabiliser les pays voisins» ont été sanctionnés par l’Union européenne en mars 2022 et leurs activités de radiodiffusion ont été suspendues. Certains États membres du Conseil de l’'Europe (y compris l'Estonie, la Lituanie, la Lettonie, la Pologne, la Roumanie, l'Ukraine et la République de Moldova) ont imposé des sanctions ou des interdictions supplémentaires à d’autres médias, russes ou nationaux, pour cause de propagande ou de désinformation 
			(2) 
			Voir <a href='https://rm.coe.int/note-rt-sputnik/1680a5dd5d'>Cabrera
Blázquez F.J., «The implementation of EU sanctions against RT and
Sputnik», European Audiovisual Observatory, Strasbourg, 2022</a>..
5. L'un des indicateurs de l'approche juridique des mesures restrictives est la considération de l'état d'origine, c'est-à-dire l'implication et l'influence manifestes ou secrètes d'un État qui, en fin de compte, crée un problème pour la communauté internationale en étant un agresseur ou un commanditaire du terrorisme.
6. Un exemple peut être trouvé dans une partie du modèle de sanctions de l'Ukraine, où, à la suite de la déclaration de son Parlement désignant la Russie comme un «État agresseur» en 2015, l’Ukraine a décrété une interdiction globale pour la durée de l'agression et une période transitoire des 5 ans après, de la propriété ou de la participation relative aux entités de radiodiffusion qui sont enregistrées dans des pays officiellement reconnus comme un État agresseur, ainsi que d’autres restrictions 
			(3) 
			Voir <a href='https://rm.coe.int/iris-extra-2022fr-la-legislation-relative-aux-sanctions-contre-les-med/1680aa03d2'>Richter
A., «La législation relative aux sanctions contre les médias audiovisuels
russes et biélorusses», IRIS Extra, Observatoire européen de l’audiovisuel,
Strasbourg, 2022</a>..
7. Plusieurs pays voisins et le Parlement européen ont qualifié la Russie d’«État soutenant le terrorisme», une autre désignation qui joue un rôle important dans cette approche 
			(4) 
			<a href='https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20221118IPR55707/le-parlement-europeen-declare-que-la-russie-est-un-etat-soutenant-le-terrorisme'>Communiqué
de presse du Parlement européen, «Le Parlement européen déclare
que la Russie est un État soutenant le terrorisme» (23 novembre
2022)</a>.. Les médias soumis au contrôle permanent direct ou indirect d'un tel État perdent leur droit de pouvoir prétendre au statut de médias indépendants et de présenter leur travail comme du journalisme de qualité. Les modalités d’adoption de telles déclarations ou la détermination de ces désignations et l’autorité compétente en la matière, ainsi que les garanties procédurales à mettre en place afin de prévenir toute application arbitraire et abusive, restent des questions controversées qui méritent un examen approfondi.
8. Je voudrais rappeler ici que toute restriction de ce type de liberté d’information en Europe doit être nécessaire dans une société démocratique, poursuivre un but légitime conforme à la Convention et respecter le droit international des droits humains. Les lois conçues pour lutter contre la propagande et la possibilité de sanctionner des médias ou des personnes sur cette base peuvent entraîner des conséquences désastreuses en l’absence de système judiciaire indépendant et de régulateurs des médias indépendants.
9. La censure de médias «problématiques» et celle de contenus émanant de certains groupes, peut conforter le public dans son impression que la régulation des médias est corrompue et orchestrée pour cacher la «vérité». Cela pourrait ensuite alimenter les récits complotistes et les discours extrémistes.
10. La commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias a déjà adopté de nombreux rapports sur les troubles de l’information et la propagande 
			(5) 
			Doc. 14526 «La protection de l’intégrité rédactionnelle», Doc. 14669 «La liberté des médias en tant que condition pour
des élections démocratiques», Doc.
14780 «Les médias de service public dans le contexte de la désinformation
et de la propagande», Doc. 15002
«L'éducation aux médias dans le nouvel environnement médiatique», Doc. 15308
«La liberté des médias, la confiance du public et le droit de savoir
des citoyens», Doc. 15437
«Le rôle des médias en temps de crise».. Mon rapport développera ces questions plus en détail en soulignant particulièrement comment traiter la propagande préjudiciable tout en préservant la liberté d'information. Il s’articule autour des axes suivants:
  • comprendre le problème et définir les notions;
  • analyser les tendances et les défis de la propagande en Europe;
  • proposer des réponses et des bonnes pratiques face à la propagande.
11. Mon analyse s'appuie sur le rapport de base du Dr Andrei Rikhter, Professeur et chercheur à l'Université Comenius de Bratislava, et sur les contributions d'autres experts que nous avons entendus 
			(6) 
			Je tiens à remercier
tout particulièrement Mme Katarina Klingova,
chercheuse principale chez Globsec, M. Craig Matasick, chef de l’équipe
pour l’intégrité de l’information à l’Organisation de coopération
et de développement économiques (OCDE), Mme Veronika
Bilkova, Vice-Présidente de la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise), Mme Eliška
Pírková, analyste politique senior à «Access Now», Mme Artemiza-Tatiana Chisca,
cheffe de la division de la liberté d'expression et du CDMSI du
Conseil de l'Europe, M. Ľuboš Kukliš, membre de l'équipe chargée
de l'application de la loi sur les services numériques (DSA) à la
Commission européenne, M. Jack Goodman, journaliste senior à la
BBC, et M. Christian Hannibal, responsable de la politique publique
chez Tik Tok Danemark..

2. Comprendre le problème et définir les notions

2.1. La liberté d’information et ses limites

12. Les normes fondamentales et universelles de la liberté d'expression, qui inclut la liberté d'information, sont énoncées à l'Article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) 
			(7) 
			<a href='https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/international-covenant-civil-and-political-rights'>Pacte
international relatif aux droits civils et politiques.</a>, qui dispose que: «nul ne peut être inquiété pour ses opinions; toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.»
13. Le droit à la liberté d’expression n’est pas absolu: l'exercice de ce droit «comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales» et peut être soumis à des restrictions (Article 19(3) et Article 20 PIDCP). Le Comité des droits de l’homme (CDH) de l’ONU a relevé que «des restrictions au droit sont permises dans deux domaines limitatifs seulement, qui peuvent avoir trait soit au respect des droits ou de la réputation d’autrui soit à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Toutefois, les restrictions qu’un État partie impose à l’exercice de la liberté d’expression ne peuvent pas compromettre le droit lui-même» 
			(8) 
			<a href='https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwigrvWXgvOEAxXY_bsIHRyQA8UQFnoECA4QAw&url=https%3A%2F%2Fdocstore.ohchr.org%2FSelfServices%2FFilesHandler.ashx%3Fenc%3D6QkG1d%252FPPRiCAqhKb7yhsrdB0H1l5979OVGGB%252BWPAXiks7ivEzdmLQdosDnCG8FaIrAe52sxDnAvPLlhVoGvFML3ewcPMK6fRYI%252BYkvgzp1xfm%252Fk4W2CfdYF9C9uBrul%23%3A~%3Atext%3DLibert%25C3%25A9%2520d%27expression%2520et%2520m%25C3%25A9dias%26text%3DL%27existence%2520d%27une%2520presse%2Cdroits%2520consacr%25C3%25A9s%2520par%2520le%2520Pacte.&usg=AOvVaw0XfzUfGEMp3OV72DKyDdtg&opi=89978449'>Observation
générale n° 34 sur l'article 19: Libertés d'opinion et d'expression</a> et <a href='https://www.ohchr.org/en/calls-for-input/report-disinformation'>Rapport
sur la désinformation.</a>. Ces restrictions doivent en particulier respecter les trois critères de la légalité, la légitimité et la nécessité/proportionnalité: les restrictions admissibles doivent être prévues par la loi, appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et avoir un rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire.
14. Ces trois critères sont également appliqués en Europe par la Cour européenne des droits de l'homme quand elle évalue si une atteinte à la liberté d'expression est justifiée à la lumière de l'Article 10.2 de la Convention. La Cour détermine si une restriction est «prévue par la loi», vise un but légitime et si elle est «nécessaire, dans une société démocratique» pour atteindre ce but. S'agissant du critère de la «nécessité», la Cour détermine si une restriction correspond à un «besoin social impérieux», si elle est proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier sont pertinents et suffisants (Sunday Times c. Royaume-Uni, § 62).
15. La Cour a souligné que le droit humain de communiquer des informations et des idées «de toute sorte» ne peut être limité aux déclarations jugées «correctes» par les autorités. Il s’étend ainsi aux informations et aux idées qui peuvent choquer, heurter ou inquiéter (Feldek c. République Slovaque, § 83). Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture, sans lesquels il n’est pas de «société démocratique» (Oberschlick c. Autriche, § 57). De plus, la Convention laisse peu de possibilités d’imposer des restrictions à la liberté d’expression dans le discours politique ou les débats sur des questions d’intérêt public car «le libre jeu du débat politique se trouve au cœur même de la notion de société démocratique» (Lingens c. Autriche, § 42).
16. L’article 10 de la Convention ne garantit toutefois pas une liberté d’expression sans aucune restriction même quand il s’agit de rendre compte dans la presse de questions sérieuses d’intérêt général. L’exercice de cette liberté comporte des «responsabilités et des devoirs» particuliers, y compris pour les médias, qui ne peuvent par exemple pas compromettre la sécurité nationale et l’intégrité territoriale d’un État (Han c. Turquie, § 32). Ces «devoirs et responsabilités» s’appliquent aux médias œuvrant professionnellement, qui diffusent des «informations exactes et fiables» dans le respect de l’éthique du journalisme (Goodwin c. Royaume-Uni, § 39).

2.2. La propagande par opposition à la désinformation

17. Au cours du siècle dernier, la propagande a été étudiée et définie par de nombreux spécialistes 
			(9) 
			<a href='https://www.jstor.org/stable/10.5749/j.ctttv7gv'>«International
Propaganda: Its Legal and Diplomatic Control».</a>. Une récente étude juridique visant à définir la propagande a conclu qu'elle implique un élément de manipulation ou de distorsion de la volonté rationnelle d’une personne et doit également avoir un pouvoir et un effet de persuasion 
			(10) 
			<a href='https://digitalcommons.law.buffalo.edu/buffalolawreview/vol68/iss4/3/'>«Lies,
Gaslighting and Propaganda</a>».. La plupart des définitions académiques modernes établissent que la propagande vise à contrôler le flux de l’information et à manipuler et/ou désinformer délibérément le public afin de modifier des attitudes et des comportements, de faire obtenir un avantage à la partie qui en est à l’origine par rapport à toutes les autres et/ou de diffuser une idéologie.
18. Certains auteurs définissent clairement la propagande en faisant référence à son objectif qui est contraire à l’éthique (c’est-à-dire qui n’a pas d’égard pour la vérité, l'authenticité, le respect ou l'égalité) 
			(11) 
			<a href='https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/2046147X19870844'>«Organizational
propaganda on the Internet: A systematic review».</a>. Les définitions que les dictionnaires donnent de la «propagande» soulignent aussi des aspects structurels, comme l'influence et la manipulation 
			(12) 
			Le Oxford English Dictionary la définit
comme «La diffusion systématique d’informations, particulièrement
d’une manière orientée ou trompeuse, afin de promouvoir une cause
ou un point de vue particuliers, souvent un programme politique»,
et l’Encyclopædia Britannica parle de «diffusion d’informations
— faits, arguments, rumeurs, demi-vérités ou mensonges — pour influencer
l’opinion publique.(…) Sélection délibérée de faits, d’arguments,
et de symboles, avec un recours relativement important à la manipulation
qui différencie la propagande d’une conversation informelle ou d’un échange
libre et simple d’idées»..
19. Le terme «propagande» n’est pas défini en droit international 
			(13) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2022)026-f'>Avis
n° 1090/2022.</a>. Il l’est cependant dans des textes intergouvernementaux faisant autorité. Dans un avis publié en 2015, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) du Conseil de l’Europe a déclaré que la «propagande» s’entend généralement d’une activité de prosélytisme qui cherche à rallier des personnes à certaines idées et opinions 
			(14) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2015)041-f'>Avis
n° 823/2015 de la Commission de Venise, Avis BIDDH n° FOE-UKR/280/2015.</a>. Dans leur déclaration conjointe adoptée en 2017, les rapporteurs spéciaux sur la liberté d’expression de plusieurs organisations intergouvernementales ont défini la propagande comme étant conçue et mise en œuvre «de manière à induire en erreur une population et à entraver le droit du public de savoir ainsi que le droit des individus de rechercher, recevoir et répandre des informations et des idées de toute espèce» 
			(15) 
			<a href='https://www.osce.org/fom/302796'>«Joint
declaration on freedom of expression and “fake news”, disinformation
and propaganda».</a>.
20. Les institutions européennes utilisent fréquemment le terme «propagande» dans leur communication publique, parfois de manière interchangeable avec le terme «désinformation», voire parfois ensemble 
			(16) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/campaign-free-to-speak-safe-to-learn/dealing-with-propaganda-misinformation-and-fake-news'>Faire
face à la propagande, à la désinformation et aux fausses nouvelles</a> – Democratic Schools for all et <a href='https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2019/608864/IPOL_STU(2019)608864_EN.pdf'>Disinformation
and propaganda – impact on the functioning of the rule of law in
the EU and its Member States.</a>. C'est confondre les moyens et les fins, car la désinformation n'est qu'un outil, certes important, de la propagande. La propagande peut utiliser la désinformation ou les demi-vérités, se fonder sur des théories conspirationnistes ou sur des faits véridiques.
21. Le terme «désinformation» désigne, selon les institutions de l’Union européenne, «les informations dont on peut vérifier qu’elles sont fausses ou trompeuses, qui sont à la fois créées, présentées et diffusées dans un but lucratif ou dans l’intention délibérée de tromper le public, et susceptibles de causer un préjudice public. Par préjudice public, on entend les menaces pesant sur les processus démocratiques ainsi que sur les biens publics, tels que la santé, l’environnement ou la sécurité des citoyens de l’UE» 
			(17) 
			<a href='https://digital-strategy.ec.europa.eu/fr/library/2022-strengthened-code-practice-disinformation'>2022
– Code de bonnes pratiques renforcé contre la désinformation.</a>.
22. La propagande s'appuie sur la manipulation, que je décrirais comme le recours délibéré à des manœuvres indirectes ou dissimulées pour contrôler, exploiter ou influencer de toute autre manière les émotions, les relations et les comportements humains. L’influence sociale n’est pourtant pas nécessairement néfaste. Par exemple, elle peut être utilisée pour persuader des personnes de changer des habitudes et des comportements manifestement préjudiciables. «La pression sociale est généralement perçue comme inoffensive quand elle respecte le droit des personnes influencées de l’accepter ou de la rejeter, et qu’elle n'est pas abusivement coercitive» mais, «suivant les contextes et les motivations, cette pression sociale peut constituer une manipulation dissimulée» 
			(18) 
			<a href='https://encyclopedia.pub/entry/31801'>«Psychological
Manipulation», in Encyclopedia MDP.</a>.
23. Bien que je ne souhaite pas attribuer au terme «propagande» une connotation négative en soi, ce rapport se concentrera sur la propagande préjudiciable que je définirais comme une activité de communication systématique à grande échelle qui vise à orienter une pensée et un comportement particuliers, par le biais de méthodes et d'outils de manipulation psychologique contraires à l'éthique, et avec une intention contraire à la dignité humaine et aux valeurs définies par les traités internationaux et nos constitutions démocratiques.

2.3. La propagande illégale selon le droit international

24. Certaines utilisations de la propagande ont été jugées inadmissibles en droit international. L’article 20 du PIDCP dispose que toute «propagande en faveur de la guerre est interdite par la loi» et que «tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence est interdit par la loi» 
			(19) 
			La Belgique,
le Danemark, la Finlande, l'Islande, Malte, les Pays-Bas, la Norvège,
la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni ont cependant émis des réserves
concernant cette obligation en matière de production et de diffusion
de propagande en faveur de la guerre, parfois en raison du fait
qu’une telle interdiction pourrait limiter la liberté d’expression, voir
https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-4&chapter=4&clang=_en..
25. L’Assemblée générale des Nations Unies définit la propagande en faveur de la guerre comme celle qui «indépendamment du pays qui la mène, est destinée ou est de nature à provoquer ou à encourager toute menace à la paix, toute rupture de la paix ou tout acte d’agression» 
			(20) 
			<a href='https://undocs.org/fr/A/RES/110(II)'>A/RES/2/110 – «Mesures
à prendre contre la propagande en faveur d'une nouvelle guerre et
contre ceux qui y incitent».</a>. Les critères d’illégalité comprennent donc les notions d’intention ou de menace de déclencher des hostilités.
26. La propagande en faveur d’une guerre d’agression (ou «propagande contre la paix») comprend les «mesures qui tendent à isoler les peuples de tout contact avec l’extérieur en empêchant la presse, la radio et les autres moyens d’information de fournir des renseignements sur les évènements internationaux et en s’opposant à ce que les peuples se connaissent et se comprennent» 
			(21) 
			<a href='https://digitallibrary.un.org/record/209541?v=pdf'>Résolution
381 de l’Assemblée générale des Nations unies “Condamnation de la
propagande contre la paix”</a>..
27. La seule exception est «l’appel au droit souverain à la légitime défense ou au droit des peuples à l’autodétermination et à l’indépendance conformément à la Charte des Nations Unies» 
			(22) 
			CCPR General Comment
No. 11: «Article 20 - Prohibition of Propaganda for War and Inciting
National, Racial or Religious Hatred».. Dans le contexte actuel en Europe, il est important d’être attentif aux initiatives visant à inclure dans le périmètre de cette exception la propagande et la «guerre idéologique», la «guerre de l’information» ou la «guerre hybride» 
			(23) 
			<a href='https://www.osce.org/fom/168351'>«The Relationship
between Freedom of Expression and the Ban on Propaganda for War».</a>.
28. Le Tribunal (grande chambre) de l’Union européenne (CJUE) a indiqué en 2022 
			(24) 
			<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A62022TJ0125'>EUR-Lex
– 62022TJ0125.</a> que la propagande en faveur de la guerre comprend: (1) la propagande «en faveur de l’agression militaire de l’Ukraine adressée à la société civile dans l’Union [européenne] et dans les pays voisins», (2) la propagande de guerre au sens large, décrite comme la propagande qui «intervient dans le cadre d’une guerre en cours», provoquée par un État agresseur, «en violation de l’interdiction d’usage de la force», et (3) «non seulement l’incitation à une guerre future, mais aussi les propos tenus de manière continue, répétée et concertée en faveur d’une guerre en cours», en violation du droit international, «en particulier si ces propos émanent d’un média contrôlé, directement ou indirectement, par l’État agresseur».
29. Le texte de la Convention ne contient aucune mention de la «propagande en faveur de la guerre» et, à ce jour, la Cour européenne l'a évoquée incidemment pour qualifier les atrocités commises par l'Empire Ottoman contre le peuple arménien en 1915 de «génocide» (Perinçek c. Suisse).
30. Le droit international interdit également la propagande menant à l'incitation aux crimes de haine. L’article 20(2) du PIDCP impose aux États parties d’interdire dans leur législation tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence. Tout comme la propagande, l’incitation s’adresse à un groupe de personnes indéfini. L’«incitation» à commettre des crimes de haine désigne une activité qui nécessite la création au préalable d’un certain climat rendant possible la commission de tels crimes. Le Tribunal militaire international à Nuremberg a déclaré que la propagande de haine conduit à l'instauration d’un tel climat 
			(25) 
			<a href='https://www.researchgate.net/publication/231888135_The_Relationship_between_Hate_Propaganda_and_Incitement_to_Genocide_A_New_Trend_in_International_Law_Towards_Criminalization_of_Hate_Propaganda'>«The
Relationship between Hate Propaganda and Incitement to Genocide:
A New Trend in International Law Towards Criminalization of Hate
Propaganda?» (researchgate.net).</a>.
31. Certains instruments des Nations Unies traitent de l’interdiction de la discrimination raciale, ce qui inclut la prévention de la propagande en faveur d’opinions et d’idées racistes. Ainsi, l’article 4 de la Convention internationale de 1965 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale 
			(26) 
			<a href='https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-2&chapter=4&clang=_fr'>Convention
internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination
raciale</a>., déclare que «toute propagande» fondée sur des idées ou théories invoquant la supériorité d'une race ou d'un groupe de personnes d'une certaine couleur ou d'une certaine origine ethnique, ou prétendant justifier ou encourager toute forme de haine et de discrimination raciales, constitue une infraction internationale 
			(27) 
			Plusieurs États
membres du Conseil de l'Europe ont émis des réserves en raison de
menaces potentielles liées à l’Article 4 de la Convention pour la
liberté d'expression et d’information, dont l’Autriche, la Belgique,
la France, l’Irlande, l’Italie, Malte, Monaco, la Suisse et le Royaume-Uni..
32. La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (article 3(c)) définit quant à elle l'infraction distincte d’«incitation directe et publique à commettre le génocide» 
			(28) 
			<a href='https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-prevention-and-punishment-crime-genocide'>Convention
sur le Génocide.</a>. Le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité, relatif à l'incrimination d'actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques (STE No. 185) appelle à ériger en infraction pénale la diffusion en ligne de «matériel raciste et xénophobe», c’est-à-dire de tout matériel écrit, toute image ou toute autre représentation d’idées ou de théories qui préconise ou encourage la haine, la discrimination ou la violence, contre une personne ou un groupe de personnes, en raison de la race, de la couleur, de l’ascendance ou de l’origine nationale ou ethnique, ou de la religion, dans la mesure où cette dernière sert de prétexte à l’un ou l’autre de ces éléments, ou qui incite à de tels actes (Article 2(1)); ainsi que la diffusion ou les autres formes de mise à disposition du public par le biais d’un système informatique, de matériel qui nie, minimise de manière grossière, approuve ou justifie des actes Convention de génocide ou de crimes contre l’humanité (Article 6(1)) 
			(29) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/cybercrime/first-additional-protocol'>Protocole
additionnel à la Convention sur la cybercriminalité, relatif à l'incrimination
d'actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes
informatiques.</a>.
33. D'après l’article 17 de la Convention européenne des droits de l’homme, tout agissement visant la destruction des droits ou libertés reconnus dans la Convention ou leur limitation excessive sort du cadre des droits protégés par ladite Convention, y compris la liberté d'expression. Cette disposition a été invoquée à de rares occasions par la Cour, comme dans des affaires «extrêmes» impliquant des discours niant l'Holocauste ou de la propagande raciste. Toutefois, les restrictions imposées au droit à la liberté d’expression en raison d’une propagande illégale ont fait l’objet de plusieurs arrêts de la Cour, notamment en ce qui concerne la propagande d'organisations terroristes.
34. La Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 196) appelle en outre à ériger en infraction pénale la «provocation publique à commettre une infraction terroriste», c’est-à-dire «la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition du public d’un message, avec l’intention d’inciter à la commission d’une infraction terroriste, lorsqu’un tel comportement, qu’il préconise directement ou non la commission d’infractions terroristes, crée un danger qu’une ou plusieurs de ces infractions puissent être commises» 
			(30) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/council-of-europe-convention-on-the-prevention-of-terrorism'>Convention
du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme – Impact
de la Convention européenne des droits de l'homme.</a>. Le droit de l’Union européenne interdit la diffusion, ou toute autre forme de mise à la disposition du public par un quelconque moyen, de messages visant à inciter à commettre une infraction terroriste, notamment l'apologie d’actes terroristes et l’incitation à commettre des infractions terroristes 
			(31) 
			<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32017L0541'>Directive
(UE) 2017/541 et Règlement (UE) 2021/784.</a>.
35. Il est important de distinguer la simple propagande et les contenus destinés à inciter à commettre des actions terroristes. Pour qu'il y ait incitation au terrorisme, il faudrait démontrer une intention et un lien de causalité directe entre la supposée propagande et le projet ou l’exécution effectifs d’un attentat terroriste.
36. En 2022, certaines institutions européennes ont exprimé leur avis sur la propagande étrangère qui constitue une menace pour la démocratie et la sécurité, en particulier pour la sécurité de l’information. La Commission de Venise a ainsi estimé qu’il était légitime que la République de Moldova interdise «la diffusion de contenus qui mettent en danger la démocratie et constituent une menace claire et directe pour la sécurité nationale» 
			(32) 
			<a href='https://venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdf=CDL-AD(2022)026-e&lang=fr'>Avis
n° 1090/2022</a>.. Il s’agissait notamment d'émissions diffusant de la désinformation et des idées extrémistes ou faisant l’apologie de crimes internationaux 
			(33) 
			Ibid.. Elle a conclu que tous les termes utilisés dans les dispositions de la loi moldave examinée («haine», «désinformation», «propagande d’agression militaire», «contenu extrémiste») avaient en commun que les émissions incluant ces contenus, quel que soit leur pays de production, «sont contraires aux valeurs fondamentales de la CEDH et nuisent à la démocratie» 
			(34) 
			Ibid..
37. Le Conseil de l’Union européenne a adopté une décision et un règlement en réaction à la diffusion, par certains médias d'Europe, de récits de propagande manipulateurs liés à la guerre en Ukraine, à l’initiative de la Russie 
			(35) 
			<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32022R0350'>Règlement
2022/350.</a>. Ces mesures ont été prises sur la base du régime de sanctions prévu par les traités de l'Union européenne 
			(36) 
			<a href='https://commission.europa.eu/funding-tenders/find-funding/eu-funding-programmes/common-foreign-and-security-policy_en'>https://commission.europa.eu/funding-tenders/find-funding/eu-funding-programmes/common-foreign-and-security-policy_en</a>.. Les considérants de la décision et du règlement faisaient valoir que la Fédération de Russie «a lancé une campagne internationale systématique de manipulation des médias et de déformation des faits afin de renforcer sa stratégie de déstabilisation des pays voisins et de l’Union et de ses États membres», et qu’il est particulièrement important de noter que «[c]es actions de propagande ont utilisé comme canaux un certain nombre de médias placés sous le contrôle permanent, direct ou indirect, des dirigeants de la Fédération de Russie». Les mesures de restriction trouvent leur légitimité dans le fait que «[d]e telles actions menacent directement et gravement l’ordre et la sécurité publics de l’Union» et que «[c]es médias jouent un rôle essentiel et déterminant pour faire avancer et soutenir l’agression contre l’Ukraine et pour déstabiliser les pays voisins».
38. Ces sanctions de l’Union européenne qui ont fait l'objet de critiques 
			(37) 
			Voir <a href='https://www.ifj.org/fr/salle-de-presse/nouvelles/detail/category/europe/article/ukraine-ifjefj-condemn-ban-on-russian-media-organisations-1'>«Ukraine:
IFJ/EFJ condemn ban on Russian media organisations»</a>., ont été validées par le Tribunal de l’Union européenne, qui a conclu qu’«il ne peut être affirmé que le traitement de l’information en question, qui comporte des activités de propagande […], fût de nature à appeler la protection renforcée que l’article 11 de la Charte [des droits fondamentaux de l’UE (Liberté d’expression et d’information)] confère à la liberté de la presse» 
			(38) 
			<a href='https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?mode=DOC&pageIndex=0&docid=263501&part=1&doclang=FR&text=&dir=&occ=first&cid=1642335'>Affaire
T‑125/22, RT France c. Conseil de l’Union européenne.</a>. Bien que dans les affaires nationales et européennes, les sanctions prononcées pour des cas de propagande «anti-démocratique» aient été motivées par l’agression russe en Europe et qu’elles soient considérées comme des mesures spéciales temporaires, d’autres motifs d’interdiction en vertu du droit international peuvent s’appliquer à ce type de propagande.
39. En résumé, plusieurs formes d'expression publique peuvent être jugées illégales en Europe. Elles nécessitent une action judiciaire de la part des États parties aux conventions internationales pertinentes, ainsi qu’un examen sérieux de la part des États dans d’autres contextes, ces derniers devant prendre des mesures adéquates et conformes aux normes du droit international des droits humains. Ce sont:
a. la propagande en faveur de la guerre;
b. l’incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence fondée sur l’identité nationale, raciale ou religieuse;
c. la propagande inspirée d’idées ou de théories fondées sur la supériorité d’une race ou d’un groupe de personnes d’une certaine couleur ou origine ethnique;
d. l’incitation directe et publique à commettre un génocide ou d'autres crimes internationaux;
e. la diffusion de contenus racistes et xénophobes;
f. la provocation publique à commettre une infraction terroriste;
g. la propagande étrangère qui met clairement et directement en péril la démocratie et qui représente une menace pour la stabilité et la sécurité nationale.

2.4. La propagande préjudiciable que le droit international n'interdit pas

40. Il convient de distinguer, dans la législation et les politiques, la propagande interdite par la loi internationale, et d'autres formes de propagande préjudiciable.
41. La propagande préjudiciable a recours à des pratiques agressives. Il peut s’agir de publicité politique qui suscite des dissensions, de publicité politique très ciblée visant à exploiter les vulnérabilités, les peurs et les croyances des personnes, de fuites d’informations privées, de violence verbale diffusée par des «trolls» recrutés à cette fin ou des systèmes d’intelligence artificielle (IA), de fomentation de divisions sociales et d'instauration d’un climat de méfiance à l’égard des institutions publiques et de la société.
42. Cette propagande permet de manipuler les gens et de déformer l’opinion publique. La liberté d’information, et en particulier celle des personnes d’obtenir et de diffuser sans entrave des informations sur l’actualité, ainsi que de participer au dialogue public et de se prononcer sur la politique et les décisions relatives aux questions d’intérêt public, peut ainsi être la cible de la propagande.
43. En outre, lorsqu’elle est omniprésente, massive et systématique, la propagande préjudiciable porte atteinte à la liberté des médias car elle corrompt et détruit la substance même de la profession de journaliste et entame la confiance du public dans des médias.
44. L’une des finalités de la manipulation – par l’endoctrinement, le «lavage de cerveau» ou l’édition de contenu – peut être de porter atteinte à la liberté d’opinion des personnes, souvent à leur insu et sans leur consentement. La propagande peut causer des dommages graves et durables à la santé mentale du public, parce qu’elle le soumet à des traumatismes, de la peur ou du chagrin ou engendre une grave paranoïa suscitée par des théories complotistes.
45. Certains cas de propagande préjudiciable peuvent être déclarés illégaux par les législations nationales et donc faire l'objet de restrictions, car le respect du droit d'autrui et la protection de la santé publique peuvent légitimement justifier des restrictions de la liberté d'information. Cependant, ces restrictions doivent toutefois toujours respecter les «trois critères».
46. Plusieurs États d’Europe et institutions européennes ont traité de la propagande de certaines idéologies, interdisant par exemple la promotion de l’idéologie et des symboles nazis. Certains pays d’Europe centrale et orientale se sont aussi dotés de lois interdisant la propagande communiste. Plusieurs autres ont interdit le recours à une propagande totalitaire ou anticonstitutionnelle sans préciser si la réglementation porte sur une idéologie particulière.
47. En 2015, la Commission de Venise et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont publié un avis sur la pratique consistant à interdire la diffusion d’idéologies et de symboles des régimes communiste et nazi 
			(39) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2015)041-f'>CDL-AD(2015)041-f.</a>. Cet avis insistait sur la question de la nécessité d’une interdiction visant la propagande des «idéologies totalitaires», soulignant les lacunes dans l’application d’autres éléments relevant des «trois critères», et constatant ainsi que les lois examinées n’étaient pas conformes aux normes européennes. En 2022, cependant, la Commission de Venise est revenue sur ses conclusions dans le contexte spécifique de l’agression russe contre l’Ukraine en déclarant que les autorités nationales (moldaves) avaient le droit d’affirmer «que l’affichage des symboles utilisés par les forces armées russes dans la guerre actuelle produit un danger réel et immédiat de désordre et une menace pour la sécurité nationale et les droits d’autrui», et qu’il existait un besoin social urgent d’imposer une interdiction de cette utilisation 
			(40) 
			<a href='https://venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2022)026-f'>CDL-AD(2022)026-f.</a>.
48. La propagande des idéologies totalitaires a également été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. Dans l’affaire Vajnai c. Hongrie, la Cour a souligné que «la possibilité que soit diffusée» une «idéologie totalitaire offensante» qui serait véhiculée par un symbole, «aussi abominable soit-elle, ne peut motiver à elle seule la restriction en question au moyen d’une sanction pénale». Pour la Cour, un régime juridique qui restreint les droits fondamentaux selon ce que lui dictent les sentiments populaires – qu’ils soient raisonnés ou non – ne saurait passer pour répondre aux besoins sociaux impérieux reconnus dans une société démocratique, qui doit demeurer raisonnable dans son jugement. Autrement, n’importe quelle perturbation supposée pourrait être invoquée pour faire échec à la liberté d’expression et d’opinion. La Cour a également jugé important que le propagandiste en question ne nourrissait «aucune ambition totalitaire».

3. Tendances et défis de la propagande en Europe

49. La propagande russe est à l'origine de ce rapport et est au centre des préoccupations des États membres du Conseil de l'Europe, non seulement dans les pays voisins de la Russie mais aussi en Europe occidentale.
50. En raison de l'attaque russe contre l'Ukraine, les États européens, en particulier ceux d'Europe centrale et orientale, ont désormais des raisons légitimes de s'inquiéter pour leur sécurité nationale. L’agression de l’Ukraine par la Fédération de Russie et le déplacement d’un grand nombre de réfugiés de guerre ont également exacerbé les tensions politiques, économiques et sociales internes. Dans ces conditions exceptionnelles, certaines formes de propagande qui seraient jugées acceptables en temps de paix représentent aujourd’hui un danger immédiat de désordre et une menace pour la sécurité nationale et les droits d’autrui, y compris ceux des réfugiés de guerre ukrainiens, ce qui crée un besoin social urgent d’imposer l’interdiction de leur utilisation. Dans l'affaire Kirkorov c. Lituanie, la Cour européenne des droits de l'homme a reconnu que l'entrée en Lituanie d'un célèbre chanteur russe constituait une menace pour la sécurité nationale étant donné que «divers moyens de propagande, y compris [...] des chanteurs de musique populaire, tels que le requérant, [...] avaient été utilisés par la Fédération de Russie contre les États baltes». De même, dans l'affaire Zarubin et autres c. Lituanie, la Cour européenne des droits de l'homme a conclu que l'expulsion de journalistes russes pour leur comportement agressif et provocateur susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale était conforme à la liberté d'expression.
51. Comme indiqué ci-dessus, le Conseil de l'Union européenne a interdit les médias russes dans le cadre des sanctions de l'Union européenne contre la Fédération de Russie. Certains États membres de l'Union européenne (Bulgarie, Allemagne, Estonie, Lituanie, Lettonie et Pologne) n'ont toutefois pas attendu l'Union européenne pour agir à l'encontre des médias russes. Si certaines mesures ont été prises sur la base de la directive de l’Union européenne sur les services de médias audiovisuels (SMAV) 
			(41) 
			<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX%3A02010L0013-20181218'>Directive
2010/13/UE (version consolidée)</a>., dans certains cas, l'autorité nationale de régulation concernée ou l'organisme public compétent a interdit des chaînes sur la base de sanctions antérieures de l'Union européenne à l'encontre de personnes physiques ou morales russes 
			(42) 
			Voir <a href='https://rm.coe.int/note-rt-sputnik/1680a5dd5d'>Cabrera
Blázquez F.J., op. cit</a>..
52. Certains pays non-membres de l'Union européenne ont également pris des mesures à l'encontre des chaînes russes. Un instrument clé à cet égard est la Convention européenne sur la télévision transfrontière (CETT) 
			(43) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list?module=treaty-detail&treatynum=132'>STE
No. 132</a> et <a href='https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list?module=treaty-detail&treatynum=171'>STE
No. 171 (protocole portant amendement)</a>., qui crée un cadre juridique pour la libre circulation des programmes de télévision en Europe. Comme la Russie n'a jamais ratifié la CETT et que le Bélarus n'y est pas partie, certains pays ont introduit des mesures restrictives pour les radiodiffuseurs des pays qui n'ont pas ratifié la CETT. En fait, la CETT pourrait être un outil utile pour coordonner les mesures contre la propagande dans toute l'Europe. Malheureusement, le Conseil de l'Europe a décidé d'interrompre les travaux sur la télévision transfrontière en 2011 et, par conséquent, il n'existe plus d'organisme chargé de superviser l'application de la CETT 
			(44) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/freedom-expression/standing-committee-on-transfrontier-television-t-tt-'>www.coe.int/fr/web/freedom-expression/standing-committee-on-transfrontier-television-t-tt-</a>.. De plus, la CETT n'inclut pas les services de vidéo à la demande et les plateformes de partage de vidéos dans son champ d'application. Par conséquent, une révision de la CETT, ou une nouvelle convention, pourrait avoir un impact bénéfique sur la lutte contre la propagande sur les écrans européens. L'Assemblée l'a déjà recommandé en 2014 
			(45) 
			Recommandation 2036 (2014)..
53. Malgré toutes ces sanctions, la propagande russe continue d'opérer en Europe. En Italie, divers rapports indiquent que la propagande russe a réussi à s'infiltrer dans les médias grand public 
			(46) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2023/aug/31/a-success-for-kremlin-propaganda-how-pro-putin-views-permeate-italian-media'>«A
success for Kremlin propaganda: how pro-Putin views permeate Italian
media».</a>, notamment parce que les producteurs de télévision voulaient augmenter la part d'audience de certaines émissions grâce à des débats animés. En France, un rapport de renseignement publié en février 2024 par le Cabinet du Premier Ministre a fait état de «réseaux structurés et coordonnés de propagande» dans le pays 
			(47) 
			<a href='https://www.sgdsn.gouv.fr/publications/portal-kombat-un-reseau-structure-et-coordonne-de-propagande-prorusse'>«Portal
Kombat: un réseau structuré et coordonné de propagande prorusse».</a>, visant à couvrir le conflit entre la Russie et l'Ukraine en présentant sous un jour positif «l'opération militaire spéciale» et en dénigrant l'Ukraine et ses dirigeants.
54. Dans une résolution adoptée le 8 février 2024, le Parlement européen s’inquiète des récits dont la Russie alimente les partis et acteurs politiques d’extrême droite d’Allemagne et de France dans le but de «miner le soutien du public à l’Ukraine», et de la quantité massive de désinformation et de contenus illicites diffusés sur le réseau social X, anciennement Twitter 
			(48) 
			<a href='https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2024-0079_FR.html'>«Russiagate:
allégations d'ingérence russe dans les processus démocratiques de
l'Union européenne».</a>.
55. La désinformation et la propagande sont souvent partagées en dehors des grands médias, et les influenceurs jouent un rôle vraiment important dans la façon dont les gens vont obtenir des informations sur les conflits et la politique. Les blogueurs russes ont vraiment pris de l'ampleur, ils ont un accès extraordinaire à la ligne de front de la guerre et jouent un rôle clé dans la façon dont les gens obtiennent et interprètent les informations à ce sujet.
56. Les États ont de plus en plus recours à la fermeture d'internet en période de conflit 
			(49) 
			<a href='https://www.accessnow.org/issue/internet-shutdowns/'>«Ending
Internet shutdowns</a>».. Cela peut être en partie la conséquence de l'utilisation croissante des plateformes en ligne par les parties à un conflit armé, y compris les États et les acteurs non étatiques, pour diffuser de la propagande de guerre ou de la propagande parrainée par l'État. Cette tendance s'est manifestée lors de l'invasion illégale de l'Ukraine. En réponse à cette propagande, les plateformes ajustent constamment leurs politiques. Ces acteurs privés doivent interpréter et appliquer des normes juridiques très complexes. Cela peut entraîner des lacunes en termes de protection des droits fondamentaux, car les plateformes ne sont pas soumises à la transparence dans tous les pays. De plus, dans les pays où il n'y a pas de contrôle juridique, les plateformes autorisent des contenus illégaux tels que la propagande en faveur de la guerre ou l'incitation au génocide, contrairement aux pays où le contrôle et la pression publique sont beaucoup plus forts.
57. Le deuxième «Rapport sur la manipulation de l’information et l’ingérence menées depuis l’étranger» 
			(50) 
			<a href='https://www.eeas.europa.eu/eeas/2nd-eeas-report-foreign-information-manipulation-and-interference-threats_en'>2nd
EEAS Report on «Foreign Information Manipulation and Interference
Threats»</a>. du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) a relevé les cinq principales cibles de la propagande en Europe: la consommation d'informations, l'aptitude des citoyens à voter, les candidats et les partis politiques, la confiance dans la démocratie et les infrastructures électorales. Ainsi, quelques mois avant les élections de 2023 en Pologne, les médias bélarusses proches de l'État ont créé sur les réseaux sociaux des chaines en polonais ciblant le public de Pologne avec du contenu publié quotidiennement. Ces chaînes ont diffusé des informations manipulées russes et bélarusses en langue polonaise pendant toute la période préélectorale.
58. Un autre rapport, publié par l’Observatoire européen des médias numériques (EDMO) 
			(51) 
			<a href='https://edmo.eu/publications/disinformation-narratives-during-the-2023-elections-in-europe/'>«Disinformation
narratives during the 2023 elections in Europe».</a> en novembre 2023, s'est appuyé sur 900 articles de vérification des faits publiés dans le contexte de 11 élections organisées dans 10 pays d'Europe pour démontrer que virtuellement tous les thèmes potentiels sont visés par la désinformation et les récits de propagande: la guerre en Ukraine, le changement climatique, les institutions de l'Union européenne, les questions de genre et la communauté LGBTIQ+, l'immigration, les réfugiés, la religion, la santé et les politiques relatives à la Covid-19.
59. Les personnes LGBTIQ+ sont spécifiquement ciblées par la propagande. Dans un rapport publié en octobre 2023 
			(52) 
			<a href='https://www.eeas.europa.eu/eeas/fimi-targeting-lgbtiq-people_en'>«FIMI
targeting LGBTIQ+ people: Well-informed analysis to protect human
rights and diversity»</a>., le SEAE a identifié 31 cas de manipulation de l'information et d'ingérence étrangère (FIMI) à l'encontre des personnes LGBTIQ+ de juin 2022 à juillet 2023. «L'ampleur des affaires de FIMI ciblant les LGBTIQ+ dépasse le cadre de cette communauté. (…) Les acteurs de ces FIMI ont cherché à provoquer l’indignation du public non seulement contre des personnes, communautés ou organisations LGBTIQ+ identifiées, mais aussi contre des mesures gouvernementales, la notion de démocratie en tant que telle et des événements locaux ou géopolitiques.» En arrière-plan du thème commun aux nombreux cas de FIMI identifiés, le dénigrement des personnes LGBTIQ+, l'idée essentielle de plusieurs d'entre eux est «le déclin de l'Occident».
60. La «propagande médicale» est une préoccupation majeure en Europe depuis la pandémie de Covid-19. Dans certains États membres, les médecins et les chercheurs appellent à qualifier ce type de désinformation de propagande manipulatrice, constitutive d'un «trouble à l'ordre public» et d'une «menace pour la santé publique» 
			(53) 
			<a href='https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sante/reseaux-sociaux-medias-mettons-fin-a-la-propagation-impunie-de-fausses-informations-medicales-LDQ7GCFEBBEQNHDY44TC6P3MZA/'>«Réseaux
sociaux, médias: ‘Mettons fin à la propagation impunie de fausses
informations médicales!’» </a>. Cela pourrait s'appuyer sur des exemples législatifs antérieurs, comme le cas de la France, où depuis 2017 la diffusion de fausses informations concernant l'avortement sur les plateformes numériques est considérée comme une infraction spécifique 
			(54) 
			<a href='https://www.francetvinfo.fr/societe/ivg/le-delit-d-entrave-a-l-ivg-sur-internet-definitivement-adopte-par-le-parlement_2062525.html'>«Le
délit d'entrave à l'IVG sur internet définitivement adopté par le
Parlement</a>» (in French)..
61. Le changement climatique fait aussi l'objet d'une propagande, parfois dans une intention manifeste de manipulation sur les réseaux sociaux. D'après une étude réalisée en 2023 
			(55) 
			«<a href='https://iscpif.fr/climatoscope/?p=122'>The new fronts
of denialism and climate skepticism – Climatoscope».</a> «la part des comptes Twitter présentant des comportements malhonnêtes [concernant le changement climatique] a nettement augmenté depuis 2019 dans le monde, laissant supposer d’éventuelles opérations d'astroturfing». La plupart de ces comptes partagent également de la propagande favorable au Kremlin concernant la guerre en Ukraine.
62. Il existe une corrélation entre l'ouverture à la propagande et la confiance dans le gouvernement. Selon des études menées en Europe centrale et orientale 
			(56) 
			<a href='https://www.globsec.org/what-we-do/publications/globsec-trends-2023-united-we-still-stand'>«GLOBSEC
Trends 2023: United we (still) stand» | GLOBSEC – A Global Think
Tank: Ideas Shaping the World.</a>, dans les pays où la population a peu confiance dans son gouvernement, comme la Pologne, la Bulgarie et la République Slovaque, l'idée selon laquelle «la démocratie n'existe pas parce que des élites dirigent le monde dans l'ombre» a de meilleures chances de se diffuser dans la population, et plus de 50 % des répondants de République Slovaque et de Bulgarie sont d'accord avec cette vision.

4. Conclusion: approches constructives pour lutter contre la propagande en Europe

63. La lutte contre la propagande appelle des réponses internationales, pluridimensionnelles et multipartites dans le respect de la liberté d’information, ainsi que l’engagement proactif des organisations intergouvernementales, des États, des entreprises commerciales, de la société civile, y compris les médias et tous les autres acteurs concernés.
64. La volonté de trouver une solution internationale aux défis de la propagande se renforce aujourd’hui avec le rôle transfrontalier que jouent les médias en ligne et les médias de radiodiffusion, ainsi que les réseaux sociaux et les plateformes numériques dans l’information du public. Les menaces liées à la propagande ont conduit à une intervention élargie des institutions et des pouvoirs publics européens sur les aspects relatifs à la liberté d’information, avec l’octroi de licences, la réglementation de la radiodiffusion transfrontière et de la publicité politique, la corégulation de la surveillance des réseaux sociaux, et des sanctions directes pour des médias étrangers, par exemple. Aujourd’hui, ces outils sont mis à l’épreuve des engagements pris à l’échelle mondiale sur la liberté d’expression, la liberté d’information et la liberté des médias 
			(57) 
			<a href='https://www.academia.edu/113427816/INTERNATIONAL_LEGAL_RESPONSES_TO_PROPAGANDA_FOR_WAR_IN_MODERN_WARFARE'>«International
legal responses to “propaganda for war” in modern warfare».</a>. Les réponses à la propagande devraient varier en fonction du type de propagande.

4.1. Lutter contre la propagande illégale

65. L’article 17 de la Convention européenne des droits de l’homme est un instrument solide pour combattre la propagande, mais il convient de l’utiliser avec précaution et à titre exceptionnel. Cette norme empêche qu’une activité visant la destruction de tout droit humain reconnu par la Convention (notamment le droit à la vie et à la non-discrimination) puisse s’appuyer sur la protection qu’offre la Convention. En particulier, tout «propos dirigé contre les valeurs qui sous-tendent la Convention» est soustrait à la protection de l’article 10 par l’article 17 (Lehideux et Isorni c. France). À titre d’exemple, dans une affaire concernant la contestation des crimes contre l’humanité commis par les nazis envers la communauté juive, la Cour a jugé incompatible avec les valeurs fondamentales de justice et de paix le grief soulevé par le requérant sur le terrain de l’article 10, et a déduit de ce constat que le requérant tentait de détourner l’article 10 de sa vocation en utilisant son droit à la liberté d’expression à des fins contraires à la lettre et à l’esprit de la Convention (Garaudy c. France). Dans le contexte de la propagande d'organisations terroristes, l’article 17 a été appliqué dans l'affaire Roj TV A/S c. Danemark, où le retrait des licences de l'organisme de radiodiffusion qui faisait la promotion des opérations terroristes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a été jugé compatible avec la Convention.
66. Toutefois, dans l'affaire Perinçek c. Suisse, qui concernait la négation du génocide arménien, la Cour a estimé qu'«il n'était pas nécessaire, dans une société démocratique, de condamner pénalement le requérant afin de protéger les droits de la communauté arménienne qui étaient en jeu en l’espèce». En vertu de l'article 17 de la Convention, le point décisif était de savoir si les propos du requérant avaient pour but d’attiser la haine ou la violence et si, en les tenant, il avait cherché à invoquer la Convention de manière à se livrer à une activité ou à commettre des actes visant à la destruction des droits et libertés y consacrés. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, cette question «ne se prêtait pas à une solution immédiate» et se recoupait avec celle de savoir si l’ingérence dans l’exercice par le requérant du droit à la liberté d’expression était «nécessaire dans une société démocratique».
67. La question de savoir si la propagande incite la population «à la haine et à l’hostilité» est fondamentale à cet égard. Dans l’affaire Zana c. Turquie, la Cour a jugé que la sanction pénale imposée par les juridictions nationales répondait à un besoin social impérieux. Dans son arrêt, elle a notamment indiqué que, «alors que des troubles graves faisaient rage dans le sud-est de la Turquie», une déclaration d’une personnalité politique bien connue dans la région sur la question kurde, lors d'une interview avec des journalistes dans laquelle il a indiqué son soutien au mouvement de libération nationale du PKK, et qui a coïncidé avec les meurtres de civils par des militants du PKK, «pouvait avoir […] un impact de nature à justifier l'adoption par les autorités nationales d'une mesure visant à préserver la sécurité nationale et la sûreté publique».
68. Cependant, les gouvernements risquent d’être tentés de restreindre la liberté d’expression pour des motifs non valables, comme des intérêts politiques, une hostilité envers les critiques ou l’intention de masquer la corruption. La lutte contre la propagande ne doit pas servir d’excuse aux gouvernements pour restreindre ou interdire les messages hostiles, réels ou potentiels, venant de l’étranger ou de sources locales. En conséquence, il convient d’examiner avec une attention particulière la légalité, la légitimité et la proportionnalité de ces restrictions 
			(58) 
			À
cet égard, voir les avis de la Commission de Venise ci-dessous: 
			(58) 
			-
2013 n° 707 - <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2013)022-f'>CDL(2013)0128</a> - Avis sur la question de l’interdiction d’une soi-disant
«propagande de l’homosexualité» à la lumière de la législation récente
dans certains États membres du Conseil de l’Europe: l’avis fournit une
analyse d’une pratique dangereuse observée dans plusieurs États
qui consiste à interdire certaines formes de discours public sous
prétexte que ces formes, en raison de leur contenu, sont néfastes
pour la société. La Commission a estimé que les termes «informations
susceptibles de nuire au développement moral et spirituel ou à la
santé de mineurs», «dicter un mode de vie homosexuel aux mineurs»
et «propagande agressive d’orientation sexuelle non traditionnelle» n’étaient
pas formulés avec une précision suffisante pour satisfaire à l'exigence
d'être «prévus par la loi», contenue à l’article 2 de la Convention
européenne des droits de l’homme, et ne sauraient être considérés
comme une restriction au droit à la liberté d’expression. 
			(58) 
			-
2016 n° 864 - <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2016)029-f'>CDL-AD(2016)029</a> - Avis sur le projet de révision de la Constitution
de l’Azerbaïdjan, soumis au référendum du 26 septembre 2016: l’avis
examine, entre autres, une disposition qui interdit certains types
de propagande. Il indique que «tout propos susceptible de provoquer
de l’hostilité ou de l’animosité [n’équivaut pas] à du discours
de haine». 
			(58) 
			- 2017 n° 872 - <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2017)007-f'>CDL-AD(2017)007</a> - Avis sur les mesures adoptées en vertu des décrets-lois
promulgués récemment dans le cadre de l'état d'urgence, sous l'angle
du respect de la liberté de la presse (Türkiye): l’avis analyse,
d’un point de vue juridique, une disposition interdisant la propagande
du terrorisme. Il indique que le «caractère vague» d’une formule utilisée
pour interdire la couverture d’attaques terroristes (qui «produisent
des résultats servant les intérêts du terrorisme») pourrait «favoriser
une interprétation trop large et certainement générer un effet inhibiteur
chez les journalistes suivant ces questions». 
			(58) 
			- 2022
n° 1102 - <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2022)034-f'>CDL-AD(2022)034</a> - Avis conjoint urgent sur le projet d’amendements au
Code pénal de la Türkiye concernant la disposition sur les «informations
fausses ou trompeuses»: l’avis présente des éléments sur les notions d’informations
fausses ou trompeuses et leur interdiction potentielle par la loi,
dans une analyse comparative couvrant plusieurs pays européens.
Il montre que plusieurs États s’abstiennent d’instaurer des poursuites
pénales à l’encontre des personnes diffusant des «informations fausses
ou trompeuses». En ce qui concerne le droit turc, la Commission
de Venise a estimé qu’il n’y avait «pas de nécessité sociale pressante
d'introduire la disposition pénale en question» et que cela pouvait
«ouvrir davantage la porte à d'éventuelles menaces et restrictions
arbitraires de la liberté d'expression».. Les États jouissent d’une certaine marge d’appréciation, mais le besoin de restreindre la liberté d’information doit se trouver établi de manière convaincante.
69. À titre d’exemple, dans l’affaire Ceylan c. Türkiye, le requérant, dirigeant syndical, a été emprisonné et privé de certains droits politiques et sociaux pour «infraction d’incitation du peuple à la haine et à l’hostilité en faisant des distinctions fondées sur l’origine ethnique ou régionale ou l’appartenance à une classe sociale.» La Cour a jugé la condamnation du requérant disproportionnée dans la mesure où les messages, malgré leur virulence, n’encourageaient pas la violence, la résistance armée ou l’insurrection. Pour la Cour, il s’agit d’un facteur qu’il faut prendre en considération.
70. Pour être compatibles avec la liberté d’information, les restrictions sur la propagande doivent être mises en œuvre dans le respect des principes de l’État de droit. Il en va de même lorsque nos démocraties sont confrontées à la propagande sous forme de guerre hybride menée par un «État agresseur» ou un «État soutenant le terrorisme»: toute restriction visant à lutter contre cette propagande ne sera efficace que si elle repose fermement sur des notions clairement définies et une base solide d’actes normatifs.

4.2. Faire face à la propagande préjudiciable mais pas illégale

71. La propagande peut être préjudiciable sans être illégale. Cela ne signifie pas qu'elle ne doit pas être combattue. Au cours de l’année écoulée, plusieurs «mesures de renforcement de la résilience des médias» ont été prises, telles que la mise en place d’une «communication stratégique» consistant à équilibrer l’espace d’information avec des discours pro-démocratiques / positifs, la démystification et la vérification des faits (et notamment concernant les personnalités politiques) 
			(59) 
			On
peut citer à titre d’exemples, Lilla Krisisinfo, site d’information
de crise fournissant des services sociaux aux enfants en Suède,
et PROPASTOP, site internet alimenté par des volontaires de la Ligue
de défense estonienne, géré par le ministère de la Défense en Estonie.
Un exemple de démystification est HOAXES AND LIES, des comptes Facebook
et Instagram gérés par la police en République Slovaque. Également
en République Slovaque, l’ONG KONSPIRATORI.SK a établi une liste
de sites de désinformation classés par un groupe de professionnels., en plus de limiter la propagation de la désinformation en bloquant et en interdisant les sites internet, les comptes de réseaux sociaux et les contenus préjudiciables 
			(60) 
			En Lettonie, l’autorité
de régulation des médias a bloqué 71 sites pour diffusion de propagande
russe.. Cependant, les coupures temporaires d’internet et/ou la contrepropagande gouvernementale ne sont pas toujours appropriées ni efficaces. Les efforts de contrepropagande déployés par l’Ukraine restent considérés comme moins efficaces que la propagande russe 
			(61) 
			<a href='https://ijoc.org/index.php/ijoc/article/view/21746'>«War
Propaganda Unfolded: Comparative Effectiveness of Propaganda and
Counterpropaganda in Russia’s Invasion of Ukraine».</a>.
72. Dans la lutte contre la propagande préjudiciable, les plateformes en ligne ont un rôle très important à jouer. Le Conseil de l'Europe a établi des standards importants à cet égard, par la Recommandation CM/Rec(2018)2 sur les rôles et responsabilités des intermédiaires d'internet, CM/Rec(2022)13 sur l'impact des technologies numériques sur la liberté d'expression et CM/Rec(2022)16 sur la lutte contre le discours de haine. En outre, la note d'orientation sur la modération du contenu (2021) et la note d'orientation sur la hiérarchisation des contenus d'intérêt public en ligne (2021) comprennent des principes et des lignes d'action qui défendent l'accès du public à des informations de qualité.
73. Entre autres, les plateformes doivent prendre des mesures pour éliminer les gains financiers des fournisseurs de désinformation, introduire des mesures contre les comptes automatisés qui amplifient la désinformation, et elles doivent également utiliser des solutions appropriées de vérification des faits. La note d’orientation sur la lutte contre la propagation de la mésinformation et de la désinformation en ligne par le biais de la vérification des faits et de la conception de plateformes (2023) se concentre sur trois domaines d'action: la vérification des faits, les solutions de conception des plateformes, l'autonomisation des utilisateurs et l'éducation aux médias, ce qui est également particulièrement pertinent dans la lutte contre la propagande.
74. Ces huit dernières années, les institutions de l’Union européenne ont systématiquement adopté et mis en œuvre plusieurs résolutions, communications stratégiques et plans d’action destinés notamment à combattre la propagande nuisible mais légale. Il s’est probablement agi de la réponse politique la plus complète de toutes les organisations intergouvernementales. 
			(62) 
			<a href='https://digital-strategy.ec.europa.eu/en/policies/online-disinformation'>European
Commission – «Tackling online disinformation»</a>.
75. Le règlement sur les services numériques (DSA pour Digital Service Act) 
			(63) 
			<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32022R2065'>Règlement
(UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre
2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant
la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques)
(Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE)</a>. de 2022 constitue un pilier fondamental de la stratégie de l'Union européenne. Le DSA «harmonise pleinement les règles applicables aux services intermédiaires dans le marché intérieur dans le but de garantir un environnement en ligne sûr, prévisible et de confiance, en luttant contre la diffusion de contenus illicites en ligne et contre les risques pour la société que la diffusion d’informations trompeuses ou d’autres contenus peuvent produire».
76. Les contenus illégaux sont définis par les États membres et les législations de l'Union européenne. Le DSA ne fait que créer les règles sur la manière de lutter contre les contenus illégaux par le biais d'un certain nombre de dispositions, par exemple sur les injonctions d’agir contre des contenus illicites, les obligations en matière de rapports de transparence, le traitement interne des réclamations et les obligations d’infirmer les décisions, le statut de «signaleurs de confiance» (trusted flaggers) pour les organismes experts, etc. Les règles concernant le traitement individuel des contenus potentiellement préjudiciables (mais non illégaux) sont assez limitées car elles ne se réfèrent qu'aux conditions générales. Par exemple, s'il existe une sorte de règle interne contre les informations préjudiciables, elle peut être traitée via le traitement interne des réclamations, mais il n'y a pas d'autres obligations en vertu du DSA.
77. Le DSA s'applique à quatre types de services: les intermédiaires, les services d'hébergement, les plateformes en ligne et les très grandes plateformes en ligne et très grands moteurs de recherche en ligne (VLOPSEs pour Very Large Online Platforms and Very Large Online Search Engines), avec des obligations croissantes en fonction du type de service. Il a une approche systémique et basée sur les risques. Rien dans le DSA ne demande le retrait du contenu qui n'est pas strictement illégal, mais il vise à l'atténuation des risques. En ce qui concerne les utilisateurs, il est très protecteur de leur liberté d'expression, mais aussi de la liberté d’entreprise des plateformes elles-mêmes.
78. Le DSA s'intéresse tout particulièrement aux VLOPSEs en raison de leur portée en termes de destinataires de ces services. Les VLOPSEs doivent évaluer les risques systémiques découlant de la conception, du fonctionnement et de l’utilisation de leurs services, ainsi que des abus potentiels par les destinataires du service, et devraient prendre des mesures d’atténuation appropriées, dans le respect des droits fondamentaux (Article 34 DSA). Cette évaluation des risques doit inclure les risques systémiques suivants: a) la diffusion de contenus illicites par l’intermédiaire de leurs services; b) tout effet négatif réel ou prévisible pour l’exercice des droits fondamentaux; c) tout effet négatif réel ou prévisible sur le discours civique, les processus électoraux et la sécurité publique; d) tout effet négatif réel ou prévisible lié aux violences sexistes et à la protection de la santé publique et des mineurs et les conséquences négatives graves sur le bien-être physique et mental des personnes.
79. Les VLOPSEs doivent mettre en place des mesures d’atténuation raisonnables, proportionnées et efficaces, adaptées aux risques systémiques spécifiques recensés mentionnés ci-dessus, en tenant compte en particulier de l’incidence de ces mesures sur les droits fondamentaux (article 35 DSA).
80. Le DSA a également introduit un «mécanisme de réponse aux crises» (article 36 DSA) qui permet à la Commission européenne d'exiger des VLOPSEs qu'ils «initient d’urgence une réaction aux crises» lorsque «des circonstances extraordinaires entraînent une menace grave pour la sécurité publique ou la santé publique dans l’Union ou dans des parties importantes de l’Union». En outre, la Commission européenne peut lancer l'élaboration de protocoles de crise volontaires afin de coordonner une réaction rapide, collective et transfrontalière dans l'environnement en ligne (article 48 DSA).
81. Un autre pilier de la stratégie de l'Union européenne contre la désinformation est le code de bonnes pratiques renforcé contre la désinformation 
			(64) 
			<a href='https://digital-strategy.ec.europa.eu/fr/library/2022-strengthened-code-practice-disinformation'>2022
– Code de bonnes pratiques renforcé contre la désinformation</a>. de 2022, qui énonce 44 engagements étendus et précis des plateformes et de l'industrie pour lutter contre la désinformation et 128 mesures spécifiques, dans les domaines suivants: démonétisation; transparence de la publicité politique; garantie de l'intégrité des services; autonomisation des utilisateurs; autonomisation des chercheurs; autonomisation de la communauté de vérification des faits; centre et groupe de travail sur la transparence; et cadre de surveillance renforcé.
82. En ce qui concerne les processus électoraux, la Commission européenne a publié le 26 mars 2024 des lignes directrices pour les VLOPSEs afin d'atténuer les risques systémiques en ligne susceptibles d'avoir une incidence sur l'intégrité des élections, avec des conseils spécifiques pour les élections du Parlement européen en juin 2024 
			(65) 
			<a href='https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_24_1707'>«Commission
publishes guidelines under the DSA for the mitigation of systemic
risks online for elections.»</a>. Entre autres, les VLOPSEs doivent: mettre en œuvre des mesures d'atténuation des risques spécifiques aux élections, adaptées à chaque période électorale individuelle et au contexte local; adopter des mesures d'atténuation spécifiques liées à l'IA générative; faciliter l'utilisation de mesures d'atténuation adéquates, y compris dans les domaines de la manipulation de l'information étrangère et de l'ingérence, de la désinformation et de la cybersécurité; adopter des mesures spécifiques, y compris un mécanisme de réponse aux incidents, pendant une période électorale pour réduire l'impact des incidents qui pourraient avoir un effet significatif sur le résultat de l'élection ou le taux de participation; évaluer l'efficacité des mesures par le biais d'examens postélectoraux.
83. L’EDMO s'emploie à renforcer et à permettre la collaboration entre une communauté multidisciplinaire de parties prenantes s'attaquant à la désinformation en ligne. Il peut compter sur un réseau de 14 hubs nationaux ou multinationaux actifs dans 28 pays de l'Union européenne et de l'Espace économique européen, qui apportent un potentiel unique pour comprendre et agir sur les vulnérabilités spécifiques des médias numériques dans les domaines qu'ils couvrent.
84. Le règlement européen sur la liberté des médias 
			(66) 
			<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32024R1083'>Règlement
(UE) 2024/1083 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024
établissant un cadre commun pour les services de médias dans le
marché intérieur et modifiant la directive 2010/13/UE (règlement
européen sur la liberté des médias). Texte présentant de l'intérêt
pour l'EEE.</a> pourrait présenter un intérêt pour les États membres du Conseil de l'Europe qui ne sont pas membres de l’Union européenne et servir de modèle aux gouvernements nationaux pour gérer les menaces de la propagande. Les médias de qualité y sont présentés comme un antidote contre la propagande, y compris contre la manipulation de l’information et l’ingérence étrangères.
85. Cette notion de «médias de qualité» comprend plusieurs éléments, notamment l’indépendance éditoriale vis-à-vis des partis politiques et des pays étrangers, l’indépendance des structures de gouvernance des médias de service public, une plus grande transparence de la propriété des médias et des critères transparents, objectifs, proportionnés et non discriminatoires concernant l’attribution des financements publics pour l’achat de publicités.
86. La relation des Européens avec les médias varie d’un pays à l’autre mais, dans la majorité des pays, la confiance que les citoyens accordent aux médias est faible; ils estiment que nombre de médias traditionnels sont partisans et partiaux. Cette perception des médias est importante: en effet, elle détermine non seulement les sources d’information que la population recherche mais augmente aussi leur probabilité de consommer des «médias alternatifs» ou d’éviter toute information ce qui, dans les deux cas, peut les rendre plus vulnérables à la propagande 
			(67) 
			<a href='https://home-affairs.ec.europa.eu/whats-new/publications/media-and-polarisation-europe-strategies-local-practitioners-address-problematic-reporting-may-2023_en'>«The
Media and Polarisation in Europe: Strategies for Local Practitioners
to Address Problematic Reporting».</a>. La Recommandation CM/Rec(2022)4 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe sur la promotion d’un environnement favorable à un journalisme de qualité à l’ère du numérique comprend des orientations sur la vérification et le contrôle de la qualité afin de rétablir la crédibilité et la confiance du public dans les médias, mais reconnaît aussi explicitement le rôle de l'éducation aux médias et à l'information dans le renforcement de la résilience sociale face à la désinformation.
87. Pour distinguer les médias d’information indépendants reconnus bona fide et les propagandistes (d’État), il convient de recourir à des indicateurs qui reflètent le fondement des médias indépendants et du journalisme de qualité 
			(68) 
			<a href='https://search.coe.int/cm/pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680a5ddd1'>Recommandation CM/Rec(2022)4
du Comité des Ministres aux États membres sur la promotion d’un
environnement favorable à un journalisme de qualité à l’ère du numérique.</a>, tels que l’adhésion à des consignes éditoriales et leur utilisation effective, l’existence de règles de déontologie du journalisme, la mise en place de mécanismes d’autorégulation, le niveau de contrôle public et la transparence de la propriété des médias. La liste de ces indicateurs n’est pas exhaustive, mais ils permettent de se faire une idée du niveau d’opacité qui est incompatible avec les médias indépendants et le journalisme de qualité 
			(69) 
			<a href='https://assembly.coe.int/nw/xml/xref/xref-xml2html-fr.asp?fileid=17684&lang=en'>Résolution
1636 (2008) «Indicateurs pour les médias dans une démocratie».</a>.
88. Différentes formes d’autorégulation, comme les conseils de presse indépendants, les médiateurs (numériques) ou l’organisation d’examens par les pairs, peuvent aider à trouver l’équilibre entre l’indépendance et la protection contre la censure politique. Outre les questions d’indépendance et de garantie de professionnalisme, elles servent aussi d’outil pour la responsabilisation des médias. Les décisions des organes d’autorégulation peuvent aussi préparer le terrain aux tribunaux et autorités nationales de régulation chargés de faire la distinction entre les journalistes reconnus bona fide et les propagandistes déguisés en acteurs médiatiques. En 2016, les conseils des médias des pays du Partenariat oriental de l’Union européenne (et de la Russie) ont même approuvé des critères pratiques spécifiques pour différencier la propagande et le journalisme dans les médias 
			(70) 
			<a href='https://www.mediacouncils.org/consultative-commission-to-counteract-propaganda/'>Consultative
Commission to Counteract Propaganda – Media Self-regulatory Organizations
Network.</a>.
89. L’IA, qui est de plus en plus présente dans les contenus médiatiques, principalement sur les plateformes numériques, mérite une attention particulière. L'IA peut être un instrument de propagande très puissant, notamment par le biais de ce que l'on appelle les deep fakes (une image ou un enregistrement qui a été modifié et manipulé de manière convaincante pour présenter quelqu'un comme ayant fait ou dit quelque chose qui n'a pas été fait ou dit en réalité). Pour contrer ce phénomène, le Conseil de l'Europe et l'Union européenne sont en train de finaliser des instruments juridiques novateurs qui réglementent de nombreux aspects de l'IA. En particulier, la loi européenne sur l'IA stipule que le contenu généré ou modifié à l'aide de l'IA – images, fichiers audio ou vidéo – doit être clairement étiqueté comme étant généré par l'IA. Garantir la transparence des données est certainement nécessaire à cet égard, mais la transparence seule n'aura pas d'impact substantiel sans règles sur la manière dont les systèmes algorithmiques doivent être conçus. En ce sens, les autorités de régulation chargées de superviser ces systèmes joueront un rôle fondamental 
			(71) 
			<a href='https://rm.coe.int/iris-special-2023-02fr/1680aeda49'>Cappello
M. (Ed.), «Transparence et responsabilité en matière d’algorithmes
des services numériques», IRIS Spécial, Observatoire européen de
l’audiovisuel, Strasbourg, décembre 2023</a>..
90. Entre-temps, l'industrie technologique s'autorégule déjà. En voici un exemple: en février 2024, plusieurs entreprises technologiques de premier plan ont signé un accord visant à combattre l’utilisation trompeuse de l’IA dans les élections 2024 («Tech Accord to Combat Deceptive Use of AI in 2024 Elections») 
			(72) 
			<a href='https://www.aielectionsaccord.com/'>«AI Elections accord
– A Tech accord to Combat Deceptive Use of AI in 2024 Elections</a>». Meta se prépare pour les élections européennes de
2024 et met sur pied un centre des opérations électorales afin d’identifier
les menaces potentielles et de mettre en place des mesures d’atténuation
en temps réel, voir: <a href='https://about.fb.com/news/2024/02/how-meta-is-preparing-for-the-eus-2024-parliament-elections/'>«How
Meta is preparing for the EU’s 2024 Parliament elections».</a>, où elles se sont engagées à «déployer des technologies pour contrer les contenus préjudiciables générés par l’IA destinés à tromper les électeurs». Les signataires ont décidé de concevoir ensemble des outils permettant de détecter et de gérer la diffusion en ligne des contenus générés par l’IA, de définir des campagnes d’éducation, et d’assurer la transparence. Les contenus numériques visés sont des enregistrements audios, des vidéos et des images qui sont «frauduleux ou modifient l’apparence, la voix, ou les actes des candidats politiques, des responsables électoraux et d’autres parties prenantes clés dans une élection démocratique, ou qui fournissent de fausses informations aux électeurs sur quand, où et comment voter».
91. D’autres outils classiques permettent de faire face à la propagande. Ils comprennent les règles sur l’équilibre et l’exactitude de la radiodiffusion; l’indépendance des autorités de régulation des médias dotées des compétences et des moyens financiers adéquats; la place importante des médias de service public avec une mission spéciale consistant à inclure tous les points de vue; une distinction claire entre les faits et les opinions dans le journalisme; la transparence de la propriété des médias, etc. Comme l’indique l’Assemblée dans son rapport intitulé «Garantir la liberté des médias et la sécurité des journalistes: une obligation des États membres» 
			(73) 
			Doc. 15891 «Garantir la liberté des médias
et la sécurité des journalistes: une obligation des États membres»., la défense des médias de service public et la lutte contre l’appropriation des médias sont deux éléments clés pour contrer la propagande, ainsi qu’une éthique professionnelle des médias. Une des principales caractéristiques des médias de propagande est notamment qu’ils évitent de divulguer leurs consignes éditoriales (s’il en existe) ou leurs principes de programmation, leurs statuts, leurs codes professionnels, leurs codes de déontologie des journalistes, ou toute autre norme professionnelle 
			(74) 
			<a href='https://intellectdiscover.com/content/journals/10.1386/jdmp_00005_1'>«Accountability
and media literacy mechanisms as a counteraction to disinformation
in Europe».</a>.
92. De bonnes pratiques existent pour lutter contre la propagande dans le secteur des médias. Plusieurs diffuseurs de service public comme la BBC ont créé un service spécial de lutte contre la désinformation 
			(75) 
			<a href='https://www.bbc.co.uk/beyondfakenews/'>«Beyond fake news», </a>BBC. . France Télévisions a lancé un «MédiaLab de l’information» contre la propagande et la désinformation 
			(76) 
			<a href='https://www.francetelevisions.fr/et-vous/notre-tele/on-sengage/desinformation-tendances-et-mecaniques-18028'>«Désinformation:
tendances et mécanique»</a>.. Beaucoup d’autres grands médias, y compris les médias traditionnels écrits et les agences de presse, ont intégré la démystification et la vérification des faits dans leurs activités.
93. Un dernier élément à prendre en considération est la participation des citoyens à la lutte contre la propagande. Dans la lutte contre la désinformation et la propagande, il est essentiel de doter le public des compétences et des connaissances dont il a besoin pour reconnaître, utiliser et apprécier des informations et un journalisme de qualité, ainsi que pour discerner les informations et interagir avec elles de manière critique. Les programmes d'éducation aux médias et à l'information devraient permettre de mettre en contexte l’actualité et les droits humains, améliorer la compréhension de l’importance de la liberté des médias et de démystifier les accusations de partialité qui font douter des médias et finalement aider au développement du sens critique et encourager la population à s’intéresser aux informations, en particulier les personnes défavorisées sur le plan éducatif et les jeunes. Ces programmes devraient avoir pour objectif principal de placer la vulnérabilité à la propagande au cœur des questions prioritaires et d’aider les participants à discerner eux-mêmes les faits et les points de vue, à reconnaître la partialité dans les reportages et les récits conspirationnistes, à corroborer et à vérifier l’exactitude des informations, et à répondre à des contenus et des acteurs problématiques. En outre, d'autres initiatives utiles pourraient être des activités de renforcement communautaire qui aident à sortir des réseaux sociaux et ciblent l’isolement, des initiatives de démocratie participative pour renforcer la confiance à l’égard de la gouvernance locale/régionale, et l’utilisation de la psychologie et des sciences comportementales pour cibler les communautés vulnérables avec des messages dans un langage qu’elles comprennent.

4.3. Synthèse

94. Les solutions contre les contenus de propagande doivent nécessairement être multidimensionnelles. Il faut traiter la propagande afin de préserver le pluralisme des médias et la liberté d’information. Cependant, les États ne devraient pas s’attacher à lutter contre la propagande, mais plutôt à agir en faveur des droits fondamentaux comme la liberté d’expression et la liberté d’information. Ils devraient faire la distinction entre les réponses apportées aux formes d'expression illégales et celles apportées aux formes d'expression légales mais préjudiciables, et ne devraient restreindre que la distribution de contenus illégaux. De même, les plateformes devraient utiliser le retrait de contenu comme mesure de dernier recours.
95. Au vu de ces conclusions, des actions concrètes sont proposées dans le projet de résolution.